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Histoire de la révolution belge de 1830
WHITE Charles - 1836

Charles WHITE, Histoire de la révolution belge de 1830. Livre III

(Paru à Bruxelles, en 1836, chez Louis Hauman et Cie, traduit de l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr.)

Chapitre IV

Mesures adoptées par la conférence. - Suspension d'armes. - Protocole relatif à la démolition de certaines forteresses. - Reprise de» négociations. - Notes de la conférence sur le célèbre traité des vingt-quatre articles. - Discussion et acceptation de ce traité par les Belges. - Sa ratification par les grandes puissances. - Réserves de la Russie, de l'Autriche et de la Prusse. - Remontrances du cabinet de La Baye qui rejette le traité. - Réplique de la conférence. - Mesures d'organisation militaire adoptées en Belgique. - Ch. de Brouckère, Évain, Deprez. - Officiers étrangers admis au service de la Belgique. - Organisation de la maison du roi Léopold. - Le baron de Stockmar. - Mesures adoptées par la conférence pour déterminer le roi de Hollande à se soumettre aux conditions qui lui sont imposées. - Thème de lord Palmerston. - Mariage de Léopold avec la princesse Louise d'Orléans

(page 174) Tandis que ces événements se passaient en Belgique, la conférence ne perdait pas de temps pour adopter les mesures propres à arrêter les (page 175) hostilités. La note du 5 août fut immédiatement suivie du protocole du 6 (n° 31), sanctionnant l'intervention française par terre, et acceptant l'offre d'une escadre anglaise, destinée à bloquer les ports hollandais. On stipula cependant que les troupes françaises concentreraient leurs opérations sur la rive gauche de la Meuse, que ni Maestricht ni Venloo ne pourraient, sous aucun prétexte, être investies, et que l'armée auxiliaire se retirerait au-delà des frontières françaises aussitôt que l'armistice serait rétabli sur son ancien pied. Ce protocole était accompagné d'une protestation énergique de la part du gouvernement français, dénonçant la rupture de l'armistice « comme une agression injuste et une violation directe de la neutralité et de l'indépendance belge reconnues par les grandes puissances, » et ajoutait que « si les troupes hollandaises ne se retiraient pas immédiatement dans les limites qui leur étaient assignées par l'armistice, elles auraient à combattre l'armée française. » Le cabinet hollandais répondit, par une note du 9, déclarant avec justice, « qu'il ignorait que l'indépendance de la Belgique eût été reconnue par les grandes puissances, » et prétendant spécieusement que « la marche de l'armée hollandaise ne menaçait, ni ne compromettait l'indépendance ou la neutralité de la Belgique, et n'avait d'autre objet que d'exécuter les mesures coercitives annoncées par les cinq puissances, (page 176) dans le cas où la Belgique n'accepterait pas l'annexe A du protocole n°12, et par conséquent qu'il était impossible de qualifier ce mouvement d'agression injuste, sans admettre que les cinq grandes puissances eussent commis un acte d'injustice en établissant les bases de séparation. Les choses étant ainsi, il avait l'espoir que l'armée française n'entrerait pas en Belgique, mais que, si le gouvernement français persistait dans ses intentions, les troupes hollandaises seraient à l'instant rappelées sur le territoire. » Le mouvement en avant du prince d'Orange des 10, 11 et 12, et l'incrédulité qu'il manifesta lorsqu'on lui annonça l'arrivée de l'armée du maréchal Gérard, prouvent suffisamment que l'invasion fut entreprise dans l'idée erronée que, quoique la conférence eût souvent menacé d'une intervention, la jalousie mutuelle des grandes puissances était telle que l'entrée d'une armée française en Belgique était actuellement impossible. Les clameurs qui s'élevèrent en Angleterre et les doutes sur la loyauté et la bonne foi du gouvernement français suffisent pour établir cette supposition. Les puissances, il est vrai, avaient menacé de recourir à des mesures coercitives, mais il n'était jamais entré dans leur pensée que la Belgique ou la Hollande pussent se charger de les exécuter. Au contraire, les menaces d'intervention n'étaient faites, que dans l'intention d'empêcher une collision entre (page 177) les parties principales. Ce fut ce principe qui dirigea leur conduite en août 1831, et en 1832 lors du siège de la citadelle d'Anvers.

La retraite des troupes hollandaises ayant été communiquée à la conférence, les plénipotentiaires rédigèrent les 32e et 33e protocoles, attestant cet événement, ordonnant une suspension d'armes de six semaines et la reprise immédiate des négociations : cette proposition fut accueillie par la Hollande, le 29, mais ne fut pas admise sans réserve par son adversaire. Le gouvernement belge demanda plusieurs explications préliminaires : 1° sur la nature des garanties données par les puissances pour prévenir le renouvellement des hostilités, et 2° si, à l'expiration d'une période donnée, chaque partie pourrait être libre de recourir aux armes, sans déclaration préalable. Cette hésitation de la part des Belges était le résultat naturel de l'agression qui venait d'avoir lieu, effectuée au milieu d'une suspension d'armes, qui avait aussi été garantie par les grandes puissances. Cette violation soudaine imposait impérieusement au gouvernement de s'assurer autant que possible contre toutes chances d'une semblable surprise. Les discussions qui s'élevèrent sur ce sujet et celles relatives au paiement des dépenses que la France était disposée à mettre à la charge de la Belgique, furent les principales causes qui empêchèrent le (page 178) départ immédiat de l'armée française. La conférence répondit à cette réclamation par une courte et vague explication ; mais elle déclarait péremptoirement qu'elle considérait : « le renouvellement de la suspension d'armes comme acceptée réciproquement, et par conséquent qu'un armistice subsistait et devrait subsister du 29 août au 10 octobre, sous la garantie des cinq puissances. » (Protocole n°37, 30 août).

Les puissances n'ayant pas su empêcher la première agression de la Hollande, on mit naturellement en doute l'efficacité de leurs garanties. En conséquence, le gouvernement belge crut de son devoir de protester de la manière la plus forte contre la faculté des parties de recommencer les hostilités à l'expiration du terme fixé. Cependant quand ce terme arriva, il accéda formellement à la prorogation de l'armistice jusqu'au 25. Cette période étant expirée, l'armistice ne fut pas renouvelé, et ainsi chaque partie était libre d'attaquer l'autre, sans la formalité d'une déclaration préliminaire. En même temps et en vertu du protocole du 10 septembre (n°40), les prisonniers furent échangés, sans égard au rang ou au nombre, des deux côtés ; circonstance digne de remarque, car le nombre des Hollandais, détenus en Belgique, excédait de beaucoup celui des Belges captifs en Hollande.

