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Esquisses historiques de la révolution de la Belgique en 1830
DE WARGNY Auguste - 1830

DE WARGNY, Esquisses historiques de la révolution de la Belgique en 1830 (1830)

(Paru à Bruxelles en 1830, chez H. Tarlier)

Chapitre VIII. Journée du jeudi 2 septembre 1830

Rapport des députés bruxellois envoyés à La Haye. Dîner du Prince. L'opinion populaire déborde tout. Progression incroyable de l'effervescence. Le rapport des députés de Bruxelles est méprisé et brûlé. Nuit d'alarmes

(page 87) Tout était tranquille, mais la Garde bourgeoise conservait son attitude et maintenait l'ordre, en attendant avec toute la population les résultats des graves délibérations qui se préparaient.

Cependant on ne pouvait se dissimuler que la fermentation croissait, grandissait insensiblement sans qu'on pût en donner une bonne raison ; on approuvait la mesure prise par le Prince de nommer une commission consultative, mais on la croyait incomplète ; la Garde bourgeoise se plaignait amèrement de ne pas y être représentée ; le Prince accueillit son vœu et nomma deux nouveaux membres ; c'était une concession nouvelle et bien remarquable ; en conséquence les deux pièces suivantes furent publiées et affichées dans la journée. (V. ci-après no 1 et 2.)

Les députés eux-mêmes, après une absence de quatre jours, durent s'apercevoir de la progression immense de l'effervescence populaire ; d'heure en heure on exigeait, on osait davantage ; ils ne reconnaissaient plus les Bruxellois ; dès lors tout était débordé.

(page 88) Il existait cependant des esprits sages, modérés qui considéraient autrement la face des choses ; ils pensaient que l'on avait fait tout ce que l'on pouvait faire, que le roi n'était pas le maître seul de faire droit sur tous les griefs, qu'en convoquant sur le champ les États-Généraux, il avait prouvé sa bonne foi et sa bonne volonté, qu'il fallait donc attendre, etc. ; mais ils n'étaient pas écoutés, et leurs efforts, leurs discours, pour arrêter les progrès du mal, étaient inutiles ou paralysés.

Les députés firent publier, répandre et afficher dans l'après-dîner, la pièce importante qui suit et qu'ils intitulèrent modestement : « Rapport ». (V. ci-après no 3.)

Ce rapport si impatiemment attendu fut loin de contenter les esprits et les remua au contraire plus que jamais. Les membres de la commission consultative crurent même devoir y relever une expression qui dénaturait leur mission, et un peu plus tard firent afficher la proclamation suivante. (V. ci-après no 4. )

Cette proclamation ne fit qu'échauffer les têtes ; on voyait dans tout cela, d'abord que les hautes autorités ne s'entendaient pas, ensuite que le rapport n'offrait aucun résultat, pas même des promesses positives ; une grande agitation se manifesta parmi tous les habitants qui craignirent la renaissance des scènes qu'ils avaient eu tant de peine à comprimer, et de voir anéantir tout l'effet de leurs démarches auprès du roi pour obtenir l'établissement tant désiré d'un meilleur ordre de choses ! Jusqu'au moment de ces deux publications l'attitude calme et paisible de la ville avait dû donner au Prince la mesure de la fermeté, comme de la loyauté belge, et (page 87) S. A. R. semblait aussi l'avoir bien appréciée. Vers deux heures après dîner, on l'avait vue se promener presque seule au Parc et dans les environs, faire des visites, aller au-devant des patrouilles bourgeoises, prendre la main aux gardes, et même embrasser leurs chefs et leur dire qu'il dormirait en sûreté puisqu'il était parmi les Belges, et que c'était pour cela qu'il avait fait retirer les troupes dans les cours intérieures des Palais. Restes touchants d'une familiarité qu'il conservait encore quand sa popularité n'existait plus !

