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Au temps de l'unionisme
DE BUS DE WARNAFFE Charles - 1944

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Charles DU BUS DE WARNAFFE, Au temps de l’unionisme

(Paru en 1944 à Tournai et Paris, chez Casterman)

Chapitre XVIII. Une tournée électorale campinoise en 1844

(page 346) Il y a quelque paradoxe à voir pareil intitulé de chapitre au milieu de pages consacrées à un tournaisien et wallon pur sang.

Cela n'a pourtant rien d'extraordinaire pour une époque où les candidats se mettaient sur rangs dans n'importe quel arrondissement du pays, quand ce n'était pas dans plusieurs, quitte à opter après l'élection.

Ayant échoué à Tournai en juin 1843, François du Bus, nous l'avons vu, avait cédé aux instances des personnalités catholiques les plus notables, le pressant de se représenter devant le corps électoral à la prochaine occasion, afin de le revoir siéger parmi elles. Cette occasion fut offerte par le décès du député Peeters, de Turnhout, et François du Bus avait été élu en son remplacement en avril 1844, contre un ancien député de Saint-Nicolas, Cools.

Le commissaire du district de Turnhout était alors de Nef, collègue de François du Bus à la Chambre, bon administrateur et politique sage, qui avait invité le nouveau député de son arrondissement à profiter de ses visites administratives pour (page 347) parcourir avec lui son fief, et faire l'indispensable connaissance de ses mandants.

Le Tournaisien s'en fut donc vers la Campine au mois d'août 1844, en compagnie de son frère Edmond. Nous cédons la place à ce dernier, après lui avoir demandé de nous narrer le périple d'un député prenant contact avec sa circonscription.

« Oostmalle, 16 août 1844.

« Je vous dois la relation du commencement de notre excursion :

« François est arrivé lundi vers huit heures à Turnhout et est descendu à l'hôtel où arrête la diligence. Dès qu'il eut signé la feuille des voyageurs ainsi qu'il est d'usage, l'hôte lisant son nom est venu aussitôt près de lui et s'est mis à lui parler de la dernière élection avec un air d'intérêt tout cordial. Est survenu ensuite un commissaire de M. de Nef afin de savoir si François était arrivé, et sur ce, de Nef l'a enlevé et installé chez lui où ils ont causé jusque fort avant dans la soirée.

« Le lendemain c'était à dix heures que commençait la distribution des prix. Ils étaient distribués par l'Abbé de la Trappe qui a rang d'évêque et est traité comme tel. Il était en grand costume d'Abbé, c'est-à-dire avec une robe de laine blanche bien éclatante, un scapulaire noir et la croix pectorale. La cérémonie s'est terminée vers midi et demie et peu après on s'est mis à table chez M. de Nef.

« Il y avait là 45 convives, à savoir une dizaine de laïcs et pour le surplus des dignitaires ecclésiastiques. Vers la fin du repas de Nef s'est mis, à brûle-pourpoint à proposer un toast à François qui ne s en doutait pas. Force fut donc à celui-ci de se lever et, comme nous disons, de « débiecquer ses raisons. »

(page 348) « A ce dîner était un juge du tribunal de Turnhout, président de la société d'harmonie et qui, aux élections, avait voté et travaillé pour Cools contre François. Or, à la fin du repas, ce Monsieur est allé dire à de Nef qu'il allait convoquer la société d'harmonie et lui proposer de venir le soir donner une sérénade à François : de Nef a trouvé que c'était parfaitement bien, et François a essuyé la sérénade.

« Le mercredi dans la matinée, François a été avec de Nef faire une couple de visites. Puis Bernard (du Bus) est arrivé à Turnhout et a ramené François à Oostmalle où ils sont arrivés vers trois heures.

« Nous allons aujourd'hui à Hoogstraete, gros bourg ou petite ville à quatre lieues d'ici ; nous devons aller demain à l'abbaye de la Trappe et dimanche nous irons à Turnhout y loger pour nous remettre en route lundi avec M. de Nef afin de parcourir le pays. »

P. S. de François du Bus :

« Edmond vous a tout dit, ma chère maman. Lundi je commence l'exhibition de ma personne, dans les principales localités. Je n'aime guère a cette espèce de représentation ; mais il faut faire de nécessité vertu. »

Edmond du Bus reprend la plume, de Turnhout cette fois, huit jours plus tard :

« Je vous ai dit que nous arriverions samedi, dimanche ou lundi, et, de remise en remise, c'est définitivement lundi soir que nous serons à Tournay.

« Je continue ma narration :

« Mercredi nous sommes partis de Westerloo à 7 1/2 heures pour Hersselt, commune importante où nous sommes arrivés à 8 1/2 heures. Un peu en avant de la commune nous avons trouvé une (page 349) cavalcade avec les autorités communales et le drapeau d'honneur donné à la commune par le gouvernement pour la part prise par les habitants de cette commune à la révolution. François a été harangué en français, a répondu, puis le cortège et s'est mis en marche vers la maison communale au bruit de toutes les cloches de l'église : voilà, j'espère, de la cérémonie.

« Pour moi je suis allé avec Mlle de Nef à la cure où nous avons causé avec le Doyen et son vicaire qui, tous deux, parlent français.

