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Frère-Orban de 1857 à 1896 (tome I : 1857-1878)
GARSOU Jules - 1946

Jules GARSOU, Frère-Orban de 1857 à 1896 (Tome I : 1857-1878)

(Paru à Bruxelles en 1946, aux éditions Vers l'Avenir)

Livre III. Frère-Orban dans l’opposition (1870-1878)

Chapitre VI. La loi de 1876 sur l'enseignement supérieur

La loi universitaire - Les élections du 13 juin 1876

Comme le fait remarquer Ernest Discailles, le biographe de Charles Rogier, le ministère catholique, fort affaibli par les extravagances d'un grand nombre de ses partisans, ne continuait à « vivre » que par la désunion libérale, atténuée sans doute, mais que de nouveaux incidents pouvaient encore raviver.

L'un de ceux-ci lui donna quelque espérance.

Il fut provoqué par une initiative de Frère-Orban sur le terrain de l'enseignement supérieur et divisa profondément la gauche et l'opinion libérale. Il n'eut cependant qu'une portée « académique » et nous ne croyons pas qu'il ait profondément influencé les élections législatives de 1876.

L'enseignement supérieur avait été régi depuis 1835 par diverses lois qui consacraient le système des jurys mixtes, vivement critiqué, auquel on attribuait la décadence des études et la régression de l'esprit scientifique.

Le 16 décembre 1875, le ministre Delcour avait déposé un projet de loi ayant pour objet la collation des grades académiques et le programme des examens subir pour l'obtention des diplômes. Ce projet maintenait le graduat en lettres et les jurys combinés. La section centrale s'était prononcée pour la suppression du graduat et l'extension aux examens d'ingénieurs du système des jurys combinés.

La discussion commença le 22 février 1876. Diverses opinions fort opposées s'étaient manifestées. Lorsque, le 25, un discours sensationnel de Frère-Orban fit l'effet d'un coup de théâtre. Dénonçant les entraves mises à la liberté d'enseignement des professeurs, à la liberté d'opinion des élèves, se déclarant en principe partisan du libre exercice des professions libérales, il réclama le retour à la liberté la plus étendue possible et déposa (page 355) un contre-projet supprimant tout examen d'entrée ainsi que les jurys combinés, et donnant à chaque université la collation des diplômes.

« Dans le système que je préconise - disait-il - nous aurons, du moins, affranchi l'enseignement de la servitude qui l'oppresse aujourd'hui, nous aurons conquis la liberté des méthodes, la liberté de la recherche scientifique et, ce qui est plus précieux aussi, la liberté des études. »

Il donna lecture, le 8 mars, d'un avant-projet auquel se rallia la section centrale et que le ministre Delcour admit également au nom du gouvernement. La plupart des libéraux, Tesch et Rogier notamment, combattirent avec vivacité les idées de Frère. Ils furent appuyés par la majorité des journaux et des associations du parti, et purent invoquer l'autorité de sociétés scientifiques et de corps académiques.

Ils reprochaient surtout au système nouveau, proposé comme une transaction entre le principe absolu de la liberté des professions libérales et les exigences des mœurs, d'être plus qu'une abdication des droits de l'Etat « transmettant - comme le disait Tesch - à des corporations sans existence légale, complètement indépendantes, le droit de délivrer des certificats de capacité sous sa garantie, mais sans aucun contrôle de sa part... »

Le niveau des études, ajoutait le député d'Arlon, serait déterminé par l'établissement qui délivrerait le plus facilement les diplômes. Et il faisait observer que l'Université de Louvain était bien plutôt un foyer de prosélytisme qu'une œuvre de science.

Quant à Rogier, il avait défendu, tout en leur reconnaissant des défauts, les jurys combinés contre les reproches de collision ou de collusion entre les examinateurs, et justifié la surveillance exercée par les professeurs des diverses universités.