(page 179) Une particularité de ce grand drame politique occupait depuis longtemps l'attention de la Grande-Bretagne et des puissances du Nord, et donnait lieu à d'importantes négociations qui cependant furent presque abandonnées, non pas tant à cause d'une hostilité aux principes des négociations que par la différence d'opinions qui existait sur les détails et le mode d'exécution. Dès le commencement d'avril, les plénipotentiaires de l'Autriche, de la Grande-Bretagne, de la Prusse et de la Russie avaient délibéré sur les mesures nécessaires à adopter à une époque ultérieure, relativement aux forteresses hollandaises qui avaient été construites aux frais des quatre grandes puissances, ou pour mieux dire, aux frais de la Grande-Bretagne. En conséquence, le 17 avril, un protocole établit que la nouvelle position de la Belgique et « sa neutralité, reconnues et garanties par la France, étaient de nature à apporter des modifications dans le système de défense adopté pour le royaume des Pays-Bas ; que les forteresses en question étaient trop nombreuses pour les ressources de la Belgique, et inutiles pour la défense d'un pays neutre ; en conséquence, qu'une partie de ces forteresses élevées sous différents auspices seraient démolies. »

Ce document ne fut officiellement communiqué au prince de Talleyrand que le 14 juillet,. et n'était destiné à être communiqué au (page 180) gouvernement belge qu'au dernier moment ; mais une demande pour la production des pièces relatives à la question belge ayant été faite dans le parlement, lord Palmerston ne voulut pas que la première nouvelle en fût apportée à Bruxelles par les journaux. Il envoya, en conséquence, le protocole à M. Lebeau, le 26 juillet, avec une lettre d'envoi et d'explication. Après avoir consulté le cabinet français, qui envoya le marquis de La Tour-Maubourg à Bruxelles pour aider le général Belliard et sir Robert Adair à conduire une négociation de nature à exciter les susceptibilités de la France, le gouvernement belge chargea le général Goblet de se rendre à Londres au commencement de septembre, avec une mission spéciale à ce sujet. Malgré les difficultés nombreuses qui se présentèrent, une convention définitive fut unanimement et cordialement conclue, le l4 décembre, par laquelle il était stipulé que les fortifications de Mons, Ath, Menin, Philippeville et Marienbourg seraient démolies, aussitôt que l'entière indépendance et la neutralité de la Belgique seraient pleinement établies et garanties par les cinq puissances, de manière à constituer une connexion identique entre elle et ses forteresses. »

La politique de cette mesure, en ce qui concernait les parties contractantes, est sujette à contestation. Des arguments puissants de stratégie et (page 181) de politique ont été apportés pour démontrer le danger de détruire ainsi un des résultats les plus glorieux du traité de Vienne. Ces arguments, principalement fondés sur l'état antérieur du royaume des Pays-Bas, étaient incontestables, en supposant que le rétablissement de ce royaume et l'union permanente des deux peuples fussent encore possibles. Mais, sans cela, les avantages de la conservation des forteresses étaient complètement neutralisés. D'abord, en ce qui regarde la Belgique, leur conservation n'était qu'une source de dépenses extraordinaires pendant la paix, de dévastation el d'occupation militaire permanente pendant la guerre ; elles ne pouvaient servir qu'à exciter des discussions, des jalousies, et comme point de ralliement pour les armées étrangères, ou comme un prétexte qui pourrait donner lieu à diverses mesures incompatibles avec les intérêts d'un état neutre ; de manière que, impuissantes pour le défendre, elles ne pouvaient servir qu'à le soumettre. Car, supposant une agression de la part de la France, ses armées pourraient s'en emparer avant que les forces prussiennes ne pussent arriver pour les occuper ou les délivrer. Tandis qu'en supposant que l'agression partît de l'Allemagne, elles tendraient à maintenir le théâtre de la guerre en Belgique sans être utile à sa défense. En second lieu, il était évident, sous les institutions existantes, (page 182) que la plupart des dernières observations étaient applicables aux puissances du Nord, et que ces forteresses, au lieu d'être une barrière contre la France, pourraient devenir un obstacle de plus pour ses ennemis ; car, commandant les grandes routes de Bruxelles à Valenciennes et à Lille, il serait indispensable de les occuper, si une armée voulait tenter de pénétrer dans le département du Nord ; il serait trop dangereux de les tourner ou de les masquer, si elles étaient bien approvisionnées et pourvues de fortes garnisons ; les attaquer, exigerait le sacrifice de beaucoup d'hommes, une grande perte de temps, et servirait probablement à compromettre le résultat d'une campagne, exigeant des mouvements aussi rapides que ceux qui peuvent seuls assurer le succès de toute agression contre la France. On devait aussi remarquer que, en les considérant comme formant une partie intégrante de la ligne de défense de la France, toutefois ne faisant pas actuellement partie du territoire français, leur démolition ne produirait aucun effet moral dans ce pays et laisserait encore la triple ligne de forteresses françaises intacte, tandis que, d'un autre côté, leur défense pourrait donner le temps de fortifier et d'armer ses forteresses, de concentrer ses troupes, d'organiser ses gardes nationales, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l'intégrité (page 183) du territoire français. C'est une question de savoir si la France est également intéressée à la démolition de ces forteresses. Dans la supposition qu'elle soit victorieuse, elle pourrait certainement se passer de ce surcroît extraordinaire à sa ligne de défense sur la frontière. S'avançant avec sa rapidité ordinaire, ses généraux porteraient bientôt leurs armes au-delà de la Meuse et du Rhin, dans le but d'éloigner, autant que possible, le théâtre de la guerre de leurs frontières. Dans le cas d'un revers, les arguments dont nous nous sommes servi pour prouver le préjudice qu'ils causeraient aux puissances du Nord deviennent applicables à la France. D'un autre côté, en supposant que ces forteresses suivissent la destinée inévitable de toutes les places fortifiées, lorsqu'elles ne sont pas secourues, leur reddition entraînerait la perte de plusieurs mille hommes de troupes choisies, et pourrait devenir alors éminemment dangereuse en formant un point d'appui pour l'ennemi, en cas de succès, et un lieu de retraite en cas de défaite.

