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Histoire diplomatique du traité du 19 avril 1839
DE RIDDER A. - 1920

A. DE RIDDER, Histoire diplomatique du traité du 19 avril 1839

(Paru à Bruxelles en 1920, chez Vromant)

Chapitre VIII

1. Refus du gouvernement belge d'accepter une cote mal taillée. - Il insiste sur la liquidation de la dette

(page 170) Comme le désirait Léopold 1er, le cabinet de Bruxelles ne se pressa pas de répondre à la proposition transactionnelle de lord Palmerston. Il n'envoya d'instructions à cet égard à M. van de Weyer que le 2 octobre.

Ces instructions prescrivaient au diplomate de notifier au ministre de la reine Victoria le refus du gouvernement belge de fixer le chiffre demandé par la Conférence.

« Il nous eût certes été bien agréable, écrivait le chevalier de Theux, de pouvoir accéder au vœu de Sa Seigneurie, mais un examen attentif de sa proposition, discutée sous toutes ses faces, nous a convaincus en premier lieu qu'un chiffre transactionnel ne pourrait être fixé par nous avec quelque certitude, attendu que nous n'avons point en notre possession tous les documents nécessaires à cet effet, et en second lieu que cette voie présenterait pour le gouvernement du roi des difficultés d'exécution insurmontables. Dans ce système, la position des deux parties ne serait d'ailleurs pas égale, puisque la Hollande aurait toute latitude de ne pas accepter le chiffre.

« D'autres considérations viennent se joindre à celles-là.

« En effet, tout le pays s'attend ou doit s'attendre à ce que le chiffre de la dette indiqué par les XXIV articles soit déterminé, dans le nouveau traité, par les principes de l'équité et du droit public. Les Chambres n'admettraient aucune autre base, persuadées qu'elles seraient que la (page 171) Belgique aurait été lésée par l'adoption d'un chiffre transactionnel. Le travail de la Commission des finances, qui vous a été communiqué, contient sur la révision de la dette, des renseignements clairs et précis. L'on ne manquerait point de nous objecter, et on le ferait avec succès, qu'une transaction ne peut être appliquée qu'à des points obscurs en droit ou en fait, points sur lesquels les parties s'accordent à l'amiable en renonçant chacune à ce qu'il y aurait d'extrême dans l'adoption de son opinion. Ainsi, pour procéder régulièrement, il faudrait commencer par admettre, de part et d'autre, les objets de la liquidation qui sont constants ; il faudrait ensuite chercher à éclaircir par tous les moyens possibles ceux qui présentent des incertitudes. Ce ne serait qu'après avoir constaté l'inefficacité de ces moyens que l'on pourrait régulièrement procéder sur chaque point douteux à une appréciation approximative, en ayant égard aux raisons que chaque partie a respectivement à faire valoir en sa faveur. Cette marche est la seule que le gouvernement du roi se croit autorisé à suivre dans les circonstances présentes. Elle l'empêche absolument de faire la proposition d'un chiffre transactionnel global (…)

« Si, plus tard, une transaction qui emportât l'abandon d'une partie de nos intérêts financiers, nous était proposée par la Hollande, nous aurions à examiner les bases d'un semblable arrangement en les comparant aux avantages qui pourraient nous être assurés en échange. »

La lettre, dont on vient de lire les principales parties, était une lettre officielle destinée à être mise au besoin sous les yeux des membres de la Conférence. M. de Theux l'accompagna d'une missive particulière, dans laquelle il développait diverses considérations d'un caractère plus confidentiel.

« Mon cher ministre, y écrivait-il également à la date du 2 octobre, la dépêche officielle de ce jour et les instructions données à MM. Fallon et Dujardin, en réponse aux questions qu'ils ont posées, instructions dont je vous joins copie, suffiront, je pense, à votre direction dans les circonstances actuelles. Toutefois, je crois utile d'ajouter ici quelques considérations confidentielles.

« La proposition d'un chiffre transactionnel avait évidemment pour but d'améliorer la position personnelle du roi Guillaume, qui répugne à la liquidation du syndicat. Quant à nous, il n’eût pas été sans danger d'admettre le principe parce que la Conférence, désireuse d'en finir, aurait pu vouloir, postérieurement, arbitrer entre les chiffres fixés par les deux parties. Les plénipotentiaires des grandes Puissances se seraient trouvés plus à l'aise pour écarter nos réclamations sur les dettes franco- et austro-be1ges, puisqu'elles n'auraient plus, dans cet ordre d'idées, à justifier devant le public le chiffre de la dette mise à la charge de la Belgique.

« Ayant rejeté le système d'une transaction, nous avons dû insister sur la liquidation du syndicat et la fixation de la dette, préalablement à tout (page 172) autre objet de négociation, Dans le cas où l’on vous demanderait à cette occasion si le gouvernement du roi considère comme nul et non avenu le paraphe de 1833, vous voudrez bien vous rappeler que, dans une lettre particulière, je vous ai fait observer, dès le principe de la négociation actuelle, qu'en réalité nous sommes en droit de prétendre que nous ne saurions être liés par de semblables précédents, attendu que, dans les actes qui précèdent et amènent la signature d'un traité, tous les points sont nécessairement subordonnés les uns aux autres et ne tirent leur sanction véritable que de l'adoption de leur ensemble. Cette maxime incontestable en droit se trouve même, dans les circonstances présentes, confirmée par le fait en ce qui concerne la Hollande, puisqu'il a dépendu de cette Puissance de reculer devant la conclusion du traité définitif aussi longtemps qu'il lui a plu.

« Mais il est essentiel de ne pas perdre de vue que si tel est notre strict droit, il faut bien se garder de le discuter dans le moment actuel. Il suffit de faire observer que ma dépêche officielle n'a nullement pour objet d'annuler les négociations antérieures, puisqu'elle n'en fait pas mention. Vous pourriez même faire remarquer à lord Palmerston qu'il serait imprudent de provoquer une déclaration à cet égard ; qu'il vaut mieux, dans l'intérêt d'une conclusion amiable, de faire commencer par le règlement des intérêts financiers, attendu que la solution des autres difficultés en deviendra plus facile.

« Je sais que l'on vous présentera de fortes objections contre le système de la liquidation' préalable de la dette et du syndicat. Je tâcherai de les rencontrer et de les combattre en peu de mots.

On pourra dire que la Belgique conserverait ainsi les avantages du statu quo et ne payerait même pas ce qu'elle reconnaît devoir légitimement suivant la conclusion de la commission des finances. On pourra ajouter qu'aux termes des XXIV articles, la liquidation effective du syndicat est une mesure d'exécution ; enfin que cette opération difficile pourrait devenir inutile si la Belgique refusait ensuite de négocier ou de tomber , d'accord sur les autres points du traité.

« Nous pouvons répondre :

« 1° Que la Hollande doit s'imputer à elle-même les conséquences du statu quo, puisqu'il n'a tenu qu'à elle d'accepter immédiatement le traité des XXIV articles, et que, d'ailleurs, les arrérages échus ne compensent point le montant des réclamations que la Belgique est en droit de faire valoir par suite des retards que la Hollande a apportés à son adhésion à ce traité.

« Qu'on ne peut ici invoquer purement et simplement les XXIV articles, attendu que la convention du 21 mai, acceptée et signée par la Hollande, suppose la conclusion d'un nouveau traité, ce qui, du reste, a été reconnu en 1833, par toutes les Puissances, à tel point que chacun des articles a été soumis à la discussion et au paraphe des parties, et que notamment celui de la dette est alors resté en suspens ; que cette question de la dette étant capitale pour les deux pays, il est raisonnable de fixer les chiffres avant de signer le traité dont il doit faire une clause essentielle, qu'on ne (page 173) peut point se borner à fixer ici des bases de liquidation, car ces bases donneraient peut-être lieu à des erreurs ou à des surprises et en outre à de nouvelles diff1cultés, par suite du désaccord que pourrait rencontrer l'interprétation des articles qui les contiendraient ; que, d'ailleurs, leur détermination serait peut-être plus difficile que la liquidation même du syndicat ; que M. de Bülow lui~même a fait remarquer combien il serait malaisé de s'entendre sur une distinction à introduire quant à ce qui doit être compris dans la dette, abstraction faite du syndicat, et sur les obligations à ranger dans le passif de cet établissement. Il est donc nécessaire, d'après les observations mêmes du ministre de Prusse, de faire la liquidation préalable de toute la dette à supporter par la Belgique sans examiner si elle provient du syndicat ou d'autres chefs, et, en réalité, il importe peu d'établir des distinctions plus ou moins subtiles sur la nature de la dette ; il ne s'agit que d'en constater l'existence et le montant, mais il serait souverainement injuste d'admettre, pour éviter les difficultés signalées par M. de Bülow, que la Belgique doive commencer par se reconnaître débitrice de l'ensemble des obligations contractées durant l'existence du royaume des Pays-Bas unis, lors même que l'on ne démontre point que toutes concernent la Belgique, et lorsque la Hollande possède un actif dont il reste à faire le partage. C'est dans la liquidation préalable et dans l'intérêt que la Hollande peut avoir de conclure aujourd'hui un traité, que la Belgique doit chercher une garantie pour obtenir sa juste part dans l'actif du syndicat.

« Qu'il est peu vraisemblable que la liquidation du syndicat et de la dette devienne inutile ; que l'on doit regarder, au contraire, comme très probable, sinon comme certain, que l'arrangement des intérêts financiers sera bientôt suivi de l'arrangement de toutes les autres difficultés. C'est d'ailleurs à tort que l'on voudrait considérer comme une opération laborieuse et longue la discussion des questions spéciales dont il s'agit. Le roi Guillaume a toutes les facilités de présenter à cet égard un compte clair et net en très peu de temps. Lord Palmerston et M. de Senfft lui-même ont jugé que trois mois suffiraient pour terminer un semblable arrangement, et à cette occasion je ne puis me dispenser de faire remarquer que si la marche que le gouvernement du roi avait indiquée avait été adoptée à l'époque de l'arrivée de ses commissaires à Londres, la liquidation serait déjà actuellement très avancée, tandis qu'une partie considérable de temps a été perdue en discussions sans résultat, et que l’on a plutôt compliqué que simplifié les choses par suite des propositions de MM. de Senfft et de Bülow.

« Enfin, lord Palmerston devra reconnaître que notre système consistant dans la liquidation préalable de la dette, ne diffère du sien (puisqu'il admet qu'avant cette liquidation, nous ne pouvons ni signer ni exécuter le traité) qu'en ce sens que Sa Seigneurie voudrait une discussion simultanée de tous les points en litige, ainsi que le paraphe des autres articles. Mais, je me le demande, est-il conforme à la justice, est-il conforme à la dignité de la Belgique de procéder ainsi ? Trois fois la Belgique a pris l'initiative, savoir, lors des XVIII et des XXIV articles, et en 1833, et (page 174) trois fois déjà la Hollande a fait échouer les tentatives d'accommodement. Maintenant qu'il est avéré, les propositions de MM. de Sennft et de Bülow en font foi, que l'objet capital pour la Hollande est la question de la dette, ne devons-nous pas insister d'une manière inébranlable pour le règlement préalable de ce point ? On ne peut d'ailleurs s'occuper utilement en même temps de plusieurs questions graves, et celle de la dette offre par elle-même assez de difficultés pour qu'on évite avec soin de la compliquer par d'autres. »

Le chevalier de Theux avait raison de vouloir la liquidation de la dette avant la signature du traité. En insistant ou en faisant insister par M. de Bülow et de Senfft sur la liquidation postérieure, le souverain des Pays-Bas tendait un piège à la Belgique. De La Haye, on mandait au comte Molé que le roi Guillaume réclamait cette procédure uniquement dans le but d'assurer à la Hollande le payement par la Belgique des intérêts de la dette. Ce but atteint, le monarque aurait trouvé, disait-on, pendant vingt ans des arguties d'avocat pour différer, embrouiller la liquidation du syndicat, de manière à ce qu'elle n'eut jamais lieu. Cela lui aurait été d'autant plus facile, qu'on prétendait que lui seul, et deux hommes sur le dévouement desquels il pouvait compter, connaissaient les opérations du syndicat, dont à vrai dire, il avait été, depuis sa création, l'unique directeur. Cette liquidation était une espèce d'issue qu'il se réservait pour rentrer en lice et faire renaître des collisions dans des circonstances qui lui paraîtraient favorables pour ressaisir le pouvoir en Belgique. C'était chez lui une idée qu'il n'abandonnerait qu'à la mort (Arch. du Min des Aff. étr. à Paris, Pays-Bas, 639, folio 222.)

