(Paru à Bruxelles en 1830, chez H. Tarlier)
Second tocsin. Fausse alerte de nuit. Les Bruxellois sortent en plus grand nombre. Les avant-postes ennemis sont repoussés sur tous les points et se replient sur Vilvorde et Assche. Rentrée triomphante des Bruxellois et des Liégeois. La proclamation du prince Frédéric est méconnue et méprisée. La Gazette des Pays-Bas qui l'insère est brûlée. Violation du droit des gens dans la personne de MM. Ducpétiaux et Everard. Nouvelles de Namur, Mons, Liége, Louvain, etc. Etats Généraux. Adresse au roi
(page 237) Après la rentrée de nos tirailleurs et le placement des vedettes, les travaux des barricades cessèrent le 21 à la chute du jour ; ou avait pris toutes les précautions nécessaires pour éviter une surprise nocturne, on s'était retiré, et toute la nuit du mardi au mercredi fut du plus grand calme jusque vers une heure du matin.
Mais alors un de nos postes avancés crut reconnaître l'ennemi en marche au-dessus de Dieghem ; il donna et répandit l'alarme ; aussitôt le tocsin sonna de nouveau à toutes les églises, on entendit battre partout la générale, et la ville fut sur pied en un instant ; nos tirailleurs coururent à toutes les portes ; des fortes patrouilles circulèrent en même temps, des reconnaissances furent poussées à l'extérieur, on continua à dépaver les rues et à se munir de pierres dans les maisons, on travailla aux barricades avec une nouvelle ardeur ; il n'y avait plus là de garde bourgeoise proprement dite, mais aussi ne pouvait-on plus faire de distinction entre le peuple et les bourgeois ; la haine et le danger les avaient confondus et unis.
Vers 3 heures du matin le tocsin cessa ; on reconnut que c'était une fausse alerte et que l'ennemi s'était éloigné si toutefois il était bien certain qu'il se fut avancé ; tout rentra dans l'ordre et le calme, mais un très grand nombre de nos défenseurs ne déposèrent pas les armes.
On s'était aperçu la veille et l'on fut convaincu ce jour-là que l'ennemi dissimulait soigneusement le nombre et la nature de ses forces et ne mettait aux premiers rangs que des soldats hollandais. On en fut satisfait ; cela dispensait de verser du sang belge et démontrait que l'ennemi en était dès lors réduit à se défier de la meilleure partie de son armée.
Toute la journée du mercredi 22 se passa à l'intérieur de Bruxelles tranquillement et sans le moindre désordre ; on paraissait en général ne pas pouvoir croire à la possibilité des scènes du lendemain, ni à une attaque sérieuse, et ces préparatifs, ces barricades, on les faisait bien plutôt pour intimider l'ennemi que pour lui opposer des obstacles réels. Les pauvres travaillaient avec ardeur ; quelques riches affectaient de mettre la main à l'œuvre pour se rendre populaires, d'autres haussaient les épaules, et fort peu étaient de bonne foi et y mettaient un véritable zèle.
Il n'y avait d'autre mouvement que celui des volontaires auxiliaires qui commençaient à arriver de toutes parts en plus grand nombre et qui, réunis aux Bruxellois ou isolés, se portaient en armes (page 239) au-devant de l'ennemi avec plus d'ardeur que jamais.
La compagnie franche de M. Rodenbach, partie le 20 au soir pour Louvain, en revint le 22 à 10 heures du matin avec un renfort de 150 Louvanistes et 2 pièces de canon ; ils avaient couru des dangers à leur retour près de Cortenberg ; ils avaient trouvé la route barrée par deux escadrons de dragons soutenus d'artillerie ; mais ces troupes se retirèrent à leur approche sans juger à propos d'en venir aux mains. Les Louvanistes furent casernes avec les Liégeois à Sainte Elisabeth et aux Annontiades et coururent au feu sur-le-champ ; leur dévouement à la cause de Bruxelles était d'autant plus louable qu'ils n'ignoraient pas que leur ville était aussi au moment d'être attaquée, comme nous le verrons bientôt et dès le lendemain.
