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Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830
BERTRAND Louis - 1907

Chapitre XVIII. La jeunesse socialiste. La propagande antimilitariste

L'organisation de la jeunesse socialiste - Le militarisme. - Propagande antimilitariste - Le Conscrit et la Caserne - Série de procès intentés aux Jeunes gardes - Organisation des Jeunes gardes - Fédération nationale

.(page 656) Afin de compléter la vue d'ensemble du mouvement démocrate socialiste personnifié dans le Parti ouvrier belge actuel, il nous reste à montrer ce qu'a fait le Parti, dans le but d'attirer la jeunesse et de la faire coopérer à l'œuvre de propagande commune.

Des cercles d' »Enfants du Peuple » ont été fondés, ainsi que des sociétés de chants, de gymnastique, etc. On y admet les enfants dès l'âge de six ou sept ans. Ces cercles, par leurs chants et leurs jeux, rehaussent l'éclat des fêtes socialistes, des manifestations populaires, des démonstrations en faveur de l'une ou l'autre grande réforme réclamée par les socialistes belges.

On sait que de tout temps le parti catholique a fait de grands efforts pour organiser la jeunesse. Chaque paroisse possèdent dans ce but, son patronage, ses confréries, ses congrégations. Le parti libéral, de son côté, a créé des œuvres postscolaires, pour faire l'éducation populaire des jeunes gens sortis de l'école et abandonnés à eux-mêmes, aux dangers de la rue et aux plaisirs malsains des salles de bal ou de café-concert.

Mais le parti socialiste poursuit aussi une campagne antimilitariste. Comme tous les autres partis socialistes du monde civilisé, il veut la suppression des armées permanentes, la suppression de la guerre entre les peuples ; il soutient que les différends qui peuvent se produire entre les nations, peuvent être aplanis, réglés par des cours ou des tribunaux d'arbitrages.

En attendant ces temps heureux, il faut songer cependant à se défendre contre une agression possible et, dans ce but, les socialistes préconisent l'organisation d'une armée de milices, à l’instar de celle existant en Suisse et qui permet d'obtenir le maximum de force avec un minimum de dépenses et de temps de séjour à la caserne, c'est-à-dire celui reconnu nécessaire à l’instruction des soldats.

La Belgique neutre et indépendante, souffre de la plaie du militarisme. Elle consacre une grosse partie de ses ressources à la défense nationale, à l'entretien de l'armée, ce qui est certainement abusif au suprême degré.

En effet, sur un budget de recettes de moins de 300 millions de francs, en 1905, la Belgique dépensait 95 millions pour la guerre, c'est-à-dire plus qu'elle ne dépense annuellement pour ses budgets de la justice, de l'intérieur, de l'instruction publique, de l'agriculture, de l'industrie et du travail.

Dans ces conditions, la propagande antimilitariste s'impose, car, sans elle, les dirigeants iraient même plus loin dans la voie des dépenses qui sont déjà hors de proportion avec les ressources du pays.

Mais il y a encore une autre raison de combattre le système militaire belge. Celui-ci admet le remplacement, c'est-à-dire autorise le milicien qui a tiré un mauvais numéro à la loterie militaire, de se dispenser du service, moyennant une somme (page 658) de 1,600 francs à verser à l'Etat qui se charge, lui, de recruter les remplaçants.

La folie du militarisme se complique ainsi d'une injustice sociale. On parle du « devoir » de servir la patrie, mais on permet aux gens de se débarrasser par autrui de ce devoir qui, en fait. ne devient obligatoire que pour les pauvres. L'armée belge est composée de la sorte en grande partie de fils de prolétaires, de soldats forcés, de remplaçants et d'engagés volontaires en petit nombre.

Les chefs de l'armée, au contraire, sont des fils de famille, avant fait leur apprentissage à l'école militaire, qui se font officiers pour gagner de l'argent, par un travail facile, et qui plus tard, reçoivent une pension qui leur permet de vivre dans leurs vieux jours, à l'abri du besoin.