Le Prince devait voir cependant que sa démarche loyale de la veille avait rapproché les esprits ; vingt-quatre heures auparavant des préparatifs de défense, des armes, des barricades ! Aujourd'hui, on a vu le Prince, il a parlé, on connaît ses mesures, ses promesses ; on était calme, confiant, amical et presque rassuré ; mais le rapport de la députation renversa tout en un clin-d’œil.

Le Prince réunit à dîner dans son palais les principales autorités et notabilités de la ville, les membres de la députation, de la commission et quelques membres des États-Généraux présents à Bruxelles, M. Vangobbelscroy ministre de l'instruction, etc. Ce dîner fut court et sérieux, on y parla fort peu de politique ; mais il paraît certain cependant que quelqu'un ayant dit un mot des couleurs belges, S. A. R. reprit avec énergie ; « Messieurs, soyez convaincus que je ne vois pas ces couleurs ; si je les voyais, ceux qui les portent ne seraient pas dans mon Palais. » La 2me séance de la commission fut ajournée au lendemain matin.

L'on assure aussi, mais nous ne pouvons l'affirmer, (page 90) ni dire par qui la parole fut lâchée, que ce jour-là fut proféré presque bas, chez le Prince, le mot de séparation entre le Nord et le Midi, que l'on avait commencé à murmurer dès le 29 août ; alors plus de griefs à redresser, ce grand moyen comprenait tout ! S. A. R. sans doute était bien loin de s'attendre à cette pensée ! vingt-quatre heures après, cela se disait hautement et partout, s'exprimait d'une manière impérative ; mais de graves événements s'étaient passés dans la nuit.

Vers le soir des groupes nombreux et tumultueux parurent au centre de la ville et surtout à la Grand'-Place. On proférait des cris de mécontentement, on se récriait sur l'astuce des prétendues promesses, sur l'insignifiance du rapport de la députation ; enfin ce rapport et la proclamation de la commission (nos 3 et 4) furent arrachés, lacérés et brûlés en grand nombre au bout des baïonnettes ; on en jeta les débris avec colère vers l'Hôtel de-Ville.

La Garde bourgeoise et les habitants notables que l'on vit toujours se dévouer dans ces jours de danger, et qui restent souvent trop inconnus, avaient peine à contenir les groupes exaltés auxquels il ne s'agissait pas de résister, mais qu'il fallait calmer et rien de plus. La foule grossissait et se renouvelait sans cesse ; on s'écriait : « Les troupes se renforcent derrière le Palais du Prince ; allons les attaquer, les chasser ; on nous trompe, on nous vend ; les affiches de ce soir le prouvent assez, etc. » M. d'Hoogvorst, commandant, accompagné de M. Van de Weyer, descendirent vers minuit sur la Grand'-Place, parcoururent et haranguèrent tous les groupes et réussirent à les apaiser, mais imparfaitement ; il ne tint qu'à (page 91) fil que, dès cette soirée, des malheurs incalculables n'eussent accablé Bruxelles. M. Van de Weyer reconnut un des provocateurs pour allemand à son accent ; il parvint avec peine à l'écarter et à paralyser ses excitations. Toute la nuit fut orageuse, des plus agitées ; mais aucun désordre, aucune voie de fait. Il n'y avait là que de l'effervescence, de la défiance, une grande et ferme détermination ; rien de plus.


Pièces publiées le 2 septembre 1830

N°1. Proclamation

Habitants de Bruxelles,

La députation chargée de présenter au Roi l'expression du vœu général des Belges, est de retour dans nos murs. Elle apporte des nouvelles satisfaisantes et qui sont de nature à ramener le calme dans les esprits. On les imprime en ce moment et elles vous seront communiquées sans retard. La commission réunie en ce moment au palais de S. A. R. le Prince d'Orange, s'occupe activement des mesures nécessaires pour parvenir à ce résultat si désiré. A la demande que j'en ai faite à S. A. R., MM. Rouppe et Van de Weyer, membres du conseil de l'état-major, ont été adjoints à cette commission.

2 septembre 1830, à midi.

BARON VANDERLINDEN-D'HOOGVORST.


