(Paru à Bruxelles en 1830, chez H. Tarlier)
Arrivée des princes d'Orange et Frédéric à Anvers et à Vilvorde.— Une armée s'y réunit. - Impression de ces événements sur les Bruxellois. - La garde bourgeoise régulièrement et définitivement organisée
(page 61) Le calme redouble la confiance ; on se porte aux ruines de l'hôtel Van Maanen et aux maisons saccagées comme à un spectacle qui ne pouvait plus se renouveler ; on se tranquillisait ; toutes les boutiques se rouvraient, mais cependant les diligences continuaient à partir pleines et à revenir vides.
Le prix du pain et de la viande fut diminué ; des caisses de fusils arrivèrent de Liége à l'Hôtel-de-Ville et furent distribuées aux sections. On ne savait trop par qui, pour qui, ni à qui ces envois étaient faits. Mais une sorte d'instinct portait chacun à s'armer ; un fusil et des munitions était alors ce qu'on avait de plus précieux ; on les cherchait, on s'en emparait, on les conservait avec soin et avec un ton sérieux qui est le véritable cachet caractéristique de l'époque ; car personne alors n'osait s'avouer à soi-même contre qui il devrait bientôt s'en servir. Le mot banal était défense de nos propriétés, mais rien de plus, et pourtant personne n'était dupe de ce frivole prétexte dont on colorait les pressentiments sur l'avenir !
En effet, dès lors tout se rembrunissait ; le ton des journaux hollandais était déjà menaçant et méprisant. Les mots de rebelles, brigands, commençaient à s'y (page 62) reproduire. Ils exhortaient les troupes à aller punir des révoltés, et un exécrable pillage, etc. Ils annonçaient le départ des soldats de tous les points de la Hollande, en charriots, en bateaux à vapeur, etc., pour Anvers. On y joignait des rodomontades ridicules, telle que celle des six cents Rotterdamois qui venaient soumettre Bruxelles et à qui il fut répondu avec tant de raison, par M. le capitaine Nique, qu'on les attendait avec trois cents Bruxellois ; les esprits s'ulcéraient de plus en plus.
On se rappela le mot fameux de Voltaire sur les canards de la Hollande et on le mit en caricature. Les Bruxellois répétaient en réponse à tout ce dévergondage septentrional et marécageux : Aidons-nous, le ciel nous aidera. Patrie et liberté !
On apprit dans la journée le passage des deux Princes à Anvers le matin ; ils s'y arrêtèrent huit heures et y firent publier la proclamation suivante : (V. ci-après, pièce n°1.) On sut que, pendant la nuit, étaient arrivés à Anvers, six bateaux à vapeur amenant de La Haye les deux bataillons de grenadiers et chasseurs, et le bataillon d'instruction qui y était en garnison, et que les troupes de toutes armes qui accompagnaient les Princes formaient déjà un corps d'armée de cinq à six mille hommes réunis vers Vilvorde, où les deux Princes établirent leur quartier-général, à l'hôtel de la Poste, le 30 au soir.
Ils avançaient ainsi peu-à-peu et en tâtonnant pour ainsi dire. Leur conduite était un mélange de hauteur et de prudence, ou plutôt de pusillanimité ; la junte qu'ils avaient nommée à Anvers et qui devait agir et sévir militairement, au lieu d'inspirer la crainte, la terreur, (page 63) comme ils l'espéraient, redoubla le courage, l'animadversion, la répugnance contre le nom hollandais.
Les princes croyaient bien entrer à Bruxelles le 30 au soir ; les feuilles publiques du 1er septembre l'annoncèrent comme un événement ordinaire et certain ; leurs aides-de-camp parcouraient sans cesse la route de Vilvorde ; les rapports qu'ils firent rectifièrent sans doute leurs idées !
Mais on n'était pas alors en mesure ni encore assez décidé à la voie extrême d'une défense armée ; il est hors de doute que si les Princes, au lieu de s'arrêter à Anvers, de tergiverser à Vilvorde, fussent arrivés à l'improviste à Bruxelles avec quelques mille hommes de troupes, le samedi 28, ou même le dimanche 29, ils n'auraient éprouvé aucune résistance, et quelles immenses conséquences n'en fussent pas résultées après leur jonction avec la garnison campée aux Palais ! Mais ils perdirent quarante-six heures qui étaient alors un siècle, et quand ils voulurent, le mardi 31, entrer à Bruxelles, il était trop tard ! La progression de l'opinion était incalculable ; nous allons le voir.
