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Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830
BERTRAND Louis - 1907

Chapitre III. La Démocratie socialiste belge de 1875 à 1879

Après la chute de l'Internationale - La Chambre du travail de Bruxelles - Organisation ouvrière - Cours et conférences - L'Economie sociale - Méthode nouvelle - Mouvement en faveur d'une législation du travail - Difficultés avec les anciens - L'Union ouvrière belge - Congrès ouvriers - Constitution d'un parti socialiste flamand - Congrès international de Gand en 1877 - Le parti socialiste brabançon - La presse socialiste : La Voix de l'Ouvrier - Le parti socialiste belge

(page 293) Les divisions qui éclatèrent au sein de l'Internationale, après le Congrès de la Haye de 1872, ainsi que l'adoption de la nouvelle méthode démocrate socialiste, accentuèrent la chute de cette grande association et la firent déserter par les ouvriers qui, jusque-là, lui étaient restés fidèles.

A Bruxelles, la section de l'Internationale se réunissait toujours, mais c'est tout au plus si vingt ou vingt-cinq membres se dérangeaient pour assister aux séances. A Gand, la section était (page 294) morte, ses meilleurs éléments s’étaient dispersés à l’étranger. A Liége, à Anvers on constatait la même situation.

Dans le Hainaut, il v avait encore, par-ci par-là, un ou deux groupes, mais peu nombreux : à Gohyssart-Jumet, à La Hestre, à Fayt et à Jemappes. Verviers seul semblait résister à la tourmente mais la crise lainière qui survint eut bientôt raison, à son tour, de l'organisation ouvrière, dont il ne resta plus que des cadres modestes d'hommes dévoués mais impuissants.

Bruxelles possédait toujours, en 1874, quelques associations de métiers ou syndicats ouvriers : tailleurs, marbriers, ébénistes, bijoutiers, menuisiers, etc. Mais ces groupes avaient cessé d'être affiliés à l'Internationale et restaient isolés, ne s'occupant que de questions d'intérêt professionnel. Ils étaient en dehors de ce qui pouvait être considéré alors comme étant le mouvement socialiste.

L'auteur de ces lignes était secrétaire de la Chambre syndicale des ouvriers marbriers de Bruxelles et membre de la section bruxelloise de l'Internationale. C'est dans ce dernier groupe qu'il connut César De Paepe, qui fut toujours accueillant aux jeunes et prodiguait ses conseils à ceux d'entre eux qui désiraient étudier les questions économiques et sociales. C'est là aussi qu'il devint l'ami de Gustave Bazin, ouvrier bijoutier, ayant pris part au mouvement communaliste de 1871 et qui, après un séjour de deux ans à Genève, était venu travailler à Bruxelles.

Dans des conversations particulières, après les séances de l'Internationale, Bazin et quelques autres parlaient souvent de l'utilité qu'il y aurait de fédérer les quelques sociétés ouvrières de Bruxelles, afin de donner au mouvement socialiste un centre d'action et de propagande.

De Paepe, consulté par nous, approuvait fort l'idée, bien qu'elle devait déplaire aux anciens de l'Internationale, qui semblaient craindre la création d'un autre groupe fédératif que le leur, qui n'existait du reste plus que de nom.

C'est ainsi que le 4 janvier 1875 fut fondée la « Chambre du Travail, fédération des sociétés ouvrières bruxelloises. »

Son programme était bien modeste : elle voulait simplement fédérer les groupes professionnels ouvriers, dans le but de défendre les intérêts qui étaient communs (manque trois ou quatre mots)

(page 295) Voilà ce qui se disait ouvertement dans les appels adressés aux associations ouvrières. Mais les initiateurs de ce nouveau groupement avaient une ambition plus grande : ils voulaient créer un centre d'action et de réveil socialiste qui se bornerait à travailler à Bruxelles pour le moment, mais qui devait, dans la suite, s'étendre au pays entier et en faire sortir un Parti socialiste belge.

A peine constituée, la Chambre du Travail eut à subir un double assaut. Les membres de la section bruxelloise de l'Internationale protestèrent contre cette organisation nouvelle qui, dans leur pensée, devait remplacer leur groupement. D'un autre côté, dans les sociétés ouvrières, dont on sollicitait l'affiliation, on déclarait que la Chambre du Travail était en réalité l'Internationale ressuscitée sous une autre forme, et on ne voulait pas en entendre parler...

Plusieurs syndicats adhérèrent cependant à la Chambre du Travail : les marbriers, les sculpteurs et tailleurs de pierre, les ébénistes, les bijoutiers, les teinturiers en peaux, les tailleurs, les cordonniers.

Dans les premières réunions, il fut décidé que l'on discuterait les moyens de propagande dans la classe ouvrière, pour développer l'organisation des sociétés de métiers ou syndicats, dans le but de faire augmenter les salaires, de diminuer les heures de travail, etc. On y souleva aussi la question de savoir s'il ne fallait pas s'adresser aux Chambres pour obtenir certaines réformes ouvrières : réglementation du travail des femmes et des enfants, réforme de la loi des prud'hommes, suppression des livrets d'ouvriers et de l'article 1781 du Code civil.

La création d'une bibliothèque et l'organisation de cours et de conférences furent décidés également.

