(Paru à Bruxelles en 1830, chez H. Tarlier)
Cri de victoire. Délivrance de Bruxelles. Fuite honteuse des Hollandais. Aspect de la ville. Vengeances et réactions populaires. Fausse alarme de nuit
(page 451) Nous avons vu que le feu des attaques principales cessa le 26, entre six et sept heures du soir ; mais le calme fut loin de régner ensuite dans la ville et surtout aux environs du Parc. On entendit, jusques vers deux heures, le bruit de la générale, du tocsin et, de temps en temps, de la fusillade et même du canon. Vers dix heures on annonça une attaque de nuit par la porte de Flandre ; on savait qu'un petit corps d'armée commandé par le colonel Bockorwen, composé de la 5ème division, de (page 452) 400 hussards, n°6, et d'une batterie, se trouvait à cheval sur cette route depuis l'échec qu'il avait essuyé le 23 ; ce n'était qu'une fausse alarme, mais qui suffit pour tenir tout le monde sur pied dans le bas de la ville ; cependant il est certain que, vers la soirée, il y eut dans cette direction, à Zellick et à Assche, des démonstrations militaires pour soutenir la retraite dès lors décidée.
D'un autre côté, les auxiliaires qui arrivaient en plus grand nombre que jamais se portaient sur le champ aux trois barricades d'attaque qui n'étaient plus si désertes que les nuits précédentes. On faisait partout bonne garde, on tiraillait souvent ; jamais l'exaspération n'avait été si prononcée, et jamais les assauts contre le Parc n'avaient été si sérieux, si décidés que dans cette quatrième journée.
A minuit la lueur des incendies brillait encore aux deux extrémités du Parc. Là régnait le silence ordinaire ainsi que dans toutes les positions occupées par l'ennemi.
Vers deux heures du matin, on vint prévenir le poste du Treurenberg qu'un nombreux renfort de troupes de toutes armes arrivait aux ennemis par la porte de Schaerbeek ; à quatre heures ce rapport se confirma. On redoubla de vigilance, on se tint préparé à tout ; on n'avait pas encore montré autant d'ardeur, de confiance et de discipline. Les chefs se montraient, commandaient ; ils étaient obéis.
Au point du jour, les tirailleurs s'étant mieux concertés, se réunirent en plus grand nombre aux trois barricades avancées et commencèrent, selon leur habitude, un feu roulant et soutenu, tant contre le Parc que (page 453) contre les Palais, hôtels, maisons et autres positions de la ligne de bataille occupées la veille au soir par les soldats ; le feu s'étendit même un instant jusqu'aux boulevards ; plus de 4,000 coups de fusil furent tirés en peu de minutes.
L'impassibilité de l'ennemi qui ne ripostait pas n'étonnait nullement les assaillants ; ils y étaient habitués depuis quatre jours ; ils savaient qu'il fallait presser de plus près les Hollandais pour les forcer à se montrer. Mais enfin vers cinq heures du matin les plus hardis d'entre nous entrèrent dans le Parc....... et n'y trouvèrent personne ! au même moment les rapports arrivèrent de toutes parts et annoncèrent que le mouvement nocturne des troupes, au lieu d'être l'arrivée des renforts, était une retraite, ou plutôt une fuite honteuse ! Parc, Palais, Boulevards, tout avait été abandonné et évacué par les portes de Louvain et de Schaerbeek dans le plus grand silence, entre trois et quatre heures du matin et sous la protection des ténèbres. Les deux ponts jetés sur le mur d'enceinte avaient aussi facilité le départ ; on se convainquit que, si les feux de l'ennemi s'était prolongés la veille bien plus tard que de coutume, c'était pour donner le change et écarter toute idée de retraite ! alors les troupes se trouvaient déjà loin de la ville, dans les directions de Cortemberg, de Dieghem et de Vilvorde, en emmenant au-delà de 80 chariots de blessés et même une partie de leurs morts !
On s'élança en masse dans le Parc au cri de Victoire ! on s'empara à la hâte de tous les Palais, de tous les postes ; le drapeau des Belges triomphants, le même qui, la (page 454) veille, avait été arboré sur le quartier-général, au milieu des boulets, se déploya à l'instant dans les airs au sommet des édifices conquis et servit de sauvegarde à ces récentes propriétés nationales ! Nos avant-postes avec leur artillerie étaient établis, avant six heures, au milieu des ruines que nous abandonnait l'ennemi ! Le bourdon de Sainte-Gudule sonna enfin à sept heures et annonça la délivrance de Bruxelles à tous ses habitants.
Pas un soldat n'était resté en ville, ni dans les faubourgs, sauf quelques traînards cachés dans les maisons de la rue Ducale et aux boulevards ; ils furent sur-le-champ désarmés et faits prisonniers. Quelques canons démontés et des débris de caissons avaient été abandonnés dans le Parc par les Hollandais.
A quel motif faut -attribuer cette retraite subite du prince Frédéric ? Il était agresseur, maître, depuis quatre jours, de toutes les positions qu'il avait prises le 23 en entrant en ville ! Il les avait même étendues, avait gagné du terrain ! Toutes les attaques sérieuses dirigées contre lui avaient constamment échoué ! Pendant toute la journée de la veille il s'était battu en homme qui ne ménage rien pour arriver au succès et qui y prétend de bonne foi ! Le soir encore il était plus menaçant que jamais ! Il savait qu'il ne pourrait jamais être forcé dans le Parc et dans les palais par des simples tirailleurs ! Ses soldats murmuraient, mais ne désertaient point ! Les renforts qu'il avait reçus et ceux qu'il pouvait recevoir à volonté par trois ou quatre routes dont il était le maître, compensaient grandement toutes ses pertes ! Il savait en outre par expérience que, quand il voudrait attaquer (page 455) sérieusement l'un ou l'autre point, il l'emporterait, avec perte sans doute, mais aussi avec certitude de succès ! qu'il pourrait même s'emparer ainsi à la longue de toute la ville ! pourquoi donc cette retraite, cette fuite subite, précipitée, honteuse !
Quatre motifs divers, mais qu'il faut combiner, paraissent avoir amené cet immense résultat.
1° D'abord cette lutte si prolongée retentissait partout ; la Belgique entière prenait les armes pour secourir Bruxelles ; il était à craindre et à présumer que ce combat n'entraînât une révolte générale, complète, et n'arrachât par-là toutes les provinces méridionales au sceptre des Nassau.
2° Il pouvait craindre de voir ses communications coupées avec Anvers d'un moment à l'autre par suite de la levée en masse des campagnes ; sa retraite pouvait ainsi être compromise, s'il tardait un jour de plus ; on disait déjà le pont de Walhen de même que celui de Vilvorde. Il avait vu de son côté l'inutilité de ses efforts ; ses troupes étaient fatiguées et même harassées par quatre jours de privations et de combats ; il avait d'ailleurs été témoin du redoublement d'acharnement du peuple dans la journée de la veille, de l'arrivée continuelle de ses renforts, de sa discipline mieux organisée ; il avait enfin un général en tête ! Le peuple d'abord peu nombreux, sans armes, sans munitions, sans chefs avait formé sous ses yeux une armée et un gouvernement ! Maintenant qu'il était organisé et commandé ne devait-il pas craindre d'en être vaincu ?
3° Il pouvait avoir reçu des ordres récents de La Haye ; il pouvait aussi, avant d'attaquer, avoir ses instructions éventuelles et des pouvoirs illimités pour tous les cas probables ou possibles.
4° Enfin, et voilà sans doute selon nous le motif déterminant, c'est que sa position était devenue si difficile, si précaire, si inouïe, que vainqueur ou vaincu, le résultat, un peu plus tôt, un peu plus tard, devait nécessairement être le même ; que parvint-il à s'emparer de l'Hôtel-de-Ville, de toute la ville même en la sacrifiant, en la livrant au plomb, au fer et au feu, en la jonchant des cadavres de ses soldats et des bourgeois ! que réussit-il ensuite à y rétablir l'autorité royale, à la mettre en état de siégé avec une garnison de 10,000 hommes ! tout cela en définitif se réduirait à zéro ! et que lui et ses 10,000 hommes finiraient toujours par être chassés, égorgés ou ensevelis sous les ruines de Bruxelles en entraînant la chute de l'autorité de son père, éternellement perdue dès lors dans la Belgique !