Ces inquiétudes contribuèrent à faire hâter la complète organisation de la garde bourgeoise et à exalter son dévouement ; des caisses de fusils arrivaient sans cesse ; deux nouvelles pièces de canon furent ajoutées aux deux premières et complètement montées.
Les trois pièces suivantes, nos 2, 3 et 4, les seules qui furent affichées ce jour-là, donnent une idée assez exacte de l'état des choses.
Pièces publiées ou connues à Bruxelles le 30 août
No 1. Proclamation
Nous Guillaume, prince d'Orange, et Frédéric, prince des Pays-Bas.
Arrivés dans cette ville d'après les ordres de S. M. afin d'aviser aux moyens de faire ce qui pourrait efficacement contribuer au bien qui peut s'opérer dans une partie du royaume des Pays-Bas, en prenant partout les mesures les plus propres à atteindre ce but, avec toute la sécurité possible ; il nous a paru convenable de commencer par exprimer, au nom de S. M., la satisfaction que lui ont donnée l'union et le succès avec lesquels tout le peuple d'Anvers a su diriger et maintenir un ordre et une tranquillité que quelques personnes étrangères à la ville d'Anvers ou gens sans aveu avaient cherché à troubler.
Après ce premier épanchement des sentiments qui nous animent, depuis que nous nous trouvons parmi tant de fonctionnaires civils et militaires, parmi tant de propriétaires, de négociants, de chefs d'ateliers, de pères de familles de toutes les classes, également admirables par leur dévouement, également intéressés au maintien du repos, dont nous jouissons ici, nous avons fixé notre attention toute particulière sur les moyens à adopter pour ne pas prolonger au-delà du besoin, les fatigues et les veilles, que réparent difficilement le repos qu'il est permis de prendre, lorsque les occupations du commerce ou d'autres devoirs absorbent presque tous les instants du jour.
En conséquence et voulant user des pouvoirs dont nous sommes revêtus par le Roi, il nous a paru bien doux de trouver à concilier les mesures indispensables à la sûreté d'une place de guerre, et d'usage dans des circonstances aussi graves, avec celles que nous permettent la confiance que nous avons dans les (page 65) pères de famille de toutes les classes et la conduite tenue jusqu'ici par les autorités civiles de la province d'Anvers.
D'après quoi, nous avons résolu d'arrêter comme nous arrêtons les dispositions suivantes :
\1. Les mesures à concerter entre le général commandant la 4e division militaire du royaume et l'autorité civile et locale de la province et de la ville d'Anvers seront portées devant une commission extraordinaire.
\2. Sont nommés membres de cette commission, M. le lieutenant général baron Chassé, M. le gouverneur de la province et M. le bourgmestre d'Anvers. Le chef d'état-major dudit grand commandement est nommé secrétaire de la commission.
\3. Les objets à traiter par cette commission seront proposés par M. le lieutenant-général baron Chassé, chef du 4e grand commandement, lequel dans les occurrences exigeant toute célérité, pourra sous sa responsabilité, prendre sur lui l'exécution des mesures indispensables.
\4. Il n'est porté par les présentes aucun changement aux dispositions réservées à l'autorité supérieure militaire par les lois et règlements.
\5. La publication du présent arrêté sera portée à la connaissance du public et des membres de la commission ci-dessus nommée, par M. le gouverneur de la province d'Anvers.
Fait à Anvers, le 30 août 1830.
Etait signé : GUILLAUME PRINCE D'ORANGE.
FRÉDÉRIC PRINCE DES PAYS BAS.
Pour copie conforme,
Le gouverneur de la province d'Anvers, VAN DER FOSSE.
N° 2. Proclamation
Braves camarades,
Vous avez par votre fermeté rétabli l'ordre et le calme dans votre ville. Vous avez bien mérité de la patrie. Mais tandis que vous étiez sous les armes pour la défense de vos foyers et des (page 66) libertés publiques, nous devions songer à faire connaître la vérité au Roi. Une députation composée de cinq citoyens, comte Félix de Mérode, Palmaert père, Frédéric de Sécus, Gendebien, baron Joseph d'Hoogvorst, et nommée par vos principaux chefs, est partie pour La Haye ; elle exposera au Roi vos vœux et vos besoins. Tout nous donne l'espoir qu'elle sera honorablement accueillie et que pleine et entière justice sera rendue. Elle présentera au Roi une adresse énergique. En attendant son retour, continuez, citoyens, à veiller à la sûreté de la ville. Est-il besoin, après tout ce que vous avez fait, que je vous recommande de rester à vos postes et sous les armes ?
