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Ecrit sur le sable (cinquante ans de journalisme)
FISCHER Franz - 1947

FISCHER Franz, Ecrit sur le sable (cinquante ans de journaliste)

(Paru à Bruxelles en 1947, aux éditions de La Renaissance du Livre)

La tribune de la presse

Le procédé du poignet – L’antichambre du Parlement : Georges Lorand, Louis Bertrand, Adolphe Max, Paul Wauvermans, Jules Lekeu, Louis Pierard - Les as de la profession : Charles Tardieu, Louis Dumont-Wilden - Herman Dumont - Papa Pantens - Dewinne et Moulinasse – Edmond Patris – L’équipe des jeunes ) Tombé au champ de bataille – Mystification - Les muses courtisées - l'apothéose d'Henry Rochefort

(page 79) La tribune de la presse de la Chambre des Représentants est assurément, à Bruxelles, la meilleure bourse aux nouvelles et informations politiques. C'est là que naissent, s'élancent et rebondissent les rumeurs, les indiscrétions et révélations touchant les multiples aspects de notre vie publique.

Aussi bien l'apprenti journaliste y trouve-t-il, abondante et variée si pas toujours exempte d’exagération, la provende quotidienne dont il doit alimenter la curiosité de ses lecteurs.

Mais lorsque le débutant se trouve, par privilège, admis dans ce cénacle, il a pour premier devoir de se taire et d'écouter. Se taire surtout pour ne pas troubler l'attention de ses confrères, rivés aux tâches de prise de copie du compte rendu et obligés de pratiquer ce qu’on appelle le poignet.

(page 80) Le « poignet » n'est pas ce qu'un vain peuple pense, c'est-à-dire la relation exacte et complète des débats. Les sténogrammes recueillis réclameraient, pour leur transcription en clair, un temps considérable - sept fois au moins la durée de la prise orale - ce qui apporterait au lecteur friand d'informations fraîches le texte des discours deux ou trois jours après qu'ils ont été prononcés.

Et puis comme le soulier tombé dans la soupe au chou de l'Auvergnat « cha tiendrait de la plache. »

La sténographie d’une séance parlementaire d'une durée normale, encombrerait un journal, fût-il du plus grand format, de toute une collection pondéreuse de ce que, en argot professionnel, nous appelons des briques ; savoir des paquets massifs de composition devant lesquelles la patience du lecteur le plus complaisant se cabrerait.

L'homme du poignet est ainsi dénommé parce que la pratique intensive et ininterrompue de ce métier donne ce qu'on appelle la crampe de l'écrivain, luxant et paralysant parfois la main qui tient le crayon ou le stylo.

Mais la fatigue cérébrale résultant de l'attention de l'obligation de reconstituer les phrases entendues et de dépeindre l'atmosphère est plus sensible encore.

Car, dans l'esprit du poignetiste, s'opère constamment un travail de sélection, de coordination, de cristallisation des choses qu'il entend dire par les orateurs. II doit saisir leur pensée, s'efforcer de la reproduire dans sa forme intégrale quand celle-ci est éloquente, pathétique, marquée au coin de la puissance dialectique, de l'ironie ou du courroux. Pour y arriver, il doit forcément procéder à un rapide élagage mental de toutes les incidentes parasitaires, de toutes les formules inutiles, de tout ce qu'il juge d'un intérêt minime, des longues citations impossibles à reproduire. Ce sont les relais permettant de mettre en valeur, par le langage direct, les périodes essentielles des discours à reproduire. Il va sans dire que cette relation doit être écrite sur-le-champ en prose claire, sans abréviations ni lacunes, puisque le texte ainsi recueilli doit être immédiatement envoyé aux ateliers typographiques. Ajoutons aussi que le poignetiste trouve encore des relais providentiels dans les discours ternes, les redites, les bavardages de procédure ou les propos d'orateurs de seconde zone, qui doivent se contenter d’un bref résumé de leur intervention, ou même parfois de la simple notation de celle-ci.

Mais je constate que je suis en train de reproduire ici les données d’un cours de technique professionnelle que, depuis des ans, j’inflige à mes élèves de l'Institut pour Journalistes. Or, quand, pour la première fois, je pénétrai dans la tribune de la presse, e n'étais moi-même qu'un débutant timide et modeste, qui avait tout à apprendre.

J’y trouvai des confrères - de grands confrères rompu au métier, et dont quelques-uns s'initiaient déjà à leur tâche future de législateur. C'était le cas pour Georges Lorand, rédacteur en chef du journal radical La Réforme, qui allait bientôt devenir député de Virton. Pour Louis Bertrand, qui assistait au déclin, à l'agonie de ce Parlement censitaire qu’il avait tant combattu et qui était déjà classé parmi ses successeurs par les travailleurs de Soignies.

Adolphe Max fit à la tribune une apparition aussi éphémère que la durée du journal libéral conservateur, La Liberté, qui l'avait dépêché là.

