La réforme électorale à la Chambre en 1881 - Intransigeance doctrinaire - Ligue de la réforme électorale - L'Union démocratique - Son programme - Lutte entre radicaux et doctrinaires - La Sentinelle - Renouveau à Liége - Polémique de presse entre la Sentinelle et le Toekomst - La loi électorale de 1883 - Constitution de Ligues ouvrières - Encore les candidatures ouvrières - La Voix de l'Ouvrier - Manifestation républicaine - Un manifeste saisi - Perquisitions - Les sans travail.- Congrès ouvriers en 1885 à Bruxelles et à Anvers - Fondation du Parti ouvrier belge - Fondation du Peuple.
(page 348) A la suite de la disparition de « La Voix de l'Ouvrier », il y eut un certain découragement et quelques mois d'inaction dans la famille socialiste belge. Mais, par contre, le mouvement pour la réforme électorale s'accentua et du peuple et de la rue, il gagna bientôt les associations politiques et les Chambres. Un grand nombre d'associations libérales se prononcèrent en faveur d'une réforme électorale. De leur côté, les ouvriers organisèrent à Bruxelles, Gand, Anvers, Liége, etc., des manifestations locales qui réunirent des milliers d'adhérents.
Le 1er juillet 1881, à la Chambre, à l'occasion d'une nouvelle loi électorale devant encore, sous prétexte de suppression de fraudes, réduire le nombre des électeurs, M. Paul Janson recommença une campagne, dans le but d'obtenir du gouvernement la promesse de faire une réforme.
« Je ne demande au gouvernement qu'une seule chose, disait M. Janson, dans ce discours du e du 1er juillet, chose essentielle, nécessaire, suivant moi, dans l’intérêt même du parti libéral : c'est qu'il nous dise que l'instruction, abstraction faite du cens est un titre suffisant à l'exercice du droit électoral pour la commune et la province et qu'il entend réaliser ce principe ; et je me refuse à croire que, sur ce point-là. le gouvernement ne fasse pas la déclaration que je demande ; s'il refuse, le pays appréciera.
Après s'être fait bien humble, M. Janson releva cependant la tête et termina son discours par cette menace :
« Avant de donner mon vote au gouvernement pour (page 350) améliorer un système que ma raison et ma conscience condamnent, qu'il dise au pays s'il entend s'enfermer dans une intransigeance absolue, s'il prétend que les Belges instruits, sauf à déterminer le degré d'instruction, sont indignes d'exercer le droit électoral. Et s'il déclare qu'il n'adhère pas à l'idée d'une pareille réforme, s'il se refuse la faire sienne, dans la mesure que j'ai déterminée, ce cabinet n’aura pas mon vote. »
M. Graux, ministre des finances et ancien rédacteur de la « Liberté » lui répondit, disant qu'il était lui, et depuis longtemps, partisan d'une large extension du droit de suffrage, mais que le cabinet ne s'était pas constitué sur cette question.
Après une intervention de Léon Defuisseanx réclamant le suffrage universel pur et simple, M. Janson reprit la parole dans la du 8 juillet.
Rappelant son premier discours, l'éloquent député de Bruxelles s'écria :
« Je me suis adressé votre raison et votre cœur. Jusqu'ici votre cœur n'a pas encore répondu, et votre raison ne m'a pas déduit les motifs devant lesquels la mienne devrait s'incliner. » Puis aussi : « Eh quoi lorsque nous aurons formé des citoyens instruits, nous commettrions cette incroyable inconséquence et cette faute incompréhensible de les exclure du corps électoral ? Est-ce là ce que vous voulez ? Pourquoi chercher à répandre l'instruction dans le pays et y consacrer toutes les ressources que nous avons votées et que nous voterons encore, si ces mesures doivent rester stériles au point de vue de l'avènement de nouveaux citoyens à l'exercice des droits politiques I Défendez votre système censitaire, mettez à son service toutes les ressources de votre habilité, de votre éloquence, rien n'y fera il périra, parce qu'il est basé sur l'iniquité et l'injustice, et que l'iniquité et l'injustice sont fatalement condamnés à périr... Nous avons, nous, cette conviction profonde, qu'un parti meurt par l'inertie, la torpeur, et que c'est le sauver que de l'entraîner dans les voies d'une politique féconde, large et généreuse. »
M. Frere-Orban parla trois jours après. Il déclara ne vouloir prendre aucun engagement d'examiner ni de présenter, dans la session suivante, un système électoral basé sur la capacité. (page 351) Après avoir dit que M. Janson était intraitable sur ce point, M. Frère dit « qu'il n'aurait du cabinet, ni cet acte de foi et d’hommage, ni cet engagement. »
M. Janson répondit le lendemain au chef du cabinet : « Nous avons écouté avec une attention soutenue, dit-il, le discours de l'honorable ministre, nous l'avons lu, pesé, examiné, et nous sommes arrivés cette conviction, qu'en présence du langage qui a été tenu dans la séance d'hier, notre opposition n'a plus de raison d'être... L'honorable chef du cabinet nous a dit, et c'est ce langage qui nous a convaincus, qu'il n'y a pas de non possumus, qu'il n'y a pas de non volumus, et qu'il y a lieu de délibérer. N'est-ce pas un hommage rendu par lui-même à l'importance, à la gravité de la question que nous avons eu l'honneur de soulever dans cette enceinte. Il y a lieu de délibérer, nous avons entendu ces paroles, le pays les retiendra... Puisque le gouvernement nous dit qu'il va prendre la question en main, qu'il en délibérera, il parviendra certainement à nous apporter une solution qui écartera toute éventualité d'un dissentiment ultérieur. »
Mais M. Frère n'admettait pas ce commentaire de son discours car il s'écria, dans une interruption :
« Non, non, j'ai dit que nous délibérerions sur le projet que présenter la section centrale. Et il accentua, en ajoutant dans la même séance : Je n'ai pas dit que le gouvernement prendrait en main la question de la réforme électorale. Le gouvernement ne prend pas cette question en main. Le gouvernement ne s'est pas engage et ne saurait s'engager. Il persiste à déclarer qu’il ne saurait s’engager à apporter à la Chambre une proposition de loi basée sur la capacité. »
Au lieu de se récrier et d'exécuter sa menace de ne plus soutenir le gouvernement, M. Janson ne répliqua plus et capitula. Léon Defuisseaux, dégoûté et désillusionné, donna sa démission.
(page 352) On apprécia sévèrement l'attitude du chef de l'extrême gauche de 1881, attitude qui. d'ailleurs, paraissait incompréhensible.
On en connaît aujourd'hui les causes. Les députés progressistes qui suivaient M. Janson étaient au nombre de huit. Ils furent vivement blâmés par les ministres et leurs collègues de la gauche. D’autre part. la presse libérale tout entière les accusa de trahison, les déclara responsables du désastre qu'ils provoquaient : la chute du cabinet libéral.
Effrayés. la plupart de ces messieurs renoncèrent leur attitude. Dans une réunion qu'ils tinrent avant la séance du 12 juillet, on leur demanda l'engagement de ne pas faire connaitre leur défaillance, espérant encore que M. Frère prendrait l'engagement de présenter une réforme plus tard. Il n'en fit rien, fut plus intraitable que jamais, comme on vient de le voir, soit qu'il restait inébranlable, soit qu'il eut eu connaissance de la reculade des députés progressistes.
Malgré cet échec et malgré le peu d'encouragement donné par le gouvernement aux partisans d'une réforme électorale, il se constitua une « Ligue nationale pour la réforme électorale. » De nombreuses sections furent constituées en province.
