La première consultation électorale - La loi communale - Les élections communales de 1895 - Les élections provinciales - Les sénateurs provinciaux - Les élections de 1896 et 189. - Les projets Vandenpeereboom de 1899 - Emeutes - Le ministère se retire - Appel aux pays - La représentation proportionnelle - Les élections de 1900
(page 551) Qu'allait produire le nouveau régime électoral pour la conquête duquel le peuple ouvrier avait lutté avec tant d'ardeur ? Personne ne le savait, car on se trouvait devant l'inconnu ; mais chacun des trois partis semblait avoir confiance dans la masse du peuple, désormais souverain.
Le vote plural a été qualifié, avec raison du reste, de vote rural et, à ce titre, les catholiques se croyaient certains d'obtenir une forte majorité dans les nouvelles Chambres. Ils croyaient, en outre, que le peuple leur serait reconnaissant d'avoir fait la révision. Enfin, puissamment organisés, sur le terrain religieux surtout, et les prêtres jouissant d'une énorme influence, ils allèrent bataille avec confiance.
Les libéraux, eux, étaient au fond fort perplexes.
Ils avaient, en majorité, lutté contre la réforme constitutionnelle et n'avaient aucune action sur la classe ouvrière des villes, encore moins sur celle des campagnes.
A la Constituante, les chefs de l'ancien parti libéral, et Bara en tête, avaient tout fait pour rendre la révision la moins large, la moins démocratique possible.
Quant au parti socialiste, n'ayant jamais affronté sérieusement la lutte sur le terrain électoral, il ne se faisait aucune illusion sur les résultats de la première consultation populaire. Il (page 552) présenta cependant des candidats dans vingt et un arrondissements et ne fit alliance avec les libéraux que dans deux, à Liége et à Namur.
Une des premières questions que les fédérations régionales du Parti ouvrier eurent à résoudre, à la veille des élections du mois 1894, fut celle des alliances électorales.
Le congrès de Quaregnon avait, après une vive discussion entre partisans et adversaires des alliances, maintenu dans les statuts du Parti la liberté, pour les fédérations, de contracter ou non des alliances, cette question étant considérée non comme une question de principe, mais de pure tactique, de moyen d'action. Il fut entendu, cependant, que des alliances ne pourraient être conclues qu'avec le Parti progressiste.
En fait, nous l'avons dit, il n'y eut entente qu'à Liége et à Namur. A Bruxelles, les progressistes de l'Association libérale essayèrent de faire triompher une alliance purement anticléricale, qui aurait compris les socialistes, les progressistes et les doctrinaires de la Ligue libérale. Le Parti ouvrier refusa de souscrire à pareille alliance ; il eût accepté toutefois de faire liste commune avec les progressistes. Ceux-ci ayant à choisir, préférèrent s'allier aux doctrinaires qu'au Parti ouvrier. Au surplus, les chefs progressistes ne pensaient point que les socialistes de Bruxelles réuniraient beaucoup de suffrages, leur organe, « La Réforme », ayant dit maintes fois qu'ils n'en obtiendraient pas 10,000 dans cet arrondissement.
Les trois partis allèrent donc à la bataille sans trop savoir quel en serait le résultat. Seuls les catholiques semblaient avoir une confiance absolue dans le scrutin qui allait s'ouvrir.
La journée du 14 octobre fut très calme. La première consultation populaire se fit sans le moindre incident tumultueux.
Le corps électoral nouveau comprenait 1,370,687 électeurs, dont 853,628 à 1 voix, 293,678 à 2 voix et 223,381 à 3 voix.
Les socialistes obtinrent, dans l'ensemble des arrondissements où ils avaient présenté des candidats, 346,000 voix en (page 553) chiffres ronds, dont il faut défalquer 30,000 voix libérales et de Liége et de Namur.
Les cléricaux réunirent 927,000 suffrages et les libéraux 530,000 voix.
(page 554) La Chambre se composait de 152 députés. Au premier tour de scrutin, les catholiques eurent 75 élus, les libéraux 10 et les socialistes 9. Il y eut 58 ballotages. Ce qui frappa surtout l'opinion, ce fut le nombre considérable de suffrages obtenus par les socialistes. La bourgeoisie en fut épouvantée
Les ballottages de Liége, Mons, Charleroi, Soignies et Verviers, mettaient en présence cléricaux et socialistes et c'étaient les libéraux, dont les candidats avaient été éliminés au premier tour, qui devaient décider qui serait victorieux dans le second scrutin.
