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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DU 19 AVRIL
1839 par A. DE RIDDER (1920)
CHAPITRE V
1. Lettre de Léopold 1er à la
reine Victoria au sujet de la note anglaise
(page 93)
Dans une lettre adressée à la reine Victoria, au mois de juin 1838
(vraisemblablement pendant la. seconde moitié de ce mois), Léopold 1er a exposé
l'impression que la déclaration de lord Palmerston produisit en Europe:
« La déclaration faite par
lord Palmerston, au commencement du mois de mai, au gouvernement de la Prusse, écrit le monarque,
m'a beaucoup attristé. Elle était prématurée, parce que les négociations
n'avaient pas encore été recommencées. Il semblait que le gouvernement anglais
désirait affirmer aux Puissances septentrionales, qui avaient toujours
fermement protégé la Hollande:
« Vous vous imaginez peut-être que nous aurons des égards pour l'oncle de la Reine; mais voyez donc, nous lui réglons son
compte, plus lestement encore que du temps de notre dernier maître. » Cette
impression avait été générale sur le continent; on interprétait comme il suit
la déclaration à la Prusse:
« La reine et ses ministres sont donc entièrement indifférents sur le compte du
roi, cela change entièrement la position, et nous allons faire main-basse sur
lui. » A partir de ce moment, leur (sic) langage devint très impérieux; on ne
parla plus que d'actes de coercition, de bombardement, etc., etc. Je crois
fermement, parce que je suis depuis de nombreuses années sur le pied d'une
grande et sincère amitié avec Palmerston, je crois qu'il n'avait pas prévu
lui-même l'importance qu'on attacherait à sa déclaration. Je dois dire qu'elle
m'a plus blessé autant comme Anglais que comme Belge, puisque c'est
d'Angleterre que je viens ici, choisi pour cette raison même. D'ailleurs, je
suis heureux de le dire, jusqu'ici je ne me suis jamais trouvé dans la
situation de vous demander un acte d'amabilité, de sorte que quels que soient
les petits services que j'ai pu vous rendre, je restais parfaitement
désintéressé. Le fait que la première intervention diplomatique de votre
gouvernement dans nos affaires ait paru dirigé contre moi, a créé une émotion
considérable sur tout le continent. Je ne vous demanderai jamais de faveurs, ni
quoi que ce soit qui puisse être considéré comme (page 94) incompatible avec
les intérêts de l'Angleterre, mais vous comprendrez qu'il y a une grande
différence entre réclamer dès faveurs et être traité en ennemi. » (BARDOUX, La Reine Victoria
d'après sa correspondance inédite, tome 1er, p. 174)
2. Les cours du Nord veulent
à nouveau imposer les XXIV articles. Refus de lord Palmerston
Léopold 1er disait vrai: la
déclaration de lord Palmerston avait amené un changement notable dans
l'attitude des plénipotentiaires à Londres des cours du nord.
Après les premières communications
de ce ministre à la
Conférence, lorsqu'elle reçut notification de la Note néerlandaise du 14 mars,
on parut admettre qu'il était impossible d'imposer encore à la Belgique une acceptation
pure et simple des XXIV articles.
Sans aller jusqu'à désavouer
l'attitude de leurs représentants, les cours de Berlin, de Vienne et de
Pétersbourg laissèrent entendre qu'elle n'avait point eu l'heur de leur plaire.