La propagande antimilitariste a ainsi beau jeu. Elle se produit chaque année, d'abord, à l'époque du tirage au sort, ensuite lors de la rentrée des miliciens à la caserne.

Les moyens employés sont la publication de deux journaux : « Le Conscrit », à l'époque du tirage au sort et « La Caserne », au moment où les miliciens entrent au régiment pour lequel ils ont été désignés. Ces deux organes sont également publiés en flamand et se tirent ensemble à près de 100,000 exemplaires chaque année. A côté de la publication de ces journaux antimilitaristes, de nombreuses réunions publiques sont convoquées auxquelles sont invités les jeunes gens inscrits pour le tirage au sort et des manifestations sont organisées pour protester contre le système militaire et contre la plaie et l'injustice du remplacement.

Ce sont les « Jeunes gardes socialistes » qui sont spécialement chargées de cette propagande, qui se poursuit plus tard dans les casernes, et ils s'en acquittent avec beaucoup de dévouement.

Ce fut après les événements de 1886, alors que l'on avait vu quel rôle les dirigeants faisaient jouer aux fils du peuple, envoyés à l'armée, que l'on songea à organiser une propagande continue, systématique, contre le militarisme, contre le tirage au sort, contre le remplacement militaire et contre l'encasernement des jeunes gens, pour un temps fort long.

Des syndicats, des ligues ouvrières et des mutualités s'étaient constitués. Mais il fallait songer à la jeunesse, aux ouvriers, aux soldats de demain.

C’est pour eux que l'on constitua des cercles de « Jeunes gardes socialistes » chargés de combattre le militarisme et de faire de la propagande socialiste à l'armée.

Le premier groupe constitué dans ce but fut celui de l’« avant-garde républicaine », de Bruxelles. Il était composé de jeunes ouvriers, élèves pour la plupart de l'Académie de dessin et des arts industriels. Il mena une active propagande contre le tirage au sort et le remplacement, au moyen de meetings, de manifestations, de distributions de journaux et de brochures.

Traqué par la police, le jeune Cercle finit par se dissoudre, pour se reconstituer peu de temps après, sous le titre de « Jeune garde socialiste. » Celle-ci eût son local « Au Cornet », Marché-au-fromage.

Bientôt, l'exemple des Jeunes gardes de Bruxelles fut suivi en province où l'on constitua des cercles semblables à La Hestre, à Anvers, à Gand, etc.

En 1888, parut pour première fois l'organe annuel antimilitariste, « Le Conscrit », à l'occasion du tirage au sort. Il fut distribué dans les grandes villes et les centres industriels.

L'année suivante, la « Jeune garde socialiste de Bruxelles » prit l'initiative de l'organisation d'un congrès des Jeunes gardes du pays. Ce congrès réunit de nombreux délégués et décida de faire une vigoureuse propagande, à l'occasion du prochain tirage au sort.

Le groupe de Bruxelles surtout fit preuve d'une grande activité. Mais des difficultés surgirent : un certain nombre d’anarchistes s'étaient introduits dans les Jeunes gardes de Bruxelles et bientôt la propagande anarchiste fut substituée la propagande antimilitariste. Le conseil général du Parti ouvrier du intervenir et retira aux Jeunes gardes le droit de publier le journal « Le Conscrit. »

Entretemps, les jeunes avaient commencé la publication (page 660) d’un journal mensuel, « La Jeune garde », qui n'eut que quelques numéros.

Pendant une couple d'années, la propagande se ralentit, toute l'action démocratique et socialiste étant dirigée dans le but de voir réviser la Constitution et de faire triompher la cause de l'égalité politique.

Mais dès 1894 le mouvement des jeunes reprit un nouvel essor et le groupe de Bruxelles, convoqua un congrès tendant à provoquer la constitution d'une Fédération nationale des Jeunes socialistes.

Ce congrès eut d'excellents résultats. Par la constitution de la Fédération nationale, l'organisation des Jeunes gardes se fit dès ce moment plus méthodiquement et avec plus d'ensemble. Il fut décidé aussi de publier chaque année un journal intitulé « La Caserne », qui serait propagé à l'époque de l'entrée des miliciens dans leurs régiments respectifs.