Le futur bourgmestre de la capitale était alors un jeune homme élégant, distant, adoptant la manière hautaine des patriciens du monde doctrinaire. Mais l'homme évolua en même temps que les conjonctures politiques et sociales qui déterminèrent son évolution et qui déclenchèrent son ascension vers le poste élevé où l’ont enveloppé la sympathie et la considération universelles.

Ceux qui retrouvèrent plus tard le jeune mayeur de Bruxelles, toujours distingué et racé, mais aimable et souriant, tolérant et gagnant tous ceux qui l'approchaient par sa cordialité discrète, eurent quelque peine à s'adapter à cette métamorphose.

Il y eut d'autres transfuges du journalisme parlementaire, notamment Wauwermans, familièrement sobriquetté Pauline, qui devint député et échevin catholique de Bruxelles ; Jules Lekeu, envoyé au Sénat par le conseil provincial du Hainaut, et Louis Piérard qui, de la rédaction du Soir, passa à la députation socialiste du Borinage.

Sans oublier votre serviteur, lequel, ayant depuis sa majorité politique prêté son nom à la liste de suppléants de son (page 82) parti, se vit inopinément, de par la mort prématurée de l’un de ses meilleurs amis, Antoine Delporte, hissé à la basane parlementaire, qu'il ne quitta plus.

Hissé est une façon de parler, car nos compagnons de travail, quand ils voyaient un de leurs confrères dégringoler vers l'hémicycle, proclamaient que celui-là était tombé bien bas.

Mais j’ai hâte de vous présenter les personnages de la pièce qui, pour se dérouler dans les coulisses, n était pas moins palpitante de vie pittoresque.

Charles Tardieu, le chroniqueur parlementaire de L’indépendance belge, était bien digne de représenter cet organe grave, pondéré, au style académique.

M. de Buffon écrivait en manchettes de dentelles par respect pour ses élégances de plume.

Tardieu lui, voulait, par son comportement, sa silhouette, son attitude discrète et distinguée, être l'homme dc sa prose.

Drapé dans son austère mais élégante redingote où s'épanouissait la rosette de la Légion d’Honneur, il ne portait sur son visage impassible aucun reflet des passions et émotions de l'assemblée qui s'agitait à ses pieds.

Imperturbable et flegmatique, il couvrait d'une écriture magnifiquement calligraphiée, de larges feuillets que, de temps à autre Jacques, le messager de service, venait recevoir de lui avec un respect recueilli.

Il ne se détachait de sa besogne et de sa grave dignité que pour jeter à la tête d’académicien - car il l'était - de pour jeter à la tête de quelque confrère à la mémoire ou à l'érudition défaillantes, la bouée de secours d'un fait précis, d'une date certaine, d'une citation exacte. Le tout sans pédantisme, car il était, surtout pour les jeunes, d'une généreuse obligeance. Dans ses moments de détente, il nous éblouissait de traits d'esprit et de sorties espiègles.

C'est ainsi qu'un jour, ayant passé sa copie à un de ses voisins, qui s'étonnait de trouver dans la bouche d'un ministre à l'éloquence plutôt rocailleuse un langage châtié, Charles Tardieu lui répondit : « Que voulez-vous, il faut être bon pour ces animaux et leur prêter un peu d'orthographe, de syntaxe et de style ! »

Son jeune voisin, Louis Dumont-Wilden, pénétré (page 83) d'ardeurs littéraires, éprouvait de la peine, et peut-être de la répugnance, à s'habituer au jargon parlementaire. Déjà sous sa silhouette de gravure de mode de l'an 1840, avec sa cravate lamartinienne lui engonçant le cou, sa redingote et ses culottes du temps romantique, il avait un peu aspect ahuri dans ce siècle qui allait commencer, et qui n’était pas le sien.

Sa nostalgie des temps révolus ne se reflétait pas dans son compte rendu du Petit Bleu. Car, il voyait et décrivait le spectacle parlementaire sous un angle de justesse.

Auprès de lui, son frère aîné, Herman Dumont, semblait perpétuellement absorbé par un travail tatillon et poussif de bénédictin.

Nul ne le surpassait quand il s'agissait de voir clair dans le fouillis oratoire d'un discoureur obscur et diffus. Car Dumont se plongeait alors dans la liasse des documents, de rapports et d'annexes chiffrés, et en extrayait la quintessence que toute l'éloquence de l'honorable bafouilleur n'avait pu dégager. C'est d'Herman Dumont que le roi Léopold disait au ministre français Millerand qui, pas plus que le souverain, ne parvenait à comprendre le mécanisme compliqué de notre représentation proportionnelle : « Adressez-vous à Herman Dumont, c'est le seul homme en Belgique qui s'y retrouve. »

Papa Pantens, c'est ainsi que l'appelaient familièrement ses jeunes et vieux confrères, était le patriarche de ce sanctuaire. Le crâne chauve, appuyé contre le stuc blanc des colonnes décoratives - ton sur ton - il suivait d'un œil sceptique et désabusé les péripéties de ce qui se passait dans l’hémicycle. Mais il avait l'oreille fine et exercée de toute cette lignée familiale de sténographes réputés dont il était l'aïeul. Si rien ne lui échappait, ce n'était pas précisément pour gaver ses lecteurs de L'Etoile Belge auxquels suffisait la portion congrue d'un compte rendu résumé, concentré, mais très fidèle. Mais Pantens voulait être en mesure de renseigner en tout temps ses confrères en mal d'inattention ou de distraction.

