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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DU 19 AVRIL
1839 par A. DE RIDDER (1920)
CHAPITRE VII
1. La commission financière belge,
son œuvre. - Envoi à Londres de deux de ses membres: MM. Fallon et Dujardin
Au mois de juin 1838, comme nous
l'avons vu un peu plus haut, une commission avait été instituée à Bruxelles
pour l'examen des questions financières que soulevait le traité des XXIV
articles.
Elle était composée du baron E.
d'Huart, ministre des finances, de M. I. Fallon, vice-président de la Chambre des représentants
et président du conseil des mines, de M. Ch. de Brouckere, ancien ministre des
finances et de la guerre, directeur de la Banque de Belgique, de M. B. Dumortier, membre de
la Chambre
des représentants, et de M. A. Dujardin, secrétaire général du ministère des
finances. Ses travaux aboutirent, le 27 juillet, à un mémoire établissant que
la dette de la Belgique,
en stricte équité et, d'après les principes mêmes adoptés par la Conférence de
Londres en 1831 pour le partage du passif du royaume des Pays-Bas, montait
seulement à une rente de 2.215.000 florins et non de 7.800.000 florins, comme
l'avait décidé le traité des XXIV articles (Note de bas de page : Le traité des XXIV articles avait
fixé le chiffre de la rente à payer par la Belgique à 8.400.000 florins. Dans cette somme se
trouvaient compris 600.000 florins. A payer par la Belgique à la Hollande pour avantages commerciaux
que celle-ci aurait consentis à notre pays. Au sujet de ces 600.000 florins le
rapport de la commission mission financière fait très justement la remarque
suivante: « Quant aux 600.000 florins, prix d'avantages de commerce et de
navigation, la Commission
ne croit pas avoir mandat de s'en occuper spécialement; mais elle pense que
c'est par un traité particulier de commerce et de navigation, où des faveurs
réelles et réciproques pourront être concédées de part et d'autre, que cet
objet doit être réglé, et non pas dans un traité politique, où ce prix acquiert
la forme d'un tribut perpétuel, sans garantie aucune de la persistance
éternelle de son équivalent. »)
(page 133) Ce mémoire fut envoyé aux légations
belges à Londres et à Paris. Deux membres de la commission, MM. Fallon et
Dujardin, reçurent mission de se rcndre en Angleterre pour y donner, si besoin
était, à M. van de Weyer ainsi qu'à la Conférence, les éclaircissements qu'on aurait pu
souhaiter.
M. le Hon appréciait de la manière
la plus favorable le travail de la commission. « J'ai étudié, écrivait-il le 10
août, la forme et le fond de ce travail et je me suis convaincu qu'il réunit
toutes les qualités qui peuvent agir sur l'esprit de la Conférence :
caractère purement financier, discussion pure et simple des éléments de la
liquidation de 1831, précision, clarté, impartialité. La Commission a évité de
dangereux écueils; point de discussions politiques, point de système nouveau de
liquidation. Elle a parfaitement compris que nous avions à éclairer des esprits
prévenus, opposés d'avance à la révision du chiffre de 8.400.000 florins et
difficiles à convaincre de l'énorme réduction qu'il doit subir. Le redressement
qu'elle a fait d'une erreur assez importante qui préjudiciait à la Hollande est un acte de
bon goût et d'habileté qui peut être à Londres d'un excellent effet.
Assurément, cette manière toute impartiale de signaler l'erreur là où elle est
découverte, donne à ce travail un cachet particulier. Je le répète avec
sincérité: dans la forme comme dans le fond, la commission a réussi et son
rapport est une base de discussion que nous serions heureux de pouvoir faire
adopter comme telle » (Lettre
du comte le Hon au chevalier de Theux, 10 août 1838).
Le représentant à Londres du roi Léopold
remit à lord Palmerston et au général Sebastiani le mémoire de la commission (Lettre de M. van de Weyer au
chevalier de Theux, 7 août 1838). Ce mémoire fut expliqué au ministre
anglais et à l'ambassadeur français par MM. Fallon et Dujardin dans des
entrevues que ces derniers, en même temps que M. van de Weyer, obtinrent des
deux plénipotentiaires (Lettre
de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 7 août 1838).
2. Nouvelle opposition de M.
de Senfft à la révision de la dette. - Fermeté de lord Palmerston. -
Mécontentement des plénipotentiaires du nord
Si la Belgique tentait ainsi de
faire admettre par la France
et l'Angleterre le bien fondé de ses réclamations, ses adversaires, de leur
côté, ne restaient pas inactifs. Le cabinet de La Haye avait plus
particulièrement chargé M. de Senfft de la partie financière des négociations.
On l'avait initié au secret de bien des opérations (page 134) et il semblait
discuter les questions avec une entière connaissance de cause, sinon avec une
réelle impartialité. Ses arguments n'avaient pas été sans faire de l'impression
sur les esprits. Ainsi que le baron de Bülow et le comte Pozzo di Borgo, il ne
cessait d'affirmer que les Puissances du nord ne voulaient pas entendre d'une
révision de la dette et qu'elles considéraient les 8.400.000 florins stipulés
en 1831 comme une condition sine qua non de notre indépendance et de la
reconnaissance de la Belgique
par les signataires des actes du Congrès de Vienne (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 10
août 1838).
Mais lord Palmerston, converti à
l'idée de la révision par les arguments de M. van de Weyer et par la décision
de la France,
se refusait à admettre cette théorie.
« Je sais, dit-il, dans une
conversation qu'il eut, le 13 août, avec les plénipotentiaires des diverses
Puissances représentées à la Conférence, je sais que les 8.400.000 florins de
dettes imposées à la Belgique
sont, en quelque sorte, une des conditions de son indépendance et de sa
reconnaissance, et qu'il ne faut toucher à cette base du traité qu'avec la plus
extrême circonspection.. Mais cette base elle-même n'a été posée que sous la
réserve exprimée dans le protocole n° 48, s'il est prouvé que les tableaux
annexés à ce protocole sont inexacts, s'il est établi que la Conférence a été
induite en erreur sciemment ou non. Vous sentez que la question, ainsi
présentée, devient grave et importante et mérite que nous la prenions en
sérieuse considération. Que si vous contestez à la Belgique le droit de
revenir elle-même sur ce point, vous ne nierez point le devoir qu'ont la France et l'Angleterre de
ne pas permettre de laisser subsister des erreurs essentielles dans des actes
auxquels ces Puissances ont pris part. Vous parlez (et ici lord Palmerston
s'adressait particulièrement à M .de Bülow) de la nécessité de forcer la Belgique, par des mesures
communes des cinq cours, à exécuter le traité qu'elle a accepté et ratifié;
mais, pour prendre part à ces mesures, le cabinet anglais aurait à recourir au
Parlement; et il ne suffirait pas aux ministres de la reine de dire à cette
assemblée que la
Conférence est tombée d'accord sur l'emploi de ces mesures;
il faudrait, de plus, prouver qu'on a eu raison d'être d'accord. Or, comment
établir cette preuve, si l'une des parties soutient qu'il y a eu erreur,
volontaire ou calculée, et que cette erreur consacrerait une criante injustice
envers elle. Pour éviter le danger, employons l'un ou l'autre de ces moyens;
que l'ou fixe dès à présent le chiffre de la dette belge, moins tout ce qui a
rapport au syndicat d'amortissement; ou bien, que des commissaires mixtes
soient nommés dès ce moment de part et d'autre, et procèdent à. la liquidation
de cet établissement. M. de Senfft,
mieux informé que nous, prétend qu'en trois mois cette opération
pourrait se faire sans difficulté. Ce laps de temps serait employé par nous à
discuter et parapher les autres articles du traité; et, la liquidation
terminée, les deux parties posséderaient tous les éléments d'un arrangement
équitable et définitif. »
(page 135) M. de Bülow s'éleva
vivement contre ces propositions du ministre anglais: « Nous aurions, lui
dit-il, autant de difficultés à nous entendre sur ce qui doit être omis comme
faisant partie du syndicat, que sur le chiffre primitif de la dette; et, dans
le second cas, la Belgique
conserverait, au préjudice de la
Hollande, tous les avantages du statu quo et continuerait à
ne point payer même ce qu'elle reconnaît devoir légitimement. Cela est
impossible. » .
- « Dans ce cas, dit le général
Sebastiani, la question est donc insoluble, car nous devons à nous-mêmes, nous
devons à la Belgique
et au public européen de ne point consacrer une injustice, et de donner aux
deux parties l'occasion de débattre contradictoirement ce différend ».
« Non, pas tout-à-fait insoluble,
interrompit lord Palmerston, jugeant sans doute que l'ambassadeur français
allait trop loin, mais hérissée de difficultés qu'il est de notre devoir
d'aplanir. Songeons-y donc sérieusement, chacun de notre côté. »
Les plénipotentiaires d'Angleterre
et de France proposèrent ensuite à leurs collègues de Prusse et d'Autriche,
soit de faite procéder immédiatement à la liquidation du syndicat
d'amortissement et de subordonner la fixation du chiffre de la dette belge à
l'accomplissement de cette opération, soit d'abaisser d'une somme à déterminer
le chiffre de la dette belge avec l'abandon par la Belgique de ses droits
sur l'actif qui aurait dû lui revenir après la liquidation du syndicat (Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris,
Angleterre. 651, n° 67, page 75). Aucune des deux suggestions ne fut
accueillie.
A la suite de l'entretien, qui
n'avait eu rien d'officiel, le baron de Bülow ne montra plus la parfaite
assurance avec laquelle il parlait antérieurement de la conclusion prochaine de
l'affaire. « Nous sommes sur un sable mouvant, disait-il à un membre du corps
diplomatique au lendemain de la conversation dont il vient d'être question, et
je commence à désespérer d'en finir.»
« Cependant, ajoute M. van de
Weyer, après avoir rapporté ces paroles, j'ai lieu de croire que les
plénipotentiaires du nord ont reçu de leurs cours l'ordre positif d'arriver à
un résultat quelconque dans le plus bref délai possible. Aussi, rien n'égale
l'impatience, l'ardeur et la mauvaise humeur du baron de Bülow. Je ne serais
nullement surpris, qu'en désespoir de cause, les trois cours ne prissent le
parti de se séparer de la
France et de l'Angleterre, de dissoudre ainsi la Conférence et de
ne prendre conseil que d'elles-mêmes. On redouterait ici et à Paris un pareil
résultat et, si on le prévoyait comme prochain, on ferait tout au monde pour
l'empêcher » (Lettre à M. de
Theux, 14 août 1838).
(page 136) M. de Bülow ne tarda pas
à donner une nouvelle marque de l'impatience signalée par M. van de Weyer.
Peu de jours après la conversation
que nous venons de mentionner, les plénipotentiaires des cours du nord
insistèrent à nouveau sur la nécessité pour eux d'instruire leurs gouvernements
de la marche des négociations et des causes qui en arrêtaient les progrès. Lord
Palmerston, « pour donner des preuves qu'il n'agissait pas à la légère et que
l'examen auquel il se livrait était fondé sur de bonnes et solides raisons,
leur communiqua confidentiellement le rapport de la commission belge des
finances ainsi qu'un tableau dressé par MM. Fallon et Dujardin et qui en
présentait le résumé.
Le ministre de Prusse, le
plénipotentiaire autrichien et le plénipotentiaire néerlandais s'empressèrent
de procéder à la critique détaillée du rapport. Ce travail ayant été promptement
achevé, M. de Bülow l'accompagna de nouvelles propositions et l'envoya à lord
Palmerston en lui demandant une entrevue pour le lendemain. Il se disait
persuadé qu'une simple lecture suffirait au ministre pour se convaincre du
manque de fondement des allégations belges.
Mais lord Palmerston n'admit pas ce
mode de procéder quelque peu expéditif. Il répondit en promettant à M. de Bülow
d'étudier attentivement les pièces envoyées et de lui faire connaître quelques
jours plus tard le résultat de son examen.
Cette réponse, qui lui imposait un
nouveau délai, irrita le ministre de Prusse. Il exhala ses plaintes dans une
lettre qu'il adressa au ministre britannique et dans laquelle, dominé par une
inconscience difficile à expliquer, il ne craignait pas de travestir les faits
pour incriminer l'attitude de l'Angleterre.
« Jusqu'à présent, disait-il,
je m'étais refusé à croire un bruit venu jusqu'à moi, que l'Angleterre
commençait à prêter une oreille favorable aux réclamations des Belges (Note de bas de page : La
correspondance des plénipotentiaires du nord propageait à l'étranger les
plaintes dont M. de Bülow se faisait l'interprète à Londres. « La
correspondance de MM. Dedel et de Senfft, écrivait le 21 août le ministre de
France à La Haye, cause de vives alarmes au cabinet de La Haye. On représente lord
Palmerston comme ayant faibli et s'étant laissé gagner par l'influence
française. On montre les gouvernements de France et d'Angleterre décidés à
réclamer, en faveur de la
Belgique, une nouvelle répartition de la dette. « Nous sommes
perdus, me disait ce matin une personne honorée de la confiance du roi
Guillaume. S. M. a raison d'être inquiète de tous ces délais. Ils ne peuvent
tourner qu'à notre détriment! » Arch du Min. des Aff. étr. à Paris, Pays-Bas,
61, 91, p. 209).
« Je vois avec peine que vous
vous laissez ébranler et que vous revenez ainsi sur la déclaration faite
spontanément par vous à nos cours que, dans le traité à intervenir avec la Hollande, l'Angleterre
n'admettrait de changement ni quant au territoire, ni quant à la dette. C'est
cependant sur la foi de cette déclaration que nos cours ont redoublé d'efforts
auprès du (page 137) cabinet de La Haye, et qu'elles ont réussi à obtenir
l'adhésion du roi Guillaume aux XXIV articles.