Frère-Orban, les 29 et 30 mars, rompit de nouvelles lances en faveur de son système. « La thèse que je défends - déclara-t-il - est... une thèse essentiellement libérale. Le libéralisme a pour but d'assurer à l'homme la plus grande somme de liberté possible dans toutes les sphères de l'activité humaine. Le libéralisme soutient que l'homme a le droit de se développer (page 356) religieusement, moralement, intellectuellement, politiquement, matériellement, sans entrave, sans contrainte. et qu'il faut, à cet égard, lui garantir toutes les libertés qui sont compatibles avec les droits d'autrui dans l'ordre public... »

II était donc l'adversaire résolu des deux écoles qui combattent cette doctrine : l'Eglise catholique d'abord ; d'autre part, une école anticléricale qui veut transférer à l'Etat « les droits qu'elle conteste à l'Eglise. »

Après avoir ainsi posé son principe, Frère fit observer que la seule solution satisfaisante, celle de son projet, était le libre exercice des professions libérales, qui ne devait pas d'ailleurs être confondu avec l'admissibilité aux fonctions publiques, pour laquelle le pouvoir exécutif garderait sa prérogative et renforcerait éventuellement les garanties. Il déposa même un amendement qui proclamait le libre exercice de la profession d'avocat, et qui fut du reste repoussé. A ses yeux, et ce fut sa conclusion, d'une part le système de jurys d'examen, où les délégués des évêques se réunissaient avec les délégués officiels, mais sans la responsabilité de l'Etat ; l'organisation de l'enseignement, d’autre part, qui ne consacrait pas l'un des articles essentiels du programme libéral : la sécularisation scolaire tous les degrés, était une violation flagrante et manifeste des principes et des maximes dont l'application était poursuivie par le libéralisme. Il fallait donc libérer l'enseignement public de la servitude qui l'entrave et qui l'opprime.

Après le rejet d'un amendement de Van Humbeeck, proposant d'ajourner le débat en raison du dissentiment que l'opinion de Frère avait provoqué dans le libéralisme, l'appui de la majorité catholique et d'une minorité de libéraux fit adopter la loi. Le graduat en lettres disparut. L'article 6 de l'avant-projet de Frère qui prévoyait des certificats d'humanités complètes. ne (page 357) fut pas introduit dans la loi, et aucun examen d'entrée ne fut par suite imposé.

La Flandre libérale fut l'un des organes qui montra la plus forte opposition au système de Frère-Orban, « ce magnifique présent » aux établissements du clergé.

Nous constatons par la correspondance avec Trasenster, que Frère-Orban avait essayé de rallier la gauche à ses idées. L'hostilité de la Flandre libérale l'avait fort irrité. Aussi écrivait-il à son ami le 30 mars 1876. que par son discours commencé la veille, il avait « culbuté... l'opposition que le fanatique Laurent a faite à nos idées. » « L'effet de mon discours - poursuit-il - a été extraordinaire pour les libéraux. J'ai montré ce qu'il y avait à faire, une fois l'édifice renversé. J'ai établi le droit incontestable de l'Etat d'organiser les universités pour le recrutement de la magistrature, des fonctions judiciaires et notariales, des médecins, des services civils et militaires, hospices, hôpitaux, bureaux de bienfaisance et ceux qui peuvent être appelés à faire des constatations légales, exactement comme il le fait pour les ingénieurs. Je me suis emparé à cet égard des propres déclarations du gouvernement.

« Il est clair que dans de pareilles conditions. les universités de l'Etat attireront un grand nombre d'élèves.

« J'ai ajouté qu'il fallait faire la part de l’enseignement libre, qu'elle serait ou plus large ou plus restreinte, selon que son enseignement serait plus ou moins bon. etc...

« Mais ce qui a surtout désarçonné, c'est que j'ai montré, clair comme le jour, que notre système d'enseignement et de jury d’examen viole les principes du libéralisme : indépendance du pouvoir civil - sécularisation de l'enseignement - séparation de l'Eglise et de l'Etat. »

Le grand débat politique de mai 1876

La dissidence entre libéraux ne se prolongea pas. Elle s'arrêta devant la proximité des élections de juin 1876. L'ascendant de Frère sur la gauche fut reconquis à cette occasion, et, « non sans (page 358) rencontrer des objections écrivait-il, » le 13 mai à Trasenster, il détermina ses collèguesà procéder à une large discussion politique.

Il y avait été encouragé par Trasenster et aussi par Sainctelette, l'un de ses plus fidèles lieutenants, qui lui écrivait le 6 mai 1876 : « Plus je réfléchis à notre conversation d’hier (fin de séance) ...plus je me convaincs qu'un débat politique est nécessaire... tout le monde l'attend et s'en promet un bon résultat...

« On dit que, dans les jours de bataille, il faut que la troupe voie le général en chef. Cela doit être vrai aussi des luttes politiques…

« Un débat politique, soulevé et soutenu par vous, ne peut que ranimer notre parti, relever le caractère de la lutte et réveiller les neutres.