Nos volontaires, enhardis par l'inaction de l'ennemi, sortaient de la ville en plus grand nombre ; on a dit que ce jour-là ils avaient été environ 900 sur tous les développements de la ligne de bataille, y compris les Liégeois au nombre de 200 environ, mais sans garder plus d'ordre ; la mousqueterie se fit entendre dès 8 heures du matin et ne discontinua pas jusqu'à 6 heures du soir dans les deux directions de Dieghem et de Zellick ; le bruit de l'artillerie ne tarda pas à s'y joindre ; on se battait à une demi-lieue ou trois quarts de lieue de Bruxelles.
Mais les sections ne paraissaient plus disposées à soutenir les volontaires comme la veille, soit qu'elles ne voulussent combattre que pour la défense de la ville, soit que l'absence de tout gouvernement les eût découragées. Ainsi 8 à 9 cents hommes étaient en réalité la (page seule force disponible, la seule sur laquelle on pût compter dans tous les cas. Ils eurent leurs deux champs de bataille, les troupes se montrant encore des deux 241) côtés opposés de la ville, sur la route de Flandre, et près de celle de Louvain. Sur la première, on tirailla quelque temps contre un bataillon de la 5e division, soutenu par quatre cents hussards du 6e régiment ; mais deux pièces de canon sorties de la ville décidèrent bientôt les soldats à la retraite. Du côté de Dieghem la fusillade se prolongea davantage, et les bourgeois se flattaient déjà du succès, quand l'ennemi démasqua une batterie de huit pièces, dont deux obusiers. La décharge de cette artillerie enleva six hommes, non pas aux combattants, mais aux spectateurs du combat qui avaient l'imprudence de suivre de trop près les tirailleurs. Les troupes s'approchèrent ensuite jusqu'à une demi-lieue de Bruxelles, sans que le petit nombre de volontaires qui se trouvait là pût les arrêter, car elles formaient toute une armée. Il y avait dix bataillons de ligne, quatre de la garde, douze escadrons de cavalerie, et une artillerie nombreuse. Un corps aussi considérable eût facilement réussi à couper et à détruire les imprudents tirailleurs qui venaient le braver. Mais, quoique la cavalerie les enveloppât, elle parut vouloir leur laisser la retraite libre afin qu'ils reportassent à Bruxelles la nouvelle de l'approche de tant d'ennemis.
On a peine à concevoir ici l'erreur ou l'aveuglement du prince Frédéric ; déterminé depuis deux jours à emporter Bruxelles de vive force, s'il le fallait, il l'annonce clairement par sa proclamation du 21 ; il fait (page 241) ensuite le même jour reconnaître les alentours de la ville et sonder le terrain par de forts détachements de toutes armes dont l'attitude hostile irrite les Bruxellois qui viennent les attaquer. Loin d'être corrigé par cette leçon, loin de voir qu'au lieu d'en imposer, il exaspère les esprits et double l'énergie et les forces du peuple, il recommence le même manège le lendemain 22, et fait les mêmes démonstrations avec plus de moyens et de troupes ! et tout aboutit au même résultat ! et le soir il n'avait encore pour sa part que la retraite et l'humiliation d'avoir aguerri les forces bruxelloises et décuplé les moyens de défense de la ville pour le lendemain ! Il fut donc trompé ou il se trompa ! mais il dut bientôt comprendre enfin que les princes ne se trompent jamais impunément !
Ceux de nos tirailleurs qui sortaient par la porte de Schaerbeek eurent affaire avec les dragons et à plusieurs compagnies de grenadiers et de chasseurs qui avaient de l'artillerie et qui s'avançaient jusques vers le village même de Schaerbeek, soutenues par toute une armée comme nous venons de le dire ; on a même aperçu des dragons voltiger sur la route de Louvain près du cimetière et du bois de Linthout, à la vue des boulevards.
Les escarmouches eurent lieu comme la veille, mais il y avait plus de monde des deux côtés et elles furent plus sanglantes ; plusieurs des nôtres adroits chasseurs et armés de fusils de chasse à 2 coups firent quelque mal aux dragons ; il est impossible de pouvoir fixer le nombre de tués ou blessés ; on a trop varié sur ce point dans tous les rapports ; mais on peut évaluer la perte des (page 242) Hollandais dans cette seconde journée, à une douzaine d'hommes et quelques chevaux. Celle des Bruxellois et de leurs auxiliaires fut moindre encore.
Deux pièces de notre artillerie étaient déjà sorties de la ville la veille ; le 22, elles prirent position sur les boulevards près la porte de Schaerbeek prêtes à foudroyer l'ennemi s'il approchait.
