La mutualité socialiste - Dans le Centre, à Charleroi, au Borinage et à Gand - Progrès constants et rapides - Résultats - L'organisation syndicale - Les grandes fédérations nationales - Les houilleurs - Les verriers - Les métallurgistes - Les travailleurs du bois - La Fédération du livre - Autres organismes - La Commission syndicale - La neutralité - Lutte entre les deux tendances - Le mouvement coopératif
(page 607) Le Parti ouvrier belge est un parti politique qui poursuit la conquête du pouvoir et, par celui-ci, l'émancipation sociale des travailleurs.
Ce qui le distingue cependant des autres partis politiques, mêmes socialistes, c'est son organisation spéciale qui comprend à la fois des groupements purement politiques, comme les « Ligues ouvrières » s’occupant des élections, et des groupements économiques : syndicats professionnels, coopératives, mutualités.
(page 608) Ce qui fait la force de ce parti, c'est que, à l'encontre des autres dont les membres ne sont liés que par des liens électoraux, par conséquent temporaires, ses membres à lui sont unis par une organisation permanente, s'occupant des besoins journaliers de la vie, défendant en commun leur salaire, leurs droits de producteurs et de consommateurs, se garantissant mutuellement contre les risques de la vie : chômage, maladie, accidents, etc.
L'Eglise catholique prend l'homme dès sa naissance pour lui donner le baptême ; elle le catéchise enfant, bénit son union et lui accorde des prières à sa mort. De même, le Parti ouvrier belge, par ses institutions multiples, s'intéresse aux siens dès leur plus tendre jeunesse, organise des cercles d'agrément pour les enfants du peuple, constitue des « Jeunes Gardes », des mutualités, des syndicats, des coopératives qui procurent la vie à bon marché, des secours en cas d'infortune, une pension en cas de vieillesse ou d'invalidité. Comme l'Eglise, le Parti ouvrier belge veut constituer un Etat dans l'Etat bourgeois. Sa devise semble être inspirée de cette pensée, lue quelque part : « On ne supprime sérieusement que ce que l'on remplace. »
L'origine des institutions de secours mutuels est très ancienne en Belgique. Dès le VIIIème siècle, il existait déjà des Gildes qui avaient des bourses communes affectées au soulagement des malades et des infirmes.
Après les événements de 1848, des associations fraternelles de secours mutuels furent créées dans les grandes villes, principalement entre les ouvriers d'un même métier.
En 1851, une loi spéciale fut votée autorisant le gouvernement à reconnaitre les sociétés de secours mutuels, dont le but est d'assurer des secours temporaires à leurs membres malades. En échange des quelques avantages leur procure la reconnaissance légale, les sociétés reconnues sont placées sous la surveillance des autorités locales, ce qui leur enlève ainsi toute indépendance d’allure.
Un quart de siècle après le vote de cette loi, le nombre des (page 609) sociétés reconnues ne s'élevait qu'à 137, comptant environ 20,000 membres.
Depuis lors, l'esprit de prévoyance se développa fortement dans la classe ouvrière et le nombre des sociétés mutualistes augmenta dans de grandes proportions.
Pour les sociétés reconnues, leur nombre, au 31 décembre 1906 s'élevait à 2,586 avec 280,000 membres, rien que pour les sociétés d'assurances contre la maladie, et à 4,706 pour les sociétés de retraite comptant près de 700,000 assurés.
Pour les sociétés reconnues, ne s'occupant que de l'assurance contre la maladie, les recettes, en 1905, s'élevaient, en chiffres ronds, à 4 millions de francs et les dépenses à 3 millions Leur avoir social dépassait 8 millions de francs.
La mutualité scolaire, qui a fait ses débuts en 1896, fit également de grands progrès, puisqu'il existait, fin 1905, 3,235 sociétés, avec 103,803 élèves primaires affiliés et 30,432 sociétaires parmi les élèves des cours d'adultes.
Il n'existe aucun relevé officiel du nombre des sociétés mutualistes non reconnues, ni de leurs membres, ni de leur situation financière, etc. dans le
Dans les centres industriels, et spécialement dans le Hainaut, la mutualité libre a fait de grands progrès, grâce à l’influence et l'activité des ouvriers socialistes.
(En note de bas de page, l’ouvrage de Louis Bertrand reprend un aperçu détaillé par province. Au total, il y avait au 31 décembre 1906 2,586 sociétés d’assurances maladies etc., 4,081 sociétés de retraire, 148 sociétés spéciales, soit en tout 7,415 sociétés.)
(page 610) La plus ancienne mutualité socialiste, la « Solidarité » de Fayt, fut fondée du temps de l'Internationale, en 1869. C’est ce groupe de modestes travailleurs qui provoqua la création d’une série d'associations de différents corps de métiers.
A la suite de grèves malheureuses, ces divers groupes périclitèrent et, seuls, restèrent debouts les membres de la « Solidarité » de Favt, de Jolimont et de Bois-de-Saint-Vaast.
Lors de la fondation du Parti ouvrier, en 1885, un nouveau réveil se produisit dans la population ouvrière du Centre. Il se manifesta surtout par la création de ligues ouvrières qui se multiplièrent, chaque commune voulant posséder la sienne. Mais ce genre d'association ne présentait pas suffisamment de résistance. Il ne constituait qu'un lien moral entre les membres, et peu à peu les ligues ouvrières disparurent.
C'est alors que l'on songea à créer des organismes procurant des avantages immédiats et permanents à leurs adhérents, de façon à les intéresser constamment, à les attacher à l'œuvre à cause des bienfaits qu'elle procure. C'est ainsi que furent fondées les mutualités socialistes et c'est grâce aux ressources de celles-ci que furent réunis les fonds nécessaires à la constitution de la coopérative « Le Progrès », de Jolimont.
A partir de ce moment, de nouvelles sections mutualistes furent fondées dans les principales localités du Centre et, à la fin de 1890, on constitua une Fédération de ces sociétés.
Le premier bilan de cette Fédération accuse un total de 18 sociétés comptant ensemble 3,008 membres et un encaisse de 16,047 francs.
C'est Jules Mansart, député de Soignies, qui fut la cheville ouvrière de cette organisation.
Dès le principe, il n'y avait qu'une seule caisse donnant : des secours aux malades et aux blessés, pendant une période qui ne pouvait dépasser un an ; 2° des subsides mensuels aux membres entrant l'armée comme miliciens, et 3° des indemnites aux familles des sociétaires décédés.
Voulant compléter l'œuvre, on institua, dès 1893, une caisse de pension qui assure aux membres une pension viagère ; et en 1901, on créa la caisse de réassurance qui alloue une (page 611) indemnité supplémentaire pendant cinq années. Cette caisse de réassurance est reconnue par arrêté royal et touche par conséquent des subsides des pouvoirs publics.
En résumé, les membres d'une section affiliée à la Fédération des sociétés de secours mutuels socialistes du bassin du Centre touchent, en cas d'incapacité de travail :
1° De la caisse de secours, une indemnité journalière de 1 à 2 francs pendant six mois, suivant la catégorie à laquelle ils appartiennent ;
2° De la caisse de réassurance, une indemnité subsidiaire de 1 franc par jour pendant cinq années, prenant cours après les mois indiqués ci-dessus ;
3° De la caisse de pensions, une allocation mensuelle et viagère de 10 francs, prenant cours après les cinq ans et demi préindiqués. Aucune condition d'âge n'est exigée pour l'octroi de la pension, pourvu que le bénéficiaire soit incapable de travailler ;
4° Une allocation de 100 francs est accordée par la caisse de secours aux familles des membres qui meurent avant l'expiration des six premiers mois ;
5° Une indemnité de 7 fr. 50 par trimestre est accordée aux membres qui sont à l'armée en qualité de miliciens.
La cotisation mensuelle s'élève à 1 fr. 15, dont 90 centimes pour la caisse de secours, 15 centimes pour la caisse de réassurances et 10 centimes pour la caisse de pension.
La Fédération mutualiste du Centre qui, en 1891, comptait 18 sociétés et 3,000 membres, comptait, fin 1906, 85 sociétés affiliées avec 17,090 membres.
Elle paya dans le cours de cette année :
aux malades et blessés 210,709 fr. 50
à ses membres, sous les drapeaux 3,925 fr.
aux familles des sociétaires décédés 5,940 fr.
aux membres pensionnés 11,490 fr.
aux membres réassurés 40,867 fr. 50 c.