« Je ne puis donc trop insister auprès de vous pour que vous persistiez dans la résolution que vous annonciez hier et qui me parait, à tous les points de vue. motivée, sage et habile. »

Le débat s'engagea le 16 mai et se continua le 17 et le 18.

Frère s'étonna de l'affirmation audacieuse de doctrines « que l'on pouvait croire impossibles de nos jours, autrement que comme des éléments historiques destinés à avertir les peuples de se préserver d'erreurs dangereuses, » de la théocratie en un mot.

Il dénonce l'action politique de l'Eglise, ayant son idéal dans les Encycliques et le Syllabus, et qui a été réalisé dans les Etats du Pape, dont l'histoire est la plus lamentable de l'Europe.

Au tableau désenchanté de l'Etat romain, il oppose la prospérité de la Belgique indépendante, due à son régime de liberté, tant attaqué par le clergé devenu ultramontain.

Frère est d'ailleurs heureux d'entendre s'élever, chaque fois que ces attaques sont dénoncées, les protestations de la droite en faveur de la Constitution.

Mais, ajoute-t-il, « la question est de savoir s'il a pas en présence deux fractions catholiques, l’une qui s'intitule, je dirai presque qui s'intitulait, les catholiques libéraux, l'autre les catholiques tout court ; la première ayant pour devise les libertés (page 359) modernes... l'autre portant sur son drapeau : les libertés modernes sont une peste dont on ne peut avoir assez d'horreur... »

Les conditions de notre politique intérieure, sont, à présent, entièrement changées. Pendant vingt années, malgré l'Encyclique de 1832, le parti catholique ne se prévalut pas de cette attaque contre la Constitution, tandis qu’aujourd'hui s'est formé un puissant parti anticonstitutionnel.

Un enseignement religieux sectaire se donne dans certaines écoles, condamnant nettement le libéralisme et les libertés modernes, et le ministère est impuissant à calmer les passions cléricales qui deviennent dangereuses pour le pays.

Devant cette situation, s'écrie Frère, « le pays indigné fera bientôt justice, je l'espère, d'une politique épiscopale qui, par des attaques incessantes dirigées contre nos institutions et les libertés modernes, montre assez que le parti que nous combattons met les prétentions cléricales au-dessus de la paix, de la sécurité et de la prospérité du pays. »

Malou riposta par une profession de foi nettement constitutionnelle. Il signala l'influence prise, dans le parti libéral, par une fraction carrément hostile au sentiment religieux, et dont la progression préoccupait et inquiétait le pays.

Le canal de Gand à Terneuzen

En 1873 déjà, mais sans succès, Frère-Orban avait combattu le traité intervenu entre la Belgique et la Hollande relativement au chemin de fer Anvers à Gladbach. D'après lui, nous avions subi toutes les exigences de nos voisins.

Cette opposition se renouvela lorsque le gouvernement proposa à la Chambre, en mai 1876, de ratifier une convention hollando-belge, pour l'élargissement et l'approfondissement du canal de Gand à Terneuzen. Frère-Orban la prétendit contraire à la dignité nationale et susceptible de produire, en faveur de Terneuzen, une concurrence redoutable au port d'Anvers. L'appui de la députation anversoise fit échouer le projet de ratification.

De nombreuses lettres, adressées à Frère, le félicitèrent de ce succès.

Les élections du 13 juin 1876 et la déception libérale

(page 360) On était à la veille du scrutin.

Une immense espérance s'était emparée des libéraux. Ils comptaient l'emporter à Anvers, où ils avaient reconquis la représentation cantonale perdue en 1863.

A Bruxelles, un accord entre l'Association Libérale et la Société constitutionnelle avait permis, aux élections communales du 26 octobre 1875, la constitution d'une liste unique, sur laquelle Orts et Beyaert représentaient les scissionnaires.

Des négociations furent ensuite entreprises en vue d'un rapprochement définitif, mais elles n'aboutirent pas, l'Association ayant exigé la soumission préalable des dissidents.

En dépit de polémiques parfois acerbes entre journaux progressistes et doctrinaires, auxquelles des lettres de Frère à Trasenster et à Louis Hymans font allusion, les dissentiments entre les libéraux bruxellois furent assez contenus pour permettre en juin 1876 une nouvelle entente pour la formation d'une liste comprenant les treize représentants sortants. Orts et Jamar s'étaient enfin ralliés à la révision de la loi de 1842.