La question de la réforme était une question d'intérêt national, au dessus des questions de parti. Les promoteurs de la Ligue nationale ne l'entendaient point ainsi, puisque dans leur manifeste inaugural ils déclarèrent : « n'attendre de concours que de ceux qui, d’accord pour combattre le parti clérical, tenaient pour légitime et nécessaire une large extension du droit de suffrage »
C'était donc une ligue libérale et le cabinet de cette opinion, qui occupait le pouvoir, déclarait ne pas vouloir d'une réforme, basée sur la capacité !
La section bruxelloise de la Ligue nationale de la réforme électorale plus large cependant et elle fit appel à tous les partisans de la révision de l’article 47 de la Constitution.
Les statuts de cette section prescrivaient comme seules conditions d'admission, l'adhésion au principe de la révision (page 352) constitutionnelle et le payement annuel d'une contribution volontaire.
Son comité, constitué en juillet 1882, se composait des personnes dont les noms suivent :
Pierre Splingard, conseiller provincial, président ;
Ernest Reisse, conseiller provincial, vice-président ;
Louis Ficher, secrétaire ;
Louis Mettewie, secrétaire-adjoint ;
Eugène Brûlé, trésorier ;
Henri Bertiaux, trésorier-adjoint ;
Léon Pilloy, conseiller provincial et communal, membre.
César De Paepe, docteur en médecine, membre.
Wets, délégué de l'Association générale ouvrière, membre.
Pierre de Landtsheer, délégué du Cercle des collecteurs du Denier des Écoles.
Désiré Brismée et Eugène Steens, délégués du Cercle des Soirées populaires rationalistes.
Orgels, délégué de la Société Philanthropique des ouvriers chapeliers.
Clément Philippe et Léon Warnots, délégués de la Jeune Garde libérale.
Georges Tiberghien, délégué du Cercle Le progrès.
Destrée, délégué du Cercle des Etudiants progressistes.
Jacques, délégué de la Jeune Garde des Ecoles communales.
Le mouvement pour le suffrage universel, œuvre du Parti socialiste de 1879 à 1882, et la propagande faite par les Ligues pour la réforme électorale, aboutirent finalement, au mois d'août 1883, au vote de la loi dite de capacitaires qui ne fit qu'une place minuscule à la classe ouvrière dans le corps électoral communal et provincial.
Il avait suffi d'ailleurs de mettre en discussion le régime électoral existant pour créer dans le pays une certaine effervescence démocratique.
On avait regretté l'entrée dans les associations libérales des anciens rédacteurs socialistes de la « Liberté » : Arnould, Robert et (page 354) Janson. Les résistances du ministère Frère-Bara aux propositions modérées de gauche mécontentèrent fortement les démocrates qui, à la suite de M. Janson et de ses amis, étaient entrés dans les associations libérales. On tenta alors de fonder à Bruxelles un organisme politique qui, avec un programme minimum de réformes, aurait pu grouper la classe ouvrière et les éléments généreux de la bourgeoisie. C'est dans ce but qu'un comité provisoire fut fomé pour constituer l'« Union démocratique », vers le milieu de l'année 1882.
Ce comité provisoire était composé de L. Bertrand Ch. De Buygher, Ch. Delfosse, C. De Paepe, G. De Greef, G. Lorand, Michaux. A. Van Caubergh et L. Verrycken.
Le manifeste inaugural de ce nouveau groupe constitue un document intéressant pour l'histoire de la démocratie socialiste belge. Les deux extraits qui vont suivre donneront au lecteur line idée exacte de la pensée de ses auteurs :
« Les partis, de même que les idées, ne s'affirment qu'en se distinguant et en se précisant. Les tendances du libéralisme progressif sont évidemment de plus en plus démocratiques, mais faute d'un objectif suffisamment pratique, elles se manifestent trop souvent par une agitation purement politique, dont le radicalisme plutôt oratoire que réel, effraie à certains moments les esprits plus timides et peut-être plus positifs. L'insuffisance du programme libéral, spécialement au point de vue des réformes qui sont la condition de toute démocratie, n'est pas contestable, et, cependant les chefs du libéralisme reconnaissent que le libéralisme doit devenir ou qu'il ne sera pas. D'un autre côté, la domination des associations libérales pèse évidemment au corps électoral qui répugne à s'enrégimenter et à se soumettre à leur discipline étroite ; le corps électoral déjà si restreint a trop rarement l'occasion de manifester ses préférences ; il ne s'enthousiasme guère pour des candidats au choix desquels il n'a point participé. C'est cette insuffisance du programme libéral et l'organisation trop étroite et trop dictatoriale de ses associations, (page 355) qu’il faut attribuer en grande partie à l'indifférence et les défaillances du corps électoral dont les catholiques ont si habilement profité dans ces derniers temps.
« L’Union démocratique croit que les meilleurs moyens de remédier à cette situation sont : 1° de soumettre au public un programme de réformes pratiques susceptibles, par leur ensemble, de rallier aux idées de progrès la grande masse de la nation ; 2° de constituer une société dont le règlement soit assez large pour que ses membres y conservent la plus grande liberté d'action possible et, surtout, pour que tous les citoyens n'y trouvent pas un nouvel obstacle au libre exercice de leurs droits.
« Nous faisons appel à tous ceux qui veulent que la nation belge devienne en réalité ce qu'elle n'est encore que fictivement, une société basée sur des institutions politiques et économiques franchement démocratiques. Les réformes que nous préconisons ne sont pas des idées purement personnelles ; elles expriment les tendances de la démocratie dans tous les pays civilisés, elles sont toutes actuellement ou prochainement réalisables ; elles rattachent l'avenir au passé par une transition naturelle et contiennent, en elles-mêmes, suffisamment de germes de développement ultérieurs, pour donner satisfaction à nos aspirations vers une organisation sociale de plus en plus parfaite.
« Et d'abord, l'Union démocratique, convaincue que les intérêts économiques sont, avec l'enseignement scientifique et professionnel, la base fondamentale de tout ordre social et lui impriment sa forme et sa direction générales, place en tête de son programme les réformes qui intéressent directement l'industrie, l'agriculture et le commerce, et, comme les travailleurs constituent la plus grande masse de la nation, elle se préoccupe avant tout de relever le niveau de leur bien-être matériel et moral. A cette fin, il est nécessaire de faire participer la population ouvrière à la vie collective en groupant ses forces et ses intérêts et en lui donnant une représentation spéciale qui, dans la suite, pourra même être encore plus efficace et plus étendue. L'organisation de chambres syndicales pour les ouvriers de toutes les industries est le point de départ indispensable pour tous les progrès à réaliser ultérieurement, pour l'émancipation de la masse (page 350) la plus considérable de la nation et la plus négligée jusqu'ici, notamment nous ont déjà devancé dans cette voie et leur expérience nous facilitera cette réforme. »
Cette idée fondamentale fut surtout développée par Guillaume De Greef et se ressent en grande partie des principe défendus par la « Liberté. »
Après avoir justifié les réformes inscrites au programme de l’Union démocratique, le manifeste se terminait comme suit :
« Ce programme n'est pas systématiquement hostile à celui du libéralisme progressif, il en comble au contraire une véritable lacune et il en dégage, d'une façon plus précise, les aspirations généreuses.
