Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830
BERTRAND Louis - 1907

Chapitre II. La politique belge de 1875 à 1905

Libéraux et catholiques - Bascule parlementaire - Le ministère de 1878 - La loi scolaire - La question électorale - Résistance doctrinaire - Le Gouvernement libéral renversé - Encore la question scolaire - Manifestations - La loi promulguée - Renvoi de MM. Woeste et Jacobs - L'année 1886 - Lutte pour la révision constitutionnelle - Le 18 avril 1893 - Le vote plural - Caractéristique de la politique belge - Dépenses militaires - Le Congo. - Développement industriel et commercial

(page 282) De 1874 à 1886, la politique belge ne différa en rien de celle qui était pratiquée depuis la révolution de 1830. On a vu arriver au pouvoir, à tour de rôle, les chefs du parti catholique puis les chefs parti libéral. Ce jeu de bascule parlementaire s'est continué pendant douze ans, durant lesquels la lutte clérico-libérale a fait le fond des débats à la Chambre.

Sur les choses essentielles, libéraux et cléricaux se trouvaient bien d'accord. Ils l'étaient pour maintenir de l'oligarchie censitaire. Toute la législation était dirigée dans une seule pensée : favoriser la bourgeoisie et exploiter le peuple en faisant peser sur ses épaules les charges budgétaires, l'impôt en argent et aussi les charges militaires, l'impôt du sang.

Comme théorie économique, libéraux et catholiques n’avaient (page 283) d’autre idéal que la liberté, la non-intervention de la puissance publique, théorie qui favorisait singulièrement les capitalistes industriels et propriétaires, puisqu'elle leur assurait un pouvoir d'exploitation, non seulement des travailleurs adultes, encore des femmes et des enfants en bas-âge.

Mais il fallait un aliment aux luttes politiques bourgeoises. Il fallait montrer la différence existant entre nos deux partis historiques ct on trouva la querelle clérico-libérale.

En 1878, après avoir occupe le pouvoir pendant huit années, les cléricaux furent battus et le ministère Malou fit place à un ministère M. Frère-Orban.

M. Frère fit entrer, dans le cabinet présidé par lui, deux hommes ayant un passé progressiste : MM. Charles Graux et Pierre Van Humbeeck. Cela donna quelques espérances au parti avancé, mais la désillusion arriva fort vite.

En 1879, une loi scolaire fut votée à la Chambre et au Sénat, modifiant la législation en vigueur depuis 1842. Mais au lieu de proclamer la neutralité de l'enseignement populaire, les ministres firent adopter un régime mixte autorisant les prêtres à donner le cours de religion à l'école, mais avant ou après les heures fixées pour l'enseignement des autres branches.

Cette concession ne fut point du goût du parti clérical et une lutte formidable s'organisa contre la loi nouvelle. Les écoles publiques furent mises à l'index, condamnées par le clergé qui usa de tous les moyens de pression matériels et moraux en son pouvoir, pour faire déserter les écoles communales au profit des écoles cléricales soi-disant libres.

Dans cette guerre scolaire, le roi ne fut pas ménagé par certains prêtres et publicistes catholiques, qui l'invectivèrent et l'insultèrent de belle façon, pour avoir promulgué la loi maudite !

La question scolaire résolue, M. Paul Janson et ses amis posèrent nouveau le problème électoral.

Dès 1879, le Parti socialiste avait commencé une campagne de propagande en faveur de la révision de la Constitution et du suffrage universel. Une grande manifestation populaire avait eu lieu dans ce but à Bruxelles, le 15 août 1880, et ce mouvement s'était propagé dans le parti libéral progressiste qui réclama, à son (page 284) tour, la révision la constitutionnelle, mais sans aller jusqu'au égal pour tous les citoyens.

En 1881, à l'occasion de la discussion d'une loi électorale de parti, M. Janson déposa une proposition tendant à conférer le droit de suffrage pour la commune et la province à tout citoyen belge âgé de 21 ans, sachant lire et écrire.

Ce projet souleva les protestations indignées de M. Frère et un vif débat s'engagea à cet effet. Finalement, M. Janson, fortement attaqué par la presse libérale et par ses collègues, baissa pavillon sans même avoir obtenu la promesse du gouvernement de s'engager à déposer une proposition de loi basée sur la capacité.