Sur la route de Flandre, les escarmouches ne furent pas moins vives ; la fusillade fut continuelle toute la journée dans la direction du moulin de Ganshooren vers Zellick ; les hussards y étaient avec de l'artillerie ; trois de nos pièces traînées par des chevaux de paysans qui secondaient les nôtres avec courage, sortirent la porte de Flandre vers midi ; mais quand elles arrivèrent sur les hauteurs occupées par les nôtres, les hussards avaient rétrogradé et se trouvaient hors de portée ; il eût été trop imprudent de les poursuivre ; cette artillerie rentra en ville vers le soir, avec un grand nombre de nos détachements, aux acclamations de la foule qui aplanissait les barricades devant elle, et les relevait ensuite sur-le-champ. Ce retour de nos volontaires Bruxellois, Liégeois, Flamands, Wallons, etc. avec leur artillerie ressemblait à une sorte de triomphe.
Nos factionnaires avancés virent distinctement que, vers le soir, l'ennemi conservait toutes ses positions, sans s'avancer. Si par là le prince Frédéric voulut nous tendre un piège et nous endormir sur ses projets homicides du lendemain, il fut encore bien déçu dans ses idées invariablement empreintes d'erreurs et d'illusions !
La Gazette des Pays-Bas du 23, qui, comme nous (page 243) l'avons dit, contenait sa proclamation du 21, fut distribuée tard, le mercredi 22. Cette proclamation, nous le répétons, n'était pas généralement connue à Bruxelles à l'époque du 23 ; cependant, dans plusieurs lieux publics et dans des corps de garde où la feuille fut lue, on s'irrita de plus belle contre cette ouverture à la fois caressante et menaçante ; on la méprisa, on la foula aux pieds ; la gazette fut brûlée dans les rues !
Il paraît même qu'à l'Hôtel-de-Ville, cette pièce fit l'objet d'une délibération entre ceux des chefs de la Garde bourgeoise qui s'y trouvaient encore et quelques officiers des sections, mais qu'on se sépara sans rien décider.
Ce fut alors que M. Ed. Ducpetiaux, malgré les observations des chefs des forces actives, MM. Plétinckx, Grégoire et Nique, résolut de se rendre au quartier-général du Prince Frédéric pour lui peindre l'état des choses, désavouer au nom de la bourgeoisie armée, l'invitation d'entrer à Bruxelles (si tant était qu'elle eût pu être faite au Prince par quelques personnes isolées, sans caractère et sans mission) et demander enfin que les restrictions à l'amnistie, annoncées dans la proclamation, disparussent entièrement si le Prince voulait réellement entrer dans la ville sans résistance.
Il partit le 22, vers six heures du soir, pour le quartier-général, accompagné de M. Everard, et ce fut peut-être un grand malheur que les Hollandais, violant toutes les lois comme tous les procédés militaires, les ayant arrêtés aux avant-postes sans leur permettre d'approcher du Prince et les ayant conduits prisonniers à Anvers (page 244) où ils languirent plus d'un mois dans les fers. Le Prince Frédéric aura beau dire ! cela ressembla trop à une vengeance personnelle et l'histoire ne ratifiera pas !
La physionomie de la ville, après ces deux escarmouches, était singulièrement mobile et diverse. Les personnes d'un rang un peu élevé, même les plus libérales, ayant reconnu, par les récits des tirailleurs revenus de Dighem, l'approche d'un corps d'armée nombreux et muni d'artillerie, se demandaient où étaient les forces des patriotes, le gouvernement provisoire, les armes, les munitions ! et ne voyant que des hommes épars, avec peu de chefs et sans matériel, elles croyaient toute résistance impossible. Le peuple, au contraire, ajoutant foi aux récits les plus merveilleux des combattants, se fiant à ses barricades et à sa valeur, regardait une attaque comme peu probable et ne doutait point du triomphe si l'on se hasardait à vouloir forcer ses retranchements. Ainsi tandis que les uns, calculant d'après les idées ordinaires, croyaient prédire à coup sûr la défaite des citoyens, les autres, guidés par un instinct vague, espéraient encore la victoire. Mais quelle que fût la dissidence des opinions, personne ne supposait que la lutte pût être longue, douteuse, sanglante : chacun paraissait persuadé que ceux qu'il jugeait les plus forts n'auraient qu'à se montrer pour vaincre.