La première série des conférences eut lieu en juin, juillet et août 1875. C. De Paepe y donna, en français, d'abord, puis en flamand, un cours de physiologie et d'hygiène et, plus tard, un Cours d'économie sociale. Un proscrit français, A. Beauchery, proudhonien très instruit, y donna un cours de comptabilité ; un autre proscrit, Faillet, donna des conférences sur l' Histoire de la civilisation ; B. Delesalle, un cours de grammaire et d'arithmétique générales.

(page 296) Il y eut aussi des conférences en flamand, notamment par Jean Pellering, ouvrier bottier, sur la création, la phrénologie etc., et de A. Robyns, sur le socialisme.

Ces cours et conférences furent très suivis. Ils se donnaient dans la salle du Cygne, Grand-Place.

Le cours d' Economie sociale de César De Paepe comptait plus de cent auditeurs, des ouvriers, des employés et quelques bourgeois. Il commença le 25 novembre 1875. Parmi les auditeurs, on remarquait plusieurs réfugiés de la Commune, et parmi ceux-ci C.-C. Sellier, professeur, appartenant à l'Ecole positiviste et qui dut à l'intervention de Littré de ne pas avoir été envoyé à la Nouvelle-Calédonie.

Sellier prit alors l'initiative de fonder un journal hebdomadaire, petit format, de 8 pages, sous le titre : « L'Economie sociale » et qui était principalement destiné à publier un compte rendu des cours du docteur De Paepe.

D'autres conférences furent organisées. Paul Janson en fit une sur la « Loi de solidarité » ; G. De Greef, sur la « Coopération » ; François Haeck, sur les « Trois systèmes de circulation du travail national » : Routes, canaux et chemins de fer ; la poste et le télégraphe ; la Banque centrale et la Banque locale ; H. Denis, sur les « Fondateurs de la Sociologie au XIXème siècle » ; Beauchery, sur la « Création de l'ordre dans l'Humanité », d'après l'ouvrage de Proudhon ; Ernest Vaughan sur le « Rôle des hommes d'esprit dans la Révolution », etc., etc.

Mais ce fut surtout le « Cours d'économie sociale » de César De Paepe qui constitua le plat de résistance de l'œuvre intellectuelle organisée par la Chambre du Travail.

Le journal « L’Economie sociale » de Sellier publiait de temps en temps des articles ayant une allure de combat et rendait compte de certaines publications révolutionnaires. La Sûreté publique veillait et Sellier, en qualité d'étranger, fut appelé au ministère de la justice, où il fut mis en demeure de passer en d'autres mains l'administration et la direction de son journal. Cela se passait ay mois de juillet 1876. Dès le numéro suivant, L'Economie sociale indiquait, dans sa manchette, que la rédaction et l'administration avaient leurs bureaux au domicile de De Paepe, rue T’Kint, 24.

(page 297) Entre-temps, une société d'étude de « L'Economie sociale » fut constituée, mais elle ne se réunit que cinq on six fois. A la fin du mois d'août, c'est-à-dire après dix mois d'existence, le journal « L’Economie sociale » disparut, faute de ressources. Son rédacteur C. Sellier, fut frappe d'une maladie de langueur et après un séjour de plusieurs mois à Dinant, il y mourut à l'âge de 37 ans !


Pendant que le mouvement ouvrier de Bruxelles essayait de se relever, le même phénomène se produisait à Gand.

Trois jeunes membres de la section gantoise de l'Internationale avaient quitté cette ville, en 1872, après la débâcle ; Paul De Witte, ouvrier tailleur, était parti pour l'Amérique, De Bleye, artiste peintre, avait entrepris un voyage en Italie et Edmond Van Beveren, ouvrier peintre en bâtiment, était allé travailler en Hollande.

Rentrés dans leur ville natale, les trois jeunes internationalistes se rencontrèrent de temps en temps et se communiquèrent leurs impressions. Van Beveren, le plus intelligent et le plus actif des trois, avait profité de son séjour en Hollande, pour y étudier la littérature socialiste allemande et bientôt il fut acquis à la méthode sociale-démocratique des marxistes allemands. Les socialistes belges, nous l'avons vu, étaient devenus les adversaires de l'action politique et ne rêvaient alors qu'autonomie et décentralisation, pour ne pas dire anarchie !

Un nouveau groupe socialiste fut constitué avec Van Beveren, De Witte, De Bleye, auquel adhéra peu après Paul Verbauwen, ouvrier tisserand très intelligent et bel orateur, puis encore, un an plus tard, Edouard Anseele.

Vers la fin de 1876, la Chambre du Travail avait consacré plusieurs réunions à la discussion de l'intéressant problème du travail des femmes et des enfants. La lecture de certaines enquêtes, de celle de l'Académie de médecine en 1869 par exemple, avait fait connaître des abus scandaleux, se passant surtout dans les travaux souterrains des mines. Un appel fut adressé aux associations ouvrières de Bruxelles à l'effet d'organiser un (page 298) mouvement de protestation contre les abus du travail des femmes et des enfants. Plusieurs meetings eurent lieu et l'on y décida l'organisation d'un vaste pétitionnement aux Chambres.

La Chambre du Travail convoqua les rares groupes ouvriers du pays et les socialistes de Gand, qui avaient repris une certaine influence auprès de l'Association des Tisserands, adhérèrent au mouvement en faveur d'une loi réglementant le travail.

Cela semblait marcher assez bien. « L'Economie sociale » avait publié un dernier numéro consacré à la question du travail des femmes et des enfants et avait analysé la législation en vigueur à cette époque dans les pays étrangers. Plusieurs journaux libéraux, « La Chronique » entre autres, approuvèrent la protestation des ouvriers et demandèrent la mise en discussion du projet déposé à la Chambre, quelques années auparavant, par M. le docteur Vleminckx, député de Bruxelles.