MM. Fallon et Dujardin, qui partaient pour Londres, étaient chargés de remettre à M. van de Weyer les deux lettres écrites par M. de Theux le 2 octobre. Ils emportaient en même temps des instructions très précises sur le rôle qu'ils avaient à jouer près de la Conférence. Ces instructions se trouvaient basées sur la résolution du gouvernement belge de se renfermer dans le système de la révision, de ne pas adopter celui d'une transaction et d'insister sur la liquidation du syndicat préalable à la signature du traité définitif de paix.

M. de Theux désirait que le point de départ de cette liquidation fût placé au 30 septembre 1830, et non pas reporté au 30 octobre, comme le proposait la Hollande, afin de charger la Belgique des opérations onéreuses effectuées pendant le mois d'octobre.

Pour procéder à la liquidation, le cabinet de Bruxelles suggérait (page 175) de nommer de part et d'autre des commissaires auxquels tous les documents nécessaires à l'accomplissement de leur mission seraient communiqués. En outre, pour résoudre les difficultés sur lesquelles ces commissaires ne seraient pas parvenus à tomber d'accord, on aurait nommé une commission d'arbitrage, composée de trois membres choisis par les plénipotentiaires belges et hollandais, et qui auraient eu à décider, non point comme amiables compositeurs, mais d'après les règles du droit. Quant à la localité où aurait dû siéger la commission de liquidation, on proposait la ville de Londres, celle de Lille ou d'Aix-la-Chapelle.

La partie des instructions, qui vient d'être résumée, contient les propositions que M. van de Weyer, aidé des deux commissaires financiers, devait soumettre à la Conférence. Le document remis à MM. Fallon et Dujardin leur traçait en outre des règles au sujet de diverses questions qui auraient pu venir en discussion : la dette franco-belge, l'emprunt des colonies, les 600.000 florins de rente pour avantages commerciaux, le transfert de la dette publique, le règlement d'anciennes créances et quelques autres points accessoires.

2. Contrariété de lord Palmerston et du général Sebastiani. Ils se refusent à tout ajournement dans la négociation des autres articles du traité

La décision du gouvernement belge causa une sensation désagréable à Londres, où l'on désirait en finir au plus tôt. A Berlin, on parla à nouveau d'intentions menaçantes de la Diète (Lettre du chevalier de Theux au roi Léopold, 12 octobre 1838).

Le 8 octobre, MM. Fallon et Dujardin, accompagnés de M. van de Weyer, obtinrent une audience de lord Palmerston. Celui-ci avait été préalablement prévenu par le ministre de Belgique des nouvelles directives données par le cabinet de Bruxelles. Les commissaires reçurent un accueil bienveillant, mais ils ne tardèrent pas à s'apercevoir que le chef du Foreign Office éprouvait une vive contrariété de voir le gouvernement royal se refuser à des négociations transactionnelles. Il chercha toutefois à dissimuler ses impressions autant que possible. Il ne critiqua pas les motifs sur lesquels M. de Theux basait la résolution prise, mais laissa entendre qu'il se ralliait à la décision des plénipotentiaires prussien et autrichien d'admettre la liquidation préalable du syndicat seulement dans ce sens qu'il serait sursis au transfert de la dette pendant le temps fixé pour terminer .la liquidation. En attendant, on s'occuperait des autres points du traité définitif. Le ministre déclara nettement qu'aucun ajournement ne lui semblait pouvoir se justifier. M. van de Weyer défendit à cet égard, mais sans succès, la politique constante du gouvernement belge. Lord Palmerston n'éleva aucune objection contre le mode de liquidation proposé (page 176) par le cabinet de Bruxelles se bornant à faire observer que, pour l'adopter, il faudrait une convention préalable et que, selon lui, par une telle convention, la Hollande aurait reconnu le gouvernement belge, ce qu'elle ne ferait pas et ne devait pas faire sans que le traité définitif ne fût signé « d'un même contexte». Les commissaires lui suggérèrent que les deux parties, sans se lier l'une envers l'autre, pourraient se lier chacune envers la Conférence. Le ministre britannique n'accueillit ni ne rejeta cet expédient, tout en manifestant sa conviction que la liquidation rencontrerait des difficultés de nature à faire reculer pour longtemps le traité définitif alors qu'il désirait le voir conclure au plus tôt. En somme, il ne montra aucune disposition favorable pour le système de liquidation préalable, et, s'il ne se refusa pas à en entretenir ses collègues, il ne promit aucunement de l'appuyer.

M. van de Weyer et les commissaires belges obtinrent, le 9 octobre, une audience du général Sebastiani. Au premier abord, l'accueil ne laissa pas à désirer. Mais dès qu'il eut pris connaissance des instructions données par M. de Theux aux délégués financiers, l'ambassadeur .ne put dissimuler un grand mécontentement. Il combattit le système de liquidation préalable par tous les arguments qui lui vinrent à la pensée. Il affirma que cette liquidation n'aurait aucun résultat satisfaisant pour la Belgique et mit en doute la bonne foi du gouvernement royal, en prétendant que celui-ci, par ce moyen, ne cherchait qu'à prolonger le statu quo, à différer l'évacuation des territoires et à remettre tout en question. La liquidation préalable lui paraissait une chose déraisonnable alors que la Belgique avait la garantie que le transfert de la dette ne se réaliserait pas avant la fin de la liquidation et qu'elle pourrait, jusque-là, se refuser à tout payement.

Aucune de ces observations ne resta sans réponse, mais, comme lord Palmerston, dont l'influence sur lui se manifestait de jour en jour plus grande, le général avait son siège fait et les envoyés belges durent renoncer à l'espoir de voir le représentant de la France soutenir leur cause. Ils le quittèrent sans en avoir obtenu aucun encouragement.

MM. van de Weyer, Fallon et Dujardin avaient promis à lord Palmerston une note sur le mode de révision du chiffre de la dette et sur le système de liquidation préalable tel que les instructions données par M. de Theux envisageaient ces questions. Avant de remettre le travail à sa destination, ils se rendirent, le 11, chez le général Sebastiani, pour le lui communiquer. A la lecture qui lui fut faite, l'ambassadeur témoigna de nouveau, et très ouvertement, combien la marche que le gouvernement belge voulait imprimer (page 177) aux négociations, lui déplaisait. « Il ne paraissait avoir d'autres tendances que vers le moyen très commode de résoudre, sans devoir les aborder, les difficultés concernant les dettes austro- et franco-belges, à l'égard desquelles il persistait à dire que nous perdrions notre procès si ces questions étaient traitées isolément. » Il ne fut pas possible d'arracher au général ses préférences pour le système transactionnel. Toutes les objections qu'on lui adressa ne produisirent d'autre effet que de marquer combien toute insistance lui déplaisait et contrariait ses vues. Il finit cependant par promettre de défendre près de ses collègues de la Conférence les desiderata du gouvernement belge.

La note sur la liquidation du syndicat que M. van de Weyer devait remettre à lord Palmerston, indiquait le 1er octobre 1830 comme date initiale de cette liquidation. L'ambassadeur de Louis-Philippe soutint qu'il y avait encore là une prétention difficile à faire admettre. Il s'exprimait ainsi en se disant convaincu que la Conférence n'aurait pas reporté au 1er novembre l'époque de la séparation financière sans s'être assuré de la réalité du fait. Les commissaires s'attachèrent à lui démontrer que c'était là un « préjugé erroné » et, immédiatement après l'entrevue, lui transmirent, ainsi qu'à lord Palmerston, une note sur ce point (Rapport des commissaires en mission à Londres).

3. Brutalité de l'accueil fait par M. de Bülow et de Senfft à la politique belge. La Conférence rejette la demande de la liquidation. Elle fixe à 5.400.000 florins de rente le chiffre de la dette belge

La Conférence se réunit le 15 octobre (Note de bas de page : Le plénipotentiaire russe ne paraît pas avoir assisté à la réunion.). Elle reçut communication, de la part de MM. de Senfft et de Bülow, d'une réponse au memorandum dans lequel M. van de Weyer et les commissaires belges avaient exposé les dernières instructions du cabinet de Bruxelles. Cette réponse était une nouvelle fin de non recevoir conçue dans des termes brutaux, où toute courtoisie pour le gouvernement belge se trouvait absente et où on ne rencontrait aucun argument de nature à justifier, par des considérations de justice et d'équité, les obligations que l'on prétendait imposer à la Belgique. C'était, une fois de plus, la manifestation de la force des puissants contre la faiblesse d'une petite nation soutenue seulement par l'inébranlable conviction de son bon droit.

Cette réponse donna lieu à une longue discussion qui se prolongea fort avant dans la nuit. Le résultat en fut que les plénipotentiaires se refusèrent à admettre le principe de la révision lié à la liquidation préalable. La liquidation subséquente n'obtint pas non plus leur agrément pour le motif ou le prétexte qu'elle avait pour la Belgique (page 178) cet inconvénient de lui faire reconnaître le chiffre de 8.400.000 florins de rente annuelle sauf à le réduire après la décision des arbitres (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 16 octobre 1838). En réalité, les représentants des cours de Saint-Pétersbourg, de Londres, de Vienne et de Berlin, ne voulaient d'aucune liquidation parce que le travail de la commission financière belge leur avait prouvé qu'elle serait désastreuse pour la Hollande. Or, ni le baron de Bülow, ni le comte de Senfft, ni lord Palmerston ne se souciaient de laisser écraser celle-ci, les deux premiers parce qu'une réduction trop forte de la part belge dans le partage des dettes aurait pu amener le roi Guillaume à accepter des propositions pour le rachat du Limbourg et du Luxembourg et le ministre anglais parce que des difficultés financières aux Pays-Bas auraient pu léser gravement les intérêts des créanciers britanniques, causer un vif mécontentement en Angleterre et menacer ainsi l'existence du ministère dont faisait partie le noble lord.

Ayant rejeté toute liquidation, malgré les droits qu'y avait la Belgique, en vertu des stipulations finales et irrévocables des XXIV articles, les plénipotentiaires décidèrent que le moyen le plus avantageux aux deux parties, pour terminer le différend, était d'établir une cote mal taillée, comme le proposaient avec insistance les représentants de la France et de l'Angleterre. La Conférence trouva que si la liquidation, soit préalable, soit postérieure, présentait des inconvénients à la fois pour la Hollande et pour la Belgique, la cote, au contraire, avait de réels avantages pour toutes deux. Le roi Guillaume y gagnait à être soustrait à l'obligation d'exposer au grand jour les opérations du syndicat, et la Belgique d'obtenir indirectement ce qui, par une voie directe lui serait refusé, c'est-à-dire une réduction de la dette française. Les plénipotentiaires s'inquiétèrent ensuite de fixer eux-mêmes un chiffre transactionnel. Après avoir débattu les prétentions belges, ils tombèrent d'accord qu'une réduction de trois millions de rente en notre faveur sur le chiffre de 8.400.000 florins fixé par le traité de 1831, devrait tout terminer. Lord Palmerston et le général Sebastiani, en se ralliant à ce chiffre, s'empressèrent de faire observer qu'ils ne s'étaient pas concertés avec les plénipotentiaires et les commissaires belges ; que ceux-ci avaient même refusé de s'expliquer à cet égard, se renfermant dans leurs instructions ainsi que dans le memorandum qui les résumait. De leur côté, les ministres de Prusse et d'Autriche affirmèrent qu'ils ne savaient point si le roi de Hollande admettrait une aussi forte réduction. On convint que des démarches seraient faites de part et d'autre auprès des cabinets de Bruxelles (page 179) et de La Haye pour obtenir leur acceptation, un pareil arrangement ne pouvant se conclure que de gré à gré. (Note de bas de page : On verra plus loin que cette condition ne fut pas respectée, la Belgique n'accepta l'arrangement que contrainte et forcée).