« Aujourd'hui, votre
revirement inattendu nous place envers ce souverain dans la plus désagréable
position et encourage les Belges dans la résistance qu'ils préparent à
l'exécution du traité qu'ils ont conclu avec les cinq Puissances, traité qui
renferme, sur cette grande question européenne, leurs décisions finales et
irrévocables. Or, que l'on ne s'y trompe point, ce n'est pas une simple
réduction de la dette que veut la
Belgique, c'est la modification des arrangements
territoriaux. On veut, par une diminution du chiffre, arriver à conserver, à
prix d'argent, les parties cédées du Limbourg et du Luxembourg. Les publicistes
belges n'en font point mystère, et il faudrait être aveugle pour ne pas
s'apercevoir que le cabinet de Bruxelles vise lui-même à ce but. Dans cet état des
choses, je manquerais à mes devoirs si je ne m'empressais de déclarer que,
quels que soient les sacrifices que la Belgique veut s'imposer pour parvenir à ce
résultat, jamais la Prusse
ne consentira à. ce qu'il se réalise. »
M. de Bülow entrait ensuite dans de
grands développements, exposant les raisons de politique et de stratégie qui
imposaient à son pays le devoir de maintenir les stipulations territoriales des
XXIV articles. Lord Palmerston ne répondit pas par écrit à cette missive.
Rencontrant, le 19 août, le diplomate prussien chez lord Holland, il lui fit
remarquer que sa lettre contenait un anachronisme, puisque la déclaration de
l'Angleterre, sur l'irrévocabilité des articles du traité du 15 novembre
relatifs à la dette, était non pas antérieure, mais postérieure à l'adhésion du
roi Guillaume au traité. Il ajouta que cette déclaration maintenue pour ce qui
concernait la question territoriale, le serait aussi pour les questions
financières, s'il n'était pas établi que les tableaux fournis par les plénipotentiaires
néerlandais contenaient des erreurs essentielles; que la Conférence, liée
par son propre protocole, se devait à elle-même d'étudier les doutes élevés à
cet égard et qu'on ne pouvait procéder à l'exécution d'un traité, ou à la con
clusion d'un arrangement direct entre les deux parties, sans qu'il eût été
procédé à l'examen réclamé par la
Belgique (Lettre
de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 21 août 1838).
3. La conférence et le
partage des dettes en 1831, les erreurs commises
Les travaux de la commission des
finances avaient établi que, du chef du partage de la dette des Pays-Bas, la Belgique ne pouvait être
équitablement chargée que d'une rente de 2.215.000 florins au lieu de 7.800.000
stipulés dans le protocole n° 48. La réduction, on le voit, était énorme et
énorme aussi l'erreur imputée à la Conférence.
(page 138) Il était naturel que
dans ces conditions on escomptât dans notre pays un tel mécontentement de la Hollande, que ce pays
aurait pu être amené, pour rejeter le pesant fardeau pécuniaire qu'un équitable
redressement des erreurs commises devait faire peser sur lui, à donner
satisfaction aux aspirations territoriales des Belges, satisfaction qui n'eut
pas gravement lésé ses intérêts.
Pour procéder au partage des dettes
de l'ancien royaume des Pays-Bas, la Conférence avait, en 1831, adopté les principes
suivants :
« La Conférence a
jugé équitable que les dettes contractées pendant la réunion du royaume des
Pays-Bas fussent partagées entre la
Hollande et la
Belgique dans la proportion de 15/30, ou par moitié égale
pour chacune.
« La rente annuelle de la
totalité des dettes susdites se montant en chiffre rond à 10.100.000 florins
des Pays-Bas, il résulterait de ce chef un passif pour la Belgique de 5.050.000
florins.
« De plus, la dette
austro-belge ayant appartenu exclusivement à la Belgique avant sa réunion
à la Hollande,
il a été également jugé équitable que cette dette pesât exclusivement sur la Belgique à l'avenir.
« L'intérêt à 2 % pour cent de
la partie active de cette dette, ainsi que le service de l'amortissement de la
partie dite différée, étant évalués en nombre ronds à 750.000 florins des
Pays-Bas de rente annuelle, la
Belgique aurait à supporter de ce second chef un autre passif
de 750.000 florins de rente.
« La Conférence, procédant
toujours d'après les règles de l'équité, a trouvé qu'il rentrait dans les
principes et les vues qui la dirigent, qu'une autre dette qui pesait
originairement sur la
Belgique avant sa réunion avec la Hollande, savoir; la
dette inscrite pour la Belgique
au grand livre de l'Empire français, et qui, d'après ses budgets, s'élevait par
aperçu, à 4 millions de francs ou 2 millions de florins des Pays-Bas de rente,
fût mise, encore maintenant, à la charge du Trésor belge. Le passif dont la Belgique se chargerait de
ce troisième chef serait donc de 2 millions de florins des Pays-Bas en rente
annuelle.
« Enfin eu égard aux avantages
de commerce et de navigation dont la Hollande est tenue de faite jouir la Belgique, et aux
sacrifices de divers genres que la séparation a amenés pour elle, les
plénipotentiaires des cinq cours ont pensé qu'il devait être ajouté, aux trois
points indiqués ci-dessus, une somme de 600.000 florins de rente laquelle
formerait, avec ces passifs, un total de 13.400.000 florins des Pays-Bas. C'est
donc d'une rente annuelle de 8.400.000 florins que la Belgique doit rester
définitivement chargée, par suite du partage des dettes publiques du
Royaume-Uni des Pays-Bas, d'après l'opinion unanime de la Conférence.
« D'autre part, les
plénipotentiaires des cinq cours ont observé que le syndicat d'amortissement
institué dans le royaume des Pays-Bas, ayant contracté des dettes dont les
intérêts ont été portés pour moitié à charge de la Belgique; mais ayant
aussi, d'après la nature même de son institution, des comptes à rendre et un
actif pouvant résulter de ces (page 139) comptes, la Belgique devait
participer à cet actif, dès qu'il sentit établi moyennant une liquidation, dans
la proportion dans laquelle elle avait participé à l'acquittement des contributions
directes, indirectes et accises du royaume des Pays Bas.
« Ce qui a achevé de
déterminer la
Conférence dans cette occasion, c'est que, fondant ses
décisions sur l'équité et considérant le montant des charges du service de la
dette totale du royaume uni des Pays-Bas, elle trouve que ce montant s'élève en
nombres ronds, à 27.700.000 florins de rente, et que, par conséquent, la Belgique, pendant la
réunion, a contribué à l'acquittement de cette rente dans la proportion de
16/31, c'est à dire pour 14 millions de florins; que maintenant, avec le
bénéfice de la neutralité, elle n'aura à acquitter pour sa part que 8,400.000
florins de rente; et que d'un autre côté, par suite du mode de payement adopté
par la Conférence,
la Hollande
elle-même obtient un dégrèvement considérable, qui peut servir à satisfaire aux
diverses réclamations qu'elle a élevées » (Papers-relative to the affairs of Belgium, A. p. 135.
Citation de Thonissen, « La
Belgique sous le règne de Léopold 1er », tome
l, page 200).
Le dernier paragraphe semble
indiquer que la
Conférence avait fait par le partage une grande faveur à la Belgique, puisqu'elle ne
lui attribuait plus désormais que moins d'un tiers des charges résultant des
dettes du royaume des Pays-Bas, alors que sous le régime de la réunion notre
pays en supportait plus de la moitié.
Cette affirmation reposait sur une
profonde erreur. Le service de la dette des Pays-Bas n'exigeait pas une rente
annuelle de 27.000.000 florins, mais seulement de 17.265.267 florins. C'était
par conséquent plus de la moitié et non le tiers de la charge que la Conférence
imposait à notre pays (THONISSEN,
op. cit., tome 1er, p. 202, note I).
Pour fixer la part de celui-ci dans
la dette, la
Conférence s'appuya surtout sur des tableaux que lui
fournissaient les plénipotentiaires néerlandais, MM. Falk et de Zuylen. Ces
tableaux, bien qu'ils eussent reproduit exactement les chiffres requis, avaient
cependant été présentés de telle manière que les représentants des cinq
Puissances se trouvèrent amenés à commettre les erreurs les plus graves au
détriment de la Belgique.
Les critiques qu'émit en 1838 la
commission des finances portaient surtout sur la part imposée à nos provinces
dans le payement des rentes nécessitées par l'emprunt de 30 millions de florins
qu'avait autorisé la loi du 27 mai 1830, par l'emprunt de 110 millions
contracté par le syndicat d'amortissement des Pays-Bas en vertu de la loi du 27
décembre 1822, par l'emprunt de 67.292.000 florins contracté en vertu de la loi
du 27 décembre 1822 et par ce qu'on a appelé les emprunts austro-belges et
français.
(page 140) M. Thonissen a
parfaitement résumé ces critiques en quelques lignes que nous lui empruntons.
« L'emprunt de 30 millions de
florins à 3 ½ %, écrit-il (THONISSEN,
op cit., tome 1er, p. 195), autorisé par la loi du 27 mai 1830, n'était
que la caution d'un emprunt de 35 millions, à 4 1/2 %, contracté pour les
colonies des Indes orientales. Les véritables débitrices étaient ces colonies;
la mère patrie n'avait rempli que le rôle de caution. Cette dette n'avait
jamais figuré au budget du royaume des Pays Bas. Les colonies restant à la Hollande, la Belgique ne pouvait être
grevée de la moitié de leurs dettes. Or, dans les tableaux fournis par MM. Falk
et de Zuylen, ces 30 millions de florins (fr. 63-492.060) figuraient comme
dette de la communauté.
« L'emprunt de 110 millions à
4 1/2%, contracté par le syndicat d'amortissement des Pays Bas en vertu de la
loi du 27 décembre 1822, n'était qu'une opération financière ayant pour but de
convertir l'ancienne dette hollandaise (dette différée) en emprunt du syndicat.
Or, comme une dette ne change ni de nature, ni d'origine quand elle subit une
conversion, ces 110 millions représentaient évidemment une valeur équivalente
de l'ancienne dette hollandaise: ce n'était pas une dette contractée depuis la
formation du royaume des Pays-Bas. Et cependant, dans les tableaux des
plénipotentiaires hollandais, ces 110 millions (fr. 232.804.220) figuraient
encore comme dette de la communauté.
« Ce n'est pas tout: Parmi les
inscriptions au grand livre à 2 1/2%, MM. Falk et de Zuylen plaçaient un
emprunt de florins 67.292 000 (fr. 142.226-45) décrété par la loi du 27
décembre 1822. Cette somme de fl. 67.292.000 était destinée au paiement des
pensions et autres dépenses extraordinaires du trésor; mais la loi du 27
décembre 1822 avait exigé que l'émission de l'emprunt ne fût effectuée qu'au
fur et à mesure des besoins. Or, 25 millions tout au plus avaient été émis au
moment de la séparation des deux pays. A cette date, 42 millions non négociés
se trouvaient dans la caisse du syndicat d'amortissement. Un emprunt n'étant
consommé qu'au jour de son émission, ces 42 millions devaient évidemment être
décomptés du capital. Et cependant les 67,292.000 florins figuraient en
totalité dans le tableau des rentes dressé par les négociateurs de La Haye.
« Les notions de la Conférence au
sujet des dettes originairement contractées par la Belgique n'étaient ni
plus exactes ni plus complètes. L'ancienne dette constituée des provinces
belges, en y comprenant la valeur de la dette différée, représentait 300.000
florins (fr. 634.920,60) de rente. A cette dette, incombant incontestablement à
la Belgique,
la Conférence
ajouta fl. 450.000 de rente (fr. 952.380,95) pour la dette liquidée à charge du
trésor des Pays-Bas sous le nom de dette austro-belge. Mais celle-ci n'était
pas d'origine belge. C'était une dette personnelle de l'Autriche contractée
jadis dans nos provinces pour subvenir aux besoins des Etats autrichiens de
l'empereur d'Allemagne, engagé dans une guerre coûteuse avec les Turcs. Elle
n'avait été contractée ni (page 141) par la Belgique ni hypothéquée sur son sol. La France, par les traités de
Lunéville et de Campo-Formio, avait formellement écarté tout ce qui concernait
la dette austro-belge. Si le roi des Pays-Bas, par une convention du 11 octobre
1815, a
pris cette dette à charge des finances de son royaume, ce n'a pu être que comme
dette nouvelle provenant de l'application des traités, et nullement comme dette
ancienne d'un des pays soumis à sa souveraineté. La dette austro-belge était un
fait de la communauté et par suite la Belgique ne devait en supporter que la moitié, ou
florins 225.000 de rente. En ajoutant à cette dernière somme la rente de
florins. 300.000 représentant la dette exclusivement belge, on arrivait à
florins 525.000 de rente.
« Or, la Conférence nous
attribua une rente de florins 750.000.
« Dans les calculs de la Conférence on
voit aussi figurer à la charge exclusive de la Belgique, fl. 2.000.000
(fr. 4,232,204,23) de rente, provenant du grand livre de l'empire français.
C'était encore une erreur grave. Au moment de la révolution, aucune dette de ce
genre ne pesait sur la
Belgique. Aucun des budgets présentés aux Etats-Généraux des
Pays-Bas, aucun des tableaux officiels de la dette nationale n'en fait mention.
En 1830, la dette belge, inscrite au grand livre de l'empire français, se
trouvait, depuis plusieurs années, éteinte par des remboursements opérés au
moyen de compensations diverses. En fait, cette dette n'existait donc plus que
dans l'imagination des membres de la Conférence. »
Le l0 août, comme nous l'avons dit
un peu plus haut, MM. van de Weyer, Fallon et Dujardin eurent une première
entrevue d'abord avec lord Palmerston, puis avec le général Sebastiani, entrevue
dans laquelle ils donnèrent aux deux plénipotentiaires des éclaircissements sur
le travail de la commission financière belge (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 10 août
1838). Lorsque ce travail eut été communiqué officieusement aux représentants
des cours du nord, le ministre britannique s'empressa d'envoyer à la légation
de Belgique la réponse qu'y opposèrent ces derniers. Cette réponse était faite
dans un mémoire confidentiel. Ses auteurs n'avaient pas voulu lui donner un
caractère officiel, de crainte, s'ils admettaient cette forme de discussion, de
paraître accepter, quoique indirectement, le principe de la révision de la
dette Lettre de M. van de Weyer
au chevalier de Theux, 18 août 1838).
