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Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830
BERTRAND Louis - 1907

Louis BERTRAND, Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830

(Tome premier paru en 1906 à Bruxelles, chez Dechenne et Cie)

Tome premier. Première partie (la Belgique de 1830 à 1848)

Chapitre premier. Situation de l’Europe au début de 1830

(page 5) Après la chute de Napoléon, vaincu par les troupes des Alliés dans les plaines de Waterloo, la carte de l'Europe se modifia. La Belgique fut enlevée à la France et la Hollande, rendue à la famille d'Orange, fut réunie à notre pays pour former le Royaume des Pays-Bas.

Les souverains de l'Europe, entrés en possession de leurs Etats avec le concours de l'Eglise, essayèrent de détruire l'œuvre de la Révolution et de restaurer l'ancien régime d'avant 1789.

C'est ce retour à la monarchie absolue que l'on a appelé la « Restauration » en France.

Deux théories politiques, se trouvèrent en présence : la théorie absolutiste et la théorie constitutionnelle. D'où deux partis : le parti du régime absolutiste et le parti constitutionnel ou libéral.

Ce qui distinguait ces partis, ce n'était pas la forme gouvernementale, république ou monarchie ; leur différence consistait dans le principe même du pouvoir. Les uns, les absolutistes, étaient partisans de la monarchie de droit divin et s'appuyaient à la fois sur l'Eglise et sur la noblesse. Les autres, au contraire, représentaient avant tout la classe bourgeoise, l'émancipée de 1789, qui voulait gouverner efficacement avec le concours d'un roi constitutionnel, c'est-à-dire d'un roi régnant mais ne gouvernant pas, roi constitutionnel que Napoléon Ier comparaît irrévérencieusement à « un porc à l'engrais ».

La théorie du régime constitutionnel ou libéral était basée sur ce principe essentiel, que la nation est souveraine et maîtresse de ses destinées.

(page 6) Le parti constitutionnel se recrutait principalement dans les grands centres et avait comme partisans les bourgeois, les hommes de loi et les ouvriers. Il avait pris pour règle de sa ligne de conduite : le progrès par la liberté.

Aussitôt que ces deux politiques antagonistes s'affirmèrent, la lutte s'engagea entre elles pour le pouvoir et la direction à donner à la société.

Les absolutistes, nous l'avons dit, voulaient que le roi fût maître souverain. Louis XVIII, dans un esprit de transaction, consentit à octroyer une Constitution, mais sans que l'Assemblée eût à se prononcer sur elle, ni eût le droit de la modifier en quoi que ce soit.

Le parti libéral, de son côté, réclamait une Constitution écrite, des Chambres élues par des électeurs, la liberté de la presse, etc.

C'était, en un mot, un régime identique à celui qui avait été en vigueur de 1715 à 1760 en Angleterre que réclamait la bourgeoisie libérale. Dès 1760, les rois d'Angleterre essayèrent de revenir au régime antérieur et de régner effectivement, c'est-à-dire de gouverner directement ; mais ils furent finalement vaincus et les droits du Parlement reconnus. L'Angleterre fut le premier pays qui entra résolument dans la voie des réformes politiques, et elle accentua encore cette évolution après 1830.

En France, la lutte fut ardente pendant la Restauration. Il se constitua alors une véritable oligarchie composée de la grosse bourgeoisie. Pour être électeur, il fallait payer 300 francs de contributions directes à l'Etat et 1,000 francs pour être éligible. Il en résulta que pour une population de 25 à 30 millions d'âmes, il n'y avait que 110,000 électeurs.

La moyenne et la petite bourgeoisie, exclues du droit électoral et souffrant d'un gouvernement aristocratique et d'argent, n'acceptèrent pas cette situation et protestèrent contre ce régime.

Elles organisèrent des sociétés secrètes et des conspirations, publièrent des journaux et des pamphlets, firent appel au peuple ouvrier pour l'intéresser à leur cause qui, disaient-elles, était celle de la nation.

(page 7)Charles X, pas plus que son prédécesseur, n'admettait le régime parlementaire : « J'aimerais mieux, disait-il, scier du bois que d'être roi aux conditions du roi d'Angleterre. »

C'est ce qui le perdit.

Pour sauvegarder ses droits battus en brèche, il prit des mesures réactionnaires à l'excès. Parmi celles-ci, il faut citer la loi sur les sacrilèges, punissant de mort la profanation de l'hostie ; la loi des couvents, ayant pour but de doter les cloîtres ; la loi du milliard, en faveur des émigrés de la Révolution, auxquels on remboursa les biens confisqués ; enfin, la loi autorisant la rentrée des jésuites en France.

La lutte s'engagea alors entre le Parlement, et le roi. En (page 8) 1828, la majorité réactionnaire est renversée. Le roi constitue le ministère Polignac, qui recommença l'œu¬vre de réaction. La Chambre vote alors une adresse au roi, et, par 221 voix contre 181, refuse sa confiance au ministère. Le roi, furieux, dissout la Chambre.

De nouvelles élections ont lieu et la majorité libérale qui sort de ces élections, est composée de 278 membres contre 158.

Charles X se révolte à nouveau contre le « pays légal », et répond aux électeurs insoumis par les fameuses Ordonnances du 26 juillet, renvoyant une seconde fois les députés. Il suspend la liberté de la presse, enlève le droit de vote aux électeurs à titre de patentés, et réduit le nombre des députés de 436 à 262.

Le lendemain, la Révolution éclate à Paris, et le roi prend le chemin de l'étranger...