La convention relative aux forteresses, ayant été terminée et conclue sans l'assentiment de la Hollande, cette puissance protesta à ce sujet, dans sa note du 12 décembre 1831, qui déclarait que le droit du roi de coopérer à cette négociation lui était assuré par le système des barrières et par le 7e article du traité de Londres qui stipulait (page 184) que ce point intéressait le salut et l'indépendance de tout le royaume ; mais cette objection ne fut pas admise par la conférence. Le système des barrières fut déclaré aboli, et l'article 8 du traité de Londres fut déclaré applicable au royaume des Pays-Bas, et non aux deux pays, maintenant détachés et indépendants l'un de l'autre. II fut dit, en outre, que le boulevard élevé primitivement par la Hollande, par suite du système des barrières, était remplacé par la neutralité de la Belgique, sans l'obligation dispendieuse de maintenir des garnisons pour la dépense des forteresses. En résumé, les plénipotentiaires hollandais et belges, ayant reçu les pouvoirs nécessaires pour traiter définitivement, la reprise des négociations plaça la conférence dans une situation extrêmement embarrassante, qui ne pouvait être surmontée que par beaucoup de fermeté et d'union, en révoquant des résolutions déclarées irrévocables, en interprétant diverses stipulations dans un sens essentiellement différent des interprétations antérieures, en annulant les dispositions de 40 protocoles, et enfin en adoptant un système tendant à modifier la marche parallèle des deux parties adverses et à les forcer à se joindre. Ces faits étaient difficiles à accomplir, soit en ce qui avait égard à la consistance de raisonnements passés ou à la légalité des actes futurs. Les intérêts des deux parties étaient si opposés qu'on ne pouvait espérer (page 185) de les accorder, à moins que la conférence n'interposât son autorité avec franchise et sans hésitation ; car, d'un côté, les Hollandais victorieux, insistaient pour l'exécution des bases de séparation selon le 12e protocole, tandis que les Belges, non moins exigeants, malgré leur défaite, demandaient la stricte exécution des dix-huit articles, auxquels ils avaient adhéré purement et simplement, et avaient une confiance entière dans la bonne foi des grandes puissances. C'était en effet cette confiance dans les assurances des cinq cours, qui seule avait engagé Léopold à cesser toute objection, et à se rendre immédiatement à Bruxelles. « La volonté des grandes puissances est-elle de me reconnaître immédiatement (dit le prince aux plénipotentiaires réunis à Malborough-House le 12 juillet) ? leur volonté est-elle de me reconnaître, si je me rends en Belgique sans attendre l'adhésion du roi de Hollande ? » - « Oui, quand même (répondit le comte Matuzewiz), et, s'il refuse, nous trouverons le moyen de le forcer à consentir. »

Toute tentative pour concilier des intérêts aussi divergents que ceux de la Belgique et de la Hollande, ou même de concilier les deux systèmes paraissait tout à fait impraticable. Comme cela a été rapporté à la question des limites, les bases de séparation refusaient positivement la cession du Luxembourg, tandis que les dix-huit articles, en (page 186) revenant sur cette décision, admettaient la possibilité d'échanges et de compensations. En ce qui concernait la dette, l'une, sans égard aux principes ordinaires d'équité, proposait de la diviser dans la proportion de 16 sur 31, tandis que l'autre, annulant cette proposition injuste, établissait cette division d'après l'origine des emprunts antérieurs et des engagements contractés pondant l'union. Cette position des parties en contestation a été définie d'une manière claire et concise par M. Nothomb : « La Hollande s'écrie : « Je veux avoir mes anciennes frontières ; mais je ne veux pas prendre la charge de toute mon ancienne dette. » - La Belgique disait : « Je veux m'approprier une partie de l'ancien territoire hollandais ; mais je ne veux supporter aucun des anciens engagements de la Hollande. » Ainsi la Hollande demandait la division du territoire sur les bases de 1790, et celle de la dette sur le pied de 1830. La Belgique, au contraire, voulait la dette sur le pied de 1790, et le territoire sur celui de 1830. « Ce peu de mots démontrent pleinement la difficulté des négociations et la fausseté des bases sur lesquelles les deux parties appuyaient leurs prétentions. Il était aussi injuste de la part de la Hollande de vouloir imposer à la Belgique une partie de son ancienne dette, qu'il était injuste de la part des Belges de réclamer une partie de l'ancien territoire hollandais. Mais, ni l'une ni l'autre ne purent (page 187) être amenées à abandonner leurs prétentions, et il ne resta à la conférence qu'à chercher un moyen intermédiaire qui pût être en harmonie avec les besoins de l'une et de l'autre, quoique blessant leurs prétentions. Songer à satisfaire les exigences de l'un ou l'autre pays, sans risquer le repos de l'Europe, était une chimère.

Après six semaines de mûres délibérations, les plénipotentiaires résolurent de rétracter la plus grande partie de leurs premières conclusions, en assimilant le principe des limites et de la dette, c'est-à-dire en fixant le postliminium de 1790, comme point de départ pour l'un et pour l'autre. Cette résolution était moins défavorable à la Hollande que les 18 articles, et était plus avantageuse pour la Belgique que le 12e protocole. Son résultat fut le traité des 24 articles, généralement connus sous le titre de traité du 15 novembre 1831. Ce traité important, qui avait tant occupé l'attention de l'Europe, et qui était destiné à former la base de l'indépendance de la Belgique, était accompagné de deux notes préliminaires, indiquant suffisamment l'incompatibilité des prétentions des gouvernements hollandais et belge, et la nécessité absolue où se trouvait la conférence d'agir par sa propre impulsion.

Les soussignés (dit le premier de ces documents), (page 188) plénipotentiaires d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, après avoir mûrement pesé toutes les communications qui leur ont été faites par M. le plénipotentiaire belge, sur les moyens de conclure un traité définitif relativement à la séparation de la Belgique d'avec la Hollande, ont eu le regret de ne trouver dans ces communications aucun rapprochement entre les opinions et les vœux des parties directement intéressées (Des observations semblables furent adressées à MM. Falk et Van Zeuylen de Neyeveldt).

« Ne pouvant toutefois abandonner à de plus longues incertitudes des questions dont la solution immédiate est devenue un besoin pour l'Europe ; forcés de les résoudre, sous peine d'en voir sortir l'incalculable malheur d'une guerre générale ; éclairés, du reste, sur tous les points en discussion par les informations que M. le plénipotentiaire belge et MM. les plénipotentiaires des Pays-Bas leur ont données, les soussignés n'ont fait qu'obéir à un devoir dont leurs cours ont à s'acquitter envers elles-mêmes comme envers les autres États, et que dans tous les essais de conciliation directe entre la Hollande et la Belgique ; ils n'ont fait que respecter la loi suprême d'un intérêt européen du premier ordre ; ils n'ont fait que céder à une nécessite de plus en plus impérieuse, (page 189) en arrêtant les conditions d'un arrangement définitif que l'Europe, amie de la paix et en droit d'en exiger la prolongation, a cherché en vain, depuis un an, dans les propositions faites par les parties ou agréées tour à tour par l'une d'elles et rejetées par l'autre.

« Dans les conditions que renferment les vingt-quatre articles ci-joints, la conférence de Londres a été obligée de n'avoir égard qu'aux seules règles de l'équité. Elle a suivi l'impression du vif désir qui l'animait, de concilier les intérêts et les droits, et d'assurer à la Hollande, ainsi qu'à la Belgique, des avantages réciproques, de bon voisinage, un état de possession territoriale sans dispute, une liberté de commerce mutuellement bienfaisante, et un partage de dettes, qui, succédant à une communauté absolue de charges et de bénéfices, les diviserait pour l'avenir moins d'après des supputations minutieuses dont les matériaux mêmes n'avaient pas été fournis, moins d'après la rigueur des conventions et des traités, que selon les principes de cette équité prise pour base de tout l'arrangement, que selon l'intention d'alléger les fardeaux et de favoriser la prospérité des deux Etats. »