4. Critique de ce chiffre par les délégués belges et par M. de Theux. - Rapport inexact du général Sebastiani sur l'opinion des délégués belges. - Intervention à Paris du roi Léopold 1er. - Incident entre l'ambassadeur français et M. van de Weyer. Le général est blâmé par le comte Molé. Incapacité du général Sebastiani

Lord Palmerston, en rendant compte à M. van de Weyer de cette séance, l'invita à demander immédiatement au roi Léopold son opinion sur la proposition. Le diplomate le pria de l'autoriser à en écrire aussi à M. de Theux d'une manière particulière et confidentielle.

« Oui, lui fut-il répondu, toute confidentielle, et que votre lettre soit pour M. de Theux seul, car la moindre publicité serait nuisible à vos propres intérêts en ce moment ». En terminant la lettre particulière et très confidentielle dans laquelle il donnait, le 16 octobre, à M. de Theux, les renseignements qu'on vient de lire, M. van de Weyer ajoutait que si l'on entrait dans la voie choisie par la Conférence et que s'il était possible de prouver que le syndicat avait rapporter à la Belgique plus de deux millions, somme à laquelle était arrivé, à peu près, M. de Senfft, la Belgique pourrait peut-être obtenir une diminution plus forte.

La discrétion, à laquelle il était tenu, n'empêcha cependant pas M. van de Weyer d'indiquer à MM. Fallon et Dujardin le résultat de la réunion de la Conférence, mais il ne put leur donner aucune précision sur les éléments qui avaient amené les plénipotentiaires à arrêter le chiffre de trois millions pour la réduction de la dette.

Cette question intéressait au plus haut point les deux commissaires belges, car il leur paraissait essentiel de pouvoir démontrer à la Conférence qu'elle se trompait en pensant à nouveau qu'une telle réduction « donnerait à la Belgique une satisfaction suffisante sur les erreurs déjà commises. »

Comme le général Sebastiani devait être au courant des bases sur lesquelles les plénipotentiaires avaient établi leurs calculs, MM. Fallon et Dujardin se rendirent chez lui le 17 octobre. Ils débutèrent par lui faire observer qu'ils n'arrivaient pas pour discuter le mode de solution que les plénipotentiaires paraissaient vouloir adopter, que cela aurait excédé les limites de leur mandat, mais qu'ils désiraient lui démontrer, en acquit des devoirs de leur mission, qu'une erreur existait nécessairement dans les calculs où il avait puisé la conviction qu'une réduction de trois millions seulement serait, pour la Belgique, une satisfaction pécuniaire suffisante. Cette erreur, affirmaient-ils, provenait de ce que la Conférence avait procédé, cette fois encore, comme en 1831, sur des éléments (page 180) non livrés au préalable à l'examen et à la discussion des parties intéressées, Les commissaires obtinrent, pour toute réponse, une déclaration nouvelle de la double conviction, où se trouvait l'ambassadeur de Louis-Philippe, que la politique de transaction lui paraissait la seule praticable et qu'une diminution de trois millions était une réduction immense, impossible à obtenir pour la Belgique si on procédait à une liquidation régulière du syndicat. MM, Fallon et Dujardin demandèrent alors au général de leur permettre d'établir qu'il se faisait de grandes illusions en appréciant ainsi la concession obtenue de la conférence, et, pour pouvoir mieux le convaincre, ils le prièrent de leur communiquer les éléments des calculs auxquels s'étaient livrés les plénipotentiaires, Ces calculs, comme ils le dirent, semblaient d'autant plus sujets à caution que le rapport de la commission des finances portait à 5,585,000 florins la réduction à laquelle, en droit strict, la Belgique pouvait prétendre, et ce, sans tenir compte du bénéfice à retirer éventuellement de la liquidation du syndicat. Cette observation provoqua chez le général l'expression d'un profond mécontentement. Il se leva vivement en disant qu’on ne pourrait faire croire à personne qu'en sept années le syndicat eût pu éteindre les charges considérables dont il se trouvait grevé et obtenir en même temps des bénéfIces. Il se calma cependant et, sans donner aucun éclaircissement sur les calculs de la Conférence, il indiqua quelques chiffres au moyen desquels il n'arrivait qu'à une réduction de 2.617.000 florins, où se trouvaient compris 225.000 florins sur la dette austro-belge et un million sur la dette franco-belge

(Note de bas de page « Il paraît, au surplus, dit le rapport des commissaires, que les calculs que le général- a posés en notre présence ne sont pas en tous points conformes à ceux de ses collègues qui seraient néanmoins respectivement arrivés au même résultat par des combinaisons différentes. » (Fin de la note.)

Il fit beaucoup valoir que lord Palmerston et lui avaient, en outre, obtenu pour la Belgique le dégrèvement de tous les arrérages de la dette et que, par la renonciation à la liquidation du syndicat et du caissier de l'Etat, elle demeurerait en possession de capitaux que, sans cela, elle aurait dû rapporter au partage. Il fit remarquer, en outre, qu'il avait fallu sa fermeté, sa persistance à faire porter la réduction à 3.400.000 florins et l'insistance de lord Palmerston, pour rallier les plénipotentiaires de l'Autriche et de la Prusse au chiffre de trois millions, alors qu'ils ne voulaient pas dépasser celui de 2.617.000 florins. L'adhésion de la France au chiffre finalement adopté par les plénipotentiaires du nord n'avait, d'ailleurs, pas été donnée, le général ayant réservé l'approbation de son gouvernement.

Les commissaires belges ne crurent pas devoir lui ménager des (page 181) remerciements pour ses efforts et ses bonnes intentions. Mais, tout en les lui offrant, ils lui laissèrent entendre que tout cela ne constituait pour la Belgique qu'une satisfaction incomplète et que, s'il en jugeait autrement, sa conviction provenait de ce qu'il appréciait mal le résultat final d'une éventuelle liquidation du syndicat. .

Tous les efforts faits par MM. Dujardin et Fallon pour convaincre le général Sebastiani qu'il se prêtait à faire entrer la Belgique dans une mauvaise voie, échouèrent. Il conserva l'inébranlable sentiment d'avoir fait pour notre pays ce qui lui était le plus avantageux (« Rapport des commissaires en mission à Londres »).

M. de Theux ne fut pas plus satisfait que ses commissaires de la proposition de réduction de trois millions, quoique cette proposition constituât déjà une véritable amélioration sur les exigences des XXIV articles. Mais elle tenait trop peu compte des droits évidents de la Belgique pour que le gouvernement pût l'accepter sans s'exposer aux plus vives critiques des Chambres et de l'opinion publique, instruite et surexcitée à propos de la question financière par la brochure de M. Dumortier. Cette réduction maintenait à charge de la Belgique une dette non existante de 2.585.000 florins, outre la dette réelle de 2.215.000 florins et les 600.000 florins pour avantages commerciaux.

En écrivant à ce sujet, le 18 ou le 19 octobre, au roi Léopold, en ce moment à Paris, le ministre des Affaires étrangères disait :

« C'est à tort que l'on suppose que la réduction de 3.000.000 nous fait obtenir indirectement une diminution sur les chiffres portés dans les 8.400.000 florins du chef des dettes autrichienne et française, car il est à remarquer que la dette française est de 2.000.000 de florins ou plutôt qu'elle a été abusivement portée à ce chiffre et que la dette autrichienne n'est que de 450.000 florins, ce qui fait 2.450.000 florins. Or, comme la commission des finances a déjà porté la moitié de la dette autrichienne dans notre part de 2.215.000 florins, parce qu'elle a considéré la dette autrichienne comme dette de communauté, il s'en suit qu'il ne reste en contestation de ce chef qu'une rente de 225.000 florins qui, joints avec 2.000.000 de la dette française, font ensemble 2.225.0000 florins, tandis que, d'après la proposition qui nous est faite, nous aurions encore à payer en trop 2.585.000. Il s'ensuit qu'au lieu de nous décharger d'une partie des dettes autrichienne et française, on nous les laisserait supporter en entier et de plus 360.000 florins de rente, on ne sait à quel titre ; et on nous ferait perdre la moitié du boni du syndicat qui ne doit pas être sans importance, si l'on fait attention que l'emprunt de 30.000.000 fait pour les colonies doit être remboursé par celles-ci et que l'autre emprunt de 110.000.000 n'a pas été émis en entier, et que d'ailleurs il (page 182) était destiné à acquérir pour le bénéfice du syndicat des obligations de l'ancienne dette qui doivent figurer dans son avoir (…)

« J'ai cherché à connaître sur quoi repose la proposition d'une réduction de 3,000.000. Je pense l'avoir trouvé. En effet, l'emprunt de 110.000.000 à 4 1 ;/2 % et celui de 30.000.000 à 3 1 ;2 % font juste 6.000.000 de rente dont la moitié est de 3.000.000.

« C'est donc comme si l’on nous proposait de renoncer simplement à l'avoir du syndicat qui, comme je l'ai dit plus haut, doit cependant présenter une somme assez importante, et de demeurer grevés, en outre, de 2.585.000 florins de rente en trop qu'on veut nous endosser à d'autres chefs évidemment mal fondés » (Note de bas de page : Le 24 octobre, le roi Léopold répondit de Paris à. M. de Theux : « J'ai beaucoup approuvé votre lettre et les chiffres. »).

Sans attendre d’avoir reçu aucune réponse, ni de la Belgique, ni de la Hollande, au sujet du chiffre transactionnel proposé, la Conférence dressa des projets de traité à soumettre officieusement aux deux parties. Avant de les envoyer à M. van de Weyer, lord Palmerston et le général Sebastiani prièrent ce dernier de leur communiquer officieusement ou confidentiellement les articles que la Belgique souhaiterait y voir insérer. Les plénipotentiaires étaient tellement convaincus que leur proposition de transaction ne pourrait être repoussée, qu'il leur tardait d'avoir entre les mains tous les éléments d'un accord définitif. Le diplomate belge leur répondit qu'entrer dans cette voie, même d'une manière indirecte, serait s'écarter de la lettre et de l'esprit de ses instructions (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 19 octobre 1838).

Averti de cet incident, le chevalier de Theux, d'accord avec Léopold 1er, se borna à répondre au ministre de Belgique à Londres qu'il ne pouvait rien lui prescrire de nouveau à ce moment, qu'il fallait attendre le retour du roi à Bruxelles, que les instructions dont il était muni avaient été délibérées en conseil et qu'il ne devait rien faire qui y fût contraire (Lettre de M. de Theux au roi, 23 octobre 1838. – Lettre du roi à M. de Theux, 24 octobre 1838).

En se ralliant, sous réserve de l'approbation de son gouvernement, à la réduction de trois millions, le général Sebastiani avait pris une initiative à laquelle ne l'autorisaient pas ses instructions. Il s'attacha pourtant à laisser croire que le cabinet des Tuileries approuvait l'arrangement proposé et, qu'à ses yeux, la diminution, était suffisante (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 19 octobre 1838). Il fit même plus. Afin d'obtenir une approbation officielle de son attitude et de lier ainsi son gouvernement, il écrivit (page 183) au comte Molé (Sa lettre arriva à Paris le 24 octobre) que l'arrangement adopté par la Conférence était tellement favorable aux Belges qu'il dépassait de beaucoup leurs espérances, que M. van de Weyer lui-même l'avait formellement déclaré, qu'en outre les deux commissaires financiers avaient hautement proclamé leur assentiment. L'ambassadeur ajoutait que sa position devenait insoutenable, que les Belges déclarant leur satisfaction, il restait seul, que cela mettait la France dans la plus fausse des positions puisque cela lui donnait l'air de s'opposer seule à la conclusion de l'affaire et cela dans un but intéressé.