De 1815 à 1830, la politique de l'Allemagne ressemble beaucoup à celle de la France.

La réaction politique et religieuse y bat son plein. Puis la lutte s'engage entre les libéraux et les réactionnaires. La jeunesse universitaire professe des idées avancées, démocratiques. Le pouvoir réprime ces tendances déclarées révolutionnaires et funestes. La liberté très relative de la presse et le droit d'association et de réunion sont vinculés, empêchant ainsi tout progrès politique ou intellectuel.

En Prusse et en Autriche, on vit sous un régime de monarchie absolue avec des mœurs et des institutions féodales.

Les idées de la Révolution française, importées en Italie par les armées de Napoléon, y font beaucoup de prosélytes. Bientôt comme conséquences de cet état d'esprit, les idées d'unité nationale et les principes de la révolution font des progrès sérieux. Pour résister au pouvoir, le Carbonarisme, les sociétés secrètes, les conspirations se répandent partout.

Après 1821, la politique de la Restauration triomphe en Italie comme en Allemagne.

Mais revenons en Belgique.

La constitution, en 1815, du royaume de Pays-Bas, par la réunion de la Belgique à la Hollande, avait été l'œuvre de la diplomatie étrangère.

(page 9) L'auteur anonyme d'un travail remarquable intitulé Revue politique de l'Europe en 1825 , appelle la Belgique la « seconde terre de la liberté en Europe ». Il fait l'éloge du roi Guillaume et déclare qu'aucun roi contemporain ne possède plus de vertus que lui.

Cependant, dit encore cet écrivain, ce roi si digne de l'être, ne fait point le bonheur de la nation. Elle succombe sous le fardeau des impôts ; son système d'administration est vicieux.

Il ajoute : « Il serait digne du sage roi des Belges de ne point laisser à son successeur la douceur et la gloire de fermer les plaies de son pays, et de faire cesser ce triste concert de plaintes qui doit souvent troubler le repos d'un roi si vertueux. »

Rappelons-le, cela s'écrivait au début de l'année 1825. (Note de bas de page : Cet écrit, publié à Paris en avril 1825, est attribué à Benjamin Constant.)

Louis Blanc, dans son Histoire de dix ans, parlant de la situation de la Belgique vers 1830, dit que la nation vivait dans un état d'agitation extrême. Au point de vue matériel, dit-il, jamais elle n'avait été plus heureuse que depuis sa réunion à la Hollande. Les colonies hollandaises fournissaient à ses produits d'importants et nécessaires débouchés. Le monarque qui les gouvernait était, d'ailleurs, une bonne tête, et, sans contredit, l'un des souverains les plus remarquables de l'Europe. Profondément versé dans la science économique, ayant le goût des spéculations, parce qu'il en avait le génie, Guillaume avait donné à l'industrie hollando-belge une impulsion sinon très morale, au moins très vive. Parmi les plus riches négociants de son royaume, les uns étaient ses associés, les autres ses débiteurs, et c'était lui qui avait fondé à Bruxelles la Société générale pour favoriser l'Industrie nationale qui existe encore aujourd'hui.

Mais le roi Guillaume était hollandais et il se souvenait trop de ce qu'en 1815, la Belgique n'avait été réunie la Hollande que comme un accroissement de territoire. De là des préférences injurieuses et, dans la distribution des emplois, une partialité révoltante.

Il faut ajouter que les Belges étaient quatre millions contre deux millions seulement de Hollandais et que, dans la représentation (page 10) aux Etats généraux de La Haye, ces quatre millions ne comptaient pas plus que les deux millions de Hollandais. Puis venait la question des langues : une bonne partie des Belges parlaient le français seulement, alors que la langue imposée était le néerlandais. Puis encore la question de religion : les Belges étaient catholiques et les Hollandais, protestants. L'établissement à Louvain d'un collège philosophique avait soulevé contre le gouvernement du roi Guillaume la puissance du clergé catholique, puissance jalouse et qui ne pardonne pas !

Enfin, le ministre de la justice Van Maenen, instrument trop fidèle des volontés de son maître, avait fait poursuivre des écrivains belges et, contrairement aux lois établies, les avait fait condamner et emprisonner aux Petits-Carmes.

Le pouvoir du gouvernement de La Haye était ombrageux. Pour des bagatelles, pour de simples plaisanteries parfois, on était arrêté et poursuivi. C'est ainsi qu'en 1828, deux jeunes français, Ballat et Jadon, habitant Bruxelles, voulant critiquer l'impôt sur la mouture et le projet de Code pénal, avaient publié dans l'Argus une chanson dont voici le refrain : « Pauvre peuple, on vous pressurera, on vous pendra ; - Voilà la liberté, - Biribi - A la façon de barbari - Mon ami ! »

Ils furent arrêtés, firent plus de trois mois de prison préventive, et furent ensuite traduits devant la Cour d'assises du Brabant méridional qui les condamna à un an de prison !

Le roi les graçia, il est vrai, mais à condition qu'ils seraient reconduits à la frontière.

Edouard Ducpétiaux, pour avoir critiqué cet acte et cette condamnation, fut poursuivi à son tour et condamné à un an de prison. L. De Potter, lui aussi, fut condamné plusieurs fois pour délit de presse.

C'est dans le but de mettre fin à ce régime que les libéraux et les catholiques belges s'unirent. Le mouvement de (page 11) mécontentement alla en augmentant et la révolution du 27 juillet 1830 à Paris, accentua la résistance ici, pour aboutir finalement à la révolution de septembre.