Pendant la semaine du ballottage, la presse catholique, suivant une vieille habitude du reste, joua du spectre rouge. Il en résulta qu'un grand nombre d'électeurs libéraux votèrent pour les catholiques ; mais néanmoins les socialistes triomphèrent à Liége, à Charleroi, à Mons, à Soignies et à Verviers.
Furent élus :
A Liége. Anseele, L. Defuisseaux (remplacé ensuite par Alfred Smeets), Demblon, H. Denis, Schinler, Wettinckx.
A Verviers.Dauvister, Gierkens, Malempré, Niézette.
A Soignies. Bertrand, Mansart, Paquay.
A Charleroi. Caeluwaert, Cavrot, Destrée, Fagnart, Farnémont, Lambillotte, Léonard et Vandervelde.
A Mons. Bastien, Brenez, A. et L. Defuisseaux, D. Mariille et Roger.
A Namur. Defnet.
A Thuin. A l'élection de janvier 1905, Eugène Berloz.
Des élections provinciales eurent lieu quelques semaines plus tard. Le Parti ouvrier prit part à l'élection dans une trentaine de cantons et fit élire une cinquantaine de conseillers, dont 23 dans le Hainaut, 20 à Liége et 3 dans le Brabant.
Cette entrée en scène, passablement inattendue dans ses résultats, du parti socialiste belge, affola littéralement les partis bourgeois et principalement le gouvernement catholique. Le ministère de Burlet, qui avait remplacé le cabinet Beernaert, (page 555) n'avoir qu'une unique préoccupation : faire la guerre socialisme ! Ce phénomène n’était d’ailleurs pas spécial à la Belgique. C'est ce qui fit dire à la « Revue de Paris » : « La peur du socialisme est, depuis quelques temps, une maladie politique internationale. Elle fausse les idées et suggère d'inefficaces moyens de défense contre un adversaire redouté. »
Mais la peur est mauvaise conseillère et le fait se vérifia une fois de plus, en Belgique.
La nouvelle Chambre avait pour mission de voter une loi électorale communale.
Jusqu'à cette époque, la vie communale avait été considérée comme l'école primaire de la liberté. Le corps électoral communal avait toujours été plus étendu que celui en vigueur pour les Chambres législatives. Cette fois-ci il en fut autrement et le projet du gouvernement fut qualifié, avec raison, par Edouard Anseele, de « loi des quatre infamies ». La première, c'était l'âge de 30 ans exigé pour être électeur, au lieu de 25 requis pour la Chambre ; la seconde, c'était la résidence de 3 années ; la troisième, le cens différentiel, d'après la population, pour avoir enfin, le chiffre total des droit des voix supplémentaires ; enfin, le chiffre total des suffrages que pouvait réunir un seul électeur fût porté de trois quatre !
La discussion de ce projet fut des plus vives. La gauche unanime le combattit et plusieurs membres de la majorité le condamnèrent. Il passa cependant à une faible majorité, le gouvernement ayant posé la question de cabinet.
Dans l'espoir de faire reculer le gouvernement dans son œuvre de réaction, le Parti ouvrier avait décidé de déclarer la grève générale si le ministère maintenait son projet. Tout permettait de prévoir un mouvement de grève plus général qu'en avril 1893, tant le mécontentement était grand. Mais le gouvernement ne pouvait plus reculer cette fois-ci, et il prit d'énergiques mesures de répression. Deux classes de miliciens avaient été rappelées sous les drapeaux. La gendarmerie avait reçu des ordres sévères et, dans deux grèves locales, à Renaix par exemple, elle avait fait usage de ses armes et avait couché par terre plusieurs victimes.
(page 556) C’est alors que les chefs du Parti ouvrier, réunis avec les députés et sénateurs, se demandèrent s'il était bien utile de risquer l'aventure d'une grève sanglante pour une simple loi qui pouvait être modifiée peu de temps après. Ils résolurent de ne pas donner le signal de la grève ct Alfred Defuisseaux en fit la déclaration, au nom de la gauche socialiste, dans la séance de la Chambre, le 2 avril, le chef de cabinet ayant déclaré que le gouvernement ne pouvait faire de concessions sous le coup de menaces venant du dehors. La déclaration de Defuisseaux faite, M. de Burlet demanda à réfléchir jusqu'au lendemain, mais il ne céda point et la loi des quatre infamies fut votée avec un amendement de M. Helleputte, permettant aux ouvriers et aux patrons de faire élire directement de deux à quatre conseillers par les électeurs des conseils de prud'hommes, dans les villes d'au moins 20,000 habitants.