Son avoir, qui s'élevait à 19,000 francs en 1891, se montait à 180,000 francs en 1900 et à 336,124 francs fin 1906.
Depuis son origine, c'est-à-dire en une quinzaine d'années, (page 612) la Fédération des sociétés de secours mutuels socialistes du Centre a accordé à ses membres, comme secours et indemnités de toutes sortes, plus de 2 millions de francs.
Son action morale et politique a été grande aussi, car si elle a aidé à fonder la grande coopérative de Jolimont, elle a également participé à la création de syndicats professionnels, aux luttes électorales, à la diffusion de la presse, en un mot, à toutes les manifestations de la vie du Parti ouvrier.
Bientôt l'exemple de la mutualité dans le Centre fut suivi par les ouvriers socialistes du pays de Charleroi et ensuite par ceux du Borinage.
Il existe une Fédération similaire dans le pays de Charleroi, dont plusieurs groupes, à l'origine, faisaient partie de la Fédération du Centre.
La première mutualité socialiste de cette région fut constituée à Châtelet, en 1895. D'autres furent constituées peu de temps après et, au 31 décembre 1905, la Fédération mutuelliste du bassin de Charleroi comptait 55 sociétés avec 8,805 membres.
Voici quelques autres renseignements sur le rapide développement de cette organisation, dont le député ouvrier, Henri Léonard, fut le principal organisateur ;
C'est la Fédération qui centralise et gère les capitaux des sociétés affiliées ; elle administre, avec le concours d'un délégué par société, les intérêts de la mutualité et des institutions de prévoyance établies dans son sein, c'est-à-dire : caisse de secours maladie, caisse de réassurance, caisse des invalides, pharmacies fédérales.
Les recettes, en 1905, s'élevèrent à 171 ,991 francs.
Les dépenses se montaient à 121,875 francs se divisant comme suit :
Secours aux malades et blessés, 75,858 fr. 23.
Secours aux réassurés, 38,212 fr.
Secours aux invalides, 360 fr.
Secours pour mutualistes décédés, 3,214 fr.
Secours pour réassurés décédés, 1,050 fr.
(page 613) Secours aux membres soldats, 1,622 fr. 70
Secours aux femmes en couches. 153 fr.
Secours sanitaire, 1,315 fr. 30
La caisse de réassurance est reconnue officiellement et, reçoit des subsides de l'Etat ainsi que de la province.
(page 614) A Gand, comme dans les autres grandes villes belges, les sociétés de secours mutuels contre la maladie furent constituées de bonne heure. Ces sociétés, à leurs débuts, n'avaient d'autre but que de payer une indemnité de chômage à leurs membres malades.
Les socialistes gantois fondèrent, vers 1880, une société de secours mutuels appelée du nom d'un ancien socialiste flamand, Moyson. Ils espéraient réunir dans cette organisation les milliers de travailleurs socialistes de la vieille cité gantoise, mais malgré une propagande intensive, le résultat fut plutôt mince. La cause de cet échec relatif résidait dans ce fait, que la plupart des ouvriers socialistes faisaient partie déjà, depuis des années, de sociétés de secours mutuels, qu'ils y avaient acquis des droits, qu'ils y possédaient une part du fonds commun, toutes choses qu'ils ne désiraient pas abandonner.
C'est alors que les socialistes décidèrent de fédérer toutes les sociétés mutualistes de la ville et une propagande personnelle fut commencée, dans ce but, dans chacune des mutualités.
La société Moyson convoqua un congrès des sociétés de secours mutuels gantoises le 25 décembre 1886. Le but était de fonder une Fédération qui s'occuperait de fournir gratuitement des soins médicaux aux sociétaires.
Vingt associations mutuelles consentirent à entrer dans la Fédération et, dès la fin janvier 1887, celle-ci compta 4,600 adhérents. Peu de temps après, la Fédération ajouta aux soins du médecin, des secours pharmaceutiques, et ce moyennant cotisation de 5 centimes par semaine.
Mais les organisateurs de la Fédération Movson voulaient davantage. Ils proposèrent la fusion de toutes les sociétés fédérées en une seule association. Cette proposition souleva de vives résistances, mais finalement la réunion de toutes les sociétés fédérées fut décidée le 1er" mars 1890.
Depuis cette date, le succès de la Fédération s'accentua sans cesse et son développement fut prodigieux.
Le nombre de mutualistes socialistes monta de 2,700 qu'il était en 1889, à plus de 9,000 en 1898 et 25,000, en y comprenant les familles des membres personnellement affiliés.
(page 615) Aux services médicaux et pharmaceutiques, vinrent s'ajouter le fonds des invalides, en 1891 ; la caisse d'assurance sur la vie, en 1894.
En 1906, la Fédération Moyson comptait un ensemble de 20,000 membres.
Les membres de la coopérative « Vooruit » ont droit aux soins médicaux et pharmaceutiques du « Bond Moyson », moyennant le versement de 5 centimes par semaine et par tête, et c'est l’exemple remarquable de cette organisation, qui décida d'autres coopératives instituer des services médico-pharmaceutiques à leurs membres et leurs familles.
La Maison du peuple de Bruxelles, dont le service est fort organisé, dépense de ce chef une somme de 100,000 francs chaque année pour honoraires de médecins et médicaments, sans compter une quinzaine de milliers de francs pour pains remis gratuitement aux malades.
D’autres coopératives socialistes firent de même et rendirent un énorme service à leurs sociétaires qui, en cas de maladie, disposent des soins d'un médecin à leur choix, obtiennent gratuitement des médicaments, alors qu'autrefois ils devaient, neuf fois sar dix, solliciter les soins et les secours des bureaux de bienfaisance.
A côté du service médico-pharmaceutique, la grande coopérative socialiste de Bruxelles a fondé une « Assurance mutuelle » parmi ses membres. Cette mutualité, en échange d'une cotisation mensuelle de 1 à 2 francs, paie en cas de maladie, des indemnités variant de 2 francs à 3 fr. 50 par jour.
Cette société compte 2,500 membres, chefs de famille pour plupart.
L'exemple des mutualités socialistes du Centre et de la de Charleroi fut suivi dans d'autres localités du pays, dans la plupart des communes du Borinage. Ces mutualités locales sont affiliées à la Fédération mutualiste du Centre.
(page 616) L'organisation professionnelle, syndicale des travailleurs belges, fut entravée pendant longtemps par une législation de classe, qui pendant près d'un siècle fit défense aux ouvriers de se réunir pour discuter leurs intérêts et punissait de la prison la coalition, qui était un délit prévu par le Code pénal.
Il existait cependant plusieurs associations professionnelles d'ouvriers, poursuivant le but de défendre leurs intérêts de salariés, principalement le maintien du taux des salaires. Mais aussi longtemps que la loi interdisait les coalitions, ces associations se bornèrent à défendre les intérêts de leurs membres d'après les méthodes anciennes, d'après les procédés en usage dans les corporations d'autrefois.
C'est ainsi que seuls étaient admis l'apprentissage de certains métiers, les fils d'ouvriers exerçant ce métier ; dans d'autres métiers, on réglementait le nombre des apprentis, etc.
L'association des typographes, celles des chapeliers et des gantiers de Bruxelles et des tisserands de Gand, furent dans ce cas. Cela ne les empêcha pas, cependant, à certains moments, de se coaliser, pour avoir de meilleurs salaires et de voir comme nous l'avons vu déjà, leurs membres poursuivis devant les tribunaux pour délit de coalition ou de grève.
Mais au fur et à mesure que l'industrie se transforma, que le machinisme poussa à la division du travail, que l'habileté professionnelle des ouvriers joua un rôle moins important dans l'industrie, le caractère de l'association ouvrière se modifia et prit une forme plus active, plus batailleuse.
Alors que depuis des années le mouvement ouvrier anglais était puissant, grâce à la liberté dont jouissaient les travailleurs d'Outre-Manche, en Belgique l'organisation syndicale représentait peu de chose, même quelques années après que la loi interdisant les coalitions avait été abrogée.
