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Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830
BERTRAND Louis - 1907

Chapitre XV. La Législation sociale de 1875 à 1905. Résignation

La loi sur le truck system et les salaires - Loi sur le travail des femmes et des enfants - Les habitations ouvrières - Les conseils de prud'hommes - La Belgique à la conférence de Berlin de 1890. - Le conseil supérieur du travail - L'office du travail - Promesses en 1894 - Les règlements d'ateliers - L'inspection des mines - Les unions professionnelles - Loi sur la sécurité et la salubrité du travail - Le contrat du travail - Les pensions de vieillesse - Le mesurage du travail - Les accidents du travail - Le repos du dimanche - Projets de lois socialiste. - L'inspection du travail - La loi sur les mines - Attitude déplorable du gouvernement

(page 593) Nous avons, dans un chapitre précédent (pages 316 et suivantes), montré l'hostilité des deux partis politiques bourgeois, à l'égard d'une législation sociale, et les difficultés qu'a rencontré le vote de quelques misérables mesures législatives.

De 1875 1885, une seule loi ouvrière avait été votée par les Chambres : la loi du 10 juillet 1883 supprimant l'obligation des livrets d'ouvriers et abrogeant l'article 1781 du code civil.

Lorsque le gouvernement catholique arriva aux affaires, en 1884, son programme ne comprenait aucune mesure en faveur ouvriers. Ses chefs, MM. Malou, Woeste, Jacobs, Beernaert, étaient tous des adversaires résolus de l'intervention de l'Etat en matière sociale, et la doctrine du laisser faire, laisser passer n’avait pas de plus dévoués et fanatiques partisans que les chefs du parti catholique.

Aujourd'hui, dans les milieux populaires, les cléricaux se vantent de la législation ouvrière belge et ils disent parfois, avec une pointe d'orgueil, qu'elle est la plus avancée de l'Europe !

(page 594) La vérité. c'est que la Belgique est restée pendant longtemps, près d'un demi-siècle, en retard sur les autres nations en matière de législation protectrice du travail.

La vérité, c'est que ce n'est pas de leur plein gré, dans l’intérêt du travailleur, pour mettre fin aux abus du capitalisme, que les dirigeants ont agi, mais forcés et contraints, poussés par des forces extérieures.

De 1830 à 1886, les catholiques occupèrent souvent le pouvoir et aucune loi sociale ne fut présentée par eux. De plus, les quelques réformes, anodines pour la plupart, proposées par des ministres libéraux, furent vivement combattues par les chefs du parti clérical.

En 1886, après les émeutes et les grèves dont nos bassins industriels furent le théâtre, ils se décidèrent enfin à agir, en nommant une commission d'enquête du travail. Nous avons cité plus haut les diverses propositions faites par cette commission. Voyons maintenant ce qu'Il en advint.

La première loi dite sociale porte la date du 16 août 1887. Elle a pour objet le paiement des salaires et pour but l'interdiction du paiement en nature, ce que les Anglais appellent le « truck system ». Les ouvriers, dans un grand nombre de localités, étaient obligés d'accepter le paiement d'une partie de leur salaire en nature, c'est-à-dire en marchandises, à prendre soit dans le magasin du patron, soit dans celui de la femme ou d'un parent de celui-ci. Il va sans dire que les prix étaient surfaits et que la marchandise était de qualité souvent inférieure.

Souvent aussi le paiement des salaires se faisait dans les cabarets patronaux, et cela obligeait les ouvriers à y faire des dépenses quelquefois exagérées, le patron refusant d'employer encore ceux qui étaient trop sobres.

La loi du 16 août 1887 condamna ce système et obligea le patron à payer désormais les salaires en espèces.

Seulement, cette loi ne fut pas sérieusement appliquée et, aujourd’hui encore, le régime du « truck system » est encore en vigueur, soit directement, soit par voie indirecte, dans un grand nombre de villes et de communes industrielles où la police locale ferme les yeux.

(page 595) Le même jour, la loi sur les conseils de l'industrie et travail fut promulguée. L'idée primitive de cette loi est due à Hector Denis et ce fut Frère-Orban qui en saisit la Chambre. L’esprit de cette loi est excellent, mais, en fait, elle n'a jamais rien produit, car elle manque de sanctions et, dans bien des cas, surtout dans l'industrie houillère, les industriels refusent de prendre part à l'élection de délégués patrons, et ainsi la loi est inopérante, les dits conseils ne peuvent être ni constitués ni fonctionner.

