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Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830
BERTRAND Louis - 1907

Chapitre XI. La démocratie libérale

La défaite libérale de 1884 - Nouvelle scission - Le Congrès progressiste de 1887 - Programme du nouveau parti - Les congrès de 1890 et de 1894 - Le Parti progressiste se rallie au suffrage universel - La déclaration des gauches de 1900 - Celle de 1906 - Le Parti progressiste et le Parti ouvrier - Le Parti ouvrier libéral - Le Parti libéral démocratisé

(page 510) Nous avons raconté plus haut les luttes soutenues à la Chambre, de 1878 à 1884, par une poignée de députés progressistes, Paul Janson, Emile Feron, Eugène Robert, V. Arnould, J . Guillerv. A. Demeur entre autres, contre le vieux parti doctrinaire conduit par Frère-Orban et Jules Bara. Ceux-ci, avec l’appui de quelques progressistes de la veille, MM. Buls, Graux et Vanderkindere, résistèrent opiniâtrement aux revendications pourtant bien modérées du groupe progressiste ou radical.

Après les élections de juin 1884, qui renversèrent le ministère libéral, une nouvelle scission se produisit au sein de l'Association libérale de Bruxelles, scission créée une fois encore par l’ élément doctrinaire, qui se retira pour fonder la Ligue libérale.

Un certain désarroi se produisit alors dans l'armée libérale qui venait d'être battue, principalement sur la question des impôts. C’est ainsi qu'entre l'Association libérale progressiste et Ligue doctrinaire, on vit se constituer des groupes intermédiaires ayant pour chefs MM. Richald, Goblet d'Alviella et d'autres, mais qui ne vécurent guère, leurs promoteurs retournant les uns à l'Association, les autres à la Ligue libérale.

Cette scission eut sa répercussion en province, surtout dans les grandes villes comme Liége, Anvers et Gand.

Ce fut avant tout la question de la réforme électorale qui amena les divisions dont nous parlons. Paul Janson avait juré (page 511) d’abattre la « pierre vermoulue » , c'est-à-dire l'article 47 de la Constitution consacrant le régime censitaire, que les vieux libéraux voulaient maintenir, craignant de faire un « saut dans les ténèbres », selon l'expression de M. Frère-Orban.

Un grand effort fut tenté alors pour constituer un parti progressiste, ayant son programme propre, ses cadres, son organisation.

Un congrès fut convoqué dans ce but dans la grand salle du Musée du Nord, à Bruxelles, les 29 et 30 mai 1887.

C’était un an après les événements de mars-avril 1886, deux après la constitution définitive du Parti ouvrier et au lendemain de la première grève générale pour la conquête du suffrage universel.

Ce congrès réunit l'élite de la bourgeoisie libérale, des hommes de valeur pour la plupart, instruits, connaissant les besoins de notre époque et soucieux de travailler à la paix sociale, en faisant droit, en temps utile, aux revendications populaires.

Le président du comité organisateur, M. Paul Janson, ouvrit le congrès par un discours fort bref. Il déclara que le but poursuivi était de continuer et de compléter l'œuvre du congrès libéral de 1846, d'arrêter un programme commun de réformes politiques et sociales, programme qui bientôt s'imposerait à tous et rétablirait l'union dans les rangs du parti libéral.

Parmi les hommes les plus en vue du congrès progressiste, il faut citer à côté de Paul Janson, Emile Feron, Eug. Robert, V. Arnould, A. Demeur, A. Lambiotte, Guillery, W. de Sélys.

Anvers y avait délégué Victor Lynen, L. Callewaert, Cupérus, Van Ryswyck, Desguin ; Liége : Paul Heuse, Fléchet, Journet, Jeanne ; Gand : Félix Cambier, Heynderickx, P. De Bruyne ; Mons : Houzeau de Lehaie, F. Masson, Em, Bourlard. Dufrane-Friart ; Charleroi : L. Fagnart, J. Destrée, J. des Essarts ; Louvain : A. Peemans, Avedyck, bref, un grand nombre d'hommes en vue de tous les coins du pays.