La propagande faite par les membres de l'Association internationale des travailleurs, de 1866 à 1872 principalement, coïncidant avec la renaissance du mouvement syndical en France, à la fin de l'Empire et avec les grandes grèves anglaises aboutit à la constitution d'un certain nombre de sociétés dites de Résistance et des grèves pour l'augmentation des salaires, la diminution des heures de travail, etc.
(page 617) Mais au bout de quelques années, ces diverses associations ouvrières périclitèrent, disparurent ou comptèrent à peine quelques douzaines de membres chacune.
Au moment où se constitua, en 1885, le Parti ouvrier belge, Bruxelles possédait dix-neuf syndicats : peintres, bijoutiers, cordonniers, ébénistes, menuisiers, mécaniciens, cigariers, etc., etc., sans compter les typographes et les gantiers.
A Anvers, il n'y avait guère que les cigariers qui étaient associés.
A Gand, les tisserands, les fileurs de lin, de coton et les cigariers.
A Charleroi, les verriers et quelques rares groupes de houilleurs.
A Verviers, les tisserands et les mécaniciens.
Dans le cours des premières années suivant sa fondation, le Parti ouvrier s'occupa principalement de l'organisation politique des ouvriers et de la conquête du suffrage universel. Mais il ne négligea cependant pas l'organisation économique du prolétariat et sa propagande embrassa à la fois la mutualité, la coopération et le syndicalisme.
Dans ce dernier domaine, dont nous nous occupons spécialement en ce moment, il proposa la création de syndicats ouvriers du même métier, pour la défense de leurs intérêts professionnels. Plus tard, il poussa à la création de Fédérations nationales composées des associations locales, d'après le genre d’industrie professée, puis il constitua la « Commission syndicale » qui, dans sa pensée, devait réunir toutes les organisations professionnelles, socialistes et neutres.
De leur côté, les catholiques ou plutôt les démocrates chrétiens organisèrent des syndicats.
En même temps, des groupements neutres se créèrent ou se développèrent.
C’est l'ensemble de ces diverses manifestations de l'organisation syndicale que nous voulons passer rapidement en revue., (page 618) pour montrer l'effort accompli en ce domaine, à l'heure où nous écrivons.
Pour mettre un peu d'ordre dans cette narration, nous classerons les organisations syndicales par catégories professionnelles.
L'industrie houillère comporte un ensemble de 140,000 travailleurs de toutes catégories. Cette rude population ouvrière fut toujours soumise à un travail exténuant et traitée sans mesure, par les concessionnaires des mines. Elle comptait parmi les travailleurs les plus dénués d'instruction et si souvent, dans les moments critiques, elle savait faire preuve d'héroïsme, elle fut longtemps réfractaire à tout mouvement d'organisation.
Quand les mineurs gagnaient à peu près leur vie, pendant les années prospères, ils étaient à la fois contents et insouciants du lendemain. Puis, quand les exploitants diminuaient les salaires on imposaient des conditions de travail plus dures, un vent de révolte se manifestait de suite et ils se mettaient en grève, sans entente préalable, pour ainsi dire instinctivement, et souvent les grèves dégénéraient en émeutes et en massacres, par suite de l'intervention souvent abusive de la force armée, mise par l'Etat au service des employeurs.
Il fallut de longues années de persévérants efforts, de propagande continue, acharnée, pour faire comprendre aux houilleurs la nécessité de l'organisation de leurs forces, par charbonnage ou par commune d'abord, ensuite par bassin houiller, enfin nationalement et internationalement.
Les premières tentatives d'organisation ouvrière dans les bassins houillers, nous l'avons vu, datent de l'Internationale, en 1867 ou 1868. Avec la période des hauts salaires de 1872-1873, les associations ouvrières, les caisses de résistance furent complètement abandonnées et ce ne fut qu'en 1878, que de nouvelles tentatives furent faites dans le but d'unir les ouvriers.
Plusieurs grèves malheureuses, ne parvinrent point à ouvrir les yeux aux mineurs, à leur prouver la nécessité d'unir leurs forces, pour obtenir une amélioration de leur condition. Dans les meetings, ils comprenaient à peine et applaudissaient de confiance, mais peu de jours après, ils avaient oublié les conseils (page 619) donnés. Il leur répugnait de verser quelques sous de cotisation au syndicat, alors cependant que les jours de fête et les dimanches, ils dépensaient souvent le salaire d'une ou deux journées de travail, en libations ou au jeu de tir à la perche, très répandu au Borinage.
L’industrie houillère belge se partage quatre contrées différentes : Le Borinage, Charleroi, le Centre et Liége. Les populations de ces quatre bassins se particularisent chacune par des différences notables de mœurs et de pensée. Au Borinage, il n’y a guère d'autre industrie que celle de l'extraction du charbon et le mineur borain est des plus borné. Il a l'intelligence lente, et têtu et méfiant.
Charleroi possède à côté de ses houillères, de grands établissements métallurgiques et des verreries. L'intelligence ouvrière y est plus développée, mais le mineur y est resté fort superstitieux, crédule. Après la chute de l'Internationale, il y eut, dans plusieurs communes de cette contrée, un mouvement spirite très développé. Plus tard, l'organisation des mineurs prit une grande extension et on attribua ce succès aux rites en faveur dans ces groupements, qui avaient calqué leur organisation sur celle des Chevaliers du Travail d'Amérique, leur empruntant leurs formules de serment, leurs signes maçonniques, etc.
Le houilleur du Centre est plus intelligent ; il a l'esprit plus ouvert. Il est plus calme, plus confiant, plus discipliné.
Celui du pays de Liége tient du caractère français. Il est spirituel, frondeur, enthousiaste, mais manque absolument de persévérance, d'esprit de suite.
Voilà quelle était la mentalité des troupes qu'il s'agissait d’organiser, de discipliner en vue d'améliorer les conditions du travail.
Généralement, l'organisation syndicale débuta par des organismes locaux, de simples syndicats, que l'on réunit ensuite par région puis nationalement.
La Fédération nationale est, en général, le complément de l’organisation locale. Pour les mineurs, il fallut procéder (page 620) autrement. On fonda une Fédération nationale, qui s'occupa de grouper les houilleurs commune par commune, pour les unir ensuite sous le drapeau de la Fédération.
C’est le conseil général du Parti ouvrier belge qui prit l'initiative de constituer cette fédération et ce fut Gustave Defnet qui fut charge de cette tâche.
Un congrès de mineurs fut convoqué à Bruxelles, le 25 décembre 1889.
La Fédération des mineurs belges constitua son bureau de la manière suivante : bassin du Centre, Arthur Motte ; bassin de Charleroi, Ernest Bertrand ; bassin du Borinage, Elvsée Fauviaux ; bassin de Liége Guillaume Galère.
Gustave Defnet remplit les fonctions de secrétaire, comme représentant du conseil général du Parti ouvrier.
Une propagande intensive fut faite et, dès le mois de juillet, il y avait 8,500 mineurs organisés. En 1891, à la veille de la grande grève qui commença le 1er mai, la Fédération des mineurs comptait près de 70,000 affiliés, mais la cotisation était dérisoire.
Cette organisation avait été trop rapide pour être profonde ; aussi, les grévistes mineurs ayant échoué, le mouvement tomba et c'est à peine si, dans chaque commune houillère, une douzaine ou deux d'ouvriers restèrent fidèles au drapeau syndical.
Quelques années se passèrent ainsi où la politique, la conquête du droit électoral absorbèrent le temps des principaux chefs du mouvement. Puis l'on recommença à parler en faveur de l'organisation syndicale ; un organisme spécial, la « Commission syndicale », avait été constitué spécialement à cet effet, à la suite du congrès du Parti ouvrier, tenu à Verviers, en avril 1898.
A partir de ce moment, la propagande syndicale se fit plus méthodique et l'on insista surtout sur la nécessité de faire payer de fortes cotisations aux membres, seul moyen d'avoir une organisation sérieuse et puissante.
Le mot d'ordre : majorer la cotisation, fut entendu et les syndicats de mineurs qui, jusque-là, s'étaient montrés réfractaires au paiement d’une cotisation élevée, furent les premiers à (page 621) donner l’exemple et, chose curieuse, loin de perdre des membres, ils en gagnèrent beaucoup. Il est vrai que le syndicat se transforma. De simple caisse de résistance, il devint un organisme plus complet, avec caisse de chômage, de pension pour invalidé et accidents. De plus, le développement pris par les socialistes, dans les centres houillers, favorisa étrangement l’organisation syndicale.