Le système de la représentation proportionnelle fut appliqué à la loi communale, mais seulement dans les cas où aucune liste n'obtenait la majorité absolue. Il s'agissait donc, tout simplement, de supprimer le ballottage.
Les élections communales eurent lieu au mois de novembre 1905. Le Parti ouvrier lutta dans 507 communes, soit dans le cinquième des communes du pays, et il réussit à envoyer des mandataires dans les conseils communaux des grandes villes et des communes importantes. Dans plusieurs, il obtint la majorité et eut la responsabilité du pouvoir communal. Mais ce fut presque toujours dans des communes industrielles et pauvres. Ailleurs, des socialistes entrèrent dans les collèges échevinaux pour former une majorité avec les libéraux.
Un secrétariat des communes fut fondé par la Fédération nationale des conseillers communaux socialistes. Ce secrétariat a pour but de réunir des documents à l'usage des conseillers communaux, et de leur faciliter l'étude des questions administratives ainsi que les réformes financières, économiques, sociales et autres qui sont du domaine des conseils communaux.
(page 557) Les conseillers socialistes furent surtout, et avant tout, préoccupés de défendre les droits et les intérêts du personnel ouvrier et employé des communes, ainsi que de l'application des clauses protectrices du travail (minimum de salaire, durée de travail, assurance accidents, etc.) inscrites dans les cahiers des adjudications publiques.
D’autres projets furent soumis aux délibérations des conseils communaux par les élus socialistes : institution de cantines scolaires, impôt sur le revenu, réforme de la bienfaisance, assurance communale contre les incendies, habitations ouvrières, etc., etc.
Aux élections communales suivantes, le Parti ouvrier obtint encore de nouveaux succès, malgré une loi électorale injuste ;ect ainsi, peu à peu, il marcha à la conquête du pouvoir communal, forma des hommes, fit leur éducation politique et administrative.
Ce sont les Ligues ouvrières qui, dans les communes, s'occupent spécialement des élections communales et de la politique locale. Plusieurs sont très importantes et comptent près 1,000 membres ; d'autres de 4 à 500. Plusieurs aussi, dans l’agglomération bruxelloise, possèdent un organe soit bimensuel, soit hebdomadaire.
Pour les élections provinciales, le Parti ouvrier obtint aussi quelques succès. Dans deux provinces, celles de Liége et du Hainaut, la députation permanente fut composée, par moitié, de députés socialistes et libéraux. Ces deux conseils élirent des sénateurs socialistes et libéraux : Edmond Picard, G. Grimard, H. Fontaine et A. Bastien furent ainsi élus par la coalition des conseillers provinciaux du Hainaut et de Liége et F. Elbers, ancien ouvrier mécanicien, par le conseil provincial du Brabant.
En 1896 expirait le mandat des députés des provinces d'Anvers, de Brabant, de la Flandre occidentale et de Namur.
Ce fut un nouveau succès pour le Parti socialiste qui, dans (page 558) ces quatre provinces, obtint près de 100,000 voix de plus qu’en 1904. A Nivelles, le chiffre des suffrages socialistes avait triplé : 19,879 au lieu de 6,5533 ; à Anvers, 9,000 au lieu de 4,870 ; à Louvain, 18,000 au lieu de 5,080 ; et ainsi de suite.
Il y eut de nombreux ballottages encore. A Bruxelles, cette fois. les progressistes s'unirent aux socialistes et arrivèrent au ballottage contre les cléricaux. Mais au second tour de scrutin, ceux-ci triomphèrent non seulement à Bruxelles, mais aussi à Nivelles où le succès semblait cependant certain. Les électeurs libéraux modérés préférèrent renforcer la majorité gouvernementale, plutôt que de faire triompher les socialistes, même unis aux radicaux.
Les élections de 1898 marquèrent un nouveau succès pour les candidats socialistes, dans les autres provinces dont les députés étaient soumis à réélection.
Les deux scrutins de 1896 et 1898 donnèrent respectivement pour les trois partis en présence les chiffres suivants :
Catholiques, 848,047 suffrages.
Libéraux, 361, 307 suffrages.
Socialistes, 533,743 suffrages.
En quatre années, les socialistes avaient gagné près de 187.000 suffrages, soit plus de 50 pour cent. Par contre, le parti libéral se voyait de plus en plus abandonné par les nouvelles couches électorales.
A la Chambre et au Sénat, le parti clérical disposait cependant d'une majorité imposante, bien que sa force électorale réelle, malgré les vices du vote plural, le mît plutôt en minorité dans l'ensemble du pays.
