(Paru à Bruxelles en 1830, chez H. Tarlier)
Tableau de Bruxelles. - Adoption unanime des couleurs brabançonnes. - Négociations militaires. - Prétendu vœu du peuple. - Les notables assemblés à l'Hôtel-de-Ville. - Adresse au roi. - Election de la députation chargée de la porter à La Haye. - Convocation des États-Généraux pour le 13 septembre - Nouvelles de la cour. - Départ des princes d'Orange et Frédéric de La Haye.
(page 51) La nuit fut tranquille, grâce à l'activité soutenue de la garde bourgeoise qui continua de faire des arrestations nombreuses. Elle se consolida et commença à prendre ce jour-là les couleurs brabançonnes. On voyait parmi elle des militaires, mais aucun uniforme. L'ordre du jour ci-après fut publié. (V. pièce n° 1.)
Les troupes étaient toujours concentrées autour des Palais ; les généraux de Bylandt, d'Aubrémé, Wauthier et Aberson étaient au milieu du camp que des patrouilles bourgeoises traversaient de temps en temps, le jour comme la nuit. Les précautions et usages militaires qui s'observaient alors de part et d'autre, avaient quelque chose d'imposant. Quinze cent bommes de troupes d'élite étaient en alarmes et portaient les armes devant vingt ou trente bourgeois ! La ville fut calme toute la journée ; les magasins et boutiques étaient fermés en grande partie.
Des rubans, des drapeaux aux trois couleurs françaises avaient déjà paru. Cette démonstration qui pouvait donner le change sur l'esprit du peuple et sur la tendance du grand mouvement qui s'opérait, fut désapprouvée, et (page 52) sans qu'il y eut concert ou injonction, on adopta généralement dans cette journée les trois anciennes couleurs brabançonnes, rouge, jaune et noir. Tout le monde s'en décora, même les femmes ; on ne les comprenait guère cependant ; on disputait sur leur origine, mais on tomba d'accord qu'elles seraient un signe de ralliement qui ne pouvait offenser ni offusquer, et l'on se trompa grandement sous ce rapport ! Depuis, l'on sût que ces trois couleurs sont celles de l'ancien blason du Brabant, et représentent l'union des trois provinces, Brabant, Flandre et Hainaut. Le noir est le fond de l'écusson, le jaune est la couleur du lion d'or et le rouge celle de sa langue. On les porta en écharpes, en ceintures, en cordons, en rubans, en cravates, et pendant bien des jours, certains magasins ne vendirent pas autre chose.
Vers midi, le bruit se répandit que des troupes marchaient sur la ville ; cette nouvelle causa une agitation extraordinaire ; on craignit des réactions, des vengeances, des commotions. On parla de s'opposer par la force à leur entrée, et même de barricader les portes de la ville. M. d'Hoogvorst, accompagné de quatre aides-de-camp, se rendit sur le champ près des généraux, parla avec énergie et franchise, dit qu'il répondait de tout dans la ville, mais qu'il ne répondait de rien si de nouvelles troupes y entraient ; il expliqua l'état des choses et le trop juste mécontentement du peuple dont il se rendit le digne interprète. Il sut se faire comprendre et écouter ; toutes les troupes en marche rétrogradèrent ; on le doit à la noble fermeté du chef de la garde qui, sans nul doute, détourna de grands malheurs de Bruxelles. Les (page 53) deux pièces ci-après, nos 2 et 3, furent publiées sur le champ et affichées ; elles étaient le résultat de la conférence.
Vers le soir, on répandit partout un imprimé contenant une sorte de résumé de nos griefs, et intitulé : Voeu du peuple. (V. ci-après, pièce n° 4.) Il fut même répété dans les journaux ; mais on s'aperçut bientôt que ses auteurs étaient sans mission ; il n'obtint pas d'ailleurs l'assentiment général ; la rédaction de l'adresse au roi le prouve.
L'événement le plus remarquable de cette journée et le plus fécond en grands résultats fut, sans contredit, la réunion des notables à l'Hôtel-de-Ville.
Elle eut lieu à sept heures du soir ; la régence assemblée en permanence en fut prévenue ; le bourgmestre mit à sa disposition la grande salle des États, et donna ordre de la favoriser ; de protéger et de faciliter toutes ses opérations.
Les notables assemblés au nombre d'environ cinquante, et réunis à tout l'état-major de la garde bourgeoise pour aviser aux mesures à prendre dans les circonstances, choisirent l'honorable baron de Sécus, membre des Etats-Généraux, pour président, et l'avocat Van de Weyer pour secrétaire.
L'assemblée résolut d'abord d'inviter M. le gouverneur d'assister à la réunion, et de nommer une commission administrative provisoire, ce qui faisait tout rentrer dans l'ordre légal. Mais le gouverneur, tout en partageant les intentions de l'assemblée, ne crut pas pouvoir, en sa qualité de commissaire du roi, (page 54) obtempérer à ces deux demandes, et ne croyait pas du reste une commission provisoire nécessaire, attendu que la régence délibérait en ce moment sur le même objet.
