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Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830
BERTRAND Louis - 1907

Chapitre IX. L'Enquête du travail de 1886. Réformes proposées

Rapport au Roi l'invitant à constituer une commission d'enquête - Les ouvriers sont exclus de la commission - Programme manchestérien - Attitude du Parti ouvrier - Ce que demandaient les travailleurs - Ce que proposa la commission du travail

(page 439) Après la répression sanglante, les arrestations de grévistes et d'émeutiers et en attendant que la lourde main de la magistrature retombe sur les coupables, le gouvernement comprit qu'il y avait autre chose faire pour éviter le retour d'événements semblables à ceux de mars et d'avril 1886.

C'est ainsi que lui vint l'idée de constituer une commission chargée de faire une enquête sur la situation de nos classes laborieuses et de présenter des propositions à soumettre aux Chambres législatives.

C'est à cet effet que le Moniteur du 17 avril 1886, publia un rapport au Roi signé par les ministres Beernaert et de Moreau d'Andoy.

Quelques extraits de ce rapport méritent d'être rappelés et reproduits ici :

« Sous un régime de liberté tel que le nôtre, disaient les ministres, s'adressant au chef de l'Etat, les intérêts de tous les citoyens sont solidaires et les populations ouvrières ont vu leur Sort s'améliorer en même temps que celui des autres classes de la société.

« Il n'est personne d'ailleurs qui ne puisse aspirer aux plus hautes destinées et, parmi nos chefs d'industrie, combien n'en est-il pas qui ont eux-mêmes manié l'outil ou dont les pères étaient de simples artisans ?

(page 440) « Cependant, le sort des ouvriers doit faire plus de la sollicitude des pouvoirs publics. C'est surtout des faibles qu'il se préoccuper.

« La Belgique n’a point manquer à ce devoir. Les sociétés de secours mutuels, organisées par une loi qui remonte à plus de trente ans, ont pris un grand développement et le gouvernement accorde la personnification civile à celles qui se font reconnaître. Les caisses de prévoyance en faveur des ouvriers mineurs, jouissent du même avantage et étendent leurs bienfaits à près de 110,000 ouvriers. La loi sur l'entretien des enfants trouvés et abandonnés, l’amélioration du régime des monts-de-piété, l'institution de sociétés pour la construction de maisons d'ouvriers, (mesure à laquelle Votre Majesté s'est toujours particulièrement intéressée), l'établissement de la Caisse générale d'épargne et de retraite, l'organisation de conseils de prud'hommes, ont produit, dans des ordres d'idées divers, des effets excellents.

« En même temps, les lois restrictives dont les ouvriers pouvaient se plaindre ont été supprimées : l'article 1781 du Code civil été aboli, et les travailleurs peuvent se coaliser pourvu que ce soit pacifiquement. Ainsi, le capital et le travail occupent, théoriquement, le même rang dans la production de la richesse et c'est librement qu'ils règlent leurs rapports.

« L'initiative privée a, d'antre part, provoqué la création d'associations, de syndicats, de corporations et de patronages, qui ont pour but l'augmentation du bien-être moral et matériel des classes laborieuses, et un grand nombre d'établissements industriels ont créé, au profit de ceux qu'ils emploient, des institutions spéciales de prévoyance ou de charité.

« Il s'en faut cependant que tout soit fait, et le problème de l'amélioration du sort de l'ouvrier s'impose, au contraire, plus que jamais à l'attention de tous.

« L'évolution économique à laquelle nous assistons, le développement énorme de la production dans tous les pays du monde, et la baisse des prix qui en est la conséquence, les effets de libre concurrence dans certains pays et de l'adoption de tarifs protecteurs dans d'autres, ont amené des difficultés imprévues et créé entre le capital et le travail un antagonisme plus apparent que réel.

(page 441) Le moment semble venu d'étudier avec ensemble et méthode l'état de nos populations ouvrières et des industries qui les emploient, et d'examiner quelles sont les institutions à créer ou les mesures prendre en vue d'améliorer la situation. Dans ces derniers temps, les sciences sociales ont été l'objet de travaux considérables, des idées nouvelles se sont fait jour et des législations étrangères ont tracé des précédents qui sont dignes d’une étude attentive.