La Fédération des mineurs compléta son organisation et, en 1900, commença la publication d'un organe mensuel, « L’ouvrier mineur », qui a pris un grand développement et qui est fortement documenté.
Le comité national de la Fédération des mineurs est composé de Désiré Maroille et Brenez, pour le Borinage ; Cavrot et Artoos, pour le du Centre; Pouillard et Alfred Lombard, pour le bassin de Charleroi; Dejardin et Lemaire, pour le bassin de Liége ; Courtain et D. Albert pour la Basse-Sambre.
Chacune des fédérations régionales a son organisation propre.
Celle du Centre comprend trente-cinq groupes communaux. Elle possède une caisse de résistance, pour la défense des salaires et des droits des ouvriers, une caisse de pension et de secours.
En 1906, la cotisation totale des groupes fédérés du Centre a produit 99,896 francs, dont 70,915 francs pour la caisse de résistance et 18,981 francs pour la caisse de pensions et de secours. La caisse de résistance possédait un avoir de 135,707 francs fin 1906 et la caisse de pensions et secours, 58,467 francs.
Au Borinage, autant les bouilleurs avaient l'habitude de se mettre facilement en grève, autant il fut difficile de les organiser, de les discipliner, de leur faire payer régulièrement des cotisations. De tous les mineurs belges, les Borains, nous l'avons dit, étaient les plus esclaves et les moins éclairés.
Il ne fut donc pas aisé de les organiser, de leur faire comprendre que des sacrifices étaient nécessaires sils voulaient voir améliorer leur condition, augmenter leurs salaires.
(page 622) En 1885, 1886 et 1887, de nombreuses coopératives de consommation - des boulangeries - furent créées dans le Borinage. Toutes adhérèrent à la Fédération régionale des mineurs.
Celle-ci comptait, à l'origine, six sept groupes, avec un ensemble de 2,000 à 2,500 membres.
Depuis 1905, les coopératives boraines appartiennent à la Fédération socialiste du Borinage, et la Fédération des mineurs ne comprend que les syndicats.
Ceux-ci, pour la plupart, sont uniquement fondées la résistance, c'est-à-dire pour l'amélioration des conditions du travail, salaires, durée du labeur quotidien, etc. La cotisation hebdomadaire s'élève à 55 centimes.
Les syndicats de mineurs de Hornu et de Wiheries ont, en même temps, une caisse de chômage et de pension. La cotisation, par semaine, est de 80 centimes à Hornu et de 55 centimes à Wiheries.
A Jemappes, Flénu, Ghlin, une caisse de pension est annexée au syndicat et la cotisation hebdomadaire est également de 55 centimes.
Les principales communes boraines où il existe des syndicats de houilleurs sont ; Frameries, Cuesmes, Genly, Jemappes, Quaregnon, Flénu, Ghlin, Wasmuel, Hornu, Boussu, Elouges, Dour, Wiheries, Thulin, Warquignies, Wasmes, Petit-Wasmes, Pâturages, La Bouverie et Eugies.
Ces vingt syndicats de mineurs sont tous affiliés à la Fédération boraine et comptent un total de 17 à 18,000 membres.
Au pays de Charleroi et dans la Basse-Sambre, le mouvement syndical parmi les houilleurs a surtout pris. quelque importance à partir de l'année 1890.
Son principal inspirateur fut Jean Calluwaert qui, en 1885, constitua la société mère du bassin de Charleroi : « I.' Union des Mineurs Ereuka », à Jumet-Hohyssart.
la première réunion, les fondateurs étaient au nombre de 21. Quinze jours plus tard, ils n'étaient plus que 18. Ils ne se découragèrent pas, cependant, et dès ce moment, une vigoureuse propagande fut menée à l'effet d'organiser tous les travailleurs de ce vaste bassin industriel et, au 1er décembre 1885, l’ « Union (page 623) des Mineurs », de Jumet-Gohyssart, comptait 2,200 membres, parmi lesquels un assez grand nombre habitaient les communes voisines.
Quelques jours plus tard, une grève éclata au charbonnage d’Amercoeur, et malgré l'avis des « chefs » de l'Union. Cette grève dura trois mois et les ouvriers durent reprendre le chemin de la fosse sans avoir obtenu la plus légère satisfaction.
Cette grève malheureuse eut de tristes conséquences. Environ cent-cinquante grévistes ne furent plus repris par le charbonnage et ils furent signalés aux directeurs gérants des autres houillères et inscrits sur leur « livre noir. »
A la première assemblée générale de l' Union qui suivit la défaite des ouvriers d'Amercœur, il n'y eut que 45 membres. Mais ceux-ci résolurent de continuer la propagande d'après la méthode et les rites des Chevaliers du Travail d'Amérique. Et au fur et à mesure que dans la société-mère l' Union de Jumet-Gohyssart, il y avait 21 membres d'une même commune, on y fondait une union séparée.
C’est ainsi qu'en 1887 l' Union de Charleroi-Nord fut constituée.
En 1890, l'organisation des travailleurs des charbonnages et des autres professions prit une extension remarquable et l'on constitua quarante-six groupements dans les communes suivantes, que nous inscrivons par ordre chronologique : Marcinelle, Châtelineau, Gillv (les Vainqueurs), Montigny-sur-Sambre, Pironchamps, Courcelles, Forchies-la-Marche, Châtelet, Ransart, Fleurus, Pont-de-Loup, Wanfercée-Baulet, Falisolles, Velaine-sur-Sambre, Lodelinsart, Marchienne-au-Pont (métallurgistes), Beugnies, Gilly (métallurgistes), Arsimont, Ham-sur-Sambre, Genappe (Brabant), Lan- Aiscnx, Trazegnies, Mont-sur-Marchienne, Jemeppe-sur- Sombreffe, Spy, Auvelais (ouvriers de la glacerie), Montigny-sur-Sambre (métallurgistes), Floreffe, Jamioulx, Gouy-lez-Piéton, Fontaine-l'Évêque, Châtelet (métallurgistes), Ressaix, Gosselies, Fosses, Chapelle-lez-Herlaimont et Carnières.
Les années suivantes la propagande continua de plus belle, (page 624) avec une ardeur jamais lassée et de nouveaux groupes furent constitués dans le bassin de Charleroi et dans la Basse-Sambre.
En 1894, les groupes de métallurgistes de cette partie du pays se constituèrent en fédération séparée de celle des mineurs. De même, les groupes de houilleurs de la Basse-Sambre s'organisèrent à part, sur les conseils de leurs camarades du pays de Charleroi.
Au début de l'année 1907, d'après une note communiquée par mon collègue et ami Jean Calluwaert, député de Charleroi, il y avait quarante-et-un groupes organisés affiliés à la Fédération des mineurs du bassin de Charleroi, avec un total de 13,442 membres payant régulièrement la cotisation.
La plupart des groupes de mineurs de cette contrée ne s'occupent que de la lutte syndicale. Quelques-uns sont également à base de mutualité et possèdent une caisse de pension. Le nombre des membres des mutualités de houilleurs s'élevait 6,529 en mai 1907.
La cotisation variait de 1 fr. 25 à 2 fr. 50 par mois.
On le voit, l'organisation syndicale des bouilleurs du pays de Charleroi est puissante et, grâce à elle, les travailleurs de la mine ont obtenu de meilleures conditions de travail, des salaires plus rémunérateurs que par le passé et une durée journalière de travail moins longue.
Dans certaines communes, le nombre des membres de l'Union des mineurs est fort élevé 2,500 à Gilly, 1,000 à Châtelineau, 700 Montigny-sur-Sambre et ainsi de suite.
Grâce aux caisses de mutualité et de pension annexées aux syndicats, l'ouvrier est uni à son frère de travail par un lien permanent. Il paie régulièrement ses cotisations, augmente le montant de celles-ci, parce qu'il peut devenir malade et avoir besoin de soins médicaux et pharmaceutiques, tout en recevant une indemnité pour les jours de chômage. Ainsi, l'Union se développe, s'affermit, et l'esprit de solidarité, de prévoyance s'implante davantage dans les cerveaux des travailleurs de cette région, qui préparent ainsi leur émancipation intégrale.