« Véritable Ligue du Bien Public, notre société ne désespère pas d'absorber en son sein toutes les forces politiques vitales du peuple belge ; son programme est assez vaste pour réunir dans un lien fraternel tontes les écoles et toutes les nuances de la démocratie ; il est assez sage pour rassurer les timides ; il contient enfin suffisamment de germes de progrès ultérieurs, pour donner satisfaction aux plus avancés. Si la génération présente parvenait à réaliser ce programme, ne léguerait-elle pas à celle qui lui succèdera un peu plus de liberté et de bonheur ? Cela étant, et puisque ce programme ainsi défini est réalisable, quel est l'homme de cœur qui voudrait, par indifférence ou esprit de système, refuser d'aider à sa réalisation en s'affiliant à l'Union démocratique, dont le but est d'assurer à la généralité les bienfaits de réformes dont chacun doit reconnaitre l'opportunité et la justice ? »
Quant au programme de l' Union démocratique, le voici enentier :
Organisation de Chambres Syndicales ;
Réforme des Conseils de prud'hommes ;
Suppression de l'article 1781 du code civil et des livrets d'ouvriers ;
Création de Bourses du Travail et de bureaux de Statistique ;
Limitation des heures de travail et règlementation du travail des femmes et des enfants ;
Réorganisation des caisses de prévoyance ;
Organisation de l'enseignement professionnel et scientifique;
(page 357) Crédit agricole;
Règlementation plus équitable des rapports existants entre le propriétaire, le fermier et le journalier ;
Réforme du Crédit commercial et de la Banque Nationale ;
Impôt progressif sur le revenu ;
Egalité et réduction des charges militaires ;
Organisation du Crédit immobilier ;
Réforme du Notariat ;
Reprise des chemins de fer, des canaux et des tramways;
non aliénation des biens nationaux et communaux ;
Séparation absolue des Eglises de l'Etat ; leur contrôle rigoureux par ce dernier ;
Enseignement primaire et moyen, laïque, gratuit et obligatoire ;
Transformation de la bienfaisance publique en assurances par l'Etat et les communes ;
Révision de la législation pénaie en rapport avec les données de la science ;
Réforme de la magistrature dans le sens du concours et de l'élection et de sa limitation aux questions qui concernent particulièretnent l'état des personnes ;
Organisation du suffrage universel ;
Révision de l'article 47 de la Constitution ;
Extension des libertés communales et substitution du fédéralisme à la centralisation ;
Abolition de tous les privilèges de naissance ;
Suppression de tous les rouages politiques inutiles ;
Abolition de la loi sur les étrangers;
Liberté absolue de la presse.
Malgré une active propagande l' Union démocratique n'eut guère de succès. Cette société avait pour but non seulement la propagande des idées, mais encore la participation aux luttes électorares, et en vertu de l'article 18 de ses statuts, les membres étaient engagés d'honneur de soutenir les candidats choisis par elle.
Or, à ce moment, un grand nombre de démocrates étaient entrés à l'Association libérale de Bruxelles, afin d'y soutenir la (page 358) lutte engagée par MM. Janson, E. Feron, V. Arnould, E. Robert et d'autres contre le doctrinarisme, et ces démocrates étaient engagés, comme membres de cette association, à soutenir les candidats désignés par elle. De là impossibilité pour eux de faire partie de l'Union démocratique qui, cependant, répondait mieux à leurs aspirations.
Le 30 avril 1883, l' Union démocratique fit place à l' Union Progressiste et démocratique, avec Charles Delfosse comme secrétaire.
Quelques mois plus tard, Pierre Desguin, ingénieur, fonda l'Association progressiste. L' Union Progressiste et démocratique fusionna avec cette dernière, puis on n'en entendit plus parler.
Les élections législatives du mois de juin 1884 approchaient et la lutte s'engageait avec âpreté à l'Association libérale de Bruxelles entre doctrinaires et radicaux et c'est pour défendre ceux-ci que des centaines de socialistes entrèrent alors à l'Association libérale, même Laurent Verrycken, qui avait cependant conservé quelques idées anarchistes
On sait ce qui arriva aux élections de 1884 dans lesquelles triomphèrent les cléricaux-indépendants, mettant les libéraux en minorité à la Chambre.
Toute cette agitation politico-démocratique se fit en dehors du Parti socialiste, bien que la plupart des membres en vue de ce parti, à Bruxelles, y participèrent activement.
Pendant ce temps, le Parti socialiste continuait à s'organiser avec peine, La disparition de « La Voix de l’Ouvrier », seul organe de langue française du parti, devait rendre plus difficile la propagande. Mais, dès le 8 janvier 1882, les socialistes de Verviers firent paraître un organebi-mensuel, « La Sentinelle », auquel collaborèrent les anciens rédacteurs de « La Voix de l’Ouvrier », ainsi que Ch. Delfosse et Ern. Chauvière, qui venait de rentrer à Paris.
Au mois d'avril, l'Association des Tisserands, de Gand, (page 359) fondée en 1857, fêta le 25ème anniversaire de sa fondation. Anseele prononça, à cette occasion, un de ces discours à l'emporte-pièce. plein de foi et d'enthousiasme, dans lequel il prophétisa notamment :
« ... II y a vingt-cinq ans, les ouvriers luttaient pour avoir quelques centimes d'augmentation de salaire... Dans vingt-cinq nous verrons des ouvriers siéger à l'hôtel-de-ville et c'est dans ce monument que nous fêterons le 50ème anniversaire de notre fondation et le triomphe des exploités... »
Au Congrès annuel du Parti socialiste, qui se tint les 27 et 28 mai 1882, à Verviers, on s'occupa principalement de questions d’ordre intérieur et administratif, de la propagande par la presse et du mouvement pour la conquête du suffrage universel. Un délégué ayant proposé d'accepter l'affiliation au Parti socialiste des ligues de la réforme électorale, une vive discussion surgit à ce sujet et, finalement, devant l'hostilité de la grande majorité des membres du Congrès, ce délégué retira sa proposition.
La ville de Liége et ses environs, qui forment cependant un vaste centre industriel, ne comptaient presque pas dans le mouvement socialiste de 1881-1882.
Quelques socialistes, L. Roman, Remy fils, Wagener, Kervyser et Ruffin, prirent alors l'initiative de fonder le « Cercle des Va-nu-pieds ». Celui-ci décida d'organiser, à Liége, une grande manifestation socialiste sur la tombe du poète démocrate liégeois, Joseph Demoulin, et sur celle du jeune socialiste gantois, Emile M.vson, enterrés tous deux au cimetière de Robermont. Cette manifestation eut lieu en septembre 1882 et fut suivie d'un grand meeting et d'une fête populaire dans la grande salle de la Renommée, rue Saint-Léonard.
Vollmar, député socialiste allemand, vint à Liége à cette occasion et parla au meeting qui réunit plus de 2,000 auditeurs.
Des ce moment, le mouvement socialiste sembla reprendre à Liége et le Conseil général du Parti socialiste, qui siégeait à Gand, décida de tenir, dans la ville wallonne, le Congrès annuel du Parti les 13 et 14 mai 1883, au « Café des Quatre Nations. »
(page 360 A ce Congrès furent représentés les organisations ouvrières de Gand, Verviers, Liége, Bruxelles, Anvers, Ensival, Mais Bruxelles et Anvers ne comptaient chacune qu'un seul groupe représenté : la section socialiste, bien qu'il existât dans ces deux villes des associations de métiers ou syndicats.
La principale question figurant à l'ordre du jour du congres était ainsi libellée :
« Quels sont moyens de faire un parti fort et bien organisé, de toutes les associations ouvrières qui partagent nos idées ? »
Un débat fort long eut lien à cet effet, mais sans aboutir à aucune solution pratique : les délégués se montrèrent trop intransigeants sur les principes et se plurent à mettre principalement en évidence ce qui pouvait diviser plutôt que ce qui constituait des points communs entre les associations existantes.
Mais l'idée de l'Union était posée et elle allait faire son chemin.