Ils commençaient leur mémoire par
l'affirmation de leur opposition à cette acceptation, et ils justifiaient leur
manière de voir à cet égard dans les termes suivants:
« Le plénipotentiaire belge
transmit à la
Conférence, par une note en date du 14 novembre (1831),
l'adhésion de S.M. le roi des Belges aux XXIV articles; et il demanda, par une
seconde note du même jour, que ces articles reçussent la forme et la sanction
d'un traité définitif entre les cinq Puissances et sa dite Majesté. La Conférence
accéda à cette demande par sa réponse également datée du 14 novembre en (page
142) « prenant acte de l'acceptation pure et simple des XXIV articles »; et
l'on signa, le lendemain 15, le traité dont l'article 13 charge la Belgique de 8.400.000
florins de rente, du chef du partage des dettes publiques du Royaume-Uni des
Pays-Bas, sans marquer les titres spéciaux auxquels ce chiffre se rapporte.
L'acceptation pure et simple imposée par la Conférence au
gouvernement belge, et effectuée par celui-ci, exclut évidemment et annule
toute réserve antérieurement faite de sa part; et la signature d'un traité
définitif entre ce gouvernement et les cinq Puissances a également résolu la
portée et mis fin à l'effet, à l'égard de ces mêmes Puissances, de leur réserve
exprimée dans le 48e protocole, laquelle n'a pu conserver de valeur que tant
que la disposition à laquelle elle se rapportait n'avait que celle d'une
proposition et non d'une transaction complète et synallagmatique » (Note des plénipotentiaires des
cours du nord: « Sur le principe de la révision de la dette »).
4. Critique du rapport de la
commission financière par M. de Senfft et de Bülow
Nous avons vu plus haut (page 121) comment M. de Theux
avait répondu d'avance à la théorie imaginée par MM. de Bülow et de Senfft et
démontré que le protocole n°48 était parfaitement invocable encore en 1838.
Nous ne reviendrons donc pas sur cette question et nous nous bornerons à faire
deux observations pour compléter la démonstration du ministre belge des
affaires étrangères.
1° Le protocole n°48, quoique
portant la date du 6 octobre, ne fut rédigé, comme l'écrivent les
plénipotentiaires des cours du nord dans la partie de leur mémoire sur la dette
franco-belge, que le 18 octobre, « après l'adoption et la communication des
XXIV articles à la Belgique
et à la Hollande
». La date de cette rédaction établit sans aucun doute possible que le
protocole était destiné à servir de commentaire aux XXIV articles et non pas
que ceux-ci mettaient fin à sa valeur. Les XXIV articles ne pouvaient avoir
d'effet que sur des actes qui existaient au moment où ils furent arrêtés et non
sur des actes que la
Conférence adopta postérieurement.
2° S'il était possible d'admettre
que l'adoption pure et simple des XXIV articles par la Belgique et les cinq
Puissances garantes eût enlevé à notre pays tout droit d'en réclamer la
modification en vertu du protocole n° 48, encore faudrait-il que les cinq
Puissances ne lui eussent pas rendu ce droit, la Russie en prévoyant dans sa
ratification la faculté pour la
Hollande et la
Belgique de modifier le chiffre de la dette par des
négociations directes et les autres États en acceptant la réserve russe. Par
l'émission de cette réserve et par son acceptation, les Puissances
intervenantes superposaient au traité du 15 novembre un traité nouveau
modifiant le premier. Il y avait sur ce point un indéniable concours de
volontés et nul (page 143) ne contestera qu'un contrat, quelque solennel et
important qu'il soit, ne puisse être modifié par un tel concours.
MM. de Bülow et de Senfft faisaient
eu outre observer:
« 1° Que la réserve du 48e
protocole, subsistât-elle encore, supposerait, pour pouvoir être appliquée, des
inexactitudes essentielles dans les tableaux, présentés par les
.plénipotentiaires néerlandais, c'est-à-dire des erreurs de fait, et qu'on ne
saurait, en aucun cas, fonder sur elle une attaque contre le jugement porté par
la Conférence
sur une question de principes quel que soit le motif qui serait allégué pour
contester la justice de la décision.
2° Qu'un pareil jugement pourrait
être d'autant moins remis en question, lorsqu'il serait prouvé que la matière
aurait été agitée d'avance et discutée avec les parties avant la décision.
3° Enfin, qu'il faudrait une
iniquité palpable et un objet d'une très grande importance pour autoriser une
atteinte à porter à un acte de la Conférence, fruit d'une mûre délibération et
d'une discussion solennelle et approfondie, telle qu'a été la fixation du
chiffre de la rente belge, acte dont la nature ressort surtout de la teneur du
48e protocole et du mémoire joint à la note adressée aux plénipotentiaires
néerlandais le 4 janvier 1832, et annexée au 53e protocole, d'où il appert que la Conférence n'a
point prononcé dans cette affaire un jugement ordinaire basé sur un compte de
clerc à maître, mais qu'elle s'est portée à un acte de justice politique d'une
haute portée, dont les motifs embrassent l'ensemble des relations et positions
respectives, et se rapportent principalement à l'obligation de compenser les
divers sacrifices par lesquels la
Hollande avait obtenu en 1814-1815 la réunion de la Belgique. Ces
considérations doivent constamment être gardées en vue lorsque, faisant
abstraction pour le moment mais sans y renoncer, des fins de non-recevoir qui
viennent d'être développées, on va entrer, en forme confidentielle, dans
l’examen de la valeur intrinsèque, sous le point de vue de l'équité, des
diverses réclamations élevées par la Belgique. »
On peut répondre, pour ce qui
concerne le premier et le troisième point, que des erreurs ayant fait porter la
dette belge de moins de trois millions de rente à plus de huit millions, sont
des erreurs suffisantes pour être qualifiées d'inexactitudes essentielles,
produites par une iniquité palpable, d'effet très important, et, par
conséquent, revêtues de toutes les conditions requises pour justifier la Belgique d'en réclamer le
redressement aux termes mêmes du protocole n° 48.
La note des plénipotentiaires du
nord n'était qu'une mauvaise plaidoirie, rédigée sous la pression du baron de
Bülow. M. de Senfft se montrait moins irréductible que le plénipotentiaire
prussien. Il reconnaissait le bien fondé de certaines réclamations belges. Mais
l'intransigeance de son collègue le dominait (Note de bas de page : « MM. Fallon et Dujardin ont été,
écrit M. van de Weyer à M. de Theux, le 22 août 1838, témoins d'une discussion
très vive entre le général Sebastiani et MM, de Senfft et de Bülow. M. de Bülow
voudrait repousser tout principe de révision. M, de Senfft, plus modéré, et
reconnaissant que quelques-unes de nos réclamations sont fondées, sent la
nécessité d'une transaction, Mais il doit insister pour qu'on n'y fasse droit
que dans la liquidation du syndicat. « A peu près d'accord sur le fond,
dit-il à M. Sebastiani, nous ne différons que dans la forme. Mais cette
insistance même que l'on met à proposer une liquidation que le roi Guillaume a
constamment rejetée, cache sans doute un nouveau piège »).
(page 144) Malgré l'opposition
qu'ils faisaient à la révision de la dette, les plénipotentiaires du nord
croyaient cependant devoir, dans leur mémoire, entreprendre l'examen des
diverses réclamations belges. La réfutation qu'ils firent des arguments de la
commission financière était, comme le constatent MM. Fallon et Dujardin dans
une lettre adressée à M. de Theux le 21 août, très faible et se retranchait en
général derrière des fins de non-recevoir, sans s'attacher aucunement à
justifier les décisions prises en 1831. A propos de l'emprunt de 110 millions de
1822, aucune allusion n'était notamment faite à ce que cet emprunt se trouvât
destiné à amortir une ancienne dette hollandaise et, par conséquent, en vertu
des principes mêmes adoptés par la Conférence, devait retomber entièrement à charge
de la Néerlande.
M. de Bülow ne contestait point non plus que l'emprunt de 30
millions de florins ne constituait pas un emprunt du Royaume-Uni des Pays-Bas,
mais un emprunt de ses colonies, dont jamais le budget de la métropole n'avait
fait mention. En réalité, il n'avait qu'un argument pour maintenir les
stipulations financières des XXIV articles: La Conférence l'a
ainsi arrêté, sa volonté doit faire loi. « Pour ce qui concernait la
réclamation formulée par la commission financière au sujet de la dette
austro-belge, les plénipotentiaires des cours du nord se bornaient à l'écarter
elle aussi par des fins de non-recevoir qu'ils déclaraient péremptoires. Ils se
refusaient à la prendre en considération parce que l'inscription de cette dette
à charge de la Belgique
ne provenait pas de renseignements fournis par les plénipotentiaires
néerlandais et aussi parce que l'objet de la réclamation était de si peu
d'importance qu’il ne pouvait seul « motiver une atteinte portée au chiffre de
la rente ».
5. Les dettes autrichienne
et française. Le partage de la dette en 1831 non fondé en droit mais compensation
accordée à la Hollande pour la perte de ses colonies et de la Belgique
A ces deux motifs les
plénipotentiaires des cours du nord en ajoutaient un troisième qu'il importe de
faire connaître dans les termes mêmes où ils le développèrent.
« Le nom de la dette
austro-belge, disaient-ils, se trouve, pendant toute la négociation qui a
précédé le traité du 15 novembre 1831 et dès le 27e protocole (18 janvier 1831)
au premier rang des charges à reporter sur la Belgique dans le partage
spécial des dettes: et cette qualité n'a jamais été contestée jusqu'à présent.
En effet, le nom seul dépose à cet égard contre la prétention actuelle des
Belges et il ne saurait être douteux (page 145) que ce ne soit en considération
de la Belgique
que le roi des Pays-Bas s'en est chargé par la convention du 11 octobre 1815.
Au reste, n'ayant pas sous les yeux les pièces citées et notamment la
convention du 5 mars 1828, on ne saurait juger de l'assertion des commissaires
belges, que des intérêts hollandais seraient entrés dans la transaction passée
avec l'Autriche. »
Dans cette réponse on voit une fois
de plus un exemple du système de deux poids et deux mesures dont usait M. de
Bülow pour la solution du différend hollando-belge. Quand la Belgique demandait à ne
pas devoir supporter la charge de la dette assumée par les colonies
hollandaises à leur profit exclusif, on lui répondait que la dette ayant été
contractée depuis l'union, la moitié lui en incombait en vertu des principes
adoptés par la
Conférence, et quand elle invoquait les mêmes principes pour
repousser la charge exclusive de la dette austro-belge acceptée, elle aussi,
depuis l'union, les plénipotentiaires du nord en faisaient litière.
Et comment l'histoire peut~elle
apprécier l'argument consistant à dire: Vous invoquez à l'appui de votre
réclamation un document. Ce document, nous ne l'avons pas sous les yeux, donc
nous n'en tenons aucun compte. - Mais ce document était détenu par une des
Puissances du nord, par l'Autriche. Qu'y eut-il eu de plus simple et de plus juste
que d'en demander communication à Vienne? Il n'y avait à le faire aucune
difficulté. Il eût suffi de quelques jours pour que cette pièce arrivât à
Londres. Et si l'on eût désiré être plus expéditif encore, on pouvait en
réclamer une copie à La Haye.
Ne point tenter d'obtenir le texte
de la convention du 5 mars 1828 montrait clairement que le siège des
plénipotentiaires du nord était fait et qu'ils ne se souciaient pas d'éviter un
déni de justice.
Ce qu'il importe de citer aussi,
dans toute son étendue, c'est la note de ces mêmes plénipotentiaires relative à
la réclamation belge dirigée contre la dette française.
« Cette réclamation, dit la
note, n'a aucun rapport avec le tableau des plénipotentiaires hollandais, que
les commissaires belges ont pris pour point de départ de leur travail. Elle ne
saurait donc être admise sous ce point de vue. Mais la réponse péremptoire au
raisonnement ci-contre se trouve dans le memorandum du 7 octobre 1831 joint au
48e protocole daté du jour précédent. Ce memorandum contient la déclaration
suivante: « Le second passage qui a été jugé de nature à demander un
éclaircissement est celui qui commence aux mots: « La dette inscrite pour la Belgique au grand livre
de l'Empire français », et qui se termine aux mots: « laquelle formerait avec
ces passifs, un total de 8,400,000 florins des Pays-Bas ». Les
plénipotentiaires des cinq cours sont convenus que si, (page 146) dans ce
passage, ils avaient cité les 4.000.000 de florins de rente inscrite pour la Belgique dans le grand
livre de l'Empire français, c'était pour mieux expliquer leur pensée relative
aux charges, à l'acquittement desquelles la Belgique contribuait avant sa réunion avec la Hollande, mais sans que les circonstances
particulières qui avaient rapport à la nature ou à la liquidation subséquente
de ces inscriptions de 4.000.000 de francs de rente dussent changer les calculs
de la Conférence. En général, il est entendu que c'est en considération de dettes
contractées en commun par la
Hollande et la
Belgique, pendant leur réunion, des dettes dites
austro-belges, des charges affectées à la Belgique lorsqu'elle faisait partie de l'Empire
français, des avantages de commerce et de navigation qu'elle doit obtenir et
des sacrifices de divers genres essuyés par la Hollande par la séparation,
que la somme de rentes annuelles dont la Belgique restera grevée, avait été portée à
8,400,000 florins des Pays-Bas.