(page 625) L’organisation des travailleurs de la mise au pays de Liége n’a jamais été bien sérieuse.
C'est en 1886 qu'une Fédération régionale y fut constituée, mais jusqu’en 1896 1'organisation en fut défectueuse et peu solide. C’est à peine s'il existait une demi-douzaine de syndicats à Seraing, Jemeppe, Ougrée, Herstal, avec un ensemble de 2,000 membres.
(page 626) En 1896, un nouvel effort fut tenté et dès le début, douze syndicats locaux s'affilièrent à la Fédération provinciale des mineurs liégeois, avec environ 2,500 membres.
A l'heure qu'il est, la Fédération compte 25 syndicats avec 12,000 membres. Ces syndicats ont leur siège à Liége, Seraing. Ghlin, Flémalle, Saintt-Gilles, Awirs, Mons-Crotteux, Montegnée, Ougrée Hollogne-aux-Pierres, Velroux, Queue-de-Bois, Retinne (plateau de Herve), Beyne-Heusay, Tilleur, Jemeppe-sur-Meuse, Ans, Bierset, Micheroux, etc.
La plupart de ces syndicats ne poursuivent qu'un but de résistance, mais leurs membres commencent à comprendre la nécessité d'y ajouter la mutualité, le chômage, etc.
Le chiffre de la cotisation est, en général, trop peu élevé.
La Fédération de la pierre fut constituée en 1891. Elle a également un organe mensuel, « Le Carrier », et groupe non seulement les ouvriers tailleurs de pierre, mais encore les marbriers, les sculpteurs, les mouleurs et les carriers proprement dits.
Elle réunit des travailleurs dont le caractère et la mentalité sont assez différents. A côté des sculpteurs et des marbriers, travaillant dans les villes, à Bruxelles, Liége, Anvers, Gand, Alost, etc., il y a les carriers du Hainaut et du pays de Liége et les ouvriers employés dans les carrières de pavés de Quenast, de Lessines et des bords de l’Ourthe et de l'Amblève.
Cette diversité d'éléments gêne un peu l'action de la Fédération et lui crée des difficultés nombreuses. Néanmoins, son organisation est en progrès et elle se ressent du développement pris par l'ensemble du mouvement syndical.
Les métallurgistes possèdent une des fédérations les plus solides de la Belgique.
Elle fut constituée en 1886, à l'initiative de l'Association des mécaniciens de Bruxelles. Une grève de métallurgistes (page 627) existait dans la capitale, et des mécaniciens de province étaient venus remplacer les chômeurs en lutte avec le patronat. Il y avait là un danger pour la réussite de tout mouvement gréviste futur. Le moyen d'y parer, pour l'avenir, consistait à unir, par un lien fédéral, tous les groupements de métallurgistes.
Une réunion fut convoquée à cet effet à Bruxelles. Les syndicats de mécaniciens existant alors répondirent à l'appel de quarante-quatre délégués, représentant des associations d’ouvriers métallurgiques de Bruxelles, de Gand, de Liége, de Malines, de Tubize, de Willebroeck, etc., assistèrent au congrès, qui fut présidé par Evariste Pierron.
La « Fédération nationale des métallurgistes » fut constituée. Ses ressources, au début, consistaient en une cotisation mensuelle de cinq centimes par membre.
Bientôt après, une caisse de résistance fédérale fut instituée, sans cotisation régulière, mais avec l'obligation, pour les groupes fédérés, d'intervenir dans les dépenses d'indemnité de chômage de grève, au prorata du nombre de leurs membres.
Ce système ne donna pas de bons résultats et, en 1890, il fut décidé d'imposer une cotisation mensuelle de 15 centimes par membre. On fixa l'indemnité de grève à 2 francs par jour.
Pierron. un ancien de l'Internationale, fut secrétaire de la Fédération nationale jusqu'à sa mort, survenue en mai 1898, c’est-à-dire pendant dix années.
Il fut remplacé par Beckaert, qui fut nommé secrétaire permanent, puis par Guillaume Solau.
Depuis lors, la Fédération fit une active propagande en province, à l'effet d'y syndiquer sérieusement tous les ouvriers métallurgiques. Elle subit, en outre, de nombreuses transformations, quant au but poursuivi. La cotisation fédérale fut portée à 10 centimes, puis à 25 centimes par mois.
La cotisation fut ensuite portée à 1 franc 5 centimes par mois, décomposée comme suit : 25 centimes pour la caisse administrative, servant spécialement à la propagande et au salaire des secrétaires permanents ; 25 centimes pour la caisse de résistance ; 50 centimes pour la caisse de chômage, et 5 centimes pour la caisse d'assurance en cas de décès.
(page 628) Une caisse d'assurances contre la maladie et la retraite a été constituée aussi ; elle deviendra obligatoire à partir du juillet 1908.
En 1907, la Fédération des métallurgistes comptait vingt-cinq groupes affiliés. Elle possède un secrétaire permanent rétribué par la caisse fédérale, et celle-ci paie également le traitement de secrétaires permanents locaux à Anvers, à Charleroi, à Jolimont, à Gand, à Liége et à Bruxelles.
Elle eut à soutenir plusieurs grèves partielles et deux lock-out, à Gand et à Anvers, lesquels se terminèrent par la victoire des ouvriers.
Au début de l'année 1907, la Fédération nationale groupait 13,000 membres et les recettes de son dernier exercice annuel s'élèvent à 105,909 francs. Elle avait dépensé 67,895 francs.
La Fédération métallurgiste alloue à ses membres les indemnités suivantes : en cas de grève, fr. 2. 5o par jour ; pour chômage involontaire, 2 francs par jour ; pour maladie, 2 francs par jour. Les membres âgés de 60 ans ont droit à une pension, dont le montant varie d'après le nombre d'années de versements. Enfin, un secours de 25 à 50 francs est alloué aux veuves des membres décédés.
« Le Métallurgiste », organe de la Fédération, publié à Bruxelles en français et en flamand, depuis 1896, à un tirage de 14,000 exemplaires. Les groupes d'Anvers et de Liége ont chacun un organe local.
Les travailleurs du bois (menuisiers, ébénistes, sculpteurs sur bois, etc.) possèdent aussi lune fédération nationale.
Ces syndicats existent principalement dans les villes et ont dans l'ensemble 2,000 adhérents.
Souvent, à la suite d'une grève dont les ouvriers étaient sortis victorieux, l'organisation syndicale se développa sérieusement. Tel fut le cas pour les « Menuisiers de Bruxelles », qui eurent près d'un millier d'adhérents, pour tomber à 150 quelques mois plus tard.
(page 629) A Gand, les travailleurs du bois sont syndiqués au nombre de 500. Ils possèdent une caisse de résistance, qui distribue des indemnités de ses membres.
C’est à Gand aussi que se publie le journal corporatif « De Houtbewerker » (Le Travailleur du Bois).
Les cigariers ou ouvriers du tabac ont une organisation et qui existe d'ancienne date. Leur fédération compte environ 1,800 membres. C'est la section d'Anvers qui est la plus importante : elle compte 600 membres.
La cotisation est assez élevée. Elle comprend une caisse de résistance ou de grève, une caisse de chômage et une caisse de secours en cas de maladie. A Bruxelles, les syndiqués cigariers paient 1 franc par semaine ; à Anvers, 1 franc 50 centimes ; ailleurs de 25 à 50 centimes, par semaine aussi.
L'introduction des machines pour la fabrication des cigares à bon marché a fait grand tort à l'industrie du tabac et a eu une répercussion malheureuse sur le taux des salaires. De plus, l’industrie des cigares qui était, il y a un quart de siècle, encore très florissante à Bruxelles et dans d'autres grandes villes, a été transplantée en partie dans les petites villes des Flandres et de la Campine où les salaires sont dérisoires.
La Fédération publie, en deux langues, un organe spécial, à Anvers : »Le Travailleur du Tabac. »
La « Fédération de l'industrie du livre » comprend à la fois des typographes, des imprimeurs typographes, des lithographes, des clicheurs, des relieurs, des fondeurs en caractères ; bref, les diverses branches de l'industrie du livre.
Ce sont les typographes qui sont les plus nombreux et les mieux organisés. On sait, d'ailleurs, que l'Association de Bruxelles date de 1842 et possède, à l'heure qu'il est, près de 2,000 membres, en y comprenant la section des adhérents.