Le 18 août 1887 fut promulguée la loi sur l'incessibilité et l’insaisissabilité des salaires, que nous ne citons que pour mémoire, son caractère anodin étant évident.

En 1889, les Chambres votèrent trois lois plus importantes :

Celle qui réglemente le travail des femmes et des enfants dans les établissements industriels ;

Celle sur les habitations ouvrières et la constitution de comités de patronage ;

Enfin, celle qui porte révision de la législation sur les conseils de prud'hommes.

La première interdit enfin le travail des femmes dans les travaux souterrains des mines et fixa à 12 ans l'âge d'admission des enfants dans l'industrie. Mais son application laissa beaucoup à désirer, pendant plusieurs années, des exemptions étant accordées trop souvent à des industriels et le nombre des inspecteurs du travail, chargés de la faire respecter, étant des plus réduits.

La loi sur les habitations ouvrières a produit quelque bien, elle fut surtout faite dans le but de favoriser la construction ouvrières, dont les ouvriers deviennent propriétaires au bout de vingt ou vingt-cinq années. En fait, la proportion des ouvriers qui en ont profité est insignifiante, et encore sont-ils pour la plupart des travailleurs privilégiés, qui étaient déjà relativement bien logés.

Voilà quel fut l'effort législatif accompli à la suite des événements de 1886 et du travail de la commission d'enquête instituée peu après.

Cinq années se passèrent alors sans apporter aucune autre mesure protectrice du travail.

(page 596) Mais en 1890, la suite d'un rescrit de l'empereur d'Allemagne, invitant les puissances à se faire représenter à une Conférence chargée de rechercher les mesures à prendre pour améliorer les conditions des classes ouvrières, le gouvernement belge se trouva dans l'obligation de se prononcer.

Cette Conférence internationale, qui se réunit à Berlin, avait à prendre des résolutions sur cinq ordres de questions :

Réglementation du travail : 1° dans les mines ; 2° du dimanche ; 3° des enfants ; 4° des jeunes ouvriers ; 5° des femmes.

Enfin, la Conférence devait arrêter des mesures pour la mise à exécution des résolutions adoptées par elle.

Consulté au sujet de ses dispositions à l'égard de cette réunion internationale, le gouvernement belge écrivit à M. Greindl, notre ministre à Berlin, qu'il était décidé à se faire représenter à la Conférence. Dans la lettre du prince de Chimay (lettre du 25 février 1890, doc. parl. Sénat, 19 mars 1891), ministre des affaires étrangères de l'époque nous lisons :

« Le gouvernement du roi ne se dissimule pas, toutefois, les difficultés inséparables d'une aussi vaste entreprise. Les questions relatives au travail sont complexes... »

Plus loin, le ministre déclare qu'à ces divers points de vue, il aurait des réserves à faire.

Furent délégués Berlin, M. Greindl, notre ministre dans la capitale allemande, M. Emile Harzé, directeur des mines et M. Victor Jacobs.

Des instructions spéciales leur furent données pour régler leur attitude conformément aux intentions du gouvernement.

Nous avons essayé de nous procurer le texte de ces instructions, mais le ministre des affaires étrangères, M. de Fayereau, nous répondit, dans une lettre du 10 octobre 1904, que ces Instructions n'ont pas été publiées et qu'au surplus, « les instructions de cette espèce, préparées en vue des différentes éventualités qui pourront se produire, présentent d'ailleurs un caractère confidentiel qui en permettrait difficilement la divulgation » !

(page 597) Ces instructions furent, assure-t-on, très hostiles à toute réglementation sérieuse du travail, ce qui n'a rien qui nous étonne, car l'attitude réactionnaire des délégués belges, à Berlin, fit scandale.

Un savant professeur de Leipzig, M. Karl Bocher, apprécia comme suit la politique sociale du gouvernement belge

« A la Conférence internationale de Berlin, dit-il, les délégués belges se sont distingués par leur tenace opposition ; les atténuations et les réserves dont ils ont fait preuve relativement à toutes les propositions qui tendraient à embrasser un plus vaste terrain.

« La pénible impression qu'ils firent, par là, sur les divers membres de la conférence, se trouve reproduite dans le rapport des délégués suisses au département de l'industrie. Il semble qui ceux qui l'on causée soient les seuls qui ne l'aient pas éprouvée. »

Ce qui précède prouve surabondamment l'évidente mauvaise volonté, l'instinctive opposition du ministère catholique à toute mesure sociale sérieuse.

