Le rôle de la presse démocratique et socialiste - Coup d'œil rétrospectif - En 1848-1849 - La Tribune du Peuple - L'Internationale - Le National belge - Le Peuple - Autres journaux quotidiens et hebdomadaires - Les brochures et les livres - Bibliothèques ouvrières - Les universités populaires - Les sections d'art et les sociétés dramatiques, etc.
(page 645) La presse est un instrument précieux, indispensable à la propagation des idées. Elle joue un rôle considérable aujourd’hui, et fait en quelque sorte l'opinion. C'est pourquoi chaque (page 646) parti veut avoir des journaux, des revues, pour défendre ses principes, répondre aux attaques des adversaires et pour attaquer à son tour et le confondre.
De 1830 à 1848, les journaux socialistes belges furent rares. Les principaux, nous l'avons vu, furent publiés à Bruxelles : « Le Radical » d'abord, « Le Débat social » ensuite. ces journaux étaient peu lus, coûtaient fort cher et ne s'adressaient pas aux ouvriers qui, d'ailleurs ne pas lire, sauf de rares exceptions.
Après la révolution du 24 février, parurent de nombreuses feuilles démocrates et socialistes. Elles ne vécurent pas longtemps, la réaction ayant repris le dessus en France. Ces journaux étaient déjà mieux faits que les précédents, plus à la portée des intelligences populaires. Leur socialisme était fraternel, chrétien, sentimental.
Puis le silence se fit de nouveau et il faut arriver à l'année 1860 pour trouver une nouvelle feuille de propagande qui parût d'abord mensuellement pendant plusieurs années, puis devint hebdomadaire : nous avons cité « La Tribune du Peuple. »
Celle-ci, en 1868, alors que le mouvement créé par l'Internationale des travailleurs eut acquis une certaine puissance, fit place au journal « L'Internationale ». Cette association eut aussi d'autres organes en provinces, sans compter « La Liberté », de Bruxelles, qui après avoir été démocrate devint socialiste.
Chose curieuse, c'est à Bruxelles, à Liége et à Verviers que parurent les principales feuilles de propagande socialiste, pour la partie française du pays, et à Gand et à Anvers, pour la partie flamande. Plus tard, Charleroi et Mons eurent aussi leur journal socialiste quotidien, et de nombreuses villes et communes secondaires, leurs organes hebdomadaires.
Après la chute du journal « L’Internationale », en 1873, Bruxelles n'eut d'autre organe socialiste qu'une petite feuille publiée par la Chambre syndicale des ouvriers marbriers, « La Persévérance ». A Verviers, « Le Mirabeau », fondé en 1867, continua à paraître jusqu'au 18 mai 1880. A Liége, un ouvrier tailleur, Mathewe, publiait « L’Ami du peuple », hebdomadaire.
En mai 1878, l’auteur de ce livre prit l'initiative de publier un organe hebdomadaire, « La Voix de l’Ouvrier. »
A Anvers, depuis 1869, un ouvrier cordonnier, Philippe Coenen publiait « De Werker » (Le Travailleur).
Parurent ensuite plusieurs feuilles socialistes et anarchistes: ; A Verviers, « Le Cri du Peuple », en 1878 ; puis « La Sentinelle », de 1882 à 1885 ; « L'Union socialiste », de 1888 à 1893 ; « Le Parti Ouvrier », de 1893 à 1899 ; « La voix du Peuple » remplaça ce dernier et n’eut que dix numéros ; « Le Devoir », de 1896 à 1899 ; puis « En Avant »
A Bruxelles, quelques socialistes « révolutionnaires » et quelque peu anarchistes, publièrent en 1881, « La Justice sociale » qui eut six ou sept numéros ; « Le Drapeau rouge », organe de la Ligue collectiviste anarchiste ; « Le Travail », mensuel. Puis encore « L'insurgé, Ni Dieu ni maitre », etc. Emmanuel Chauvière, publia « Les Droits du peuple », dont nous avons déjà parlé dans un chapitre précédent.
Tous ces journaux n'étaient lus que par une élite.
Leur tirage ne dépassait guère 1,000 exemplaires. C’est dire qu’ils avaient de la peine à vivre, bien que le travail de rédaction et d'administration se fit gratuitement.
Vers l'année 1880, un journaliste nommé Henri Boland, fit paraître un nouveau journal quotidien, « Le National », sans opinion politique bien arrêtée. Après avoir fait beaucoup parler de lui, « Le National » de Boland fut acheté par un français, Gabriel Marchi, qui en fit un journal progressiste et eut comme rédacteur en chef Jules Wilmart, un brillant écrivain, polémiste vigoureux et mordant.