(page 630) Kes typographes proprement dits ont constitué, il y a près de quarante-cinq années, une Fédération nationale qui réunit les syndicats des typographes de Bruxelles, Anvers, Gand, Liége et d'autres villes secondaires. Elle possède un organe bimensuel, « La Fédération typographique », éditée à Bruxelles.
Cette Fédération, comme les groupes locaux, est neutre, c'est-à-dire n'appartient pas à un parti politique.
Parmi les autres syndicats de l'industrie du livre, il en est qui sont affiliés au parti ouvrier socialiste. Tel est le cas pour les relieurs notamment et pour les imprimeurs lithographes.
Il existe à Bruxelles une Fédération bruxelloise du livre comptant plus de 2,500 membres, y compris deux syndicats d'ouvrières : les brocheuses et les margeuses.
Et à côté de la Fédération typographique belge existe une Fédération nationale des relieurs, qui cherche à réunir les ouvriers en groupes locaux pour en former ensuite un groupe national.
Dans l'arrondissement de Nivelles, où il y a des milliers d'ouvriers du bâtiment qui viennent chaque jour travailler à Bruxelles et dans la banlieue, l'organisation syndicale a presque toujours fait défaut, principalement parce que ces travailleurs étaient disséminés dans plus de vingt communes.
On commence cependant à les associer et, au 1er mai 1907, la Fédération nivelloise des maçons comptait 2,500 membres, répartis en vingt-deux communes.
Le député A. Allard s'occupe spécialement de cette organisation, comme il s'occupe des syndicats des ouvriers paveurs.
Ces dernières années, le mouvement d'organisation syndicale est en réel progrès et les ouvriers commencent à (page 631) comprendre l’utilité de l'association corporative pour la défense de leurs droits.
Ainsi, à côté des fédérations dont nous avons déjà parlé, il faut encore citer celle des industries textiles, celle du bâtiment, de cordonniers, des tailleurs, des verriers. etc.
Les catholiques ont tenté également d'organiser les ouvriers en unions professionnelles, mais en général cette organisation est peu sérieuse.
Parlons enfin de la « Commission syndicale », fondée par le Parti ouvrier, avec mission de s'occuper spécialement de l'organisation professionnelle des travailleurs belges et qui, bien que fondée par le Parti socialiste, admet dans son sein et dans ses congrès, des délégués de syndicats neutres. La Commission publie un organe mensuel, « Le Journal des Correspondances », et depuis 1899 organise chaque année un congrès spécial.
A l'occasion du dernier, tenu en 1906, la Commission syndicale a essayé de dresser une statistique des forces syndicales belges. Il résulte de ces chiffres que la Commission syndicale comptait, fin décembre 1906, 44,939 membres affiliés se répartissant comme suit :
l° Les groupes affiliés à la Commission syndicale et au Parti ouvrier : 30,423
2° Les groupes affiliés la Commission syndicale qui se déclarent socialistes, mais ne paient pas de cotisation au conseil général du Parti ouvrier : 9,000
3° Les groupes indépendants ou neutres : 5,516.
Total : 44,939.
Le document auquel nous empruntons ces renseignements estime que si l'on ajoute à ces chiffres les membres de la Fédération nationale des mineurs, tous socialistes, on arrivera facilement à 100,000 adhérents. Cela sans compter les groupements neutres de Verviers, Anvers, etc., assez nombreux et qui, dans ces derniers temps, ont fait de grands progrès.
(page 632) De là est né, chez certains des chefs du syndicalisme neutre, le désir de créer une organisation autonome, séparée des partis politiques. c'est-à-dire, en réalité, du Parti ouvrier.
L'idée de la neutralité syndicale est ancienne. Elle fut toujours pratiquée par l'Association des Typographes de Bruxelles, ce qui n'empêche pas celle-ci de participer à des manifestations organisées par le parti socialiste en faveur de certaines réformes ouvrières, à demander au Parlement, par exemple, le vote de lois réduisant la durée du travail journalier, octroyant une pension aux vieux travailleurs ou aux invalides, etc.
Les diamantaires d'Anvers et les ouvriers de l'industrie textile de Verviers et des environs, se sont surtout faits les propagandistes de la neutralité syndicale. Au moment où nous écrivons ces lignes, la lutte est engagée entre les neutres et les socialistes ; ceux-ci veulent le maintien de la Commission Syndicale fondée par le Parti ouvrier, mais à condition que celle-ci continue à admettre dans son sein, sur un pied d'égalité, les syndicats indépendants.
De nouveaux statuts ont été rédigés dans ce but et en voici les lignes essentielles : (ces passages des statuts ne sont pas repris dans la présente version numérisée.)
(page 634) L'avenir nous dira quelle est, des deux tendances en présence, celle qui aura réuni la plus grande partie des ouvriers syndiqués.
Le mouvement coopératif belge est assez ancien. Il débuta en 1848-1849 sous la forme d'associations ouvrières de production, à l'instar de ce qui venait de se faire à Paris. Ce furent surtout des ouvriers de Bruxelles, Gand et Liége, qui fondèrent des coopératives de tailleurs, de cordonniers, de menuisiers, de typographes, de cigariers, etc., etc. (« Histoire de la coopération en Belgique », par Louis BERTRAND, 2 volumes, Dechenne et Cie, Bruxelles, 1902.)
Ces sociétés, fondées sur les mêmes bases que les associations françaises, ne réussirent guère. Elles moururent l'une après l'autre, au bout d'un an ou deux. La difficulté n'était pas de produire de bons vêtements, des chaussures, des meubles, des cigares, etc., mais de les vendre ! Une seule des sociétés fondées en 1849 subsiste encore à Bruxelles, c'est l'Alliance typographique. Mais cette association ouvrière n'a pas, à proprement parler, un caractère coopératif. C'est une société qui a pris la forme légale des sociétés en nom collectif. La tentative de 1848 a donc échoué.
Ce ne fut qu'en 1865 que l'on recommença à parler de sociétés coopératives. Le mouvement français renait de ses cendres à cette époque. De plus, l'histoire des célèbres pionniers de Rochdale fut popularisée par la voie des journaux.
(page 635) Ce sont les francs-maçons de la loge des Amis philanthropes, de Bruxelles, qui prirent l'initiative de fonder un restaurant coopératif. A Liége, c'est un industriel qui donna le même exemple. La coopération, à cette époque, revêtit un caractère purement philanthropique, bourgeois.
Mais avec la fondation de l'Association internationale des travailleurs et la propagande faite par ses membres, on voit se répandre dans les masses ouvrières les principes véritables de la coopération.
Peu à peu, grâce à cette propagande, on voit des sociétés de consommation se créer un peu partout.
Le type adopté, c'est le magasin d'épiceries, de denrées coloniales et de farine. Il s'en fonda dans les grandes villes, à Bruxelles, Liége; Gand, Anvers, Charleroi, Verviers, etc., etc., mais surtout dans nos grandes communes industrielles des environs de Charleroi, de Liége et du Centre-Hainaut. Le nombre de ces sociétés, en 1871, était assez considérable pour l'on s'occupât de former une Fédération pour l'achat en gros des marchandises.
Mais avec la dissolution de l'Internationale, le mouvement ouvrier se disloqua peu à peu et, avec lui, le mouvement coopératif lui-même.
Enfin c'est de l'année 1880 que date la renaissance du mouvement coopératif belge. Elle est due à un triple courant.
D'abord, à la propagande socialiste et l'exemple donné par la fameuse coopérative « Vooruit », de Gand.
Ensuite, à la création de sociétés coopératives de consommation parmi les employés et ouvriers de l'Etat.
Enfin, à la fondation de pharmacies coopératives, dont l'initiative revient à la Fédération des sociétés de secours mutuels de Bruxelles.
Aussi voyez les résultats De 1873, date de la loi sur les sociétés coopératives, jusqu'en 1885, soit en douze années, il n'a que 92 sociétés coopératives en Belgique. De 1885 à la fin de 1894, en neuf années, il s'en constitue 417, soit plus de 45 par an.
Dès cette époque, l'on voit un nouveau courant se produire (page 636) par la naissance du mouvement coopératif agricole, sous forme de sociétés d'achats et de ventes d'engrais, semence, denrées de toutes sortes ; de laiteries coopératives, de sociétés d'épargne et de crédit, etc.