« Ce travail, Sire, sera ardu et il soulèvera de nombreuses difficultés; mais, plus il y a d'intérêts en jeu, plus il importe de chercher sans retard les concilier et les harmoniser...

« Ce Comité d'études, dans la pensée du gouvernement, devait avoir pour mission de s'enquérir de la situation du travail industriel - ce qui faisait croire que le gouvernement l'ignorait ou ne s'en était pas préoccupé - et d'étudier toutes les mesuresqui étaient capables de l'améliorer.

Il fut composé comme suit :

MM. Arnould, ingénieur divisionnaire des mines ; Balisaux, sénateur ; Brants, professeur à l'université de Louvain ; Buls, bourgmestre de Bruxelles ; Cartuyvels, vice-recteur de l'université de Louvain ; Cornet, sénateur ; d'Andrimont, représentant ; Dansaert, président de l'Union syndicale de Bruxelles ; Dauby, chef de division chargé de la régie du Moniteur ; De Bruyn, représentant ; De Jace, publiciste ; De Laveleye, professeur à l'université de Liége; De Molinari, publiciste ; Denis, professeur à l'université de Bruxelles ; le comte d'Oultremont, représentant ; De Ridder, professeur à l'université de Gand ; Guillery, ancien président de la Chambre des représentants, Jacobs, représentant ; Janssens, id.; Hanssens, id. ; Harzé, ingénieur en chef ; Henry, chanoine ; baron Kervyn de Lettenhove, représentant ; Lagasse, ingénieur principal des ponts et chaussées ; Lammens, sénateur ; Malou, ministre d'Etat ; Meeus, représentant; Montefiore-Levi, sénateur ; Picard, avocat à la Cour de cassation ; Pirmez, ministre d'Etat ; Prins, inspecteur général des prisons ; Sabatier, représentant ; Sainctelette, id. ; Simonis, sénateur ; Sabatier, t' Kint de Roodenbeke, conseiller provincial.

Furent nommés secrétaires : MM. de Haulleville, publiciste, (page 442) chef de division au département de l'agriculture de et des publics.

On remarquera qu'aucun ouvrier ne fut appelé à faire partie d'une commission chargée d'examiner la situation de la classe laborieuse et de proposer des remèdes aux souffrances dont elle se plaignait. Aussi, dès le premier jour, les organes socialistes déclarèrent-ils que cette commission n'était constituée que pour la forme, qu'elle n'aboutirait à rien.

D’autre part, le congrès annuel du Parti ouvrier, réuni quelques jours plus tard, (25 et 26 avril) à Gand, s’occupant des événements qui venaient de se produire et de la commission d’enquête instituée par le gouvernement, votait un ordre du jour disant :

« Le Congrès, tout en regrettant les événements de Liége et de Charleroi, déclare le gouvernement responsable de ces troubles, envoie ses sympathies aux malheureux frères de misère de ces contrées, proteste contre la répression sauvage ordonnée par le gouvernement et contre les illégalités commises par le sieur Vandersmissen.

« Déclare également que la commission d'enquête nommée par le gouvernement est inutile, et qu'il y a lieu de prendre des mesures immédiates pour améliorer la situation des ouvriers et accorderà ceux-ci le droit de suffrage, afin de ne plus voir se renouveler les désordres récents, et passe à l'ordre du jour. »

L'enquête devait être à la fois orale et écrite. Aussi, certaines fédérations ouvrières, se basant surtout sur l'absence de représentants de la classe ouvrière au sein de cette commission, décidèrent-elles de conseiller aux ouvriers de refuser d'y participer.

Edmond Picard, sur ces entrefaites, refusa d'en faire partie.

La Fédération ouvrière gantoise, contrairement à d'autres groupements ouvriers, décida de répondre à l'appel de la commission, à condition que des délégués des sociétés ouvrières fussent admis faire partie du bureau de la Commission.