Parmi les membres du congrès progressiste, il y avait un certain nombre de socialistes, César De Paepe entre autres, purs des radicaux et des ouvriers, qui plus tard adhérèrent au Parti ouvrier : L. Furnémont, G. Grimard, E. Brunet, des Essarts, Destrée, Germay, Gierkens, F. Sas, F. Cavrot, etc., etc.

(page 512) Le congres discuta longuement le projet de programme qui lui fut soumis par le comité organisateur.

Sur la question principale, la révision de l'article 47 de la Constitution et le mode de suffrage appelé à le remplacer, il n’y eut pas moins de six formules en présence, depuis le suffrage universel jusqu'au système dit « capacitaire » de la loi du 24 août 1883.

Le suffrage universel fut repoussé par 317 voix contre et 35 abstentions.

La formule du « savoir lire et écrire » fut adoptée par 379 voix contre 45 et 19 abstentions. Mais il fut entendu que ce serait une loi qui fixerait les conditions d'éligibilité, de façon à pouvoir modifier ces conditions à une simple majorité, alors qu'une modification au texte de la Constitution devait réunir les deux tiers des voix.

Parmi les autres réformes inscrites par le congrès au programme du nouveau parti, citons encore :

L'instruction obligatoire ;

La réglementation du travail des enfants ;

La séparation des églises et de l'Etat ;

L’égalité des charges militaires ;

La réforme des impôts par la substitution graduelle d'un impôt sur le revenu aux impôts de consommation ;

La révision des lois sur le contrat de louage et la responsabilité des patrons en cas d'accidents ;

L'organisation démocratique du crédit commercial, industriel, foncier et agricole ;

La révision de la loi sur les sociétés ;

L'égalité des deux langues, etc.


Trois années plus tard, le 25 décembre 1890, le jour même des funérailles de César De Paepe, un nouveau congres progressiste abandonna la formule du « savoir lire et écrire » pour se rallier au suffrage universel.

Un autre congrès, réuni en 1894, après le vote de la (page 313) révision constitutionnelle, modifia encore le programme du Parti progressiste et l'accentua fortement, premier effet de l'émancipation politique du peuple belge.

Les modifications ou plutôt les ajoutes faites à la charte du parti progressiste consacrèrent principalement les revendications ouvrières et les rapports entre fermiers et propriétaires.

En voici le texte :

« VI. Institution d'un ministère du travail. Organisation de bourses du travail par les communes, avec intervention des syndicats ouvriers et des syndicats de patrons.

« Etablissement de conseils d'arbitrage et de conciliation et de conseils d'usines.

« Attribution d'une sanction légale aux décisions arbitrales des conseil de l'industrie et du travail.

« Organisation par la loi de comices agricoles dont les membres seront élus au suffrage universel par les propriétaires, les cultivateurs et les ouvriers agricoles, institués en collèges électoraux distincts.

« VIbis. Révision dans un sens démocratique de la loi sur les conseils de prud'hommes. Son extension aux diverses catégories d'employés et aux travailleurs agricoles. Droit de vote et d'éligibilité accordé aux ouvrières.

« Organisation par la loi de chambres de conciliation et de tribunaux agricoles.

« Simplification de la procédure. Gratuité de la justice sauf pour le plaideur de mauvaise foi.

« Liquidation judiciaire aux moindres frais possibles des biens des insolvables, commerçants et non commerçants.

« Révision de la législation sur la chasse dans le sens d'une protection plus efficace des récoltes et des droits du cultivateur.

« Adoucissement des peines.

« Révision de la loi de mai 1892 sur la répression des atteintes à la liberté du travail.

« Indemnité et réhabilitation pour les victimes des erreurs judiciaires.

« VIter. Reprise par l'Etat, les provinces et les communes des services publics nationaux, provinciaux et communaux ; (page 514) notamment rachat des chemins de fer, canaux, routes et ponts . ; rachat des charbonnages ou tout au moins mesures légales destinées à protéger les ouvriers houilleurs, les industries nationales et la masse des citoyens contre les dangers des monopoles charbonniers concédés des particuliers.