Quoi qu'il en soit, la retraite se fit en bon ordre et sans être d'abord inquiétée ; nous avons vu qu'on ne s'en aperçut que lorsqu'elle était effectuée. Les sentinelles avancées furent abandonnées de peur que leur disparition n'avertît le peuple de la fuite de l'armée ; le burin de l'artiste a essayé d'esquisser le tableau qu'offrait cette retraite par la porte de Louvain d'après les rapports des témoins oculaires. (V. la lithographie ci-jointe.)
La très grande partie de la cavalerie formait l'arrière-garde ; elle prit à gauche en quittant la ville et traversa le pont de Laeken. Elle avait moins souffert et était moins (page 457) démoralisée que l'infanterie ; cependant elle portait la dévastation sur son passage, pillait, saccageait, ou brûlait même les maisons et châteaux et accumulait de plus en plus des montagnes de haine et de séparation entre les deux peuples ! Nous citerons ici la campagne de M. Van Campenhout et la maison de la barrière près du même pont ; elles furent complétement dévastées ; mais ne nous arrêtons pas ici sur les traces de violence et de brutalité que quelques corps de l'armée ennemie laissaient après eux et qui excitèrent au plus haut degré la fureur du peuple ! Il n'en donna que trop de preuves dans cette même matinée du 27 ! Nous rapporterons ci-après quelques-unes des accusations les plus précises. Mais on sent que ce n'était point le lendemain d'un combat que l'on pouvait juger avec sang-froid des torts de l'ennemi, surtout dans une guerre civile ! Il faut être impartial ! La part des circonstances, des positions, des passions, des malheurs doit être si grande !
A partir de 7 heures du matin on entendit le bruit de la poudre dans les directions suivies par l'ennemi ; mais ce ne fut guères que vers 10 heures que des détachements nombreux de volontaires se mirent à sa poursuite avec des officiers et une demi batterie. Le feu s'éloignait de minute en minute ; vers le soir les vedettes et les bivouacs hollandais paraissaient toujours plus à gauche vers Ever, Dieghem, Peuthy et Vilvorde qui s'encombrait de blessés et dut fournir 30 chariots pour ce seul service ; tout se repliait sur Malines. Mais aucune attaque sérieuse ne fut tentée ce jour-là ; nos tirailleurs (page 458) n'étaient pas en mesure, ou mieux commandés, ne voulurent plus se hasarder en plaine.
Le prince Frédéric marchait le dernier à l'arrière-garde de son armée ! On peut se peindre, s'imaginer les sentiments qui devaient l'oppresser dans ce moment cruel ; mais ils ne pourraient sans doute être que bien imparfaitement ébauchés dans notre récit ! On a eu la faiblesse d'inventer des fables sur son départ ! On a dit et lithographié que, déguisé en paysan, il avait fait la route de Bruxelles à Vilvorde sur une charrette de meunier ! lui, qui sans cesse entouré de 5 généraux, de 6 aides-de-camp et de tout son état-major, avait toujours sous la main, sellés et bridés, les 10 meilleurs chevaux du royaume, parqués dans le vestibule de la maison du notaire Herman, son quartier-général à Schaerbeek ! lui, qui ordonna spontanément la retraite de sang-froid et 10 heures d'avance ! Ces mensonges font pitié !
On était frappé de l'abattement des troupes en les voyant passer dans la campagne. Une division poussa des cris de joie en se voyant hors de l'enceinte de la ville et des faubourgs. D'autres gardaient un morne silence. Les plus braves avaient péri ! Le 1er bataillon de grenadiers, corps d'élite de la garde, était réduit à moins de 250 hommes avec perte de la moitié de ses officiers ; un bataillon de la 10me division n'avait plus que ses cadres ; les 9me et 10me divisions avaient été refondues pour cacher leurs pertes et ne formaient plus que deux bataillons chacune à leur passage à Malines.
Un beau soleil de septembre éclairait la journée du 27 ; c'était un contraste avec le temps affreux des jours (page 459) précédents ; on eût dit que la nature prenait plaisir à saluer l'arbre de la liberté arrosé de notre sang et à prendre acte de l'ère nouvelle d'où dateront désormais les destinées de notre patrie !
Il faudrait une plume plus éloquente que la nôtre pour bien peindre l'aspect de Bruxelles dans cette matinée du 27, surtout aux environs du Parc, aux boulevards et dans tout le haut de la ville. Plus de 60 mille habitants de tout âge et de tout sexe, cachés depuis 4 jours dans le fond de leurs demeures, reparaissaient au jour et circulaient partout, la joie et le triomphe peints sur leurs traits et dans leur maintien ; on s'embrassait sans se connaître, on pleurait d'allégresse ; on oubliait les dangers passés, on s'étourdissait sur les embarras de l'avenir, pour se livrer en entier au sentiment du présent ; on contemplait les cendres, les décombres, les dévastations dont on était entouré de toutes parts avec un regard de douleur, de victoire et de haine tout à la fois ! Et chacun se disait : C'est chèrement acheté ! Mais enfin nous ne serons plus Hollandais !
Il y avait aussi dans tout cela une teinte de dépit et de regret ; on était contrarié d'avoir ainsi perdu l'occasion de détruire, jusqu'au dernier, les envahisseurs de Bruxelles ; mais l'on remarqua alors que ceux des bourgeois qui, faute d'armes, de courage, d'adresse ou de patriotisme, n'avaient pas pris une part active au combat, étaient toujours les plus empressés en ce moment à venir voir le champ de bataille.
Décrire en détail le spectacle qu'offraient alors les ruines des plus beaux quartiers de Bruxelles, serait (page 460) aussi fastidieux qu'inutile ; tous les Bruxellois les ont vues ; les étrangers doivent les voir ! C'est le seul moyen de s'en faire une juste idée et de se figurer quel fut l'acharnement d'un combat de 4 jours qui détruisit ou dégrada l'œuvre de plusieurs générations et engloutit des richesses qu'on ne pouvait plus calculer que par millions de florins ! La peinture et la lithographie ont essayé de reproduire quelques-uns de ces tableaux, et nous joignons ici des planches qui présentent une copie fidèle quoiqu'imparfaite, des localités retracées par le crayon ; mais nous répétons qu'il faut avoir vu les mutilations des arbres, des groupes, des statues, des grillages et des ornements du Parc, surtout aux grands piédestaux des diverses entrées, l'hôtel de Belle-Vue, les deux hôtels en face, tous trois tellement criblés de mitraille, de boulets et d'obus qu'on dut les étançonner pour éviter leur écroulement que l'on redoutait à chaque minute sur les têtes des spectateurs, les bornes de granit et leurs grosses chaînes brisées et arrachées, les énormes balcons de pierre éclatés en mille pièces, l'hôtel Torington et ses dépendances en cendres encore fumantes, ainsi que les bâtiments attenant à l'aile droite du palais du roi, et des files entières des maisons aux boulevards ! Le Parc encombré de débris de caissons et d'affûts, de morceaux de marbre, de grillages et de branches d'arbres, des chevaux morts, des canons démontés et abandonnés, des cadavres, des longues traces de sang formant alors des grandes taches noires déjà couvertes par des milliers de mouches, des dépouilles de toute espèce ! les hôtels de la Place-Royale criblés de balles et des projectiles, tous les vitrages réduits en poussière, toutes les (page 461) croisées brisées, tous les intérieurs ruinés et dévastés ! voilà ce qu'il faut avoir vu pour se faire une juste idée de la scène de désolation que présentait le champ de bataille, scène qu'aucun pinceau ne pourra jamais rendre ni dépeindre, mais qui rappellera longtemps la cruauté de nos ennemis et le trépas glorieux des braves, morts pour l'indépendance et la liberté de leur patrie !
Les Bruxellois se disaient : Une invasion étrangère eût respecté nos monuments ; ceux qui se disent nos compatriotes et nos frères les ont bombardés !
On remarqua que les trois palais avaient peu souffert et que l'hôtel de l'ambassadeur d'Angleterre, en face du petit théâtre, n'avait pas même été ouvert, quoiqu'il se trouva au centre des positions de l'ennemi.