La seconde note démontre pleinement que la conférence s'attendait à une plus grande opposition de la part de la Belgique que de la part de la Hollande ; elle se terminait ainsi : « Les cinq (page 190) cours se réservant la tâche et prenant l'engagement d'obtenir l'adhésion de la Hollande aux articles dont il s'agit, quand même elle commencerait par les rejeter, garantissant de plus leur exécution, et convaincues que ces articles, fondés sur des principes d'équité incontestables, offrent à la Belgique tous les avantages qu'elle est en droit de réclamer, ne peuvent que déclarer ici leur ferme détermination de s'opposer, par tous les moyens en leur pouvoir, au renouvellement d'une lutte, qui, devenue aujourd'hui sans objet, serait pour les deux pays, la cause de grands malheurs, et menacerait l'Europe d'une guerre générale que le premier devoir des cinq puissances est de prévenir. Mais, plus cette détermination est propre à rassurer la Belgique sur son avenir et sur les circonstances qui y causent maintenant de vives alarmes, plus elle autorisera les cinq cours à user également de tous les moyens en leur pouvoir pour amener l'assentiment de la Belgique aux articles ci-dessus mentionnés, dans le cas où, contre toute attente, elle le refuserait. »

Ce fut le 20 octobre que ce traité célèbre fut communiqué par le ministère des affaires étrangères aux chambres belges, où il produisit une sensation profonde de surprise et d'irritation. Le jour suivant, M. de Muelenaere présenta un projet de loi contresigné par tous les ministres, portant que le roi serait autorisé à conclure et à signer (page 191) le traité, en déclarant dans le préambule qu'il était imposé au pays. Le rapport sur ce projet fut présenté le 26, et, malgré les clameurs de la presse et les efforts de l'opposition, il fut adopté, le 1er novembre, par une majorité de 59 contre 38 dans la chambre des représentants, et par une majorité de 35 contre 8, au sénat. Placés entre ces deux systèmes qui gouvernent l'Europe, ayant à choisir entre la diplomatie ou la guerre, les Belges choisirent sagement la première, et se soumirent aux sacrifices qui leur étaient imposés, dont le plus amer était l'abandon de leurs concitoyens dans le Limbourg et le Luxembourg. Dans cette conduite pacifique, ils suivirent le bon exemple de la France, qui avait sagement renoncé à la gloire hasardeuse de la guerre pour les avantages durables de la paix. M. Van de Weyer, qui avait été chargé par le roi de soutenir la loi dans les chambres, étant retourné à Londres, le traité, avec trois articles additionnels, fut signé par lui et les plénipotentiaires des cinq puissances, le 15 novembre. Les ratifications, sans conditions, du roi des Belges et du roi des Français portent les dates des 20 et 24 novembre 1831 ; celle du roi d'Angleterre est du 6 décembre ; mais les cours de Berlin, de Saint-Pétersbourg et de Vienne, n'ayant pas envoyé leurs ratifications dans les deux mois prescrits, les plénipotentiaires demandèrent que le protocole d'adhésion demeurât (page 192) ouvert (Protocole 55, du 31 janvier 1832). Ce ne fut qu'après que le comte Orloff eût échoué dans sa mission à La Haye, où il avait été envoyé de Saint-Pétersbourg pour obtenir l'adhésion du roi de Hollande, et après les efforts non moins infructueux des deux autres puissances du Nord, pour faire changer la résolution du roi, que les plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse échangèrent leurs ratifications, le 18 avril, et celui de Russie le 4 de mai.

Les deux premiers, qui avaient été signés par l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse, le 7 janvier et le 18 mars, étaient accompagnés des observations suivantes : « Que le traité était pleinement approuvé, excepté la réserve des droits de la confédération germanique, comme aussi les articles qui ont rapport à la cession et à l'échange du grand-duché. » A la ratification russe, signée par l'empereur, le 18 janvier, était jointe la réserve suivante : « Nous acceptons, affirmons et ratifions le traité, sauf et excepté tels modifications et amendements qui pourraient être apportés par l'arrangement définitif entre la Hollande et la Belgique aux 9e, 12e et 18e articles. » Cette réserve était en contradiction directe avec la déclaration formelle de la note de la conférence du 12 novembre ; car cette note résultant de la promesse faite par les ministres belges aux chambres, (page 193) de ne pas adhérer au traité, jusqu'à ce qu'ils eussent obtenu ou tenté d'obtenir plusieurs modifications, établissait que « ni l'esprit ni la lettre des 24 articles ne pouvaient souffrir aucune modification, et qu'il n'était plus dans le puissance des cinq cours de consentir à une seule. »

Ces ratifications étant dûment échangées, le protocole du 24 mai (n°59) déclara que le traité du 15 novembre devait dorénavant être regardé comme la base invariable de séparation, d'indépendance et de neutralité ; et que la conférence étant résolue de n'épargner aucun effort pour amener le roi de Hollande et le roi des Belges à consentir à une transaction définitive « par laquelle le traité devait recevoir sa pleine exécution, ils étaient également déterminés à s'opposer par tous les moyens possibles au renouvellement des hostilités entre les deux pays. » Cette assurance était d'autant plus nécessaire, que lord Palmerston avait été officiellement informé par le ministre des affaires étrangères de Hollande, que son souverain lui avait ordonné d'établir « que les puissances étaient libres de s'armer contre ses mesures ou contre son silence, que S. M. ne se considérait pas comme forcée de leur déclarer ses intentions, à l'expiration de l'armistice, et que même, si elle y était invitée, un grand nombre de circonstances pourraient arriver avant cette époque, qui seraient (page 194) de nature à modifier ses intentions (Protocole 50, du 21 août 1831). « Le ton de défi et de dédain que prenait le gouvernement néerlandais, à l'égard de la conférence, trahissait non seulement sa conviction que la guerre générale était inévitable, mais prouvait qu'il était secrètement soutenu et encouragé par quelque grande puissance. La déclaration finale, de la note du comte Orloff même, ne parut pas avoir détruit ses illusions. Au premier abord cependant, elle paraît rédigée de manière à détruire l'opinion générale du peu de sincérité du cabinet de St.-Pétersbourg. « Quoique S. M. I. (disait le comte Orloff) ne veuille pas s'associer à l'emploi des mesures coercitives ayant pour but de forcer le roi à souscrire aux 24 articles, elle ne s'oppose pas aux mesures répressives, adoptées par la conférence, pour garantir et défendre la neutralité belge, si elle était violée de la part de la Hollande par un renouvellement d'hostilités. N'étant pas, dans la conjoncture présente, en position d'offrir au roi des Pays-Bas une preuve plus directe et plus utile d'amitié et d'intérêt, l'empereur abandonne à la sagesse du cabinet de La Haye la considération des conséquences d'un état de choses que, dans son amitié sincère et désintéressée, elle est désireuse d'éviter. »