« Les paroles en italiques
interdisent évidemment tout retour sur l'examen de la question relative aux
2.000.000 de florins de la dette française. Le 48e protocole et le memorandum
qui y est annexé ont été rédigés le 18 octobre, après l'adoption et la
communication des XXIV articles, quoique sous une date antérieure, uniquement
dans le but de motiver et de régulariser pour ainsi dire aux yeux du public les
déterminations de la
Conférence au sujet du partage de la dette, déterminations
qui se fondaient principalement sur les conditions d'équité et de politique
énoncées dans le mémoire et la note annexée au 53e protocole, et relatives surtout
à ce qui était dû à la
Hollande pour compenser en quelque sorte les sacrifices faits
pour obtenir la réunion de la
Belgique en 1814-1815, tant par la cession des colonies, que
par l'abandon d'avantages pécuniaires importants qui lui étaient acquis, tandis
que les dix cantons qui avaient été le prix de la renonciation à une partie de
ces avantages ont été laissés à la
Belgique, le tout à part de la somme considérable qui a été
ajoutée pour le district d'Arlon, assigné à la Belgique vers la fin de
la négociation à la demande de la France. L'esprit dans lequel ce protocole a été
conçu ne permet à aucune des Puissances qui y ont pris part, et qui savent que
les motifs qui y ont été allégués ne sont pas ceux qui les ont effectivement
guidées dans la fixation du chiffre de la rente belge, de revenir aujourd'hui à
des recherches analytiques sur les bases de cette mesure. Vouloir admettre
d'autres intéressés à fonder des prétentions sur la lettre fictive du protocole
n° 48 et du memorandum, ce serait de la part des Puissances manquer à leur
propre conscience et aux obligations mutuellement contractées entre
elles. »
Les premières lignes de ce curieux
document étaient, en apparence, exactes, mais non point en fait. Sans doute, la
dette française ne se trouvait pas inscrite dans les tableaux fournis par les
plénipotentiaires néerlandais. S'ils y avaient introduit semblable mention, il
eut été trop facile aux plénipotentiaires belges de déjouer la manœuvre et de
prouver à la
Conférence qu'on tentait de l'induire en erreur. Les
représentants du roi Guillaume agirent avec plus de (page 147) malhonnête
astuce. Ce fut à leur secrète suggestion que les cinq cours imposèrent à la Belgique ce qu'elles
appelaient un complément de charge. Jamais les plénipotentiaires belges ne
reçurent communication des pièces confidentielles dont on munit la Conférence au
sujet de cette prétendue dette et ils n'eurent connaissance de l'origine du
surcroît de charge frappant leur pays que par le memorandum annexé au protocole
n° 48, protocole et memorandum qui ne furent eux-mêmes notifiés au gouvernement
belge qu'après la rédaction et la signification des XXIV articles. Le cabinet
de Bruxelles, avant de convertir ces articles en traité avec les cinq
Puissances, envoya M. de Penaranda à Londres et le chargea de donner à lord
Palmerston, sur la dette dite française, toutes les explications propres à
faire revenir la
Conférence de la décision qu'elle avait prise. Le délégué
belge reçut comme réponse que ni le fond ni la lettre des XXIV articles ne pouvaient
plus être modifiés et ses démarches demeurèrent inutiles (Lettre de M. van de Weyer au
chevalier de Theux, l0 août 1838).
Les circonstances dans lesquelles
la dette française avait été inscrite au passif de la Belgique, donnaient donc
parfaitement à celle-ci le droit, en invoquant l'esprit du protocole n° 48, de
démontrer son inexistence.
La suite de la lettre de M. de
Bülow disait clairement qu'existant ou non, les dettes austro-belges et
française n'étaient qu'un prétexte qui avait servi à la Conférence pour
dissimuler, sous une apparence de stricte justice, sa volonté de décharger la Hollande d'une partie de
son passif pour l'imposer à la
Belgique. En réalité, les plénipotentiaires de Londres
avaient joué en 1831 la comédie pour l'Europe.
En 1815, le Congrès de Vienne donna
la Belgique
à la Hollande
afin de dédommager cette dernière des sacrifices pécuniaires et coloniaux qu'on
lui imposait en faveur de l'Angleterre et d'autres États. La révolution de 1830
privait le roi Guillaume de ces dédommagements. Les Puissances avaient dû
consentir à notre indépendance. Mais celles qui, en 1815, s'étaient enrichies
au détriment des Pays-Bas, ne donnèrent pas leur acquiescement sans éprouver
quelques remords puisqu'elles gardaient, elles, le profit tiré du Congrès de
Vienne. Alors, pour calmer leur conscience, légèrement inquiète, elles
s'étaient décidées à charger la
Belgique, qui n'avait jamais eu son mot à dire aux
combinaisons de politique européenne et n'y avait aucune responsabilité,
d'indemniser à leur place la
Hollande.
C'était par conséquent notre or qui
devait permettre à la
Grande-Bretagne de jouir sans arrière-pensée des colonies
enlevées aux Pays-Bas et soulager l'Autriche du poids de dettes contractées
pour (page 148) le seul intérêt du Saint-Empire. Lord Palmerston ne tarda pas à
confirmer sur ce point les allégations de M. de Bülow.
6. Propositions
austro-prussiennes pour la liquidation de la dette et les arrérages
Le plénipotentiaire prussien avait
accompagné le mémoire des représentants des cours du nord de propositions qui
modifiaient en plusieurs points la rédaction de l'article 13 du traité du 15
novembre 1831. Ces propositions réduisaient, « eu égard aux titres de
compensation allégués par la
Belgique », la somme que celle-ci devait à la Hollande pour les
arrérages au chiffre de 9,800,000 florins, sans accompagner ce chiffre d'aucune
justification.
Mais s'il faisait cette concession,
d'autre part le diplomate prussien voulait, dans une certaine mesure, augmenter
le chiffre de la dette. Le § 5 de l'article 13 du traité du 15 novembre avait
décidé que de la liquidation du syndicat d'amortissement il ne pourrait
résulter aucune charge nouvelle pour la Belgique, la somme de 8,400,000 florins de rente
annuelle comprenant le total de son passif. M. de Bülow, répondant aux désirs
constants du roi Guillaume, au contraire proposait de décréter dans le nouveau
traité que si cette liquidation. donnait un résultat en faveur de la Hollande, ce résultat «
serait évalué en intérêts annuels à 4 % pour être la somme des dits intérêts
ajoutés à la rente annuelle de 8,400,000 florins à la charge de la Belgique, et ce à dater
du jour de la liquidation arrêtée, soit par accord entre les commissaires, soit
par décision des Puissances. »
Que faisait-il, en émettant cette
proposition, du principe que jusque-là il avait si souvent défendu en faveur du
souverain des Pays-Bas, c'est-à-dire que les XXIV articles contenaient, en
matière financière aussi bien qu'en matière territoriale, les décisions finales
et irrévocables de l'Europe? Il est singulier que M. de Bülow consentait à
abandonner ce principe dès qu'il s'agissait d'augmenter les charges pesant sur
la nouvelle monarchie !
Il est vrai qu'il proposait
également de dire que « si au contraire, il résultait de ce bilan un surplus en
faveur de la Belgique,
le montant de celui-ci serait de même évalué en intérêts annuels au taux de 4 %
pour être la somme de ces intérêts retranchés de la rente annuelle de 8,100,000
florins due par la Belgique,
laquelle en demeurerait ainsi déchargée jusqu'à concurrence de la dite somme
d'intérêts ».
Mais, par cette proposition, il
n'introduisait aucune modification de principe dans les XXIV articles.
Ceux-ci avaient reconnu notre droit
de profiter de l'actif éventuel du syndicat. M. de Bülow ne faisait que régler
la manière dont cet actif nous serait payé.
Le 20 août, MM. van de Weyer,
Fallon et Dujardin eurent avec lord Palmerston une entrevue qui dura trois
heures.
L'entretien porta sur le mémoire de
la commission financière belge (page 149) et sur la réponse qu'y avaient faite
les plénipotentiaires du nord. Le ministre anglais ne s'arrêta pas aux fins de
non-recevoir de ces derniers ni à leurs observations générales. Il ne fit que
rire de l'article relatif au 9,800,000 florins à payer par la Belgique à la Hollande pour les
arrérages. Il aborda les trois points principaux, c'est-à-dire les chiffres de
68, 110 et 30 millions. Il entra dans les détails les plus minutieux sur tout
ce qui pouvait lui donner une idée de l'institution du syndicat dans ses
rapports avec le trésor et la dette publique de l'État, et il parut tout à fait
convaincu qu'avant de pouvoir porter aucune portion de ces chiffres au passif
de la Belgique,
la liquidation du syndicat était indispensable (Lettre de MM. Fallon et Dujardin à. M. de Theux, 21 août
1838). En somme, lord Palmerston parut se rallier presque entièrement à
l'avis de ses interlocuteurs.
« En résumé, leur dit-il, la Hollande voudrait que,
dès à présent, la Belgique
contractât l'obligation de payer annuellement 8,400,000 florins, sauf à obtenir
plus tard, au moyen de la liquidation du syndicat, une diminution éventuelle.
Mais si l'on remet cette opération après la signature du traité, mille
difficultés vous seront suscitées et la Conférence, à qui l'on voudrait faire reprendre
les fonctions arbitrales, serait de nouveau appelée, dans trois ou six mois, à
prononcer un jugement en dernier ressort. C'est là un arrangement qui ne
saurait vous convenir. Il faut que, dès à présent, l'on procède à la
liquidation du syndicat, ou bien que la Belgique renonce à cette liquidation, à condition
que l'on défalquera de la dette toutes les sommes qui font partie de la
dotation de cet établissement. Il me semble que ce dernier arrangement vous
serait plus avantageux que le premier. »
7. Lord Palmerston se refuse
à la révision des dettes autrichienne et française. Proposition d'une cote mal
taillée
Mais cette proposition ne donnait
pas satisfaction à la
Belgique pour ce qui concernait les dettes austro-belge et
française. A l'objection qui lui fut faite, lord Palmerston répondit :
« A cet égard, la Conférence
elle-même ne peut pas revenir sur le jugement arbitral qu'elle a porté. Les
motifs de ce jugement sont consignés dans le memorandum du 7 octobre 1831, et
vous ne seriez point admis à en discuter le mérite. Ce sont des considérations
de haute politique. qui ont présidé à cette décision: le chiffre de la dette
qui vous est imposée était une condition « sine qua non » de votre
reconnaissance et de votre indépendance; et jamais les cinq Puissances ne
seraient arrivées à aucun accord parfait à cet égard, si l'on n'avait donné à la Hollande l'espèce de
compensation à laquelle nous avons tous reconnu qu'elle avait droit » (Lettre de M. van de Weyer à. M. de
Theux, 21 août 1838).
C'est en vain que MM. van de Weyer,
Fallon et Dujardin combattirent cette manière de voir. Lord Palmerston resta
inébranlable. Ses interlocuteurs purent se convaincre qu'il admettait comme
justes et vraies les observations faites à cet égard par M. de Bülow (Lettre de M. van de Weyer à. M. de
Theux, 21 août 1838 ; lettre de MM. Fallon et Dujardin à M. de Theux, 21
août 1838).
(page 150) Dans la conversation,
lord Palmerston demanda si la
Belgique se prêterait à une combinaison qui aurait pour objet
la renonciation de sa part à la liquidation du syndicat moyennant une somme à
convenir et à quel chiffre elle fixerait cette somme. Ni M. van de Weyer, ni
MM. Fallon et Dujardin n'avaient d'instructions pour donner suite à une
proposition aussi imprévue. Aussi se contentèrent-ils de répondre qu'ils ne
croyaient pas à un refus du cabinet de Bruxelles d'entrer en négociation sur ce
point, mais qu'il leur semblait que, dans tous les cas, une renonciation telle
que celle demandée à la
Belgique devait avoir au moins pour effet d'amener le
retranchement dans le chiffre de la dette de tout ce qui avait rapport au
syndicat.
L'entretien sur ce sujet ne fut pas
poussé plus loin ce jour-là (Lettre
de MM. Fallon et Dujardin au chevalier de Theux, 31 août 1838).
En sortant du Foreign Office, M.
van de Weyer se hâta de se rendre chez le général Sebastiani pour lui exposer
ce que lord Palmerston venait de dire au sujet de la dette austro-belge et de
la dette française. Ces révélations, dont la portée était grave pour la Belgique, le
préoccupaient fort. Il insista vivement près de l'ambassadeur français afin que
celui-ci obtînt de faire porter la révision également sur le chiffre de ces
deux dettes. Mais, dés le lendemain matin, le général lui fit savoir que lui
aussi avait trouvé une résistance invincible sur ce point chez lord Palmerston.
Celui-ci « opposait à tous les raisonnements la force de la chose jugée et
jugée pour des motifs dont le poids et l'importance avaient été appréciés par la France elle-même » (Lettre de M. van de Weyer au
chevalier de Theux, 21 août 1838).
Le 20 août au soir, MM. de Senfit
et de Bülow avaient livré au ministre anglais un violent assaut dans l'espoir
de l'amener à prendre leur proposition en considération. Le 21 M. van de Weyer passa cinq
heures à réfuter leurs objections verbales. Il fit comprendre à lord Palmerston
combien les propositions austro-prussiennes étaient dangereuses, inadmissibles,
impolitiques. Il lui montra qu'au fond elles ne décidaient rien; qu'elles
auraient, si on les adoptait, pour résultat de frapper la Belgique d'une dette
certaine et perpétuel1e, sans autre compensation qu'une liquidation qu'on
pourrait rendre illusoire et qu'un bénéfice d'autant plus éventuel qu'on le
subordonnerait à une nouvelle décision arbitrale de la Conférence. Le
ministre reconnut à nouveau, comme il l'avait fait déjà dans l'entrevue
précédente, à laquelle elle avaient pris part MM. Fallon et Dujardin, la
justesse de ces observations. Le général Sebastiani qui assistait à
l'entretien, appuya puissamment la plaidoirie de M. van de Weyer (Lettre de MM. Fallon et Dujardin au
chevalier de Theux 21 août 1838).