« C'était la dernière commune que M. de Nef devait visiter administrativement, et il a fait la remarque, qui me paraît assez juste, qu'il était assez difficile que François allât visiter d'autres communes que celles où il y avait une visite administrative à faire, parce que dans ce dernier cas le conseil communal devait s'assembler pour la visite, on trouvait ainsi tout le monde réuni, et pour ainsi dire la commune toute entière représentée par son conseil. Tandis que sans cela il faut aller de porte en porte visiter chacun en particulier, ce qui ne se présente pas bien et offre «et inconvénient qu'il n'est pas praticable de voir tout le monde et qu'on s'expose à mécontenter ceux que l'on ne va pas saluer. Ils n'ont fait d'exception que pour la commune importante de Gheel, où nous avons été lundi, et celle, importante aussi, de Herenthals, par où nous sommes revenus à Turnhout.

« Mais M. de Nef n'avait de visites administratives que dans le canton de Westerloo, de sorte qu'en y ajoutant les communes où François a fait des visites individuelles, il n'aura vu qu'un bon tiers de la Campine. Il conviendra donc qu'il accompagne M. de Nef l'an prochain dans d'autres tournées, mais quand et comment ? C'est ce sur quoi il n'y a rien encore de convenu. Force sera cependant de passer par là, car il nous est revenu (page 350) que les cantons non visités grognent un peu.

« Le canton de Westerloo est du reste l'un des meilleurs sinon le meilleur de la Campine. 83 électeurs de ce canton ont été aux élections dernières, et sur ce nombre 82 ont voté pour François. Les personnes les plus âgées s'y sont rendues et ont dû faire pour cela de six à neuf lieues de chemin.

« Nous avons diné à l'abbaye de Tongerloo lundi avec un vieillard de 87 ans qui y a été, et le doyen d'Hersselt m'a cité une autre personne de plus de 80 ans qui, nonobstant une hernie, a voulu y aller ; il est parti dans le cabriolet du vicaire et a dit à sa femme qui voulait le retenir que c'était pour la patrie, et que s'il mourait en route il avait son confesseur avec lui, de sorte qu'il pouvait partir en toute sécurité. Il est vrai que toutes les têtes étaient singulièrement montées aux élections dernières.

« De Hersselt nous sommes allés par de très mauvais chemins à Montaigu où il y a une statue de la Vierge qui attire des pèlerinages comme eelle de Bonsecours ; Montaigu est dans la province de Brabant, de sorte que cette excursion était pur agrément. Nous avons dîné à l'hôtel et sommes revenus loger à Westerloo en passant par l'abbaye d'Averbode où il y a des Prémontrés comme à Tongerloo, mais où il y a beaucoup plus de choses très remarquables à voir.

« Nous aurions voulu partir le lendemain jeudi pour Turnhout, y rester le vendredi pour faire une course dans une commune des environs et être rentrés aujourd'hui samedi, mais M. de Nef a insisté pour que nous passions la journée de jeudi à Westerloo dans la famille de M. Peeters, et il a fallu y consentir.

« Le jeudi nous avons été voir à Westerloo le château des comtes de Mérode, à la restauration duquel on travaille depuis trois ans et où l'on dépensera cinq cent mille francs : ce sera princier.

(page 351) « Le vendredi matin nous avons fait nos adieux à cette brave et bonne famille Peeters et nous sommes partis pour Herenthals où nous sommes arrivés vers 10 heures.

« Nous y avons visité l'église où se trouve notamment un très beau morceau de sculpture du moyen âge et une nouvelle chaire de vérité en chêne par Geefs. Je me suis informé du prix de cette chaire afin de comparer, et j'aurai à en causer avec M. le curé de Saint-Jacques.

« Nous avons ensuite fait des visites au doyen, au bourgmestre, au juge de paix, à un échevin qui sous prétexte de nous faire juger du carillon s'est mis à le faire sonner, à un conseiller communal dont on va faire un échevin, à un couvent de religieuses qui sont des capucines ou plutôt des pénitentines, et enfin nous sommes allés à midi dîner à l'hôpital : ce couvent des sœurs hospitalières n'a jamais été supprimé, c'est là que M. de Nef loge et dîne quand il passe à Herenthals ; c'est une maison richement dotée. Après le dîner nous sommes revenus à Turnhout.

« Nous pensons aller aujourd'hui dans une commune voisine voir la colonie de Merxplas où une société particulière, moyennant un subside du gouvernement, devait recevoir un certain nombre de mendiants qu'elle employait au défrichement ; il paraît que cette société va se dissoudre, mais c'est un établissement très curieux à visiter ; nous comptions donc le voir aujourd'hui matin pour aller coucher à Anvers et être dimanche Tournay. Mais M. de Nef qui a trouvé de la besogne arriérée en arrivant a demandé d'avoir à lui cette journée-ci pour régler ses affaires. De sorte que nous examinerons aujourd'hui ce qu'il y a à visiter Turnhout, que demain après-midi nous irons à Merxplas, et que lundi à onze heures nous rendrons la diligence qui nous remettra à onze heures à Anvers, où nous devrons attendre le (page 352) départ de quatre heures pour arriver par le chemin de fer à neuf heures à Tournay.

« Nous aurons donc été quinze jours en route. Voilà qui compte.

« Je dois dire à Henriette que j'ai vu pas mal de dalhias dans ma tournée, mais peu de chose digne d'un amateur aussi distingué qu'elle.

« Nous vous embrassons tous de bien bon cœur.

« Edmond. »


Simple parenthèse, mais dont on estimera peut-être qu'elle n'est pas dénuée de pittoresque.

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