Sur l'attitude des délégués belges à la Conférence de Berlin, nous n'avons pu obtenir communication des instructions leur données par le gouvernement, nous avons cependant trouvé, dans un compte rendu publié à Leipzig, « par autorisation officielle » (« Conférennce internationale », Leipzig, Duncker et Humbolot, 1890)1), des travaux de la Conférence en question, le reflet de ces instructions dans l'attitude vraiment réactionnaire des délégués belges. Seul M. Emile Harzé, directeur des mines au ministère, semblait animé de meilleurs sentiments à l'égard des travailleurs, et cependant il était fonctionnaire et chargé d’une mission !

Les délégués belges, principalement MM. Victor Jacobs et le baron Greindl, combattirent systématiquement toute mesure quelque peu favorable aux ouvriers. Sur les termes mêmes des résolutions soumises aux votes des délégués, ils firent des objections nombreuses. Par exemple ils déclarèrent ne pas vouloir (page 598) donner aux résolutions citées le nom de « proposition » mais de « vœux ». Ils s'opposèrent, de même, à que l'on parlât dans les textes soumis aux votes, de mesures « indispensables », ce serait, prétendaient-ils, trop préjuger les résolutions des divers gouvernements !...

Lorsqu'il fut proposé de convoquer de nouvelles conférences internationales, les délégués du gouvernement belge protestèrent. Ils semblaient dire : « Notre gouvernement n'a pas osé refuser de prendre part à cette assemblée, mais on ne l'y prendra plus ! »

Voyons maintenant quelle fut l'attitude des délégués belges sur chacune des questions soumises à leur vote.

Pour le repos du dimanche ou le repos hebdomadaire, M. Jacobs déclara que le gouvernement belge ne voulait s'engager que pour les mineurs et qu'il refusait d intervenir en faveur des majeurs, des adultes.

La Conférence eut également à se prononcer sur le principe de l'instruction obligatoire, complément indispensable de l'interdiction du travail des enfants, avant un certain âge.

Les délégués belges votèrent contre.

On proposa de fixer la durée maxima de la journée de travail qui pourrait être exigée des enfants de 12 à 16 ans. Les délégués belges déclarèrent ne pouvoir adhérer à une durée moindre de 12 heures par jour.

Sur l'interdiction du travail de nuit et du dimanche, des filles et des femmes, les délégués belges votèrent contre. Ils se rallièrent à l'interdiction du travail dans les travaux souterrains des mines, avant 14 ans révolus, mais sans aucun engagement de leur part, la Belgique venant d'adopter une. loi réglant le travail des enfants et des femmes.

Bref, presque sur tous les votes de la Conférence, les Belges furent parmi les opposants. Ils furent presque toujours en opposition avec les délégués de l'Allemagne, de l'Autriche, de la Hongrie, de la Grande Bretagne, de la Suisse, etc. Par contre, ils se trouvèrent en communion d'idées avec les délégués espagnols, portugais et italiens !

Et c'est ainsi que s'explique la « pénible impression » que (page 599) délégués de la Belgique à cette Conférence, selon M. Karl Bücher.


Pendant cinq années, nous l'avons vu, le ministère catholique ne fit plus rien en matière de réformes ouvrières et il oublia de proposer des solutions aux autres problèmes qui avaient fait l’objet des études de la commission du travail de 1886. Il institua cependant, en avril 1892, le Conseil supérieur du travail, sous la présidence de M. le duc d'Ursel, mais ce conseil a des pouvoirs très limités et il ne peut se réunir qu'à la demande du gouvernement.

Lorsque M. d'Ursel donna sa démission de président de ce Conseil en 1900, on déclara même que c'était à titre de protestations, à cause du rôle effacé que l'on faisait jouer à cet organisme.

Mais au mois d'octobre 1894 eurent lieu les premières élections sous le nouveau régime électoral et, d'un coup, l'on vit pénétrer vingt-huit députés socialistes au Parlement.

Cet événement, auquel les dirigeants étaient loin de s’attendre, fut pour eux un coup de massue aussi violent que le furent les émeutes et les incendies de 1886.

Moins d'un mois plus tard, le 12 novembre 1894, un arrêté royal annonça la création de l'Office du Travail, ayant pour mission de recueillir, de coordonner et de publier tous renseignements relatifs au travail, la production, les salaires, les rapports avec le capital, la condition des ouvriers, la situation du travail en Belgique et à l'étranger, les accidents du travail, les grèves, le chômage, etc. etc.