Cette situation à la fois périlleuse et injuste était due au régime majoritaire, acceptable tant qu'il n'y a que deux partis ou deux listes en présence, mais profondément immoral lorsque trois partis ou plus se disputent les sièges. Quand aucun des trois partis n'obtient la majorité absolue au premier scrutin, c'est le parti le plus faible, éliminé au premier tour, qui décide de la victoire selon que ses partisans reportent leurs suffrages soit à l'un soit à l'autre des deux partis restant en présence au ballotage.
(page 559) L'injustice et l'absurdité de pareil régime électoral était trop pour être nié »s. Mais le parti au pouvoir en profitait. Il était uni, lui, et dans les arrondissements où il n'avait pas la majorité, il était presque certain de triompher au second tour, en cas de ballottage avec les socialistes, grâce au concours de l’élément libéral modéré, auquel il savait faire appel sous prétexte de sauver l'ordre social menacé !
Mais cela ne pouvait durer.
Le lendemain des élections de 1898, la question électorale fut de nouveau mise à l'ordre du jour.
Certains catholiques, effrayés de l'incessant accroissement de la population dans les grands centres comme Bruxelles, qui déjà élisait 18 députés et qui bientôt devait en avoir 22, et comprenant la fragilité de leur majorité, prirent peur. Précisément un ancien député doctrinaire, M. Vander Kindere, avait déclaré qu'il était temps de débarrasser le pays du parti clérical et qu'il était prêt à s'allier, même avec le diable, pour aboutir ce résultat.
Il fut question alors de diverses mesures : le découpage des grands arrondissements, le scrutin uninominal, binominal ou trinominal.
C'est ce moment qu'un groupe considérable d'hommes politiques, appartenant aux trois partis, créa une Ligue nationale pour la représentation proportionnelle.
Cependant, au début de l'année 1899, l'uninominal paraissait l'emporter au sein de la majorité. Une crise ministérielle s'en suivit et MM. Nyssens et de Smet de Naeyer donnèrent leur démission et furent remplacés par M. Liebaert, qui prit la direction du département des Finances et M. Cooreman, qui devint ministre de l'Industrie et du Travail. A M. Vandenpeereboom échut la présidence du Conseil des ministres.
Celui-ci annonça à la Chambre qu'il la saisirait bientôt d'un projet de réforme électorale, mais il refusa d'en indiquer les grandes lignes. Le même jour, les députés de gauche, libéraux et socialistes, décidèrent de faire un appel au pays, disant en substance que le gouvernement, pour consolider une majorité factice, n'hésiterait pas à tenter le plus odieux coup de parti, (page 560) les plus scandaleux tripotages des circonscriptions électorales, dans le but de falsifier l'expression de la volonté nationale et d’assurer ainsi, à perpétuité, au parti clérical, une majorité artificielle.
Ce manifeste se terminait par ce double cri :
« A le scrutin uninominal ! Vive le suffrage universel ! »
Les catholiques d'ailleurs étaient fort divisés sur la solution à donner au problème électoral. M. Beernaert était partisan de la représentation proportionnelle et M. Woeste en était l'adversaire décidé. Une discussion assez aigre eut lieu entre ces deux champions, an sein de l'Association conservatrice de Bruxelles qui, le 5 février 1899, se prononça en faveur de la R. P.
Pendant plusieurs semaines, la discussion de la réforme continua dans les divers cercles politiques. Le Parti ouvrier se déclara en faveur de la R. P., mais à condition qu'elle fût subordonnée à l'établissement du suffrage universel.
Le 19 avril, M. Vandenpeereboom déposa son projet : il maintenait le système majoritaire dans les arrondissements nommant moins de six représentants et trois sénateurs et établissait la R. P. dans les autres.
Les deux gauches libérales et socialistes se réunirent alors pour délibérer et décidèrent de se refuser à discuter un pareil projet.
Celui-ci avait été élaboré pour satisfaire les deux courants qui se partageaient la majorité, les partisans de la R. p. obtenaient satisfaction dans les grands arrondissements et ses adversaires voyaient maintenir le statu quo dans les petites circonscriptions.
Le projet Vandenpeereboom favorisait surtout le parti catholique et, en second lieu, le parti socialiste, qui pouvait espérer maintenir ses positions dans les arrondissements de Mons, Soignies, Verviers, Namur, Thuin, obtenir une bonne part des sièges qu'il occupait à Charleroi et à Liége et en gagner dans les arrondissements de Bruxelles, Anvers et Gand.