Un malicieux hasard avait rapproché avec la seule séparation d'une colonne, deux polémistes qui, chaque jour, se pourfendaient du fond de leur cabinet rédactorial. C’étaient (page 84) mon ami Auguste Dewinne, d’une parrt, et M. Moulinasse, rédacteur au très catholique Patriote, d’autre part.

Tous deux étaient petits de taille, concentrés, belliqueux, un tantinet rageurs, et ils se mesuraient du regard quand ils s’installaient au bourrelet.

En professeur consciencieux qu'il avait été, Dewinne apportait à sa tâche un intérêt et une attention jamais en défaut. Il couvrait de sa belle écriture, claire et précise comme son style, de larges feuilles, s’efforçant, quand un adversaire parlait, de refouler les ripostes qui venaient au bout de sa plume.

Je n’oserais pas dire que son perpétuel antagoniste en faisait autant. Car, bien audacieux eût été celui qui se serait penché sur l’épaule de Moulinasse quand il était en incubation de copie. Cet homme paisible et aimable vous prenait tout de suite, quand on voulait le distraire de sa besogne, des raideurs de bâton épineux.

Mais les réactions de leurs deux tempéraments également impulsifs étaient les mêmes lorsque l’adversaire d’en bas dépassait les bornes. Qu’un de ces énergumènes que Jules Destrée appelait « les blêmes fanatiques de la droite » s’avisât d’imputer aux socialistes les mobiles les plus bas, ou que Célestin Demblon rugît des apostrophes vengeresses à la barbe du roi Céladon, tous les deux sortaient de leurs gongs et… de la galerie.

Dewinne se précipitait dans l’antichambre-fumoir, ses deux petits poings en bataille, en disant : « Je ne veux plus l’entendre, celui-là. » Moulinasse faisait de même pour des motifs diamétralement opposés, et les deux augures se retrouvaient au dehors, nez à nez.

Un grand et solide gaillard, haut en couleur, l’œil ardent et la bouche souriante dans sa barbe à la Henri IV – j’ai nommé Auguste Thomas – n’arrivait pas malgré son vouloir d'impartialité et d'objectivité, à dompter sa fougueuse combattivité de catholique intraitable.

Seule, la confraternité journalistique désarmait cette foi passionnée, car, envers ses camarades de travail, il se comportait avec cordialité et loyauté.

Au surplus, il portait des coups de boutoir autant à droite qu'à gauche. M. Schollaert, devenu président de la (page 85) Chambre, lui avait voué une rancune inexpliquée qui, pendant plus de vingt ans, empêcha Auguste Thomas de déployer à la table du Compte rendu analytique sa virtuosité de poignetiste.

Un autre poignetiste était Raphaël Rens. Sa chevelure ondulante, sa courte barbe à la Musset, son cou évasé, dégagé par une large cravate flottante, lui composaient une silhouette romantique. Rens, lui aussi, avait été dans l’enseignement. Il avait gardé de sa profession ancienne des habitudes de méthodes et d'application.

Son procédé de travail était très curieux. Il rédigeait de la copie à trous. Il reconstituait des phrases perçues en y laissant de nombreux vides. Mais dans les moments d'accalmie, quand il pouvait respirer à la faveur d’un discours de deuxième zone ou d’un incident de procédure, il bouchait les trous au moyen des vocables que sa mémoire avait captés.


La Chambre, en ce temps-là, avait la bonne habitude de ne jamais siéger au-delà de cinq heures. Régulièrement, vers les quatre heures et demie, on voyait surgir à la tribune, pimpant, élégant, pomponné, fleurant l’œillet et le tabac oriental, le nabab de la profession, Fritz Rottiers, rédacteur parlementaire de la Chronique et directeur du périodique théâtral et mondain L’Eventail. Il sortait d’un déjeuner très arrosé, d’une fancy-fair, d’un five o’clock ou d’une garden party. Interrogeant ses camarades, il arrivait à reconstituer, à peu près, le scénario de la séance qui touchait à sa fin.

Et Rottiers vous fignolait, d’une touche légère, un petit papier où la fidélité du récit était plutôt douteuse mais dont l(aimable fantaisie, dans le ton de la maison, suffisait à satisfaire la curiosité politique de ses lecteurs.

Par contre, son intime, Edmond Patris, chroniqueur parlementaire du Soir était l'assiduité et la persévérance incarnées. Journaliste cent pour cent, il avait coutume de dire que la terre était peuplée de deux sortes d'êtres humains : les journalistes et les... barbares.