Le commandant en chef, malade de fatigue à l'hôtel de Tirlemont place de la Chancellerie, ignorait encore à 5 heures du matin la retraite des troupes ; il se préparait à combattre et exigeait de son médecin, le docteur Heylinghen, d'être guéri à midi ; il établit, vers 7 heures, son quartier-général au palais du roi ; il data de là son premier rapport au Gouvernement provisoire ; le voici : (V. ci-après n° 1.)
Le peuple si acharné contre l'ennemi se montra humain pour les factionnaires abandonnés par l'armée au Parc et dans les palais. On en trouva 8 aux Etats-Généraux, 14 dans les écuries du roi et 11 dans les appartements de la reine. Ces soldats s'étaient cachés et se crurent perdus quand ils se virent découverts ; 6 cadavres bourgeois, mutilés par les soldats, gisaient dans la cour même des palais ! Cependant ils n'éprouvèrent aucun (page 462) mauvais traitement ; on se contenta de les désarmer et de les faire prisonniers de guerre. L'un d'eux, soldat de la 10me, était en faction à la porte du palais du prince Frédéric. C'était le poste le plus périlleux, le plus rapproché de l'incendie et des bourgeois ; cependant il ne se cacha point comme ses camarades et, fidèle à sa consigne, il continua sa garde après le départ de l'armée qui l'abandonnait ! Contre toute apparence ce trait de courage fut loin de lui être fatal.
Lorsqu'on entra dans le palais du roi, on ne trouva que dévastation et pillage ; M. J. Palmaert, gouverneur, en fit sur-le-champ constater l'état, autant que cela lui était possible ; nous venons de voir que plusieurs cadavres y restaient encore, entre autres celui d'un bourgeois massacré dans les caves. C'était un français muni des papiers ; plusieurs balles lui avaient traversé la poitrine. On voyait qu'il avait été fusillé à genoux et à bout-portant ; on ignore s'il avait été amené du dehors pour être assassiné dans ces souterrains, ou s'il avait été saisi à Bruxelles et dans le palais même comme faisant partie du poste bourgeois qui s'y trouvait au moment de l'entrée des troupes. C'est un meurtre affreux.
Pour donner une juste idée de ce qui se passa aux palais, pendant l'invasion de Bruxelles, nous ne pouvons mieux faire que d'insérer ici le rapport suivant qui est officiel et qui prouvera en outre que la garde bourgeoise, quoique désorganisée et en quelque sorte anéantie depuis le 20, comptait encore, comme Pellabon et autres, des officiers et des fidèles qui n'abandonnèrent jamais le poste de l'honneur, du patriotisme et du devoir (V. ci-après, pièce n° 2.)
(page 463) Les Hollandais avaient enterré leurs morts dans deux grandes fosses, l'une près de leur batterie d'obusiers et l'autre, derrière l'ambulance de Schaerbeek (V. le plan), toutes deux à l'extérieur de la ville, outre plusieurs cadavres transportés çà et là dans les champs voisins et qu'on découvrit plus tard, couverts d'un peu de sable ; mais ils avaient aussi enfoui des corps d'hommes et des chevaux dans le Parc ; ils étaient à peine cachés sous un peu de terre et de feuillage et gissaient dépouillés et mutilés aux pieds des passants, à la surface du sol ! On fut forcé de les en extraire et de les ensevelir aux cimetières ; ces lugubres transports durèrent toute la journée et traversaient les foules dans tous les sens ; 74 cadavres humains, la plupart Suisses, furent ainsi exhumés ; ils étaient nus ; on ne les reconnaissait pour soldats qu'à leurs moustaches. L'entrée du Parc dût être interdite au public ; 500 factionnaires furent placés tout autour, à la distance de 10 pas l'un de l'autre ; on se hâta de réparer et de mettre en état de service les caissons, canons et tout le matériel abandonné par l'ennemi. On retrouva encore intact le retranchement ou barricade construite par l'ennemi, près des escaliers de la Bibliothèque, avec les cadavres de ses chevaux et de ses soldats !
La route suivie par le prince dans sa retraite était semée de plusieurs corps inanimés ; on sut plus tard que c'étaient ceux des officiers tués qu'on avait d'abord voulu emporter et ceux des malheureux blessés qui expiraient en route sur les charriots ! Il arrivait à chaque instant des prisonniers et des déserteurs !
Le butin que les pillards emportaient montait à une somme considérable qu'il est impossible d'évaluer. En (page 464) général ils ne trouvèrent point à le vendre sur leur route ; aucun Belge, à moins qu'on n'employât la force, ne voulut acheter, même au prix le plus vil, les dépouilles de ses compatriotes ! Des soldats offrirent à Malines et à Anvers, pour quelques florins, des pendules de grand prix.
Vers huit heures du matin, M. d'Hoogvorst, suivi de quelques officiers, parut autour du Parc ; il fut reconnu par la foule ; on n'ignorait, ni sa conduite, ni ses sentiments, ni ses inappréciables services, et une belle récompense pour lui fut sans doute d'entendre partir de toutes parts et avec une complète unanimité, les acclamations de vive la liberté ! vive notre commandant ! L'ivresse du peuple était au comble.
Quand les braves qui, la veille, avaient 4 fois attaqué le Parc, descendirent dans les ravins et virent la force réelle de ce poste, les chemins tortueux et profonds et les retranchements creusés par les soldats et renforcés par les bancs du Parc, les abattis d'arbres, etc., ils se demandaient avec surprise comment ils avaient pu forcer à la retraite des hommes ainsi défendus ! On comprenait alors seulement tout l'avantage que la possession du haut de la ville avait donné aux troupes ; on s'étonnait d'avoir réussi à résister et les plus habiles se félicitaient de plus en plus de n'avoir pas d'abord reconnu de chef, puisqu'une témérité aveugle et sans frein avait seule pu exciter un petit nombre d'hommes à tenir tête à une armée maîtresse de telles positions et soutenue par une artillerie aussi formidable.
On savait dès lors que les troupes reprenaient leurs anciennes positions du 21 et du 22, sur Ever, Dieghem (page 465) et Vilvorde ; ainsi se trouvait donc complétement déjouée l'expédition entreprise contre les Bruxellois dont un si grand nombre avait cru le succès certain ! Le courage du peuple combiné avec sa haine, et le nom magique de liberté, avaient triomphé du nombre et de la force ! Désormais on ne pouvait donc plus régner sur les Belges qu'appuyé sur leur confiance et leur amour, et quel que fût l'avenir réservé à la nation, l'issue glorieuse de la lutte dont elle sortait victorieuse rendait son honneur impérissable.
Mais les soldats s'étaient-ils bien battus ? oui ; tous les hommes du métier sont d'accord sur ce point ; ils ont montré tout le courage que des militaires enrégimentés peuvent déployer dans l'intérieur d'une ville ? Mais quant à nos braves, on est d'accord aussi qu'ils ont fait des prodiges plutôt d'audace que de valeur. Nous avons entendu d'anciens officiers supérieurs français déplorer, pendant le combat, le sort de la Garde-Royale qui restait à son poste sous le feu meurtrier du peuple et qui se faisait ainsi tuer sans espoir de vaincre. Ils accusaient l'impéritie des généraux hollandais, ne pouvant croire que de braves soldats eussent été vaincus par le peuple si on les eût bien conduits ; il ne nous appartient pas de rien décider là-dessus ; mais nous avons déjà émis une opinion (V. ci-dessus, page 263) et nous la répétons ici ; c'est que si le plan d'attaque fut bien combiné en général, les fautes, les gaucheries, les illusions ont fourmillé dans l'exécution.
Toute la journée du 27 se passa donc à Bruxelles dans une tranquillité parfaite qui contrastait avec le tumulte effroyable des jours précédents. La foule continuellement (page 466) renouvelée circulait sur tous les lieux qui avaient été le théâtre de la bataille ; il n'y eut pas le moindre désordre ; on remarquait çà et là au milieu des groupes, quelques bourgeois armés qui avaient combattu et qui narraient leurs exploits. Les portes de la ville et les principaux édifices étaient gardés par des postes nombreux de volontaires. La consigne de ne laisser sortir personne sans carte et de visiter les passants pour vérifier s'ils n'emportaient pas de cartouches, était sévèrement observée.