Cependant l'ardeur du peuple s'éclipsa le 22 au soir en voyant les ceintures, les brassards, et même les rubans tricolores diminuer à vue d'œil et disparaître presqu'entièrement ; il faut aussi attribuer à cette circonstance les listes d'adhésions au gouvernement (page 245) provisoire, distribuées dans tous les corps de garde, les lieux publics et ailleurs, ne furent, cette nuit, couvertes que d'un bien petit nombre de signatures.
La plupart des habitants passèrent la nuit aussi tranquillement que de coutume. Mais ils n'en fut pas de même de ceux qui s'étaient mis en avant pour soutenir la cause des Belges. N'ayant pas l'expérience des révolutions, jugeant l'avenir d'après les probabilités matérielles, ils partageaient l'opinion générale parmi les hautes classes et désespéraient de soutenir, avec si peu de moyens, l'attaque d'une armée ; car ils n'étaient pas encore assez exaltés pour fermer les yeux sur l'état réel des choses. Aussi plusieurs d'entre eux, se voyant menacés dans la proclamation du prince Frédéric, s'éloignèrent-ils, se tenant toutefois à portée de rentrer si le peuple combattait. Les apparences justifiaient cette conduite ; car si la résistance était impossible, comme on pouvait le présumer, pourquoi des patriotes dévoués à la Belgique ne se seraient-ils pas réservés pour de meilleurs jours ? L'horrible perspective de l'échafaud peut quelquefois être bravée, mais c'est quand il y a au moins quelque chance de succès.
On avait prononcé le mot de capitulation, et la démarche de MM. Ducpétiaux et Everard ne pouvait avoir pour but que d'obtenir une transaction plus honorable qui permit aux chefs du mouvement populaire de se retirer sans danger.
On ne peut toutefois garantir que telles fussent précisément les conditions qu'ils comptaient demander : ils n'avaient ni instructions, ni autorisation, et ils (page 246) n'auraient même pu en recevoir de personne dans un moment d'anarchie. Peut-être ne voulaient-ils que tâcher d'obtenir le plus qu'il serait possible, sans être bien arrêtés eux-mêmes sur ce qu'ils demanderaient au nom de la bourgeoisie.
Quoi qu'il en soit, ils partirent pour le quartier-général comme nous l'avons vu ; mais là on leur ordonna d'exhiber leurs pouvoirs, et comme ils n'en avaient point, ils furent, non pas renvoyés, comme semblait l'exiger la justice, mais arrêtés, garrottés, et dirigés sur la citadelle d'Anvers, victimes de leur généreuse et aveugle confiance !
Quant à M. le baron d'Hoogvorst, seul homme qui eut encore une apparence de pouvoir civil, sa conduite, dans ce moment de crise, fut digne d'un Belge des anciens temps. Pressé par le peuple, dans la journée de la veille, de conduire la Garde bourgeoise au-devant de l'ennemi, il avait répondu : « Je ne suis point militaire, et je vous conduirais mal : mais j'attendrai les soldats à l'Hôtel-de-Ville et, s'ils y entrent, ce sera là mon tombeau. » Il tint parole autant que l'événement le permit, et jamais il ne montra ni hésitation, ni faiblesse, lorsque, parmi les hommes sages et éclairés, les plus hardis n'envisageaient qu'en tremblant les suites d'une attaque ; mais le digne chef des bourgeois sut conserver jusqu'au bout son courage tranquille et stoïque. L'hôtel-de-Ville était toujours à l'abandon ; il ne s'y présentait que M. Engelspack, dit La Rivière, patriote courageux qui fit alors ses preuves, et quelques agents subalternes du gouvernement déchu qui, le sourire sur les lèvres et (page 247) le regard déjà menaçant, épiaient le moment de la chute des patriotes ; d'autorités ! elles avaient disparu ! citoyens, peuple, volontaires, tous dormaient ! et lorsque le lendemain matin on entendit le tocsin et le bruit du canon, personne ne bougea d'abord ; chacun se disait que c'était encore une fausse alarme comme celle de la nuit précédente. Il y avait 14 hommes au Palais du roi, 8 aux États-Généraux, une douzaine dans chaque poste de la ville et 14,000 ennemis que l'on savait voisins de nous, pouvaient à chaque instant se montrer. Nous allons voir comment toutes ces apparences furent trompées et comment la tournure des événements et des choses déjoua tous les calculs, toutes les prévisions humaines.