« Conservation et extension des biens communaux ruraux.

« Reboisement des terres incultes, ) l'intervention de l'Etat des provinces et des communes. Fixation d'une distance légale plus grande pour les plantations d'arbres de haute tige.

« Amélioration et réorganisation du service des cours d'eau et révision de la législation en cette matière. Suppression des péages sur les canaux.

« Amélioration et réorganisation de la voirie vicinale. Réforme de la taxe de voirie vicinale.

« Extension du réseau des chemins de fer vicinaux. Abaissement des péages sur les lignes vicinales.

« Transport au prix de revient.

« VIquater. Organisation démocratique du crédit commercial et industriel. Organisation d'une banque d'Etat remplaçant la banque dite Nationale. Révision de la loi organique de la caisse d'épargne : emploi des capitaux dans l'intérêt des classes de la population dont ils proviennent ; intervention de délégués des déposants dans l'administration de la caisse.

« Révision des lois sur les sociétés commerciales, en vue d'assurer une protection plus efficace aux droits des actionnaires et des obligataires. Répression des émissions frauduleuses.

« Réorganisation du crédit agricole tant foncier que mobilier. Suppression du privilège du bailleur. Organisation du crédit au travail. Propagation des coopératives et autres associations agricoles et industrielles. Personnification civile des syndicats agricoles et industriels.

« Organisation par la loi de l'assurance obligatoire contre les accidents, la maladie, le chômage involontaire, l'invalidité prématurée et la vieillesse pour les travailleurs agricoles et industriels. Transformation progressive de la bienfaisance publique en un système d'assurance sociale.

« Généralisation des assurances agricoles et notamment de (page 515) l’assurance du bétail, soit par des mutualités avec intervention publics, soit par l'action directe de ceux-ci.

« VII. Révision et complément des lois qui règlent le louage d'ouvrage et la responsabilité des patrons en cas d'accidents.

« Réglementation du travail dans le sens de :

« a) Fixation par la loi d'une durée maxima du travail industriel des adultes, suivant la nature des diverses industries ; dans les cahiers des charges des adjudications publiques, d'une clause établissant un maximum d'heures de travail et de salaire ;

« b) Interdiction du travail de nuit pour les femmes ;

« c) Repos hebdomadaire ;

« d) Surveillance des usines et des ateliers par des inspecteurs d'Etat et des délégués ouvriers. Participation des ouvriers à la confection des règlements d'ateliers.

« Efforts en vue de favoriser l'établissement d'une législation internationale sur le travail.

« VIIème. Règlementation par la loi du bail à ferme conformément à l'équité, de manière à garantir l'intérêt du fermier aussi bien que celui du propriétaire. Dispositions d'ordre public à spécifier par la loi, pour empêcher l'enrichissement injuste de l'une des parties au détriment de l'autre. Nullité des clauses qui y dérogent.

« Fixation par la loi, après consultation des comices agricoles, de la durée minima des baux dans l'intérêt d'une bonne culture, selon les diverses catégories de terres des différentes régions ; toutefois cette loi n'entrera en vigueur dans une circonscription qu'après que la majorité de la population agricole de la circonscription aura décidé, au vote obligatoire et secret, qu'il y a lieu de l'appliquer.

« Faculté pour le preneur de renoncer an bail tous les trois ans, moyennant de prévenir un an d'avance. Obligation du congé préalable pour les baux sans écrit.

« Pour les terres des établissements publics, baux à long terme combinés avec le fermage mobile.

« Indemnité au fermier sortant : 1° pour les engrais qu'il a (page 516) incorporés au sol et dont le profit lui échappe par suite de la fin du bail ; 2° pour la plus value qu'il a donnée à la terre suivant des règles d'équité à déterminer par la loi. Les rations donnant lieu à indemnité seront classées par la loi qui distinguera, comme l'a fait la législation anglaise, celles que le fermier peut faire sans le consentement du propriétaire et celles qui exigent son assentiment. »

En matière administrative et communale, le nouveau programme comprenait encore la décentralisation administrative, l'autonomie communale, l'élection des bourgmestres, l'organisation de syndicats des communes, etc.