Chose étrange, c'est le parti catholique, qui jusque-là avait combattu les sociétés coopératives et défendu les intérêts du petit et du moyen commerce, qui se met à la tête du mouvement coopératif agricole.
Quelle est la cause de ce revirement subit ?
La première cause est le vote, par la Constituante, le 18 avril 1893, du nouvel article de la Constitution qui rend électeur tous les citoyens belges. Il en résulte que le peuple des campagnes, fanatisé par le clergé et tenu sous sa coupe autoritaire, va avoir à prendre part aux batailles électorales et devra s'intéresser par le fait même au mouvement des idées nouvelles.
En second lieu, les premières élections dues au nouveau système électoral furent une révélation pour les partis conservateurs. Ils furent effrayés de voir les socialistes obtenir d'un seul coup 350,000 suffrages et envoyer au Parlement 29 députés, sur 152. Les cléricaux pensèrent que ce succès, parmi les masses, était dû surtout à leur organisation coopérative ou, tout au moins, que c'était grâce cette organisation que les socialistes trouvèrent des ressources ct des hommes indépendants pour défendre et propager leurs idées. C'est alors qu'ils se mirent à organiser des sociétés coopératives à la campagne, pour grou• les paysans et les empêcher d'aller grossir l'armée socialiste.
Voyons les résultats :
Nous avons dit que, de 1886 à 1894, il s'était constitué une moyenne de 45 sociétés coopératives par an. Or, voici les chiffres, depuis que le mouvement coopératif se propage parmi les populations agricoles
En 1895, il se fonde 94 sociétés coopératives, en 1896 179, en 1897 312, en 1898 268, en 1899 190, en 1900 251.
(page 637)
De 1901 à fin 1906, il s’en constitue près de 1,200 nouvelles, ce qui fait qu’au 1er janvier 1907, il y avait en Belgique plus de 2,800 sociétés coopératives.
S’il n’existe malheureusement pas de statistique d'ensemble sur ces sociétés, on peut évaluer le nombre de leurs membres à environ 200,000, ce qui, a raison de cinq personnes par famille, représentait un total de un million de consommateurs, soit plus du septième de la population de notre pays !
(page 638) On le voit, le succès de la coopération belge date de quelques années seulement. Deux grandes tentatives faites avant de réussir, n'avaient point abouti.
Aujourd'hui, ce mouvement est indestructible. Il a des racines trop profondes pour qu'une crise quelconque en ait raison. Il fait partie intégrante de la vie nationale ; il est entré dans nos mœurs ; il a conquis droit de cité, et rien ne pourra désormais arrêter sa marche en avant. L'idée coopérative est populaire. Ses progrès sont continus et, nous en avons la profonde conviction, l'avenir qui lui est réservé est brillant et la coopération est appelée jouer un grand rôle dans les transformations sociales qui se préparent.
Après avoir tracé à grands traits l'histoire du mouvement coopératif belge, voyons maintenant à quelles causes il faut attribuer son succès.
La caractéristique essentielle de la coopération belge, c'est qu'elle est populaire, c'est-à-dire qu'elle s'adresse à tous, même aux travailleurs les plus pauvres.
Il y a, on le sait, deux systèmes de coopération.
Le système appelé « de Rochdale » est le plus répandu et nous paraît le meilleur à tous les points de vue.
Il consiste à vendre avec bénéfice, c'est-à-dire au prix du commerce ordinaire, puis à répartir le bénéfice ainsi réalisé, à la fin du semestre ou de l'année.
L'autre système consiste vendre pour ainsi dire au prix de revient, augmenté de 2 ou 3 p. c., de façon à couvrir les frais généraux et l'intérêt du capital. Ce système-ci est employé en Angleterre dans la coopérative de l'armée et de la marine. Il n'est guère pratiqué en Belgique.
Nos préférences sont pour le système de Rochdale, car il permet aux coopérateurs de faire des économies chaque jour sans qu'ils s'en aperçoivent et de toucher un bénéfice à la fin du semestre ou de l'année, ce qui leur est autrement sensible que de dépenser journellement quelques centimes en moins.
(page 639) Le magasin coopératif doit, de plus, être ouvert à tous. Il doit vendre au public, même au public non sociétaire, ne fût-ce qu'à titre de réclame.
Voici comment l'on s'y est pris, en général, pour fonder nos coopératives.
Dans les villes, l'on débuta par la création d'une boulangerie. Dans les communes et les villages, c'est le magasin de denrées alimentaires qui a été préféré. Cela tient à ce fait, qu'à la jusque dans ces derniers temps, chaque famille faisait son pain. Dans les coopératives de ces localités, la vente des farines était très importante. Dans les villes, au contraire, l'habitant achète son pain chez le boulanger. Or, le pain, dans notre pays, forme, avec la pomme de terre, la base de l'alimentation populaire, la branche boulangerie était fort bien choisie.
Des ouvriers se réunissent donc pour fonder une boulangerie coopérative. Mais pour cela il faut de l'argent. On commence, dans ce but, à verser chaque semaine 25 ou 30 centimes. Au bout de quelques mois, quand on a ainsi réuni quelques centaines de francs, on décide de louer un local, de préférence une cave, contenant un four de boulanger, ou une maison de derrière, à loyer modique.
C'est ainsi que le « Vooruit », de Gand, et la « Maison du Peuple », de Bruxelles, ont débuté avec quelques centaines de francs et une cave ! Aujourd'hui, moins de vingt-cinq ans après, ces coopératives possèdent chacune pour plus de deux millions de francs d'immeubles !
Jadis, dans les coopératives n'ayant pas un caractère socialiste, on devait souscrire une action de 50 ou de 100 francs et verser un droit d’entrée qui allait en augmentant au fur et à mesure que la société devenait plus riche. C'est le système bourgeois, à base capitaliste. Ce système est mauvais parce qu'il apporte une entrave au recrutement de nouveaux membres.
On était guidé par un sentiment égoïste et, de plus, faux.
L’essentiel, pour ces sociétés, c'était le versement d'une part du capital. Les coopératives socialistes, elles, ont pensé que l'essentiel n'était pas d'augmenter le capital (page 640) social, mais le chiffre des ventes, qui est autrement productif de bénéfices !
Aujourd'hui, dans les coopératives socialistes - et cet exemple est maintenant suivi par tous - on devient, à Bruxelles par exemple, membre de la coopérative « Maison du Peuple », moyennant le versement de 0 fr. 40 ! On peut acheter dans les magasins, avoir du pain porté à domicile et avoir droit au bénéfice réalisé à la fin de l'exercice, être co-propriétaire, dans la proportion de 1/20,000, d'un avoir social de plus d'un million, et tout cela en versant 0 fr. 40 seulement !
Ce système est excellent, en ce sens que ce qui domine, comme nous venons de le dire, même au simple point de vue du bénéfice, ce n'est pas le capital versé par les sociétaires, mais le montant de leurs achats.
La coopération socialiste belge est donc largement ouverte à tous. On n'exige pas de capital versé avant de jouir des avantages sociaux. De plus, l'on ne demande point aux ouvriers de s'engager par le versement d'une somme trop forte ; les actions sont de 10 francs, payables en deux ou trois ans, par des retenues de 2 à 3 francs, à chaque partage des bénéfices.
En 1888, dans une brochure de propagande, nous écrivions ce qui suit au sujet du caractère de la coopération et sur son rôle dans le mouvement ouvrier :
« Les sociétés coopératives, pour nous, socialistes, sont un moyen, non un but.
« Le but à atteindre, pour rendre tout le monde heureux, c'est de faire en sorte que les richesses et les instruments de travail, actuellement possédés par quelques-uns, le soient par tous.
« La question est de savoir maintenant si, par le développement des sociétés coopératives, on parviendra à donner au travailleur le produit intégral de son travail, les charges sociales étant remplies.
« Ici nous n'hésitons pas un instant et nous disons : non !
« Pourquoi les capitalistes se dessaisiraient-ils, même moyennant paiement, d'une industrie qui leur permet de s'enrichir sans travailler ?
(page 641) « Le croire serait de la folie pure.
« Nous pouvons donc conclure que la coopération n’est pas un but, le but d'arriver à la suppression du salariat et, par suite, de la misère.