D'un autre côté, les nouvelles que l'on recevait de toutes les villes de la Belgique entretenaient l'espérance et doublaient le courage ; les feuilles publiques, les correspondances privées, et surtout l'arrivée incessante des volontaires prouvaient de reste que le mouvement était général dans tout le pays, que chaque cité se débattait dans ses fers et les brisait successivement, qu'enfin, et ce fait dominait tout, les Bruxellois pouvaient compter d'être secourus.
Louvain, Mons, Namur, étaient en pleine insurrection ; la force militaire qui tentait encore ses derniers efforts pour y maintenir un joug relâché, les mises en état de siège et toutes les dernières mesures d'une autorité expirante, tout devait disparaître et céder devant l'irrésistible volonté des populations irritées et unies ; le sang coulait souvent encore dans des rixes entre les soldats et les citoyens ! Les pavés de Namur, de (page 248) Mons, de Nivelles, de Louvain, de Gand de Bruges en furent rougis plus d'une fois, bien inutilement, et sans qu'on sache même à qui il faut imputer directement ce déplorable résultat de tant de fautes et d'erreurs ! Mais les Hollandais commençaient à ouvrir les yeux ; ils parlaient déjà de se retirer dans les citadelles des places fortes ! Ils durent bientôt songer à rendre les citadelles elles-mêmes ! les événements de Bruxelles du 23 au 26 ne tardèrent pas à les y forcer, et nous verrons que des généraux mêmes, à Mons, à Tournay etc., furent faits prisonniers.
Mais Liége l'emportait surtout par son énergie et son patriotisme. Le sang y avait aussi coulé ; la ville avait déjà forcé la garnison à se retirer dans les deux forts qui la dominent, savoir : la chartreuse et la citadelle ; exposés à des attaques extérieures de la part des garnisons de Tongres et de Maestricht, ses volontaires tenaient déjà la campagne, faisaient des expéditions à plusieurs lieues, telle que celle d'Oreye, sur la route de Bruxelles, et, dans plusieurs affaires disputées et sanglantes, avaient toujours repoussé les ennemis. On avait plusieurs fois affiché à Bruxelles des relations intitulées : Nouvelle victoire des braves Liégeois.
Précisément le 22 au soir on apprit par estafette à Bruxelles que les Liégeois, irrités de ce qu'un factionnaire hollandais avait tué en traître un de leurs bourgeois nommé Vitrin, avaient donné l'assaut à la Chartreuse et s'en étaient emparés ; cette nouvelle, dont on lut bientôt les détails dans tous les journaux, exalta encore les têtes, et l'on cria de nouveau partout, vivent les Liégeois !
(page 249) Et pendant ce temps, au moment même des massacres et des malheurs de Bruxelles, que faisait-on à La Haye ?
Les Etats-Généraux y délibéraient lentement et posément, en comité secret, sur l'adresse en réponse au discours du trône ; ils y consacrèrent les journées des 20, 21 et 22 et accouchèrent enfin de la pièce suivante. (V. ci-après.)
Cette adresse, dans les circonstances d'alors, fut qualifiée de pitoyable ! c'était bien le mot tout au moins.
Les 23 et 24 on délibéra, toujours en comité secret, sur les propositions de MM. Donker-Curtius et Sytzama relatives à la commission mi-partie et à l'enquête ; elles furent toutes deux rejetées. Le 25, 26 et 27, pas de signe de vie, ou ce qui revient au même, assemblées des sections ; le 28 et 29 discussions sur les deux grandes questions du message royal du 13, résolues toutes deux affirmativement et bien tardivement ! enfin le 2 octobre clôture de la session extraordinaire !
Adresse des Etats-Généraux au roi, du 22 septembre
Sire, convoqués en session extraordinaire, les membres des États-Généraux se sont empressés de se rendre dans cette résidence. Ils ne peuvent que déplorer les événements qui ont motivé cette convocation. L'émeute qui a éclaté à Bruxelles et dans d'autres localités, au sein de la paix et de la prospérité publiques, les scènes de pillage et d'incendie qui l'ont signalée et accompagnée, doivent faire naître dans l'âme de tout vrai Belge un profond sentiment de douleur et d'indignation.
Pénétrés de ces sentiments, et sans vouloir pour le moment approfondir les causes et la tendance de ce qui s'est passé, (page 250) convaincus d'ailleurs du désir ardent de V. M., de concilier les intérêts de tous ses sujets et d'assurer leur bonheur, les Etats Généraux concourront avec calme et fermeté aux mesures qu'elle daignera leur proposer et que réclame le salut de la patrie.