Aux premiers, il passait tout. Pour défendre leurs droits, (page 86) les prérogatives, leurs conditions de travail et leur dignité professionnelle, il était constamment en posture de bataille.

Je fus témoin direct et quelque peu le collaborateur de ses efforts, notamment quand il réussit à faire voter, par un congrès de presse, une protestation contre l’ukase intolérable défendant la vente des journaux socialistes dans les gares.

Et quand il obtint des autorités des interventions pour défendre l’envahissement de la presse par des journalistes « marrons », ou bien encore quand il fallut arracher à certaines directeurs de journaux le relèvement du traitement de quelques infortunés confrères, payés à des taux de tâcheron.

Ces traités, de réelle et agissante confraternité, assuraient à Patris une très haute autorité professionnelle. D’autant que le journal dont il disposait accusait le plus fort tirage de la presse belge. Il avait ses entrées un peu partout, et rares étaient les personnalités en vue qui ne le tutoyaient pas.

A la tribune de la presse, il trônait positivement. C’est lui qui assurait la provende de documentation à ses confrères, repêchait le mieux l’incident perdu dans le tumulte d’une bagarre parlementaire, possédait les meilleurs tuyaux sur les événements venus ou à venir. Le tout en rédigeant, très consciencieusement, son propre compte rendu, coloré et vivant. Car Patris n’avait pas son pareil pour prendre les intermèdes où pétaradait la mitraille des interruptions.

Je crois avoir ainsi présenté les personnes de premier plan de cette galerie journalistique d’alors.

De premier plan, ils l’étaient surtout puisqu’ils étaient admis à travailler au bourrelet, c’est-à-dire au pupitre du premier rang, d’où l'on pouvait le mieux voir et entendre ce qui passait dans ta basse fosse parlementaire.

Les derniers rangs, et tard une seconde galerie, aménagée à l'étage supérieur, étaient réservés aux informateur des couloirs, aux correspondants des journaux de province et de l'étranger, ainsi qu'aux doublures des poignetistes.

Car l’intérêt considérable que le public portait aux débats des Chambres législatives nécessitait le renforcement de l’équipe de ces derniers.

Songez donc ! L'évocation des problèmes de tout ordre touchant au fond de la vie matérielle et morale du pays, accaparait dans les journaux l'espace de plusieurs colonnes, (page 87) parfois de plusieurs pages. Presque autant que, de nos jours, on réserve de place aux prouesses des géants de route, accomplissant le tour de Belgique, ou des sprinters de la couse de six jours.

Pour en revenir à nos moutons, c’est-à-dire aux débutants et aux jeunes, ceux-ci étaient rapidement conquis par l’ambiance de camaraderie joviale et d’objectivité un peu sceptique qui régnait en ces lieux.

Parmi ces jeunes d’alors, ma mémoire évoque De Geynst de L’Etoile Belge ? Paul Delantsheere, Alphonse Ooms, du Patriote, Louis Piérard du Soir, Camille Quenne et Guillaume Bracke de La Dernière Heure, Léonce de Castillon de la presse flamande, Bert Leen du laatste Nieuws, Peters du Nieuws van den Dag, et beaucoup plus loin, dans la brume des temps, Frans Mahutte et Georges Verdavaine.

Joseph De Geynst, mine, élancé, distingué jusqu’à la pointe des ongles, très répandu dans le monde diplomatique, semblait atteint du mimétisme de ses hautes relations.

Mais cet hermétisme distant n’était qu’apparent et cédait facilement à la tentation d’aider un confrère par la confidence d’une nouvelle de première main ou du dernier mot recueilli dans les salons de la Chambre.

Paul De Lantsheere, le beau-frère d’Edmond Paris, avait contracté, au contact de son parent, cet entregent, cette passion d’information, qui le poussait, curieux, affaité, une liasse de papiers à la main, partout où il pouvait cueillir un fait, un document, une impression.

Mais cette indiscrétion professionnelle était compensée par un sentiment très vif de la correction.

Quand un homme politique, surtout un de ses adversaires, qui tous l'estimaient, lui confiait tout ce qu’il savait, en le priant d'opérer lui-même le triage ce qui était à dire au public et de ce qui servait à comprendre un problème, mais devait rester secret, il pouvait avoir confiance dans la discrétion de cet informateur.

Son journal, même aux époques il était dirigé par des abbés fougueux et batailleurs, ne reflétait jamais ce qu’on avait confié à de Lantsheere, sous le sceau du secret.

Alphonse Ooms, lui aussi, appartenait à un quotidien aux (page 88) polémiques virulentes. Son titre seul, Le Patriote évoquait, dans l'immense clientèle de ses fidèles lecteurs, des élans de confiance fanatique et totale.

Mais aussi, chez les adversaires d'en face, traités en ennemis irréductibles contre lesquels tout était permis, des animosités féroces et méprisantes.