De nombreux corps de garde furent établis à tous les postes de la ville avec un ordre et une régularité admirables ; la garde bourgeoise reparaissait par individus, mais les paysans et autres auxiliaires se soumettaient aux lois de la discipline militaire et faisaient le service et les factions avec un zèle au-dessus de tout éloge. On compta ce jour-là à Bruxelles plus de 1200 hommes en faction seulement.
Nos détachements d'éclaireurs envoyés à la poursuite de l'ennemi rencontrèrent au-dessus de Schaerbeek un nouveau renfort de Louvanistes qui se joignirent à eux ; mais l'armée protégeait toujours sa retraite par le feu de ses canons d'arrière-garde et nos bourgeois rentrèrent le soir en ville, en ramenant les cadavres de 4 des nôtres, tués près d'Ever dans l'après dîner du mercredi 22.
Pendant toute la journée, des détachements de nouveaux auxiliaires arrivèrent à Bruxelles en plus grand nombre que jamais ; on en porta le chiffre à 800.
C'est avec un sentiment pénible et même douloureux que nous poursuivons ici notre récit.
La victoire des Belges date du 27 au matin ; nous (page 467) voudrions taire qu'elle a été ternie par trois taches ! L'incendie des maisons de Meeûs, dans cette même matinée ; l'assassinat du malheureux Gaillard à Louvain quelque temps après ; les pillages de Bruges, Mons et Hornu dans le mois suivant. Disons ici quelques mots sur le premier de ces trois grands malheurs.
On a avancé qu'ils étaient infaillibles et inévitables après de telles victoires ! qu'il est presque nécessaire qu'il y ait dans les révolutions des vengeances et des réactions populaires ! que c'est un complément d'indépendance et de force, que sans cela le ressort n'aurait point achevé le déploiement de toute son élasticité !
S'il y a la de tristes vérités, ce sont de bien mauvaises excuses !
Quoi qu'il en soit, vers 8 heures du matin, les masses du peuple qui avaient circulé autour du Parc et aux environs se dirigèrent vers la porte de Schaerbeek où l'exaspération fut redoublée par le spectacle de ces longues ruines encore fumantes qui remplaçaient la belle file de 16 à 18 maisons incendiées par les Hollandais, et surtout par la vue de ces petites maisons de la rue de Schaerbeek criblées de biscayens et de balles. Les pauvres gens qui habitaient ce quartier montraient les lieux d'où les coups étaient partis ; ils désignaient aussi le bâtiment d'où les tirailleurs de la 9ème division leur avaient fait le plus de mal ; c'était celui de M. Meeûs près de la porte de Schaerbeek, qui n'était, ni un palais, ni un hôtel, mais qui passait sans contredit, pour la plus belle, la plus riche maison de la ville et la mieux bâtie à la moderne. Elle formait un vaste carré et se divisait en plusieurs demeures (page 468) séparées, tout récemment construites. Nous avons déjà eu occasion de dire ci-dessus que, depuis le 19, le peuple en général était en défiance, mécontent, murmurant ; qu'il se plaignait d'être trahi, vendu ! qu'il menaçait ceux qu'il regardait comme traîtres ou espions ou qu'on lui désignait comme tels ! Dès le 23 au soir, lors du premier incendie au boulevard, on entendit dire : Ce n'est pas cette maison-là, c'est celle en face qu'il faut brûler ! celle de M. Meeûs.
A mesure donc qu'on racontait aux groupes comment les soldats étaient entrés le 23 chez M. Meeûs, comment ils y avaient pris poste et s'étaient fait une citadelle de sa maison pendant les quatre jours de combat, des rumeurs se faisaient entendre et le mot fatal de trahison circulait de bouche en bouche ! Quelqu'un qui sans doute se faisait ingrat, vint ajouter que les Hollandais avaient trouvé chez M. Meeûs des fusils et des munitions ! Ce fut le signal.
A 9 heures du matin quelques femmes et enfants du voisinage cassèrent d'abord les vitres, enfoncèrent les portes et les fenêtres et jetèrent les meubles dans la rue ; on y conduisit bientôt les équipages que l'on brisa ; un grand bûcher composé de tous ces débris s'éleva sur-le-champ et on y mit le feu ; il y avait un acharnement sans égal ; l'on vit les gens du peuple lancer dans les flammes jusqu'à des poignées d'argenterie ! On s'écria peu après que l'on avait trouvé des fusils cachés et des commodes pleines de cartouches ! C'était faux ; mais dès lors la rage populaire ne connut plus de bornes, et quelques forcenés mirent les toits en flammes. Cet incendie, (page 469) autour duquel on faisait faction pour empêcher tout secours, devint effrayant ; un temps calme et pur favorisait l'activité de la flamme qui dévora en deux heures l'une des plus belles propriétés de la Belgique, propriété qui fut à la lettre détruite jusqu'aux fondements avec tout ce qu'elle contenait ! Ce grand malheur s'accomplit avec une espèce d'ordre, on était parvenu en quelque sorte à régulariser la dévastation et même l'incendie !
Ce fut là plus qu'un grand crime, ce fut une injustice ! Meeûs était innocent de tout ce dont on l'accusait ; il n'y avait pas même de prétextes ! au contraire, il méritait des éloges, des récompenses pour son patriotisme et son désintéressement ! Tout cela fut prouvé et démontré à l'évidence peu après ; tout le monde en convint et le reconnut !.... Il était trop tard.
Entrons ici dans quelques détails, l'intérêt général les réclame ; on ne peut trop jeter d'horreur sur ces scènes de brigandage à une époque si fertile en mouvements populaires ! Puisse cette leçon fatale être au moins utile dans l'avenir !
Le peuple de Bruxelles victorieux s'était montré humain, généreux, héroïque même envers ses plus implacables ennemis, et voilà qu'il se fait pillard et incendiaire sans motif, à l'égard d'un de ses meilleurs concitoyens ! Meeûs est un traître, disait-on, et sans examen, le public répéta d'abord ce cri de quelques brigands intéressés à justifier leur atrocité ! Cette qualification s'adressait à M. Ferdinand, l'aîné des deux frères dont on dévastait la propriété ! les imputations les plus odieuses trouvaient foi et crédit contre un homme jusqu'alors (page 470) universellement estimé. On l'accusait de tiédeur dans ses fonctions de chef secondaire de la garde bourgeoise, et de malversations en sa qualité de trésorier-général de cette garde ; on disait vaguement qu'il avait paralysé les intentions des bourgeois quand ils voulaient se joindre au peuple le 20 septembre et qu'il avait par-là nécessité les mouvements de cette journée ; qu'il avait recélé les armes de la garde bourgeoise, avait nié de les détenir et que, visite faite chez lui, de grand matin, après le départ des troupes, on y avait trouvé 600 fusils murés dans une citerne et des milliers de cartouches cachées dans des meubles ; qu'enfin il avait fabriqué dans ses maisons et cuit dans ses fours, pendant les 4 grandes journées, le pain de toute l'armée hollandaise ; avait accueilli, hébergé et nourri les officiers, etc. ; on le cherchait partout ; nul doute qu'il n'eût été massacré ! On le pilla, on l'incendia, et moins de huit jours après il était reconnu et proclamé innocent !