Mais il y eut des résistances à vaincre, même chez les socialistes, et notamment chez les ouvriers de Verviers ; les uns et les autres étaient bien favorables à la réglementation du travail, mais ils n'avaient aucune foi dans le succès des moyens préconisés, nous voulons parler du pétitionnement.

Nous avions demandé, pour faire triompher notre campagne en faveur d'une législation du travail, le concours de certains hommes en vue et parmi eux de Guillaume De Greef. Pour juger quel était l'état d'esprit à cette époque, nous reproduisons ici une lettre que nous adressa De Greef, elle porte la date du 22 septembre 1876 :

« S'il existait, en Belgique, une organisation ouvrière sérieuse, disait De Greef, elle n'aurait pas besoin de pétitionner à la Chambre des représentants pour obtenir ce qu'elle serait en état d'exécuter sans l'intervention du bon plaisir d'une autorité quelconque ; elle n'aurait qu'à s'engager elle-même à ne plus envoyer ses enfants à l'atelier.

« La Chambre des représentants, qui représente la Banque, la grande industrie et le trafic, ne cèdera donc que si cela lui plaît.

« Il se peut qu'à la suite d'une heureuse digestion ces messieurs fassent droit à votre requête, mais le contraire aussi est possible.

« (page 299) « Dans ce dernier cas, que ferez-vous ? J'ose dire que actuellement vous ne ferez rien, parce que l'organisation ouvrière n'est qu'à l'état d'embryon en Belgique.

« Il m'est donc impossible de prendre avec vous l'initiative d'une démarche auprès d'un gouvernement qui n'a mission de représenter aucun de vos intérêts et auquel vous n'êtes pas assez forts pour forcer la main, seule circonstance qui pourrait donner à votre démarche un caractère à la fois démocratique et pratique.

« Toutefois, comme je suis partisan du but que vous poursuivez, et bien que je sois en désaccord avec vous sur la marche à suivre, je suis prêt à signer la pétition pour ne pas affaiblir, même d'une voix, la pression que vous espérez être en état d'exercer sur le pouvoir. »

Cette lettre, et d'autres n'étaient guère encourageantes. De plus, même chez les ouvriers, il y eut de la résistance, surtout à Verviers qui restait le centre le mieux organisé, possédant un journal, le « Mirabeau », et où nous étions considérés comme des naïfs, sans expérience, pour ne pas dire des endormeurs !

Entre-temps les socialistes gantois, anversois et bruxellois s'étaient mis d'accord et, dans une réunion, il fut décidé de faire un grand coup ! Il s'agissait d'aller à Verviers, dans une ou deux réunions publiques, défendre notre méthode et d'accepter la contradiction avec ceux qui n'en voulaient pas entendre parler.

Pour mener à bien cette tentative quelque peu audacieuse, on délégua à Verviers les compagnons Anseele et Bertrand, deux blancs-becs de vingt ans !...

Eh bien, ces deux jeunes ouvriers réussirent à convaincre quelques centaines de travailleurs organisés, et ce malgré l'opposition des « chefs » de là-bas.

Si je connaissais le latin, ce serait le cas de répéter le fameux : « Audaces fortuna juvat », c'est-à-dire que la fortune favorise les audacieux !

Car ce qui était en cause dans ces réunions de Verviers, ce n'était pas seulement la démarche faire auprès des Chambres en faveur d'une législation protectrice pour les enfants et les femmes occupés dans l'industrie, c'était une chose bien plus importante, c'était la méthode nouvelle d'organisation et de (page 300) propagande de la classe ouvrière belge, l'emploi des moyens politiques, la conquête des pouvoirs publics par la classe ouvrière pour, à l’aide de ce moyen, travailler à son émancipation intégrale. C'était la question de savoir si les ouvriers verviétois allaient continuer à glisser sur la pente de l'autonomisme et de l'abstentionnisme, ou s'ils allaient marcher d'accord avec les jeunes socialistes de Gand, de Bruxelles et d'Anvers.

Au mois de mars 1877, M. Jottrand demanda à la Chambre de discuter le projet Vleminckx, sur le travail des femmes et des enfants dans les mines. Cette discussion n'eut lieu qu'en février 1878. La Chambre adopta, comme on le verra plus loin, le projet qui, quelques semaines plus tard, malgré son caractère anodin, fut repoussé par le Sénat.


L'agitation en faveur de la réglementation du travail avait mis en contact les ouvriers des principales villes du pays et de nos centres industriels. Il en résulta pour tous la nécessité d'unir tous les groupes ouvriers alors épars, sans cohésion aucune.

Ce n'était pas chose facile, du reste.

Les anciens de l'Internationale, à Bruxelles surtout, Brismée, Steens, Verrycken, Standaert et d'autres, à l'instar des phtisiques qui espèrent toujours la guérison, conservaient l'espoir de voir revivre la grande association et regardaient comme sacrilège le fait de tenter l'organisation d'un autre groupement embrassant tout le pays. De Paepe qui, tout en étant encore membre de l'Internationale, nous encourageait dans nos tentatives, fut blâmé fortement et faillit même être exclu de la section bruxelloise !

D'un autre côté, la méthode nouvelle, c'est-à-dire l'action la fois politique et économique des ouvriers, n'avait pas obtenu l'adhésion de tous les travailleurs organisés, et il y eut là encore bien des résistances à vaincre.