Du quartier-général, en l'Hôtel-de-Ville de Bruxelles, le 30 Août 1830.
Le commandant en chef de la garde bourgeoise, BARON VANDERLINDEN-D'HOOGVORST.
N° 3. Ordre du jour
Le commandant de la garde bourgeoise à ses concitoyens.
Mes chers concitoyens,
Frappé d'admiration pour le dévouement, l'ordre et le zèle que vous n'avez cessé de montrer depuis le commencement de nos troubles, je sens vivement le besoin de vous exprimer combien je suis fier d'avoir été appelé à vous commander.
La cessation des désordres réprimés avec tant de prudence et de fermeté, après 48 heures d'une patience admirable, et l'organisation définitive de la garde bourgeoise, vont diminuer la fatigue et les veilles que vous supportez depuis plusieurs jours. Persévérez dans votre honorable conduite, et rappelez-vous, mes chers concitoyens, que vous remplissez le plus saints des devoirs, celui du maintien des libertés publiques et de la conservation de vos foyers.
Bruxelles, 30 août 1830.
Le commandant en chef, BARON VANDERLINDEN-D'HOOGVORST.
No 4.
(page 67) Ordre du jour
30 août.
Messieurs, les commandants des sections sont invités à envoyer demain, avec le rapport, le nombre des postes occupés par leurs hommes, et l'endroit où ces postes sont placés, ainsi que le nombre d'hommes à chaque poste.
Mr les officiers qui auraient des demandes à former concernant les démissions ou nominations, sont invités à s'adresser à leur commandant de section.
Mr les chefs de postes enverront, avant 8 heures, au poste central de leur section, le rapport de ce qui sera arrivé pendant les 24 heures. Le chef du poste central, après les avoir réunis les enverra à l'état-major général.
Mrs les officiers supérieurs et les aides-de-camp se rendront tous les jours, à 9 heures, au rapport à l'état-major général.
Les commandants des sections veilleront :
1° à ce qu'au lieu d'une cocarde, les Gardes bourgeoises portent le numéro de leur section sur un fond blanc ; les couleurs de la ville continueront à être portées à la boutonnière.
2° A ce que les drapeaux ne portent d'autre inscription que le numéro de leur section.
ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL.
Marques distinctives.
Une écharpe au trois couleurs avec franges.
MM. le baron Em. d'Hoogvorst, commandant en chef ; le baron Vandersmissen, commandant en second.
Écharpe, idem, sans franges.
Le chev. Hotton, col. com. la garde à cheval ; le chev. Pletinckx, lieut.-col, de la garde à pied. Van der Steen, commandant de l'artillerie.
MAJORS :
(page 68) MM. le comte Vandermeeren, attaché aux 1 et 2e sect. Fleury-Duray, aux 3e et 4e sect. Jean Palmaert, aux 5e et 6e sect. le chev. Moyard, aux 7e et 8e sect. Van Gammeren, attaché à la grand-garde de l'état-major.
AIDES-DE-CAMP :
Une écharpe au bras aux trois couleurs avec franges. MM. Max. Delfosse, attaché au quartier-général ; Charlier d'Odomont ; Isidore Plaisant ; Joseph Nicolay ; Éd ̧ Stevens, attaché aux 1e et 2e sect. Opdenbosch, aux 3e et 4e sect. Pr. de Brabander, aux 5e et 6e sect Vleminckx, aux 7e et 8e sect. ; Adolphe Hauman, attaché au col. com. la caval. Baron Felner.
COMMANDANS DES SECTIONS :
Écharpe au trois couleurs en sautoir.
MM.Van Gelder-Parys ; Basse ; Louis Falise ; Blaes ; Hagemans ; Prosper Anoul ; Proft ; Michiels.
Les capitaines des compagnies porteront l'écharpe au bras droit avec rosette.
Les lieutenants et sous-lieutenants, l'écharpe unie au bras gauche.
Les adjudants, l'Écharpe unie au bras droit.
Le commandant en chef a pris l'arrêté suivant :
Il est nommé un conseil attaché à l'état-major de la Garde bourgeoise.
Ce conseil est composé de :
MM. Rouppe, ancien maire de Bruxelles ; Sylvain Van de Weyer, avocat. ; Ph. Lesbroussart, professeur. ; Éd. Van der Linden, avocat. ; Teichman, ingénieur en chef.
Écharpe aux trois couleurs sans franges.
Les écharpes seront distribuées au quartier-général.
Bruxelles. le 30 août 1830.
BARON VANDERLINDEN-D'HOOGVORST.