Malgré toutes les remontrances, le refus du (page 195) cabinet hollandais fut péremptoire et sans équivoque. Le mémoire, en réponse à la note de la conférence, accompagnant le traité, contenait une protestation formelle contre les vingt-quatre articles, comme étant essentiellement opposés aux. 12e et 13e protocoles, auxquels il déclarait de nouveau sa résolution d'adhérer. Ce document, comme tous ceux émanant de la même source, était remarquable par la subtilité et la force de sa dialectique ; mais il était de tout point incompatible avec le nouvel ordre de choses. Il commençait par exprimer des plaintes sur la violation du protocole d'Aix-la-Chapelle (du 25 novembre 1818), sur l'exclusion des plénipotentiaires hollandais des délibérations de la conférence ; il déclarait qu'il n'était pas disposé à partager les vues pacifiques des grandes puissances, ou à abandonner ses droits de renouveler les hostilités, et que les vingt-quatre articles, au lieu d'assurer des avantages à la Hollande, lui imposaient des sacrifices, auxquels une nation indépendante ne pouvait jamais consentir. Après avoir réfuté chaque article en détail, il proposait diverses modifications, qui n'étaient qu'un retour à l'annexe A. La conférence répondit à cette communication, dans un mémoire remarquable par son étendue et la logique de ses raisonnements. Elle s'y défendait contre l'accusation (page 196) d'avoir violé le protocole d'Aix-la-Chapelle, en établissant que, quoique ce protocole accordât expressément le droit de participation des plénipotentiaires des puissances appelantes, il ne prescrivait pas la forme de cette participation, et que, par conséquent, il laissait à la conférence la liberté d'adopter le mode de communication qui lui conviendrait le mieux. Elle profitait, en conséquence, de cette latitude pour engager les plénipotentiaires hollandais à exposer leurs communications par écrit. Ce mémoire, après avoir combattu chaque objection en particulier, faisait observer que tout le traité n'était que le développement « des bases de séparation » du 27 janvier 1831, que la question du grand-duché était sanctionnée par l'autorité de la confédération germanique, en vertu des résolutions de la diète du 9 septembre 1831, annoncées dans son protocole, et cela, d'après le désir exprimé par le roi de Hollande. Le dernier paragraphe de ce mémoire, dont la plus grande partie était due à la plume de lord Palmerston, ne doit pas être oublié ; les arguments qu'il avançait n'étaient pas moins justes que logiques. Par le 12e protocole, il était établi que le souverain des Belges devrait accepter les arrangements résultant de ce protocole ; par le 19e, dont le gouvernement hollandais invoquait l'autorité, cette acceptation était limitée à certains arrangements fondamentaux, (page 197) c'est-à-dire aux stipulations territoriales du 12e.

« La lettre adressée à la conférence par le ministre des affaires étrangères de Hollande, le 12 juillet, déclarait que S. M. n'avait eu recours aux armes, que dans le but d'obtenir des conditions équitables de séparation, et qu'il traitait en ennemi le souverain que les Belges s'étaient choisi, parce que ce souverain n'avait pas accepté ces conditions, qui, d'après cette lettre, étaient toutes fondées sur les principes du 12e protocole, et les dispositions de son annexe A ; que tels étant les engagements et les devoirs de la conférence, était-il possible, sans violer la foi de ces engagements, d'éviter la détermination qui en était la suite ? Pouvaient-ils agir autrement quand telles étaient les déclarations du cabinet de La Haye ? surtout quand ces déclarations admettaient, d'une manière non équivoque, le changement de souveraineté en Belgique, à des conditions équitables, et finalement, lorsque le nouveau souverain des Belges, en souscrivant aux 24 articles, acceptait les stipulations territoriales et personnelles, qui avaient été démontrées conformes aux principes du 12e protocole et aux dispositions de l'annexe A. »

Entre le 14 septembre (jour auquel la conférence rédigea le 40e protocole relatif à l'échange des prisonniers) et le 4 mai, 19 autres protocoles furent rendus publics. De ces documents, celui du 24 septembre (n°42), relatif au Luxembourg, et celui du 6 octobre (n°48). concernant la dette, sont les plus remarquables. C'était sur ces deux grands points qu'on peut dire que toutes les difficultés reparurent. Le premier, tout en admettant l'adhésion de la confédération germanique aux négociations, pour la cession d'une partie du grand-duché, à la condition expresse que cette cession ne pourrait renfermer aucune portion du territoire, capable de nuire à la ligne de défense, protestait formellement, au nom de la diète, contre divers actes du gouvernement belge, comme étant essentiellement hostiles aux principes du 36e protocole, et dénonçant la convocation des représentants du grand-duché, et la nomination d'un gouverneur militaire, comme contraires à l'autorité de la confédération. Le principal point, contenu dans le 48e protocole, relatif à la dette, ayant été expliqué dans un précédent chapitre, il serait superflu de revenir sur ce sujet.

Après avoir jeté ce coup d'œil rapide sur l'état des négociations durant la période en question, il est temps de revenir au roi Léopold, et d'offrir le tableau des arrangements adoptés par lui pour mettre le pays à l'abri de désastres semblables à ceux du mois d'août.

Ces désastres, qui mirent en évidence l'insubordination de l'armée, l'extrême disette d'officiers (page 199) capables d'organiser son administration, contribuèrent à surmonter les répugnances qu'éprouvait la chambre à admettre des officiers étrangers et l'amenèrent à se confier moins dans les volontaires, et à protester moins souvent contre ces mesures de rigueur, sans lesquelles la discipline est impossible. En conséquence, une loi passa à la chambre le 22 septembre, par laquelle le roi était autorisé à prendre à son service autant d'officiers étrangers qu'il le jugerait convenable pour la durée de la guerre. En conséquence, les généraux Desprez, Evain, Billard, Petit et Gründler reçurent l'ordre du maréchal Soult, de se mettre à la disposition de M. de Brouckère, ministre de la guerre belge, pour organiser les différents corps de l'état-major, de l'artillerie, de la cavalerie et du génie. Plusieurs colonels et officiers d'un rang inférieur furent attachés à ces généraux ou disséminés dans ces différents corps. Cette mesure ne put s'effectuer sans exciter la jalousie et le mécontentement des nationaux, qui, malgré la preuve récente et déplorable de leur manque d'organisation, et quoiqu'ils fussent forcés d'avouer l'insuffisance et la démoralisation des différentes parties de l'armée, ne voulaient pas reconnaître la nécessité absolue de la mesure adoptée par le gouvernement. Cette jalousie fut portée à tel point dans quelques circonstances, qu'un major français ayant été (page 200) nommé dans un régiment de lanciers, tous les officiers se déterminèrent à le provoquer en duel, et il aima mieux se retirer, que de s'exposer à des dissensions continuelles entre lui et le corps d'officiers. Le nombre des officiers étrangers de tout pays, admis au service, fut de 350. Les causes qui amenèrent cette nécessité ont déjà été expliquées. Il n'est pas possible, cependant, de parler de ce sujet sans tenir compte du tact du maréchal Soult, dans le choix de la plus grande partie des personnes destinées pour ce service. La réputation du général Evain et celle du général Desprez, sont européennes. Dans le premier, la Belgique fit une acquisition que son roi éclairé apprécia au plus haut point ; et quand une mort prématurée priva le pays des services du dernier, la douleur publique ne put être surpassée que par la douleur de sa famille (Note de bas de page : Le lieutenant-général Desprez, mort le 6 août 1833. Le chagrin que lui causa la perte de sa femme, qui le précéda de quelques mois au tombeau, contribua, dit-on, beaucoup à sa mort. Desprez ne laissa qu'une fille, qui fut dans la suite sur le point de se marier avec M. Baillot, officier de l'état-major de la garde nationale parisienne, tué à Paris dans l'affaire d'avril 1834. Mlle Desprez a épousé récemment le marquis de Dalmatie, fils du maréchal Soult). A l'époque de l'arrivée de ces officiers en Belgique, l'armée était dans l'état le plus déplorable. En moins de six mois, elle se présenta sous un aspect totalement différent.