Frère-Orban manifestait sa satisfaction du résultat parlementaire. « Quoiqu'il arrive le 13 juin - écrivait-il le 3 à Trasenster - on n'aura rien reprocher à l'opposition... Si nous sommes vaincus, on ne pourra accuser ni son inaction, ni l'absence d'idées et de principes. Si nous sommes vainqueurs, la voie suivre est indiquée. »

Après avoir, dans cette même lettre, soupesé les chances de succès et les risques d'échecs, il estimait que « la situation du pays deviendrait grave si les cléricaux l'emportaient. »

Ils triomphèrent, malgré leurs propres appréhensions et contre toute attente, de leurs adversaires, qui s'étaient crus au moment de conquérir le pouvoir.

Les libéraux gagnèrent un siège à Nivelles, mais Vandenpeereboom fut battu Ypres. Anvers resta fidèle au Meeting, et le Luxembourg, à part Arlon, demeura ministériel.

(page 361) La correspondance de Frère, toujours d'un haut intérêt, nous apporte la mesure de la déception et de la colère éprouvées par le parti libéral, sentiments qui s'extériorisèrent avec violence pendant plusieurs jours dans les rues des grandes villes, à Bruxelles et Anvers particulièrement.

Les appréciations de Frère et de ses correspondants

Frère s'était empressé d'écrire Alphonse Vandenpeereboom le regret qu'il éprouvait de son échec. L'ancien collègue, fort touché, l'en remercia cordialement. « Tout le monde, disait-il, a fait bravement ici son devoir ». Lui-même prévoyait un insuccès : il n'a pas hésité cependant à accepter une candidature. L'échec d'Anvers ne l'a pas étonné : « Je connais les campagnes flamandes, vous ne pourriez jamais vous figurer à quels excès le clergé rural et même urbain se livre. »

Très charmé, personnellement, de pouvoir rentrer dans la vie privée, il pense, comme Frère, que la situation est grave.

« Ce qui me frappe aussi, poursuit-il, c'est que les partis deviennent de plus en plus tranchés ; des deux côtés les hommes modérés disparaissent... »

Les Yprois, malgré tout, ne sont pas découragés, et de nouveaux lutteurs reprendront les armes.

« Je rentre dans la vie privée le cœur léger, je crois n'avoir rien à me reprocher et j'espère conserver l'estime et l'affection de mes amis. »

« La première pensée que me suggère le mécompte électoral d'hier se reporte vers vous - écrivait Sainctelette le 14 juin. Sans doute, dans l'intérêt du pays, il faut regretter que, durant plusieurs années encore, le gouvernement en doive rester dans les mains dont le moindre défaut est l'inertie. Mais la justice veut que la faute soit réparée par ceux qui l'ont commise. Aussi espérais-je que cette ville d'Anvers, autrefois si ingrate envers vous, vous offrirait tantôt la récompense de tant et de si nobles efforts que, depuis six ans, vous aurez faits pour reconstituer, soutenir et diriger l'opposition libérale. Le résultat nous échappe cette (page 362) fois, mais le sentiment de l'ingratitude dont on a été coupable envers vous et de la réparation qui vous est due s'accentue de plus en plus et s'étend partout. De tous côtés, j'entends de plus en plus faire des vœux pour que vous puissiez longtemps encore conduire le parti libéral... »

Jules Bara, dans sa juvénile ardeur, soumettait à Frère, dès le 16 juin, un projet de discours à prononcer devant la Fédération libérale qui allait se réunir pour réclamer une réforme électorale assurant le secret du vote.

Mon discours, avouait Bara, « est un peu énergique, mais je vous ferai observer qu'on est très monté dans le pays, et que si nous n'avons pas l'air d'exiger sérieusement du ministère la réforme qu'on désire, d'autres choses pourront se passer qui ne seront utiles personne... »

Edouard Pecher remerciait, le 15 juin, Frère-Orban de son « approbation », de ses « sympathies », baume versé sur les souffrances des libéraux anversois. Il réclamait aussi une réforme électorale pour calmer la population exaspérée et sollicitait l’intervention de Frère-Orban.