Le Parti ouvrier, dans son congrès annuel tenu à Namur en 1892, avait décidé de procéder une révision de ses statuts et de son programme et cette œuvre fut poursuivie dans deux congrès, tenus le premier à Bruxelles le 25 décembre 1893 et le second à Quaregnon les 25 et 26 mars 1894. Si on compare les deux programmes, on remarque sans peine qu'il y a entre eux une grande concordance, en matière politique et économique.


Dès que la révision constitutionnelle fut une chose accomplie, l'ancien parti libéral doctrinaire se trouva fort désorienté et, au lendemain des élections de 1894, faites sous le régime électoral nouveau, ses chefs furent réduits au silence, aucun d'eux n'ayant trouvé grâce auprès des nouvelles couches électorales, du nouveau « pays légal », comme ils avaient appelé les électeurs censitaires.

Dans les arrondissements industriels, les socialistes furent élus ; dans les contrées agricoles et dans les arrondissements de Bruxelles, de Gand et d'Anvers, comptant une forte partie rurale, les cléricaux triomphèrent.

La situation du parti progressiste, dans ces circonstances, fut des plus délicates et des plus difficiles. Il était tenu à certaines obligations vis-à-vis du parti doctrinaire, qui disposait d'une réelle force dans les grandes villes, occupait les Hôtels de Ville à Bruxelles, Gand, Anvers, Liége, Mons, Charleroi, Verviers et (page 137) avait à son service les neuf dixièmes des journaux libéraux. Il ne pouvait pas non plus mécontenter la bourgeoisie moyenne, qui conservait dans le nouveau corps électoral une force sérieuse.

A Bruxelles, nous l'avons vu, après avoir essayé en 1894 de faire la triple alliance libérale, progressiste, socialiste, il avait échoué, le Parti ouvrier ne voulant s'unir qu'avec les partis réclamant le suffrage universel, ce dont les doctrinaires de la (page 518) Ligue libérale voulaient aucun prix. Les progressistes bruxellois s’unirent donc aux modérés et se présentèrent sur une liste commune,

En 1896, les progressistes de Bruxelles firent alliance avec les socialistes et la liste ainsi formée échoua au ballottage, de nombreux électeurs libéraux ayant voté au second tour pour les cléricaux ou s'étant abstenus.

Aux élections générales de 1900, sous le régime de la représentation proportionnelle, progressistes et modérés luttèrent séparément à Bruxelles, mais dans plusieurs arrondissements de province, les deux fractions du parti libéral s'unirent sur une liste commune, avec un programme minimum.

Depuis lors, le parti libéral se trouva renforcé à la Chambre et il reprit espoir. Les députés et sénateurs modérés et radicaux reconnurent bientôt la nécessité de reconstituer le parti libéral, de travailler à son unité, mais la principale difficulté résidait dans la solution à donner au système électoral, base de notre régime politique et représentatif.

Or, les progressistes s'étaient ralliés au suffrage universel alors que les modérés en restaient les adversaires. Les modérés représentant des grandes villes et des centres d'industrie, ont derrière eux des électeurs riches et puissants qui ne les suivraient plus s'ils allaient trop loin dans la voie démocratique et renforceraient ainsi les conservateurs catholiques.

Par contre, les députés libéraux flamands sont presque tous progressistes et il en est de même de ceux élus dans la Wallonie, à deux ou trois exceptions près.