Ecœuré et découragé, Léon Defuisseaux donna sa démission de député.

Deux années plus tard, M. Janson déposa une proposition de révision constitutionnelle. La prise en considération fut repoussée par 126 voix contre 11, mais le gouvernement se décida enfin à déposer un projet de loi dit des « capacitaires » dans le but de donner un semblant de satisfaction aux révisionnistes.

Cette réforme anodine, par l'entrée dans le corps électoral nouveau de quelques milliers d'ouvriers, eut cependant pour résultat la constitution de « Ligues ouvrières », et la revendication d'une représentation spéciale des classes laborieuses dans les conseils communaux. (Note de bas de page, après le mot « anodine » : Voici quelle fut, pour la ville de Bruxelles, l’influence sur le corps électoral ancien de la nouvelle loi. Avant la loi dite des capacitaires, il y avait 8,951 électeurs communaux à Bruxelles. Le régime nouveau fit monter ce chiffre à 12,739 voix, soit 3,788 électeurs en plus, parmi lesquels 626 ouvriers seulement, dont 104 contre-maîtres, 69 ouvriers anciens sous-officiers, 37 ouvriers lauréats des concours des écoles primaires et adultes, 42 conseillers prud’hommes et administrateurs de sociétés de secours mutuels et 374 ouvriers diplômés, après avoir passé leur examen électoral.)

La discussion sur la réforme électorale fut très vive à la Chambre et divisa profondément la gauche, à cause surtout de l'attitude autoritaire, hautaine et réactionnaire de M. Frère-Orban. Toute tentative faite par les députés progressistes et ministériels fut combattue, tout amendement démocratique fut impitoyablement rejeté. M. Buls ayant fait adopter un de ses (page 285) amendements au premier vote, fut obligé de voter contre au second vote, tant la pression ministérielle était forte !

Cette attitude du cabinet libéral doctrinaire le rendit impopulaire dans le peuple et les nouveaux impôts qu'il fit voter eurent le don de lui nuire considérablement auprès du corps électoral censitaire, qui n'aime guère être frappé dans ses intérêts, bien qu’il se rattrape souvent sur autrui.

Dans les associations libérales, dans celle de Bruxelles surtout, la lutte fut très vive entre doctrinaires et radicaux pour le choix des candidats aux élections de juin 1884.

Ces élections de 1884 furent un désastre pour le parti libéral, qui fut battu à Bruxelles par une coalition clérico-indépendante, coalition qui obtint les suffrages de milliers d'électeurs censitaires, dont les uns étaient mécontents des dépenses faites par le cabinet libéral et dont les autres étaient effrayés des idées défendues par MM. Janson, Feron, Arnould et Robert, principalement.

Le nouveau cabinet clérical avait pour chef M. Jules Malou et comme principaux collaborateurs M. Woeste, nommé ministre de la Justice et M. Victor Jacobs, chargé de la direction du département de l'Intérieur.

Deux questions avaient surtout fait l'enjeu des élections : la question des impôts et la question scolaire. Les impôts furent maintenus et les ministres cléricaux déposèrent un projet scolaire ressuscitant en quelque sorte la loi de 1842 et faisant rentrer les prêtres dans les écoles, non plus par la petite porte, mais à titre d'autorité.

La lutte au Parlement, lors de la discussion de ce projet, en une session extraordinaire, fut des plus mouvementées. Lorsque la nouvelle loi scolaire fut enfin adoptée, les libéraux organisèrent des manifestations à l'effet d'engager le roi à refuser de la promulguer. Les catholiques, leur tour, décidèrent de venir manifester à Bruxelles en faveur de la loi. Cette manifestation eut lieu le 7 septembre 1884. Elle fut très mal accueillie par la population.

Le cortège clérical fut bousculé, les drapeaux des manifestants arrachés et déchirés, les grosses-caisses défoncées et, dans (page 286) de nombreuses bagarres, les manifestants catholiques furent frappés et blessés à coups de gourdin.

Les catholiques protestèrent, indignés, contre le « guet-apens » dont ils se disaient les victimes et ils blâmèrent le bourgmestre de la capitale, M. Buls, sa police, la garde civique et toutes les autorités en général qui n'avaient, disaient-ils, rien fait pour protéger leurs amis.