Le prince de Metternich s'était plu à répéter que, suivant lui, les membres de la Conférence
avaient « eu tort de ne pas accepter aussitôt la signature du plénipotentiaire
de la Hollande,
le roi Guillaume plus de tort encore de n'avoir pas prévenu les cours de
l'Europe, qui n'avaient pu donner d'avance des instructions à leurs
plénipotentiaires. On aurait fait par cette acceptation un grand pas, et il
aurait été très facile de s'expliquer ensuite. » (Lettre du comte de Louvencourt au chevalier de Theux,
21 mai 1838)
Persuadés par la déclaration de
lord Palmerston sur la nécessité de maintenir sans modification les articles du
traité du 15 novembre relatifs au territoire et à la dette, que le ministre
britannique avait abandonné les idées défendues dans la séance du 19 mars 1838,
les gouvernements prussien et autrichien crurent pouvoir tenter de faire
triompher la politique russe désireuse obstinément, celle-ci, de voir admettre
l'acceptation pure et simple des stipulations arrêtées en 1831. (Note de bas de page : Lettres de M. van de Weyer au
chevalier de Theux, 5 et 8 juin 1838. « Si telle est l'intention des cours du
nord, écrivait, le 5 juin, M. van de Weyer, toute négociation ultérieure
devient à l'instant même impossible, et elles ne sauraient commettre de faute
plus heureuse pour nous et plus favorable aux vues du gouvernement du roi. »
Mais quelque favorable qu'il parût
en ce moment aux desiderata des cours du nord, lord Palmerston n'entendait
cependant pas s'inféoder à leur cause aussi étroitement que celles ci
l'espéraient, et donner ainsi un démenti par trop éclatant à une déclaration
vieille de six semaines à peine. Il s'empressa d'ôter à la Prusse, à l'Autriche et à la Russie, tout espoir à ce
sujet. Rencontrant le baron de Bülow et le comte Pozzo di Borgo, il leur tint
un langage aussi catégorique qu'explicite.
(page 95) « Il ne faut pas,
leur dit-il, que vos cours se méprennent sur les intentions de la Grande-Bretagne et
donnent à mes déclarations une portée qu'elles n'ont point. Nous n'entendons
nullement contraindre la
Belgique à subir purement et simplement les XXIV articles; le
bénéfice d'une négociation nouvelle lui est assuré et garanti, de même qu'à la Hollande; et les deux
parties, que nous considérons comme liées en ce qui concerne la dette et le
territoire, doivent néanmoins être admises à modifier de gré à gré certains
articles du traité. Que si, oubliant les engagements qui ont été pris à cet
égard, les Puissances du nord retardaient de nouveau indéfiniment, par un
retour aux XXIV articles, la conclusion d'un arrangement définitif, elles
fourniraient à la Belgique,
en agissant de la sorte, les arguments les plus puissants pour se soustraire à
toutes ses obligations. En effet si, par votre fait, l'état actuel se prolonge,
et qu'il soit impossible d'arriver à l'exécution définitive du traité, la Belgique sera en droit de
déclarer qu'elle considère comme suranné et nul un acte auquel on n'aurait
donné d'existence que sur le papier et, dans ce cas, la Grande-Bretagne,
qui conteste encore aujourd'hui ce droit à la Belgique, se joindrait à
elle, et lui donnerait son appui. Que vos cours y réfléchissent donc bien avant
d'entrer dans cette voie. Le temps et les circonstances sanctionnent bien des
prétentions qui paraissent peu fondées d'abord; et l'on n'aura plus en 1848,
sur les affaires de la
Belgique, l'action que l’on peut encore légitimement exercer
aujourd'hui. Il y aurait folie à croire que le roi Léopold, allié par des liens
étroits à la famille royale de France et d'Angleterre, consolidé sur son trône par l'affection de
ses sujets et la prospérité dont ils jouissent, pourrait être contraint plus
tard à exécuter un traité qui serait resté lettre morte pendant un si grand
nombre d'années.
3. Irritation et déception
de M. de Werther. Ses nouvelles manœuvres contre la Belgique et le nouvel échec
de sa politique à Londres
M. de Bülow parut s'incliner devant
la force de ce raisonnement, mais le diplomate russe, dominé par son impatience
et connaissant la volonté bien arrêtée de son maître, voulut à peine écouter
lord Palmerston (Lettre de M.
van de Weyer à M. de Theux, 8 juin 1838).
Bientôt celui-ci fit un pas de plus
en faveur de la Belgique.