En octobre 1883, se réunissaient, Paris, sous le nom de « Conférence internationale », des délégués d'associations ouvrières de France, d'Angleterre, d'Espagne et d'Italie et l'on y avait entendu des délégués français faire l'éloge des Trades-Unions anglaises.
Je pris acte de ce fait et, sous le titre : « Le Parti ouvrier en Belgique », je publiai dans « La Sentinelle » (numéro du 11 novembre 1883) un article dans lequel je recherchai les causes du peu de succès du mouvement socialiste belge auprès des masses.
On promet trop de choses aux travailleurs, disais-je, et on leur fait espérer le bonheur et le bien-être dans un avenir trop rapproche, alors que la réforme la plus modeste exige des efforts considérables. On se plaint du manque de persévérance des ouvriers socialiste, on leur reproche de se fatiguer rapidement et de se décourager fort vite, n'est-ce pas un peu notre faute ?
J'ajoutai : « Tout ceci nous porte à nous demander s'il n'y a rien à faire ? Ne pourrait-on pas essayer, avec un programme minimum, un programme de réformes immédiatement réalisables, comprises et senties par tous, de réunir les ouvriers sur le terrain à la fois politique et économique ?
(page 361) « Il y a en Belgique, un grand nombre de sociétés de secours mutuels. II est vrai que la politique est bannie de leurs discussions. 'nais c'est là une difficulté qu'il est facile d'abattre. Il y a aussi, dans chaque ville, des sociétés ou des tronçons de sociétés de résistance, de métiers. Serait-il si difficile de les réunir, de les fédérer, et d'en créer de nouvelles ?
« Je le sais, c'est une besogne qui réclame beaucoup de (page 362) temps, de tact et de dévouement. On se fatigue vite au métier de propagandiste, quand la plupart du temps on ne reçoit en retour de ses efforts que déboires et désillusions.- Mais on pourrait essayer néanmoins.
« … De plus, le moment est propice pour agir. Car où en sommes-nous actuellement en Belgique ?
« Le parti progressiste se constitue, ses chefs se rendent dans les principaux centres, y tiennent des meetings et font appel aux ouvriers pour la réforme électorale. C'est très bien. Nous pensons aussi que la première choseà faire, c'est de réclamer pour tous l'arme du suffrage. Mais n'est-il pas à craindre que la masse ouvrière ne devienne la proie du parti progressiste ?
« Certes, sur quelques questions, nous sommes d'accord avec ces gens, mais ce n'est là, pour nous, qu'une entrée en matière.
« En effet, après le suffrage universel - et beaucoup de nos bourgeois radicaux ne vont même pas jusque là, - l'instruction obligatoire, la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la réforme militaire, que veulent-ils encore ? Rien que je sache. Mais ces questions sont résolues en Suisse ou à peu près et est-ce que les ouvriers en sont beaucoup plus heureux pour cela ? »
Voici la fin de cet article :
« Prenons donc garde et voyons s'il n'y pas moyen d'arriver à créer ici un vaste parti ouvrier, avec uh programme minimum auquel viendrait s'ajouter, au fur et à mesure où le besoin s'en ferait sentir, d'autres réformes plus profondes, plus radicales.
« Qu'on n'oublie pas que les Trades- Unions ont débuté modestement en réclamant de modestes réformes et qu'aujourd'hui elles demandent la nationalisation du sol, autrement dit, la propriété collective. »
Une polémique surgit au sujet de cet article. L'organe socialiste gantois, « de Toekomst » déclara qu'il n'était pas possible de changer le programme du Parti socialiste qui était un minimum, Je répliquai dans « La Sentinelle » du 25 novembre et déclarai que jamais il n'avait été question de renier ni notre programme ni nos tendances Ch. Delfosse prit part à son tour à cette polémique, (page 363) critiqua ma manière de voir, combattit le système coopératif dont j’avais pris la défense. Tout cela, il est vrai, était quelque peu risqué de la part du secrétaire de l' Union progressiste et démocratique...
Le vote de la loi électorale communale et provinciale permit à quelques milliers d'ouvriers de devenir électeurs, en passant l’examen électoral prescrit. On vit alors se constituer, dans les communes de l'agglomération bruxelloise, des ligues ouvrières.
La première en date fut la « Ligue ouvrière » progressiste de Schaerbeek, ayant comme principal fondateur un ouvrier typographe, Joseph Maheu. Puis vint la « Ligue des ouvriers de l’Ameublement pour la réforme électorale ». Le premier document de cette ligue porte les signatures de A. Goens, F. Renard, F. Landeghem, P. Dekettelaer, G. Vancuyck, L. Devos, E. Tiellens, H. Gerards, M. Malfei, la plupart ouvriers ébénistes, sculpteurs, etc. Leur local était établi « Au Cygne », Grand'PIace.
Les ouvriers typographes, de leur coté, ayant leur tête Antoine Delporte, Jean Dumont, Alph. Wormhout et d'autres, fondèrent des cercles politiques sous le nom de « Ligue en Avant ! » à Bruxelles, Liége, Verviers, etc.
D’autres « Ligues ouvrières » furent constituées à Saint-Gilles, Etterbeek, Ixelles, Laeken, Saint-Josse, Molenbeek, et, en vue des élections communales de 1884, on discuta les moyens à employer pour assurer une représentation ouvrière dans les conseils communaux.
Au Congrès annuel du Parti socialiste, tenu à Bruxelles les 13 et 14 avril 1884, on discuta l'attitude à prendre aux élections législatives de cette année. Le Parti décida, malgré le régime censitaire qui excluait les ouvriers du corps électoral, de présenter des candidats partout ou c'était possible.
Les gantois proposèrent un ordre du jour interdisant aux socialistes, sous peine d'exclusion, de figurer sur une liste bourgeoise. Cette proposition fut rejetée par 9 voix contre 7. Finalement, on se mit d'accord sur la solution que voici : un socialiste était autorisé figurer sur une liste d'un autre parti, mais à (page 364) condition d'accepter le programme socialiste, le mandat impératif de le défendre et le dépôt de sa démission en blanc, entre les mains du secrétaire du groupe dont il faisait partie.
Aux élections provinciales du 25 mai 1884, les socialiste bruxellois présentèrent aux suffrages des électeurs les candidatures de César De Paepe, Charles Delfosse et Désiré Vandendorpe.
Le mois suivant, De Paepe, Picard et Van Caubergh furent candidats du suffrage universel aux élections législatives et ils réunirent à peine 600 voix sur 18,000 suffrages émis !
Au mois d'avril, « La Voie de l’Ouvrier » fit sa réapparition et s'intitula : « Orgne du Parti socialiste et des Ligues ouvrières. »
De son article-programme, citons les passages essentiels :
« Nous ressuscitons aujourd'hui le journal qui disparut il y a deux ans. Comme nous le disions alors, nous succombions parce que beaucoup des nôtres étaient découragés et que d'autres fondaient beaucoup d'espoir sur l'action parlementaire de la Jeune Gauche. Celle-ci vient de succomber, après avoir lutté pour obtenir quelques réformes. La bourgeoisie censitaire vient de nouveau de faire sentir sa puissance et son aveuglement.
« ...Nous voulons, avant tout, l'amélioration du sort des ouvriers, des salariés de toute condition.
« Les partis bourgeois, libéraux ou catholiques, ne veulent et ne peuvent vouloir une solution de ce problème. Au point de vue économique, et même au point de vue politique, deux partis qui, tour à tour, se partagent le pouvoir, sont d'accord, à quelques exceptions près, pour conserver les privilèges politiques et économiques qu'ils se sont octroyés. Il n'y a donc rien à attendre de ce côté, et les ouvriers, s'ils veulent réussir, ne doivent compter que sur eux-mêmes.