Il fallut donc se montrer très prudent, ne pas mécontenter les Internationalistes et ne pas affirmer trop rigoureusement la tendance nouvelle, et ce pour réunir le plus d'adhésions possible.

Une première tentative de fédération de tous les groupes ouvriers belges se fit à Bruxelles dans une réunion-conférence ayant pour but la fondation d'une « Union ouvrière belge. »

(page 309) On voulait grouper, en une seule organisation, toutes les associations ouvrières et socialistes belges, et chacun comprenait l'utilité de semblable organisme. Mais quel serait le programme et les statuts du parti nouveau ? Les Flamands, les Gantois et les Anversois, préconisaient l'adoption du programme du parti socialiste allemand qui s'était définitivement constitué, en 1875, au Congrès de Gotha. Les Bruxellois étaient, en majorité, du même avis, mais les Wallons de Verviers, du Centre et de Charleroi, montraient encore quelque répugnance à faire de l'agitation politique et à inscrire la revendication du suffrage universel en tête du programme. On était encore trop chaud des luttes dirigées contre les marxistes, les « autoritaires. » On déclarait la politique chose vaine, incapable d'améliorer la condition matérielle des masses, confondant ainsi le but à poursuivre avec le moyen d'y aboutir.

Ce que nous voulions par dessus tout, c'était réunir, dans un même groupement - le mot « parti » était trop ambitieux - toutes les forces militantes, ouvrières et socialistes, et c'est pour cela que nous proposâmes, en guise de conciliation, que l'accord existerait sur le but économique et social commun à tous, mais que la participation au mouvement politique serait facultative pour les groupes qui ne voulaient pas encore en entendre parler.

Cette proposition fut mal accueillie par les socialistes flamands et l'on se sépara sans avoir rien fait de bien sérieux.

Un nouveau Congrès ouvrier fut convoqué à Gand pour le mois d'avril 1877. Edmond Van Beveren fut désigné pour présider cette nouvelle assemblée ouvrière, ayant comme assesseurs L. Bertrand et Versteege ; Anseele et de Gratie étaient chargés de la traduction des discours.

Trois questions principales devaient être tranchées, savoir :

1° Quel sera le titre de l'association à créer ?

2° De quels éléments se composera-t-elle ?

3° Doit-elle revendiquer les droits politiques pour les ouvriers ?

Sur la proposition des délégués de la Chambre du Travail de Bruxelles, l'association prit le nom de : « Union ouvrière socialiste belge. »

(page 303) Après une assez longue discussion, il fut décidé que nul ne pourrait faire partie de l' Union s'il n'était salarié. On continuait à se méfier de l’élément bourgeois.

Quant à la revendication des droits politiques, le Congres de Gand reconnut l'utilité de l'agitation ouvrière sur le terrain politique et déclara qu'il était persuadé que toutes les associations ouvrières auxquelles il faisait appel, comprendraient la nécessité de participer à cette agitation.

Un grand meeting public eut lieu le lundi matin, deuxième jour du Congrès, et l'on y discuta la nécessité, pour la classe ouvrière, de revendiquer le suffrage universel et une législation protectrice du travail, en faveur principalement des femmes et des enfants.

Avant de se séparer, le Congrès chargea son bureau d'envoyer une adresse à la Chambre de représentants pour lui demander de s'occuper de la réglementation du travail.

Le principe de l'organisation nouvelle était ainsi réglé, de même que ses bases essentielles. Il restait à discuter et à adopter le programme et les statuts du nouveau parti ouvrier et c'est dans ce but qu'un nouveau Congrès eut lieu à Bruxelles, dans le courant du mois du juin.

La rédaction du programme et des statuts fut confiée à un comité de trois membres : Van Beveren, Anseele et Bertrand. Après une première entrevue, Van Beveren fut chargé de rédiger l'avant-projet à soumettre au Congrès. Il connaissait assez bien la langue allemande et se borna à traduire en flamand le programme adopté par les socialistes allemands, à Gotha. Cette traduction flamande fut à son tour traduite en français et ce double travail fut soumis au Congrès.

Mais ici encore, on rencontra de vives résistances de la part des délégués de Verviers et du Hainaut, qui ne savaient décidément pas se décider pour l'action politique de la classe ouvrière. Le Congrès de juin 1877 à Bruxelles se termina sans solution bien sérieuse. On espérait cependant convaincre les délégués ouvriers de la Wallonie, et comme on n'avait pas obtenu leur adhésion formelle au Congrès, on leur accorda trois mois pour discuter à nouveau la question de méthode dans leurs groupes respectifs.

(page 304) Devant cette attitude décevante, sans netteté, des ouvriers de certaines parties du pays, les socialistes flamands perdant patience, passèrent outre ; ils fondèrent le « Parti socialiste flamand », adoptant le programme et les statuts élaborés en vue de la fondation de socialiste belge.

Le but poursuivi depuis bientôt deux ans n'aboutissait donc pas.

C'était vraiment décourageant ! Disons, à ce sujet, que la lutte poursuivie pendant les dix années qui précédèrent la constitution définitive, en 1885, du « Parti ouvrier belge », fut particulièment pénible et difficile pour la poignée d'hommes, ouvriers manuels pour la plupart, qui s'occupèrent d'organiser leurs frères de travail et de misère.