Le roi Léopold se trouvait heureusement à Paris au moment où ce rapport y parvint et M. de Theux venait de lui envoyer une lettre écrite de Londres, le 19 novembre, par MM. Fallon et Dujardin, dans laquelle ceux-ci exprimaient leur sentiment au sujet du chiffre et protestaient contre celui que la Conférence avait adopté. Léopold 1er fit lire cette lettre à Louis-Philippe et au comte Molé. Sans cela l'assentiment du gouvernement français partait le lendemain de l'arrivée du rapport du général Sebastiani et la Belgique se serait trouvée dans la plus fâcheuse des positions (Lettre de Léopold 1er au chevalier de Theux, 25 octobre 1838).

Léopold 1er et le chevalier de Theux écrivirent immédiatement, chacun de son côté, à M. van de Weyer, pour lui demander des explications. Au roi, le diplomate répondit qu'il croyait, en effet, à la satisfaction exprimée par les commissaires belges, qu'à la vérité cette satisfaction ne lui avait pas été manifestée à lui-même, mais que le général Sebastiani lui en avait répété l'expression (Lettre de M. van de Weyer .au roi, 27 octobre 1838).

Lorsqu’il reçut la lettre que le chevalier de Theux lui adressa le 26 octobre, M. van de Weyer prit un parti décisif. Il se rendit immédiatement chez l'ambassadeur de France et, fort de la réserve dans laquelle il s'était renfermé chaque fois qu'on lui avait parlé de propositions transactionnelles, il lui posa catégoriquement ces deux questions : 1° - Vous ai-je jamais déclaré que la réduction de 3.000.000 de florins serait suffisante ? 2° - Avez-vous écrit à Paris que, selon moi, la Belgique en serait satisfaite ?

Le général, convaincu de l'impossibilité de biaiser, répondit au diplomate belge ne point se rendre compte du motif qui le portait à cet interrogatoire ; que, loin d'approuver l'arrangement proposé, il reconnaissait que M. van de Weyer avait constamment déclaré que s'il ne recevait pas de nouvelles instructions, il ne sortirait pas du système résumé dans le memorandum ; que lui, général Sebastiani, n'avait point écrit à Paris qu'aux yeux du ministre de Belgique la réduction de 3.000.000 fût suffisante. Il montra même une (page 184) dépêche toute récente du comte Molé, dans laquelle ce dernier annonçait qu'un des commissaires, s'étayant de l'opinion de M. van de Weyer, avait préparé un travail destiné à prouver que cette proposition ne pouvait être acceptée. « Cependant, ajouta le général, je dois à la vérité de dire que M. Fallon, la veille de son départ, m'a affirmé que la Belgique avait à peu près ainsi gain de cause sur la question de la dette ; et que, le lendemain, M. Dujardin me tint le même langage. J'ai rendu compte de ces deux entretiens dans une lettre particulière. Il est possible que votre nom s'y soit mêlé, mais je n'en n'ai point souvenance ; et j'ai été tellement frappé de votre réserve qu'en conférence j'ai déclaré que je ne m'engageais point sur la réduction proposée et que j'attendrais les instructions de mon gouvernement »

(Note de bas de page) Voici le texte de la lettre adressée par M. le comte Sebastiani au comte Molé : « M. van de Weyer est venu me déclarer, avant-hier, que les conditions financières de la transaction ne laissaient rien à désirer. Les deux commissaires, MM. Fallon et Dujardin, m'ont exprimé la même opinion et j'ai reçu au nom du gouvernement du roi leurs plus vifs remerciements (...) Je tremble de voir échapper, peut-être sans retour, une occasion unique de terminer honorablement la question la plus européenne posée depuis huit ans. » Arch. du Min des Aff. étr. à Paris, Angleterre, 651, folio 228. (Fin de la note).

Satisfait de cette réponse quelque peu mensongère, M. van de Weyer se rendit ensuite chez lord Palmerston. - « Votre Seigneurie, lui dit-il, en fixant la réduction à 3.000.000, s'est-elle étayée de mon opinion et le général Sebastiani a-t-il insinué qu'il y avait des raisons de croire que la Belgique en serait satisfaite ? » - « Nous avons pris pour base de nos calculs, répondit lord Palmerston, le travail même de la commission et, quant à votre opinion, comment aurais-je pu l'invoquer, lorsque vous avez pris la précaution jusqu'à me prévenir que si la réception officieuse et la transmission à Bruxelles des projets de traité pouvaient être considérées comme un acheminement à un changement de système, vous n'en prendriez point sur vous la responsabilité ? Je vous dirai franchement, mais confidentiellement, quelles sont mes suppositions : je crois que le général Sebastiani, en se prêtant à poser un chiffre transactionnel, a pris l'initiative sur son gouvernement, et que, pour justifier la marche qu'il a suivie, il se sera appuyé des paroles de MM. Fallon et Dujardin.

(Note de bas de page Toute la correspondance de MM. Fallon et Dujardin permet d'affirmer qu'ils ne prononcèrent pas les paroles que leur prêtait le général Sebastiani. Ils donnèrent à ce sujet à ce dernier un déni catégorique. Le 9 novembre, M. de Theux écrivait à Léopold 1er : « Ensuite de la lettre que j'avais reçue jeudi de M. van de Weyer, j'ai eu de nouvelles explications avec MM Fallon et Dujardin qui ont persisté dans leurs déclarations précédentes, dont j'ai fait part à Votre Majesté. Il faut donc qu'il y ait un malentendu. » Le 13, le ministre mandait à M. van de Weyer : « J'ai reçu votre lettre particulière et confidentielle du 9 novembre. Elle me confirme nettement que le général Sebastiani s'est trop avancé en dehors de ses instructions en comptant justifier ses démarches par votre adhésion ou celles de nos commissaires. Je ne puis mieux faire, pour vous mettre à même de prouver, au besoin, que le comte Sebastiani s'est trompé sur l'opinion de nos commissaires, qu'en vous mettant sous les yeux copie de la lettre que M. Fallon m'a écrite de Londres, le 19 octobre, et l'extrait du rapport que son collègue et lui m'ont adressé depuis leur retour, sur leur récente mission. Ces messieurs m'ont d'ailleurs affirmé, verbalement, de la manière la plus formelle, les détails dont il s'agit » (Fin de la note).

(page 185) Cependant, en conférence, le général a déclaré qu'il n'était point autorisé à souscrire à une réduction de trois millions, mais bien à celle de 3.400.000 florins. »

Le général Sebastiani chercha visiblement à atténuer le mauvais effet que ses rapports avaient produit sur le ministre de Belgique. Il s'attacha à le persuader de la confiance qu'il mettait en lui. Tôt après l'entretien que nous venons de rapporter, il le pria de passer à l'ambassade de France, disant qu'il avait une communication importante à lui faire. Il lui lut quelques passages d'une dépêche qu'il venait de recevoir et dans laquelle le comte Molé, tout en insistant pour que l'on fît droit aux réclamations du cabinet de Bruxelles, déclarait que la France suivrait en tout point la marche que l'Angleterre imprimerait aux négociations.

Cette communication n'était qu'un prétexte pour que M. van de Weyer jetât le voile de l'oubli sur l'incident qui avait tant ému à Paris le roi Léopold. « Croyez-vous, demanda le général au diplomate belge, que si l'on réduisait la dette à cinq millions, on serait satisfait en Belgique ? »

M. van de Weyer lui répondit qu'il ne se croyait pas autorisé à exprimer une opinion à cet égard. Le 30 octobre, l'ambassadeur revint à la charge. Il obtint la même réponse. « Je regrette, dit-il alors, que vous attachiez tant d'importance aux rapports incomplets que l'on fait à Bruxelles. N'entrez, croyez-moi, dans aucune explication à cet égard, et laissez mourir des propos qui ne sont propres qu'à semer la désunion et la défiance parmi nous. Vous savez que j'ai en vous la plus grande confiance. Je vais vous en donner une nouvelle preuve en vous communiquant confidentiellement les calculs qui nous ont servi à fixer, de concert avec lord Palmerston, la réduction de trois millions. »

L'incident ne se termina pas sans que le général Sebastiani eût reçu des observations de son gouvernement. Pendant plusieurs jours, il se montra vivement contrarié et tout le monde remarqua son air soucieux (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 30 octobre 1838).

(Note de bas de page) Le 9 novembre, M. van de Weyer, dans une lettre particulière et confidentielle, mandait encore à M. de Theux : « Plusieurs dépêches récemment écrites de Paris par M. d'Arnim, ont augmenté l'impatience et la mauvaise humeur des ministres de .Prusse et d'Autriche. Ils accusent la France de mauvaise foi. Le général Sebastiani, disent-ils, a déclaré positivement qu'une réduction de 3.400.000 florins paraissait satisfaisante au cabinet français. Aujourd'hui, nous apprenons que M. le comte Molé est disposé à désavouer le général et à déclarer qu'il était sans instructions de sa cour à cet égard. Il nous importe de savoir à quoi nous en tenir avant d'appuyer de nouveau à La Haye le projet de transaction. » Lord Palmerston a cherché à détourner le coup qui menaçait l'ambassadeur de France. MM. de Senfft et de Bülow ont compris qu'ils ne gagneraient rien à constater qu'il y a, dans ce moment, divergence d'opinion, en quelque sorte lutte ouverte entre le général et le cabinet français. La discussion a donc été ajournée.

« Vous comprenez maintenant, mon cher ministre, par quels motifs et dans quel but le comte Sebastiani a écrit à Paris que MM. van de Weyer, Fallon et Dujardin étaient satisfaits de la réduction proposée. Plus tard, c'est-à-dire après le départ des deux commissaires, le général aurait voulu que je m'expliquasse sur le chiffre de 3.400.000 florins. Vous savez la réponse que je lui ai faite, et je me félicite d'avoir gardé autant de réserve, car c'eût été à nos dépens que le comte Sebastiani se serait justifié auprès de sa cour d'avoir pris l'engagement en question. » (Fin de la note)

(page 186) Le 26 octobre, le comte Molé lui avait adressé une lettre mettant nettement en doute ses affirmations.

« Non seulement, j'ai pu m'assurer auprès du roi Léopold lui-même, lui écrivait-il, que Sa Majesté était loin de partager cette satisfaction de ses agents, si elle existait, mais j'ai lu de mes yeux une très longue lettre d'un des commissaires belges à M. de Theux et écrite à la même date que la vôtre, où ce commissaire rend compte à son gouvernement de son insistance auprès de vous pour que les chiffres qu'il avait apportés à Londres fussent au moins pris en considération dans les transactions qui seraient faites et où, s'appuyant de l'opinion de M. van de Weyer entièrement semblable à la sienne, il ajoute qu'il a protesté jusqu'au bout contre les arrangements adoptés et conformément aux instructions qu'il avait reçues. Il nous est donc impossible de considérer la Belgique comme satisfaite ni de compter sur son actuel consentement. Même en écartant le principe de la révision, ne serait-il pas juste de chercher à se rendre compte de la vérité des chiffres, ne fût-ce que pour pouvoir ne demander à chacun que des sacrifices raisonnables. La réduction de trois millions n'apparaît aux Belges que comme une compensation équitable de ce qu'ils avaient lieu d'attendre de la liquidation du syndicat d'amortissement. En résumé, le gouvernement du roi attendra que la Belgique ait répondu officiellement aux communications qui ont dû lui être adressées de Londres. »

Malheureusement, le comte Molé terminait sa lettre par une phrase qui le montrait prêt à céder à toutes les exigences de l'Angleterre et qui ne devait pas exciter le comte Sebastiani à chercher à se soustraire à l'influence de lord Palmerston.

« Décidé à ne pas se séparer de l'Angleterre dans cette question, écrivait le ministre, non plus que dans nulle autre sans une nécessité qui, il l'espère bien, ne se rencontrent jamais, il a successivement abandonné les idées qui lui étaient propres en voyant l'Angleterre ne pas les soutenir. » (Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris, Angleterre, 651, folio 244-249).