Il chargea le représentant de la reine à Berlin d'y
renouveler les déclarations qu'il avait faites à MM. de Bülow et Pozzo di
Borgo. A cette démarche, il en ajouta une autre. Le gouvernement français
s'était montré disposé à admettre une négociation directe préalable entre le
roi Léopold et le roi Guillaume sous la médiation des cinq cours. Dans la
seconde quinzaine de juin, le ministre des Affaires étrangères de la reine
Victoria chargea son représentant à Berlin de donner à M. de Werther lecture
d'une missive par laquelle il manifestait sur ce point l'adhésion du cabinet de
Londres aux intentions du cabinet de Paris.
M. de Werther éprouva, en entendant
la lecture des deux dépêches de lord Palmerston, une profonde déception, une
sorte de désespoir, (page 96) au dire du comte Bresson. Il s’écria que c'était
la fin de toutes choses et l'équivalent de la dissolution de la Conférence. Il
en appela à la déclaration récente et si précise du ministre britannique. Il se
plaignit amèrement de ces contradictions si inusitées dans les rapports de
gouvernement à gouvernement (Arch.
du Min. des Aff. étr. à Paris, Prusse, 290, folio 25). Il avait compté
sur un ralliement plus complet de l'Angleterre à la politique prussienne. Du
coup, il sentit vaciller l'espoir, dont il se flattait auparavant, d'une
terminaison prompte de l’affaire hollando-belge. La marche que la Grande-Bretagne et
la France
voulaient suivre, l'appui qu'elles paraissaient par là donner à des prétentions
considérées par le cabinet de Berlin comme inacceptables, devaient fatalement,
selon lui, conduire à des délais dont il paraissait impossible de prévoir le
terme ((Note de bas de
page : A en croire le comte Bresson, la politique de lord Palmerston, en
cette circonstance, aurait rencontré un censeur sévère dans la personne du
représentant de l'Angleterre à Berlin: « Je sais, écrivait-il au comte Molé, le
14 juin, que lord W. Russell a écrit à lord John Russell, son frère, pour lui
représenter tout le tort que ces soubresauts de lord Palmerston faisaient au
cabinet anglais. Il le prie d'intervenir, ainsi que lord Melbourne, dans la
direction de cette affaire et de mettre fin, fût-ce même au prix de la
dissolution de la
Conférence, à l'incertitude où l'Europe est plongée et à
l'état de fermentation en Belgique, et qui déjà gagne la frontière française.
Arch. du Min. des Aff.étr. à Paris, Prusse, 290, folio 35.)
La nouvelle déclaration de lord
Palmerston au cabinet de Berlin surprit le comte Molé (Lettre du comte le Hon au chevalier de Theux, 26 juin
1838). Il se hâta néanmoins, dès le 5 juillet, de marquer au
gouvernement prussien qu'il était d'accord cette fois avec le cabinet
britannique. « M. le baron de Werther doit avoir dit à cette occasion, écrivait
le 6 juillet, M. Beaulieu au chevalier de Theux, qu'il espérait qu’une simple
question de forme ne viendrait pas tout faire manquer; du reste que l’on
s'apercevra, aux premières propositions que feront les plénipotentiaires des
trois Puissances, que le différend qui les sépare des deux Puissances maritimes
est si petit que l’on n'éprouvera aucune difficulté à se rapprocher.
M. Beaulieu ne put éviter les
éclats de la mauvaise humeur éprouvée par le ministre prussien. « Il paraît,
lui dit M. de Werther, au cours d'une conversation fugitive, que votre
gouvernement a imaginé de proposer de lui laisser, moyennant une indemnité en
argent, tous les territoires qu'il doit restituer à la Hollande en vertu du
traité du 15 novembre. Soyez convaincu que cette proposition, si elle était
faite, réussirait aussi peu que celle de vous abandonner, également à prix
d'argent, notre province du Rhin. » (Lettre de M. Beaulieu au chevalier de Theux, 22 juin 1838).