(page 201) Le général de Failly, ayant quitté le département de la guerre, avait été remplacé, pour quelques jours, par le comte d'Hane. Mais cet officier, qui s'était distingué à l'affaire de Louvain, ayant été blessé aux côtés du roi,M.Ch. de Brouckère, qui avait remplacé M. de Sauvage à l'intérieur, consentit à prendre le portefeuille de la guerre, et à tenter la tâche gigantesque contre laquelle avaient échoué les efforts de ses prédécesseurs. Quoique cet officier manquât d'expérience, il était remarquable par son infatigable application aux affaires, son activité et son énergie : aussi continua-t-il l'œuvre d'épuration avec une volonté inflexible.

Un nouveau système d'organisation générale fut adopté. Les bataillons de volontaires indisciplinés furent licenciés, et les hommes incorporés dans les régiments de chasseurs. Quelques officiers supérieurs furent mis à la demi-solde, et plusieurs officiers subalternes démissionnés (Note de bas de page : « Je dirai plus (dit le ministre de la guerre aux chambres, en défendant sa conduite relativement à ces démissions). Nous avons reçu de la Hollande plusieurs hommes condamnés à un emprisonnement perpétuel. Les portes des prisons leur furent ouvertes, afin qu'ils pussent venir nous demander des commissions d'officiers. C'est à un colonel qui a eu assez d'énergie pour faire prendre un bain à tout son régiment, que nous devons d'avoir découvert la marque sur l'épaule de quelques-uns des officiers. » 28 septembre 1831). Tous les officiers d'état-major furent obligés de subir un examen. Ceux qui possédaient des connaissances suffisantes furent confirmés dans (page 202) leur grade ; les autres furent placés dans des régiments de ligne, ou renvoyés. Une école militaire, modelée sur celle de France, fut établie. L'artillerie fut réorganisée, et le nombre des canons de chaque batterie porté de 6 à 8. Un corps de sapeurs-mineurs et une compagnie de pontonniers furent organisés. Vingt mille hommes de garde civique du 1er ban furent appelés et organisés ; deux régiments de chasseurs francs formés au moyen des volontaires licenciés. Les régiments de cavalerie furent augmentés de 4 à 6 escadrons. La subordination s'établit. En sorte qu'au bout de quatre mois, les différentes branches du service semblèrent avoir une nouvelle vie, et l'année commença à présenter une apparence d'amélioration qui promettait les plus heureux résultats. Ainsi, dès le début de De Brouckère au ministère, une force de 45,000 hommes d'infanterie, de 3,600 de cavalerie, et de 80 pièces de canon fut prête à entrer en campagne, non compris la garde civique du 1er ban et les bataillons de réserve.

Reformer une armée révolutionnaire, substituer la discipline à l'insubordination, l'économie (page 203) et la règle aux désordres et aux dilapidations les plus scandaleuses, renvoyer les hommes incapables, et les remplacer par d'autres ; former une armée respectable d'une masse désorganisée et découragée par un récent désastre ; établir partout la confiance sans bravade, et placer ces différents corps sur un pied respectable ; mépriser les diatribes des journaux et les personnalités de l'opposition, poursuivre, enfin, la ligne qu'il s'était tracée, malgré des menaces et des insultes ouvertes, était une tâche qui ne pouvait être accomplie que par un homme d'une habileté et d'une énergie plus qu'ordinaire. de Brouckère possédait certainement cette dernière qualité au plus haut degré. Mais son caractère ardent, ses manières brusques, qu'il ne parvient pas toujours à modérer, joints aux intrigues des ultra-catholiques, aux petites jalousies de ses adversaires politiques, et par dessus tout les efforts hardis qu'il fit pour purifier l'armée d'une quantité d'hommes qui la déshonoraient, élevèrent contre lui une masse d'adversaires violents et sans générosité. Nul effort ne fut épargné dans les chambres, par la presse, et dans les antichambres du roi, pour lui faire perdre l'estime et la considération publiques. Tous cependant furent forcés d'avouer qu'il avait rendu des services importants à son pays, qu'il était d'une habileté peu commune, qu'il joignait aux talents les plus distingués, (page 204) comme administrateur, un dévouement sans bornes aux intérêts de son pays. A la fin, fatigué et dégoûté de la violence de ses adversaires, qui craignaient son influence et ses talents, et désireux par dessus tout de quitter la cour ; de Brouckère donna sa démission, et fut remplacé par le baron Evain, général d'artillerie français, qui, ayant reçu des lettres de grande naturalisation, fut nommé ministre-directeur de la guerre, mais sans faire partie du cabinet.

Il eût été difficile pour le gouvernement belge de choisir un officier plus propre à se charger du portefeuille de la guerre, que l'honorable général dont les services et le mérite avaient été si bien appréciés par le plus grand capitaine des temps modernes. A une connaissance intime de tous les détails de l'organisation militaire, à une facilité extraordinaire pour tirer tout l'avantage possible des moyens mis à sa disposition, le général Evain joint un amour passionné du travail, un esprit méthodique, une réputation sans tache, beaucoup d'impartialité, et des manières douces et affables. Cette douceur peut seule lui être reprochée comme un défaut, et il eût été plus avantageux à la discipline qu'il eût possédé un caractère plus sévère et plus résolu. En entrant en fonctions, le général Evain rendit justice aux travaux de son prédécesseur, et en profita habilement. Ce que l'un avait ébauché, fut rapidement terminé (page 205) par l'autre ; de sorte que, en peu de mois, l'armée, dont l'organisation avait déjà fait des progrès essentiels, fut placée sur un pied respectable, et présenta un total général de plus de 72,000 hommes d'infanterie, 6,000 de cavalerie et 122 pièces de canon. Le temps et l'instruction rendront cette armée égale, sous tous les rapports, aux armées les mieux organisées du continent.

Les efforts de MM. de Brouckère et Evain furent habilement et judicieusement dirigés par le roi, qui, chaque jour, travaillait plusieurs heures avec le ministre et le chef d'état-major général, et faisait de fréquentes visites d'inspection dans les camps et dans les garnisons. Les divisions et les brigades étaient fréquemment passées en revue par lui, et il existait à peine un bataillon, un escadron, ou une batterie qu'il ne connût pas personnellement. Cette conduite eut pour résultat de stimuler le zèle des officiers et d'encourager les soldats qui se dévouèrent avec zèle à profiter de l'instruction qu'on leur donnait.