« Nous pensons que le régime du salariat, la division entre patrons et ouvriers, en capitalistes et en travailleurs, conséquence des régimes antérieurs, doit disparaître...
« C'est pour cette raison que nous sommes socialistes.
« Notre socialisme, cependant, s'inspirant des données de la science et de la marche des faits économiques, sera naturellement évolutionniste, transformiste , progressif.
(page 365) « ... N'étant pas des sectaires, nous ne serons pas exclusifs.
« Tout en tenant haut et ferme le drapeau de la démocratie socialiste, nous accepterons le concours des groupes ouvriers qui ne sont pas en complète communion d'idées avec nous. »
Quinze Jours après, on constituait, à Bruxelles, la « Fédération des ligues ouvrières et des sociétés démocratiques. »
A la fin du mois de septembre, une assez vive agitation se produisit. Elle était dirigée contre le gouvernement clérical qui venait de faire voter une nouvelle loi scolaire, et contre le roi qui avait promulgué cette loi. Des manifestations anticléricales parcoururent Bruxelles et bientôt elles eurent un caractère républicain, antidynastique. « Le National belge », sous la direction de Jules Wilmart, fit une violente campagne contre Léopold Il. Une « Ligue républicaine » fut constituée avec les frères Léon et AIfred Defuisseaux.
Un manifeste républicain fut imprimé le 23 septembre et distribué le lendemain. Ce manifeste, dont voici le texte, fut saisi par la police :
« Au peuple belge !
« En 1830, la nation belge, fatiguée du joug qu'un roi faisait peser sur elle, se révoltait en masse et conquérait son indépendance. Après cinquante-quatre années du régime actuel, la Belgique n'a pas réalisé un seul progrès, n'a pas fait un seul pas en avant, elle est restée à l'arrière-garde de tous les pays d' Europe.
« L'immense majorité des Belges est indignement privée du droit électoral.
« Une infime minorité gouverne et exploite le pays.
« Le pouvoir est entre les mains de quelques familles, qui le considèrent comme leur patrimoine.
« L'Eglise étend lentement et sûrement sa domination sur notre patrie.
« L'enseignement public vient d'être livré au clergé.
« Des ignorants sans diplôme, viennent prendre la place des instituteurs laïques.
« La monarchie s'est faite la complice du prêtre.
(page 366) Elle a prêté son appui à la destruction de notre enseignement public.
« L'heure est venue pour tous les citoyens de se grouper autour du drapeau républicain.
« Nous ne voulons plus d'une institution qui permette à un homme, fonctionnaire irresponsable, inféodé aux idées aristocratiques du passé, de faire la loi au pays.
« Nous ne voulons plus d'une Cour où nos aspirations les plus légitimes, nos droits les plus sacrés sont journellement méprisés, bafoués.
« Le suffrage universel et la République peuvent seuls étouffer la guerre civile et rendre à la Belgique la paix et la liberté.
« Vive la République «
Pour la ligue républicaine : Léon Defuisseaux, C. De Paepe, Ch. Delfosse, L. Verrycken, Ad. Vancaubergh, J. Wilmart, J. Volders, Eug. Steens, H. Neefs, G. Defnet, Alph. Wormhout, H. Devadder, Fr. Renard, J. Engels, Pauwels, P. Bollen, N. Rouffar, A, Leger, J. Delfosse, E. Manpaey, E. Tielens, P. Derover, J.E. Bossiers, A. Rochette, Ph. Wyckaert, Ed. Leborne, G. Vanbellinghen, J. Goris, E. Crèvecœur, A. Huygens, C. Standaert, L. Bertrand, Ed. Maheu, A. Verel, A. Wéry, R. Van Loo, J..B. Castille, J.-P. Maheu, A. Defuisseaux, G. Seron, J. Lelcourt, J. Romanus, L. De Vogelaere, A. Heetezonne, Ch. Dubois, F. Mazzoccki, M. Germay, L. Vanderzypen, L. Britsiers, A. Ouateau, J. Vleminckx, L. Maubec, J. Degreef, Ch. Schiller, F. Herlin, Grégoire H. De Boeck, J. Willot, Nys, J. Piette, Ch. Putmans, J. Gillis, A. Bernard, E. Gollin, J. Michiels, Stevens, F. Paniels, Du Gaucquier, J. Faniels, A. De Doncker, F. Peter, J. Becker, F. Vanden Brande, J. Gerrebos, P. Vanderstraeten, O. Pigière, A. Declerq.
« Bruxelles, le 23 septembre 1884. »
Le parquet crut un instant ou fit semblant de croire qu'un complot se tramait contre la sûreté de I'Etat et pour établir la république.
Des perquisitions eurent lieu chez G. Marchi, directeur du « National bemge », De Paepe, Delfosse, Volders, Wilmart, rédacteur du « National », Ed. Maheu, imprimeur, L. Bertrand, etc.
Léon Defuisseaux qui habitait Paris à cette époque, était descendu depuis quelques jours au Grand Hôtel à Bruxelles et le parquet s'y rendit pour fouiller ses bagages.
Ce fut le juge de Hulst qui fut chargé d'instruire cette affaire, qu'on avait baptisé « le complot républicain ». Tour à tour Wilmart, Delfosse, De Paepe, Bertrand, Volders, Defnet, Maheu et d'antres furent appelés et questionnés, mais tous refusèrent de répondre, disant qu'ils ne le feraient que devant la Cour d'assises.
Cette affaire n'eut pas d'autre suite.
Le mois suivant, des élections communales eurent lieu, pour la première fois, sous le nouveau régime électoral.
Les Ligues ouvrières obtinrent des associations libérales des faubourgs, de voir figurer sur leurs listes un ou deux candidats ouvriers. Mais les libéraux exigeaient que les candidatures des ouvriers fussent soumises à leurs polls respectifs. Les Ligues ouvrières refusèrent et déclarèrent vouloir être seules à désigner les candidats chargés de défendre les intérêts de la classe ouvrière, dans les conseils communaux.
C'est dans ces conditions que les ouvriers entrèrent comme représentants de leurs camarades dans les hôtels de villes. A Schaerbeek, ce fut un ouvrier tapissier, Ajoux dit Maltès, qui fut choisi ; à Saint-Josse, F. Sas, sculpteur et Vander Steen, typographe ; à Cureghem, un ouvrier mécanicien, Beckaert ; à Etterbeek, un bijoutier, Litz ; à Saint-Gilles, un typographe, Soemer ; à Ixelles, un bijoutier, Derauw ; à Molenbeek, Nicolas Doyen, métallurgiste.
A Bruxelles, aucune entente ne put s'établir entre la Ligue ouvrière et l'Association cantonale. La Lieue présenta alors cinq candidats au corps électoral : L. Bertrand, F. Renard, R. Van Loo, J. Volders et A. Wormhout, mais, au dernier (page 368) moment, à la suite de démarches faites par les chefs libéraux, ils se désistèrent, l'élection communale devant surtout avoir un caractère de protestation contre la loi scolaire cléricale. E
n province, les socialistes luttèrent également, mais recueillirent peu de voix : 900 à Gand, 450 Liége, 300 à VerViers et 130 seulement à Anvers.
II y eut cependant quelques incidents curieux à ces élections. C’est ainsi qu'un certain nombre de socialistes furent élus dans les communes industrielles du Hainaut. A Presle, petit village des environs de Charleroi, on assista à ce curieux spectacle : le comte d'Outremont fut mis en ballottage avec un ouvrier houilleur, qui avait obtenu deux voix de plus que lui au premier tour de scrutin !