Des journaux, des brochures, écrites sous l'influence du moment, répétèrent tous ces mensonges, les accueillirent, et essayèrent mème de justifier la soi-disant vengeance du peuple ! On a imprimé et nous transcrivons ici avec répugnance, mais pour la nécessité de l'exemple :
« Qu'en vérité il fallait excuser cette vengeance populaire quand on en considérait la cause ; que le banquier Meeus faisait partie de la Commission de sûreté ; qu'il était trésorier de la garde bourgeoise ; qu'il en commandait une section, et que cependant son nom figurait avec d'autres qu'il fallait taire sur la lettre qui offrait au prince Frédéric les portes de la ville ! qu'à (page 471) côté de cette vengeance du peuple si prompte et si terrible quand il y avait délit flagrant, il fallait admirer sa modération dans le doute ; que M. Weemaels était accusé d'entretenir des intelligences coupables avec l'ennemi, que deux lettres adressées au prince Frédéric avaient été trouvées sur un de ses proches ; qu'il fut arrêté à la porte de la ville et incarcéré, mais que lui, sa famille et sa demeure furent respectées jusqu'à éclaircissements ; que, dans tous les cas, cette réaction populaire à l'égard de M. Meeûs, était une tache bien légère dans notre révolution, que les peuples comme les souverains ont leur colère ; qu'ils font aussi des exceptions à leurs amnisties ! que la maison incendiée avait été au fond la clef de l'invasion hollandaise ; que les premiers coups de fusil tirés sur le peuple étaient partis des croisées et des éclairs des caves de ce grand bâtiment ; que dès lors nos citoyens avaient frémi de rage en jurant de se venger après la victoire ! qu'ils avaient tenu parole et rien de plus ! que ce fut d'ailleurs un feu de joie allumé aux applaudissements d'un concours prodigieux de spectateurs ; que les murs isolés menaçaient d'écraser le peuple, mais qu'on les avait fait prudemment abattre à coup de canon dans l'intérieur pour arrêter l'intensité de l'incendie ; qu'il y avait dans les citernes une immense quantité d'huile à brûler accaparée pour en faire augmenter le prix et dont la valeur surpassait un million de florins ! que les flammes allant gagner ces vastes réservoirs, le peuple voulut y descendre pour se partager cette proie, mais qu'ayant juré point de pillage, il voulut garder strictement son serment pour la (page 472) leçon des rois ; qu'il consentait bien à jeter de l'huile sur le feu, mais non du feu sur l'huile et en brûler pour un million ; qu'il décida alors qu'il fallait vendre ce précieux liquide au profit des malheureux blessés que la perfidie de cette famille avait envoyés à l'hôpital ; que jamais souscription de bienfaisance ne fut remplie avec plus d'activité ; que dès que le bruit se fut répandu dans les bas quartiers que l'huile de Meeûs se vendait au profit des blessés, tout le peuple se rassembla et courut par attroupements faire sa provision d'huile pour passer l'hiver, muni de vases de toute espèce ; que des factionnaires tirés des rangs populaires veillaient à la distribution et à la recette qui se faisait aux yeux du public par des gens de probité ; que personne ne se dispensait de payer, que depuis des pièces d'or, jusqu'à des demi-cents, tout était religieusement et avec scrupule acquitté par le bas peuple ; que cette distribution dura plusieurs jours, qu'heureusement les citernes paraissaient être alimentées par un fleuve d'huile, etc., etc. »
Voilà ce qui a été imprimé et répandu partout. Avec de telles idées, de pareils principes, cette criminelle tendance à excuser les plus odieux excès et l'oubli du danger de la publication, on peut aller loin. On citait encore d'autres riches, d'autres prétendus partisans du roi. Il fallut envoyer des détachements pour garantir une fabrique, rue Terre-Neuve ; M. Weemaels et sa famille furent en effet arrêtés à la sortie de la ville, coururent de grands dangers et furent emprisonnés à l'Amigo par un groupe conduit par le nommé Napoléon Lecomte, (page 473) ouvrier typographe. Ils ne parvinrent à s'échapper que le lendemain. On articulait contre lui, avec autant de fondement que contre M. Meeûs, l'accusation d'avoir fourni au peuple, comme officier de la garde bourgeoise, des cartouches de son ou de charbon pilé et de bonnes cartouches de poudre aux soldats ; il était directeur provisoire de l'imprimerie normale ; sa maison fut sur le point d'être également incendiée ; on se borna heureusement aux démonstrations et aux menaces. Dans la même matinée furent aussi arrêtés MM. Haut, avocat et juge de paix de Woluwe, et Van Geél prêtre, et ancien vicaire de la paroisse du Finisterre ; le premier passait pour une créature du procureur du roi Schuermans ; le second était déguisé en femme. Ils furent bientôt relâchés ; le crime commun de tous ces messieurs n'était sans doute que d'avoir quelques envieux alors métamorphosés en ennemis et à qui il suffisait, pour exaspérer et indigner le peuple, de prononcer dans quelques groupes les mots de traîtres et d'espions.
Pendant trois jours entiers les pauvres s'approvisionnèrent d'huile chez M. Meeûs ; ceux qui la payèrent furent en bien petit nombre ! et la preuve c'est qu'on avait d'abord justifié ce pillage par le danger de laisser brûler cette denrée ! il y avait quatre citernes qui contenaient au-delà de 8,000 tonneaux ; tout fut enlevé ! la populace et surtout des femmes en guenilles colportaient leur proie de rue en rue et même l'offraient en vente aux passants et aux portes parmi toute la ville. Ce spectacle était repoussant et souillait la victoire !
Une autre maison de M. Meeûs, tout nouvellement (page 474) construite sur la place d'Orange et séparée par le jardin du grand corps de logis, échappa à l'incendie ; mais elle fut pillée de fond en comble et même démolie en partie ; on y enleva jusqu'aux escaliers, aux charpentes et aux toitures ; ce brigandage dura trois jours. C'était un but de promenade pour les nombreux spectateurs.
Qu'arriva-t-il cependant, bien peu de jours après, quand les passions furent refroidies et que l'on examina de plus près la conduite de l'homme dont la fortune avait été livrée en curée à la populace ?
Que l'on reconnut que les armes que M. Ferdinand Meeûs était accusé d'avoir réunies chez lui et qui, dans le fait, avaient été par ses ordres réunies au corps de garde de la rue de Schaerbeek, ne consistaient qu'en 60 ou 80 fusils rachetés par lui depuis le 26 août, des mains de ceux qui les avaient pillés ; que ces fusils n'étaient nullement destinés aux ennemis ; qu'il était de toute fausseté que M. Meeûs fut d'intelligence avec les Hollandais, puisqu'il avait quitté son domicile avec toute sa famille au moment de l'entrée des troupes ; que celles-ci s'étaient emparées de sa maison abandonnée par lui et s'y étaient logées de force ; qu'elles avaient même débuté par y égorger de sang-froid, le 23 ou le 24, deux hommes restés pour la garder ; savoir : M. F. Broeckaert, courtier d'huile, vieux et loyal employé de la maison, et le nommé Gérard, domestique ; que leurs cadavres furent en effet retrouvés à demi enterrés dans le jardin et portant des traces de barbarie et de mutilation que la plume se refuse à décrire ; que les soldats, après les avoir tués, tirèrent à bout portant sur (page 475) trois femmes, réfugiées dans la cuisine, et les blessèrent toutes trois dangereusement !
On éprouva sans doute alors des regrets, des remords ! car il faut convenir en effet que ce n'est pas ainsi que les Hollandais seraient entrés chez leur partisan !
Mais ce n'était pas assez que M. Meeûs fut reconnu et proclamé innocent ; il fallait démontrer qu'il était digne d'éloges, d'estime et de reconnaissance ! et à cet effet, nous ne pouvons mieux faire que d'insérer ici l'extrait de la lettre par lui écrite à son frère, les réflexions de ce dernier et l'arrêté du gouvernement provisoire qui autorise la publication de ces documents. (V. ci-après, pièce no 3.)
L'on voit par ces lettres, qui furent partout affichées, que MM. Meeûs regrettaient moins leurs propriétés, qu'ils n'étaient affectés d'avoir été mal jugés ! Le même jour, M. Meeûs Vandermaelen, qui avait partagé les pertes du frère qu'il justifiait si noblement, fit transporter dans sa maison de campagne, la seule demeure qui lui restât, 12 blessés Bruxellois qu'il y fit soigner à ses frais jusqu'à complète guérison ! e fut là leur vengeance ! Ces sentiments, ces traits ennoblissent, rehaussent notre révolution !
Des hommes bien instruits et qui remontaient aux causes primitives ont prétendu que ce malheur avait une origine qui remontait à 35 ans ! que de vieilles haines n'avaient pu oublier que M. Meeûs père avait jadis acquitté grand nombre de dettes en assignats détériorés ! Nous rapportons ce bruit comme remarque qui subsiste !