Mais il n'en était pas de même du parti libéral, qui se trouvait visiblement sacrifié déjà et auquel on refusait une représentation adéquate à sa force réelle dans le corps électoral.
Cela fut établi, sans contestation possible, par M. Goblet (page 561) d’Alviella, une réunion du Comité de l'Association pour la représentation proportionnelle, tenue sous la présidence de Beernaert, au siège de la société « La Métallurgique », place de Louvain.
Mais cette constatation ne semblait point mécontenter outre les mesure proportionnalistes catholiques, notamment MM. Beernaert, Renkin et Carton de Wiart, qui proposèrent d'approuver le projet Vandenpeereboom comme étant une concession faite au principe de la R. P. !
Il va sans dire que l'attitude de ces messieurs fut vivement combattue et que les membres libéraux et socialistes de ce comité refusèrent de se rendre complices des manœuvres savantes du parti clérical.
Entretemps, les partis d'opposition, socialistes, libéraux et démocrates chrétiens organisèrent la résistance au projet du gouvernement. Une imposante manifestation eut lieu à Bruxelles, dans ce but, le 29 mai et des discours furent prononcés sur la Grand-Place, par des délégués des trois partis : MM. Lorand, l'abbé Daens et Vandervelde.
MM. Woeste et Helleputte, dans les sections d'abord, dans la section centrale ensuite, ne cachèrent point leur irréductible hostilité à l'instauration, même partielle, du régime proportionnaliste. La section centrale, présidée par M. Snoy, était composée de MM. Woeste, Helleputte, Tack, Bilant, Vandervelde et de Trooz.
Celui-ci fut nommé rapporteur. Le projet du gouvernement fut adopté par 4 voix contre 3 et la discussion en fut fixée 5 juillet.
Dans la séance du 27 juin, un incident soulevé par M. Fléxhet , au sujet des mesures prises par la questure à l'égard des pPersonnes venant demander à parler aux députés, souleva de vives protestations, à cause de la réponse arrogante faite par le questeur M. de Jonghe d'Ardoye.
Le tapage provoqué par l'attitude du questeur fut inouï et et sans précédent. Furnémont chanta la Marseillaise, reprise en par tous les députés socialistes, et la séance fut suspendue. A la reprise, le tapage recommença de plus belle, le président ayant refusé de rappeler M. de Jonghe à l'ordre.
(page 562) On cria de toutes parts : Démission ! démission ! on chanta On cria de toutes parts . le populaire « O Vandenpeereboom ! boum !boum !i »
La séance dut être levée. I
Le soir, des manifestations et des bagarres eurent lieu à Bruxelles et la gendarmerie intervint fort brutalement, blessant un grand nombre de personnes.
Un meeting monstre eut lieu à la Maison du Peuple et on y entendit des discours de MM. Houzeau, sénateur progressiste; Tournay sénateur doctrinaire, et De Backer, démocrate-chrétien, parlant au diapason des orateurs socialistes. En province, les libéraux modérés prirent également part au mouvement, notamment à Liége et à Anvers.
L'obstruction à la Chambre continua pendant quatre jours consécutifs. Le soir, de nouvelles bagarres éclatèrent dans la capitale, et la gendarmerie continua son œuvre en tirant dans la foule, blessant de nombreuses personnes, dont plusieurs grièvement.
Le gouvernement fut interpellé sur les événements et sur la brutalité de ses agents. Finalement, dans la séance du 30 juin, des paroles de conciliation furent prononcées par L. Furnémont et par M. Théodor, député indépendant de Bruxelles.
Le chef du cabinet consentit à ne plus demander la discussion de son projet. Il proposa de le renvoyer, avec d'autres, à une commission de quinze membre, dont cinq de la gauche. C'était l'abandon du projet gouvernemental. Vandervelde en prit aussitôt acte, au nom de l'opposition.
Celle-ci se réunit après cette séance et les députés libéraux et socialistes rédigèrent et signèrent un manifeste adressé au pays, dont voici les termes :
« Grâce à votre indomptable énergie, l'opinion publique vient de remporter une victoire éclatante.
« L'abominable projet de loi électorale de M. Vandenpeereboom est retiré. La tentative de coup d'Etat échoue piteusement devant le soulèvement du pays.
« La volonté populaire s'est bien nettement manifestée. Elle exige que la nation soit consultée avant toute modification du régime électoral. Elle veut: le Referendum, la dissolution (page 563) Chambres, ou l'ajournement jusqu'après les élections prochaines.