Nous avons déjà dit que le lendemain des élections communales qui avaient été un succès pour le parti libéral, le roi réclama les portefeuilles aux deux ministres les plus pointus du cabinet, MM. Woeste et Jacobs, ce qui permit aux étudiants de Louvain de manifester leur vif mécontentement en criant : « A bas Cobourg ! Vive la République ! »
L'hiver de 1884-1885 se signala pas une assez forte crise industrielle ; le nombre d'ouvriers sans travail fut relativement considérable.
En un an, l'ensemble des valeurs de Banques cotées à la Bourse, avait subi une baisse de 35 millions de francs et sur les actions de charbonnages, il y avait un déchet de plus de trente millions.
De nombreuses démonstrations d'ouvriers sans travail eurent lieu à Bruxelles. Des meetings furent convoqués par la Fédération bruxelloise et les journaux décidèrent d'ouvrir une souscription à l'effet de venir aide aux chômeurs. La ville intervint à son tour et c'est l' « Association générale ouvrière », d'allure libérale-démocratique, qui fut chargée de la distribution des secours.
C’est dans un de ces meetings de sans travail que l'on entendit Jean Volders parler pour la première fois dans une réunion (page 369) publique. On le vit également en tête des cortèges, réclamant travail et du pain pour les victimes de la crise.
Volders était employé à la Banque Nationale et fut mis en demeure ou de cesser sa propagande ou de donner sa démission. Il s’en alla. Quelques semaines plus tard, Célestin Demblon, instituteur communal à Liége, fut révoqué à son tour par le doctrinaire échevin Magis, pour avoir, dans une assemblée populaire, parlé avec peu de respect de la famille royale.
Un jour, après un grand meeting de sans travail, il fut décidé d’envoyer une délégation auprès du chef du cabinet, M. Beernaert. Celui-ci reçut les délégués ouvriers et leur dit que si les travailleurs souffraient, le capital souffrait aussi, Il leur promit cependant de faire voter de grands travaux par les Chambres...
Les délégués ayant demandé au premier ministre si le projet d’impôt sur le blé, déposé par les députés catholiques de Nivelles avait des chances d'être adopté, M. Beernaert répondit qu'il espérait que non, ajoutant qu'il n'en était pas partisan, quant lui...
Après que le cortège eût passé devant les ministères, il se dirigea vers le Palais du Roi. La foule siffla et de ses rangs sortirent des cris divers, ce qui occasionna une intervention de la police qui procéda à sept arrestations.
Ce mouvement des sans travail dura plusieurs semaines.
Un grand meeting avait été convoqué dans la salle du Naralorama, le 23 février 1885, et on avait annoncé qu'à l'issue de cette réunion, une manifestation serait organisée qui irait en cortège à l'Hôtel de Ville, remettre au bourgmestre une adresse destinée au conseil communal. M. Buls reçut la délégation et promit à Volders, qui parla an nom du meeting, de transmettre sa requête au conseil. C'est la suite de ces manifestations que le bourgmestre de Bruxelles organisa à l'Hôtel de Ville des conférences sur les bourses du travail, avec le concours de M. G. de Molinari, du « Journal des Economistes » de Paris et du citoyen Hector Denis. Les délégués des associations ouvrières furent appelés à discuter le projet d'organisation de la bourse du travail, et ils siégèrent (page 370) entre eux, sans aucune intervention de l'autorité, dans la salle des Mariages du vieux et superbe palais communal.
Au mois de février 1885, une grève éclata au Borinage. Les salaires étaient au plus bas et les houilleurs en réclamaient le relèvement. De grands cortèges de grévistes parcoururent les principales communes du Borinage. Ceux de Cuesmes avaient appris une chanson de circonstance et, sur l'air de : « A bas Maloui » ils chantaient : « Sin liards de pu (bis) - On s' pu pou d'aller au Flénu ! (bis) »
Cette grève dura six semaines, mais sans résultat. C'est la première fois, cependant, que des secours furent distribués aux grévistes les plus pauvres. Les boulangeries coopératives socialistes de Gand, de Bruxelles, d'Anvers et de Verviers envoyèrent des wagons de pains à l'adresse du Comité de la grève, et ce fut un spectacle peu banal que ces distributions de pains aux malheureux affamés de la mine ! Ils reçurent ainsi 33,000 kilogrammes de pain et ces envois, dont Anseele fut le promoteur, eurent une grande influence sur l'esprit de cette malheureuse population laborieuse.
Il nous reste à raconter comment fut constitué le Parti ouvrier belge.
La Ligue ouvrière de Bruxelles était fortement organisée et comptait plusieurs centaines de membres, appartenant à toutes les professions. Dans sa séance du 28 décembre 1884, un ouvrier tailleur, nommé Boone, proposa d'organiser un Congrès ouvrier, auquel seraient invitées toutes les sociétés ouvrières, sans distinction.
L'idée fut acclamée et un comité composé de neuf membres fut chargé de la convocation.
Faisaient partie de cette commission : Louis Bertrand, Bonne, Bosiers, Coenraets, Dewit, Nicolas Doyen, Jos. Maheu, F. Renard et Alph. Wormhout.
Le congres eut lieu Bruxelles, au « Cygne », Grand'Place, les 5 et 6 avril 1885.
Cinquante-neuf associations y étaient représentées par cent délégués. La plupart des groupes appartenant au Parti socialiste avaient répondu à l'appel, mais à d'eux il y avait des délégués des Ligues ouvrières, de la Ligue typographique « En Avant », de Bruxelles, de l’ « Association générale ouvrière » dont Volders était le délégué, de l’« Association Verrière » de Charleroi. représentée par Albert Delwarte et Oscat Falleur,
Le bureau du Congrès fut ainsi constitué : Président. L. Bertrand (Bruxelles); assesseurs, Van Beveren (Gand) et Nevelsteen (Anvers); secrétaires, J. Malien et Wormhout (Bruxelles) ; traducteur, Anseele. Furent encore adjoints au bureau un délégué de Charleroi, un de Verviers, un d'Anvers et un de Gand.
L'unique objet à l'ordre du jour était « l'utilité de réunir, en un seul parti, toutes les organisations ouvrières du pays. »
On lut d'abord un rapport de la Ligue ouvrière de Bruxelles, démontrant la nécessité de constituer ce parti, puis la discussion s'engagea.
Anseele et les délégués flamands déclarèrent que ce que l'on voulait fonder existait et qu'il n'y avait qu'à adhérer au Parti socialiste belge. D'autres délégués soutinrent que le mot « socialiste » effrayait encore des ouvriers, et que mieux vaudrait ne pas donner prise à la critique en prenant un titre plus ou moins incolore.
Jean Volders, au nom de la Générale ouvrière, s'exprima ainsi :
« L'idée d'Anseele, de grouper toutes les forces sous le drapeau socialiste, est excellente et je l'approuve. Seulement, je crois que nous ne réussirons pas à avoir avec nous la masse des travailleurs.
« Mais aujourd'hui, ce que les anciens devraient faire, ce serait d'aider à la constitution d'un parti ouvrier avec tous les éléments ouvriers, Ne présentons pas un programme qui puisse effrayer la masse résistant » (Compte-rendu des séances du Congrès national ouvrier, tenu à Bruxelles les 5 et 6 avril 1885. Bruxelles, imp. Edouard Mahou, 18, rue des Sables, 1885.
Anseele répondit qu'il ne tenait pas mordicus au mot (page 372) socialiste. » Mais Dewit, de Bruxelles, et Nevelsteen, d'Anvers, déclarèrent ne pas être de cet avis et qu'il était indispensable de maintenir le mot « socialiste ».
De Paepe intervint alors pour faire appel à la conciliation.