La loi scolaire fut promulguée. Une démarche collective, auprès du roi, des bourgmestres libéraux des grandes villes et communes du pays n'obtint aucun succès.

De nombreuses manifestations parcoururent encore les rues de Bruxelles. L'on cria : « A bas le roi ! Vive la République ! » Et ces protestations contre la loi scolaire dégénérèrent bientôt en manifestation démocratique et républicaine. Aussitôt, la presse libérale, qui était l'instigatrice du mouvement de protestation contre la loi scolaire cléricale, protesta contre le caractère républicain de ces manifestations et le mouvement s'arrêta peu après.

Les élections communales d'octobre 1884 étaient une occasion toute trouvée pour protester contre la loi scolaire. Ces élections furent un succès pour les libéraux de tous les grands centres et le roi profita pour redemander leur portefeuille MM. Woeste et Jacobs. Ceux-ci, contraints et forcés, donnèrent leur démission, et M. Malou qui les accompagna dans leur retraite, fut remplacé comme chef de cabinet par M. Beernaert.

Les choses rentrèrent ainsi dans l'ordre. Le nouveau cabinet paraissait plus modéré après le débarquement des deux ministres de combat, Woeste et Jacobs.

Rejeté dans l'opposition, le parti libéral aurait dû rechercher les causes de son échec et se réorganiser.

Les doctrinaires, maitres de la presse libérale, accusèrent les radicaux d'être seuls responsables de la défaite subie au mois de juin. Il y avait à l'Association libérale de Bruxelles plus de 5,000 membres, dont une grosse partie composée de non-électeurs. Des modifications furent proposées aux statuts, dans le dessein d'empêcher les membres non censitaires de prendre part aux polls désignant les candidats. L'entente ne put s’établir et (page 287) les doctrinaires quittèrent l'Association pour aller fonder une société électorale nouvelle, la « Ligue libérale. »

Les mêmes difficultés surgirent en province entre les deux nuances du parti libéral et celui-ci se trouva de nouveau fort divisé. Le divorce entre les doctrinaires et les progressistes fut complet et ceux-ci s'organisèrent bientôt à part et, en 1887, dans un Congrès spécial, leur parti fut constitué.

Entre-temps, sur le terrain parlementaire, on en était revenu à l'ancien système. M. Beernaert, ancien libéral, était un ministre idéal et donnait satisfaction à la bourgeoisie qui, dans sa grande masse, ne demande qu'une chose : faire des affaires et gagner de l'argent. Le reste lui est fort indifférent.

A part la question scolaire, il n'existait aucune divergence d'idées sur l'ensemble du système gouvernemental, aussi la politique belge reprit-elle bientôt son allure habituelle.


Mais l'industrie et le commerce traversaient une crise depuis quelques années. L'industrie charbonnière surtout se trouvait atteinte et les salaires avaient subi une forte diminution. Le salaire annuel moyen de l'ouvrier houilleur, qui avait été de 1.006 francs en 1883, tomba, en 1885, à 812 francs et 783 francs l'année suivante. M. Eudore Pirmez, député de Charleroi et ancien ministre libéral, avait nié la crise ou, plutôt, il avait essayé d'établir que c'était une « crise d'abondance ! » (La crise, examen de la situation économique de la Belgique, par Eudore Bruxelles, 1884. voir aussi la réponse à M. Pirmez : La crise économique, par Louis Bertrand, 1884.)

« Quand Auguste avait bu, la Pologne était ivre I… »

Au mois de mars 1886, des émeutes éclatent Liége. Puis les ouvriers houilleurs de Seraing et des environs se mettent en grève. Quelques jours plus tard, le mouvement de révolte s'étendit au bassin industriel de Charleroi et bientôt l'émeute, le pillage et l'incendie firent rage !

C'était le peuple ouvrier, l'éternel sacrifié, depuis toujours (page 288) rebuté, qui, tout coup, se redressait et criait sa misère et son désespoir ! La question sociale, niée par les repus et les satisfaits, s'affirma et se posa, sous une forme terrifiante, comme un reproche vivant à l'adresse de ceux qui n'avaient rien su prévoir et s'étaient confinés dans leur étroite et facile doctrine du laissez faire, laissez passer, des économistes manchestériens.