(page 151) Lord Palmerston revint
alors sur l'idée qu'il n'avait fait qu'esquisser incidemment la veille. « Je ne
vois, dit-il, d'autre moyen pratique d'en finir que de convenir d'une somme
transactionnelle que vous fixeriez et pour laquelle vous renonceriez à la
liquidation du syndicat. De cette manière, le chiffre de la dette se trouverait
diminué, et toutes les difficultés extérieures seraient aplanies et le traité
définitif pourrait se conclure immédiatement. MM. Fallon et Dujardin
pourraient-ils confidentiellement fixer, d'une manière approximative, la somme
que vous supposez qui doit vous revenir de la liquidation du syndicat? »
M. van de Weyer répondit que M.
Fallon et M. Dujardin n'avaient d'autre mission que celle de fournir des
éclaircissements à l'appui du rapport de la commission financière et qu'ils
sortiraient de leur rôle en proposant les éléments d'une transaction. Le
diplomate se hâta d'ajouter que la proposition de lord Palmerston, toute
officieuse qu'elle fût, pourrait peut-être cependant, si elle était discutée en
conseil, obtenir l'agrément du gouvernement du roi. Il proposa de renvoyer MM.
Fallon et Dujardin à Bruxelles, persuadé qu'ils ne tarderaient pas à revenir
avec une réponse sur le projet d'accommodement.
Mais cette procédure présentait
pour lord Palmerston l'inconvénient de faire perdre du temps à la Conférence,
alors qu'elle avait hâte d'en finir (Note de bas de page : « On écrit de Berlin que les lenteurs des
négociations et les difficultés que l'on entrevoit de la mener à bonne fin,
jettent M. le baron de Werther dans de vives impatiences, tantôt dans un
complet abattement. Il veut à tout prix une prompte solution, et il croit
pouvoir la faciliter en cherchant à jeter de la défiance entre les deux
Puissances qui nous prêtent leur appui, en louant outre mesure, aux dépens de la France, les bonnes
dispositions de lord Palmerston. Le mot d'ordre avait été donné à Töplitz, et
ce thème avait été répété trop souvent et avec trop d'affectation pour pouvoir
produire d'ailleurs l'effet que l'on s'en promettait. » Lettre de M. van de
Weyer au chevalier de Theux du 22 août 1838). MM. de Senfft et de Bülow
se montraient de plus en plus pressants. « Voyez, dit le ministre anglais en
matière de conclusion, consultez MM. Fallon et Dujardin et faites-moi savoir
demain ce qu'ils se croient autorisés à faire. Comprenez bien que cela ne vous
engage à rien, et que tout se réduirait à un renseignement purement
confidentiel. »
Il est presque inutile de dire que
les deux délégués financiers, ne purent que se ranger à l'avis de M. van de
Weyer, que se refuser à indiquer n'importe quel chiffre transactionnel (Lettre de M. van de Weyer au
chevalier de Theux, 21 août 1838). Bien que lord Palmerston le leur
demandât à titre absolument officieux et confidentiel, il est certain qu'une
fois en possession de ce chiffre, il aurait pressenti à son sujet les plénipotentiaires
des cours du nord et que ceux-ci n'auraient pas eu de peine à découvrir qui
l'avait mis en (page 152) avant. Par la fixation demandée qui aurait été faite
par des agents non autorisés à cet effet, mais dont nos adversaires se seraient
plus à affirmer la compétence, la
Belgique se serait trouvée en quelque sorte liée si elle
avait consenti à entrer dans la voie transactionnelle qu'on lui ouvrait. MM.
Fallon et Dujardin auraient vinculé d'avance dans une large mesure la liberté
de leur gouvernement
On peut se demander quels motifs
portèrent lord Palmerston à suggérer ce nouveau mode de donner une solution à
la partie financière du problème hollando-belge. Il semble que le rapport de la
commission avait fait sur lui une profonde impression. Il y trouvait la preuve
de grandes injustices commises au détriment de la Belgique. Rien que
la liquidation du syndicat, opérée avec la plus simple équité, devait diminuer
dans des proportions énormes la charge imposée à ce royaume et augmenter dans
la même proportion la dette néerlandaise. Le redressement des erreurs aurait
mis à mal les finances hollandaises et compromis par contre-coup les intérêts
de nombreux créanciers anglais du roi Guillaume. Une transaction amenant des
sacrifices de part et d'autre, pouvait atténuer les, inconvénients de cette
situation.. D'autre part, bien que lord Palmerston se retranchât derrière une
fin de non-recevoir, tout comme les plénipotentiaires du nord, pour écarter la
révision de la dette austro-belge et française, il lui eut été très désagréable
de voir discuter dans la presse et le public les motifs de son refus. Il ne
pouvait nier que ces deux dettes n'existassent point et il lui en aurait coûté
de devoir avouer qu'elles étaient un prétexte imaginé par la Conférence pour
forcer la petite Belgique à dédommager la Hollande de l'acquisition de ses colonies par la
puissante Angleterre. Un compromis étoufferait semblable discussion. La Belgique n'aurait plus eu
d'intérêt à la provoquer si elle avait accepté de bonne grâce un expédient plus
libéral pour ses intérêts que la décision prise par les XXIV articles. Lord
Palmerston ne se dissimulait pas non plus que s'il soutenait la Belgique énergiquement en
tout ou dans la plus grande partie de ses intérêts pécuniaires, les Puissances
du nord, liées à la cause néerlandaise, se seraient peut-être décidées à
provoquer la dissolution de la Conférence, ce qui à ses yeux aurait pu
compromettre la paix européenne, ou amener, en tous cas, la Prusse et l'Autriche à se
séparer complètement de 1'Angleterre, alors que celle-ci cherchait précisément
à se rapprocher d'elles en vue de la question d'Orient, à laque1le elle se
préparait à donner une solution contraire aux aspirations de la France.
M. van de Weyer se rendit de
nouveau au Foreign Office le 23 août. C'est alors que lord Palmerston lui fit
la déclaration, rapportée plus haut, au sujet de l'impossibilité pour la Belgique d'obtenir la
(page 153) conservation du Limbourg et du Luxembourg au moyen de négociations
sur le chiffre de la dette. Puis, ayant abandonné ce sujet, le ministre
britannique aborda une fois de plus la question de la dette et de la
liquidation du syndicat.
« Après y avoir mûrement
réfléchi, dit-il, nous sommes convaincus, le général Sebastiani et moi, que le
seul moyen d'en finir d'une manière favorable à la Belgique, c'est de
proposer la transaction dont je vous ai parlé hier. Vous me dites que MM.
Fallon et Dujardin, liés par leur mandat et par le travail de la commission
dont ils ont eux-mêmes fait partie, ne sont point autorisés à nous soumettre,
même confidentiellement, un chiffre approximatif qui pût servir de base à une
transaction. Il faut en revenir à l'idée que vous aviez émise hier, faire
partir ces Messieurs pour Bruxelles, leur recommander la plus grande
discrétion, afin que les journaux et le public ne s'emparent point d'une
question qui n'est même pas ici parvenue à un degré suffisant de maturité, et
demander au gouvernement belge qu'il fixe ses idées, et qu'il fournisse
lui-même les éléments d'une solution. »
En même temps, lord Palmerston
exprima le désir d'avoir encore une conversation avec MM. Fallon et Dujardin
sur les ressources et l'avoir du syndicat.
8. Le général Sebastiani et
les dettes autrichienne et française
Avant cette entrevue, les deux délégués
belges discutèrent encore avec le général Sebastiani la question des dettes
dans tous ses détails et spécialement celle de la dette franco-belge.
L'ambassadeur français paraissait avoir été impressionné par les considérations
politiques développées par le baron de Bülow, considérations qui auraient
motivé, en 1831, la décision de la Conférence au sujet de cette dette. Ses
interlocuteurs retirèrent de son attitude et de son langage l'impression qu'il
avait reçu de Paris la confirmation des faits invoqués par le plénipotentiaire
de Prusse et acquis la certitude que la France elle-même, afin de conserver Arlon à la Belgique, avait consenti
à ce qu'on employât un chiffre fictif pour majorer la part de notre pays dans
la dette du Royaume néerlandais.
La réalité des faits ne
correspondait cependant pas à cette induction. Au contraire, les assertions du
baron de Bülow furent fort mal accueillies par le comte Molé.
« De tels arguments, écrivait
ce ministre le 27 août au comte Sebastiani, je ne vous le cacherai pas, me
causent une réelle surprise; ceux qui les mettent en avant, en ont-ils bien
compris toute la portée? Se rendent-ils compte de l'impression qu'ils
produiraient sur les esprits si on venait à les rendre publics? Et il le
faudrait bien dans le cas où la détermination, à l'appui de laquelle on les
invoque, finirait par être adoptée. De tels aveux présenteraient-ils les
travaux de la
Conférence sous un aspect bien sérieux, bien propre à la
faire respecter? Ces motifs ont été complètement étrangers aux résolutions du
gouvernement du roi, qui, en s'associant aux (page 154) actes de la Conférence, a
cru sanctionner des décisions rendues dans un esprit d'entière bonne foi (...)
Je crois qu'en 1831, les autres cours étaient d'aussi bonne foi que nous dans la
persuasion que les documents fournis par la Hollande étaient à peu près véridiques. S'il en
eût été autrement, si elles eussent voulu par une confusion calculée ménager au
cabinet de La Haye les énormes bénéfices que la lettre des XXIV articles lui
accorde en réalité au détriment de la Belgique, elles n'auraient pas fait exprimer dans
le protocole du 6 octobre la clause très significative qui, stipulant une
bonification en faveur de la
Hollande, tant pour les avantages de navigation et de
commerce concédés aux Belges, que pour les sacrifices de divers genres que la
séparation avait amenés pour elle, limitait cette indemnité à 600.000 florins
de rentes. Il était impossible d'établir plus positivement que tout le reste de
la somme devait résulter de titres positifs et spéciaux. » (Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris, Angleterre, 651, folio 126-128).
Les interlocuteurs du général lui
firent observer que dans le cas où la Conférence aurait voulu faire revivre une dette
éteinte, elle ne pouvait cependant rendre l'existence qu'à ce qui avait été. La
dette française n'avait jamais atteint que la moitié du chiffre fixé. Les
plénipotentiaires ne devaient donc, en tout état de cause, imposer à la Belgique qu'un surcroît
de charges de deux millions et non de quatre. Ces observations aussi furent
accueillies par le général d'une manière révélatrice de sa conviction que la Belgique avait sur ce
point fort peu de chances de succès (Lettre de M. van de Weyer à M. de Theux, 22 août 1838).
9. Nouvelle
proposition transactionnelle de lord Palmerston. M. de SenfIt et de Bülow
acceptent la proposition d'une cote mal taillée et la réduction de la dette
belge. Les envoyés belges décident d'en référer à leur gouvernement.
Cette entrevue avec l'ambassadeur
de France était à peine terminée que lord Palmerston communiquait à M. van de
Weyer une note au sujet des arrérages et une nouvelle série de propositions
rédigées par MM. de Senfft et de Bülow.
Le premier de ces documents ne
reconnaissait à la Belgique
le droit de se refuser à payer les arrérages que pour la période comprise entre
le 11 juillet 1832, date à laquelle la Conférence avait garanti à notre pays l'exécution
des XXIV articles, et le ler juin 1833, date de la ratification de la
convention du 2l mai précédent.
La Hollande était par
conséquent qualifiée pour réclamer à ses anciens sujets 54,000,000 de florins.
MM. de Senfft et de Bülow se basaient sur ces calculs pour faire valoir
l'esprit de conciliation et de modération montré par le roi des Pays-Bas, qui
était prêt à se contenter d'une somme de 9,800,000 florins.
Quant aux propositions qui
accompagnaient cette note, elles maintenaient l'obligation, pour la Belgique, de payer les
9,800,000 florins en question, fixaient pour le paiement de cette somme
l'époque où aurait été terminée la liquidation du syndicat d'amortissement et
inscrivaient, à l'actif et au passif de cet établissement, les emprunts (page
155) de 110 et 30 millions créés par les lois du 27 décembre 1822 et du 24 mai
1830, bien qu'ils figurassent déjà sur la liste des dettes des Pays-Bas dont la Belgique devait supporter
la moitié.
Sans doute, le texte des
propositions de M. de Senfft et de M. de Bülow ne parlait formellement des
fonds provenant des emprunts de 1822 et de 1830 que pour l'actif du syndicat,
mais la suite de l'article indique que le passif en devait également être
affecté. En effet, on ne proposait d'inscrire les deux emprunts dans l'actif
que pour autant « que les dits fonds, emprunts et crédits, n'auront pas
été aliénés ou émis et employés aux usages respectifs déterminés par la loi,
avant le 1er novembre 1830 ». Les sommes empruntées disparaissaient donc
de l'actif du syndicat dans la proportion où elles avaient été employées. Elles
faisaient ainsi l'objet d'un double passif, la première fois en totalité dans
le tableau des emprunts du royaume des Pays-Bas, la seconde fois en majeure
partie dans le compte de liquidation du syndicat. Celui-ci, pour établir son
actif, devait commencer par défalquer des sommes mises à sa disposition celles
dont il avait légalement usé. On arrivait ainsi à faire payer deux fois à la Belgique la moitié des
emprunts de 1822 et de 1830. On n'en aurait déduit qu'une somme de onze
millions environ provenant d'un reliquat de vingt-deux millions sur l'emprunt
de 1822. Si nous ne nous trompons, MM. Fallon et Dujardin soutinrent que, si
l'on inscrivait parmi les dettes dont la moitié devait être supportée par la Belgique l'emprunt de
1822, on devait inscrire à l'actif du syndicat non seulement les 22 millions de
dette non émise, mais aussi les 88 millions de dette hollandaise différée
rachetés au profit exclusif de la
Hollande au moyen de l'emprunt de 110 millions. Mais cela ne
rentrait pas dans les tendances des plénipotentiaires du nord. Selon eux, les
quatre-vingt huit millions de l'emprunt de 1822 ayant été employés « aux
usages déterminés par la loi » du 27 décembre, il ne pouvait plus en être tenu
compte dans l'actif du syndicat. Pour nous résumer, la combinaison imaginée par
MM. de Senfft et de Bülow aboutissait au résultat d'inscrire au passif de la Belgique quatre-vingt
dix-neuf millions sur les cent et dix stipulés par la loi de 1822. Les XXIV
articles, en comprenant l'emprunt de 110 millions parmi les dettes à diviser
également entre la Belgique
et la Hollande,
avaient violé le principe que la Conférence avait proclamé et en vertu duquel
chacun des deux pays devait supporter le poids entier de celles de ses dettes
contractées avant la réunion. Que serait-il resté de la règle du partage égal
des dettes contractées en commun si la Conférence avait adopté le texte que voulaient
lui soumettre les plénipotentiaires de la Prusse et de l'Autriche?