A partir de cette date, le conseil général du Parti ouvrier confia à nouveau à la Jeune garde de Bruxelles la publication des journaux antimilitaristes et la propagande contre le régime militaire se poursuivit avec une vigueur vraiment remarquable.


Mais cette propagande ne se fait pas sans risques ni dangers.

En effet, le gouvernement qui se sert de l'armée beaucoup plus contre l'ennemi de l'intérieur que contre l'étranger, pour le maintien de l'ordre, pour la répression des émeutes, pour la défense du capital dans des moments de grève dans la grande industrie, résolut de sévir avec rigueur contre tous ceux qui attaquaient le régime militaire.

C'est ainsi qu'à plusieurs reprises, les orateurs de meetings antimilitaristes et les collaborateurs des journaux « Le Conscrit » et « La Caserne » furent poursuivis devant la Cour d'assises et condamnés.

Déjà, en 1889, des poursuites avaient été intentées contre trois jeunes gens : Bracke, V. Ernest et Leveque, pour des discours prononcés l'occasion du tirage au sort. Ils furent condamnés à trois, quatre et six mois de prison.

(page 661) En 1893, Victor Ernest fut poursuivi devant la cour d’assises du Brabant, pour un discours prononcé dans une réunion de miliciens. Il fut condamné à neuf mois de prison.

La même année, les rédacteurs du « Conscrit » : Michotte, (page 662) Lhost et VO Ernest, furent poursuivis. Les deux premiers furent acquittés ; Ernest - un récidiviste ! - se vit octroyer une nouvelle peine de six mois de prison.

En septembre 1894, la veille. de la rentrée des miliciens à la caserne, le manifeste suivant fut distribué, à un grand nombre d'exemplaires, dans les principales villes de garnison :

« Miliciens,

« Rappelez-vous qu'avant d'être sous les drapeaux, vous étiez des prolétaires et que demain, votre temps fini, vous serez encore des esclaves luttant pour l'existence.

« Les canailles qui forcent vos pères et vos frères à mourir de faim, vos sœurs à se prostituer pour vivre, vous font payer la dette du sang, pour défendre la propriété qu'ils ont lâchement volée à l'humanité.

« Nous laisserons-nous donc toujours opprimer ?

« Non, miliciens,

« car l'ennemi n'est pas celui qui travaille, à quelque nation qu'il appartienne, mais le parasite qui vit dans l'oisiveté.

« La Patrie n'est qu'une affreuse blague.

« Les frontières ne doivent pas exister pour les meurt-de-faim, car elles ont une origine infâme et ne peuvent être maintenues que par une classe de misérables qui, pour eux seuls, se sont appropriés le sol, l'outillage, les instruments de travail et tout ce qui constitue la richesse sociale.

« Nous n'avons pas à défendre, pour le compte des autres, ce qui nous a été indignement volé, mais le reprendre, d'un commun accord entre tous les travailleurs, par tous les moyens dont nous pouvons disposer.

« Fedération Nationale des Jeunes Gardes Socialistes. »

Les auteurs de ce manifeste furent poursuivis, mais le jury les acquitta.

Le journal « La Caserne », de 1894, fut également poursuivi en cour d'assises, en la personne de leurs jeunes rédacteurs : V. Ernest, Michotte, Volkaert, Gilles et Logen. Ils furent acquittés.

Mais ces deux procès eurent un grand retentissement et (page 663) eurent pour résultata immédiat de consolider sérieusement l'organisation des jeunes gardes socialistes et, dans un grand nombre de commines industrielles, de nouveaux groupes de constituèrent et adhérèrent à la Fédération nationale.

En octobre 1895, sept jeunes gens : Rens, De Boeck, Wilmet, Gilles, Michotte, Volkaert et Troclet furent cités devant la cour d'assises, pour des articles publiés dans le journal « La Caserne. » Ils furent condamnés, les uns à trois mois, les autres à six mois de prison.