Les membres de la section B chargés de présider à l'enquête à Gand, MM. Lammens, sénateur, président ; Buis, De Ridder, Janssens, A. t'Kint de Rodenbeek, résolurent d'admettre des délégués ouvriers au bureau...

(page 443) Anseele et Van Beveren représentèrent à la commission d'enquête, qui siégea à l'Hôtel de Ville, la coopérative « Vooruit », Pycke et Botteman, la coopérative « de Vrije Bakkers » ; Bruyneel, La coopérative « de Vooruitziende Bakkers », et J. Huygevelt, « De Werkman », de Ledeberg.

Les jours suivants, lorsque la commission entendit les dépositions des ouvriers appartenant aux divers syndicats gantois, des délégués de ceux-ci, Roets, Van Wemel, L. Bar, J. Pannekock, Vanderhaege, Warie, D’Hondt, L. Baert, CII. Beerblock et Vereecken, siégèrent également au bureau, avec le droit, comme les autres membres, de poser des questions aux témoins.

Quand la commission d'Enquête siégea à Bruxelles, dans la salle gothique de l'Hôtel Ville, on y admit également trois délégués ouvriers, qui avaient été désignés dans une séance convoquée par M. Buls, bourgmestre, et à laquelle assistaient des représentants de tous les groupes ouvriers de la capitale.

Furent nommés comme délégués à la commission d'enquête : Louis Bertrand, Désiré Vanden Dorpe et J.-B. Wets. Cet exemple fut dès lors suivi un peu partout et des délégués ouvriers, désignés par leurs camarades, purent prendre place au bureau de la commission d'enquête au Borinage, à Charleroi, à Morlanwelz, à Liége, à Verviers, à Louvain, etc.

L'enquête écrite et orale, ainsi que les discussions et les rapports de la commission, furent publiés en quatre gros volumes.

Questionnés directement, les ouvriers firent connaître leurs griefs, leurs misères, les abus dont ils se disaient victimes. Ces griefs peuvent se résumer en peu de mots : Salaires dérisoires, longues journées de labeur, règlements d'ateliers draconiens, paiement des salaires en marchandises et ce à des prix exagérés, abus des caisses de secours patronales, aucune garantie en cas d'accident du travail, exploitation du travail des femmes et des enfants, interdiction, sous menace de renvoi, de faire partie de syndicats ouvriers, de coopératives socialistes, etc., etc.

Après avoir exposé leurs griefs, les ouvriers firent connaître leurs revendications.

(page 444) La plupart commençaient en réclamant le suffrage universel, seul moyen assuraient-ils, de voir défendre directement leurs intérêts. Comme autres réformes, ils demandèrent la suppression du remplacement militaire, l'instruction obligatoire, la réduction du travail, la réglementation du travail des enfants et des femmes, des mesures capables d'assurer la sécurité des travailleurs, une loi sur les accidents, des caisses d'assurance contre la maladie, le chômage, l'invalidité et la l'inscription d'un salaire minimum dans les cahiers des charge des adjudications faites par les pouvoirs publics, etc., etc.

Partout, les membres de la commission d'enquête entendirent formuler les mêmes plaintes, les mêmes revendications.

Dans certaines contrées, des abus révoltants furent signalés. Par-ci par-là des industriels protestèrent, il est vrai, contre certaines accusations dont ils étaient l'objet, mais en général, celles-ci furent reconnues vraies, fondées.

Un grand nombre d'ouvriers firent savoir à la commission qu'ils avaient peur de venir déposer devant elle, craignant d'être renvoyés de l'atelier ou de la fabrique où ils étaient occupés. Il fallut les autoriser à parler à huis clos !

Dans certains cas même, des ouvriers furent chassés par leurs patrons et ceux-ci les signalèrent à leurs confrères, et il fallut des protestations de journaux pour atténuer l'esprit de vengeance de certains employeurs à l'égard de leurs ouvriers, assez osés pour dénoncer des abus dont ils se croyaient victimes.