Si l'armée doit beaucoup à de Brouckère pour sa réorganisation et aux efforts infatigables d'Évain, pour compléter ce que son prédécesseur avait si habilement commencé, elle ne doit pas moins au talent du général Desprez, chef de l'état-major : ce général accompli, ce soldat brave et distingué, avait servi en cette qualité dans l'armée expéditionnaire d'Afrique ; modéré dans ses (page 206) opinions politiques, poli dans ses manières, profondément versé dans les théories et la pratique de la stratégie sur l'échelle la plus étendue, connaissant à fond tous les détails de l'organisation, d'un esprit élevé et éclairé, courageux, infatigable, Desprez, avec l'aide du lieutenant-colonel Chapelié, parvint à former un bon état-major, et, secondé par le roi, parvint aussi à organiser les différents corps sur un pied plus convenable et plus avantageux pour l'ensemble et la rapidité des mouvements qu'exigent les manœuvres du champ de bataille.

Pour arriver à ce but, les forces militaires furent divisées en deux armées : une d'observation, l'autre de réserve. L'armée active consistait en cinq divisions, y compris une division de cavalerie. La réserve fut formée des 6e et 7e divisions : la première cantonnait dans les Flandres ; la dernière formait la garnison d'Anvers et des forteresses environnantes. Le tout donnait un total de 117,000 hommes, y compris la garde civique mobile. Le système des divisions ou gouvernements militaires fut conservé ; chaque province ayant son commandant chargé de la police militaire, et de la répartition de la garnison.

Le roi donna aussi son attention à l'organisation de sa maison, et résolut avec sagesse de l'adapter à la nature des circonstances et à l'esprit (page 207) de l'époque. Au lieu de nommer une foule de chambellans et autres officiers ordinaires des cours, il se borna à nommer un grand-maréchal, un grand-écuyer, un secrétaire privé et un secrétaire de la liste civile. Il y ajouta quatre aides-de-camp en service ordinaire, deux aides-de-camp en service extraordinaires, lesquels sous les ordres du général d'Hane, composent ce qu'on appelle la maison militaire du roi. Ces officiers reçoivent les émoluments de leurs grades respectifs, et ne reçoivent pas de double paye, exemple qui devrait être imité en Angleterre, où les officiers de l'état-major du roi cumulent sans raison leurs appointements de régiment et d'état-major. Le reste de la maison du roi fut formé sur un pied convenable (La liste civile, fixée pour la durée du règne, monte à la somme de 2,741,340 fr. Dans cette somme sont compris les frais d'entretien des palais de Bruxelles, Laeken et Anvers, ainsi que toutes les dépenses du cabinet particulier du roi). Sous la direction du grand-maréchal comte d'Aerschot, dont les manières courtoises sont en rapport avec la place qu'il occupe, et du marquis de Chasteler, grand-écuyer, les principales branches de l'administration de la maison du roi s'organisèrent promptement, et cependant tout était à faire ; car, peu d'heures avant l'arrivée du monarque, pas un seul domestique n'était engagé, et il n'y avait (page 208) pas un cheval dans les écuries ; et quoiqu'une partie du linge et des porcelaines de l'ancien roi fût restée, il n'existait ni argenterie ni aucun des objets essentiels à la splendeur d'un palais. Le grand-maréchal et le grand-écuyer furent aidés des conseils et de l'expérience du baron Stockmar : c'est aux talents de cet ami fidèle et éclairé que le prince Léopold était redevable de ces admirables arrangements qui rendaient sa maison de Claremont un modèle de splendeur et de comfort, sans faste extravagant. Il lui dut aussi bien des consolations dans les circonstances affligeantes de sa vie. Les conseils du baron de Stockmar ne furent pas moins utiles au prince, quand il fut sur le trône. Ses talents politiques, sa profonde connaissance du cœur humain, son intégrité, son noble désintéressement, l'eussent rendu digne d'occuper un poste élevé dans les conseils du roi. Mais quoique les offres les plus pressantes lui eussent été faites, il les rejeta toutes, et se contenta du titre honorable et simple d'ami du roi.

Quoique les Belges fussent mécontents du traité du 15 novembre, ce traité n'en était pas moins devenu la charte politique du pays, le cercle étroit dans lequel les relations diplomatiques devaient maintenant se renfermer. La ratification de la Russie, la moins favorable de toutes, ayant stipulé que les modifications (page 209) éventuelles devraient s'effectuer par consentement mutuel, les Belges insistèrent pour que de nouvelles négociations ne pussent être entreprises sans leur participation directe. Leur première condition, leur sine qua non absolu était, que le traité recevrait un commencement d'exécution, par l'évacuation préliminaire d'Anvers et des autres parties du territoire belge. C'était la base des instructions du ministère à ses envoyés, instructions d'accord avec l'adresse des chambres et la réponse du roi. Dans le fait, c'était la ligne de conduite tracée par la conférence elle-même, qui avait déclaré que comme le traité avait reçu la sanction complète des cinq cours, elles veilleraient à son exécution ; et avait établi dans la note du 11 juin 1832, en réponse aux sollicitations pressentes du gouvernement belge, « qu'elle s'était engagée à obtenir du roi des Pays-Bas, qu'il avisât au moyen le plus expéditif d'évacuer le territoire belge, d'assurer la liberté immédiate de l'Escaut et de la Meuse, et qu'elle établirait des négociations pour arriver à un arrangement amical, quant aux articles du traité qui offrait des difficultés, aussitôt que le territoire serait évacué ; sanctionnant ainsi d'une manière non équivoque la demande des Belges.

Non content de ses remontrances pressantes, M. de Muelenaere envoya de nouveau le général Goblet, avec une mission spéciale, à Londres, (page 210) pour que, réuni avec M. Van de Weyer, il cherchât à amener la question à sa solution. En conséquence, le 29 juin, ils présentèrent une note à la conférence, dans laquelle ils proposaient : 1° que « dès le 1er janvier dernier jusqu'à la ratification finale de la paix, les dépenses de guerre de la Belgique, résultant uniquement du refus de la Hollande, pussent être placées à la charge de cette puissance, sur le pied de trois millions de florins par mois, somme qui serait déduite des intérêts arriérés, dus éventuellement à la Hollande ; » 2° que « si le gouvernement hollandais ne jugeait pas à propos d'évacuer le territoire de la Belgique, ou de consentir à la libre navigation des fleuves, la conférence donnât instantanément l'ordre d'employer les mesures coercitives nécessaires pour arriver à ce résultat. » La première de ces demandes, quoique fondée en équité, ne fut pas adoptée ; mais l'embargo des navires hollandais, le blocus de leurs ports par une escadre combinée, et le siège de la citadelle d'Anvers furent le résultat de l'autre.