Lors du mouvement créé en 1883, par la jeune gauche représentée par Paul Janson, Emile Feron, Victor Arnould et Eugène Robert en faveur de la réforme électorale, « Le National » prit nettement position et attaqua avec vigueur la politique doctrinaire du ministère Frère-Bara.
L'année suivante, le parti catholique étant arrivé au pouvoir et ayant fait voter la loi sur l'enseignement primaire, une campagne de presse, de meetings et de manifestations fut organisée dans le but de peser sur le roi et de le décider à refuser la promulgation de la loi, qui rendait de nouveau obligatoire l’enseignement de la religion dans les écoles.
(page 648) De nombreuses manifestations furent organisées à cette occasion et elles prirent bientôt, grâce au « National », un caractère républicain. Wilmart publia une série d'articles très acerbes contre Léopold II, l'accusant de faire les affaires du parti clérical. Ce journal eut pendant quelque temps une grande vogue. Il eut comme collaborateurs, à côté de Jules Wilmart, deux journalistes français et Jean Volders, C. De Paepe, Ch. Delfosse, A. Van Caubergh, A. Chainaye, ce qui accentua encore sa note politique.
Wilmart mourut à Schaerbeek, rue Vondel, 12, le 17 mai 1885, à l'âge de 37 ans seulement.
Jean Volders fut appelé à lui succéder comme rédacteur en chef. Gabriel Marchi, le directeur et le bailleur de fonds du « National » ayant été expulsé de Belgique, il se désintéressa bientôt du journal, qui était d'ailleurs loin de couvrir ses frais. Il publia son dernier numéro le 8 novembre 1885.
Six semaines plus tard, le conseil général du Parti ouvrier commençait la publication d'un petit journal quotidien à deux centimes, dont nous avons rappelé les débuts (tome II, pages 374 et suivantes) plus que modestes.
Ce fut surtout après les premières élections législatives sous le nouveau régime électoral, en octobre 1894, et qui fit entrer vingt-huit députés socialistes à la Chambre, que l'on sentit la nécessité d'avoir des journaux locaux et de propager plus sérieusement les organes quotidiens du Parti ouvrier.
A Charleroi, « Le Journal de Charleroi » qui, pendant longtemps, avait été un organe libéral modéré, puis progressiste, devint socialiste. « Le Peuple » et « l'Echo du Peuple », publiés à Bruxelles, furent largement développés et ils profitèrent rapidement des succès électoraux remportés par le Parti ouvrier, qui recueillit 345,000 suffrages sur les noms de ses candidats.
Deux des rédacteurs du « Peuple » furent élus : L. Bertrand, (page 649) dans l’arrondissement de Soignies, G. Defnet, à Namur, Ils furent remplacés quelques semaines plus tard au « Peuple » par Antoine Delporte et Léon Meysmans.
En 1892, la vente du « Peuple » avait été de 1,624,600 numéros et celle de « L'Echo du Peuple » de4,550,800.
En 1894, la vente du « Peuple » était montée à 2,066,715 numéros et celle de « L'Echo du Peuple » à 11,682,051.
(page 650) Depuis, la prospérité de la presse socialiste n'a cesse de croître, grâce aux effort combinés de sa rédaction et de son administration. Mais des modifications profondes se produisirent dans la rédaction.
Le 11 mai 1896, Jean Volders, rédacteur en chef, et principal fondateur du « Peuple », mourut, laissant parmi nous, dans le mouvement ouvrier de notre pays, un vide qui n'est pas encore comblé. En 1900, par suite de l'application de la représentation proportionnelle, Antoine Delporte fut élu député de Bruxelles. Il fut remplacé à la rédaction par Emile Housiaux. Quatre années plus tard. un autre des rédacteurs, Léon Meysmans, entrait, à son tour, à la Chambre et ce fut Félix Paulsen qui reprit son poste du combat. Actuellement, la rédaction du « Peuple » se compose de six rédacteurs que nous plaçons par rang d'ancienneté : Auguste Dewinne, Franz Fischer, Jules Lekeu, Charles Guillaume (Jacques Gueux), Emile Housiaux et Félix Paulsen.
Le 1er mai 1895, « Le Peuple » parut avec un format agrandi et on installa, pour son impression, une première rotative. Il en existe trois actuellement, dont une permettant de tirer six pages à la fois.
L'année suivante, « L'Echo du Peuple » qui avait eu jusque là une composition uniforme pour tout le pays. fut publié en plusieurs éditions, avec des chroniques locales spéciales pour les régions desservies.
Il en est de même pour « Le Peuple ». Il y a donc cinq éditions de « L'Echo du Peuple », une pour la capitale, une autre pour la province de Liége, une troisième pour le Borinage, une pour le pays de Namur-Dinant-Philippeville et une dernière pour le Hainaut.