L'arrêté organique de l'Office du Travail ne parut que le 12 avril suivant et ce fut le 25 mai, de la même année 1895, que l’on constitua le ministère de l'Industrie et du Travail !

Le gouvernement semblait repris à, nouveau d'une belle ardeur ! Dans la séance de la Chambre du 16 novembre 1894, M. de Burlet, chef du cabinet, annonça le dépôts d’une série de projets de lois, relatifs notamment au contrat de travail, aux assurances contre les accidents du travail, aux caisses de prévoyance des ouvriers mineurs, à la personnification civile des (page 600) unions professionnelles, aux règlements d'ateliers, aux conseils des prud’hommes, aux conseils de l'industrie et du travail, etc.

Une fois de plus, la peur du socialisme fut pour nos gouvernants le commencement de la sagesse, et cette sagesse se manifesta, on le voit. par le dépôt de quelques projets de lois et l'annonce de quelques autres. Suivant l'exemple du prince de Bismarck qui, dans le but de détourner les travailleurs allemands du parti socialiste avait fait voter les lois d'assurances contre la maladie, les accidents, l'invalidité et la vieillesse, les ministres belges crurent, à leur tour, que le meilleur moyen d'arrêter le flot montant du Parti ouvrier, était de donner satisfaction aux travailleurs, par le vote de quelques lois sociales.

Dès la rentrée des Chambres, le ministère paraissait donc plein de bonne volonté, mais bientôt il eut moins peur et peu à peu son zèle réformateur se refroidit.

Entretemps. nous l'avons vu, le ministère fit voter la loi qui, sans aucun doute, fut dirigée contre les socialistes auxquels on voulait fermer les municipalités ; puis une loi scolaire, rendant la religion obligatoire dans les programmes de l'enseignement populaire, dans le but de dresser à leur image les nouvelles générations.

La première loi sociale votée sous le nouveau régime électoral fut celle relative aux règlements d'ateliers. Elle porte la date du 16 février 1896. Elle implique l'obligation d'arrêter un règlement d'atelier comprenant le commencement et la fin de la journée de travail, la manière dont le salaire est déterminé, le mode de mesurage et de contrôle, les époques de paiement des salaires, le montant des amendes qui ne peut dépasser un cinquième du salaire.

Tout règlement nouveau ou toute modification apportée à celui en vigueur, doit être porté à la connaissance des ouvriers pendant trois jours, afin de leur permettre de faire les observations qu'ils croient utiles.

L'année suivante fut votée la loi sur l'inspection des mines. Les députés mineurs avaient proposé de faire nommer les inspecteurs par les ouvriers eux-mêmes, mais le gouvernement s'y opposa formellement.

(page 602) En 1898, les Chambres adoptèrent une loi sur les unions professionnelles, mauvaises copie de la loi française de 1884. Jusqu’ici cette loi n’a servi qu'aux groupements de cultivateurs et non aux syndicats ouvriers proprement dits.

En 1899, vote de la loi sur la salubrité et la sécurité du travail.


On le remarquera, jusqu'en 1899 c'est à peine si le parlement trouva le temps de discuter et de voter une seule loi sociale par année.

En 1900, il devait y avoir des élections législatives dans l'ensemble du pays et sous le régime nouveau de la représentation proportionnelle.

Qu’allait donner le nouveau système électoral ? Ses adversaires, MM. Woeste, Helleputte et d'autres avaient prédit des catastrophes, pour le parti catholique s'entend ! S'il allait être défavorable au parti au pouvoir ? S'il allait le renverser ?

Ce fut sans doute dans le but de satisfaire la masse populaire, pour permettre aux candidats catholiques de parler bien haut de la bonne volonté du gouvernement, que cette année-là les Chambres votèrent deux lois, importantes par leur principe même, celle relative au contrat du travail et celle des pensions de vieillesse.

La loi sur le contrat du travail compte quarante-deux articles. Elle règle le contrat par lequel un ouvrier s'engage à travailler sous l'autorité, la direction et la surveillance d'un chef d'entreprise, moyennant une rémunération. Elle stipule les obligations réciproques des parties, les différentes manières dont prennent fin les obligations, la capacité de la femme mariée et du mineur d'engager leur travail, etc.

La loi sur les pensions de vieillesse fut déposée le 11 avril 1900. Les sections se réunirent quelques jours après et la section centrale travailla d'arrache-pied ! C'est à peine si l'on autorisa l’auteur de ces lignes de déposer, selon l'usage, une note de la minorité ! On était pressé. Des élections allaient avoir lieu quelques semaines plus tard et l'on ne voulait, à aucun prix, se présenter les mains vides devant les électeurs !