Depuis un demi-siècle les dirigeants avaient refusé au peuple travailleur le droit de se faire représenter au Parlement, d'y faire connaitre ses désirs, ses griefs, ses volontés. Il venait subitement de crier bien haut son mécontentement et de montrer sa haine contre la société qui le traitait en paria.

L'étonnement des dirigeants fut grand et leur frayeur énorme !

Les ouvriers avaient donc à se plaindre ? « Faisons, pensèrent-ils, une enquête sur leur situation et nous verrons après ! »

Dès ce jour, il y eut quelque chose de changé en Belgique et la question cléricale, qui depuis de trop longues années avait fait tous les frais de la polémique entre cléricaux et libéraux, fut reléguée à l'arrière-plan, pour faire place au problème social. La peur avait produit son effet.

L'année d'avant, le Parti ouvrier belge s'était définitivement constitué et il s'occupait, avec frénésie, d'organiser la classe ouvrière et de parler en son nom.

Dans l'enquête du travail, tous les ouvriers entendus réclamèrent le suffrage universel, seul moyen, d'après eux, de donner à la classe laborieuse la place qui lui revient dans la société, le suffrage universel considéré comme la clef de toutes les réformes sociales dont ils demandaient la réalisation.

Et, en effet, dès le jour de sa constitution définitive en 1885. le Parti ouvrier avait marqué en tête des revendications prolétariennes, l'égalité politique.

Les années 1886 à 1903, furent des années fiévreuses de grèves et de troubles, toujours dans le but d'arracher, à la classe maîtresse du pouvoir politique, la reconnaissance des droits populaires en matière électorale.

En 1887, une nouvelle proposition de revision de la constitution fut faite à la Chambre. Elle fut repoussée une fois encore, mais cette fois-ci toute la gauche vota pour. (page 289)

Le gouvernement, entre-temps, fit voter quelques réformes ouvrières. Nous en parlerons en détail dans la suite de ce travail.

Mais l'agitation pour le suffrage universel continuait de plus en plus belle. En 1890, une nouvelle grande manifestation populaire nationale avait eu lieu à Bruxelles, au mois d'août, et avait fortement impressionné même ceux qui déclaraient puérile cette « politique de grande voirie. »

(page 290) Une nouvelle proposition de révision constitutionnelle fut déposée au mois de novembre de la même année et cette fois-ci, à la demande du chef du cabinet, M. Beernaert, la prise en considération fut adoptée. Ce ne fut cependant qu'au mois de mai 1892 que le principe même de la révision fut voté par la Chambre des représentants.


Le 18 avril 1893, sous la pression de la rue, la Chambre adopta enfin le régime nouveau, sous la forme du vote plural avec le concours des députés progressistes. Ce n'était là qu'une demi-mesure, car la question électorale est toujours à l'ordre du jour et elle ne sera définitivement résolue qu'avec l'adoption du suffrage universel pur et simple.

Depuis plus d'un tiers de siècle, cette question de l'égalité politique pèse de tout son poids sur la politique belge et absorbe toute l'attention du pays. Cela prouve qu'il est bien difficile pour le peuple d'obtenir justice, et que ce n'est jamais de gaieté de cœur que les classes privilégiées font abandon de leurs privilèges.

A partir de 1894, par suite de l'entrée au Parlement de nombreux députés socialistes, il y eut quelque chose de changé en Belgique. Les préoccupations sont devenues tout autres que jadis. On parle à la Chambre un autre langage qu'autrefois et c'est la question sociale qui a désormais le pas sur l'ancienne controverse clérico-libérale.

Depuis trente ans on a vu s'accomplir quelques faits importants.

D'abord, les dépenses militaires ont augmenté dans de fortes proportions. On dépense aujourd'hui, pour l'armée de la Belgique neutre et indépendante, plus de cent millions de francs par an, alors qu'à diverses reprises les chefs du parti libéral et du parti catholique estimaient que le budget de la guerre pouvait être réduit à 25 millions.

L'armée est certainement impuissante et ne dispose pas de forces pour résister à l'armée de l'une ou l'autre des grandes nations voisines, si le malheur voulait qu'elles vinssent envahir notre territoire. Mais l'armée belge dans l’esprit des (page 291) dirigeants bourgeois, sert beaucoup plus à tenir en respect « l’ennemi de l'intérieur » que l'autre. cela juge la valeur d'un régime, d'une organisation sociale qui n'a d'autre moyen de se faire admettre et de se faire respecter que la force brutale...