No 2. Proclamation

La commission nommée hier par le Prince d'Orange, au nom du roi, ayant proposé à S. A. R. que deux membres, pris dans (page 92) la bourgeoisie armée, lui fussent adjoints, S. A. R., usant des pouvoirs qui lui sont confiés par Sa Majesté, a nommé Membres de la Commission susdite, MM. Rouppe et Van de Weyer.

La commission ainsi formée, se réunira de nouveau aujourd'hui 2 septembre, à six heures et demie, au palais de S. A. R. Bruxelles, le 2 septembre 1830

Le Président de la commission, le Duc d'URSEL.

Le Secrétaire, P. J. STEVENS.


No 3. Rapport

Messieurs,

Arrivés à La Haye, lundi 30 août à une heure, nous avons demandé une audience à S. M. Une demi-heure s'était à peine écoulée, que déjà nous avions reçu réponse favorable. Le mardi à midi, nous nous sommes rendus au palais ; S. M. nous a reçus, avec bienveillance, nous a demandé nos pouvoirs et n'a pas décliné le titre en vertu duquel nous nous présentions.

Après avoir entendu la lecture de notre mission écrite S. M. nous a dit qu'elle était charmée d'avoir pu devancer nos vœux, en convoquant les États-Généraux pour le 13 septembre ; moyen légal et sûr de connaître et de satisfaire les vœux de toutes les parties du royaume, de faire droit aux doléances, et d'établir les moyens d'y satisfaire.

Après quelques considérations générales, nous sommes entrés dans l'exposé, puis dans la discussion des divers points dont votre réunion du 28 nous avait chargés verbalement de faire communication à S. M. (V. ci-dessus, p. 54 et 58.)

Discussion s'est établie sur les théories de la responsabilité ministérielle et du contreseing. Le Roi a dit que la loi fondamentale n'avait pas consacré nos théories ; qu'elles pouvaient être justes et même utiles, mais qu'elles ne pouvaient être (page 93) établies que par un changement à la loi fondamentale de commun accord avec les États-Généraux convoqués en nombre double. Qu'une session extraordinaire s'ouvrant au 13 septembre, il pourrait y avoir lieu, soit à sa demande, soit sur l'invitation de la 2ème chambre, à une proposition sur ce point, comme sur tous les autres exposés par nous et jugés utiles ou avantageux au pays.

Sur la demande de renvoi de quelques ministres et particulièrement de M. Van Maanen, S. M. n'a pas dit un mot en leur faveur ; elle n'a ni témoigné de l'humeur, ni articulé de contradiction sur les plaintes que nous lui avons énumérées longuement à leur charge. Elle a fait observer que la loi fondamentale lui donne le libre choix de ses ministres ; que du reste elle ne pouvait prendre aucune détermination aussi longtemps qu'elle y paraîtrait contrainte ; qu'elle tenait trop à l'honneur de conserver sa dignité royale, pour paraître céder, comme celui à qui on demande quelque chose le pistolet sur la gorge. Elle nous a laissé visiblement entrevoir, ainsi qu'aux députés liégeois, qu'elle pourrait prendre notre demande en considération. (Cette question est actuellement soumise à la commission organique créée par le Prince d'Orange : nous avons l'heureuse conviction qu'avant la fin de la journée, elle aura pris une résolution qui satisfera nos vœux.)

Au sujet de la Haute-Cour, S. M. a dit ce n'était qu'après mûre délibération que le lieu de son établissement avait été choisi ; que du reste elle s'occupera de cette réclamation et avisera au moyen de concilier tous les intérêts.

Sur nos demandes au sujet de l'inégale répartition des emplois, des grands établissements et administrations publiques S. M. a paru affligée, et sans contester la vérité des faits, elle a dit qu'il était bien difficile de diviser l'administration ; qu'il était bien plus difficile encore de contenter tout le monde ; qu'au reste elle s'occuperait de cet objet aussitôt que le bon ordre serait rétabli. Qu'il convenait, avant tout, que les Princes, ses fils, rentrassent dans Bruxelles à la tête de leurs troupes et (page 94) fissent ainsi cesser l'état apparent d'obsession à laquelle elle ne pouvait céder, sans donner un exemple pernicieux pour toutes les autres villes du royaume.