Une fois arrivé dans la zone parlementaire, Ooms échappait complètement à cette ambiance. Ce brave garçon tolérant, compréhensif et serviable s'abandonnait tout entier à la confraternité régnant dans la corporation. Et son bonheur était épanoui quand, adoptant l'accent bruxellois, il pouvait sortir une histoire rabelaisienne, ou pour mieux dire breughelienne, qui eût suffoqué ces dames du diocèse.

Où donc Camille Quenne avait-il été pêcher ce pseudonyme de Jean Bart, emprunté à l'intrépide marin de la guerre de course ? Il éprouvait, lui, à traverser la mer une répulsion insurmontable, en raison des débordements que roulis ou tangages infligeaient à son estomac. Une confrontation ultérieure que nous fîmes tous deux à Dunkerque entre sa silhouette de « saucisson à pattes » - c'est ainsi qu'il se « sobriquait » lui-même - et la belle statue de David d'Angers reproduisant l'image du grand corsaire, nous à convaincus de l'imposture de ce pseudonyme.

Mais notre Jean Bart national était un merveilleux pêcheur de nouvelles. Sa large et bonne figure de moine inspirait la confiance, et les parlementaires de tout grade le prenaient souvent pour confident.

Ces confidences, il les tamisait avec tact et prudence pour le pétrissage de son petit pain quotidien d'information. Mais quand, remontant du parvis ou des couloirs à l'étage supérieur de la tribune de la presse et, mis en présence des tempêtes oratoires qui grondaient dans l'hémicycle, le pauvre homme, habitué aux propos glissés dans l'oreille, ne se retrouvait plus dans le vacarme, et c'est l'aide confraternelle qui volait à son secours.

Dans le tandem qui le solidarisait avec l'autre rédacteur parlementaire de la Dernière Heure, le premier personnifiait Sancho Pança. Ce qui ne veut pas dire que l'autre, le confrère Bracke, était un Don Quichotte. Il ne semblait pas beaucoup priser les gens du milieu, mais, journaliste (page 89) consciencieux et méthodique, il accomplissait discrètement sa tâche. Sauf que, de temps à autre, le libertaire apaisé qui sommeillait en lui retrouvait ses colères bougonnantes pour certains patrons, qui faisaient chronométrer la prose de leurs collaborateurs.

Dans ses crises de rogne, Bracke justifiait son nom et se montrait inabordable.

Bert Léen du Laatste Nieuws se repliait, lui aussi, dans son être replet et discret, mais c'était plutôt par une timidité qui se muait en cordiale exubérance, car Léen n'était heureux que lorsqu'il pouvait réunir ses confrères autour de sa table, où s'accumulaient un nombre respectable de flacons poudreux. Il disparut tragiquement. En effet, au cours d'une séance fiévreuse, agitée, historique, où le ralliement à l'opposition de quelques catholiques fit disparaitre cette répugnante iniquité qu'on appelait le remplacement militaire. Léen s'écroula subitement, terrassé par une foudroyante apoplexie.

Il mourut ainsi, la plume la main, au champ d'honneur du travail.

Léonce de Castillon avait été l'un des lieutenants de l'abbé Daens. l'éveilleur de la démocratie chrétienne en Flandre. Mais les rancunes des puissances conservatrices, qu'il avait bousculées, ne cessèrent de le poursuivre. Au point qu'il ne trouva jamais. pour épancher ses ferveurs démocratiques, que l'asile hospitalier des journaux de gauche.

Franz Mahutte, tondu à la malcontent, la barbiche poivre et sel, allongeant son visage ascétique, le regard profond derrière son binocle retenu par un cordonnet noir, était l'image du normalien. Il avait du reste été professeur d'athénée jusqu'au jour où, possédé par le démon littéraire, il trouva l'unique issue accessible aux écrivains belges d'expression française que Paris n'avait pas consacrés, à savoir le journalisme.

Il était libéral modéré et croyant, tout imprégné de la philosophie d'un Renan dont il épousait les idées. Il avait, dans le style, le balancement d'une âme qui ayant quitté une rive, hésite à aborder celle d'en face.

C'est lui qui révéla au public belge la figure et la pensée de l'abbé Charbonnel, qu'il promena de tribune en tribune, (page 90)>jusqu’au jour où ce prêtre déposa la soutane avec une discrétion et une dignité qui, sur les lèvres des plus irrités, arrêta le mot d'apostasie.

Mais Mahutte, qui rêvait de réconciliation entre le pragmatisme de l'Eglise et la liberté de conscience, en fut attristé. Ne trouvant plus de journal libéral pour accueillir ses écrits, il se décida, pour vivre, à publier des nouvelles purement littéraires dans la presse de droite, jusqu'au iour où il put se réfugier à la direction des beaux-arts, notre Bois sacré, en écrivain que la polémique avait rebuté.

Georges Verdavaine, le correspondant bruxellois de la Gazette de Charleroi et du Journal de Liège, deux moniteurs locaux de la haute industrie, alors aux mains des vieilles dynasties libérales, était, à l'image de ses patrons, toute modération, toute pusillanimité.