« Nous, les membres de la gauche, unanimes et indissolublement unis, nous nous engageons à rester les irréductibles interprètes de cette volonté nationale.
« Vous avez tracé notre devoir dans les délibérations de la commission nouvelle ; nous n'y faillirons pas. »
La Commission des XV se réunit plusieurs fois. Le premier avril, elle termina ses travaux et ne se trouva d'accord que pour repousser tous les systèmes qui lui étaient soumis.
Le lendemain, M. Vandenpeereboom annonça la démission du ministère. Le nouveau cabinet, constitué par M. de Smet de Naeyer, fut complété par l'entrée de M. Van den Heuvel au ministère de la justice, de M. de Trooz à l'intérieur, de M. Van der Bruggen à l'agriculture et de M. le général Cousebant d'Alkemade à la guerre. I
Le projet Vandenpeereboom fut retiré et M. de Smet de Naeyer déposa un projet électoral basé sur la représentation proportionnelle, mais maintenant un certain nombre de petits arrondissements, ce qui devait une fois encore fausser la représentation nationale.
Pendant la crise que le pays venait de traverser, le principe de la représentation proportionnelle avait fait des progrès dans les rangs de la droite catholique. Mais plusieurs de ses membres, et des plus influents, ne s'étaient point ralliés. Ce fut le cas pour MM. Helleputte et Woeste, qui restèrent intraitables.
Cependant, le gouvernement n'avait point une majorité à droite pour voter son projet et celui-ci ne fut adopté que grâce défection de cinq députés progressistes, MM. Lorand, Magnette, Heupgen, Hambnrsin et Mouton. Il fut donc finalement voté le 24 novembre, par 70 voix, contre 63 non et 8 abstentions.
Le Parti ouvrier protesta contre ce vote qu'il se trouva impuissant à empêcher, l'union des deux gauches s'étant rompue à la suite de l'adhésion de cinq députés progressistes au projet du nouveau cabinet.
(page 564) Les élections eurent lieu le 27 mai 1900. Le nouveau régime électoral fut appliqué sans difficulté et la répartition des sièges entre les divers partis en présence, se fit sans soulever aucune protestation.
Le Parti ouvrier lutta dans vingt-cinq arrondissements et il ne fit alliance avec les radicaux qu'à Gand et Termonde.
Sur 2,052,270 suffrages émis :
les socialistes obtinrent 467,326 voix et 32 élus :
les cléricaux eurent 85 élus avec 995,056 voix ;
les libéraux, 31 élus avec 449,521 voix ;
les radicaux, 3 élus avec 47,783 voix et les démocrates-chrétiens, 1 élu avec un total de 55,737 suffrages.
Le parti indépendant échoua à Bruxelles, aucun de ses candidats n'ayant atteint le quorum nécessaire.
Le résultat le plus clair du nouveau système électoral fut la rentrée en scène du parti libéral qui, de 1894 à 1900, n'avait pu envoyer à la Chambre qu'une douzaine de députés, et qui cette fois-ci en eut 34, radicaux compris.
Chose assurément curieuse : tous les partis se déclarèrent satisfaits du régime nouveau. Et cependant, la Chambre avait une majorité cléricale composée de 85 élus, alors que ceux-ci n'avaient réuni que 996,036 suffrages et l'opposition, 67 élus avec 1,020,367 suffrages. La majorité gouvernementale était de 18 voix, bien qu'elle n'eût réuni, dans l'ensemble du pays, qu'un total de voix inférieur à celui recueilli par les partis adverses.
Cela tenait deux causes : d'abord, la division de l'opposition, ensuite le maintien de petites circonscriptions électorale, causes qui aboutirent à laisser des déchets dans plusieurs arrondissements.
Le parti socialiste retira du nouveau régime des avantages Incontestables. D'abord, il était assuré désormais d'avoir une représentation propre, sans devoir revenir à des alliances électorales, dans grand nombre d'arrondissements ; ensuite, il n'avait plus à craindre de voir échouer ceux de ses candidats qui n'avaient triomphé qu'au scrutin de ballottage, avec le concours des libéraux ; enfin, s'il perdait quelques sièges dans les arrondissements où il avait la majorité absolue, comme à Charleroi et à Mons, par contre il avait des élus dans des arrondissements où ses forces étaient proportionnellement peu développées et où jusque-là il n'avait eu aucun élu : à Gand, à Anvers, à Louvain, à Nivelles, à Dinant et à Philippeville.