(Note de bas de page : « Je vois que les Etats de la Confédération
germanique, écrivait M. Beaulieu dans la même lettre, se montrent de plus on
plus opposés à toute nouvelle transaction qui porterait atteinte à l'intégrité
du territoire fédéral. Le roi de Wurtemberg s'est prononcé à cet égard pendant
son séjour à Berlin, de manière à ne laisser aucun espoir d'arriver par les
moyens pacifiques à nous maintenir en possession des territoires auxquels nous
avons renoncé en 1831. La Confédération germanique, a dit Sa Majesté, a été
aussi loin qu'elle pouvait aller; de nouvelles concessions la déshonoreraient.)
M. de Werther manifesta également
son aigreur au comte Bresson. (page 97). Il se déclara révolté par la
proposition d'achat des populations qui devaient retourner au roi Guillaume: «
Si nous proposions au grand-duc, dit-il, d'acheter l'évêché de Liége, qu'en
penserait-on à Bruxelles ? Par là les Belges constatent eux-mêmes que les
districts qu'ils prétendent garder ne leur appartiennent pas » (Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris.
Prusse, 290, n° 34).
Irrité du succès que la politique
belge paraissait avoir remporté à ce moment à Londres et à Paris, M. de Werther
chercha à faire infliger sur un autre point une humiliation au cabinet de
Bruxelles. Comme nous l'avons vu, un comité luxembourgeois s'était formé à
Arlon dans le but de provoquer de la résistance à l'exécution des XXIV
articles. Les cours du nord se montrèrent mécontentes de son but, de son
langage et de ses actes. Elles proposèrent à la France d'adresser en commun
au gouvernement du roi Léopold une note dans laquelle on demanderait la
dissolution de l'association. Le comte Molé refusa de se joindre à cette
démarche qui lui paraissait extrême et offrit de faire notifier à Bruxelles par
le ministre de France « l'opinion très prononcée du gouvernement français
contre l'existence de ce comité. » Ce moyen terme fut accueilli pour le moment
(Lettre du comte le Hon au chevalier
de Theux, 26 juin 1838).
Sans se contenter de ce succès
relatif, M. de Werther tenta à nouveau de rallier lord Palmerston, du moins
d'une manière détournée,à l'acceptation pure et simple des XXIV articles, en
chargea le baron de Bülow de sonder le ministre anglais sur une idée qu'il
tenait beaucoup à réaliser. Se disant désireux d'éviter de se jeter dans toutes
les difficultés qu'une négociation de détails devait nécessairement faire
naître, le cabinet de Berlin avait pensé qu'il suffirait aux cinq grandes
cours, dans l'intérêt européen, de lier les deux parties aux bases essentielles
d'un traité définitif. Il voulait proposer à la Conférence de
signer avec les Pays-Bas les XXIV articles, sauf les modifications dont les
gouvernements belges et néerlandais pourraient convenir entre eux dans une
négociation postérieure, directe et isolée.
A la première communication qui lui
fut faite de ce projet, lord Palmerston répondit qu'il était de tout point
inadmissible, qu'il fallait que toutes les parties se replaçassent sur le
terrain de la négociation de 1833 et qu'il n'y avait de traité possible qu'à
cette condition (Lettre de M.
van de Weyer à M. de Theux, 2 juillet 1838).