Une invitation fut ensuite faite à la régence, dans laquelle il lui était donné connaissance de l'intention de l'assemblée d'envoyer une députation au roi, avec demande de venir prendre part à la délibération. Elle s'y refusa également, attendu que ses règlements ne le lui permettaient pas ; elle-même au surplus s'occupait, ajoutait-elle, d'une adresse au roi sur le même objet.
L'envoi d'une députation au roi fut ensuite proposé par M. de Sécus et voté par acclamation. MM. Félix de Mérode, Sylvain Van de Weyer, baron Joseph d'Hoogvorst, Rouppe et Gendebien furent nommés pour rédiger, séance tenante, un projet d'adresse au roi. Les griefs n'y devaient pas être exprimés, parce que leur développement eût exigé un très long temps. Ce soin fut confié au patriotisme et à la prudence de la députation. Remarquons bien qu'il ne fut question alors, ni de l'idée, ni du mot de « Séparation ».
Le projet ayant été adopté, (V. ci-après, n°5), on procéda à la nomination des citoyens devant faire partie de la députation au roi. Ce furent MM. le comte de Mérode, Palmaert père, Frédéric de Sécus, Gendebien et le baron Joseph d'Hoogvorst ; ils furent invités à partir sur-le-champ.
Aux premières nouvelles des événements de Bruxelles, le roi et toute la famille royale qui était au Loo avec le prince Albert de Prusse, revinrent en hâte à La Haye ; le conseil des ministres s'assembla sous la présidence du roi, les princes présents ; il dura six heures : on ne (page 55) connaissait encore alors que les événements de la nuit du 25, et cependant trois grandes mesures furent dès lors décidées ; 1° La convocation des États-Généraux pour le 13 septembre ; 2° L'ordre à toutes les troupes de se porter, à marches forcées, sur Bruxelles ; 3° Le départ des deux princes pour Bruxelles. Ils quittèrent en effet La Haye, le 28 à minuit.
Pièces publiées le 28 août
No 1. Ordre du jour
MM. les Commandants des sections sont priés de vouloir bien établir des contrôles des compagnies, des officiers, sous-officiers et soldats, et d'en envoyer une copie au commandant en chef. Ils sont priés d'y ajouter la liste des personnes de leurs sections respectives, qui n'ont point encore fait partie de la garde bourgeoise et qu'ils désireraient voir se réunir à eux.
Pour relever les postes existants en ce moment, et en attendant qu'on puisse se procurer un assez grand nombre d'armes, il sera convenable d'ouvrir deux listes ; l'une comprenant les noms des personnes à relever, l'autre le nom de la garde montante à laquelle les armes seront confiées pour la continuation du service ; et afin que les détenteurs actuels puissent réclamer leurs fusils, la première liste sera déposée entre les mains du commandant en chef.
Par ces moyens réunis on parviendra à établir un mode de service régulier.
MM. les Commandants des sections sont priés d'envoyer tous les matins, à huit heures, un sous-officier à l'état-major, avec le rapport des événements qui se seront passés dans les vingt-quatre heures.
A midi, ils enverront prendre les ordres du commandant ; le (page 56) soir à six heures, ils feront prendre le mot d'ordre par un de leurs officiers.
M. le Commandant de la garde à cheval est prié de se conformer, en ce qui le concerne, au présent ordre du jour.
Bruxelles, 28 août 1830.
Le commandant en chef, BARON VANDERLINDEN D'HOOGVORST.
No 2. Proclamation
Habitants de Bruxelles,
Le bruit avait été répandu que des troupes marchaient sur Bruxelles. Le commandant de la garde bourgeoise s'empresse de vous informer que des ordres sont donnés par l'autorité militaire supérieure pour les empêcher d'entrer en ville et leur ordonner de s'arrêter.
La sûreté de la ville de Bruxelles reste donc exclusivement confiée à la brave garde bourgeoise qui a si bien rempli ses devoirs jusqu'à ce jour.
Une députation de notables habitants de Bruxelles va se rendre à La Haye.
En attendant le retour de celle-ci, la troupe stationnée dans le haut de la ville, restera inactive. Les officiers commandant la garde bourgeoise ont pris sur l'honneur l'engagement de la faire respecter.
Bruxelles, 28 août 1830.
Le commandant de la garde bourgeoise, BARON VANDERLINDEN D'HOOGVORST.