Il y ajoutait une timidité qui était le reflet de son âme modeste et candide. Aussi bien ne se sentait-il guère à son aise dans ce ParlementoOù la ruée rouge avait renversé toutes les idoles doctrinaires.

Il préférait de beaucoup fréquenter les galeries d'art, les salles d'exposition, où son réel talent de critique trouvait diversion et compensation à ses cruelles déceptions politiques.

Mais ses copains de travail, à la tribune de la presse, connaissant les regrets nostalgiques qui le rongeaient, prenaient plaisir à découvrir dans les tiroirs, les vieilles listes d'appels nominaux du Parlement censitaire, à l'époque où le libéralisme conservateur était à son apogée. Et d'une voix sépucrale, ils faisaient l'appel des morts — les morts politiques s'entend — que Démos avait fauchés : Frère-Orban, Bara, Magis, Dupont, Lippens, d'Andrimont, Platzer, Pirmez.

A l'évocation de ses gloires, à lui, Georges Verdavaine se redressait, l'œil en flamme et prophétisait : « Ils reviendront pour le salut du pays.»

Il n'était pas le seul que, pas méchamment, ses confrères prenaient plaisir à mécaniser. Le journal flamand Het Laatste Nieuws se trouvait alors représenté à la tribune par un brave magister, que le père Jules Hoste avait désigné parmi toute l'équipe d'anciens instituteurs révoqués au voeu (page 91) d'une loi confessionnelle et dônt il avait peuplé sa rédaction.

Le père Gobbers, c'est ainsi que s'appelait ce poignetiste, se donnait tout entier à sa tâche de reporter et de traducteur (car, à cette époque, on ne parlait guère le flamand à la Chambre), sans jamais prendre part aux parlotes de ses confrères.

Ces conversations étaient parfois si bruyantes que leurs échos parvenaient à l'hémicycle, couvrant la voix des orateurs. Lorsqu'alors le président intervenait, invitant les journalistes au silence absolu, les menaçant de sanctions sévères, tous les tapageurs, avec une criante injustice, se tournaient vers le muet et taciturne confrère et le désignaient d'un doigt vengeur en criant : « Taisez-vous, Gobbers.»

Le pauvre avait beau lever ses petits doigts agités vers le ciel qu'il prenait à témoin de son innocence bafouée, la plaisanterie n'en devenait que plus tenace.

ÉlIe faisait partie du bréviaire qu'on enseignait aux bleus de la corporation, et l'usage voulait qu'en guise de salut collectif, quiconaue pénétrait dans la tribune devait s'écrier : « Taisez-vous, Gobbers.»

Le goût de la mystification qui, de tout temps, a habité l'âme des potaches incorrigibles assemblés dans une salle de rédaction, sévissait intensément à la tribune de la presse.

Chaque session avait sa tète de Turc. La mienne servit aussi à cet usage. Au cours d'un débat passionné sur la question militaire, j'avais pris consciencieusement le discours de M. de Broqueville, alors ministre de la guerre. Ayant quitté ma place un instant, je continuai par la suite griffonner le papier de mes pattes de mouches, sans remarquer qu'un fumiste y avait intercalé la phrase suivante : « Et si l'ennemi se présente à nos frontières, nous nous précipiterons au Grand Bazar pour y acheter de nombreuses boîtes de soldats de plomb et des canons en carton ».

La phrase parut, non corrigée, dans la première édition, et ce fut moi que l'on mit en boîte.

Je ne l'avais du reste pas volé. Quelques jours auparavant Louis Piérard avait laissé traîner sur son pupitre un certain nombre d'exemplaires du volume qu'il avait consacré à la vie tragique de Vincent Van Gogh.

page 92) Les livres, mis sous enveloppe, étaient prêts à être expédiés à leurs destinataires, des personnalités du monde littéraire parisien.

Je surchargeai la page de garde de ces volumes de dédicaces dans ce goût : « A l'éditeur Albin Michel, dans l’espoir que Madame sa mère aura retrouvé son chat », « A mon jeune disciple Edmond Jaloux , critique littéraire du Temps, hommage condescendant de son maître. »

Piérard aurait pu prendre mal la chose, "s’il n'avait vérifié son envoi et évité ainsi la catastrophe.

S'ils se « galéjaient » entre eux, il va de soi que les chroniqueurs parlementaires déchaînaient leur frénésie mystificative contre les députés, surtout contre ceux dont les discours volumineux allongeaient la durée des séances.

D'ailleurs, une fois dépassée l'heure normale, il fallait vraiment qu'il y eût quelque chose de sensationnel dans les harangues prononcées pour qu'on leur accordât la place de quelques lignes dans les comptes rendus jugés achevés.

Par contre, étaient particulièrement bien venus les députés qui grimpaient au perchoir pour faire la causette et abandonner quelques miettes d'informations.

Le père Hubin était souvent sollicité, au cours de soporifiques accalmies, de venir prendre part, dans l'antichambre de la tribune, à de passionnantes parties de manille.

Beaucoup de parlementaires prenaient aussi l’habitude de nous donner, en primeur, le texte des questions qu'ils allaient poser au ministre.