(page 476) Au surplus, cette déplorable erreur populaire qui ajouta à tant d'autres calamités qui frappaient Bruxelles un désastre engloutissant près d'un million de francs, fut heureusement la seule qui vint attrister alors le triomphe de notre cause ; le Gouvernement provisoire montra de l'énergie et saisit, d'une main ferme, les rênes du pouvoir ; il empêcha d'autres excès et se montra d'accord avec l'opinion publique quand, peu de jours après, il appela M. Ferd. Meeûs aux fonctions de gouverneur de la Banque. C'était restituer, bien plus que réparer !
Mais son autorité, née de la seule loi de la nécessité, ne pouvait se légitimer qu'en satisfaisant à tous les besoins avec efficacité et promptitude ; c'était aussi indispensable que difficile ; l'on vit clairement que ce fut son étude et son but, nous ajoutons même son chef-d’œuvre dans sa position. De jour en jour, de minute en minute, sa puissance était reconnue hors des murs de Bruxelles et s'étendait au loin ; dès lors tout était consommé et toute scission impossible parmi nous ; du moment que cette impulsion irrésistible fut connue et consacrée, la Belgique était sauvée et indépendante !
Il n'entre point dans le plan de notre travail de présenter ici l'historique complet des travaux et des œuvres du Gouvernement provisoire ; nous nous bornons à insérer quelques-unes des pièces émanées de lui ou de ses agents, sous la date du 27, et qui suffiront pour donner une idée de la situation des hommes et des choses à Bruxelles à l'époque critique dont nous nous occupons. (V. ci-après, pièces nos 4, 5 et 6.)
(page 477) Le service des voitures publiques et des postes avait été interrompu depuis le 21, du moins sur la plupart des routes ; M. Louis Bronne fut chargé de réorganiser cette partie qui reprit son activité à dater de ce jour ; des affiches l'apprirent au public ; mais les voitures et diligences durent s'arrêter encore pendant plusieurs semaines en dehors des portes de la ville, à cause des barricades qui continuèrent d'empêcher toute circulation intérieure. Un avis du directeur, affiché le même jour, apprit néanmoins au public que toute correspondance avec la Hollande était rompue.
Dès ce premier jour de la victoire le gouvernement autorisa plusieurs officiers à lever des corps francs ; ces commandants en informèrent aussitôt le public par affiches ; on remarqua parmi eux, outre MM. Ernest Grégoire et Rodenbach, MM. J.B. Elskens, dit Borremans, et Niellon, à Bruxelles, Bodson dans la province, Bouchez, à Fleurus, Nalinne, à Charleroy, Pirmez, à Châtelet ; le nombre de ces autorisations s'éleva bientôt à 20 et plus. Un ordre du jour, daté du 27, et signé, pour le général en chef, par le capitaine aide-de-camp de service Nique, enjoignit à tous les commandants d'envoyer au quartier-général, chaque jour à sept heures du matin, un rapport exact de tous les renseignements par eux recueillis sur les principaux faits d'héroïsme qui avaient eu lieu les jours précédents.
Mais ce n'était pas assez d'observer l'ennemi en retraite ; il n'était pas loin encore, il pouvait se renforcer, tenter une seconde attaque ; il fallait donc il fallait donc pourvoir aux moyens de défense de Bruxelles, les augmenter, les (page 478) régulariser ; dès le 27, de nouvelles barricades s'élevèrent dans la rue Royale ; elles furent garnies d'artillerie ; on conçut le plan, depuis exécuté, d'entourer la ville de fossés ou retranchements sur toute la ligne des boulevards ; l'ordre du jour suivant fut affiché. (V. ci-après, pièce n°7.)
Cette journée fut terminée par un événement marquant, le retour de M. de Potter. Ce nom est si connu et a exercé tant d'influence que nous croyons devoir entrer ici dans quelques détails.
Vers le milieu de la nuit du 26 au 27, MM. Windelinckx de Tirlemont et Deneck de Molenbeke, arrivèrent en courriers à l'Hôtel-de-Ville, envoyés par M. de Potter au Gouvernement provisoire, pour s'informer s'il pouvait revenir. Parti de Paris le 18, il était à Lille depuis plusieurs jours en y attendant les événements ; mais ils l'avaient quitté aux frontières de France déjà en route pour Bruxelles. M. l'agent-général Engelspach se trouvait seul en ce moment à l'Hôtel-de-Ville, et n'ayant pas de qualité pour donner une réponse, il engagea les envoyés à attendre jusqu'au lendemain, 9 heures du matin, moment fixé pour l'entrée en séance du Gouvernement provisoire.
Vers 10 heures du matin ces messieurs repartirent porteurs de la pièce suivante (V. ci-après, n° 8. )
On s'étonna de cette vague rédaction et de ce qu'elle ne contenait pas même le mot de grâce, d'amnistie ou de remise de la peine criminelle infamante qui frappait M. de Potter.
Celui-ci reçut cette invitation à Enghien et pressa son postillon.
On put alors apprécier l'immense popularité qu'il avait acquise en Belgique ; elle surpassait tout ce dont on pouvait se rappeler en ce genre, même celle de Vandernoot ! même celle dont avait joui le prince d'Orange pendant près de 16 années ! Son voyage, depuis Tournay où il fut reconnu, en donna la mesure. Ce fut à la lettre une marche triomphale ! Il aurait pu faire ces 20 lieues porté ou plutôt traîné à bras ; de toutes parts, on accourait sur son passage, pour le toucher, pour le voir ; les bourgmestres, les autorités, les sociétés d'harmonie l'attendaient et l'escortaient ; on se disputait l'honneur de le recevoir et de l'accueillir ; à Tournay, Leuze, Ath, Enghien, Halle, et enfin à Bruxelles, on détela sa voiture et des hommes la traînèrent malgré toutes ses instances réelles ou simulées ! On criait partout vive la liberté ! vive de Potter ! vive le Lafayette belge ! vive notre défenseur ! Des dames, des demoiselles briguaient l'honneur d'aller l'embrasser ; on lui présentait des fleurs, des lauriers ! Il pleurait de joie et d'attendrissement ! c'était mieux que Louis-Philippe au 31 juillet.
L'opinion du peuple n'était point fondée sur les écrits peu connus du banni ; elle avait pris naissance dans les absurdes poursuites, persécutions et condamnations dont il avait été l'objet de la part d'hommes jaloux, bien à tort, de sa faveur populacière ; son nom avait servi de premier cri de ralliement dans la révolution ; depuis 1828 les journaux avaient préparé adroitement sa popularité ; les pétitions étaient aussi arrivées fort à propos à son secours, enfin les événements de Bruxelles venaient de la porter à son apogée. Ce sentiment unanime (page 480) du public envers Mr de Potter, cet engouement incroyable, qui était alors sincère et de bonne foi, lui donna une influence prodigieuse sur les destinées de la Belgique ; cette influence dura 47 jours !.... Sa popularité lui a-t-elle survécu ? Mais on en est depuis lors à se demander si M. de Potter existe encore ! On l'ignorerait même complètement sans certains pamphlets ou lettres par lui publiées de temps en temps. Mais n'anticipons point sur les événements.
A 6 heures du soir M. de Potter arriva à la porte d'Anderlecht suivi d'une foule innombrable et de plusieurs contingents de volontaires armés qui l'avaient rejoint en route. Il y trouva un détachement nombreux de la garde bourgeoise, et plus de 20,000 de nos citoyens parmi lesquels on remarquait plusieurs de nos blessés. Il fit à pied le trajet jusqu'à l'Hôtel-de-Ville, accompagné de tout ce cortège qui grossissait à chaque instant. On porta sa voiture au-dessus des barricades.
La foule était si grande qu'il eut peine à pénétrer à l'Hôtel-de-Ville ; il y fut reçu par tous les membres du Gouvernement provisoire qui se précipitèrent sur lui et faillirent l'étouffer dans leurs embrassements en le nommant le principal auteur de la révolution.