En même temps, le parquet de Liége poursuivait deux jeunes gardes socialistes de cette localité, Troclet et Logen, pour des discours prononcés à Herstal, devant des conscrits, la veille de leur entrée à la caserne. Ils furent également condamnés.

En 1896, nouveau procès qui eut plus de retentissement encore, vu la personnalité des accusés. « Le Conscrit » de cette année publié des articles de Jules Lekeu, Emile Vandervelde, Louis, de Brouckère, et d'autres.

De Brouckère et Lekeu furent poursuivis devant la cour d’assises du Brabant, le premier pour un articles intitulé : « Tu ne tueras pas ! » et Lekeu pour une nouvelle portant le titre « Prostituée ! » à l'adresse des remplaçants et un autre intitulé « Assassin ! »

Edmond Picard, E. Vandervelde, L. Furnémont et L. Vinck sont chargés de la défense des deux prévenus.

La cour était présidée par M. Faider et c'est M. Raymond Janssens qui occupait le siège du ministère public.

Vandervelde, en commençant sa plaidoirie, s'étonna de ne pas avoir été compris dans les poursuites, l'article de lui, publié dans « Le Conscrit » disant la même chose au fond que ceux des deux accusés.

Peut-être, dit-il, a-t-on craint de demander à la Chambre l’autorisation de le poursuivre, pour éviter un débat sur notre régime militaire.

L'article de Vandervelde, dont il donna lecture, était adressé aux conscrits, Il leur disait :

« Tu vas entrer à la caserne.

« Tu n’y trouveras que des pauvres comme toi, chargés par des riches de les défendre, pendant que d'autres travaillent pour eux.

(page 664) On va vous dresser au métier de chien de garde et vous façonner l'obéissance passive. ,

« Si une guerre éclate, on vous ordonnera de faire feu sur des gens que vous ne connaissez pas, qui ne vous ont fait aucun mal et à qui leurs maîtres auront donné le même ordre, sous peine de mort.

« Si des troubles se produisent, à l'intérieur, si une grève de misère tourne à l'émeute, si quelque chef, exaspéré ou affolé, ordonne un inutile massacre, on vous dira que vous avez le devoir d'obéir, l'obligation légale de tuer, fût-ce vos amis et vos coreligionnaires.

« L'Empereur Guillaume Il d'Allemagne, disant tout haut ce que les autres pensent tout bas, n'a-t-il pas dit aux soldats de sa garde :

« Vous m'appartenez corps et âme. Il n'existe aujourd'hui pour vous qu'un ennemi, c'est celui qui est mon ennemi. Avec les menées socialistes actuelles, il pourrait arriver que je vous ordonne de tirer sur vos propres parents, sur vos frères, même sur vos pères, sur vos mères - que Dieu nous en préserve - même alors vous devriez obéir à mes ordres sans hésiter !»

« Conscrits !

« Nous répondons : Aucune force humaine ne peut vous astreindre à cette obligation infâme ! La loi vous oblige à aller à la caserne , allez-y ; nous ne vous conseillons pas d'être réfractaires, parce qu'on ne conseille pas l'héroïsme, qui ne doit s'inspirer que de lui-même !

« Astreignez-vous à toutes les obligations du service militaire ; ne vous faites jamais punir pour des peccadilles ; mais, répandez partout la bonne parole, faites des prosélytes, inspirez à vos camarades cette horreur de la guerre et du militarisme qui devrait être dans le cœur de tout chrétien, et qui est dans le cœur de tout socialiste !

« Et, quand dans tous les pays ou règne le capitalisme, le même langage aura été tenu des centaines et des milliers de fois, quand l'idée de la paix, l'idée du socialisme aura pénétré dans la majorité des cerveaux, que la bourgeoisie essaye de maintenir ses privilèges, par la force des baïonnettes, de réprimer les émeutes de la faim, en envoyant du plomb dans les têtes.