« La coopération donc n'est qu'un moyen, mais un moyen puissant.
« D'abord, la coopération est un excellent moyen de réunir, d’organiser les ouvriers.
« Les sociétés coopératives sont ensuite un bon moyen d’éducation économique de la classe ouvrière. Elles permettent aux travailleurs de se mettre au courant des affaires commerciales et industrielles, de suivre les fluctuations du marché, de connaître les difficultés à résoudre, etc.
« La classe ouvrière est appelée à prendre un jour la place de la classe bourgeoise au gouvernement et dans l'industrie.
« Or, une classe ne remplace une autre classe que si elle en est digne et capable. »
Quant au rôle que la société coopérative doit jouer dans le mouvement ouvrier en général, nous écrivions à la même époque :
« Jusqu'ici les sociétés coopératives ont joué un rôle secondaire dans le mouvement ouvrier.
« C'est un tort, une faute.
« Pour nous, les sociétés coopératives devraient être la base du mouvement ouvrier, du groupement de la classe travailleuse.
« Dans une localité quelconque, sitôt qu'un noyau d'ouvriers a pris l'initiative d'entrer dans le courant qui entraîne les travailleurs vers l'organisation de leurs forces, on crée une ligue ouvrière, un cercle d'études ou une association de métiers.
« Ces groupes, dans la plupart des cas, ont une vie éphémère. Aucun lien sérieux ne tient ensemble les divers éléments en présence. Dans ces conditions, on se décourage vite.
« Pour les syndicats, il y a un autre obstacle. Les patrons, les industriels sont mécontents de voir leurs ouvriers s'associer. Ils pensent que les ouvriers ne peuvent se réunir sans pousser à la grève. Partant, ils font la guerre aux « meneurs », aux plus intelligents, à ceux qui, par leur capacité et leur activité, sont à (page 642) même de rendre des services au syndicat et de faire prospérer celui-ci. ce cas, ces ouvriers sont souvent victimes, perdent leur place à l'atelier et sont forcés de quitter la ville ou la commune qu'ils habitent.
« Les conséquences, c'est la ruine de la ligue ouvrière ou de la société de résistance.
« Si, au contraire, les ouvriers commençaient par constituer une société coopérative, une boulangerie ou un magasin de denrées alimentaires de préférence, ils pourraient donner de la besogne aux plus sérieux d'entre eux, occuper ceux qui seraient les plus capables de leur rendre service et de propager leurs idées... »
Ces conseils furent suivis par les ouvriers d'un grand nombre de localités.
Il y a plus : le parti catholique, qui pendant des années combattit le mouvement coopératif, non seulement parce qu'il favorisait le parti socialiste, mais encore parce qu'il devait fatalement avoir pour résultat de nuire à la classe moyenne, vivant du commerce des denrées alimentaires, fut obligé, à un moment donné, dans un de ses congrès d'œuvres sociales, de préconiser la fondation de sociétés de ce genre, dans les villes, les centres industriels et les villages agricoles.
Les coopératives constituées à la campagne ont principalement pour but les achats en commun d'engrais, de semences, de machines ; la fabrication de beurre, de fromages, l'épargne et le crédit.
Le Parti ouvrier essaya, à son tour, de constituer des coopératives parmi la population agricole, mais jusqu'ici il n'est point parvenu à des résultats dignes d'être signalés.
Il a été constitué aussi des coopératives de production.
Il existe un tissage mécanique de coton et de toile à Gand, un tissage de coton à la main à Ellezelles, un tissage de laine à la main à Saint-Nicolas et une fabrique de bonneterie à Leuze.
Des imprimeries coopératives existent à Gand, à Bruxelles, Là ouvain, à Liége, à Mons, Huy, à Cuesmes, à Morlanwelz.
Des fabriques de tabacs et cigares à Bruxelles, Gand, Louvain et Alost ; de chaussures à Pâturages, Sprimont, Roux, Wanfercée-Baulet.
(page 643) Il existe aussi plusieurs carrières de pierres de taille et de pavés, constituées en coopératives, à Vierset-Barse, aux Avins, etc. ; une coopérative de maçons à Gand, etc.
Enfin, en 1900 s'est constituée une Fédération des sociétés coopératives socialistes, pour l'achat en commun des produits alimentaires pour les sociétés de consommation, à l'instar de celles qui existent en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, en France, etc.
Cette Fédération s'occupa d'abord de l'achat en gros pour les coopératives affiliées, mais elle se propose de fabriquer elle-même les objets et denrées nécessaires aux membres des sociétés de consommation. Elle organise également la propagande des principes coopératifs, surveille la comptabilité des sociétés qui le désirent et les aide dans les moments difficiles.
Ce n'a pas été sans de grandes difficultés que la Fédération coopérative s'est constituée. Les associations de consommation isolées ne sentaient pas la nécessité d'un lien fédéral, pour les achats en commun. Les grandes coopératives croyaient obtenir les prix les plus favorables ; les moyennes et les petites trouvaient plus facile d'acheter à des épiciers en gros de leur région. Les administrateurs et les gérants de magasins pensaient qu'ils seraient amoindris s'ils ne recevaient plus la visite de voyageurs de commerce, venant leur offrir leurs produits. En un mot, il fallut vaincre l'esprit particulariste et avoir raison de la vanité de certains.
Déjà en 1887, un congrès coopératif avait été convoqué à l'effet de constituer une fédération. Les délégués se communiquèrent les prix payés par leurs coopératives, pour un produit acheté au même fournisseur, et ils durent constater des différences variant de 10 à 25 pour cent ! La preuve de la grande utilité de la fédération était ainsi faite, mais l'idée n’eut pas de suite, à cause de l'inertie que mirent la plus grande partie des sociétés coopératives à répondre aux appels. Et aujourd’hui encore, cet esprit particulariste, cette manie de (page 644) vouloir se passer du concours d'autrui, de faire ses affaires soi-même, comme un commerçant ordinaire, n'a pas entièrement disparu.
Il fallut donc lutter pendant des années pour vaincre cet état d'esprit qui n'a rien de coopératif, qui est hostile à l'union, à la solidarité, et ce ne fut qu'en 1898, au mois de novembre, que l'on commença les achats en gros, et ce à titre d'essai.
La Fédération des sociétés coopératives socialistes se bornait à être un bureau d'achats. Elle avait un certain nombre de fournisseurs auxquels elle transmettait les commandes faites par les coopératives et, pour couvrir ses frais, la Fédération touchait une commission des fournisseurs. Les résultats obtenus furent cependant favorables et, deux années plus tard, une assemblée de délégués de coopératives de consommation, décida la constitution d'un magasin de gros.
La société fut constituée légalement le 1er janvier 1901.
Dès la première année, 66 sociétés coopératives adhérèrent à la Fédération et celle-ci eut pour clientes 145 associations de consommation.
Le montant des ventes annuelles, qui avait été de 428,224 francs en 1900, s'éleva les années suivantes à 769,356 francs en 1901, 1,211,439 en 1902, 1,485,572 en 1903, 1,608,475 en 1904, 2,217,842 en 1905 et 2,584,000 en 1906
Le bénéfice qui de 1901 à 1902 varia de 9 à 12,000 francs par an, a dépassé 27,000 francs en 1906.
Il a permis de payer un intérêt fixe de 3 pour cent au capital versé et 1 pour cent sur les achats faits par les sociétés de consommation affiliées.
Le capital versé était cependant dérisoire au début . 7,430 francs en 1901. Fin 1906, ce chiffre s'élevait à 63,802 francs, ce qui est encore peu de chose si l'on considère le chiffre d'affaires réalise et aussi la nécessité qu'il y a souvent, pour une organisation semblable, de faire des achats fermes pour (page 645) bénéficier des circonstances favorables qui se présentent souvent en affaires.
Au 1er janvier 1907, la Fédération des sociétés coopératives comptait 104 sociétés adhérentes et fournissait des produits à 153 associations de consommation.
Ses progrès sont réguliers, son utilité, incontestable, est mieux comprise chaque jour et tout fait espérer qu'à l'instar des groupements similaires de l'étranger, cet organisme important continuera à prospérer.
Dans le domaine coopératif, il est question de créer des coopératives par les soins de la Fédération, une coopérative et une société d'assurance sur la vie.