(page 603) Déposé sur le bureau de la Chambre le 11 avril, le projet ne fut distribué aux membres de la Chambre que le 21 du même mois. Les sections furent réunies le 24 et c'est à peine si elles consacrèrent deux heures à l'examen de ce vaste problème des pensions ouvrières que, quelques semaines auparavant, M. Woeste déclarait ne pas être mûr !

La section centrale fut convoquée pour le lendemain 25 avril et c’est le 30 que le rapport - favorable, cela va sans dire - fut déposé.

La Chambre consacra à la discussion du projet les séances des 2, 3 et 4 mai. Le Sénat marcha plus vite encore et la discussion générale, ainsi que celle des articles, ne prirent qu'une séance, celle du 7 mai.

Cette loi fut promulguée le 10 mai et publiée dans le Moniteur du surlendemain !

Elle oblige l'Etat à accorder des primes annuelles d'encouragement en vue de la constitution de pensions de vieillesse, aux personnes assurées soit à la Caisse générale de retraite, sous la garantie de l'Etat, soit à une société mutuelle de retraite reconnue par le gouvernement. Celle-ci sert ainsi d'intermédiaire entre les membres et la Caisse de retraite. Le montant du subside annuel est fixé à 60 centimes par franc et par livret, à concurrence de 15 francs versés.

Elle accorde également une allocation annuelle de 65 francs à tout ouvrier ou ancien ouvrier belge, ayant une résidence en Belgique, âgé de 65 ans au janvier 1901 et se trouvant dans le besoin.

C'est la première loi que le gouvernement catholique faisait voter et qui lui coûtait de l'argent. Elle exige le vote de crédits s’élevant de 15 à 16 millions par année.

Il est vrai que Ces millions furent trouvés dans une aggravation des droits d'accises sur l'alcool qui rapporte l'Etat somme beaucoup plus considérable.

En 1901, la législation ouvrière vint s'enrichir d'une (page 604) nouvelle loi sur le mesurage du travail, appelée à mettre fin aux abus qu’Anseele dénonça lorsqu'il prononça son fameux discours dans lequel il démasqua « Cartouche et Cie », et qui eut tant de retentissement.

L’année suivante, aucune mesure nouvelle ne fut proposée ou adoptée, mais en 1903, les Chambres votèrent enfin une loi sur la réparation des accidents du travail, décalque des lois françaises et anglaises et qui, si elle apporte une certaine réparation aux victimes du travail, alors qu'auparavant ils n'avaient aucun droit sauf en cas de faute commise par les patrons, est loin de faire bonne justice et ne peut-être considérée par les ouvriers que comme un acompte sur ce qui leur revient légitimement.

Enfin, en 1905, les Chambres adoptèrent une loi sur le repos du dimanche, due à l'initiative parlementaire et qui fut votée malgré l'hostilité du gouvernement, hostilité qui se manifesta dans le cours de la discussion et finalement par l'abstention significative, au moment du vote, de M. de Smet de Naeyer.

Lors de la discussion de chacune de ces lois, les députés socialistes firent de grands efforts dans le but d'améliorer les projets du gouvernement. Si les discours des députés ouvriers n'eurent pas de résultats pratiques immédiats, c'est-à-dire n'améliorèrent point les projets déposés, ils eurent cependant pour effet de dénoncer les nombreux abus de l'industrialisme moderne et les méfaits du capitalisme en action.

Ils firent plus et mieux encore. A chaque projet ministériel, ils opposèrent un contre-projet, sous forme d'amendement, afin de bien marquer le caractère positif de leur action parlementaire. et la direction qu'ils donneraient à la législation sociale, s'ils étaient majorité.

D'autre part, les députés socialistes usèrent de leur droit d’initiative, pour déposer plusieurs propositions de loi.

Alfred et Léon Defnisseaux déposèrent un projet de pension pour les vieux houilleurs et Léon Furnémont pour tous les vieux travailleurs ; (page 605)

H. Denis, un projet organisant le marché du travail industriel et agricole, etc., etc. ;

L. Bertrand, des projets sur la réglementation et la durée du travail, le travail de nuit, le repos hebdomadaire. la situation du personnel ouvrier et employé de l'Etat, le travail des enfants, les clauses à inscrire obligatoirement dans les cahiers des charges des entreprises de travaux publics, etc. ;

G. Defnet sur la loi des prud'hommes ;

Niezette sur l'organisation d'une représentation professionnelle de l'agriculture.