Ils eurent d'abord à se défendre contre les anciens de l'Internationale, leurs groupes en décadence et leur esprit autonomiste et révolutionnaire.

Ils se butèrent pendant longtemps à l'indifférence coupable des ouvriers. Ils avaient beau batailler, faire appel à la conscience de leurs camarades : ils prêchaient dans le désert, jetaient la semence de vérité sur un sol ingrat !

Enfin, la presse pratiquait la conspiration du silence ct le monde dirigeant planait trop haut pour condescendre à s'occuper des cris de protestation qui étaient lancés contre leur égoïsme souvent féroce.

Que d'efforts furent dépensés alors en pure perte ! Que de tentatives commencées avec une foi ardente, que l'on croyait sur le point d'aboutir et qui bientôt retombaient à plat, misérablement !

Sans compter que les quelques « meneurs » étaient souvent victimes de leurs opinions. On les chassait des ateliers et' dénoncés aux autres patrons, ils ne parvenaient plus trouver du travail pour vivre. C'était alors la misère noire.

Ces années-là furent des aunées terribles, et il fallut un certain courage, une foi aveugle en l'avenir, pour ne pas désespérer et pour tenir allumée, malgré tout, la petite lumière qui devait un jour éclairer les cerveaux ouvriers et leur montrer le chemin de la délivrance.

(page 305) A Bruxelles surtout, la lutte fut difficile. A Gand, les ouvriers s'organisaient et tenaient de grandes assemblées où, avoir entendu des discours de Van Beveren, d'Anseele, de Verbauwen et d'autres, ils chantaient en chœur les refrains socialistes, pleins d'espérance et de foi.

Que de fois n'arriva-t-il pas que, découragé, le cœur meurtri, je dus aller à Gand passer un jour ou deux, pour y puiser de nouvelles forces, me retremper au milieu de cette vaillante population ouvrière.

Mais poursuivons notre récit.

Le Parti socialiste flamand étant constitué, un appel fut adressé aux partis socialistes étrangers en vue de la réunion d'un congrès international.

Ce congrès eut lieu à Gand du 9 au 16 septembre 1877.

Plusieurs questions figuraient à l'ordre du jour, questions théoriques et d'autres d'ordre pratique.

La première était relative aux « tendances de l'industrie moderne au point de vue de la propriété » ; le Congrès se prononça à l'unanimité pour la propriété collective. Il n'y eut de divergence que sur la forme à donner cette propriété, la minorité anarchiste voulant qu'elle fût attribuée aux corporations fédérées et la majorité à l'ensemble de la société.

La seconde question devait mettre aux prises les deux fractions du Congrès, car elle avait trait à l' « attitude du prolétariat vis-à-vis des divers partis politiques. »

Par 22 voix contre 9, la résolution suivante fut adoptée :

« Considérant que l'émancipation sociale est inséparable de l'émancipation politique ;

« Le Congrès déclare que le prolétariat organisé en parti distinct, opposé à tous les autres partis, formés par les classes privilégiées, doit employer tous les moyens politiques tendant l'émancipation sociale de tous. »

Dans une autre résolution, le Congrès affirma que la lutte entreprise contre toutes les dominations de classe, n'était ni locale, ni nationale, mais universelle et que son succès dépendait de l'accord et de la coopération des organisations ouvrières et socialistes des divers pays.

(page 306) Enfin, un bureau fédéral fut créé, chargé de convoquer un nouveau Congrès international et le siège de ce bureau fut fixé à Gand.

A ce congrès de Gand, les délégués belges étaient divisés en deux fractions : d'un côté les anarchistes révolutionnaires, représentant surtout les sociétés ouvrières de Verviers, d’autre part, les démocrates socialistes de Gand, d'Anvers et de Bruxelles, et , parmi ces derniers, d’anciens membres de l’Internationale, De Paepe, Brismée et Steens, qui avaient cessé de professer les idées autonomistes-anarchistes qu'ils avaient embrassées et défendues depuis cinq ans.

Les jeunes et leur méthode triomphaient.


Quelques semaines plus tard, les anciens internationalistes dont nous venons de parler se rallièrent au « Parti socialiste belge » et constituèrent Bruxelles le « Parti socialiste brabançon », qui lança un manifeste, œuvre de César De Paepe. Voici le texte de ce document, important pour l'histoire des idées socialistes en Belgique :

« En adhérant à la fondation d'un parti socialiste belge et en nous constituant en branche brabançonne de ce parti, nous voulons avant tout contribuer à réunir en un seul faisceau toutes les forces vives du socialisme ; nous voulons grouper, dans un but commun, tous ceux qui pensent qu'en Belgique comme ailleurs, la société est loin d'avoir achevé la série de ses évolutions et de ses transformations, que les richesses sociales ne sont point aujourd'hui distribuées entre les hommes conformément aux règles de l'équité, et qu'il y a lieu, par conséquent, chez nous comme ailleurs, d'amener des modifications profondes et radicales dans le mode de production, de répartition et de transmission des biens, dans l'organisation du travail, de l'échange, de la propriété, de l'enseignement, de la justice et de la pénalité, etc., en un mot, dans toutes les institutions et manifestations diverses de l'activité sociale. Or, nous voyons que toutes ces institutions et toutes ces manifestations diverses dépendant en partie de la législation existante (page 307) et qu'elles sont soutenues par le pouvoir politique actuel ; nous croyons donc que si nous voulons arriver à la création d’institutions nouvelles qui assurent à tous le plus grand bien-être matériel et le développement intellectuel et moral le plus élevé, il est nécessaire de livrer, aux lois iniques et aux mesures arbitraire des pouvoirs établis, un combat de chaque jour, de chaque heure, en nous servant de toutes les armes que les institutions du pays mettent à notre disposition, en protestant contre les dénis de justice, et en revendiquant les droits populaires les plus infimes comme les plus importants. C'est pourquoi nous avons cru qu'il était temps pour les socialistes belges de sortir de leur abstention systématique et de se constituer en parti politique. Ce nouveau parti peut être considéré comme le parti de l'avenir vis-à-vis du parti doctrinaire, qui veut le maintien du statu quo, et vis-à-vis du parti catholique, qui rêve le retour vers le passé.