Une singularité remarquable, à laquelle nous avons déjà fait allusion dans un chapitre précédent, fut le changement complet de position des parties contendantes. D'un côté, la Hollande rejeta le traité des vingt-quatre articles, comme elle avait rejeté celui des dix-huit, et répondit aux sollicitations et aux remontrances des cinq (page 211) cours, en proposant un nouveau traité, en méprisant leurs armements, en niant la compétence de la conférence, et en protestant contre l'emploi des mesures coercitives, quoique jusqu'à la fin d'août 1831, elle eût sollicité, avec ardeur, une intervention armée, et cherché à légitimer son agression contre les Belges, en soutenant qu'elle n'était que le développement des mesures coercitives . annoncées par la conférence. D'un autre côté, la Belgique, qui jusqu'alors n'avait eu aucun égard aux protocoles, et qui avait protesté contre toute intervention armée, se retranchait maintenant derrière le traité de novembre et demandait avec instance des démonstrations armées de la part des puissances. Pendant un certain temps, ces efforts furent infructueux. Mais M. de Muelenaere ayant donné sa démission, le général Goblet le remplaça aux affaires étrangères, et, par un acte habile de diplomatie, réussit à obtenir ce qui avait été refusé à l'opiniâtreté plus inflexible de son prédécesseur.

Les discussions qui eurent lieu à cette période des négociations, amenèrent la célèbre proposition, connue sous le nom de thème de lord Palmerston, en même temps que onze protocoles additionnels. Celui du 11 juin (n°65) contenait six notes, dont le but principal était de faire cesser la résistance des parties à une négociation directe, sans laquelle tout progrès (page 212) ultérieur était impossible. On proposa d'ajouter ces articles supplémentaires au traité original, stipulant que l'évacuation territoriale aurait lieu avant le 28 juillet 1832, « que cette évacuation étant effectuée, les deux états députeraient des commissaires à Anvers, pour négocier et conclure un arrangement amical, relatif à l'exécution des 9e et 12e articles du traité ; et qu'une autre commission de liquidation se réunirait à Utrecht, pour discuter un plan de capitalisation de la dette de 8,400,000 florins, à charge du grand livre de la Belgique. » Les efforts de la conférence, pour amener les parties à s'entendre, furent infructueux. Les notes, les mémoires, les thèmes, les propositions échouèrent. Chaque fois que l'une faisait un pas en avant, l'autre en faisait un en arrière, changeant de position suivant l'impulsion qu'elle recevait de la conférence. Lorsque le cabinet hollandais consentait à négocier, ses adversaires s'y refusaient, et aussitôt que la Belgique cessait de faire des objections, la Hollande se rétractait, de sorte que toute chance de rapprochement s'évanouissait. L'objet principal de la Belgique était de surmonter les objections de la conférence au développement actuel des mesures coercitives ; ce qui ne pouvait avoir lieu, à moins qu'elle ne consentît à négocier, et que la Hollande ne refusât toute intervention directe. Le refus final de la Hollande donna, à la (page 213) fin, l'avantage à la Belgique qui, le 20 septembre, conféra à ses envoyés à Londres de pleins pouvoirs pour traiter directement ; ce qui aurait pu être fait avec avantage à une époque antérieure. La ténacité avec laquelle le cabinet hollandais persistait à poursuivre la chimère d'une restauration, était une garantie suffisante qu'il refuserait toute négociation directe, que l'on aurait considérée comme un pas fait vers une reconnaissance virtuelle de cette indépendance qu'il n'avait pas l'intention d'admettre.

Les embarras qui assiégeaient la conférence, furent encore augmentés par divers incidents secondaires, qui menaçaient d'amener des conséquences désastreuses. Le principal de ces incidents fut l'arrestation inattendue, par la Hollande, de M. Thorn, gouverneur belge de la province du Luxembourg, lequel fut détenu, pendant plusieurs semaines, dans la forteresse fédérale, et qui ne fut mis en liberté, par ordre de la confédération, qu'après avoir été le sujet de plusieurs protocoles et remontrances. Un autre embarras consistait dans les infractions constantes à la convention d'Anvers, résultant de la construction et de l'armement de diverses batteries, que Chassé déclarait dangereuses pour la citadelle, et contraires au maintien du statu quo. Il fallut tout le calme et l'habileté de sir Robert Adair et de son collègue français M. de Tallenay, (page 214) qui avait continué à être chargé d'affaires, depuis la mort de Belliard, pour empêcher une collision entre les parties. Cependant, malgré l'intervention et les remontrances des diplomates, les Belges continuèrent leurs opérations, et couvrirent les quais et les remparts d'une ligne formidable de batteries qui contribuèrent dans la suite, si puissamment, à arrêter les tentatives d'agression du général hollandais (Le nombre des pièces, en batterie sur les remparts, les quais et les forts, destinées à battre la citadelle et la rivière, s'élevait à 69 mortiers, et à 150 canons de gros calibre). Tel était l'état des affaires au mois d'octobre.

En même temps, une négociation particulière, d'une importance vitale pour la consolidation de la nouvelle dynastie et le bonheur domestique du roi, se poursuivait en secret. Un des vœux les plus ardents de la nation, et qu'elle avait formé dès l'élection du roi, était l'espoir de lui voir épouser une des filles du roi des Français. Cette espérance, adroitement mise en avant au moment de la discussion des dix-huit articles, était sur le point de se réaliser. Désappointés de n'avoir pu amener Louis-Philippe à permettre à son fils d'accepter le trône, les vœux du peuple se tournèrent vers une de ses filles. Ce fut, en conséquence, avec une joie universelle que la nation apprit les préliminaires du mariage entre (page 215) le roi et l'aimable et intéressante princesse Louise d'Orléans, et la fixation définitive de la célébration du mariage. Cette cérémonie eut lieu avec beaucoup de solennité à Compiègne, le 9 août 1832. Le 15, LL. MM. arrivèrent à Laeken, et, le 20 du même mois, elles firent leur entrée dans la capitale, où elles furent reçues avec les plus grandes démonstrations de joie et d'enthousiasme (Note de bas de page : Selon l'acte de mariage daté du 9 août 1832, a 8 heures et 1/2 de l'après-midi, le roi, né le 16 décembre 1790, était dans sa 42e année, et la reine Louise-Marie-Thérèse-Caroline-Isabelle, née à Palerme le 3 avril 1812, dans sa 20e). Cette union fut un événement d'un grand intérêt politique, et offrit une de ces occasions rares où les vœux unanimes du peuple sont d'accord avec les inclinations du souverain. Elle commença une nouvelle ère de bonheur, de ce bonheur domestique que le cœur du roi est si bien fait pour comprendre. La bonté, la piété, les vertus et tant d'admirables qualités qui distinguent cette jeune et belle reine étaient des garanties certaines qu'elle allégerait pour son époux les soucis inséparables de la royauté, et qu'il trouverait le bonheur et des consolations dans la vie domestique. Cette espérance a été pleinement réalisée ; car l'Europe fournit à peine un exemple d'un bonheur domestique plus parfait que celui dont jouit ce couple fortuné.