II arriva, à ce propos, à un député de Liége, une plaisante aventure. II avait communiqué aux fins d'insertion au rédacteur de la feuille qui avait ses préférences, le libellé d'une question au ministre des chemins de fer.

Il se plaignait de la hauteur insuffisante de la porte d'entrée du vieux wagon déclassé servant de local à la station de Comblain-la-Tour.

Le journaliste considéra le petit papier et conclut: « Votre question est bien mal formulée. Le chef de station est-il grand ?

« -Oui ! oui, il a bien un mètre quatre-vingt-cinq de taille

« - Et la porte, elle a quelle hauteur ?

« - Un mètre soixante à peine.

(page 93) « - Alors clarifions le problème. Voici ce qu’il faut dire : Le chef de station de Comblain-la-Tour a un mètre quatre-vingt-cinq de taille. La porte d’entrée du wagon déclassé qui a la prétention d’être sa station, n’a qu’un mètre soixante de hauteur. Que faut-il faire ? Raccourcir le chef de station ou exhausser la porte ?... »

Huit jours après, le texte remanié parut dans les graves annexes du Moniteur avec la réponse du ministre compétent. M. Helleputte avait répondu avec un imperturbable sérieux : « Les deux solutions seront examinées avec une égale bienveillance. »

Ministres et députés étaient parfois apostrophés en pleine Chambre par d'audacieux journalistes.

On racontait, à titre de précédent joyeux, que dans un temps fort lointains - cela devait se passer vers 1880 ) un des as de la corporation, Charles Flor o’Squar, avait, de sa voix profonde de basse, interrompu le président faisant un éloge outré d'un collègue défunt, en criant : « C’est un encouragement pour les autres. »

Bien longtemps après, surgit un autre incident de séance qui faillit tourner mal. Le ministre Heileputte, au cours d'un de ses discours hachés et décousus, déclara : « Quand je rencontre un pauvre, je lui donne... »

« -Deux centimes », fit une voix aigre mais nettement perçue, tombant de la galerie de la presse.

Congestionné de colère, l'orateur s'adressa au président, le priant de le protéger contre les propos malséants de MM. les journalistes. On chercha le coupable. Naturellement c'était au plus timide que la chose était arrivée.

Franz Mahutte avait lâché le mot à mi-voix pour faire rire ses voisins, mais le mot tomba dans un trou de silence. On s'expliqua, on négocia, on palabra et, ô injustice des peines collectives, la tribune tout entière encaissa une semonce publique et sévère, accompagnée de menaces prononcées par la voix grasse et sacerdotale du président Beernaert.

En semblable occurrence, le Président du Sénat se montra plus sévère que son collègue de la Chambre. Il faut savoir qu'avant de devenir premier ministre, le chef du gouvernement (page 94) d'alors, M. de Burlet, avait été mayeur de sa bonne cité wallonne de Nivelles.

Or, il avait, dans un curieux accès de pudeur, exigé que les cuisses et mollets des ballerines s'exhibant dans un cirque forain de passage à Nivelles, au lieu d'être moulés dans le légendaire maillot de couleur chair, fussent gainés da grotesques pantalons de toile. Ce fut, à travers la villette, et bientôt à travers le pays, un vaste éclat de rire.

Et le nom de ce pantalon obligatoire autant qu’administratif se colla désormais, comme un sobriquet, à l’avantageuse personnalité de M. de Burlet, même et surtout quand il accéda à la dignité suprême de premier ministre.

Or il arriva qu'interpellé au Sénat au sujet d'une frasque quelconque imputée à un bourgmestre, M. de Burlet s’écria, avec une indignation emphatique :

« - Jamais je ne tolérerai qu'un bourgmestre puisse compromettre son écharpe...

« - Et son pantalon, » rugit une voix sortie de l'alvéole sonore constitue par la tribune de la presse.

L'auteur de l'interruption, mon vieil et défunt ami Georges Masset, alors rédacteur à la Réforme mais, devenu par la suite, directeur-fondateur du journal liégeois L'Express se fit connaître.

Il fut condamné à être, pendant six mois, exclu de la tribune. Il se réfugia à la galerie publique, proclama que, vus de haut et de loin, les pères conscrits du Sénat, marquaient mieux ; et rédigea, pendant toute la durée de sa punition, un compte rendu fantaisiste, parfois rimaillé, qui commençait toujours par cette formule consacrée :

« En attendant qu'on le supprime, le Sénat s'est encore une fois réuni hier. »

Masset ne fut pas le seul à pincer la lyre pour chanter l’odyssée parlementaire.

Un jour, nous vîmes arriver à la tribune, présenté par Camille Huysmans, qui écrivait alors au Petit Bleu, un confrère parisien, lequel avait décidé de se fixer à Bruxelles. Nous l’avions connu dans la troupe errante de poètes-chansonniers d’un cabaret artistique faisant de fréquentes tournées en Belgique. Il était l’auteur de délicieuses romances et bluettes dont quelques-uns ont conservé leur suave (page 95) Comment ce poète et amant des lettres, Parisien jusqu’au bout de la plume, avait-il échoué dans le commentaire des fastes politiques de notre petite Belgique, nul ne put l’expliquer.