4. Désir du gouvernement
belge d'écarter la question territoriale des premières discussions de la
Conférence. Lord Palmerston seconde ces aspirations
Le gouvernement anglais continuait
donc à vouloir fermement (page 98) que les négociations de 1833 servissent de
bases et de point de départ aux pourparlers qui allaient s'entreprendre. Mais, si,
à cette politique, la
Belgique trouvait l'avantage de voir mettre un empêchement
absolu à l'adoption pure et simple des XXIV articles, elle y rencontrait
d'autre part un obstacle à l'accomplissement de ses ambitions territoriales En
effet, en 1833, plusieurs articles d'un projet de traité entre la Belgique et la Hollande, notamment les
articles concernant la délimitation du Luxembourg et du Limbourg, avaient été
adoptés et paraphés. Ne pouvait-on craindre que les cinq Puissances et la Hollande ne vissent là
des faits accomplis sur lesquels il n 'y avait pas à revenir ? La situation
était délicate. Le roi Léopold et de M. de Theux eurent à ce sujet avec M. van
de Weyer qui, pendant la seconde quinzaine de juin, s'était rendu à Bruxelles,
plusieurs conférences. Le souverain, le ministre et le diplomate furent
d'accord qu'il n'était pas possible de considérer comme nul et non avenu le
consentement donné par la
Belgique en 1833 (Note de bas de page : Cette politique fut énergiquement défendue par
Charles Rogier, dans la séance du 12 mars 1839, lorsque la Chambre dés représentants
discuta le traité définitif.); - lord Palmerston ne l'aurait d'ailleurs
jamais admis, - mais qu'il convenait de reprendre les pourparlers là où on les
avait laissés, c'est-à-dire sur les questions de finances et de navigation,
sans dire un mot du reste, en laissant le temps et les événements ouvrir de
nouvelles voies de négociations dans les questions territoriales (Lettre de M. van de Weyer à M. de
Theux, 14 juillet 1838). Le gouvernement belge désirait éviter que la Conférence
exigeât de lui une déclaration relative aux articles paraphés en 1833 et
désirait aussi que la
Conférence elle-même s'abstint de faire une déclaration à cet
égard. C'était, à son avis, le seul moyen de revenir, plus tard, sur le
problème limbourgeois et luxembourgeois, lorsque l'opinion s'émouvrait en
Hollande par suite des réductions que l'on espérait amener la Conférence à
faire sur la rente des 8,400,000 florins (Lettre de M. de Theux à M. van de Weyer, I7 juillet 1838)
Sans y mettre de détours, M. van de
Weyer aborda avec lord Palmerston la question de savoir comment et à quel point
devait être reprise la négociation interrompue en 1833.
« Il me semble, lui dit-il,
tout il fait inutile de recommencer à l'article premier, et d'exiger de nous
des déclarations nouvelles. Reportons-nous à 1833. Or, à cette époque, la
négociation fut suspendue au moment où l'on s'occupait de la dette et des
stipulations fluviales. C'est là qu'il faut la reprendre, et cette marche paraît
être la seule que l'on puisse adopter, et qui serait parfaitement conforme aux
actes que nous avons posés et à vos propres intentions de vous assurer, avant
tout, de la sincérité du désir que manifeste le cabinet de la Haye. »
(page 99) Lord Palmerston n'hésita
pas à donner son assentiment à cette procédure, Il comprenait l'intérêt que la Belgique avait à suivre
la marche proposée, marche qui lui paraissait rationnelle, et promit qu'à
l'ouverture des négociations, il s'efforcerait de la faire prévaloir (Lettre de M. van de Weyer à M. de
Theux, 2 juillet 1833).