C'est dans un désir d'union libérale que, le 21 décembre 1900, les gauches libérales de la Chambre des représentants et du Sénat se mirent d'accord sur le texte d'une « Déclaration » qui devait servir de « programme parlementaire d'action et d'opposition en vue de délivrer le pays de la domination cléricale, funeste à tous les peuples qui l'ont subie. »

Cette déclaration-programme comprend l'instruction (page 519) obligatoire, la suppression du remplacement et l'égalité des charges militaires, des mesures - non indiquées - en vue d’améliorer le sort des classes laborieuses et, en ce qui concerne la réforme électorale, les gauches libérales « estiment qu'il y lieu de poursuivre simultanément la réalisation du principe d'égalité politique, par la suppression du vote plural et la réalisation du principe de la représentation proportionnelle à tous les degrés de l'électorat, dans la Constitution et les lois électorales. »

Mais cette Déclaration des gauches contient une réserve pour ceux des députés et sénateurs qui ne partagent point l'avis de la majorité et ne croient point pouvoir se rallier un système électoral uniquement basé sur le suffrage universel pur et simple.

Depuis que cette déclaration fut votée, les députés de la gauche modifièrent nouveau les termes du document décembre 1900, et ce dans un sens plus accentué encore.

Ce fut au mois d'avril 1906, quelques semaines avant les élections législatives, et à la suite de l'émotion produite par un article que M. Paul Hymans publia dans une revue, que cette nouvelle déclaration fut adoptée.

En voici le texte :

« La gauche libérale de la Chambre des représentants,

« Vu la déclaration des gauches libérales du 20 décembre 1900 ;

« Estimant que la question du régime électoral à la province et à la commune est à l'ordre du jour des prochaines élections ;

« Qu'il importe d'affirmer sur ce point le programme du parti ;

« Eu égard aux réserves antérieures faites par des membres de la gauche ;

« Tenant compte des garanties qu'ils ont jugé nécessaires et qui, à leur demande, ont été acceptées dans une pensée d'union et afin d'assurer le prompt aboutissement de la réforme ;

« Considérant que les résolutions suivantes répondent au but poursuivi, sans porter atteinte au principe de l'égalité politique des citoyens ;

« La gauche libérale décide, à l'unanimité, qu'il y a lieu d'établir le suffrage universel à la province et à la commune, et (page 520) à ne pas admettre à son institution d'autres conditions que les suivantes :

« 1°La R. P. intégrale dans toutes les communes du pays et pour l'élection des conseils provinciaux ;

« 2° Un suffrage à tous les citoyens âgés de 25 ans et ayant un an de domicile ;

« 3° Un second suffrage à tous les pères de famille, âgés de 35 ans, à raison de cette seule qualité, sans autre condition.

« Dans ce système, il a lieu, outre les garanties établies par nos lois actuelles, de rechercher les mesures à prendre pour assurer la bonne gestion des finances et des affaires communales.

« Cette résolution a été votée à l'unanimité, sauf qu'un membre, M. Roger, de Tournai, s'est réservé le droit de voter le S, U. pur et simple à 21 ans.

« (Signé) Les présidents : Paul Janson et Neujean.

« Les secrétaires : Hymans et Lemonnier »

Il y a encore, dans ce document, une clause restrictive en ce qui concerne « les mesures à prendre pour assurer la bonne gestion des finances et des affaires communales » ; mais il est incontestable que, dans son ensemble, le parti libéral a fait, dans ces dernières années, un énorme pas en avant dans la voie démocratique et de l'égalité politique.

Sil en est ainsi, il faut en attribuer tout le mérite au parti progressiste qui lui-même, d'ailleurs, a évolué dans le sens démocratique par suite de la poussée populaire, œuvre du parti ouvrier qui, en peu d'années, par son organisation politique, par ses œuvres économiques, sa presse, son action sur les masses jusque-là endormies, eut une influence considérable sur l'esprit public en Belgique, et sut forcer les classes dirigeantes à brûler ce qu'elles étaient habituées à adorer depuis près d'un siècle et considéraient comme l'abomination de la désolation en matière politique : la souveraineté du peuple, et en matière économique. législative et la réglementation légale du travail.

Ce que le Parti ouvrier réussit à faire auprès des classes laborieuses, le parti progressiste l'accomplit dans les rangs de la bourgeoisie non inféodée au parti clérical.

(page 521) C'est un hommage à rendre au courage, à l'énergie et au désintéressement politique des leaders du parti progressiste, Janson, Feron et leurs amis.