Après de longues considérations sur les inconvénients et même les désastres probables d'une entrée de vive force par les troupes, et les avantages d'une convention et d'une proclamation pour cette entrée, en maintenant l'occupation partielle des postes de la ville par la garde bourgeoise, S. M. nous a invités à voir le ministre de l'intérieur et à nous présenter aux Princes, lors de notre retour à Bruxelles. En terminant, S. M. a exprimé le désir que tout se calmât au plus vite et nous a dit avec une vive émotion et répété plusieurs fois combien elle avait horreur de l'effusion du sang.

Après deux heures d'audience, nous avons quitté S. M., et nous sommes allés chez le ministre de l'intérieur qui, devant se rendre chez le Roi, nous a donné rendez-vous à huit heures du soir.

Les mêmes discussions se sont établies sur les divers objets, soumis par nous à S. M. ; tout s'est fait avec une franchise et un abandon qui a donné les plus grandes espérances. M. de Lacoste nous a prouvé qu'il a le cœur belge et qu'il est animé des meilleures intentions.

Sur l'invitation de plusieurs membres de l'état-major de la garde bourgeoise réunis hier soir, et conformément aux désirs exprimés par S. M., MM. Joseph d'Hoogvorst et Gendebien se sont rendus chez le Prince d'Orange ; ils lui ont donné communication des résultats de leur mission à La Haye et de l'état des choses à Bruxelles, qu'il lui ont dépeint tel qu'il est, sans rien dissimuler. Il les a assurés qu'il espérait de la réunion de la commission (laquelle a eu lieu ce matin) les résultats les plus satisfaisants et les plus propres à prouver son désir et sa résolution inébranlable de satisfaire aux vœux du pays. Il les a chargés de vous dire qu'il se constituait l'intermédiaire entre S. M. et les habitants du midi, et qu'il appuierait nos demandes, de manière à obtenir le succès le plus prompt et le plus complet. Nous avons appris positivement ce matin, que la (page 95) commission réunie au palais du Prince, s'occupe avec activité de l'objet de sa mission, et que dans la journée il vous sera transmis sur plusieurs points de vos réclamations des résolutions très satisfaisantes.

Bruxelles, le 2 septembre 1830.

(Signés) MM. Jos. D'HOOGVORST, ALEX. GENDEBIEN, LE COMTE FELIX DE MÉRODE., BARON FRÉDÉRIC DE SÉCUS fils, PALMAERT, père.


No 4. Proclamation

Habitants de Bruxelles

Le rapport de vos députés vous donne la certitude que vos désirs et vos vœux sont connus du Monarque ; ils ont été manifestés au Prince d'Orange, et vous avez l'espoir fondé qu'ils seront accueillis par Sa Majesté. Dans cet état de choses, pleins de confiance dans les paroles royales et dans l'appui que S. A. R. vous a promis, vous en attendrez les résultats avec tranquillité. Le maintien du calme et de l'ordre exige cependant la continuation du service dont la brave bourgeoisie a bien voulu se charger. A cet effet, il a paru désirable que la Garde bourgeoise fut régularisée et prit un caractère de stabilité. Le Commandant baron d'HOOGVORST est chargé de ce travail, de concert avec son État-Major, ce qui doit vous donner la certitude que les troupes n'entreront pas en ville.

La Commission qui est chargée non de prendre des résolutions mais de proposer des mesures utiles au pays, se fera un religieux devoir de continuer ainsi à soumettre à S. A. R. tout ce qui peut ramener le calme et la confiance.

(Publié sans date, le 2 septembre au soir. )

Le Président de la Commission,

Le Duc d'URS EL.

Le Secrétaire, P. J. STEVENS.

Vu et approuvé :

GUILLAUME, Prince d'Orange.