(page 187) Il y avait quelque temps déjà que le gouvernement belge s'était aperçu qu'il ne possédait plus dans le général Sebastiani un défenseur très ardent de sa cause. Ce n'est pas qu'il y eût, pensons-nous, mauvais vouloir chez l'ambassadeur. Celui-ci ne nous était pas, en fait, hostile, mais il ne se trouvait plus à la hauteur de sa tâche. Des congestions avaient, à plusieurs reprises, affaibli ses forces et ses capacités intellectuelles. L'affaire hollando-belge, avec ses difficultés multiples, lui pesait outre mesure. Il ne pouvait, pour son propre repos, qu'aspirer à la voir se terminer le plus rapidement possible. Dans l'ébranlement de sa santé, il n'était plus en mesure de lutter contre des adversaires jeunes, pleins de vigueur et d'ardeur comme MM. de Senfft et de Bülow, alors surtout que, pour leur résister, il ne trouvait plus chez lord Palmerston qu'un médiocre appui. En outre, il n'était, par amour de son repos, que trop disposé à subir l'influence, on pourrait même dire le joug, du ministre britannique. Le Gouvernement de Juillet se rendait compte de l'incapacité de son représentant à Londres. Il eût été utile, dans l'intérêt de la France elle-même, qu'il mît un terme à sa mission, mais le général avait encore une influence et une place dans le monde politique de la Monarchie de Juillet, qui ne permettaient pas de toucher à lui sans risquer de provoquer des mécontentements qu'on désirait éviter à tous prix (Lettre du prince de Ligne au chevalier de Theux, juin r838. - Lettre du chevalier de Theux au roi Léopold, 12 octobre 1838. - Lettre de Léopold Ier, au chevalier de Theux, 13 octobre 1838.)

(Note de bas de page) « Le comte Molé m'a renouvelé l'assurance, écrivait le comte le Hon, le 11 novembre 1838. au chevalier de Theux, que le général Sebastiani avait pour instructions de ne consentir à rien et de ne rien signer sans recours préalable à son gouvernement, à moins qu'il ne s'agît de conditions expressément acceptées d'avance. Le ministre reconnaît et déplore l'affaiblissement moral de l'ambassadeur. Mais il n'y peut rien et c'est une haute notabilité politique qu'on ne peut déplacer. J'ai fortement insisté pour que le président du Conseil prenne en mains la direction la plus minutieuse non moins que la plus haute de la politique française dans tous les rapports avec la Conférence de Londres. Je suis certain du soin que mettra M. le comte Molé à remplir ses promesses à cet égard. Néanmoins, il manquera toujours à Londres un diplomate qui sache faire servir à notre cause l'influence d'un grand Etat comme la France, quand il est dignement représenté. » Le lendemain, le comte le Hon écrivait encore au chevalier de Theux : « Voilà quelles sont les instructions envoyées hier au comte Sebastiani. Il est malheureux qu'elles ne soient pas confiées à un agent moins moralement affaibli que ne l'est aujourd'hui ce diplomate, et pourvu de l'ancienne habileté qui le caractérisait. » (Fin de la note)

5. La Conférence prépare un projet général de traité. Refus de M. van de Weyer de coopérer à ce travail

Lorsque le roi Léopold, alors en France, eût été informé de la décision prise par la Conférence de réduire la dette belge de trois millions, il s'empressa, sans s'être préalablement concerté avec M. de Theux, d'envoyer lui-même directement des instructions à son représentant à Londres. Nous ne possédons pas ces instructions, mais, d'après la réponse de M. van de Weyer, on peut affirmer que le monarque voulait la continuation de la politique décidée de (page 188) concert avec ses ministres. Le 27 octobre, M. van de Weyer écrivait, en effet, au roi :

« Les instructions que me donne Votre Majesté sont d'une clarté et d'une simplicité qui ne laissent aucun doute sur vos intentions. Elles seront suivies à la lettre ; mais je crains que la Conférence ne soit point arrêtée dans ses travaux par les difficultés que nous lui opposons. Elle a pris la ferme résolution de marcher avec nous si nous consentons à entrer dans la voie qu'elle a ouverte ; sans nous, si nous nous renfermons dans le système de la révision et de la liquidation préalable. Lord Palmerston vient de me faire parvenir une nouvelle rédaction de l'article IX relatif à la navigation des fleuves et rivières, rédaction concertée avec MM. de Senfft et de Bülow. Je la transmets aujourd'hui à M. de Theux. »

En même temps qu'il envoyait ce message à Léopold 1er, M. van de Weyer faisait connaître à Bruxelles qu'une réduction de 3 millions 400,000 florins serait, de l'avis de lord Palmerston, l'ultimatum des Puissances du nord sur la question de la dette (Lettre de M. van de Weyer à M. de Theux, 30 octobre 1838) et, quelques jours après, le comte Molé laissait entendre au comte le Hon que lui non plus ne croyait pas pouvoir obtenir une plus grande concession (Lettre du comte le Hon au chevalier de Theux. 12 novembre 1838.)

(Note de bas de page) Le 8 novembre, le comte Bresson écrivait de Berlin au comte Molé : « En leur âme et conscience, il est impossible que les négociateurs belges ne considèrent pas comme un avantage inattendu pour leur pays, la quotité transactionnelle proposée par la Conférence. » Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris, Prusse, 290, folio 239. - Dans la même lettre, le diplomate français disait encore : « Nous avons à considérer maintenant si nous ne compromettons pas, exigeant davantage, ce que nous avons déjà obtenu. Nous nous sommes exposés, dans l'intérêt des Belges, aux soupçons les plus fâcheux ; nous avons risqué, en quelque sorte, de reperdre tout le terrain que nous avions gagné en Allemagne. » (Fin de la note).

Sans attendre une réponse de Bruxelles à la résolution prise par la Conférence, sans même lui laisser le temps de répondre (Note de bas de page : En effet, en même temps que lord Palmerston remettait à M. van de Weyer le chiffre fixé par la Conférence pour la dette, il lui remettait un nouveau projet de rédaction de l'article concernant la navigation des fleuves et des rivières), les plénipotentiaires se mirent à l'œuvre pour arrêter la rédaction définitive des articles du traité qui n'avaient pas été paraphés en 1833.

Cette manière de faire ne devait pas plaire au gouvernement royal (Lettre de M. de Theux au roi Léopold 1er, 30 octobre 1838). M. de Theux écrivit à ce sujet à M. van de Weyer le 30 octobre, pour le prier d'attirer l'attention de lord Palmerston sur les motifs qu'avait la Belgique de se plaindre d'une aussi étrange procédure. Le diplomate n'attendit pas ces instructions pour agir de la manière que le désirait son gouvernement. Lorsque lord Palmerston lui remit la première rédaction de l'article 9, il lui fit observer que, lié par ses instructions, il lui était impossible de discuter avec lui les (page 189) mérites de ce projet, et moins encore de lui soumettre, ainsi que le désirait le ministre de la reine Victoria, un contre-projet, mais qu'il suffisait d'une simple lecture pour juger que la rédaction de MM. de Bülow et de Senfft était, sous tous les rapports, incomplète et insuffisante. M. van de Weyer ajouta qu'on ne parviendrait à bien formuler les dispositions de l'article 9 qu'en les discutant contradictoirement ;.et, qu'en conséquence, il serait prudent et sage d'attendre que la légation de Belgique fût autorisée à se livrer à cet examen. Lord Palmerston répondit :

« Il y a bientôt deux mois que je vous ai demandé de me fournir une rédaction complète de l'article 9 ; rien ne s'opposait, même dans son système, à ce que le gouvernement belge, sans s'expliquer sur les stipulations financières, procédât à la discussion de celles qui sont relatives à la navigation des fleuves et rivières. Jusqu'à présent, nous avons attendu en vain ; et il est résulté du silence que l’on garde à cet égard à Bruxelles, la conviction que l'on ne veut en finir sur rien. On retombe aujourd'hui dans la même faute que l'on a commise en 1831, où, sous prétexte de ne point sortir des XVIII articles, le gouvernement belge refusait de s'expliquer sur les points les plus importants. Nous avons pris le parti de ne point nous arrêter, par cela seul qu'on reste immobile à Bruxelles ; et nous pouvons, en ce qui concerne l'article 9, marcher avec d'autant plus d'assurance, que nous sommes heureusement munis des projets que vous nous avez fournis dans le cours de la négociation de 1833. C'est dans ce projet que je puiserai les amendements à proposer à MM, de Senfft et de Bülow, puisque vos instructions ne vous permettent pas de prendre en r838 la part que vous avez prise en 1833 (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 2 novembre 1838).

Impatientés de ne point recevoir de réponse à la proposition transactionnelle de la Conférence, M. de Senfft et de Bülow se, rendirent, le 27 octobre, au Foreign Office, pour y déposer entre les mains de lord Palmerston une protestation officielle, contre ce qu'ils appelaient « les lenteurs calculées du cabinet de Bruxelles ».

Lord Palmerston leur fit observer que, jusqu'alors, et à leur propre demande, la négociation n'avait été qu'officieuse et confidentielle ; que la remise d'une note officielle en changerait tout à coup le caractère, et que les difficultés qui s'opposaient à l'arrangement définitif, n'en seraient qu'augmentées. Le noble lord représenta aussi aux deux diplomates qu'il était d'ailleurs à peu près impossible que le gouvernement belge eût pu prendre une résolution ; qu'en effet, pendant l'absence du roi, le cabinet ne pouvait guère s'expliquer sur des questions aussi importantes, et que, de son côté, Léopold 1er, en sa qualité de souverain constitutionnel, (page 190) n'exprimerait d'opinion qu'après avoir consulté son conseil. Le ministre britannique conclut en demandant aux plénipotentiaires autrichien et prussien de retirer leur protestation et d'attendre, pendant une huitaine de jours encore, la réponse du gouvernement belge. MM. de Senfft et de Bülow y consentirent, mais ils demandèrent au secrétaire d'état britannique une déclaration officielle portant que si la Belgique rejetait l'arrangement raisonnable qui lui était proposé et traînait ainsi la négociation en longueur, la Grande-Bretagne se joindrait aux autres Puissances pour mettre un terme au statu quo établi par la convention du 2J mai 1838. Lord Palmerston refusa : le moment d'agiter cette question ne lui paraissait pas encore venu et une pareille déclaration constituait un acte trop grave pour qu'il consentît à la signer sans une absolue nécessité.

6. Protestation de MM. de Senfft et de Bülow contre les lenteurs du gouvernement belge. - Menaces du cabinet anglais de ne plus garantir le statu quo. - Nouvelle pression de MM. de Senfft et de Bülow sur lord Palmerston

MM. de Senfft et de Bülow lui notifièrent alors que, pour mettre leur responsabilité à couvert, il leur importait que la demande qu'ils venaient de faire se trouvât constatée au moins par un memorandum qu'ils remettraient officieusement entre ses mains et dont ils communiqueraient une copie à leurs cours (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 30 octobre 1838). Ce memorandum protestait à nouveau contre les lenteurs du gouvernement belge, laissait entendre que le séjour du roi à Paris était un expédient concerté avec son conseil des ministres, pour donner une apparence de raison à ces lenteurs, et demandait aux cabinets des Tuileries et de Saint-James de menacer la Belgique, dans-le cas où elle continuerait à repousser les conditions jugées par ces deux Puissances elles-mêmes justes et équitables, de la priver de leur appui pour le maintien du statu quo.

(Note de bas de page) « M. de Werther est très affecté, écrivait, le 6 novembre, le comte Bresson, que la France se refuse à adhérer, avant la Belgique elle-même, au mode de payement proposé par la Conférence. Ce changement fâcheux ne pouvait être que l’œuvre du roi des Belges ; qu'il s'alarmait quand il voyait Sa Majesté se diriger vers Paris ; qu'Elle y exerçait sur cette question la plus fâcheuse influence ; qu'Elle réussissait a vous faire illusion ; que la Confédération germanique finirait par réclamer les territoires qui lui appartenaient. » Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris, Prusse, 290, folio 231. (Fin de la note)

« Il importe, dit lord Palmerston à M. Van de Weyer en lui remettant confidentiellement une copie du mémorandum des plénipotentiaires prussien et autrichien, que l'on se rende bien compte en Belgique du véritable état de la question. Vous avez demandé la révision de la dette et la liquidation préalable du syndicat d'amortissement. Pour l'obtenir, il faut l'assentiment de toutes les parties. Or, trois des cinq Puissances représentées à la Conférence ont pris la ferme résolution de s'y refuser ; et la Grande-Bretagne elle-même pense qu'il est impossible de vous accorder une liquidation préalable. En conséquence, une transaction vous a été proposée, et l'on a fixé à trois millions la réduction de la dette.