Le gouvernement catholique au pouvoir depuis 1884 a également accentué la politique protectionniste de la Belgique. La majorité cléricale est d'origine rurale ; c'est l'intérêt des ruraux, des propriétaires fonciers qui domine sa politique et c'est sur la masse que l'on fait peser les charges toujours croissantes de l'Etat, par les recettes des douanes et des impôts de consommation.

Presque au lendemain de l'arrivée au pouvoir du ministère catholique, le roi venait, sous prétexte de mettre fin à la traite des noirs, de s'occuper de la conquête pacifique de l'Afrique centrale. En 1885, dans une lettre adressée à M. Beernaert, Léopold Il demanda à être autorisé à accepter le titre de souverain du Congo.

Il serait assurément injuste de ne pas reconnaitre que l'œuvre africaine du roi a été menée avec une persévérance et une fermeté extraordinaires et qu'elle a eu pour résultat de forcer les Belges à regarder plus loin que la limite de leur étroite frontière. Mais il faut dire aussi que de toutes les belles promesses faites au pays, aucune n'a été tenue et que les moyens employés au continent noir sont d'une brutalité sauvage contre laquelle tout le monde proteste.

Le roi, dans son message aux Chambres, avait déclaré solennellement que le Congo ne coûterait rien à la Belgique. Aujourd'hui on sait ce qu'il en est et il est certain que les nombreux millions fournis par le pays au souverain de l'Etat du Congo ont surtout profité à ce souverain et aux compagnies fondées grâce à son concours. Comme débouchés pour les produits belges, le Congo ne représente presque rien et ils ne produisent certainement pas l'intérêt des capitaux engagés par le Pays dans cette entreprise coloniale.

(page 292) Et ce qui est surtout regrettable dans tout cela, c'est que les entreprises congolaises ont favorisé une fièvre de spéculation et d'agiotage qui était inconnue chez nous et qui a eu une répercussion sur la mentalité générale de nos compatriotes.


Ce qui a caractérisé encore l'histoire des trente dernières années, c'est le développement considérable pris par nos industries et notre commerce.

Il suffit de comparer le nombre des chevaux-vapeur employés dans l’industrie, pour se faire une idée des progrès accomplis. (On estime qu’un cheval-vapeur est l’équivalent de la force de dix hommes) : en 1870, le nombre de chevaux-vapeur s'élevait à 348.246 ; en 1880 à 607.142 ; en 1890 à 983.833 ; en 1900 à 1.408.931 ; en 1904 à 1.824.392.

Les exportations et les importations ont suivi une marche aussi accentuée.

Pour en revenir à l'industrie, le recensement industriel fait en 1896 a permis de faire une comparaison avec le recensement fait en 1846, c'est-à-dire à un demi-siècle de distance, et cette comparaison est des plus intéressantes.

En 1846, il y avait en Belgique 160,000 entreprises d'industries et de métiers, c'est-à-dire 160,000 usines, ateliers, mines, chantiers, etc., où un patron travaillait pour son propre compte, seul ou avec d'autres ouvriers.

Ce nombre a augmenté de plus de moitié, à un demi-siècle d'intervalle.

Pendant ce premier laps de temps, le nombre d'ouvriers occupés dans ces usines, ateliers, etc., a passé de 300.000 à 700.000, soit plus du double ; en d'autres termes, alors que le nombre des patrons n'a augmenté que de 80,000, le nombre des salariés des ateliers s'est accru de 400,000, soit cinq fois autant, (page 293) ce qui constitue une population ouvrière de plus en plus nombreuse eu égard au nombre des patrons.

La Belgique s'est donc transformée, mais ses dirigeants résistèrent constamment à la poussée démocratique qui gagne toute l'Europe et cette résistance continue.

Depuis 1900, la représentation proportionnelle a été inscrite dans la loi. Le résultat le plus saillant de cette réforme fut de donner une nouvelle vigueur au parti libéral ct de réduire la force parlementaire du gouvernement clérical qui, après les élections du 27 mai 1906, n'eut plus que 12 voix de majorité.