Quand l'enquête écrite et orale fut terminée, la commission se divisa en sections chargées d'élaborer des conclusions sur les diverses mesures proposées, conclusions qui firent l'objet des délibérations des membres réunis en séance plénière.

C’est le ministre de l'agriculture, de l'industrie et des publics, M. de Moreau-d'Andoy, qui installa la commission, le 28 avril 1886.

Son discours témoigne d’un singulier était d'esprit. Il déclara que le gouvernement ne s'exagérait point l'influence que (page 445) peuvent exercer l'intervention de la législature et la sienne dans le domaine des questions ouvrières. En pareille matière, dit-il, le rôle du particulier est plus important que celui de l'Etat. C'est à l'initiative individuelle qu'il faut faire appel et non à la loi. Il n'est pas douteux, d'ailleurs, qu'en Belgique le sentiment public repousserait instinctivement tout ce qui ressemblerait à une atteinte à la liberté individuelle (des patrons) et pourtant, comment tracer des règles sans nuire à la liberté ?

(page 445) Ainsi parla le ministre. Tell était le fond de sa pensée. Cette pensée s’affirma à nouveau lorsqu'il proposa de désigner, pour présider la commission du Travail, MM. Eudore Pirmez et Victor Jacobs, deux adversaires résolus de l'intervention de l'Etat en matière ouvrière, tous deux aussi engagés dans la grande industrie et la haute finance. M. Pirmez, quelques mois auparavant, avait écrit une brochure sur « La Crise » et concluait en disant que c'était d'une crise d'abondance que l'on souffrait !

« Quand Auguste avait bu... »

Après avoir ainsi débuté en faisant connaître le fond de son cœur, M. de Moreau déclara que, néanmoins, le gouvernement avait pensé qu'il y avait lieu d'étudier à nouveau, et dans un esprit d'ensemble, quelles mesures législatives ou administratives il y avait lieu de prendre, mais il éprouva le besoin d'affirmer encore que c'est sur l'initiative privée qu'il fallait compter avant tout.

Le ministre recommanda l'examen de trois groupes de mesures :

- Les mesures relatives au régime du travail : Travail des femmes et des enfants, jours de repos, accidents, etc.

- Les rapports entre patrons et ouvriers ; Grèves, arbitrage, conciliation, conseils de prud'hommes, etc.

- Les institutions destinées à améliorer le sort des travailleurs : Sociétés coopératives, crédit populaire, sociétés de secours mutuels, syndicats ouvriers, habitations ouvrières...

M. de Moreau fut néanmoins obligé de reconnaître que la plupart des pays industriels de l'Europe : l'Angleterre, l'Allemagne, l'Autriche, la France et la Suisse, s'étaient occupés de résoudre législativement ces divers problèmes, mais ce n'était pas une raison suffisante, d'après lui, pour la Belgique, d'entrer à son tour dans cette voie, sa situation n'étant pas la même, vivant surtout de l'exportation et devant, pour favoriser celle-ci, produire à bon marché, c’est-à-dire payer de bas salaires et astreindre ses ouvriers à de longues journées de travail...

(page 447) On le remarquera, le programme tracé par le gouvernement à la commission d' enquête du travail, ne laissait guère de place à une œuvre hardie et féconde. Sa composition même, au surplus, ne permettait point d'avoir de pareilles espérances.


C'est dans cet esprit borné que les sections se mirent à l'œuvre.

Des rapports furent dressés, traitant de seize questions différentes : conseils de conciliation - réglementation du travail - habitations ouvrières - expropriation par zones - payement des salaires - caisses d'épargne - associations professionnelles - moyens de combattre l'alcoolisme - écoles professionnelles - sociétés de secours mutuels - service militaire personnel - conseils de prud'hommes - écoles ménagères - assurances contre les accidents du travail - caisses de secours, de prévoyance et de retraite en faveur des ouvriers industriels - sociétés coopératives.

La discussion des conclusions proposées fut souvent fort vive. MM. Buls, Denis, Prins et d'autres tentèrent de modifier, dans un sens plus large, les propositions faites par les rapporteurs, mais régulièrement leurs tentatives échouèrent, la grande majorité des membres estimant que, dans l'intérêt bien compris des ouvriers eux-mêmes , il ne pouvait être question d'aller plus loin !