L'attitude des chefs du parti progressiste à l'égard du parti ouvrier fut toujours correcte et bienveillante. Ceux de Bruxelles surtout résistèrent constamment à ceux de leurs amis qui leur conseillaient de faire appel à certaines catégories d'ouvriers, afin de les organiser et de les affilier au parti progressiste.

Ils considéraient que le Parti ouvrier avait été constitué pour réunir tous les travailleurs et qu'il était capable de faire valoir leurs griefs, leurs revendications et de les faire triompher.

Cependant, lors de la fondation du parti progressiste, en 1887, il eût été possible aux chefs de s'entourer, à Bruxelles et dans d'autres grandes villes, d'un certain nombre d'ouvriers, ayant des sympathies pour eux et leur programme, notamment les ouvriers des industries de luxe, tels les typographes, bijoutiers, bronziers, etc.

Ils n'en firent rien, au contraire, car à plusieurs reprises, leur organe « La Réforme » déclara que le parti ouvrier devait être le Parti des ouvriers, de tous les ouvriers, et qu'il ne pouvait admettre que le parti progressiste cherchât lui nuire et à entrer en lutte avec lui, ce qui était à la fois correct, loyal et favorable au triomphe de la démocratie.


Le parti ouvrier libéral fut fondé très tard, trois ans au moins après le vote de la révision et ce à l'instigation des libéraux modérés. Il n'est guère organisé et nombreux, si ce n'est à Anvers, et la meilleure preuve de ce que nous avançons, c'est que dans cette ville seule, où le parti libéral est divisé en plusieurs fractions souvent hostiles, il a pu imposer la candidature à la Chambre d'un des siens, M. Verheyen.

Ailleurs, le parti ouvrier libéral est une quantité négligeable.

(page 522) Son programme ne diffère point de celui des progressistes sauf qu'en de celui-ci il a éprouvé le besoin d'inscrire: « Lutte à outrance contre le cléricalisme et contre le collectivisme. »

En ce qui concerne celui-ci, le parti ouvrier libéral se déclare en faveur du maintien et du développement de la propriété individuelle et du respect de l'initiative privée.

Il admet cependant la coexistence de la propriété individuelle et de la propriété collective, « celle-ci étant constituée de façon suffisamment puissante pour faire face au devoir de solidarité sociale. » Enfin, il reconnaît la nécessité de l'intervention de l'Etat « pour faire entrer dans la libre concurrence ou pour réduire en monopole, les industries que la spéculation privée met en péril. »

Le parti ouvrier libéral possède une grande boulangerie coopérative à Anvers, « Help u zelve », depuis 1897. Il en possède ure antre à Bruxelles, fondée avec des capitaux avancés par quelques personnalités libérales. De même à Gand. A Malines, il possède une Maison du peuple, et à Liége son organisation est insignifiante. Une boulangerie coopérative constituée par lui a été obligée de liquider au bout de peu de temps.

En résumé, le parti progressiste belge a joué dans ce pays le rôle de « parti tampon ». Il a voulu concilier les droits et les revendications de la démocratie ouvrière socialiste avec les intérêts des classes possédantes.

On lui a reproché souvent son manque de netteté.

Dans les élections, il s'unissait parfois avec les doctrinaires et combattait ainsi les candidats du parti socialiste, alors que, l'élection suivante, il faisait liste commune avec le Parti ouvrier et luttait à la fois contre les cléricaux et contre les libéraux modérés.

Il faut tenir compte, aux chefs progressistes, de leur situation difficile. Dans tous les cas, leur politique a réussi à faire admettre un programme démocratique minimum aux plus conservateurs des libéraux. Ceux-ci, il est vrai, se sont convertis par la force des choses, des circonstances et ils ont plutôt subi que désiré l'évolution qui les a emportés.

Quoi qu'il en soit, le parti libéral s'est reconstitué en (page 523) Belgique, il s'est fortement démocratisé et cela est l'œuvre des leaders du parti progressiste. Pour la mener à bien, ils leur a fallu un grand courage, une volonté jamais lassée et un désintéressement assez rare dans notre société matérialiste à l'excès.