(page 191) « Vous êtes bien les maîtres de rejeter cette proposition ou de déclarer que cette réduction est insuffIsante. Mais alors, vous rentrez dans votre première position, c'est-à-dire dans les termes du traité du 15 novembre ; et vous n'aurez de réduction que celle qui sera le résultat de la liquidation postérieure du syndicat d'amortissement (Note de bas de page : Lord Palmerston, on parlant ainsi, oubliait que la Belgique avait, en outre, droit à la révision de la dette, en se basant sur les inexactitudes des tableaux néerlandais). Je ne veux point que l'on vous impose un chiffre transactionnel quelconque ; la Conférence a épuisé ses pouvoirs d'arbitre, mais la cote mal taillée une fois rejetée, on s'en tiendra aux stipulations du traité. Dites, je vous prie, à M. de Theux que nous comptons bien recevoir, dans la huitaine, une réponse catégorique à cet égard » (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 30 octobre 1838).

Irrité de la résistance tenace qu'il rencontrait à Bruxelles et qui contrariait son désir de mettre fin aussi rapidement que possible à la question hollando-belge pour avoir les mains complètement libres dans le règlement des affaires d'Orient, lord Palmerston, malgré la bienveillance qu'il affirmait conserver pour la Belgique, n'hésita pas à forcer sa volonté par des menaces et à se faire l'exécuteur des exigences manifestées par les Puissances du nord. Il avait refusé à MM. de Senfft et de Bülow de prévenir le cabinet de Bruxelles qu'il ne défendrait plus le statu quo si la proposition transactionnelle était rejetée, mais, en réalité, il s'empressa d'accomplir cette démarche.

Le chef du Foreign Office avait chargé sir G. H. Seymour d'entretenir M. de Theux des propositions relatives à la dette. Le diplomate anglais eut plusieurs conversations à ce sujet avec le ministre belge. Celui-ci lui déclara, à diverses reprises, que le chiffre proposé était inadmissible, la différence entre les conclusions du travail de la commission des finances et la somme fixée par la Conférence étant trop considérable. Dans une dernière entrevue, les communications de sir G. H. Seymour ayant fait aborder la question territoriale, le chevalier de Theux exprima son étonnement de voir le gouvernement britannique continuer à appuyer le morcellement de la Belgique, lorsqu'il était évident qu'un tel événement aurait les conséquences les plus fâcheuses pour l'indépendance du pays et surtout pour la mission qu'on lui avait assignée dans l'intérêt européen en le déclarant État neutre. Il chercha en même temps à démontrer qu'il était avantageux que la Belgique continuât à demeurer limitrophe de l'Allemagne sur une grande étendue de ses frontières, « parce que les relations de commerce et autres avec cette contrée empêchent que des sympathies exclusives ne dominent chez les Belges. » Il fit observer aussi à son interlocuteur que si la Hollande venait à (page 192) posséder la moitié du Limbourg, elle pourrait, d'accord avec la Prusse, paralyser, en quelque sorte, les effets du chemin de fer belge. Il suffisait, en effet, pour cela, que cette dernière Puissance facilitât, à notre préjudice, par l'établissement d'une ou de plusieurs voies ferrées dans les territoires contestés, des relations de commerce entre elle et les Pays-Bas (Lettre de M. de Theux à M. van de Weyer, 13 novembre 1838).

Le compte-rendu de cet entretien, que lui fit parvenir son représentant à Bruxelles, mécontenta vivement lord Palmerston. Dans son irritation, il écrivit immédiatement à sir G. H. Seymour, en lui ordonnant de laisser une copie de la lettre entre les mains de M. de Theux, que si la Belgique refusait des conditions raisonnables, le gouvernement anglais n'appuierait plus le maintien du statu quo et que la convention du 21 mai 1833 cesserait de lier la Hollande en même temps que de retenir dans l'inaction la Confédération germanique (Lettre de M. van de Weyer à M. de Theux, 9 novembre 1838).

La réponse de M. de Theux dénota que celui-ci ne se laissait pas impressionner par une menace :

« Quant à la déclaration qui termine la lettre que Sa Seigneurie a chargé Votre Excellence de me communiquer, écrivait-il le 13 novembre au chevalier Seymour, le moment ne me paraît pas opportun pour la discuter, puisque l'événement auquel il est fait allusion est purement hypothétique. Je ne puis cependant admettre que, dans le cas où la négociation actuelle viendrait à échouer, les effets de la Convention du 21 mai 1833 cesseraient par cette seule circonstance. Les conséquences que l'on voudrait tirer de ce fait seraient certainement moins fondées que celle que la Belgique aurait pu vouloir tirer contre la Hollande de l'échec des négociations de 1833 qui avait suivi immédiatement cette convention. Le gouvernement belge persiste donc à compter sur l'appui sincère et loyal du gouvernement de S. M. britannique. Il se croirait, en outre, le droit, si le statu quo venait à être troublé, de profiter des chances des événements favorables et de s'indemniser des dommages qui pourraient être causés au pays. »

Une démarche de M. Dedel fournit à l'impatience et à la mauvaise humeur des plénipotentiaires du nord l'occasion de se manifester à nouveau.

Le 8 novembre, le diplomate néerlandais donna lecture aux représentants des cinq cours d'une lettre par laquelle M. Verstolck de Soelen, ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas, lui rappelait que l'adhésion du roi de Hollande aux XXIV articles datait du mois de mars ; que le souverain avait été en droit de s'attendre (page 193) à une réponse avant l'ouverture des Etats-Généraux ; que cette réponse ne lui ayant pas été remise, il s'était, dans le discours du Trône, montré d'une grande réserve ; mais que le gouvernement se trouverait vraisemblablement, lors de la reprise des travaux parlementaires, le 28 novembre, amené à faire aux Etats d'amples communications politiques et que, pour ce motif, il croyait devoir insister afin que la Conférence lui fît connaître ses décisions au plus tard le 20 (Lettres de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 9 et 13 novembre 1838).

MM. de Senfft et de Bülow se rendirent immédiatement au Foreign Office pour insister à nouveau sur la nécessité de faire, auprès du cabinet de Bruxelles, une démarche collective afin d'exiger une réponse prompte et catégorique aux dernières propositions de la Conférence.

Leur irritation s'était encore accrue sous l'effet des nouvelles que leur envoyait de Paris le baron d'Arnim au sujet de l'attitude du gouvernement français (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 9 novembre 1838).

Leur démarche resta sans suite. L'arrivée d'une réponse envoyée par le gouvernement belge, si elle ne devait pas dissiper leur mécontentement, rendait du moins inutile et inopportun l'ultimatum auquel ils aspiraient.

7. Le cabinet de Bruxelles propose de fixer la dette à 3.200.000 florins. - Lord Palmerston accueille ce chiffre avec irritation

Dès que Léopold 1er était rentré de Paris, on avait décidé de répondre au chiffre transactionnel de la Conférence par un autre chiffre. Si les plénipotentiaires avaient proposé de réduire la dette de 3,000,000 de florins, le cabinet belge suggéra d'en fixer la totalité à 3,200,000 florins, « taux mieux en rapport avec la vérité des faits et la justice qui .doit présider au partage de la communauté ». Mais, considérant toujours qu'il y avait nécessité de s'entendre avant tout sur la question de la dette et d'ajourner la discussion sur les autres articles, le gouvernement du roi Léopold, en portant sa décision à la connaissance de la Conférence, déclarait de la manière la plus expresse qu'il se réservait de répondre ultérieurement aux communications officieuses faites sur d'autres points et qu'il n'entendait à ce moment admettre aucun article des projets que lord Palmerston avait remis à M. van de Weyer (Lettre du chevalier de Theux à M. van de Weyer, 10 novembre 1838).

Lorsqu'il connut le chiffre proposé par le gouvernement belge, le comte Molé dit au comte le Hon qu'il préférait une contre-proposition, même peu raisonnable, à un refus pur et simple, mais que, sans doute, le chiffre de 3,200,000 florins serait rejeté avec une sorte de colère (Lettre du comte le Hon au chevalier de Theux, 12 novembre 1838).

(page 194) L'accueil que fit lord Palmerston à la décision du gouvernement belge allait réaliser immédiatement les prévisions du ministre françals.

Le 12 novembre au soir, M. van de Weyer donna lecture au ministre britannique de la lettre dans laquelle le chevalier de Theux exposait les décisions prises il Bruxelles. Le diplomate avait cru devoir, avant de procéder à cette lecture, s'abstenir d'entrer en aucune explication afin de pouvoir mieux juger de l'effet que produirait la communication. En entendant le chiffre de 3,200,000 florins, lord Palmerston ne put retenir une vive exclamation, suivi d'un éclat de rire amer, « marque non équivoque de sa désapprobation et de son désappointement ». Il exprima plus explicitement encore ses sentiments lorsque M. van de Weyer se fut tu et qu'il put à son tour prendre la parole

(Note de bas de page « Lord Palmerston a trouvé que le chiffre de 3.200.000 florins était une véritable dérision, écrivait, le 16 novembre, le comté Sebastiani au comte Molé. Il a ajouté qu'il se garderait bien de se servir de ce mot avec nos collègues du nord, mais il n'a pas cru devoir me cacher le fond de ses pensées. » Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris, Angleterre, 651, folio 281. (Fin de la note)

« Il ne m'appartient pas de donner, dit-il, avant d'avoir consulté les autres membres de la Conférence, une opinion officielle sur la proposition du gouvernement belge ; mais ce que je puis dire, c'est qu'à mes yeux, elle n'est point de nature à amener entre les deux parties le rapprochement désiré. Je crains même qu'elle n'ait pour effet de rompre toute négociation sur le chiffre transactionnel. Les trois plénipotentiaires du nord ne verront dans votre proposition qu'un refus de traiter, qu'un moyen de traîner l'affaire eu longueur et de prolonger indéfiniment le statu quo territorial. Nous savons nous-mêmes, par le silence que vous avez gardé sur les articles 1 à 8 du traité, par le langage que M. de Theux a tenu à sir G. H. Seymour, par la réserve que renferme la dépêche même que vous venez de me lire, nous savons, dis-je, que le gouvernement belge n'a d'autre objet en vue que la conservation des territoires cédés. Or, votre proposition actuelle, loin de vous faciliter les moyens d'atteindre ce but, ne fera que précipiter le moment, où il faudra que l'on perde, en Belgique, toute illusion à cet égard. Elle aura probablement pour résultat que l'on s'en tiendra purement et simplement au traité du 15 novembre (Note de bas de page : En marge de la dépêche de M. van de Weyer qui relatait cet entretien, M. de Theux avait écrit : « Mais il faut un traité nouveau. Voyez la Convention du 2I mai »), que le chiffre de 8,400,000 florins sera maintenu, de sorte que la Belgique ne pourra espérer de réduction que par l'effet de la liquidation du syndicat d'amortissement. MM. de Senfft et de Bülow, qui n'avaient consenti qu'à notre demande expresse, et grâce à nos instances réitérées, à admettre le principe de la cote mal taillée, se renfermeront, sans doute, à l'avenir, dans leurs premières instructions, et déclareront qu'ils tiennent pour nulles et non avenues toutes les propositions officieuses qui (page 195) ont été faites pour faciliter une transaction

(Note de bas de page) Le langage de lord Palmerston en cette circonstance, paraît avoir ou pour but d'effrayer M. van de Weyer et l'amener à peser sur son gouvernement afin d'obtenir la proposition d'un chiffre transactionnel plus élevé. A aucun moment de la négociation, il ne fut question de réaliser aucune des éventualités prévues par le ministre britannique. (Fin de la note).