Sans aller jusqu'à dire que Gaston Dumestre s'amusait follement à vivre dans l'intimité de notre faune parlementaire, il s'y était acclimaté aisément et y trouvait matière à reparties d'une drôlerie, parfois d'une finesse intenses.

Mais un jour que M. Ozeray, un député libéral d'Arlon, entretenait la Chambre des vicissitudes ferroviaires de pays gaumais, à moins que ce ne fût du dépérissement du cheptel porcin, Dumestre sursauta.

Il venait de reconnaître dans ce petit gnome agité et disert, un monsieur dont la tête lui disait quelque chose. Le char de Thespis de son cénacle de chanteurs s'était, dans son tour de Belgique, arrêté à Arlon. Et la troupe y avait donné une audition. Parmi les auditeurs se distinguait un notable de marque, rien moins que le député de l'endroit, notre M. Ozeray.

Comme les poètes-chansonniers avaient, pour habitude, leur tour de scène achevé, de passer dans le public pour vendre les strophes tirées de leur lyre, Gaston Dumestre s'approcha de l'éminence locale et lui tendit son papier à rimaille.

Mais papa 0589, qui était, comme on le dit là-bas, assez « près de ses sous », repoussa la plaquette en disant : « Merci, je fais moi-même des vers. »

Dumestre encaissa le coup - ce fut du reste la qu'il seule chose encaissa - en souriant galamment : « Un confrère, alors, charmé de vous rencontrer. »

La rencontre eut un lendemain. Quand il reconnut son homme sur la basane de la Chambre, Gaston Dumestre s'écria : « Ah, mon gaillard, je te tiens ! »

Il la tenait aussi, sa vengeance. Car Dumestre décida que ce vilain petit cachottier, qui taquinait les muses en son patelin luxembourgeois, ne parlerait plus à la Chambre que la langue d’Homère… ou plutôt celle de Franc-Nohain, lequel chantait, en vers cursifs, l'odyssée des locomotives frénétiques et des vaches contemplatives.

Et désormais, du moins pour les lecteurs du Petit Bleu, (page 96) M. Ozeray n'apparut plus que sous les traits d’un aède, chantant avec lyrisme les désirs de la maréchaussée ardennaise, les du bétail guetté par la stomatie aphteuse ou les doléances des serre-freins du dépôt ferroviaire d’Athus.

Et maintenant, évoquons pour en terminer sur ce chapitre, une scène d'apothéose. Celle-ci fut réservée au célèbre polémiste pamphlétaire Henry Rochefort, qu'une de ses frasques politiques de conspirateur avait à nouveau relégué en Belgique, au titre de proscrit.

Quelle que fût l'opinion de ses confrères bruxellois au sujet de ses attitudes politiques, ceux-ci ne s'en sentirent pas moins honorés quand, du haut de leur tribune, il lui prit fantaisie de venir contempler la Chambre belge à ses pied.

Mais, comment faire pour fêter l'éminent visiteur ? Quelqu'un proposa : « Si nous faisions lever la séance en son honneur ? »

Aussitôt conçue, l'idée fut réalisée. L'homme qui avait trouvé cela, s'installa contre l'un des piliers qui soutiennent la voûte de la salle. Cette colonne offre, paraît-il, la particularité de renvoyer les paroles prononcées vers le bas. Et, par trois fois, cet appel descendit vers l'hémicycle : « A demain ! »

L'injonction rebondit sur l'extrême-droite pour rejaillir sur le centre et se répandre sur l'extrême-gauche, de telle qu'au bout de quelques secondes, la rumeur devint clameur, puis vacarme, dressant toute la Chambre devant l'orateur de service, lequel n'arrivait pas à réaliser le sens de cette invitation pressante à se taire.

Le président, qui n'en savait pas plus que lui, conclut placidement par ces paroles :

« La Chambre ne paraît pas désireuse d'achever ce débat aujourd’hui. La séance est levée. Demain, séance publique une heure quarante-cinq. »

Et chacun, se retrouvant dans le péristyle, s'interrogeait sur le pourquoi de cette interruption insolite des travaux.

Quand Rochefort parut, escorté de toute une cour de suivants, on s'expliqua, et l'on rit à gorge déployée.

Facétie en somme inoffensive, espièglerie digne de gamins (page 97) que l’on redevient quand la fantaisie glisse un rayon doré dans la grisaille des jours de corvée.

Et puis, il fallait bien que jeunesse se passât. Quand bien même il y avait dans cette jeunesse, pas mal de grisons et il y de quinquagénaires bedonnants. Pace qu’il est démontré que gaîté de l’esprit est remède assuré contre toutes lésions déformantes et tous comportements alourdissants de l’inévitable vieillissement du corps et du cerveau.