Vers 7 heures il parut au balcon du côté de l'Amigo ; M. l'agent-général Engelspach le présenta au peuple à qui M. de Potter adressa quelques mots qui ne furent que peu ou point compris ; quelques instants après, M. d'Hoogvorst le présenta également à la foule du côté du Marché. Il y répéta son allocution dont on ne put guères saisir que ces mots : Je viens me dévouer (page 481) pour ma patrie, mais à condition qu'il n'y ait plus de vengeances, plus de réactions comme celles qui ont déshonoré le commencement de cette journée chez M. Meeûs. Un tonnerre ou hurrah d'applaudissements couvrit sa voix ; différents cris tels que vivent nos défenseurs et ceux de nos libertés ! vive de Potter ! vivent les Belges ! mort aux Hollandais ! mort à nos assassins ! vive notre grand citoyen que nous attendions ! voilà l'homme qu'il nous faut et qui nous manquait ! et toujours mêlés d'acclamations, éclatèrent non seulement dans les environs, mais encore jusque dans des quartiers reculés de la ville, au point qu'on en fut un instant inquiété ; on n'avait encore rien vu de semblable, ni de si universel ; sous plusieurs rapports cette journée, cette entrée marqueront dans les fastes de Bruxelles. La providence, disait-on, accorde trop à cette ville en un jour ; le lever du soleil vit son sol purgé de l'ennemi et son coucher y ramène le régénérateur de nos libertés ! Que de bénédictions ! Dormons maintenant en paix ; la sentinelle des Belges est à son poste ; disons lui comme Voltaire à Montesquieu : LE PEUPLE AVAIT PERDU SES TITRES, VOUS LES AVEZ RETROUVÉS POUR LES LUI RENDRE.
Nous verrons sous la date du lendemain 28, les premiers actes publics auxquels donna lieu l'arrivée de M. de Potter, prévue depuis que la victoire s'était déclarée pour nous ; ils furent élaborés dans la nuit. Nous verrons aussi que ce fut son passage à Ath qui excita le peuple au point qu'il osa aussitôt attaquer la garnison, la désarmer et s'emparer de la citadelle.
Cette journée du 27 se termina à Bruxelles par une (page 482) vive alarme ; vers 7 heures du soir le feu reparut à l'hôtel Torington où il n'avait pas été complètement éteint depuis 36 heures, et malgré tous les secours possibles, il y consuma encore un bâtiment de derrière. Le tocsin sonna à toutes les paroisses ; des coups de fusil se firent entendre. La générale battit de toutes parts, et d'après ce tumulte inattendu, à la fin d'une journée de repos, l'on ne douta plus que les troupes de Vilvorde renforcées ne revenaient tenter une attaque nocturne ; tout fut à l'instant sur pied ; on courut aux armes en se portant en masse vers le Parc qui était le point de ralliement ; la garde bourgeoise commençait à reparaître en pelotons ; on renforça les barricades, on en ébaucha bon nombre de nouvelles ; tout prit un élan spontané qui dut tranquilliser les habitants et rassurer les chefs sur les dispositions et l'énergie du peuple. C'était cependant une fausse alerte que l'on attribua même alors à des ordres supérieurs ; mais on n'en fut bien convaincu que vers le jour ; nos volontaires mieux commandés restèrent aux boulevards et près des trois portes qu'avait occupées l'ennemi et par où on l'attendait encore, le reste de la nuit se passa dans le calme ; il n'y eut pas davantage le moindre désordre ; plus de 10,000 hommes étaient cependant alors à Bruxelles sous les armes et sur le qui-vive.
Pièces publiées à Bruxelles le 27 septembre 1830
(page 483) No 1. Bulletin
Du quartier-général, le 27 septembre 1830, à 6 heures et demie du matin.
A Messieurs les Membres du Gouvernement provisoire.Messieurs, l'ennemi, dont sans doute la chaude journée d'hier a complété le déplorable état de démoralisation, a senti l'impossibilité d'une plus longue résistance et vient d'abandonner nos murs. L'héroïque Bruxelles est libre. Le Parc et toutes les portes de la ville sont occupées par nos braves ; le major Palmaert, mon premier adjudant, est nommé gouverneur des palais.
Les faits remarquables qui ont signalé cette journée sont si nombreux et nos occupations en ce moment si multipliées malgré la coopération de généreux amis et des officiers distingués qui m'entourent, que je me vois pour l'instant dans l'impossibilité de vous donner tous les détails nécessaires sur ce glorieux événement. Dès que j'en aurai le loisir, l'un de mes premiers soins, comme de mes devoirs les plus chers, sera de vous faire connaître les services rendus par tant de généreux citoyens, dont plusieurs ont payé de leur sang cette mémorable victoire. Une des pertes les plus sensibles pour moi est celle de mon adjudant, baron Fellner, qui a péri en conduisant, l'épée à la main, un de nos détachements à l'attaque du fond de la Madelaine, position si dangereuse et si longtemps disputée.
Une revue générale de nos forces actives aura lieu demain.
Le commandant en chef : JUAN VAN HALEN.
(page 484) No 2. Rapport de M. JARLET, capitaine de la 8ème section
AU GOUVERNEMENT PROVISOIRE.
J'ai l'honneur de vous rendre compte que le 22 de ce mois, en vertu d'un ordre écrit qui me fut adressé directement de l'Etat-major de la place, par Mr le Major Palmaert, pour renforcer de 10 hommes le poste du palais du prince d'Orange, qui se trouvait alors réduit à 11 hommes, commandés par Mr Leveaux, lieutenant de ma compagnie, j'envoyai à ce palais, vers midi du même jour, 6 hommes de bonne volonté, les seuls que j'aie pu réunir, et fus de suite à l'Hôtel-de-Ville pour faire connaître qu'il m'était impossible de compléter le nombre de 10 hommes réclamés, à moins de m'y transporter moi-même comme simple garde avec deux hommes qui me restaient et qui consentaient à s'y rendre si j'y allais avec eux ; ma proposition ayant été accueillie à l'état-major, je me présentai au palais, avec mes deux hommes, vers 2 heures de l'après-midi. A 8 heures du soir, Mr Kosaert, 1er lieutenant de la compagnie, s'étant présenté avec 9 hommes seulement pour nous relever, je parvins à déterminer 5 des hommes par moi envoyés dans la journée, à demeurer au poste avec la garde montante et, vu l'urgence d'assurer le service, j'y restai moi-même toujours comme simple garde.
Le 23, à 9 heures du matin, les troupes se présentèrent devant les palais et y prirent position. Je jugeai alors nécessaire de prendre le commandement de tout le poste et j'instruisis un officier supérieur qui se présenta devant la grille du motif de notre présence et du service dont nous étions chargés pour préserver le palais de tout excès. Cet officier m'ordonna de rester à mon poste et de continuer mon service jusqu'à nouvel ordre.
Quelques heures après et jusqu'à 10 heures du soir de ce même jour 23, une grande quantité de soldats blessés furent dirigés (page 485) sur le palais où je leur fis administrer, autant que possible, par un homme de garde, tous les soins que réclamaient leur position et l'humanité. Le soir la troupe entra dans le palais pour y passer la nuit, et, de ce moment seulement, je remis ce poste à Mr Mathon, colonel des grenadiers ; désirant alors profiter de la nuit pour quitter le palais où la présence de mes hommes de garde n'était plus nécessaire et rentrer en ville avec eux, j'en fis la demande au colonel Mathon qui s'y opposa. Alors j'occupai mes hommes à faire dans les caves du bouillon et de la charpie pour les blessés.
Le 24 au matin, je me mis en communication avec Mr O…, major de la garde bourgeoise, commandant supérieur des trois palais et qui occupait celui du roi, avec Mr le capitaine V..., et 40 hommes de garde.
La journée du 25 et une partie de celle du 26 se sont passées sans qu'il soit survenu aucun changement dans notre position, si ce n'est une communication qui s'est établie entre les deux palais, par le jardin de celui du roi et l'hôtel de Mr le marquis d'Assche.
Le 26 au soir, Mr le major O..., n'ayant plus avec lui que quelques hommes des 40 qui avaient appartenu au poste du palais du roi, vint avec Mr le capitaine V... au palais du prince d'Orange pour s'adjoindre à moi et pour nous concerter ensemble sur les mesures à prendre dans le cas où les troupes évacueraient leurs positions pendant la nuit. Le feu qui venait de se déclarer près de l'aile droite du palais du roi (quartier du prince Frédéric) nous obligea de nous séparer sans avoir rien arrêté, et depuis ce moment jusqu'à deux heures après minuit, tous mes hommes de garde, de concert avec les troupes, furent occupés à aider à transporter des palais du roi et du prince Frédéric, dans le palais du prince d'Orange, tous les objets les plus précieux pour les sauver, dans la crainte où l'on était que les deux premiers palais ne fussent la proie des flammes.