Des considération émises par Transenster sur le scrutin si décevant, notons cette remarque optimiste : « La session en tous cas s'ouvrira cette fois-ci avec le parti libéral parfaitement uni et peu disposé, je pense, à se lancer dans les aventures des programmes fantaisistes. L'opposition aura beau jeu tandis que M. Malou ne doit pas se trouver sur un lit de roses... »

La manifestation des « Quarante-Cinq »

Frère cependant retomba pour quelque temps dans le pessimisme. Une manifestation, due à l'initiative de Scailquin, président de la Ligue des Gueux Brabançons, et signée par quarante- cinq « notabilités libérales » tendait à remettre au Roi une pétition réclamant la convocation des Chambres en session extraordinaire pour vérifier spécialement les élections d'Anvers, faussées, à leur avis, par la corruption et la pression. Ils demandaient aussi la révision de la loi électorale, afin d'assurer la liberté et la sincérité des votes.

(page 363) La presse libérale, estimant leur démarche intempestive, ne les appuya pas.

Frère avait été interrogé par Ortmans-Hauzeur sur ce qui se tramait. Il lui répondit le 19 juin : « Je ne connais absolument rien des faits dont vous me parlez.

« Je ne sais quels sont « les chefs du libéralisme belge qui ont dû se réunir hier à Bruxelles. »

Indirectement informé, ainsi que Bara, il supposait que c'étaient « les anciens avancés » qui se nomment aujourd'hui « les gueux » dont le but est de prendre la direction du parti libéral, qui auront provoqué la réunion mentionnée par certains journaux.

Avisé par Edouard Pecher du triple projet des libéraux anversois de « réclamer 1° un ministère d'affaires ; 2° de nouvelles circonscriptions électorales ; 3° le vote par ordre alphabétique »il lui avait fait comprendre que l'on ne pouvait « demander le renvoi d'un ministère en pleine possession de la majorité et qui vient d'être confirmé par des élections régulières.

« J'ai ajouté - poursuivait-il - que l'on ne saurait commettre un acte ou plus vain ou plus imprudent que de provoquer des révisions de lois électorales par une majorité hostile. »

Il avait, d'autre part, exprimé l'avis qu’« une seule chose était à faire : c'était de pratiquer une opposition ferme, résolue, constante au ministère, de profiter de toutes ses fautes, de faire valoir nos griefs et de nous organiser plus sérieusement que jamais…

« Nous n'avons que trop de programmes, sous prétexte que nous en manquons et ce n'est pas en y mettant de nouveaux articles que nous réussirons mieux que nous ne l'avons fait jusqu'à présent.

« J'ai indiqué enfin que la chose essentielle à faire dans la plupart des arrondissements. c'est la révision des listes électorales. La fabrication d'électeurs par les cléricaux nous tue. Notre succès à Nivelles est dû surtout à la révision des listes. Les cantons ruraux d'Anvers avaient en 1873, 2.116 électeurs: ils en avaient 2.400 et plus en 1876. Un pareil mouvement en aussi peu de temps ne paraît pas normal.

(page 364) « M. Pecher m'a remercié de mes conseils et dans le manifeste qu'il a rédigé, on s'est maintenu dans des généralités.

« La conformité des mesures qui semblaient projetées à Anvers, avec celles qui ont été indiquées par quelques journaux « avancés » me fait présumer que tel devait être le thème que l'on voulait essayer de faire prévaloir dans la réunion d'hier.

« Il en résulterait un antagonisme entre l'opposition parlementaire et celle qui chercherait à développer en dehors une fraction très irréfléchie de l'opinion libérale. »

La révision des listes électorales était « la chose essentielle à faire dans la plupart des arrondissements » et il en avait donné des preuves très nettes. Edouard Pecher s'était aussitôt rallié à ses vues.

En conclusion, « le thème que l'on voulait essayer de faire prévaloir » dans la réunion tenue à Bruxelles, ne pouvait avoir d'autre résultat qu’« un antagonisme entre l'opposition parlementaire et celle que chercherait à développer au dehors une fraction très irréfléchie de l'opinion libérale. »

Frère revenait sur ce point dans une lettre du 24 juin à Trasenster. Il constatait que « les hommes d'Etat du Charivari » avaient encore une fois essayé de prendre la direction du parti libéral. Malgré le désaveu infligé, Frère-Orban craignait « que le gouvernement de l'opinion libérale ne devint impossible. »

Quelques jours après cependant, le Comité de la Fédération Libérale décidait d'ouvrir une enquête sur l'intervention du clergé dans les élections et de rechercher les moyens d'assurer la liberté du scrutin.

Ce fut le point de départ d'une longue agitation qui aboutit à un grand succès libéral au Parlement, couronné par la victoire électorale du 11 juin 1878.