MM. de Senfft et de Bülow
terminaient leurs propositions, comme (page 156) ils l'avaient fait dans le
premier projet soumis à lord Palmerston, en exigeant, contrairement aux XXIV
articles, que si la liquidation du syndicat amenait un résultat défavorable à la Hollande (et, comme nous
venons de le voir, ils violaient les principes de la plus élémentaire équité
pour amener ce résultat), la
Belgique aurait à en supporter les conséquences par une
augmentation du chiffre de la dette fixée par le traité du 15 novembre 183I.
Selon l'expression même de MM. de
Senfft et de Bülow, la détermination prise par la Conférence dans
ce traité au sujet du partage des dettes, se fondait principalement sur des
considérations d'équité et de politique (Note sur « La dette inscrite au Grand-Livre de l'Empire
français »). Nul motif donc, à leur avis, ne pouvait en justifier
en 1838 la modification au détriment de la Hollande. Mais quand on avait
attribué des avantages relatifs à la Belgique, ne s'était-on pas aussi inspiré de
motifs d'équité? Sans doute. Pourquoi, dans ce cas, ce qui avait été équitable
en 1831, ne l'était-il plus en 1838, alors que la Belgique n'avait certes
pas, par sa soumission manifestée jusqu'alors aux volontés de l'Europe tandis
que la Hollande
les avait toujours bravées, démérité de l'estime générale? La réponse à cette
question ne sera certes pas au profit de l'impartialité dont se trouvaient
animés MM. de Senfft et de Bülow.
MM. van de Weyer, Fallon et
Dujardin s'empressèrent d'exposer au général Sebastiani, verbalement et par
écrit, la réponse qu'ils croyaient devoir faire aux propositions de MM. de
Senfft et de Bülow. L'ambassadeur de France se « montra hautement satisfait »
du mémoire dont il lui fut donné lecture. Au Foreign Office, lord Palmerston
prit aussi connaissance du travail des envoyés belges et le discuta avec eux (Note de bas de page : Le texte
de ce Mémoire se trouve au tome 1er, page 60, de l'Histoire parlementaire du
traité de paix du 19 avril 1839).
Les observations faites sur les
inconvénients d'une liquidation postérieure à la signature du traité frappèrent
une fois de plus le ministre anglais (MM. Fallon et Dujardin disaient, dans leur réponse à MM. De Senfft et de
Bülow: « La disposition de cet article est en contre-sens avec l'opération
subséquente à laquelle on subordonne le règlement du chiffre. Cette manière
d'opérer est inexplicable. Sauf le cas où il s'agit d'une dette contestée et
entièrement liquide, on ne commence pas par formuler le chiffre de la dette
avant de l'avoir ca1culée, pas plus qu'en bonne règle de raison on ne débute
par poser en fait ce qui est en question. Il y a enfin quelque chose de trop
offensant pour la partie avec laquelle on doit compter, que de lui proposer de
se soumettre d'abord, par se constituer débitrice des sommes qui sont en
contestation sauf à examiner ensuite si la dette s'élève effectivement au
chiffre auquel on lui demande de souscrire avant toute vérification. Dès lors
que les auteurs de la proposition admettent le principe d'une liquidation
préalable à toute exécution, ils reconnaissent que la dette n'est pas liquide,
et cette reconnaissance emporte l'obligation de commencer par liquider, On ne
fait qu'intervertir les idées, On ne fait que des mots, en constituant d'abord,
sous une formule définitive, la
Belgique débitrice d'une dette au montant de 8.400.000
florins, tout en réservant d'augmenter ou de diminuer le chiffre par un traité
postérieur, et suivant le résultat d'une vérification ultérieure. Comme on vient de le faire remarquer, cette
marche a d'ailleurs l'inconvénient de multiplier inutilement les projets
d'arrangement définitif. ») D'un autre côté, il se montra de plus en
plus (page 157) convaincu de l'extrême difficulté qu'il y aurait à s'entendre
sur les bases d'une liquidation antérieure, et même simplement sur les sommes
relatives au syndicat qu'il y aurait à défalquer pour amener une renonciation à
la liquidation. Aussi, d'accord avec le général Sebastiani, revint-il avec plus
d'insistance qu'auparavant sur sa proposition de transaction, comme seul moyen
pratique et raisonnable d'en finir.
A nouveau, il demanda que MM. Fallon
et Dujardin indiquassent un chiffre transactionnel approximatif. Mais les deux
commissaires, tout en fournissant à lord Palmerston des renseignements pleins
de justesse et d'intérêt sur les avantages qui résulteraient pour la Belgique d'une liquidation
consciencieusement réalisée, ne purent que se renfermer dans la déclaration
faite de leur part par M. van de Weyer, c'est-à-dire que, liés par leur mandat,
il ne leur était point permis de sortir des termes du rapport de la commission.
Le ministre de Belgique, de son côté, fit observer qu'à lui aussi il était
impossible d'exprimer une opinion à cet égard sans avoir consulté d'abord le
cabinet de Bruxelles et sans savoir si celui-ci accepterait le principe même
d'une transaction. « Il me semble, dit-il, que, dans l'état actuel des choses,
la marche la plus prudente serait de suspendre toute négociation jusqu'à ce
qu'on fût d'accord sur ce point. MM. Fallon et Dujardin partiraient pour
Bruxelles, soumettraient au gouvernement du roi le projet de transaction et,
s'il en admettait le principe, contribueraient, par leurs lumières, à
déterminer le chiffre transactionnel de manière à produire un résultat
définitif. De leur côté, les plénipotentiaires hollandais, ou plutôt MM. de
Senfft et de Bülow, pourraient consulter le cabinet de la Haye et recevoir des
instructions positives à ce sujet. Car il serait très fâcheux qu'on nous fît
nous expliquer sur ce projet de transaction et qu'on laissât à la partie
adverse la faculté d'en repousser le principe après que nous l'aurions admis.»
Lord Palmerston approuva cette proposition, tout en ne dissimulant pas qu'elle
rencontrerait la plus vive opposition chez les plénipotentiaires prussien et
autrichien. Il parla de l'insistance que mettaient ces derniers à vouloir maintenir
le chiffre de la dette tel que le traité du 15 novembre l'avait fixé,
n'admettant une réduction que par l'effet de la liquidation du syndicat
d'amortissement.
Il laissa entendre que les
représentants des cours du nord (page 158) renonceraient à la partie de leur
projet qui prévoyait une augmentation possible du chiffre de la dette.
En examinant ce qui, dans la note
qui venait de lui être remise, se rapportait à la dette austro-belge et à la
dette française, lord Palmerston revint sur ses précédentes déclarations pour
les confirmer.
« Il ne faut pas que vous vous
fassiez illusion, répéta-t-il, et que vous vous berciez de l'espoir d' obtenir
sur ces deux points la réduction que vous demandez. La Belgique, liée par le
traité du 15 novembre, a consenti purement et simplement à payer la somme de
8.400.000 florins par an. Si nous avons admis le principe de la révision de la
dette, c'est parce que la
Conférence, dans son protocole n° 48, s'est imposé à
elle-même l'obligation de réparer les erreurs où elle pourrait avoir été
entraînée par les tableaux qui lui ont été fournis. Ce protocole ne donne
indirectement un droit à la
Belgique que parce que l'une ou l'autre des cinq Puissances
peut exiger que l'on remplisse le devoir que ce protocole impose. Mais il n'en
est pas de même pour tout ce qui sort de cet acte et de ses annexes. Là, le
traité reprend tout son empire et, ni la France, ni l'Angleterre n'ont elles-mêmes aucun
titre à invoquer pour exiger des trois autres Puissances que la révision
s'étende à cette partie de la dette. Or, pour vous en affranchir, il faut le
concours et le consentement des cinq Puissances qui vous l'ont imposée; et ce
consentement, vous l'obtiendrez d'autant moins que le surcroît de dette dont
vous vous plaignez est le résultat d'une espèce de transaction entre toutes les
parties et en quelque sorte le prix de votre indépendance et des territoires
(les douze cantons, Arlon, etc.), qui vous ont été laissés. Ni le protocole
n°48, ni le memorandum qui fait suite à cet acte, n'ont été communiqués à la Belgique. Nous
puisons dans les principes du premier les moyens pour soutenir votre demande de
révision, mais, en même temps, nous ne vous reconnaissons pas le droit
d'attaquer le chiffre et les raisonnements du second. Vous avez raison de vous
en faire un moyen de discussion; vous auriez tort de compter sur un résultat
favorable à vos vues » (Lettre
de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 24 août 1838).
M. van de Weyer écrivait au
chevalier de Theux que ce système paraissait être celui de tous les
plénipotentiaires de la
Conférence, mais il n'était pas celui de tous les
gouvernements représentés à la Conférence. La France ne l'acceptait pas.
10.
Jugement du comte Molé sur les motifs du partage de la dette en 1831
Le contenu des rapports de M. van
de Weyer avait été communiqué à M. le Hon et celui-ci en fit le sujet
d'entretiens avec le comte Molé. Il reçut du ministre français l'assurance que
les instructions données au comte Sebastiani étaient toujours restées conformes
aux intérêts et aux désirs de la Belgique. Le gouvernement de Louis-Philippe
n'admettait pas la distinction que lord Palmerston (page 159) voulait établir
entre une dette révisible et une dette non révisible, Son ambassadeur à Londres
avait reçu mission de faire observer au cabinet de Saint-James que les deux
millions de florins (ou 4,000,000 de francs) de la dette inscrite au
grand-livre de la France,
et les 750.000 florins de la dette austro-belge, s'étaient trouvés mis à notre
charge à titre de passif propre à la Belgique et comme élément obligatoire de
liquidation. La vérité de cette assertion résultait expressément du protocole
n°48 et par ce seul motif la rectification de ces deux articles était
nécessaire, inévitable dans le cas où l'on démontrerait que les chiffres manquaient
d'exactitude. Si l'adjonction des dits articles, disait aussi le ministre
français, à ceux consignés dans les tableaux des plénipotentiaires néerlandais,
avait eu une cause politique tenue secrète en 1831, cette cause n'était pas
plus avouable en 1838 que lors du traité, et surtout, elle n'était pas
opposable au principe de la révision quand la Belgique appuyait sa
demande sur le protocole n°48 ainsi que sur les règles les plus incontestables
en matière de liquidation. Comme conséquence de ces considérations, le général
Sebastiani devait insister sur la révision préalable des articles des tableaux
néerlandais puisqu'elle ne pouvait être l'objet d'un doute quant à ces
derniers; il n'y avait pas, d'après le comte Molé, lieu à transaction à leur
égard si les preuves des griefs belges étaient apportées; il fallait attendre
que les points de difficulté réelle fussent connus et réservés pour discuter,
seulement en ce qui les concernait, la question d'une liquidation à forfait (Lettre du comte le Hon au chevalier
de Theux, 1er septembre 1838. Le comte le Hon complète l'exposé des
instructions données au général Sebastiani en disant: «Ces instructions ont été
suspendues par l'effet de l'accession des cours du nord au système d'une
transaction générale et immédiate »).
La dépêche du comte le Hon, qui
rapporte ces détails, contient aussi des considérations intéressantes sur les
motifs qui dictaient la politique anglaise et sur l'attitude que cette
politique paraissait indiquer à la
Belgique de prendre dans la question de la dette.
« Dans ma pensée, écrit le
ministre du roi Léopold à Paris, lord Palmerston n'a pas dit le vrai motif de
sa répugnance à la révision des 2.750.000 florins, chiffre total et
approximatif des deux articles, Il est probable que l'Angleterre, en 1831, a concouru de toute
son influence à faire allouer les deux sommes au roi de Hollande comme
indemnité, moins de la perte de la
Belgique, que de celle des colonies hollandaises cédées à
l'Angleterre en 1814 et en considération de l'accroissement du territoire
continental obtenu par la
Hollande. Les calculs du cabinet de Saint-James, pour amener
à cette époque la cession à son profit de quelques colonies néerlandaises,
n'ont peut-être pas été étrangers à la manière si étrange dont on a qualifié
dans le traité le projet de réunion de la Belgique (page 160) aux provinces bataves; la Hollande, stipula-t-on
alors, recevra un accroissement de territoire.
« Si, en effet, c'est en
raison de l'accroissement continental qu'a été demandé et consenti
l'amoindrissement colonial, grande a dû être, en 1831, la disposition de
l'Angleterre à nous charger de ses indemnités envers la Hollande et, sous ce
point de vue, la résistance opiniâtre de lord Palmerston contre toute révision
des articles en dehors des tableaux des plénipotentiaires hollandais s'explique
tout naturellement.
« Cette conjecture purement
confidentielle, si elle était fondée, aurait pour conséquence de ne nous
laisser aucun espoir d’emporter la révision rigoureuse du chiffre des dettes
française et austro-belge, l'intérêt britannique élevant contre elle un
obstacle insurmontable.
