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Histoire de la révolution belge de 1830
WHITE Charles - 1836

Charles WHITE, Histoire de la révolution belge de 1830. Livre premier

(Paru à Bruxelles, en 1836, chez Louis Hauman et Cie, traduit de l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr)

PREFACE

« The surest way to prevend seditions (if the times do bear it) is to take away the matter of them ; for if there be fuel prepared it is hard to telle whence the spark shall come that shall set it on fire. » (Bacon)

(page III) En donnant cet ouvrage au public, je me dois à moi-même de présenter quelques observations préliminaires, qui, je l'espère, expliqueront, plusieurs réticences, et me mettront à l'abri de certaines accusations que l'on pourrait porter contre moi.

Lorsque j'aurai fait observer qu'habitant la Belgique depuis plus de quatre ans, j'ai suivi attentivement toutes les phases de la révolution, depuis le soulèvement d'août 1830, et que j'ai vécu dans des relations d'amitié avec plusieurs des principaux personnages qui ont figuré sur l'horizon politique ; que, de plus, j'ai été en (page IV) position de compulser une grande quantité de documents, et d'entendre presque toutes les discussions orales, et qu'enfin, ces questions ont été l'objet non seulement de mes constantes méditations, mais encore de plusieurs publications (Relation du siège d'Anvers dans l’United Sorties Journal, n°52, et divers autres articles sur la question belge, dans d'autres revues et journaux) ; le lecteur sera alors en droit de beaucoup attendre d'un écrivain, qui s'est trouvé dans la situation la plus avantageuse qu'un étranger puisse désirer pour obtenir des informations exactes et étendues.

Tout en faisant connaître franchement ce concours de circonstances en apparence si favorables pour lui, l'auteur sent qu'il importe de démontrer qu'en réalité il en est plusieurs qui tendent plutôt à augmenter qu'à aplanir les difficultés d'ailleurs communes aux ouvrages de ce genre. Car il est aussi impossible de faire allusion aux événements dans lesquels j'ai figuré personnellement sans risquer d'être accusé de poser devant le public, que de mettre au jour certains détails qui sont en ma possession sans manquer à la confiance dont plusieurs personnes m'ont honoré.

(page V) Il est tout aussi difficile de soulever le voile qui couvre des événements récents sans livrer prématurément des noms propres à la publicité et réveiller des passions à peine assoupies, que de parler avec franchise et impartialité de la conduite des hommes, sans indisposer contre moi des personnes à qui me lient et la bienveillance qu'elles m'ont témoignée, et la reconnaissance que je leur ai de m'avoir fourni des renseignements sur lesquels j'ai basé mes jugements. En un mot il n'est pas moins embarrassant de censurer les actes publics sans blesser les sentiments privés, que de déverser la louange sans s'exposer au reproche de partialité ou à d'autres plus graves encore.

Je n'ai jamais eu la pensée de produire un ouvrage éphémère, jeté au public dans la seule vue de flatter l'amour-propre des partis ou de servir à quelque but politique. Mais je voulais écrire une histoire claire, impartiale et complète, digne de survivre aux intérêts du jour. Cependant, j'ai été détourné de ce plan par les considérations que j'ai déjà énoncées, par la conviction où je suis que les événements sont trop près de nous pour l'accomplissement de cette tâche, et surtout par d'autres (page VI) difficultés dont je vais énoncer les plus frappantes.