5. Les négociations de lord
Palmerston avec M. van de Weyer au sujet de la dette, il admet le principe de
sa révision
Pour le succès de sa politique, pour
fortifier son espoir d'arriver, au moyen d'arguments financiers, à faire
triompher ses prétentions territoriales, il importait au gouvernement belge
d'obtenir de la Conférence
qu'elle admît le principe de l'éventuelle révision de la dette. Or, poussé par
le désir sans doute de rassurer les créanciers anglais de la Hollande, lord Palmerston
avait, dans sa déclaration de mai, montré la même intransigeance sur ce point
que sur les modifications territoriales (Note de bas de page : M. Serurier écrivait à ce sujet de
Bruxelles au comte Molé, le 17 mai 1838 : « Le grand fait est que le roi aurait
déclaré à lord Hamilton et l'aurait chargé solennellement de déclarer à lord
Palmerston, que S.M. ne reconnaissait pas à la Conférence le
droit de prononcer souverainement sur les démêlés entre 1e roi des Pays-Bas et la Belgique, qu'aucune
Puissance et aucun moyen ne pourrait forcer S.M., à acquitter non pas seulement
les arrérages de la dette hollando-belge, mais la partie des huit millions
quatre cent mille florins mis dans le partage sur le compte de la Belgique. » Arch. du
Min. des Aff. étr. à Paris, Belgique, 16, n° 29). Pourrait-on l'amener à
abdiquer cette idée ? M. van de Weyer n'en désespéra point. On a vu comment,
dans le grave entretien qu'il avait eu avec le ministre britannique, il s'était
attaché à lui montrer qu'aux termes du protocole n° 48, la Belgique possédait le
droit d'exiger la révision du chiffre de la dette. Lord Palmerston n'avait plus
contesté ce droit, mais s'était borné à affirmer, sans faire toutefois aucune
concession, l'équité de la décision prise par la Conférence lors
des négociations de 1831 (Note
de bas de page : Le 26 mai encore, M. de Theux écrivait au roi: « Je viens
de voir M. Seymour. Il résulte d'une lettre qu'il a reçue de lord Palmerston
que la liquidation de la rente de 8.400.000 florins n'est, dans son opinion,
pas sujette à révision. » Le 21 juin, le prince de Ligne, qui se trouvait à
Londres pour représenter le roi Léopold au couronnement de la reine Victoria,
écrivait à M. de Theux : « Le général Sebastiani m'a assuré hier que la plus
grande opposition qu'il trouvait en ce moment aux questions épineuses du
territoire et de la dette provenait du ministère anglais lui-même! ».
Le 7 juin, M. de Theux mandait à M. van de Weyer: « La
politique use de toutes sortes d’influences à Paris pour amener la, solution la
plus prompte de la question hollando-belge. Lord Grandville s'est exprimé avec
le comte Molé d'une manière bien défavorable sur la question de la dette. »)
Stimulé par M. de Theux, M. van de
Weyer s'appliqua à obtenir davantage. Les 11 et 12 juin, il eut, au sujet de la
dette, deux longues entrevues avec le ministre anglais. Au cours de ces
entretiens, il examina avec lui l'ensemble des pièces relatives à la question
et il put lui faire admettre le principe de la révision aux termes du protocole
n° 48 (Lettre de M. van de
Weyer à M. de Theux, 12 juin 1838).
(page 100) « Que le gouvernement
belge, dit lord Palmerston, prouve d'une manière évidente, que les tableaux
fournis par les plénipotentiaires hollandais sont inexacts, et sa réclamation
sera prise en sérieuse considération, et notre décision modifiée en conséquence
» (Lettre de M. van de Weyer à
M. de Theux, 2 juillet 1838).
Toutefois, d'après une déclaration
qu'il faisait au comte Sebastiani, le ministre britannique mettait une réserve
à cette promesse. Si la réduction demandée par le cabinet de Bruxelles, quelque
juste qu'elle fût, se heurtait chez les Puissances du nord à un refus
catégorique, lord Palmerston ne pensait pas qu'il fallût en faire une condition
sine qua non de l'ajustement final de la question hollando-belge (Arch. du .Min. des Aff. étr. à Paris.
Angleterre 650, n° 47, p. 342).
6. Mesures militaires prises
par la Prusse
La Prusse nous avait nettement
notifié qu'elle n'admettrait pas que nous restassions en possession des parties
du Limbourg et du Luxembourg promises aux Pays-Bas. Elle ne se borna pas à des
paroles. Avant même que commençassent les séances de la Conférence de
Londres, avant que les Puissances du nord n'eussent envoyé des instructions à
leurs plénipotentiaires, elle procéda sur les frontières belges à des
mouvements de troupes d'où l'on pouvait déduire des menaces précises. (Lettres de M. de Theux au roi,
juillet 1838. Lettre de Léopold Ier au chevalier de Theux, 27 juillet 1838).