D’autres projets furent encore soumis au Parlement par les socialistes, sur des matières diverses : impôt sur les revenus, organisation du crédit foncier, etc., par H. Denis ; la chasse, par Defnet ; l'épargne de la femme mariée, par Vandervelde ; la suppression du remplacement militaire, par Bertrand,


Mais il ne suffit pas de légiférer en une matière quelconque, il faut encore que la loi votée ait une sanction et il faut surtout que des agents soient chargés de son application. Or les lois ouvrières sont peu appliquées en Belgique et cela pour une double raison.

Or les lois ouvrières sont peu appliquées en Belgique et cela pour une double raison. La première, c'est que les ministres, sauf peut-être M. Nyssens, se montrèrent toujours hostiles à une application trop rigoureuse. Les inspecteurs du travail recevaient l’ordre de se montrer très conciliants, de faire des recommandations répétées, de ne pas dresser des procès-verbaux lors d'une première ou d'une seconde infraction constatées.

La seconde raison de la non-application sérieuse des lois réside dans le nombre dérisoire de fonctionnaires chargés de l'inspection du travail.

En 1895, le personnel de l'inspection comprenait 22 agents. En 1905, dix années plus tard, et après le vote de plusieurs lois nouvelles et de l'extension donnée par des arrêtés royaux, aunombre des personnes protégées, le personnel se composait seulement de 30 inspecteurs, inspecteurs-adjoints ou délégués, ce qui est certainement dérisoire.

(page 606) Les lacunes et les vices de l'inspection du travail sont tellement évidents que des députés catholiques, très dévoués au gouvernement, tel M. Verhaegen par exemple, ne cachent point la longanimité que mettent les agents du ministère de l’industrie et du travail pour la répression des délits commis par les industriels petits et grands.

Et l'hostilité du gouvernement au pouvoir, au moment nous écrivons ces lignes (mars 1907), en ce qui concerne la législation ouvrière et son application, se manifeste de plus en plus clairement. Elle s'est affirmée surtout lors de la discussion de la loi sur les mines.

A la suite de la découverte de nouvelles richesses minières dans le Nord de la Belgique. le gouvernement reconnut qu'il était impossible de ne pas modifier la loi de 1810 avant d'accorder de nouvelles concessions. Il déposa donc un projet de loi portant certaines modifications à la législation en vigueur.

Mais dans le projet déposé, aucune clause nouvelle n'a trait aux conditions du travail, durée du labeur journalier, salaires, mesures de sécurité, participation dans les bénéfices, pension de retraite, etc., etc.

Et cette discussion ne marchant pas assez vite au gré du gouvernement. celui-ci, sollicité de toutes parts par les demandeurs en concession, en accorda plusieurs, de plusieurs milliers d'hectares chacune, et ce sans imposer aux bénéficiaires de ces concessions, la moindre obligation en faveur des travailleurs du futur bassin de la Campine.

Il fallut que des députés, des socialistes et des catholiques, saisissent la Chambre, par voie d'amendements, pour que des mesures protectrices du travail fussent inscrites dans la loi et ce contre le gré du ministère et de la majorité des députés catholiques.

Manifestement, le gouvernement clérical est réfractaire toute intervention légale en faveur des travailleurs, même en faveur de ceux qui sont occupés dans des industries concédées, cependant légale s'explique, se justifie plus facilement encore que dans les industries particulières.

Pareille attitude est inconcevable et tout fait prévoir, malgré (page 607) l’appui qu’elle obtient de certains députés libéraux restés des manchestériens plus ou moins honteux, qu'elle déterminera une crise qui renverse ce gouvernement qui n'est certes pas, en cette matière surtout, en communauté d'idées avec la grande majorité et de sa représentation parlementaire.

(Note de bas de page : Une crise ministérielle suivit le vote d'un amendement Beernaert-Helleputte, et le gouvernement démissionnaire eut l'audace grande de retirer le projet adopté par la Chambre des représentants, à une très forte majorité. Le cabinet de Trooz qui prit la succession du ministère de Smet de Naeyer représenta le projet sur les mines au Sénat, tel qu’il était sorti des délibérations de la Chambre, mais il n'en reste pas moins acquis, qu’alors que le ministère clérical s'était montré généreux à l'égard des demandeurs en concession, il refusa systématiquement d'empêcher les futurs exploitants des mines du Limbourg d'abuser de la force de travail des ouvriers houilleurs.)