« Que l’empereur d’Allemagne donne le signal de la guerre ou que la République bourgeoise de France veuille prendre sa revanche, les fusils tomberont des mains, et si on veut les y remettre, ils se tourneront contre l'oppresseur. »

Après de brillantes plaidoiries de Vandervelde et de Picard, les deux accusés, Lekeu et de Brouckère, firent chacun une déclaration. De celle de Jules Lekeu, détachons ce passage :

« La société qui condamne le meurtre individuel ne peut continuer à glorifier le meurtre collectif.

« Cette phrase lapidaire, qui se trouve inscrite au bas de la gravure du « Conscrit », précise heureusement la pensée-mère qui a inspiré tous les articles de notre organisation antimilitariste.

« Lisez-les, messieurs, ces articles, et dans ceux qui sont incriminés comme dans ceux qui ne sont pas poursuivis, vous ne trouverez rien d'autre que la paraphrase du commandement chrétien ; « Homicide point ne seras.

« Nulle part, il n'est dit au soldat : « Si on te commande le feu, ne tire pas. »

(page 666) « Il n'est pas possible de trouver dans ce que nous avons écrit une provocation directe à la désobéissance, parce que cette provocation directe à la désobéissance n'est pas dans notre pensée.

« Nous savons que le soldat qui refuse de tirer au commandement peut être frappé à mort, d’un coup de revolver, par un de ses officiers.

« Se faire tuer plutôt que de tuer, c'est de l'héroïsme; or, Vandervelde, dans le premier article du « Conscrit », l'écrit expressément : On ne conseille pas l'héroïsme.

« Nous ne nous reconnaissons donc pas le droit de dire : « Ne tire pas ! » mais nous considérons comme un devoir, au moment suprême, quand une voix crie au soldat : « Tire » de venir et de dire : « Réfléchis, médite, scrute ta conscience ! »

Toute tuerie est un acte de barbarie. C »lui qui, au moment où le sang va couler, intervient pour que le sang ne coule pas, fait bien.

« Telle est la véritable signification morale du numéro du « Conscrit », analysé dans son ensemble, et j'en revendique délibérément toute la responsabilité... »

De Brouckère, lui, termina comme suit sa déclaration qui fit grande impression :

« Messieurs les jurés, comme mon ami Vandervelde vous le montrait tout à l'heure, dans un langage si élevé auquel il me serait impossible de rien ajouter, l'opinion que j’ai émise, le « tu ne tueras pas », qui résume mon article, n'est pas une opinion de hasard émise au cours d'une polémique de circonstance, c'est une opinion profondément gravée au fond de nos consciences, qui s'y mêle et s'y confond avec nos opinions socialistes. Chaque point de notre programme, chacune de nos résolutions, chacun de nos actes en est un commentaire, toute notre propagande la proclame.

« Cette idée nous la proclamons partout, nous l'affirmons en toute circonstance, sans jamais rencontrer de contradiction, sans que jamais à nos arguments on oppose d'arguments. Messieurs les jurés y réfléchiront.

« Messieurs les jurés y réfléchiront, ce serait un argument terrible contre la société actuelle si, dans cette circonstance, (page 667) vous n’aviez que la prison pour seule et pour dernière raison.

« Ce serait de plus profondément inutile. Quelle que soit l’opinion que vous ayez de nous, vous devez bien vous dire que vous avez devant vous des hommes qui ont mûrement réfléchi avant d’agir, qui croient accomplir un devoir, qui suivent ce qu’ils considèrent comme la voie droite dont pour rien au monde ils ne se départiront... »

Le verdict du jury fut affirmatif pour les articles « Assassin ! » et « Tu ne tueras pas ! », négatif pour le second article de Lekeu, « Protituée », et de Brouckère et Lekeu furent condamnés chacun à six mois de prison, peine qu'ils subirent à Saint-Gilles.