N° 3. Proclamation
Nous, general-major, comte De BYLANDT, commandant en chef les troupes dans la province du Brabant-Méridional, d'accord avec les autres autorités militaires de cette ville, (page 57) faisons connaître aux habitants de cette résidence que nous sommes convenus avec les principaux chefs de la bourgeoisie armée de Bruxelles, que les troupes qui étaient attendues ce jourd'hui dans cette ville n'entreront point, aussi longtemps que les t de cette résidence respecteront toutes les autorités civiles y établies et maintiendront le bon ordre que les principaux chefs de la bourgeoisie armée s'engagent de faire maintenir, dans l'intérêt de tous et pour le bonheur de tout citoyen.
Le commandant en chef susdit, GUILL. COMTE DE BYLANDT.
Quartier-Général à Bruxelles, ce 28 août 1830.
N° 4. Vœu du peuple. Griefs à redesser
L'exécution franche et sincère de la loi fondamentale sans restriction ou interprétation au profit du pouvoir ; L'éloignement du ministre van Maanen ; La suspension provisoire de l'abattage jusqu'à la prochaine session des Etats-Généraux ;Un nouveau système électoral, établi par une loi où l'élection soit plus directe par le peuple ; Le rétablissement du jury ; Une loi nouvelle sur l'organisation judiciaire ; La responsabilité pénale des ministres établie par une loi ; Une loi qui fixe le siége de la haute-cour dans les provinces méridionales ; La cessation des poursuites intentées aux écrivains libéraux ; L'annulation de toutes les condamnations en matière politique ; Qu'il soit distribué à tous les ouvriers infortunés, du pain pour subvenir à leurs besoins jusqu'à ce qu'ils puissent reprendre leurs travaux.
N° 5. Adresse au Roi
Sire !
Les soussignés, vos respectueux et fidèles sujets, prennent la liberté, dans les circonstances difficiles où se trouvent la ville de Bruxelles et d'autres villes du royaume, de députer vers (page 58) V. M., cinq de ses citoyens, MM. le baron Joseph d'Hoogvorst, comte Félix de Mérode, Gendebien, Frédéric de Sécus, et Palmaert père, chargés de lui exposer que, jamais dans une crise pareille, les bons habitants ne méritèrent davantage l'estime de V. M. et la reconnaissance publique. Ils ont, par leur fermeté et leur courage, calmé en trois jours, l'effervescence la plus menaçante, et fait cesser de graves désordres. Mais, Sire, ils ne peuvent le dissimuler à V. M. : le mécontentement a des racines profondes ; partout on sent les conséquences du système funeste suivi par des ministres qui méconnaissaient et nos vœux et nos besoins. Aujourd'hui, maîtres du mouvement, rien ne répond aux bons citoyens de Bruxelles que, si la nation n'est pas apaisée, ils ne soient eux-mêmes les victimes de leurs efforts. Ils vous supplient donc, Sire, par tous les sentiments généreux qui animent le cœur de V. M., d'écouter leur voix et de mettre ainsi un terme à leurs justes doléances. Pleins de confiance dans la bonté de V. M. et dans sa justice, ils n'ont député vers vous leurs concitoyens que pour acquérir la douce certitude que les maux dont on se plaint seront aussitôt réparés que connus. Les soussignés sont convaincus qu'un des meilleurs moyens pour parvenir à ce but si désiré, serait la prompte convocation des États-Généraux.
Bruxelles, 28 août 1830.
Le baron Em. d'Hoogvorst, commandant en chef
Le baron de Sécus fils. A. J. Moyard, major. Le comte Werner de Mérode fils. Frédéric de Sécus. F. Michiels, capitaine. Le comte De la Laing, garde. F. Opdenbosch, fabriquant. Éd. Stevens, avocat. Éd. Ducpétiaux, avocat. L. Jottrand, avocat. Isid. Plaisant, avocat. J. Palmaert fils. Isid. Vanderlinden, notaire. Éd. Vanderlinden, avocat. Palmaert père, négociant. Aug. Vandermeeren, major. Rouppe, ancien maire de Bruxelles. Le comte Cornet de Grez, membre des États-Gén. Ph. Lesbroussart, professeur. Ad. Bosch, avocat. Charlier D'odomont, aide-de-camp. Vleminckx, docteur en médecine, Le comte Ch. Dandelot, lieutenant. J.-B. Ghiesbrecht, lieutenant. Le baron F. De Wyckersloot. Le comte Félix de Mérode, garde. Le baron J. d'Hoogvorst, ancien maire de Bruxelles. Le baron Ch. d'Hoogvorst. Joseph Van Delft, lieutenant. Max. Delfosse, négociant. Le comte de Bocarmé, adjudant. Gendebien, avocat. Gustave Hagemans, capitaine. Le baron de Sécus, membre des États-Gén., garde. Silvain van de Weyer, avocat et bibliothécaire. J. de Wyckersloot, capitaine. Fleury-Duray, major. Huysman d'Annecroix, membre des États- Gén., garde. Vandersmissen, commandant en second. F. Maskens, propriétaire. Pletinckx, lieutenant-colonel. Hauman, avocat. Hotton, commandant de la garde à cheval.