« Dans ce cas, s'il m'est
donné d'émettre un avis en ce point, la Belgique .aurait intérêt à entrer dans un système
de transaction en masse, qui, ne mettant pas le ministère anglais en lutte avec
des engagements particuliers et secrets, et son droit en opposition avec ses
intérêts, lui laisserait une suffisante liberté d'action pour nous soutenir,
pour appuyer avec la France
le chiffre de réduction le plus rapproché de l'exacte justice.
« Les ténèbres du syndicat
d'amortissement offrent à lord Palmerston un utile refuge contre toute
confrontation avec tel ou tel article déterminé et, si je ne me trompe, c'est
là le vrai motif du projet de transaction en masse.
« Les cours du nord, vous le
savez, ont fini par accueillir cette idée du ministère anglais. Elles redoutent
aussi de se trouver en face d'engagements antérieurs inconciliables avec le
protocole n°48 et pourtant elles veulent en finir. Je ne suis pas éloigné de
penser que nous avons plus à espérer d'elles dans une transaction globale que
dans une révision détaillée.
« Au reste, la France, en regardant comme
un progrès l'assentiment des cours du nord à une réduction transactionnelle du
chiffre de la dette, demeurera fidèle au principe de révision si on ne parvient
pas à s'entendre de toute autre manière.
« J’oserais garantir la
persistance du ministère français dans cette ligne aussi longtemps que le
ministère britannique ne s'unira pas définitivement aux trois cours pour nous
imposer une dette onéreuse, quand même. »
La France continuait, en
effet, à ce moment, à défendre nos intérêts financiers. Dans une lettre qu'il
écrivait le 27 août au général Sebastiani, le comte Molé condamnait vertement
les propositions financières des cours du nord. Il les jugeait d'une exécution
impossible et il prescrivait à l'ambassadeur de persister à réclamer la
révision du partage de la dette (Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris, Angleterre, 651, p. 131).
Mais M. Sebastiani se trouvait fortement
influencé par lord Palmerston aux suggestions duquel il obéissait plus qu'aux
instructions de son gouvernement. Nous avons vu qu'il s'était empressé
d'appuyer (page 161) les efforts du ministre anglais pour faire admettre par
les délégués financiers belges l'idée d'une cote mal taillée. Cette idée
n'avait nullement rencontré d'abord l'adhésion du gouvernement français. Le
comte Molé s'était empressé d'exposer à son représentant à Londres ses doutes
sur l'utilité de semblable proposition. L'énoncé même de la suggestion de faire
réduire la dette belge d'une somme déterminée, moyennant la renonciation du
cabinet de Bruxelles à sa quote-part dans l'actif du syndicat d'amortissement,
lui paraissait équivoque. Si l'on voulait dire que la réduction représenterait
purement et simplement cette quote-part, le ministre français estimait que ce
serait abandonner le principe de la révision et cela, le gouvernement français
ne consentirait pas à l'admettre. Si l'on entendait au contraire que la somme,
dont par la transaction proposée, on voulait décharger la Belgique, devait aussi
tenir lieu du dégrèvement (Note
de bas de page : Le
comte Molé écrivait que, si ce dégrèvement devait se borner à 240.000 florins,
il serait tout à fait insuffisant.) que la révision réclamée pouvait lui
procurer, le comte Molé pensait qu'il fallait, de toute nécessité, commencer
par s'entendre, sinon sur tous les détails des créances contestées, au moins
sur leurs bases principales. On ne pouvait pas se soustraire à la nécessité
d'aborder d'une manière sérieuse les points litigieux: « Quelque disposé que
l'on soit à transiger, disait-il, quelqu'empressement que l'on puisse avoir
d'en finir, encore faut-il s'être dit sur quoi porte la transaction » (Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris,
Angleterre, 654, folio 132). Deux mois plus tard, l'homme d'Etat
français avait changé d'avis et, le 17 octobre, il écrivait au comte Sebastiani
que, à son avis, le seul expédient vraiment concluant serait de fixer une somme
en bloc, tout en ajoutant que la
France ne pouvait et ne pourrait jamais souffrir qu'il fût
fait aucune violence à la Belgique Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris,
Angleterre, 654, folios 218 et 222).
11.
Nouvelles propositions austro-prussiennes pour les arrérages et la liquidation
de la dette. Les envoyés belges les repoussent
M. de Theux aurait désiré pouvoir
conférer avec MM. Fallon et Dujardin sans que lord Palmerston communiquât aux
représentants des cours du nord son projet de transaction. Mais le ministre anglais,
avant d'avoir reçu l'expression de ce désir, s'était ouvert de son plan à MM.
de Senfft et de Bülow. Ces derniers, conscients de l'impossibilité de maintenir
leur intransigeance dans la question de la réduction de la dette, s'étaient
empressés d'accepter sa suggestion et lui avaient envoyé incontinent des
projets de traités à conclure entre la Belgique et les Pays-Bas. Ces traités
renouvelaient les XXIV articles, mais en y ajoutant des clauses explicatives et
(page 162) additionnelles relatives à la navigation de l'Escaut, à l'époque où
commencerait, par la Belgique,
le payement de la rente, aux arrérages, à la liquidation du syndicat
d'amortissement, au transfert des capitaux et rentes devant retomber à la
charge de la Belgique,
et aux jugements rendus en matière civile et commerciale dans les parties du
Limbourg et du Luxembourg cédées à la Hollande.
Ces articles additionnels étaient
identiques aux propositions dont M. van de Weyer avait entretenu le
gouvernement belge dans sa dépêche du 22 août. Ils n'en différaient que par un
point: c'est que les litiges éventuels entre les commissaires chargés de la
liquidation du syndicat devraient être soumis, non plus à l'arbitrage de la Conférence, mais
à un arbitre unique à désigner ultérieurement. Contrairement à ce que lord
Palmerston avait dit au ministre de Belgique, les plénipotentiaires du nord
n'abandonnaient pas le projet de nous faire payer, pour nous libérer des
arrérages, la somme de 9.800.000 florins.
En outre, on laissait au roi des
Pays-Bas la faculté de remplacer ceux des articles additionnels et explicatifs
se rapportant à la question financière, par une disposition qui supprimait
entre la Belgique
et la Hollande
le partage de l'actif et du passif du syndicat moyennant, pour la première, la
réduction de sa dette à un chiffre qu'elle était invitée à proposer.
Ces propositions équivalaient à une
victoire réelle pour la
Belgique. En effet, pour la première fois, les Puissances du
nord admettaient, sinon le principe de la révision de la dette, du moins celui
de sa réduction.
12. La
Conférence veut poursuivre l'examen du traité. Vive opposition de M. van de
Weyer. Léopold 1er décide de cesser provisoirement toute négociation
Mais, en attendant que le
gouvernement du roi Léopold se fut prononcé sur la transaction proposée, MM. de
Senfft et de Bülow, soutenus cette fois complètement par lord Palmerston,
voulaient que les négociations se poursuivissent sur les autres points
litigieux des XXIV articles. Comme on le sait, cette procédure était tout à fait
contraire aux aspirations du cabinet de Bruxelles, désireux de voir décider
avant tout la question financière.
« Tout nous fait un devoir,
répondit lord Palmerston aux observations que lui adressait à ce sujet M. van
de Weyer, d'employer l'intervalle qui va s'écouler entre l'envoi du projet à
Bruxelles et l'arrivée de la réponse de votre gouvernement, à arrêter la
rédaction définitive de tous les articles qui doivent faire partie de votre
traité avec la Hollande.
Je m'attends donc à recevoir de vous, dans le plus bref délai
possible, un article complet sur la navigation de l'Escaut d'abord, et ensuite
des projets de stipulation sur tous les autres points.
« L'objection que vous me
faites que ce serait intervertir l'ordre des idées, et vous forcer à parapher
les sept premiers articles du traité avant (page 163) d'avoir obtenu
satisfaction sur vos réclamations relatives à la dette, cette objection n'en
est plus une. Car, en premier lieu, ces articles sont la reproduction textuelle
du traité du 15 novembre ; ce traité vous l'avez accepté et ratifié; et,
en second lieu, le tout a été paraphé déjà dans la négociation de 1833. Dès
cette époque et, surtout pendant les trois derniers mois qui viennent de
s'écouler, la France
et la Grande Bretagne
n'ont cessé de répéter à la
Belgique qu'en ce qui concerne les stipulations
territoriales, le traité du 15 novembre ne saurait subir de modifications,
qu'elles sont finales et irrévocables, et qu'un nouveau sacrifice, égal même
aux 8.400.000 florins primitivement imposés, ne serait accepté, ni par la Hollande, ni par la Confédération
germanique, pour laisser la
Belgique en possession des parties cédées du Limbourg et du
Luxembourg. Il faut donc que l'on renonce à Bruxelles, et d'une manière
formelle, à tout espoir à cet égard; que l'on respecte les engagements
contractés, et que l'on s'exécute de bonne foi. D'ailleurs, la liquidation
préalable du syndicat d'amortissement serait elle-même subordonnée à la
signature du traité, c'est-à-dire que cette liquidation ne pourrait avoir lieu
qu'après que les deux parties auraient paraphé tous les autres articles du
traité. L'exécution seule en serait différée jusqu'à ce que cette opération fût
terminée; et force nous serait même de fixer un terme endéans duquel elle
devrait avoir lieu. De quelque côté donc que vous envisagiez la question, il
vous est impossible de vous soustraire à l'obligation d'entrer en négociation
sur les autres points, de nous soumettre des projets d'articles, en réponse à
ceux qui nous sont proposés par l'autre partie, et de considérer comme
irrévocablement arrêtés les articles qui ont été paraphés en 1833 (Lettre de M. van de Weyer au
chevalier de Theux, 28 août 1838).
Cette déclaration mit M. van de
Weyer dans une grande agitation et beaucoup d'embarras. La lettre, par laquelle
il en rendit compte à son gouvernement, manifeste l'état d'anxiété dans lequel
il se trouvait en ce moment en quelque sorte décisif.
« En présence d'une
déclaration aussi formelle, disait-il, le 26 août, à M. de Theux, d'un plan de
négociation aussi formellement arrêté, il est impossible que je reste envers
lord Palmerston dans la position où m'a placé jusqu'à présent le système que
nous avons suivi. Il faut que le gouvernement du roi prenne cette position, qui
est aussi la sienne, en sérieuse considération. Je l'ai défendue,
jusqu'aujourd'hui de toutes mes facultés, mais je sens que je ne puis plus,
sans nuire à d'autres intérêts me maintenir sur ce terrain. Il faut, Monsieur
le Ministre, que le gouvernement du roi se demande s'il peut et doit déclarer
qu'il considère comme nul et non avenu tout ce qui s'est fait en 1833, que les
instructions et les pouvoirs donnés à cette époque aux plénipotentiaires du roi
sont annulés et révoqués, et qu'en conséquence il se refuse à négocier sur,
tout autre point que sur celui de la dette. Le moment est venu où le (page 164)
Conseil doit se prononcer à cet égard; pour moi, je ne dois point lui
dissimuler qu'un pareil système serait vivement combattu par la France et la Grande-Bretagne,
puissances qui, aux termes de l'article 5 de la convention du 21 mai, se sont
spécialement engagées à s'occuper sans délai du traité définitif qui doit
régler les relations entre les Etats du roi des Pays-Bas et la Belgique.
« Je ne puis assez le répéter,
Monsieur le Ministre, il est de la plus haute importance, dans l'intérêt du
traité définitif, qui doit régler nos relations avec la Hollande, que le
gouvernement du roi fixe bien ses idées sur tout ce qui précède, que je
reçoive, ou des instructions complètes et positives qui me permettent de suivre
lord Palmerston sur le terrain de la négociation ou l'ordre de déclarer que la Belgique ne veut point
négocier que la question de la dette ne soit tranchée; car la position d'entre
où je suis placé, n'est plus guère tenable et nous nuit singulièrement dans
l'esprit du ministre anglais. »
Lorsque les dépêches de M. van de
Weyer du 24 et du 28 août parvinrent à Bruxelles, le chevalier de Theux se
trouvait momentanément absent de la capitale. Le roi prit connaissance avant
lui de cette correspondance et, en la renvoyant à son ministre des affaires
étrangères, il y ajouta les instructions suivantes:
« Van de Weyer vient de nous
écrire de longues dépêches: la question territoriale est très difficile, mais,
pour le moment, il s'agit de la question de la dette. Comme lord Palmerston le
désire lui-même, la première chose à faire est d'engager MM. Fallon et Dujardin
à se rendre immédiatement à Bruxelles pour faire leur rapport sur les premiers
pas de la négociation.
« 2° De faire savoir à van de Weyer
qu'il sera inutile pour le moment d'avoir
des conférences jusqu'à ce qu'on lui mandera de Bruxelles le résultat des
consultations qu'on aura eues avec les dits commissaires.
« 3° Qu'après avoir entendu
les commissaires on lui enverra des instructions, s'il y a lieu.
« 4° Qu'il ne peut plus s'agir
d'un arbitrage quelconque, mais bien
d'une négociation libre, que la Belgique n'a pas la
prétention d'imposer ses conditions à d'autres, mais qu'elle n'entend pas non
plus se soumettre à d'autres mesures que celles auxquelles elle aura librement consenti.
« 5° Que ce n'est pas elle qui
a changé l'immutabilité du traité du 15 novembre 1831, mais bien les trois
Puissances du nord. Que maintenant qu'elle a consenti à se mettre dans cette
position, on ne peut plus rentrer
dans le système de l'arbitrage absolu
sans son consentement.
« Voilà ce qu'il faut écrire à van de Weyer » (Note de bas de page : Ces instructions étaient
entièrement de 1a main de Léopold 1er. Les mots en italique avaient été
soulignés par lui. Notre premier roi avait l'habitude de souligner tous les
mots qui lui paraissaient essentiels dans ce qu'il écrivait).
C'est en se basant sur ces
instructions, et après en avoir délibéré en conseil des ministres, que M. de
Theux répondait le 1er septembre, à M. van de Weyer.