Quant au tirage journalier moyen du « Peuple » et de « L'Echo du Peuple », voici sa progression, telle qu'elle est indiquée dans un article de Marins Renard (ces chiffres ne sont pas repris dans la présente version numérisée)
(page 651) La situation matérielle de la presse socialiste s'est largement améliorée. Les recettes qui en 1892 ne s'élevaient qu'à 110,000 francs, montèrent en 1893 à 191,854 francs et en 1906 à 428,600 francs.
Le personnel est beaucoup plus nombreux que jadis et les salaires, qui ne dépassaient pas 20,000 francs en l'an 1894, atteignent près de 50,000 francs aujourd'hui.
L'administrateur délégué de la coopérative « La presse » socialiste, Grégoire Serwy, nommé en 1894, a vu d'abord fixer la durée de de son mandat à dix années et, depuis 1905, sa durée a été fixée à celle de la société.
A l'heure qu'il est, le parti ouvrier belge possède cinq journaux quotidiens, savoir : « Le Peuple », « L'Echo du Peuple », « Le Journal de Charleroi », « L'Avenir du Borinage », « Vooruit », qui publie également une édition spéciale pour Anvers, intitulée « De Werker. »
Les fédérations d'arrondissement possèdent en outre des journaux hebdomadaires :
A Bruxelles, « De Gazet van Brussel » ;
A Verviers, « Le Travail » ;
A Louvain, « De Volkswil » (La Volonté du peuple) ;
A Ath-Tournai, « L'Égalité » ;
A Mouscron, « Le Réveil de Mouscron » ;
A Thuin, « L' Eclaireur socialiste » ;
A Alost, « Recht en Vrijheid » (Droit et Liberté) ;
A Namur, « En avant ! » publié à Auvelais ;
A Huy-Waremme, « Le Travailleur » ;
A Soignies, « Le Clairon » ;
A Courtrai, « Het Volksrecht » (Le Droit du peuple) ;
A Haut-Fays, « Le Réveil du Luxembourg ;
A Liége, « Le Combat » et « La Tribune » ;
A Gand, « Waarheid » (La Vérité) ; « De Toekomst » (L'Avenir), « De Stem der Vrouw » (La Voix de la Femme), etc., etc.
(page 652) Les journaux quotidiens seuls ont un tirage de plus de 120,000 numéros par jour.
C’est un joli chiffre, sans doute, mais si l'on songe que les candidats socialistes, dans les élections législatives, recueillent plus de 500,000 suffrages, ce qui représente bien de 350 400,000 électeurs, on est obligé de reconnaitre qu'un électeur socialiste seulement sur trois lit chaque jour un journal de son parti.
Pour l'arrondissement de Bruxelles, la situation est plus défavorable encore : le Parti ouvrier recueille 60,000 voix aux élections et les journaux quotidiens du Parti ne s'y vendent qu'à 5,000 ou 6,000 exemplaires
La propagande par la brochure fut toujours reconnue comme meilleure encore que celle faite par le journal, surtout en ce qui concerne la diffusion des principes.
De 1830 à 1880, le nombre des brochures de propagande socialiste publiées dans ce long espace d'un demi-siècle, fut des plus restreint : une par an, peut-être
En 1886, après la fondation du Parti ouvrier, et sous le patronage de celui-ci, on publia une « Bibliothèque populaire », 25 centimes le volume de 150 à 200 pages. P
arurent dans cette collection les volumes suivants :
Anseele, Ed. - Sacrifié pour le Peuple (3 vol.) ;
Arnould, V. - L'Évolution sociale en Belgique ; Le Programme radical ;
Bertrand, L. - Le Parti ouvrier et son Programme ; La Belgique en 1886 (2 vol.) ;
Béru, C. - Le Revers d'une médaille ;
Castiau, A. - Lettres démocratiques ;
Degreef, G. - L'ouvrière dentellière en Belgique ;
Enne, Francis. - L'Abbé Dellacollonge (2 vol.) ;
Heusy, P. - Un coin de de Misère ;
Lafargue, P. - Le Droit à la paresse. La Religion du Capital.
(page 653) Percameni, H. - Le Vicaire de Noirval:
Picard Ed. - Mon Oncle le Jurisconsulte,
Schaffle A.-E. - Quintessence du Socialisme ;
Chirac Aug. - La Vénalite dans le journalisme.
L’éditeur de cette Bibliothèque populaire dut malheureusement cesser cette publication, parce qu'il ne faisait pas ses frais. T
Quelque temps après, le journal « Le Peuple » commença la publication d'une série de brochures à 5 centimes, écrites par Destrée, Denis, Grimard, Meysmans, Hardyns, Vandervelde.