M. de Theux demandait à ce sujet
des explications à. la légation de Prusse à Bruxelles et le cabinet français
chargeait son représentant à Berlin d'en réclamer au baron de Werther, tout en
se préparant lui-même à prendre des précautions militaires. De son côté, lord
Palmerston se montrait inquiet de ces armements. (Lettre du général Sebastiani au comte Molé. 13 juillet 1838.
Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris. Angleterre, 651, page 24 et n° 20, page
63).
A Bruxelles, comme à Berlin., on
affirmait que les dispositions adoptées n'avaient d'autre but que de porter la
force de certains corps d'armée à l'effectif complet de l'état de paix. (Lettres de M. de Theux au roi
Léopold, 7 juillet 1338, et du comte le Hon au chevalier de Theux, 26 juillet
1838)
Cette réponse ne paraissait pas
péremptoire aux interrogateurs, Ils ne pouvaient croire à l'absence de toute
intention vis-à-vis de la
Belgique dans le renforcement des garnisons prussiennes du
Rhin et de la Moselle. A
leurs yeux, le cabinet de Berlin, dans l'intérêt des prétentions germaniques,
avait au moins voulu opposer une démonstration militaire aux velléités de
résistance qui se manifestaient avec une sorte d'unanimité dans les provinces
belges. Peut-être (page 101) encore ne nourrissait-il à ce moment contre
celles-ci aucun projet d'agression et se bornait-il à chercher un moyen
d'action sur les esprits.
7. Les réunions des conseils
provinciaux - Les conseillers luxembourgeois à Bruxelles
Le désir de se soustraire à
l'exécution des stipulations territoriales du traité du 15 novembre ne
diminuait pas en Belgique à mesure que le temps s'écoulait. Il acquérait même
plus d'intensité (Lettre de M.
de Theux à Léopold Ier, 14 juillet 1838). Il se trouvait entretenu par
deux catégories très différentes de personnes: les premières inspirées par un
patriotisme très sincère, quoique parfois trop peu éclairé; les autres animées
par des sentiments orangistes indéracinables et qui cherchaient à soulever une
telle opposition contre l'exécution des XXIV articles que le gouvernement n'eût
pu passer outre. Leur espoir à ces dernières était que les Puissances auraient
dans ce cas envahi la
Belgique, pays habité par des gens intraitables, et l'aurait
replacée sous le joug de la
Hollande. On a affirmé que l'or du roi Guillaume contribua
notablement à échauffer l'esprit belliqueux de certains parmi ces Belges.
Quoi qu'il en soit, la réunion
ordinaire des conseils provinciaux vint donner lieu à de nouvelles
manifestations contre le traité du 15 novembre.
Cette réunion ne laissait pas que
de préoccuper le gouvernement. Le roi notamment ne la voyait point se réaliser
sans concevoir quelques craintes. « Il faudra, écrivait-il, au chevalier de
Theux, tâcher autant que possible d'empêcher les Etats provinciaux de dire trop
de bêtises. Notre position est de nouveau bonne, il ne faut rien faire qui la
gâte et nous crée les difficultés les plus absurdes » (Lettre du 6 juillet 1838).
Tous les conseils, à l'exception de
celui de la Flandre
occidentale, votèrent des adresses au roi pour protester contre le démembrement
du territoire. Ceux du Limbourg et du Luxembourg décidèrent de se rendre en
corps près du monarque à Bruxelles afin de lui présenter la motion issue de
leurs délibérations. A ce voyage on projeta de donner beaucoup d'éclat. Un
grand nombre de jeunes gens, avec des compagnies de volontaires de la garde
civique en uniforme, devaient accompagner les conseillers provinciaux, auxquels
la capitale préparait « la réception la plus démonstrative » (Le journal Le Belge). Mais ce
projet rencontra un accueil plus que froid près de M. de Theux et de ses
collègues du cabinet. Lorsqu'il apprit qu'il était question du voyage de tout
le conseil provincial du Luxembourg, le ministre des Affaires étrangères et de
l'Intérieur fit savoir au gouverneur de cette province que, sauf en de grandes
occasions, pour (page 102) complimenter le roi, il était contraire aux usages;
que des corps entiers fussent admis près du souverain. Il rappela que les
Chambres avaient chargé une députation de remettre leurs adresses. Il priait M.