« Pour arriver à la constitution de ce nouveau parti, nous faisons appel à tous les partisans du progrès social, à tous les socialistes, groupes, associations ou individus, quelle que soit la nuance ou l'école à laquelle ils se rattachent, et quelle que soit la classe de la société à laquelle ils appartiennent par leur naissance oti par leur position. En effet, bien que le socialisme moderne trouve surtout ses adeptes dans les masses ouvrières et bien que l'un de ses objets principaux soit l'émancipation des prolétaires, et en particulier l'abolition du salariat, nous savons que les grandes réformes sociales que nous poursuivons ne se feront pas seulement à l'avantage d'une seule classe, mais à l'avantage de tous les membres de la société.

« Notre cause n'est donc pas seulement celle des ouvriers manuels, mais celle des prolétaires en général ; bien plus encore, c'est celle de l'humanité tout entière. Car de même que la question ouvrière (ou la question du salariat), malgré son importance, n'est pas toute la question de l'émancipation du prolétariat, puisqu'il y a des prolétaires qui ne sont ni ouvriers manuels, ni salariés, de même la question de l'émancipation du prolétariat n'est pas toute la question sociale, n'est pas tout le socialisme, puisque les prolétaires ne sont pas les seules victimes de la mauvaise organisation actuelle. Pour ne citer qu'un exemple, ne (page 308) savons-nous pas que le grand principe qui domine toute l’économie politique actuelle, c’est le principe du laisser faire, laisser passer, autrement dit la non-intervention économique, la loi de la concurrence économique, la loi de la concurrence absolue. Or, c’est en vertu de l’application de ce principe et de cette loi que nous voyons les capitaux se centraliser et que la grande industrie, le grand commerce et la grande propriété écrasent la petite industrie, le petit commerce et la petite propriété ; de sorte que la fraction la plus nombreuse de la bourgeoisie se trouve dans une gêne voisine de la misère et est ainsi conduite, si elle comprend sainement ses intérêts, à faire cause avec le prolétariat et à seconder celui-ci dans ses revendications. Les guerres, l'augmentation croissante de la dette publique et des impôts, les tripotages financiers et les crises industrielles, accélèrent encore cette débâcle de la petite bourgeoisie, et pour celle-ci comme pour la classe ouvrière, il n'y a de salut que dans le Socialisme.

« En nous constituant en parti politique, nous voulons faire usage de tous les droits et de toutes les libertés que la Constitution nous accorde en tant que citoyens belges, pour conquérir, à l'aide de ces droits et de ces libertés constitutionnelles, tous les droits civils, politiques, économiques et sociaux, qui manquent au plus grand nombre d'entre nous ; nous voulons nous efforcer de faire passer dans les lois tout ce qui peut être acheminement vers la réalisation de notre grand but social, tout ce qui peut renverser un obstacle s'opposant à notre marche en avant, tout ce qui peut redresser un grief petit ou grand dont les classes populaires, ouvriers et petite bourgeoisie, auraient se plaindre. Parmi ces questions d'actualité pour lesquelles nous comptons entrer en lice au fur et à mesure que les circonstances et les intérêts publics l'exigeront, nous pouvons citer les suivantes :

« Droit de vote accordé tous les citoyens belges, aussi bien pour l'élection des Chambres législatives que pour les élections des conseils provinciaux et communaux.

« Droit accordé tons les citoyens belges de faire partie des jurys établis près de certains tribunaux.

« Instruction primaire obligatoire, gratuite et laïque.

« Organisation démocratique de l'enseignement professionnel, industriel et agricole.

(page 309) « Séparation complète et radicale de l'Etat et des cultes, et par suite : suppression de l'article de la loi de 1842 qui consacre l’intervention du prêtre dans l’école, suppression du serment religieux, sécularisation des cimetières, suppression du budget des cultes, etc., etc.

« Abolition de l'armée permanente, réorganisation des milices citoyennes par l'armement de tous les hommes valides.

« Suppression de la loi sur les étrangers, notamment en ce qui a trait à l'expulsion des proscrits politiques.

« Suppression absolue de toute loi sur les grèves et les coalitions ouvrières.

« Abolition des livrets d'ouvrier.

« Suppression de l'article 1781 du Code civil : « Le maître est cru sur son affirmation pour la quotité des gages, etc. »

« Réforme de la loi des prud’hommes sur des bases démocratiques, égalitaires.

« Suppression du travail des enfants, et réglementation légale du travail des adolescents, par la fixation d'une durée maximum du temps de travail journalier et d'une limite d'âge au-dessous de laquelle les adolescents ne peuvent être employés dans l'industrie.

« Réglementation légale du travail des adultes (hommes et femmes), notamment dans toutes les industries qui peuvent nuire à la santé ; et obligation pour le patron d'appliquer dans les ateliers, mines, etc., toutes les mesures hygiéniques indiquées par la science.