Si, après un mûr examen, ils peuvent se convaincre que le salut de l'Etat demande une révision de la loi fondamentale ou même une séparation des provinces, unies par des traités et par cette même loi, ils ne refuseront pas leur coopération pour atteindre ce but par les moyens constitutionnels, les seuls moralement possibles à V. M. comme à nous-mêmes, et ils ne feront point difficulté de faire connaître à V. M. avec franchise leur opinion à cet égard.
Les Etats-Généraux ont reçu avec respect la communication que V. M. leur a faite de tenir la milice nationale réunie ; mais ils forment des vœux pour que cette mesure, qui est dans les attributions de la prérogative royale, soit reconnue bientôt superflue par suite du rétablissement du calme.
Ils reçoivent avec confiance l'assurance que les moyens de pourvoir aux dépenses nécessaires se trouveront pour le moment dans les crédits déjà ouverts et que la régularisation pourra en être différée jusqu'à la session prochaine.
En offrant de nouveau à V. M. l'hommage solennel de leur fidélité et de leur attachement, ainsi que des sentiments d'amour de la patrie dont ils sont animés, ils n'oublieront jamais, témoins eux-mêmes des tempêtes révolutionnaires qui, plus d'une fois, ont agité l'Europe et les Pays-Bas, comment l'existence politique et l'indépendance de la nation belge, délivrées du joug étranger, ont été placées sous le sceptre de V. M. et affermies par sa valeur sur le champ de bataille, et aussi combien sont intimément liés les intérêts des Pays-Bas et de la dynastie d'Orange.
Oui, sire, ils osent, au nom de la nation, déclarer solennellement qu'aucun sacrifice ne leur coûtera pour consolider le trône et la dynastie et rétablir l'ordre et le calme, maintenir les lois, protéger l'existence constitutionnelle de l'état et réprimer toutes les attaques dirigées contre l'ordre légal.
(page 251) Prêts à concourir à ce but avec constance et courage, ils rendent hommage à la déclaration solennelle de V. M. qu'elle est disposée à satisfaire à tous les vœux raisonnables, sans jamais céder à l'esprit de faction, ni consentir à des mesures qui sacrifieraient les intérêts de la nation aux passions ou à la violence ; mais aussi, Sire, ils sont profondément pénétrés de l'obligation qui leur est imposée de veiller plus que jamais contre cette exaltation des passions et contre la violation du pouvoir, qui n'ont d'autre résultat que de saper la véritable liberté qui fleurit sous l'égide des lois.
Préserver la nation, que nous sommes rappelés à représenter, des maux qui l'affligent, veiller aussi au maintien de la vraie liberté et tâcher de concilier tous les intérêts, tel est le but que, d'accord avec le vœu de V. M., les États-Généraux des Pays-Bas doivent constamment se proposer.
La commission nommée pour présenter cette adresse au roi, fit le rapport suivant, dans les deux langues, par l'organe de M. Corver-Hooft, dans la séance du 23. Cette date est remarquable :
N. et P. S., votre commission nommée pour présenter au roi l'adresse des Etats-Généraux en réponse au discours royal a l'honneur de vous faire son rapport. Elle s'est réunie à la commission de la première chambre ; de là elle s'est rendue hier en cortège au palais du roi, où elle a été reçue avec le cérémonial d'usage. M. le président de la première chambre a donné lecture de l'adresse au roi qui a daigné répondre en substance :
Qu'il recevait avec satisfaction, l'expression des sentiments des Etats-Généraux ; qu'ils étaient conformes à ce qu'il attendait de cette assemblée ; qu'il espérait beaucoup du parfait accord qui régnait entre la représentation nationale et le roi ; que l'assurance qu'on lui donnait en ce moment aurait immanquablement un fort bon résultat, celui de rassurer la confiance publique, d'encourager les bien intentionnés et de comprimer les (page 252) malveillants, enfin qu'il se flattait que, fort de notre concours, il verrait bientôt renaître partout le calme et la paix, et que la prospérité nationale, naguères si malheureusement compromise, serait maintenue !
Maintenant qu'on ne perde point de vue que la plupart des lignes qui suivent ont été tracées au ronflement du canon et sous le sifflement des balles, de la mitrailles, des obus et des boulets !