Ce procès eut, lui aussi, un grand retentissement et on dut reconnaître en haut lieu, car près de dix années s'écoulèrent sans que le parquet se préoccupa encore de traîner devant les tribunaux les orateurs de meetings antimilitaristes ou les rédacteurs de « La Caserne » et du « Conscrit. »

En 1904, cependant, le conseil général des Jeunes Gardes ayant publié une grande affiche illustrée à l'occasion du tirage au sort, le parquet de Bruxelles ordonna des poursuites contre Louis Coenen, H. Deman, E. Leguy, Bergmans et Devolder, membres du conseil général des Jeunes Gardes, mais ils bénéficièrent d'une ordonnance de non-lieu.

L'année suivante, « La Caserne » fut de nouveau poursuivie en la personne de Louis Coenen, qui prit la responsabilité des articles incriminés.

Coenen comparut devant le jury du Brabant et après les brillantes plaidoiries de ses deux défenseurs, maîtres Royer et Ch. Gheude, il fut acquitté. (« Le procès de la Caserne », éditions Germinal, n°11/1905.).


Ces multiples condamnations n’arrêtèrent point la propagande antimilitariste, au contraire ! Chaque année, « Le Conscrit » et « La Caserne » continuent à paraître dans les deux langues. Chaque année, des centaines de meetings sont organisés pour les (page 668) conscrits et les miliciens, la veille du tirage au sort et de la rentrée sous les drapeaux.

La Fédération nationale des Jeunes Gardes fut d'abord dirigée par un conseil général composé de sept membres, nommés tous les ans au congrès annuel. Il existait aussi des fédérations régionales de Jeunes Gardes et les délégués de ces fédérations locales se réunissaient trimestriellement avec le conseil de la Fédération, afin d'organiser la propagande.

Mais son activité ne se borne point à la propagande antimilitariste. Elle prend aussi l'initiative de mouvements de protestations contre les méfaits de la société capitaliste, par exemple les atrocités de Montjuig, la guerre hispano-américaine, celle du Transvaal, celle entre la Russie et le Japon, etc., etc.

Depuis 1904, l'organisation de la Fédération nationale a été modifiée plusieurs fois. Les ressources manquant, les réunions se faisaient plus rares. Au dernier congrès de Liége il fut décidé :

1° Qu'un congrès national aurait lieu chaque année comme précédemment ; il serait organisé alternativement par chaque fédération et aux frais de celle-ci. Ce congrès aurait pour but d'organiser en commun la propagande générale ou la propagande à l'occasion de certains événements qui pourraient se produire. Il déciderait aussi sur l'organisation de la propagande dans les centres où il n'existe pas d'organisations ;

2° Que la fédération nationale serait administrée par un comité exécutif composé de trois membres, à savoir : un délégué wallon, un délégué flamand et un délégué commun ;

3° Qu'aucune cotisation ne serait payée par les groupes affiliés, les frais d'organisation des congrès nationaux incombant, comme nous le disons plus haut, aux différentes fédérations, et les autres frais au conseil général du Parti ouvrier.


Depuis qu'elle existe, la Fédération nationale des Jeunes Gardes socialistes tenta, à différentes reprises, de créer un journal régulier de propagande. C'est ainsi que parut d'abord « La Jeune Garde », puis « L’Antimilitariste » puis enfin, « La Jeunesse (page 670) socialiste, mais tous trois disparurent faute de ressources.

Depuis le janvier 1905 parait dans le Centre, à Haine-Saint-Paul, « La Jeunesse c'est l’Avenir », organe de propagande et d'éducation, édité par la Fédération wallonne des Jeunes Gardes socialistes des provinces du Hainaut et de Namur.

Cette feuille est mensuelle et est très bien faite. Elle a pour rédacteur principal Arthur Jauniaux.

L'organisation de la jeunesse ouvrière se poursuit ainsi dans les différentes parties du pays, dans un but bien déterminé. Elle réunit les jeunes gens les plus intelligents, prépare leur éducation politique et sociale, les pousse à l'étude et permet ainsi de former les cadres des associations ouvrières syndicales, coopératives et autres,

Le rôle de ces sociétés de jeunes est des plus méritoires ; au point de vue de la propagande antimilitariste et de la formation du personnel actif de l'armée socialiste, elles méritent d'être soutenues et encouragées.