Le 27, à 3 heures du matin, les troupes commencèrent leur évacuation du palais du roi ; celles qui occupaient le palais du (page 486) prince d'Orange suivirent le même mouvement pour se retirer de la ville et gagner la campagne. Pendant ces différentes marches, Messieurs O... et V... se consultèrent et me proposèrent de nous retirer avec les troupes. Je fis observer à ces Messieurs qu'ayant encore 15 hommes de garde avec moi, mon devoir exigeait impérieusement que je restasse au milieu d'eux pour ne pas les abandonner à eux-mêmes, et faire de concert tous nos efforts pour, en reprenant notre service après le départ des troupes, préserver les palais de l'invasion de la populace et de tout excès. Je priai vivement ces Messieurs de se joindre à moi, à l'effet de faire tout ce qui dépendrait de nous pour atteindre ce but. N'ayant pas réussi à faire partager mon avis par ces deux officiers, ils ont suivi la troupe, et à 4 heures 1/2 du matin, je me trouvai seul au palais du prince d'Orange avec mes 15 hommes de garde, Mr Gérard, concierge, et 3 domestiques.
Je fis aussitôt fermer toutes les portes par le concierge, en lui recommandant surtout les issues donnant dans le grand vestibule où avaient été déposés tous les objets précieux évacués pendant la nuit du palais du roi ; je plaçai de suite des factionnaires partout où le besoin le réclamait.
Vers 6 heures, j'envoyai des reconnaissances de 2 à 3 hommes sur la plaine des palais, jusqu'à l'hôtel de Belle-Vue et dans d'autres directions pour annoncer partout que les troupes avaient évacué et que la garde bourgeoise avait repris son service au palais ; on tira plusieurs coups de fusil sur mes hommes, mais heureusement aucun ne fut blessé, et tous eurent le bonheur de rentrer au palais suivis d'une multitude de citoyens de la ville qui affluaient de toutes parts. Dans ces entrefaites, j'avais recueilli au palais jusqu'à 17 déserteurs hollandais qui circulaient dans les environs ne sachant que devenir. Ils me furent réclamés par différents citoyens armés qui se chargèrent de les conduire au quartier-général.
J'envoyai de suite demander à l'Etat-Major une nouvelle garde pour me relever, et à 8 heures 1/2, je remis mon service à M. le major Palmaert qui se présenta avec 30 hommes de garde.
(page 487) Je me félicite d'autant plus d'être resté à mon poste dans cette circonstance difficile, qu'aussitôt que les habitants des environs apprirent l'évacuation des troupes, la nouvelle s'en répandit spontanément dans toute la ville, que le peuple affluait en foule devant la grille et que j'eus besoin d'employer à la fois la fermeté, la prudence et la modération pour préserver le palais d'être envahi.
Bruxelles, 27 septembre 1830.
Signé JABLET.
No 3. Extrait d'une lettre de M. Ferdinand Meeûs à son frère, datée de Mons, 1er octobre 1830
Échappé par le plus grand des hasards, avec ma femme et nos cinq enfants, à la fureur des soldats qui m'avaient cherché pour me fusiller, cerné par eux dès les premiers instants et sachant qu'ils avaient pillé ma maison, j'étais enfin parvenu dimanche matin à sauver de Bruxelles ma malheureuse famille, dans la crainte que nous ne fussions les victimes des troupes dans leur retraite. J'étais près de Louvain lorsque j'appris avec certitude cette retraite, et déjà je me disposais à retourner dans notre illustre Bruxelles, lorsqu'on m'informa que le peuple, sur des bruits vagues, (que mes sentiments et mon amour pour notre pays, dont j'ai donné des preuves auraient dû étouffer dès leur naissance) avait incendié ma propriété ; cette action eut sans doute son principe dans l'intention de rendre chaque maison de Bruxelles inabordable à l'ennemi, en vouant à la destruction celles que sa présence avait souillée, et je cesse de m'en plaindre pour ne former que des vœux pour l'affranchissement de notre patrie.
Signé, F. MEEUS.
Ces lignes écrites à un frère peuvent être lues de tous.
(page 488) L'honnête homme n'a rien de plus à désirer que la connaissance de la vérité.
Dans l'âme de nous tous, membres de la même famille, qui avons souffert les mêmes malheurs, il ne reste de regrets que ceux de ne plus être à même, pendant quelque temps, de donner du pain à tant de personnes que nous faisions vivre.
Depuis 78 ans, nous répandons de l'argent dans la classe ouvrière par notre fabrique de dentelles (Meeûs Vanderborcht.)
Depuis 10 ans M. Ferdinand Meeûs répand sa fortune parmi les ouvriers et la fixe dans Bruxelles par ses constructions et ses fabriques.
Personne plus que nous ne désire la liberté de notre patrie, pour laquelle nous avons toujours été et serons toujours prêts à faire les plus grands sacrifices.
Signé, MEEUS-VANDERMAELEN.
Le gouvernement provisoire, comité central, autorise sur sa demande, M. Meeûs-Vandermaelen à faire publier et afficher la lettre et l'adresse ci-dessus. Il saisit cette occasion pour recommander à tous les citoyens le maintien de l'ordre public et de la tranquillité. Quand un peuple a combattu si vaillamment contre les ennemis du dehors, il doit respecter et faire respecter au dedans les personnes et les propriétés.
Bruxelles, 2 octobre 1830.
DE POTTER, CH. ROGIER, S. VAN DE WEYER.
No 4. Victoire ! Victoire !
Le gouvernement provisoire porte à la connaissance du brave peuple belge que les Hollandais ont cédé aux efforts des généreuses (page 489) populations qui ont combattu avec un courage digne de leur antique réputation.
Braves belges ! ce n'est pas assez d'avoir vaincu vos ennemis dans Bruxelles ; il faut consolider votre victoire en organisant les moyens de combattre au-dehors.
En conséquence, tous les volontaires des villes et communes présents à Bruxelles, se rendront à onze heures autour du Parc, où ils recevront une organisation provisoire par compagnies et bataillons.
Fait à Bruxelles le 27 septembre 1830.
MM. le baron VANDERLINDEN D'HOOGVORST ; CH. ROGIER ; le comte FÉLIX DE MÉRODE ; GENDEBIEN ; S. VANDEWEYER, JOLLY ; J. VANDERLINDEN, trésorier ; Baron F. DE COPPIN, J. NICOLAY, secrétaires.
No 5. Gouvernement provisoire
Tous les braves citoyens qui ont enlevé des armes à l'ennemi pourront les rapporter à l'Hôtel-de-Ville ; ils en seront payés au comptant. Ces armes sont destinées à l'armée qui s'organise.
Bruxelles, 27 septembre 1830.
Mêmes signatures.
No 6. Au peuple belge
Vous venez de remporter une belle victoire ; cette gloire restera pure. Il n'y a que vos ennemis et ceux de la patrie qui poussent aux excès, excitent au pillage, ou s'y livrent eux-mêmes pour s'enrichir ignominieusement ou favoriser une nouvelle (page 490) attaque. Le gouvernement provisoire aura les yeux sur eux ; il compte sur le peuple de Bruxelles pour les contenir et les châtier.
Bruxelles, 27 septembre 1830.
Mêmes signatures.
N° 7. Ordre du jour
QUARTIER-GÉNÉRAL.
M. le vicomte de Culhat, qui commandait hier l'attaque des derrières du palais du roi, est chargé par moi commandant en chef des forces militaires, d'activer énergiquement la fortification civique de cette énergique ville et particulièrement celle du Parc. Il travaillera de concert avec MM. Fafchamps et Bayet et sera secondé par la commission civile du quartier-général. Bruxelles, le 27 septembre 1830.
Le commandant en chef,
JUAN VAN HALEN.
No 8. Le Gouvernement provisoire
invite M. Louis de Potter à rentrer dans sa patrie. Il adresse la même invitation à tous les Belges qui sont en France.
Bruxelles, 27 septembre 1830.
Signés : GENDEBIEN, ROGIER, JOLLY, et les deux secrétaires.