« Responsabilité réelle des patrons dans les cas d'accidents survenus aux ouvriers pendant le cours de leur travail et du fait de leur travail.

« Abolition de la concurrence faite à l'industrie privée par le travail des prisons et des couvents.

« Etablissement d'une journée normale de travail (en harmonie avec les besoins de réparation des forces et le développement intellectuel et moral de l'homme), dans tous les chantiers, ateliers, chemins de fer, etc., appartenant à l'Etat, la province ou à la commune, et en général dans tous les travaux qui ressortissent des services publics, l'Etat et la commune devant en cette matière donner l'exemple et l'impulsion à l'industrie privée.

(page 310) « Cessation des concessions de mines, de chemins de fer etc., à des compagnies de capitalistes ; retour des mines et des voies ferrées à l'Etat, lequel ferait appel aux ouvriers et employés de ces industries pour y introduire le travail coopératif.

« Administration des caisses de prévoyance établies par la loi dans ces industries, remise aux mains des ouvriers, sous la haute surveillance de délégués de l'Etat, sans ingérence des patrons ou chefs d'industrie, etc.

« Cessations des aliénations de biens communaux et domaniaux à des particuliers ; retour graduel à la propriété communale ou nationale de ceux de ces biens dont l'appropriation collective est la plus urgente.

« Abolition des impôts indirects, et établissement d'un impôt direct et progressif sur le revenu.

« Abolition de tous les monopoles et privilèges financiers.

« Tout en nous constituant en parti politique pour faire triompher le programme ci-dessus, nous tenons cependant à déclarer que nous ne considérons ce programme que comme celui d'une période de préparation et de transition, d'une période de « garantisme » comme d'autres l'ont appelée. Notre idéal, en effet, n'est pas l'organisation sociale actuelle, même amendée et corrigée par l'obtention de quelques garanties favorables à la généralité ; ce que nous poursuivons, c'est la réalisation d'une organisation sociale qui, suivant l'expression d'un célèbre écrivain anglais, de John Stuart Mill, concilie la plus grande liberté d'action de l'individu, avec une appropriation commune des matières premières fournies par le globe et une participation égale de tous dans les bénéfices du travail commun.

« Nous savons bien que plusieurs des réformes que nous réclamons exigent la révision de la Constitution ; mais nous savons aussi que la Constitution belge n'est, dans son ensemble, qu'un symbole de privilèges, qu'on veut maintenir comme une barrière infranchissable à tout progrès, et nous ne nous inclinons pas plus devant le dogme en matière politique qu'en matière philosophique, l'immobilisme étant contraire à toutes les lois de la nature comme de la perfectibilité humaine.

« Et quant à nos moyens d'action, quant la façon par (page 311) laquelle nous comptons faire entendre notre voix au pays et au pouvoir, nous ferons usage des meetings, des manifestations du pétitionnement en masse, et aussi, dans la mesure du possible, de l’agitation électorale. A ce dernier égard, aussi longtemps que le droit de suffrage ne sera pas accordé à tous, le parti socialiste belge n'aura pas toute la puissance qui lui revient ; néanmoins, comme beaucoup de socialistes sont électeurs, nous les engageons à se compter, à se concerter et, lors des élections à la commune, à la province et à la Législature, à ne porter leur vote que sur des candidats socialistes, ou, pour le moins, sur des candidats suffisamment amis du progrès social pour s'engager ver les réformes actuelles et pratiques que nous réclamons et à dénoncer les griefs dont nous sommes en droit d'exiger le redressement immédiat.

« Enfin, en nous constituant en parti politique belge sur le terrain légal et constitutionnel, la vérité nous oblige à faire encore une double déclaration : c'est d'abord qu'en nons engageant sur le terrain politique dans notre pays, nous ne voulons nullement renier la solidarité internationale et n'en tendons pas moins la main à nos frères des autres pays ; c'est ensuite, qu’en faisant usage des droits constitutionnels et des moyens légaux mis à notre disposition, nous ne prétendons nullement répudier à jamais les moyens révolutionnaires, et renier ce droit à l’insurrection, dont nos pères, les communiers flamands et wallons, ont fait un si fréquent usage. Lorsqu'on persiste, malgré toutes ses réclamations et ses protestations, à refuser au peuple le redressement de ses griefs légitimes, le peuple n'a d'autre recours qu'en ce droit ; et nous savons, par l'histoire, que la révolution est souvent la raison suprême du peuple comme le canon est la raison suprême des rois.

« Pour la Commission administrative : C. De Paere et E. Steens.


Dans un article du » Socialisme progressif » (n°7, janvier 1878, édité à Lugano en Suisse), revue fondée (page 312) par Benoït Malou, De Paepe expliqua, à propos de la publication du Manifeste du Parti socialiste branbançon, lattitude politique des socialistes belges :

« Après avoir pratiqué durant de longues années l’abstentionnisme politique, écrivait-il, la grande majorité des socialistes belges paraît décidément avoir abandonné cette attitude. »

De Paepe expliquait ensuite comment ce revirement s'était produit, grâce surtout aix socialistes flamands et aussi, disait-il, à l’entrée au Parlement belge de Paul Janson qui, bien qu’envoyé à la Chambre par la bourgeoisie libérale, pour y combattre le parti clérical, s'était déclaré socialiste et se considérait comme le défenseur naturel du prolétariat.