Réflexions de Frère-Orban sur les projets de la Fédération libérale et la situation du libéralisme

Après les vacances, la Fédération allait donner suite ses projets qui, communiqués à Frère par Bara, lui inspiraient des réflexions qui n'étaient pas des plus enthousiastes. « Je ne sais pas (page 365) pas trop - disait-il le 3 octobre à Trasenster - ce qu'on pourra faire dans la session prochaine ». Bara annonçait un grand discours réclamant des mesures électorales que Frère qualifiait de « simple palliatif d'un effet très restreint ». A son avis « il faudrait agir davantage sur cette partie du corps électoral qui est accessible à la discussion et peut se former une opinion réelle. » IlI blâmait vivement la tendance « à vouloir que la lutte soit religieuse, ce qui est la négation même du libéralisme ». C'était là, disait-il un thème qu'il désirerait développer, annonçant ainsi la mémorable déclaration du 14 mai 1878 ; mais, au moment où il exprimait cette velléité, il prévoyait qu'il allait « créer un nouveau schisme, » qu'il serait « mis au banc des gueux de toutes les nuances et de leurs organes les plus en renom, la Revue de Belgique, la Flandre libérale, etc... »

Pouvait-on compter sur l'opposition parlementaire pour « imprimer une direction salutaire à l'opinion publique) ? » Frère ne le croyait guère, la voyant « pleine de divisions. d'antagonismes, d'hostilités personnelles » et donnant à grand peine « la simple apparence de l'union. » « Il n'existe même pas - remarquait-il - un groupe suffisant sur lequel je puisse dire que j'ai une action personnelle réelle ». Ses longs efforts aboutissent « aux résultats les plus médiocres. » « Après six années de luttes incessantes, je sens parfaitement, à n'en pouvoir douter, que ce n'est pas la politique que je représente que l'on entend pratiquer. Une fraction de l'opinion libérale, la plus bruyante et la plus agissante, reste, au fond, contre moi avec son hostilité de 1870. Or, être chef, c'est, avant tout, une question de confiance. »

Il ne récrimine pas, dit-il, contre cette situation ; il la constate.

« Elle résulte d'un ensemble d'idées et d'une conception de la politique applicable au pays, sur laquelle les libéraux ne sont pas d'accord. » Frère-Orban se demande s'il ne faut pas « s'expliquer nettement et, au risque d'une tempête, essayer de faire rentrer le libéralisme dans ses voies ». « Je tiens pour ma part - dit-il en terminant - qu'aussi longtemps que l'on continuera à fournir des armes nos adversaires et menacer les convictions religieuses des électeurs. nous n'aurons guère de succès à espérer. »

Bien que certains remous dussent encore se produire, (page 366) l'élection inattendue de Paul Janson, par exemple, les appréhensions de Frère-Orban ne devaient pas se justifier. Il avait, en fait, repris la direction de la gauche parlementaire et du parti libéral, forcés de s'incliner devant son talent qu'aucun autre chef ne pouvait, de loin, égaler.

Réflexions désenchantées sur les scandales financiers de l'année

Désenchantées encore étaient les réflexions que lui suggéraient les désastres moraux et financiers de l'année qui finissait, et qui jetaient, écrivait-il de Menton, le 5 janvier 1877, à Trasenster, « un fort mauvais jour sur notre situation morale et économique ». Il déplorait la lenteur des instructions judiciaires, propre à faire croire au gros du public que l'impunité est assurée aux malfaiteurs « qui se trouvent dans certaine position sociale, même lorsqu'ils dépouillent des malheureux dans la vue (sic) de s'enrichir aux dépens d'autrui . »

Frère et la question d'Orient

Dans cette lettre, Frère-Orban, lors de son passage à Paris, a rencontré chez Thiers le prince Orloff, qui les a entretenus d'un projet d'occupation de la Bulgarie qui allait être mis à la Conférence examinant Constantinople les affaires d'Orient. Il était question de recruter des volontaires en Belgique - on avait même parlé de l'envoi de soldats réguliers. Frère était absolument opposé cette « mesure détestable. » Il avait immédiatement fait part de ces conversations à Van Praet, et avait finalement appris que Malou, interpellé par Coomans, avait « laissé inutilement les esprits s'égarer. » N'ayant pas constaté le véritable caractère de la mesure projetée, il n'a pas dissipé l'équivoque qui inquiétait l'opinion publique.