Puis on publia la collection de brochures de propagande éditées à Gand, et qui depuis 1904 en fait paraître au moins dix-huit par an, de 16 à 120 pages. L'abonnement annuel ne coûte qu'un franc. Dès la première année, « Germinal » eut 3,000 abonnés; elle en avait plus de 15,000 au début de 1907. Ce progrès est dû à ce qu'un certain nombre de groupes socialistes souscrivent un abonnement pour chacun de leurs membres. Ces brochures sont publiées également en flamand, par l’imprimerie coopérative, Volksdrukkerij.
Il y a là, on le voit, comparativement au passé, un progrès
Mais c'est surtout à la veille des élections que le Parti ouvrier lance des brochures de 8 à 16 pages, tirées chacune à plusieurs centaines de mille exemplaires, brochures dont les uns sont d'ordre général et dont les autres s'adressent à des catégories spéciales d'électeurs.
Voici d'ailleurs quelques titres de ces brochures :
« Les Projets de lois déposés par les socialistes » ;
« Leurs Bilans rouges. Une Œuvre de faussaire » ;
« Les Vols sur les betteraves et les sucres » ;
« Le Parti ouvrier à la petite bourgeoisie » ;
« L’abbé Daens. Aux ouvriers catholiques » ;
« Les Impôts. Un Budget démocratique » ;
« Electeurs provinciaux » ;
« Aux nouveaux Electeurs » ;
(page 654) « Le Bilan noir » :
« Aux ouvriers et employés de l’Etat » ;
« Les pensions ouvrières » ;
« La Liberté par le Collectivisme » :
« Aux Electeurs communaux » ;
« Le Danger Congolais. 1900 est là ! »
« Religion, propriété, famille » ;
« Un mot à Tous » ;
« La Liberté de conscience et le Parti ouvrier » ;
« Aux ouvriers métallurgistes » ;
« La Question flamande » ;
« Aux ouvriers du bâtiment » ; etc., etc.
Jules Destrée, député socialiste de Charleroi, a fait une campagne en faveur de la création de bibliothèques dans tous les locaux de sociétés ouvrières, ligues, coopératives, syndicats, mutualités. Il a indiqué quels devaient être les livres principaux dont il fallait recommander la lecture (Jules DESTREE, « Bibliothèque ouvrière », brochure à 10 centimes, 35, rue des Sables.)
et il est parvenu ainsi, en subsidiant personnellement une série de groupes, à fonder un certain nombre de bibliothèques et à engager d'autres associations à faire de même.
Dans le but d'instruire les travailleurs, de leur faire connaître les principes socialistes, de leur inculquer des idées générales sur les problèmes politiques, économiques et sociaux principalement, des conférences sont organisées au sein des associations ouvrières.
Il a été fondé aussi des « Universités populaires » ainsi que des groupes d'« Extensions universitaires ».
Des sections dramatiques, de leur côté, s'occupent de l'organisation de soirées, de concerts, de représentions théâtrales. Il en existe plusieurs à Bruxelles et en province. Une section d'art fonctionne à Bruxelles, à la Maison du peuple, et depuis plusieurs (page 655) années organise, chaque hiver, des soirées de musique et des conférences très suivies, mais par un public spécial, où les ouvriers sont malheureusement en minorité. La Section d’art a pour secrétaires la citoyenne Lalla Vandervelde et Paul Deutscher.
Faut-il parler des sociétés de musiques, harmonies et fanfares, très nombreuses dans le Parti ouvrier et dont plusieurs, celles de la « Maison du Peuple » de Bruxelles, du « Vooruit » de Gand, du « Progrès » de Jolimont, ont une grande renommée artistique, méritée du reste !
Nous pouvons dire, en terminant ce chapitre, qu'un grand effort a été fait, c'est incontestable, depuis vingt ans, pour instruire, divertir et moraliser le prolétariat belge. Mais il y a, dans ce domaine, de grands obstacles à vaincre. Le premier c'est le manque d'instruction ; les enfants de la classe ouvrière quittent l'école beaucoup trop tôt, vers l'âge de 12 ans en général, et ils oublient souvent, dans la suite, le peu qu'ils ont appris. Le second, et c'est le principal, c'est la longue durée du travail journalier.
Un trop grand nombre d'ouvriers sont retenus à l'atelier onze et douze heures par jour. Le soir, ils sont fatigués et n'ont guère les dispositions nécessaires pour assister à des cours, à des conférences ou pour lire un ouvrage sérieux. Bien heureux déjà ceux qui lisent régulièrement leur journal et, de temps en temps, une brochure !
Malgré tout, cependant, il y a progrès au point de vue intellectuel. Ce progrès est visible, incontestable, si l'on regarde ce qui existait il y a quelque trente années, et si l'on (page 656) compare les lettres écrites aujourd’hui par les secrétaires des syndicats, des mutualités et autres groupes, les procès-verbaux de séances rédigés par eux avec les lettres et les procès-verbaux d’il y a vingt ou trente ans.