Ils ne se flattaient point de voir accepter de prime abord la réduction de 3,000,000 de florins ; ils s'attendaient à une contre-proposition et ils comptaient même qu'elle serait déraisonnable, mais dans toutes les conjectures qu'ils ont faites à cet égard, il ne leur est pas entré une fois dans l'esprit que la Belgique pourrait n'offrir à la Hollande que 3,200,000 florins. On commencera, disaient-ils, par proposer un paiement annuel de 4,000,000, ce qui serait inacceptable, et pour nous (Note de bas de page : Pourquoi inacceptable pour la Prusse et l'Autriche ? La question de la dette n'était pas une question d'intérêt européen), et pour la Hollande ; mais on se rapprocherait bientôt et les conseils de la France et de l'Angleterre amèneraient la Belgique à comprendre ce qu'il y a d'injuste et d'exorbitant dans ses prétentions. Tel était le langage de MM. de Senfft et de Bülow, alors qu'ils supposaient une première offre de 4,000,000 de florins. Je vous laisse à juger ce qu'ils diront aujourd'hui du chiffre de 3,200,000 florins ; et pourquoi 3,200,000 et non 3,100,000 ou 3,000,000 ? sur quelle base ce chiffre repose-t-il ? Quels sont les motifs qui ont déterminé votre gouvernement à fixer cette somme ? On n'entre à cet égard dans aucune explication ; on pose arbitrairement un chiffre, et on laisse à la Conférence, sans doute, le soin de le justifier. »

A ce moment M. van de Weyer interrompit lord Palmerston pour lui faire observer que la réduction de 3,000,000 de florins contenus dans les propositions de la Conférence, n'avait non plus été accompagnée d'aucun exposé des motifs, que le gouvernement du roi, en suivant cet exemple, était entré dans l'esprit qui avait présidé aux projets conçus par les plénipotentiaires des cinq cours ; que cela , lui était d'autant plus facile qu'il avait amplement exposé, dans le rapport de la commission financière, les motifs, faits et raisons sur lesquels se trouvaient fondés tous les chefs de la réclamation.

« La commission des finances a fait un beau roman financier, s'écria le ministre. Il serait sans doute à désirer pour vous que le dénouement fût tel qu'elle l'a rêvé, mais cela est impossible, et votre proposition ne fera qu'indisposer. Vous reculez au lieu d'avancer.

« - Ce n'est pas ainsi, riposta M. van de Weyer, que la proposition doit être envisagée. En la faisant, le gouvernement du roi, lié d'abord en quelque sorte par le travail de la commission, est sorti du système formulé dans le dernier memorandum que je vous ai remis. Il adopte le principe d'une transaction, d'une cote mal taillée, et il pose un chiffre qu'il considère comme étant plus conforme aux faits et plus en harmonie avec les principes d'équité invoqués par la Conférence, que celui qu'elle a (page 196) proposé dans son projet et de transaction. La négociation a fait un grand pas, car nous nous trouvons aujourd'hui sur le même terrain. »

Lord Palmerston se refusait à partager l'avis ainsi exprimé par M. van de Weyer.

« - En vérité, répliqua-t-il, je ne puis considérer cette offre comme un progrès ; cependant je ferai valoir auprès de mes collègues toutes les raisons que vous avez exposées. Vous saurez bientôt comment elles auront été prises par eux. M. de Senfft m'attend, et je lui en ferai part à l'instant même. »

Mais M. van de Weyer désirait voir différer toute communication aux plénipotentiaires du nord jusqu'à ce qu'il eût vu le général Sebastiani et jusqu'à ce que les représentants de la France et de l'Angleterre eussent pu se concerter entre eux. Lord Palmerston acquiesça à la demande que le diplomate belge lui fit à cet égard.

8. Le général Sebastiani et la question territoriale. - Le comte Molé refuse de s'associer aux menaces anglaises à la Belgique

Le ministre de Belgique se rendit encore le soir même chez l'ambassadeur de Louis-Philippe. A lui aussi, il donna lecture de la lettre de M. de Theux et le pria de défendre devant la Conférence le chiffre adopté par le gouvernement belge.

« Je le ferai, répondit le général, mais je ne vous dissimulerai point que c'est sans aucune chance de succès. Je m'empresserai de voir lord Palmerston ; mais avant d'aborder avec lui la question, il importe que je connaisse toute la portée de la réserve que vous faites sur les autres points. Le gouvernement belge déclare, dites-vous, qu'il n'entend, quant à présent, admettre aucun article des projets qui vous ont été soumis par lord Palmerston. Est-ce à dire qu'il n'entend pas plus s'expliquer sur les articles relatifs au territoire, que sur les autres ? Est-ce à dire qu'il considère comme étant encore en question les articles l à 8 du traité du 15 novembre ? »

Cette question était pour le moins inopportune dans la bouche du général Sebastiani. On aurait pu la comprendre dans celle du baron de Bülow ou du comte de Senfft. Ceux-ci avaient intérêt à faire s'expliquer le cabinet de Bruxelles sur l'ensemble de sa politique à l'égard des XXIV articles et à obtenir une preuve, au moins apparente, que cette politique repoussait tout le traité, ce qui concernait le territoire comme ce qui concernait la dette, et à pouvoir prétendre ainsi, avec plus ou moins de vérité, que les Belges négociaient avec le dessein arrêté de ne rien conclure. Mais chez un ambassadeur destiné à être l'interprète d'une politique amie, elle semblait un non sens ou une contradiction. C'est ainsi que la (page 197) considéra le comte Molé. Dès qu'il eut été averti de l'incident, il écrivit au général pour lui adresser un blâme (Lettre du comte le Hon au chevalier de Theux. 22 novembre 1838).

A cette question, M. van de Weyer répondit que la dépêche du chevalier de Theux n'entrait dans aucun détail à cet égard, mais qu'il fallait l'expliquer par les instructions antérieures qui n'avaient jamais varié, c'est-à-dire qu'avant d'aborder la discussion de toutes les autres stipulations du traité définitif, même celles qui concernaient le territoire, il fallait régler la question de la dette ; qu'en conséquence, les réserves du gouvernement portaient sur les articles de I à VIII du traité comme sur tous les autres.

Par cette réponse, M. van de Weyer ne fit pas preuve de l'habileté qu'il montrait depuis les débuts de cette difficile négociation. Il savait que M. de Theux estimait ne pouvoir renier le paraphe apposé en I833 aux huit premiers articles du traité et qu'il désirait vivement éviter' de devoir s'expliquer sur la question territoriale. Le diplomate belge aurait pu se borner à dire au général Sebastiani que cette question étant restée en dehors des propositions transmises à la légation de Belgique par lord Palmerston, le gouvernement du roi n'avait pas eu à s'expliquer ni à émettre aucune réserve à ce sujet en faisant une contre-proposition (Note de bas de page : La réponse de M. van de Weyer fut vivement critiquée par le comte le Hon : « Je dois vous confesser, écrivait-il au chevalier de Theux, le 22 novembre, que je trouvais la réponse attribuée à mon collègue maladroite et inutile, puisque toute la négociation actuelle était concentrée dans la liquidation de la dette et que nous avions intérêt à en éloigner toute complication irritante. Il fallait, à mon sens, arriver, par une réduction importante et préalable de la dette, il une transaction sur la question territoriale sous forme de rachat ou autrement et, pour cela, une condition essentielle de succès, c'était de ne pas nuire au résultat financier par une manifestation prématurée, c'est-à-dire simultanée, de notre système à l'égard du territoire»).

Le vote des adresses au roi par le parlement et le ralliement du ministère à ce vote auraient, il faut le reconnaître, rendu à bref délai inutile tout système de circonspection.

Le général fit remarquer à M. van de Weyer que la réserve sur le territoire était contraire aux vues du gouvernement français, qu'aux yeux du comte Molé, en cela d'accord avec lord Palmerston, cette question, d'un intérêt européen, avait reçu une solution définitive par le traité du 15 novembre 1831 et qu'elle n'était plus susceptible d'aucune modification ; qu'il en ferait toutefois l'objet d'un nouvel entretien avec le ministre des Affaires étrangères britannique et qu'il n'exprimerait d'opinion qu'après avoir entendu celle de cet homme d'État. Il conclut en disant qu'à mesure que celui-ci comprendrait mieux la portée des réserves, il serait de plus en plus mécontent de la proposition du gouvernement belge.

Accueillie comme elle le fut par les plénipotentiaires anglais et (page 198) français, cette proposition ne devait pas être défendue par eux avec beaucoup de chaleur. Tous deux, par suite de leur ralliement à la proposition de réduction de 3,000,000, s'étaient liés vis-à-vis de leurs collègues de la Conférence. Si le général Sebastiani devait se résoudre à soutenir le chiffre adopté par le gouvernement belge, on savait que c'était par ordre de son gouvernement et non en suivant son impression personnelle. Ses arguments ne pouvaient donc point être appréciés par les plénipotentiaires du nord. Dès lors, la cause plaidée par le général était perdue à l'avance et la faute qu'il avait commise en agissant sans instructions du comte Molé apparaissait avec toutes ses conséquences.

En terminant la relation de ses entrevues avec lord Palmerston et le général Sebastiani, M. van de Weyer écrivait : « De ce qui précède résulte une preuve nouvelle que la France ne veut en rien se séparer de l'Angleterre et qu'elle adoptera et sur la question territoriale et sur le statu quo la décision du cabinet anglais. Cette décision, Monsieur le ministre, est depuis longtemps connue du gouvernement du roi, et je n'entrevois pas la moindre lueur d'espoir d'en faire revenir lord Palmerston et ses collègues ».

M. van de Weyer jugeait la situation bien exactement. A ce moment, cependant, le cabinet des Tuileries paraissait favoriser, dans une certaine mesure, les prétentions de la Belgique.

9. Le projet de transaction financière du comte Molé. - La France et la convention du 21 mai 1833

Lord Palmerston n'avait pas laissé ignorer au comte Molé l'avertissement qu'il s'était cru en droit, obéissant aux suggestions de la Prusse et de l'Autriche, et cette fois encore sans s'entendre au préalable avec la France, d'adresser à la Belgique. Lord Granville reçut mission de donner lecture au ministre de Louis-Philippe de la lettre écrite à sir G. H. Seymour. Mais, loin de s'associer à la politique comminatoire du cabinet britannique, celui des Tuileries accentua, à ce moment, ses marques de bienveillance pour notre cause. A Londres, le général Sebastiani sondait MM. de Senfft et Dedel sur la question territoriale en leur faisant entrevoir que, pour conserver le Limbourg et le Luxembourg, le gouvernement du roi Léopold se montrait prêt à faire de grands sacrifices pécuniaires. M. de Senfft répondit qu'une pareille transaction n'obtiendrait l'assentiment d'aucun des membres de la Confédération germanique. M. Dedel ne nia point que la Hollande n'avait pas un très grand intérêt à conserver les territoires contestés, mais en ajoutant que le roi grand-duc se considérait comme tellement lié par la Diète, qu'il ne consentirait à aucun prix à se séparer d'elle en cette question (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 6 novembre 1838).

(page 199) D'autre part, pour ce qui concernait la question financière, malgré la vive pression exercée sur lui par le baron d'Arnim pour provoquer l'adhésion immédiate de la France aux propositions de la Conférence, ses menaces mêmes d'une exécution militaire de la séparation des territoires en cas de dissentiment ou d'incertitude prolongée (Lettres du comte le Hon au chevalier de Theux, 12 et 13 novembre 1838),, le comte Molé se renfermait froidement dans le refus de se prononcer avant la Belgique ou d'accepter ce qu'elle rejetterait (Lettre du comte le Hon au chevalier de Theux, 12 novembre 1838).