(page 165) « Je dois vous
informer que j'approuve entièrement le retour de MM. Fallon et Dujardin, afin
de pouvoir conférer avec eux. Il sera inutile, pour le moment, et jusqu'à ce
que vous ayez reçu des instructions positives de ma part, de pousser plus avant
les négociations officieuses. Ma dépêche du 25, que vous devez avoir entre les
mains actuellement, vous aura déjà fait pressentir les présentes instructions.
« Je ne puis, Monsieur le
Ministre, que vous rappeler mes dépêches précédentes sur la nécessité de se
borner, quant à présent, à la discussion des questions financières. Les motifs
ont été longuement développés. La
Belgique a pris l'initiative de l'acceptation des XVIII et
des XXIV articles. La
Hollande a repoussé les premiers, et elle a obtenu de
meilleures conditions; elle s'est réservé, pour délibérer sur les seconds, un
terme de sept années, attendant toutes les chances favorables d'améliorer sa
position et, aujourd'hui, lorsque la Belgique, deux fois victime de sa facilité à
accepter des conditions onéreuses, se prévaut des retards de son adversaire et
des restrictions que les Puissances du nord ont apportées aux ratifications du
traité; lorsqu'elle demande avant tout justice et qu'elle réclame en premier
lieu la révision du partage de la dette, elle a, certes, le droit d'être
écoutée. Il serait même injuste d'intervertir cet ordre si naturel des
négociations.
« Je conçois que quelques
Puissances craignent que la
Belgique ayant obtenu justice sur le partage de la dette, la Hollande ne sollicite des
modifications au traité, dans la vue de conserver tout ou partie des avantages
financiers qu'elle puise dans ce traité; mais cette appréhension même doit nous
faire persister plus que jamais dans la voie que nous avons suivie. Adopter une
autre marche, se serait s'exposer à voir rejeter tour à tour toutes nos
prétentions; se serait en quelque sorte consentir l'abandon des réclamations
que nous avons déjà présentées sur la dette.
« La tournure que prennent les
négociations officieuses ferait croire qu'on perd de vue qu'il ne s'agit plus
d'arbitrage mais d'une négociation libre. Nous nous prévalons ici, non
seulement des vrais principes de politique internationale, et notamment du
principe de l'indépendance des Etats, mais encore du texte même de la
convention du 21 mai. La
Conférence, après avoir été dissoute, ne s'est réunie à
nouveau, en 1833, que de l'assentiment de toutes les parties intéressées, et
elle ne s'est pas crue autorisée à dicter la loi à aucune des parties. C'est ainsi
que la Hollande
a pu rompre la négociation à cette époque, sans qu'il lui soit arrivé aucun
dommage. Les réserves des Puissances du nord ont changé l'immutabilité du
traité du 15 novembre 1831. Elles n'ont donc aucun droit d'invoquer cette
immutabilité à notre détriment. Ces considérations n'ont point échappé à lord
Palmerston. Aussi, a-t-il déclaré lui-même, de la manière la plus précise,
qu'il envisageait le rôle d'arbitrage de la Conférence comme
terminé. »
13.
Mécontentement et avertissements de lord Palmerston.
Toutes les considérations
développées en cette lettre étaient très justes. Malheureusement, la Belgique traitait avec
des puissances qui, à l'exception de la France, se trouvaient, les unes animées envers
(page 166) la jeune monarchie de sentiments où dominaient le ressentiment
d'avoir vu démolir l'œuvre des traités de 1815 et une défiance sans mesure
envers la nouvelle nationalité, et les autres par des considérations politiques
destructives, elles aussi, des sentiments de justice et d'égalité.
M. van de Weyer avait prévu la
réponse de M. de Theux, aussi s'était-il soigneusement abstenu d'accomplir
aucun acte, de remettre à la Conférence aucune pièce qui eût été en
contradiction avec le système du gouvernement belge. Le ministre britannique
l'avait cependant vivement pressé de préparer une série d'articles destinés à
compléter le traité du 15 novembre. M. van de Weyer avait poussé la précaution
jusqu'au point de ne pas communiquer à lord Palmerston un article relatif à la
navigation de l'Escaut rédigé en 1831. Le ministre britannique, pressentant, de
son côté, la marche que le cabinet de Bruxelles voudrait continuer à suivre,
prévint le diplomate belge, dans une entrevue qu'il eut avec lui le 2
septembre, que cette politique conduirait à de fâcheux résultats pour la Belgique. Il lui
répéta que jamais aucune des cinq Puissances ne consentirait à ce que l'on
modifiât les arrangements territoriaux; que quant à la révision de la dette,
trois Puissances continueraient à en rejeter le principe, que les autres ne
pourraient l'admettre que dans ses rapports avec les tableaux fournis par les
plénipotentiaires néerlandais, que tout ce qui sortait du protocole n°48 était
irrévocablement jugé et qu'on ne reviendrait ni sur la dette française, ni sur
la dette austro-belge (Note de
bas de page : Cette assertion, comme on l'a vu plus haut, était inexacte,
pour ce qui concerne la
France. Celle-ci admettait également la révision de la dette
austro-belge et de la dette française); qu'en conséquence, ce que, à son
avis, il y avait de plus sage à faire, c'était de poser les bases d'une
transaction sur la liquidation du syndicat, seul moyen d'empêcher qu'en
désespoir d'arrangement la
Conférence n'en revînt à l'exécution pure et simple du traité
du 15 novembre, traité signé et ratifié par toutes les parties.
M. van de Weyer, comme auparavant,
combattit sans succès le système de lord Palmerston. Celui-ci était décidé à ne
pas se laisser convaincre. Pour lui, d'autres intérêts dominaient, en ce
moment, ceux de la
Belgique. Il ne cacha pas au ministre belge que le langage
qu'il lui tenait serait répété au roi Léopold, à ce moment attendu à Windsor.
14. Voyage
du roi des Belges en Angleterre. Son pessimisme sur la situation. Opinion du
comte le Hon.
Le roi partit, en effet, pour
Londres le 4 septembre. Ce voyage avait été un des motifs pour lesquels il
avait fait agir sur (page 167) M. van de Weyer afin que ce dernier ne fît
aucune démarche de nature à engager la Belgique sur l'une ou l'autre question. Il avait
demandé à M. de Theux d’attendre son retour pour donner une réponse définitive
à la proposition d'un chiffre transactionnel (Lettre de M. de Theux au roi Léopold, 7 septembre 1838).
Le monarque voulait tenter, par son influence personnelle, de modifier les
décisions de lord Palmerston.
Avant de partir, il reçut en
audience le ministre de France à Bruxelles. « Un nuage de noble tristesse,
écrivit M. Serurier le 1er septembre au comte Molé, voilait en ce moment la
figure du roi. S. M. me dit que, si Elle faisait ce voyage, ce ne serait
certainement, pas en humble pétitionnaire, qu'Elle y défendrait les intérêts de
ses sujets, sans doute, mais en montrant combien la paix de l'Europe et sa
consolidation étaient intéressées à la tranquillité de la Belgique et à ce que de
trop lourds sacrifices ne lui fussent pas imposés. Le doute planait dans son
esprit. Le sentiment du roi sur la question est le sentiment du pays entier et
tend journellement à se fortifier. » (Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris, Belgique, n° 60).
Mais, peu de jours après son arrivée en Angleterre, Léopold 1er adressait à son
ministre des Affaires étrangères une lettre peu encourageante.
« J'ai chargé van de Weyer,
lui disait-il, de vous écrire pour vous mettre au courant de la position des
affaires. Elle n'est pas satisfaisante du tout. Je crois bien que le ministère
actuel nous serait volontiers favorable, mais il craint le parlement, les
détenteurs de fonds hollandais, les accusations de partialité, et désire
ménager les Puissances du nord. Dans son propre sein, il existe un parti assez
fort qui est, à ce qu'il paraît, contraire à toute rectification de la dette.
Il est difficile de comprendre ses motifs, car il consiste dans le parti le
plus libéral du ministère qui devrait nous être favorable, mais qui a, au
contraire, déclaré à lord Melbourne qu'il ne le soutiendrait pas s'il changeait
quelque chose en notre faveur. Gardez cette communication pour vous, mais soyez
sûr qu'elle est exacte. Il sera utile pour nous, dans cette position des
choses, de gagner du temps. Examinez les communications que les commissaires
ont rapportées d'ici, ainsi que l'idée de transaction qui sourit beaucoup à
lord Palmerston. Vers la fin du mois, quand nous aurons examiné à fond tout
cela, on pourrait renvoyer les commissaires ici. Jusqu'à cette époque, M. van
de Weyer attendra ses instructions et ne fera rien du tout.
Vous comprendrez que les
difficultés sont grandes et d'autant plus qu'on ne peut jamais compter sur la France quand elle se voit
isolée. Vous verrez également que la prudence est plus nécessaire que jamais,
car le roi Guillaume fera tout ce qu'il pourra pour détruire notre statu quo
actuel et on ne peut pas se cacher que, s'il y réussissait, le pays aurait
(page 168) de la peine à se maintenir dans l'attente, la position deviendrait
trop précaire. Il faudrait des armements constants et l'inquiélude agirait sur
l'industrie et le commerce. Il sera utile d'accoutumer vos collègues à ces
changements qui ne sont ni justes, ni équitables, et il faudra voir comment il
sera nécessaire de guider la barque pour éviter les écueils » (Note de bas de page : « J'ai pu
me convaincre, écrivait-on de Londres,- le 11 septembre, au comte Molé, à
propos du voyage de Léopold 1er en Angleterre, - qu'avec la haute sagesse dont
il a déjà donné tant de preuves, le roi Léopold avait absolument abandonné
l'espoir de toute modification des clauses territoriales du traité du 15
novembre. » Arch. du Min.. des Aff. étr. à Paris, Angleterre, 651, folio 169.)
Le comte Sebastiani envoyait au
comte Molé des renseignements tout à fait concordants avec les impressions que
le roi Léopold recueillait à Londres. L'ambassadeur français considérait que
lord Palmerston, en poussant la défense de nos intérêts au delà de
l'exonération des arrérages de la dette, avait pris une position personnelle
beaucoup plus avancée que celle de ses collègues. Tous les autres membres
influents du ministère, lord Melbourne, lord John Russell, lord Howick
s'étaient prononcés de la manière la plus formelle contre les exigences belges.
Le cabinet se montrait non seulement effrayé du compte que lui demanderait une
opposition de trois cent dix membres à la Chambre des Communes au sujet des entraves
apportées à la conclusion d'un arrangement définitif avec la Hollande, dans un intérêt
qui n'avait rien d'anglais, mais il craignait même d'être abandonné de ses amis
(Arch du Min. des Aff. étr. à
Paris, Angleterre, 551, folio 155).
De Paris, le comte le Hon
n'envoyait pas au chevalier de Theux des renseignements plus satisfaisants sur
les dispositions de la
Grande-Bretagne.
« L'ambassadeur de France à
Berlin informe son gouvernement, écrivait-il le 27 septembre, que l'intention
de plus en plus vérifiée et même avouée du roi de Hollande est de terminer le
différend hollando-belge et que le système politique de la Prusse tend avec une sorte
de chaleur à l'accomplissement de cette intention.
« La correspondance de Londres
annonçait hier au ministère français que les plénipotentiaires des trois cours
étaient impatients du retard que mettait lord Palmerston à revenir de Windsor à
Londres et que deux d'entre eux, le prince Esterhazy et le baron de Bülow,
venaient de lui écrire des lettres très pressantes (Note de bas de page : « Lord Palmerston est
toujours à Windsor, écrivait le 25 septembre, le général Sebastiani au comte
Molé, et on l'attend au plus tôt vendredi 28, à Londres. Les affaires restent
donc ici dans une stagnation complète. Les plénipotentiaires des trois cours du
nord éprouvent une vive contrariété de ces retards qui froissent leurs convenances
personnelles autant que celles de leurs cours; car ils ont tous l'intention de
quitter l'Angleterre aussitôt que la conférence belge ne réclamera plus leur
présence à Londres. Le baron de Bülow a écrit assez vivement à lord Palmerston
pour l'engager à presser son retour à Londres.» Arch. du Min. des Aff. étr. à
Paris, Angleterre, 651, folio 189).
(page 169) « Les trois cours
poussent vivement à une conclusion prochaine, dans le sens d'une réduction
globale et à forfait du chiffre de la dette. Elles continuent à rejeter la
révision et, malheureusement, le ministère britannique incline plus de leur
côté que du nôtre. Lord Holland, un des membres du cabinet, qui est ici, dit
que l'Angleterre ne peut concourir à écraser la Hollande et qu'il faut un
arrangement qui ménage les deux parties sans en sacrifier complètement aucune.
En un mot, on craint que la justice à nous rendre ne coûte trop à la nation
néerlandaise et ne lui fasse déplorer trop amèrement, dans le parlement anglais
ou la presse de Londres, la perte de ses quatre colonies et de l'accroissement
territorial qui devait en tenir lieu.
« Le ministère français tient
bon, mais je n'oserais affirmer qu’il suivrait invariablement la ligne de nos
intérêts telle qu'elle est tracée par le système de révision, rigoureusement
juste, si les quatre cours venaient à tomber d'accord sur une de ces
transactions qui tranchent les difficultés sans les résoudre.
« Le comte de Saint-Aulaire
écrit de Milan que le prince de Metternich se dit très hautement assuré du concours
de l'Angleterre pour terminer la question belge sans entrer dans ce qu'il
appelle le dédale d'une révision. La
France, dit-il, est le seul obstacle.
« Je m'attache avec
persévérance à démontrer au comte Molé que le cabinet dont il est le chef ne
peut que puiser beaucoup d'honneur et de force dans la défense de notre droit
le plus évident, celui d'une liquidation exacte et juste des dettes de la
communauté. Je le prie de ne jamais perdre de vue qu'aucune de ces vagues
considérations d'intérêt européen n'est applicable aux simples questions
d'argent et que la justice, en cette occasion, est le seul moyen de venir en
aide à la politique. »