« Une des idées maîtresses du manifeste, dit encore De Paepe dans l'article « Socialisme progressif », c'est de voir dans le socialisme contemporain, non pas la cause de la classe ouvrière exclusivement, non pas seulement une guerre de classe, le « Klassenkampf » de certains socialistes allemands, mais la cause de tous, la tendance vers une civilisation supérieure, dans laquelle plus de bien-être matériel et plus de culture intellectuelle et morale seraient dispensés à tous. »

Alors commença une nouvelle agitation dans le but de grouper en un seul parti tous les socialistes belges.

Les Flamands continuaient cependant à se réunir en Congrès séparés. Dans celui qu'ils tinrent à Courtrai, les 21 et 22 avril 1878, il y avait vingt-deux délégués représentant des associations ouvrières d'Anvers, de Gand, de Bruxelles, de Malines, de Courtrai, de Bruges et de Roulers. Le bureau fédéral du Parti socialiste flamand avait son siège à Gand.

Nos amis flamands possédaient deux organes ce moment : « De Werker », paraissant à Anvers, et de « Volkswil » (la Volonté du peuple) édité à Gand.

Le « Mirabeau » de Verviers, défendait la vieille tendance, Il manquait donc un organe de langue française pour défendre et propager leu principes démocratiques et socialistes, c'est-à-dire la poursuite dn collectivisme par le moyen de la conquête du pouvoir politique.

Le 5 mai 1878, l'auteur de ce livre fit paraître le premier (page 313) numéro de « La Voix de l’Ouvrier » (Bureaux, 144, rue Jolly, à Schaerbeek. Ce journal était hebdomadaire et se vendait 10 centimes le numéro.) qui s’intitula l’« Organe des intérêts du travail. » Cette œuvre d’initiative personnelle fut, quelques mois plus tard, reprise par la Chambre du Travail et après cela devint l'organe du Parti socialiste belge.

Il existait alors à Bruxelles les associations ouvrières et alistes suivantes :

(page 314) La chambre du Travail, Fédération des associations ouvrières.

L'association des ouvriers orfèvres-bijoutiers ; celle des ébénistes ; des menuisiers ; des marbriers, sculpteurs et tailleurs de pierres ; des tailleurs ; des peintres et des cordonniers ; la section du Parti socialiste flamand et le Parti socialiste brabançon.

Au Congrès socialiste international convoqué à Paris, à l'occasion de l'Exposition universelle de 1878, les socialistes belges envoyèrent deux délégués : Edmond Van Beveren, de Gand et L. Bertrand, de Bruxelles.

Au mois de décembre, le Parti socialiste flamand tint un troisième congrès semestriel à Boom, près d'Anvers.

L'ordre du jour de ce Congrès comportait les questions suivantes :

1° Soutien du parti. Rapport du Comité central ;

2° La Presse socialiste ;

3° Organisation pratique des sociétés de métiers ;

4° Moyens de propagande. Union entre socialistes flamands et wallons ;

5° Soutien en cas d'événements politiques.

La Chambre du Travail de Bruxelles envoya des délégués au Congrès de Boom ainsi que les socialistes de Huy, de Jolimont, de Haine-Saint-Pierre et de Haine-Saint-Paul.

La question de l'entente entre les socialistes flamands et wallons fut longuement discutée et, finalement, il fut décidé qu'un Congrès extraordinaire aurait lieu Bruxelles au mois de janvier 1879.

Ce Congrès eut lieu et finalement le Parti socialiste belge fut constitué, les socialistes verviétois, les derniers récalcitrants à la nouvelle méthode, s'étant enfin ralliés au principe de la participation de la classe ouvrière aux luttes politiques.


A partir de ce moment, un certain réveil se manifesta dans le sein du prolétariat des grandes villes.

Le nouveau parti se mit en campagne et commença une active propagande à Bruxelles, Verviers, Huy, Liége, Gand (page 315) Anvers et dans un grand nombre de localités da pays flamand.

Aux élections pour le conseil des prud'hommes, qui eurent lieu la fin de 1878 Gand et à Verviers, les candidats socialistes triomphèrent. A Gand, parmi les candidats socialistes, on avait inscrit deux ouvriers, Paul Verbauwen et P. De Witte,qui purgeaient à la prison de Gand une condamnation pour injures proférées à l'adresse du roi. Cette élection fut donc, à côté de son caractère socialiste, de défense des intérêts de la classe ouvrière, une manifestation politique et antidynastique.

Mais il restait à conquérir la population ouvrière de nos centres miniers et métallurgiques, l'armée innombrable des houilleurs du Hainaut et de la province de Liége qui, en 1868 et 1869, avaient constitué la principale force de l'Internationale.

Pendant les années de prospérité industrielle de 1872 à 1876, les salaires moyens étaient montés de 860 francs en 1871, à 1.353 en 1873, ces ouvriers travaillaient dur et ne se plaignaient guère, Ils avaient aussi commis la faute d'abandonner leur association, semblant croire que les mauvaises années de bas salaire et de misère ne reviendraient plus. Hélas ! dès 1877, le salaire moyen retomba à 835 francs ; à 842 en 1878 et à 809 en 1879.

Malgré cela, les houilleurs semblaient résignés à leur triste sort et il n'y eut d'autre grève à signaler que celle qui surgit à Frameries, en 1875, à la suite d'une explosion de grisou et qui survint au charbonnage de l'Agrappe, faisant de nombreuses victimes.