Il avait prévu l’accueil que ferait la Conférence à la proposition transactionnelle de 3,200,000 florins. Mais il savait que cette proposition ne constituait pas l'ultime concession de la Belgique. Lui-même avait eu un moment l'intention de suggérer à son tour une conciliation de nature à prouver que le chiffre indiqué par la Belgique ne résultait pas d'une entente avec la France qu'on accusait cependant de vouloir tout entraver par des arrière-pensées politiques. Il croyait que, présenté par lui, le chiffre de 3,800,000 à 4,000,000 de florins serait d'un bon effet. Mais le comte le Hon chercha à le détourner de ce projet. Le diplomate nourrissait la persuasion que, étant donné l'état de défiance des esprits ainsi que les soupçons d'un accord entre les cabinets de Paris et de Bruxelles, on considérerait immédiatement cette proposition comme acceptée par la Belgique et on prendrait le chiffre indiqué par la France comme le minimum, non comme le maximum des concessions auxquelles se résignerait le gouvernement du roi Léopold. Les plénipotentiaires du nord en auraient fait le point de départ de nouvelles exigences de transaction.

Louis-Philippe, admettant cette objection, finit par décider avec son ministre des Affaires étrangères d'attendre pour agir jusqu'à ce qu'on connût l'impression produite sur les quatre cours par l'offre de 3,200,000 florins. Si cette impression était telle qu'il y eût danger de dissolution immédiate de la Conférence, le plénipotentiaire français suggérerait une augmentation de 600,000 à 800,000 florins sur le chiffre belge. Il serait autorisé à agir de même s'il remarquait la possibilité de terminer le différend par un chiffre rond.

(Note de bas de page : « Voilà, écrivait le 16 novembre, le comte le Hon, quelles ont été les instructions envoyées hier au général Sebastiani. Il est malheureux qu'elles ne soient pas confiées à un agent moins moralement affaissé que ne l'est aujourd’hui ce diplomate, et pourvu de l'ancienne habileté qui le distinguait. Mais toujours, est-il qu'il ne pourra faire aucune concession de son chef. » (Fin de la note)

Quelles que fussent les instructions envoyées au général Sebastiani, le comte Molé avait perdu tout espoir d'obtenir que la (page 200) Conférence réduisît la dette belge à un chiffre inférieur à 5,000,000 de florins (Lettre du comte le Hon au chevalier de Theux, 16 novembre 1838). 12 novembre 1838), 15 novembre 1838). Les tentatives qu'il faisait en faveur de la Belgique ne tendaient plus qu'à un but : celui de manifester ses sympathies à notre égard. Il ne se dissimulait pas, en effet, les difficultés qu'opposaient à la bonne volonté de la France les symptômes, sans cesse renouvelés, d'impatience des plénipotentiaires de Londres et l'intention évidente de l'Angleterre de marcher de l'avant sans plus se soucier de se mettre d'accord préalablement avec le cabinet des Tuileries. La Hollande pressait le dénouement, les cours du nord y poussaient avec une égale ardeur, et la Grande-Bretagne s'associait à cette aspiration d'en finir. « Je remarque, disait le comte Molé au comte le Hon, que l'impatience des trois cours fait de très rapides progrès et que l'Angleterre est presque à la veille d'être aussi pressée et aussi exigeante qu'elles. Je la vois tendre de plus en plus chaque jour à se séparer de notre système qui est de ne souscrire qu'à des conditions que la Belgique aura d'avance acceptées » (Lettre du comte le Hon au chevalier de Theux, 16 novembre 1838). 12 novembre 1838), 12 novembre 1838).

Le chef du Foreign Office agissait à ce moment, non par hostilité envers la Belgique, non par amitié pour la Hollande, non par sympathie pour la Confédération germanique, mais pour assurer son maintien au pouvoir. Lord Holland, qui avait fait un séjour en France, disait et redisait au comte Molé « que lord Palmerston allait subir les plus violentes attaques dès l'ouverture du parlement (au mois de février 1839) ; qu'il ne pouvait conjurer l'orage que par des coups d'État, que de son succès dépendait l’existence du ministère entier ; que l'affaire hollando-belge étant une des difficultés de la position du cabinet, il était obligé de presser à sa solution la plus prompte sans faire trop crier la Hollande qui avait de chaleureux amis dans la cité et dans les Chambres 3 ». (Lettre du comte le Hon au chevalier de Theux, 15 novembre 1838).

Lord Palmerston n'était pas homme à mettre les intérêts supérieurs de la justice au-dessus de ses propres intérêts et de ceux de quelques capitalistes londoniens.

(Note de bas de page) Il n'est pas inopportun de reproduire ici un portrait que M. Thureau-Dangin, dans son Histoire de la Monarchie de Juillet, tome II, p. 390, trace de lord Palmerston : « Par ce qu'on peut déjà connaître, écrit-il, du caractère et des sentiments de lord Palmerston, de ce patriotisme égoïste, intolérant, âpre, hargneux, incapable de comprendre qu'il y ait dans le monde un autre droit que l'intérêt de l'Angleterre ; de ce sans-gêne que n'arrêtait aucun scrupule de principe, de générosité, de loyauté ou seulement de politesse ; de ce tempérament querelleur qui transformait aussitôt la moindre dissidence en aigre conflit, on devine que la présence d'un tel homme à la tête du Foreign Office n'était pas faite pour diminuer, entre les deux Puissances occidentales (la France et l’Angleterre), les causes naturelles de froissement ; elle eut suffi, au contraire, à en créer. Cet homme d’Etat mettait son ambition à mériter le nom de « bouledogue de l’Angleterre », et c'était surtout contre la France que son instinct le portait à aboyer et à montrer les dents. » (Fin de la note).

(page 201) Dans ces conditions, le comte Molé se montrait convaincu de l'impossibilité de temporiser désormais avec quelque chance de succès. Il prévoyait une rupture de la Conférence ou une solution avant deux mois aux affaires hollando-belges (Lettre du comte le Hon au chevalier de Theux, 14 novembre 1838). Dans le premier cas, si la France persistait à refuser son assentiment au traité qui obtiendrait le suffrage des quatre autres cours, l'Angleterre, comme permettait de le croire l'espèce d'ultimatum adressé par lord Palmerston à la Belgique (Note de bas de page : Le comte Molé voyait dans cet ultimatum, non, comme l'avait d'abord pensé M. de Theux, une démarche faite dans un but d'intimidation à la veille de l'ouverture de la Chambre, mais la conséquence des résolutions bion arrêtées dans le cabinet de Saint- James). (Lettre du comte le Hon au chevalier de Theux, 15 novembre 1838), se déclarerait dégagée de la convention du 21 mai 1833 ainsi que de la garantie du statu quo et laisserait aux cours du nord ou à la Diète germanique la faculté de se mettre en possession des territoires assignés au roi Guillaume par les XXIV articles.

Le comte le Hon faisait observer au comte Molé, qui lui développait ces idées, combien cette conduite du cabinet anglais, si elle se réalisait, serait « subversive de tous les principes et attentatoire à nos droits les plus essentiels. Car, enfin, la convention du 21 mai, par le texte formel de ses dispositions, devait subsister comme garantie de la paix jusqu'à la conclusion d'un traité définitif entre la Belgique et la Hollande, et les Puissances, qui avaient pris l'engagement d'assurer son existence jusqu'à ce traité final, n'avaient pas le droit de décider à leur gré que cet engagement n'existait plus. L'une d'elles surtout ne pouvait pas se prétendre déliée par la résistance de la Belgique, quand cette résistance était fondée sur des preuves et appuyée par l'autre ».

Le comte Molé convint de la justesse de ces observations, tout en faisant remarquer que leur discussion conduirait à une difficulté insoluble dès que l'Angleterre aurait pris son parti et la Diète germanique le sien.

M. le Hon crut alors devoir interroger le président du conseil sur un point des plus importants pour notre pays : « Si, avant la signature d'un traité définitif entre la Hollande et la Belgique, lui demanda-t-il, des troupes fédérales tentaient de prendre possession de vive force du Luxembourg allemand et de la rive droite du Limbourg, et que la Belgique invoquât, .aux termes de la convention du 21 mai 1833, la garantie de la France pour le maintien du statu quo territorial, le gouvernement français regarderait-il cette tentative comme une agression et la repousserait-il, au besoin, par les armes ? » Le ministre des Affaires étrangères ainsi interpellé, n'hésita pas à (page 202) répondre que, dans ce cas, si l'Angleterre déclarait positivement annulée à ses yeux la convention du 21 mai et ses engagements éteints, la France s'abstiendrait et ne ferait pas de guerre pour maintenir l'administration provisoire de la Belgique dans quelques parties du Limbourg et du Luxembourg. Si une collision éclatait dans les territoires contestés, Louis-Philippe réunirait des forces imposantes sur la frontière du nord, mais ces troupes n'entreraient en action que dans le cas où des régiments étrangers paraîtraient dans les provinces attribuées à la Belgique par les XXIV articles. La France s'efforcerait de faire évacuer par l'adversaire les territoires incontestablement belges. « Voilà, poursuivit le comte Molé, qu’elle devrait être notre politique dans le cas posé par votre question. Si nous avons signé la convention du 21 mai, nous avons signé aussi le traité du 15 novembre et, tout en adhérant aux raisons de la Belgique dans le règlement de ses intérêts financiers, nous ne pouvons trouver dans le chiffre qui vous sépare des propositions des quatre cours, un motif de rupture avec les autres grandes Puissances de l'Europe et une cause de guerre, peut-être générale » (Lettre du comte le Hon au chevalier de Theux, 15 novembre 1838).

A la mi-novembre, au moment où le parlement belge allait reprendre ses travaux, la situation de la Belgique, dans la question de ses démêlés avec la Hollande, se présentait d'une manière peu favorable. Nous avions nettement contre nous la Prusse, l'Autriche et la Russie, animées, vis-à-vis de la jeune monarchie libérale, de toutes les haines de la Sainte-Alliance.

(Note de bas de page) Le 18 décembre, Louis~Philippe écrivait à. Léopold Ier : « Songez que vous avez à faire à deux genres d'ennemis : ceux qui veulent briser votre couronne par la guerre et la révolution du monde, et ceux qui voudraient tout simplement détruire un royaume qui leur paraît destiné à devenir un foyer de guerre et de démagogie, et qui seraient charmés d'en faire agréer le partage par la France. Vous connaissez mes sentiments, et je crois vous en avoir donné quelques preuves, mais ce que je vous dis là n'est pas dit on l'air. » Revue rétrospective, p. 350, colonne I. (Fin de la note)

A ces Puissances se ralliait de plus en plus l'Angleterre : des intérêts personnels lui conseillaient cette politique et elle avait, en outre, besoin de se concilier la bienveillance des cours de Berlin et de Vienne pour pouvoir décic1er à sa guise, et contre ou sans la France, la question d'Orient. La Monarchie de Juillet nous était bienveillante. Mais, peu perspicace au sujet de son alliance avec la Grande-Bretagne, elle subordonnait cette bienveillance à la mesure que lord Palmerston lui permettait d'y mettre, Le désir de paix dont était animé le roi Louis-Philippe le poussait à renoncer à faire exercer par la France une influence sérieuse dans les affaires européennes. Comme il avait cédé sur les affaires belges, le monarque céda peu de temps après sur (page 203) les affaires d'Egypte. Si, à propos de nos différends avec la Hollande, il avait montré un peu plus la volonté de faire entendre et écouter sa voix, il est peu probable qu'on eût considéré, dans le règlement des problèmes orientaux, la France comme une quantité négligeable et qu'on eût donne une solution à ces affaires sans même daigner lui demander son avis. La faiblesse montrée dans la défense de notre cause prépara le quasi dédain avec lequel la France fut traitée ultérieurement.

(Note de bas de page) La politique d'effacement de la Monarchie de Juillet était, dès 1831, vivement critiquée par Chateaubriand.. Le 24 septembre, le grand écrivain disait à Béranger : « Malgré les génuflexions de notre diplomatie, et à cause même de ses mains mendiantes, il ne me paraît pas encore très certain qu'on nous aumône la paix. » Et, le 9 novembre, au poète Barthélemy : « Je vous recommande surtout, Monsieur, ce gouvernement prosterné qui chevrota la fierté des obéissances, la victoire des défaites et la gloire des humiliations de la patrie. " E. BIRE, Les dernières années de Chateaubriand, pp. 35 et 85.) (Fin de la note)