En Hollande comme en Belgique, les passions politiques sont encore trop fortement excitées, les préjugés trop profondément enracinés, les opinions trop exaltées, pour qu'il soit possible d'y rencontrer beaucoup d'impartialité. A Bruxelles, par exemple, le roi Guillaume est dépeint comme un tyran fiscal, dont le règne offre une succession non interrompue d'infractions à la loi fondamentale : ses ministres sont regardés comme des oppresseurs avides, dont le seul but était de réduire la Belgique à un état de vasselage, et de monopoliser ses richesses et ses ressources au seul profit de la Hollande. A La Haye, le roi Léopold est regardé comme un usurpateur, son peuple comme des rebelles ingrats, qui, sous de frivoles prétextes, ont repoussé le gouvernement paternel des Nassau, et qui auraient allumé en Europe une conflagration générale, sans la fermeté du monarque hollandais et la loyauté à toute épreuve du peuple néerlandais. Si donc l'historien consulte l'opinion en Hollande, pourra-t-il démêler la vérité à travers un torrent d'invectives, lancées non pas contre (page VII) la Belgique, mais contre les partisans de ces principes libéraux qui se sont si rapidement propagés dans tout l'ouest de l'Europe ? Tandis que, d'un autre côté, si l'écrivain cherche des renseignements auprès des Belges, il peut être égaré par les déclamations les plus exagérées encore contre les Hollandais, et contre tous ceux qui osent mettre en question l'importance de leurs griefs, ou exprimer l'opinion qu'il est une certaine période de la révolution belge, ou certaine période de temps, où l'élection du prince d'Orange n'aurait été ni impossible ni incompatible avec les intérêts, l'honneur et l'indépendance de la nation belge.

L'état des négociations est encore d'ailleurs trop peu avancé, et la question trop loin de sa solution, pour qu'il soit possible d'obtenir les documents officiels nécessaires pour l'explication d'une partie des faits, et surtout pour pouvoir espérer de produire un ouvrage historique complet. En supposant même que l'on parvînt à se procurer de tels documents, la publication eu serait prématurée, intempestive, et ils ne pourraient être livrés au public, avec l'assentiment des gouvernements, qu'après avoir subi de trop graves mutilations.

(page VIII) Ces circonstances, et quelques autres d'une nature toute personnelle, m'ont forcé de renoncer au projet d'écrire une histoire complète. Mais, pour ne pas perdre tout à fait le fruit de plusieurs mois de travail et de recherches, je me suis borné à donner une narration succincte des événements en général. Pénétré de la délicatesse de ma position, je me suis appliqué à être toujours impartial et modéré. Cependant, je n'ai pas hésité à exprimer librement mon opinion, à distribuer la louange et la censure, suivant ma conscience, au risque de choquer l'esprit de parti ou les susceptibilités nationales.

A ceux qui regarderont mon appréciation des hommes et des choses comme inexacte, je répondrai qu'en la supposant quelquefois erronée, elle découle toujours de ma conviction. Je ferai seulement observer, à ceux qui seraient mécontents de mes critiques, que je désavoue formellement toute intention de personnalité, et que je borne mes remarques aux faits qui peuvent être considérés comme appartenant désormais au public et exclusivement tombés dans le domaine de l'histoire. Sans doute, il est des personnes que mes jugements (page IX) offenseront ; il en est peut-être que mes éloges ne satisferont pas. A cet égard, je ne puis que me soumettre au sort qui attend tous les écrivains contemporains, surtout ceux qui cherchent à juger la conduite des hommes dans les commotions politiques. Car, comme Cowley l'observe avec raison dans ses Essais :

« In all civil wars, men are so far from stating the quarrel against their country, that they do it against a person or party which they really believe or pretend to be pernicious to it. »

Tel paraît avoir été l'esprit qui a présidé à la composition de la plupart des pamphlets et ouvrages publiés par tous les partis, au sujet de la révolution belge. Car, excepté les productions estimables de MM. Nothomb, le comte de Hoogendorp et le baron de Keverberg, celles attribuées à M. Van de Weyer, et une ou deux autres de moindre importance, ce qui a été écrit sur ce sujet n'est qu'un tissu de personnalités, de diatribes mensongères, dirigées contre les hommes et non contre les actes ; tendant à induire le public en erreur plutôt qu'à l'éclairer sur les faits ; plus propre à envenimer les haines des personnes et des partis qu'à (page X) faire envisager les événements sainement et sans passion.