« Le mot socialiste fait peur à beaucoup d'ouvriers, dit-il. Ce mot est donc un obstacle. Si, comme le dit Volders, on mettait de l'eau dans son vin, on arriverait plus facilement à la création d'un vaste parti ouvrier.
« L'obstacle est bête, car ceux qui s'y opposent font, qu'ils le veulent ou non, dans leurs cercles, du socialisme. »
Wets, ouvrier bronzier et également délégué de la Générale ouvrière, parla de la mutualité et de la coopération, principalement des « Pharmacies populaires coopératives », qui avaient rendu de grands services aux ouvriers.
On se sépara le dimanche soir, à 6 heures, sans être parvenu à se mettre d'accord. Louis Bertrand proposa alors aux délégués du Parti socialiste de se réunir le soir, au local de la Section socialiste, chez Immers, rue des Riches-Claires. Après un très vif débat, la majorité des délégués des groupes socialistes se prononça finalement pour la concession, qui consistait à ne pas exiger que le mot « socialiste » figurât dans le titre du nouveau parti et l'on décida d'adhérer à la constitution du « Parti ouvrier.’
Le président annonça cette bonne nouvelle à l'ouverture de la séance du lendemain matin. Il communiqua l'ordre du jour voté la veille et qui était ainsi conçu :
« Le Parti socialiste belge, tout en conservant intact et son programme et ses statuts, déclare adhérer à la constitution d'un Parti ouvrier belge, dont le programme et les statuts seront discutés et adoptés dans un prochain congrès. »
Cette communication fut saluée d'enthousiastes applaudissements.
Le président du Congrès ajouta :
« Nous devons nous féliciter de cette décision si conciliante.
« Si l'élément modéré du congres agit de même - et jusqu'à présent il l'a fait - nous pouvons retourner chez nous avec la conscience d’avoir fait de la bonne besogne.
(page 374) D'ailleurs, cette entente est une nécessité. Le parti socialiste belge, quelles que soient sa force et sa puissance, ne pourra jamais obtenir aucune réforme sérieuse sans le concours des autres organisations ouvrières. Il en est de même pour l'élément modéré, qui ne peut réaliser aucun point de son programme sans le concours du parti socialiste. Dans ces conditions, l'union de toutes les forces ne s'impose-t-elle pas ? Je crois que oui. La décision des délégués socialistes facilitera cette union, et j'ai la ferme conviction que nous ne sortirons pas de cette salle sans que le projet d'alliance ne soit voté par tous les délégués.
La discussion continua sur les meilleurs moyens d'organisation et de propagande et, finalement, la nécessité de constituer un parti ouvrier belge fut admise par les délégués de cinquante et un groupes. Il y eut trois abstentions.
Les groupes de Bruxelles furent chargés de désigner un comité ayant mission de rédiger le programme et les statuts du nouveau parti, et de convoquer un Congrès.
On se sépara le lundi à 2 heures, au cri de : « Vive le Parti ouvrier ! »
Ce fut à Anvers, les 15 et 16 août 1885, qu'eut lieu le Congrès qui devait adopter la charte du nouveau Parti. Ce Congrès fut très imposant : 119 délégués y représentèrent 68 organisations ouvrières.
Il fut présidé par Van Beveren, de Gand et Bertrand de Bruxelles.
Après l'adoption définitive du programme et des statuts, le Congrès décida que le Conseil général du nouveau parti siégerait à Bruxelles et qu'il s'occuperait d'organiser, pour l'année 1886, une grande démonstration en faveur de la révision constitutionnelle et du suffrage universel.
Racontons maintenant les débuts du journal « Le peuple » qui exerça une si grande influence dès l'origine du Parti ouvrier.
(page 375) Dans son numéro du 15 novembre 1885, le journal socialiste hebdomadaire « La Voix de l'Ouvrier » annonça la disparition du « National belge », journal quotidien qui, sous la direction de Jean Volders, avait aidé à distance à la création du Parti ouvrier belge.
Les anciens rédacteurs du « National » : Volders, De Paepe, Van Caubergh, firent paraître aussitôt un journal hebdomadaire : « La République ».
Le journal « Vooruit », qui paraissait à Gand depuis un an, en annonçant la fondation de la République de Volders et de ses amis, émit l'espoir de voir fusionner ce nouveau journal avec « La Voix de l’Ouvrier », que je rédigeais alors et qui avait été fondée en mai 1878.
« La Voix de l'Ouvrier » préconisa à son tour la fusion des deux journaux et émit le vœu de voir cette fusion se faire au plus vite.
On ne perdit pas de temps. Le Conseil général du Parti ouvrier, qui siégeait au « Cygne », Grand'Place, convoqua plusieurs réunions, et c'est dans une petite salle du rez-de-chaussée, à côté de la cuisine du patron du cabaret, qu'il fut décidé de fonder un petit journal quotidien à 2 centimes, qui prendrait pour titre : « Le Peuple. »
Nous étions là une poignée d'hommes, tous pauvres, représentants d'associations ouvrières, pauvres également. Parmi nous, il y avait un typographe, Guillaume Vanderlinden, qui plus tard devint conseiller communal socialiste et échevin à Laeken.
Vanderlinden possédait un petit matériel typographique, absolument insuffisant à la composition du journal « Le Peuple », mais qui était certainement un apport heureux pour l’entreprise projetée. Les cinq premiers typographes : G. Vanderlinden, Pierre Rogie, Gerrebos, Neeckxkens et H. Neefs, décidèrent de s'adresser à Mme Veuve Van Loey-Nouri, pour le complément du matériel de composition, soit pour 697 francs, qu'ils s'engagèrent mutuellement à payer, à raison de 75 francs par mois.
Cette somme fut payée par les cinq compagnons typographes, au moyen d'un versement hebdomadaire de cinq francs par chacun d'eux.
(page 376) Lorsque au mois de mai la « Coopérative Le Peuple » fut constituée, celle-ci fit expertiser le matériel et le reprit pour 1,400 francs, qu'elle paya par versements hebdomadaires.
Il faut féliciter les cinq ouvriers qui eurent confiance dans l'œuvre nouvelle.
Mais il fallait encore trouver un imprimeur pour la feuille populaire.
Une démarche fut faite auprès d'Edouard Maheu, imprimeur de « La Réforme », rue des Sables, et celui-ci consentit imprimer le nouveau journal socialiste.
Mais, pour fonder un organe quotidien, il faut avoir de l’argent !
Je proposai de constituer une société coopérative, dont les parts ou actions seraient de 10 francs chacune, payables en dix versements mensuels. L'idée fut acceptée et un appel fut aussitôt fait aux associations ouvrières de Bruxelles et de la province.
Quelques groupes souscrivirent quelques actions, et versèrent ensemble deux à trois cents francs.
J'étais alors expéditeur du journal « La Réforme » et je venais de fonder les « Messageries de la Presse » pour l’expédition en commun, des journaux aux marchands de province.
Joseph Milot, ancien ouvrier cordonnier devenu cocher-propriétaire de son cheval et de sa voiture, fut nommé administrateur du journal. C'est en cette qualité qu'il encaissa les premiers versements des souscripteurs d'actions.
Au n°12 de la rue des Sables existait un cabaret tenu par Martin Schuyts, imprimeur ou typographe, je ne sais plus au juste. Celui-ci consentit à nous donner en location une grande chambre du premier étage, où s'installèrent la rédaction, l'administration et l'expédition du nouveau journal.
Dans une autre chambre, à l'étage au-dessus, on plaça des casses pour cinq typos et un marbre.
Un comité de rédaction fut nommé par le conseil général du Parti ouvrier, ainsi qu'un conseil d'administration.