C'est M. V. Brants, professeur à l'Université de Louvain, qui fut nommé rapporteur du projet relatif la constitution des conseils de conciliation.

(page 448) Il s’agissait d'aplanir les différents surgissant entre patrons et ouvriers. Ces conseils devaient être composés par moitié de patrons et par moitié d’ouvriers élus chacun par leurs pairs.

Il ne fut pas de sanctions à donner aux décisions de ces conseils de conciliation. Il n'en fut d'ailleurs pas question à la Chambre, si ce n’est sous la forme des conseil des l’industrie et du travail, et dont les résultats pratiques ont été nuls jusqu’ici.

M. le baron A. t'Kint de Roodebeek fut chargé du rapport sur la réglementation du travail.

La commission décida qu'en ce qui concerne la limitation de la journée de travail pour les adultes, elle repoussait, en règle générale, l'intervention du législateur.

Par contre, elle se prononça en faveur de l'interdiction complète et absolue des travaux souterrains des mines aux femmes et aux filles.

Elle fixa à douze ans l'âge d'admission des enfants dans les mines, fabriques et autres industries à déterminer. Elle admit cependant que de 10 à 12 ans les enfants pouvaient être employés pendant une demi-journée par jour.

De 12 à 15 ans, la durée de travail ne pouvait dépasser treize heures, y compris deux heures pour les repos.

Le travail de nuit serait interdit aux femmes dans les mines, fabriques ou chantiers.

L'inspection devrait être confiée à des fonctionnaires de l'ordre administratif déjà existant.

Aucune sanction pénale à donner à la loi ne fut discutée par la commission.

La question du logement des ouvriers fut examinée aussi, ainsi que celle des expropriations par zones.

On décida qu'en cas d'expropriation, il fallait réserver une partie des terrains expropriés pour la reconstruction d'habitations ouvrières.

Pour le surplus, la commission recommanda l'établissement d'une statistique scientifique des logements d'ouvriers, des mesures fiscales réduisant les charges frappant les maisons ouvrières, favorisant les sociétés qui se constitueraient pour la (page 449) construction, la location et surtout la vente des maisons ouvrières, etc., etc.

En ce qui concerne le payement des salaires, il fut décidé que tout contrat de travail stipulant directement ou indirectement un mode de payement de salaires autres que le payement en monnaie courante serait nul. Il en serait de même de tout contrat ayant pour objet d'obliger l'ouvrier à faire un emploi déterminé de son salaire.

M. Adolphe Prins fut chargé du rapport sur les associations professionnelles.

La commission adopta une résolution tendant à la reconnaissance légale d'associations professionnelles composées soit d'ouvriers, soit de patrons, soit d'ouvriers et de patrons exerçant la même profession, ayant pour but l'étude, le développement et la défense de leurs intérêts professionnels.

On entendait exclusivement par intérêts professionnels :

- les chambres de conciliation,

- les bourses du travail et les renseignements sur le travail,

- le déplacement et l'émigration des ouvriers,

- l'assistance en cas de chômage,

- les cours d'apprentissage, l'éducation technique, bibliothèques, expositions,

- les questions relatives aux conditions du travail, à l'inspection et au contrôle des travaux, des ateliers, des usines, mines et logements ouvriers ;

- la défense en justice des intérêts ouvriers ;

- l’organisation des secours en cas de maladie, accidents, mort, incapacité de travail, etc., etc.

Bref, on proposait une organisation juridique des unions professionnelles, à peu près semblable à celle de la loi française de 1884.

La commission recommanda ensuite la création d'écoles professionnelles ou l'encouragement à cet enseignement.

Elle proposa aussi quelques modifications à la loi sur les sociétés de secours mutuels et l'institution, dans chaque arrondissement, d'un ou de plusieurs comités de propagande pour la formation et le développement de sociétés de secours mutuels et de prévoyance.