Le premier fut constitué comme suit : L. Bertrand, G. Defnet, C. De Paepe, Josep Maheu, A. Van Caubergh, D. Vandendorpe et J. Volders. Le second fut compodé de (page 377)IE. Anseele, J. Bosiers, I. Deneef, os. Falleur, J. Milot, R, van Loo et J.B. Wets.
Le personnel ouvrier comptait cinq typographes : G. Vanderlinden, Gerrebos - décédés - H. Neefs, actuellement imprimeur, Pierre Rogie et Neeckxkens, qui tous deux sont encore au « Peuple » aujourd'hui.
Le premier numéro du « Peuple » parut le samedi 12 décembre 1885, et portait la date du dimanche, 13.
De l'article programme, rappelons ces quelques lignes
« Notre titre l'indique, c'est au nom de la grande foule anonyme que nous allons batailler, ferme et fort.
« Il faut à la masse une feuille parlant son rude et mâle langage. attaquant sans crainte les oppresseurs, mettant à nu les turpitudes et les exactions d'en haut et les souffrances d'en bas.
« Nous serons cette feuille. »
Cet article se terminait comme suit :
« Si tous ceux qui doivent nous aider font leur part de travail, Le Peuple vivra.
« Et c'est nécessaire i »
Et « Le Peuple » a vécu, et il vit encore aujourd'hui, agrandi, fortifié, non sans avoir traversé des jours difficiles, rencontré des obstacles nombreux ; mais il les a surmontés, grâce au concours des travailleurs socialistes qui n'ont jamais marchande les sacrifices nécessaires pour que leur organe puisse continuer la lutte pour l'émancipation du prolétariat, et sans avoir à rougir un seul jour de l'origine de ses ressources...
Ce fut donc dans une modeste chambre, à l'étage d'un cabaret ouvrier, que s'installèrent la rédaction, l'administration et l'expédition du journal.
L'administrateur J. Milot dut acheter quelques tables, des chaises, un poêle et d'autres menus objets. Mais il faisait froid, le samedi 12 décembre 1885 et il fallut acheter du charbon. Une collecte faite entre les camarades du journal y pourvut.
Le soir venu, on eut besoin aussi de lampes et de pétrole. Ce fut le quincaillier d'en face qui fournit le nécessaire, et quand le garçon de course du marchand se présenta pour toucher la facture, l’administrateur Milot mettant ses lunettes - aujourd'hui (page 378) il est devenu plus coquet et porte pince-nez, le stoegger ! - regardant sa montre déclara, sans rire, au garçon :
- Mon ami, il est 6 h. 10 ; la caisse est fermée. Il faudra repasser demain...
Une demi-heure après, « Le Peuple » sortait de presse, le premiers numéros remis à une vingtaine de vendeurs spéciaux, et dans les quartiers populaires de la capitale retentissait le cri :
« - Le Peuple, organe socialiste qui vient de paraître !... »
Puis, jusque fort tard dans la nuit, on se mit à faire des paquets, des lettres de voiture, l'adresse des marchands de journaux de province.
Tout le monde se mit la besogne, Volders en tête, et l'on dut courir à la gare jusque 3 heures du matin...
Quand on songe aujourd'hui aux difficultés qu'il y a pour des non professionnels, pour des ouvriers, non seulement de rédiger un journal, mais de le vendre, de l'administrer, et cela sans ressources presque, on se demande comment pareille œuvre a être entreprise et comment elle a su être menée à bonne fin.
La vente marcha assez bien cependant, et dès le début l'on tira de 11 à 12,000 exemplaires par jour.
La grande difficulté était d'avoir des vendeurs et surtout des vendeurs payant les journaux vendu !
A Bruxelles, cela alla assez bien, Le Peuple étant installé dans le quartier des journaux. Mais en provinces ! Les marchands ne voulaient pas s'occuper de la vente de cette petite feuille à 2 centimes, qui ne leur laissait qu'un léger bénéfice. De grands efforts furent nécessaires pour faire prendre le journal socialiste, et ce fut grâce au concours dévoué de quelques amis socialiste à Liége, à Verviers, à Charleroi, dans le Centre et au Borinage que peu à peu la vente fut régulièrement organisée.
Les événements de mars-avril 1886 et l'active propagande dy Parti ouvrier facilitèrent d'ailleurs la propagation du petit « Peuple. »
Le 15 juillet 1886, après sept mois d'existence. « Le Peuple » changea de résidence et ses bureaux furent transférés de la rue des Sables au n°11 de la rue du Persil.
L'administration était désormais logée au rez-de-chaussée, la rédaction au premier étage et la typographie au second, dans deux chambres.
(page 379) La vieille presse qui servait à l'impression du journal chez Edouard Maheu fut achetée - à crédit naturellement - et installée, avec un moteur à gaz, dans un bâtiment-annexe de la maison de la rue du Persil.
Le personnel se composait toujours de trois rédacteurs : Volders et Defnet, ce dernier remplaçant Tabarant que le gouvernement avait expulsé, et l'auteur de ces lignes qui, à la demande de Volders, quitta « La Réforme » pour devenir à la fois rédacteur et administrateur du « Peuple. » Milot retourna à son métier pour revenir quelques semaines plus tard au journal en qualité de caissier.
Entretemps, à la date du mars 1886, il fut constitué une Société coopérative « Le Peuple », ayant pour objet la publication du journal de ce nom.
Le conseil d'administration de cette société fut composé au début de Volders, Bertrand, Boone, ouvrier tailleur, Bosiers, bijoutier, Delmotte, typographe, Milot et Léger. Comme commissaires de la coopérative avaient été choisis : Ch. Faes, Ch. Minne et H. Neefs.
« Le Peuple », malgré un tirage de dix à douze mille exemplaires, qui tomba jusqu'à sept mille, ne parvint pas à nouer les deux bouts. Il fallut une intervention constante de la coopérative « La Maison du peuple », pour parfaire le déficit.
Et cependant, les dépenses étaient réduites : 5 typographes, 2 rédacteurs, un administrateur et un expéditeur, payés chacun à raison de 5 fr. 50 par jour.
Après des années de lutte et de misère, la coopérative « Le Peuple » fut liquidée. « La Maison du Peuple » reprit le journal avec sa situation active et passive - passive surtout, - et le journal continua vivre très modestement.
Vers la fin de l'année 1891,le Parti ouvrier avait grandi et le mouvement pour la révision et le suffrage universel avait acquis une ampleur peu commune.
Il fallait frapper un grand coup.
Je proposai un jour à Volders la transformation du petit « Peuple » - qui se vendait 3 centimes alors - en un grand journal à 5 centimes ; la création d'un diminutif du « Peuple » sous le nom (page 380) d’ « Echo du Peuple », et ce par la constitution d'une société coopérative « La Presse socialiste », au capital de 50,000 francs.
Lorsque je lui développai ce projet, Volders me regarda avec pitié, se demandant si je me moquais de lui ou si j'étais atteint de la folie des grandeurs. J'insistai cependant et, quelques semaines plus tard, le 13 décembre 1891, la coopérative « La Presse socialiste » était fondée ; elle loua et acheta ensuite l'immeuble du n°35 de la rue des Sables, « Le Peuple » à 5 centimes paraissait et à côté de lui « L'Echo du Peuple » à 2 centimes.
Depuis, grâce au concours dévoué, au travail persévérant de nouveaux lutteurs, grâce aussi aux succès électoraux remporté par le Parti ouvrier et à l'entrée à la Chambre d'une trentaine de députés socialistes, la presse socialiste a marché de progrès.
Nous en parlerons en détail dans un autre chapitre.