(page 450) Elle proposa également quelques modifications à la loi de 1859 sur le conseil de prud'hommes, ainsi que la création d'écoles ménagères.

La question des accidents de travail fut examinée, au nom de la commission, par M. Ch. Dejace.

Elle conclut à rendre obligatoire la réparation des accidents du travail, mais en laissant les patrons libres, après l'accident de traiter sur le mode d'indemnité. L'ouvrier devait être assuré. L'assurance aurait pour objet les risques professionnels.

En ce qui concerne les sociétés coopératives, la commission du travail déclara que la loi en vigueur, depuis 1873, était suffisante.

M. Emile Harzé, directeur général des mines, avait été designé pour présenter des conclusions sur les caisses de secours, de prévoyance et de retraite en faveur des ouvriers industriels. Sur sa proposition, la commission du travail adopta une résolution disant, en substance, que tout patron d'entreprise industrielle, astreint à l’assurance des ouvriers contre les accidents du travail, ou affilié aux caisses communes de prévoyance en faveur des ouvriers mineurs, serait tenu d'organiser, pour les blessés, un service chargé de donner des soins médicaux, chirurgicaux, y compris les médicaments ; pour les ouvriers malades et les membres de leur famille, également des soins médicaux et pharmaceutiques, enfin, une caisse de secours pour l'octroi de secours en argent, pendant la période de chômage, par suite de maladie.

La commission adopta aussi une résolution relative aux caisses communes de prévoyance pour les ouvriers mineurs ; enfin, en ce qui concerne les ouvriers appartenant aux entreprises permanentes, qui dérivent d'une concession de l'Etat, qu'ils devraient être affiliés nominativement à la caisse générale de retraite ou à une institution analogue, à créer spécialement en leur faveur.

Cette affiliation résulterait du versement par le patron, au profit de l'ouvrier, d'un nombre fixe de centimes à déterminer par journée de travail auquel versement viendraient s'ajouter les subsides de l'Etat et les allocations de la province.

(page 451) L'âge auquel l'ouvrier aurait droit la pension dépendrait du métier qu'il exerce.

Citons, pour mémoire, une résolution proposant des mesures dans le but de favoriser l'épargne ouvrière, une autre contre l'alcoolisme, enfin, une dernière en faveur du service militaire personnel.

Quant à la principale réforme réclamée par les ouvriers, celle qu'ils considéraient et considèrent encore comme la clé de tontes les autres, le suffrage universel, la commission n'y pensa point ou refusa d'en aborder l'examen.

Elle termina ses travaux le 4 juin 1887, c'est-à-dire quinze mois après sa constitution, et les quatre volumes résumant l'enquête furent publiés dans le cours de cette même année.

Dans son discours de clôture, M. Eudore Pirmez, président de la commission, affirma à nouveau ses idées non interventionniste, en rappelant les paroles de M. de Moreau, disant qu'il ne faut pas s'exagérer l'influence que peuvent exercer la législation et le gouvernement dans le domaine des questions ouvrières.

Il ajouta :

« Ces sages paroles ont été les premières qui aient été prononcées ici ; qu'elles soient aussi les dernières »

« Elles rappellent une vérité qui ne doit jamais être perdue de vue par ceux qui ont à résoudre les problèmes qui nous ont été posés. »

Ces paroles reflétaient bien l'état d'esprit des classes dirigeantes en 1886. Elles devaient donner peu d'espoir aux travailleurs de voir le gouvernement et les Chambres se préoccuper de légiférer en leur faveur, de les protéger contre les abus de l'industrialisme et du capitalisme qui, jusque là, avaient été souverains maitres et en avaient profité pour exploiter la masse laborieuse, même dans ce qu'elle a de plus respectable, la femme ouvrière et les jeunes enfants.

Nous verrons d'ailleurs plus loin quelle fut la valeur de la législation sociale qui fut adoptée entre les années 1886 à 1894 et surtout comment ces lois anodines, faites contre cœur, furent - chose essentielle pourtant - respectées par les industriels et appliquées par les agents du gouvernement.