de Steenhault de s'efforcer de faire confier à la députation permanente le soin
de parler au nom du conseil, faisant en outre remarquer que le roi étant absent
et ne devant pas rentrer en Belgique avant la fin de la session, il y aurait à
son retour des inconvénients à recevoir le conseil, car une fois la session
close, ses membres ne pourraient plus parler comme corps (Lettre du chevalier de Theux à M. de
Steenhault, 9 juillet 1838).
Le ministère tenait évidemment à ce
que la manifestation reçût le moins d'éclat possible et cherchait à éviter que
la présence des conseillers provinciaux à Bruxelles ne donnât lieu à des
démonstrations désagréables pour les Puissances de la Conférence. Cependant,
lorsque la demande d'audience lui parvint, M. de Theux ne crut pas pouvoir se
dispenser de la soumettre à Léopold 1er.
Autant et peut-être plus que ses
ministres, le monarque aurait voulu empêcher l'arrivée dans la capitale des
conseils provinciaux du Limbourg et du Luxembourg. Il était persuadé que si la Prusse réunissait des
troupes, c'était en grande partie le résultat des mouvements et des agitations
qui se produisaient sur la frontière (Lettre de M. van Praet au chevalier de Theux, 17 juillet 1838). Il
eut d'abord l'intention de demander que les adresses lui fussent remises par
l'entremise du ministre de l'Intérieur (Note de bas de page : Le 11 juillet, M. van Praet
écrivait à M. de Theux, de Neuilly, où il se trouvait avec la famille royale de
Belgique: « Le roi me charge de vous écrire quelques mots en son nom. Ces
démonstrations politiques des états provinciaux paraissent à S.M. sortir tout à
fait des attributions dévolues à ces assemblées. Tout au moins il faut que le
gouvernement ne les encourage pas. Elles constituent une fâcheuse habitude en
général et dans la circonstance actuelle elles peuvent être d'un danger
véritable. Le désir du roi serait donc que vous leur fassiez répondre qu’ils
peuvent vous envoyer leurs adresses et que vous aurez soin de les transmettre à
Sa Majesté. »)
Cependant, après réflexion, on
craignit sans doute que le refus de recevoir les conseils ne blessât trop
vivement leurs membres. Le roi se décida donc à leur accorder l'entrevue
désirée, mais il convoqua les Limbourgeois à Beverloo et les Luxembourgeois au
château d'Ardenne.
Cette solution ne satisfit pas tout
le monde. Plusieurs conseillers, en votant l'adresse, espéraient bien pouvoir
pour la remettre faire le voyage de Bruxelles et jouir de la manifestation
préparée à leur intention. Le conseil provincial du Limbourg se contenta
cependant de l'audience qu'il obtint au camp. Mais de nombreux conseillers
luxembourgeois, après avoir été reçus par le roi au château d'Ardenne, se
rendirent dans la capitale. Leur président sollicita au nom de ses collègues
une audience des ministres. La réponse fut courte et sèche. M. de Theux lui
écrivit trois lignes seulement :
(page 103) « Les membres du conseil
provincial du Luxembourg ayant remis une adresse au roi, leur mission est
accomplie. Les ministres ne peuvent les recevoir pour les entretenir de la
situation politique de la province. » Les conseillers luxembourgeois ne se
découragèrent pas cependant. Si on refusait de les recevoir comme corps
politique, ils prétendaient être reçus comme citoyens luxembourgeois « en leurs
propres et privés noms ».
La nouvelle requête reçut un
accueil aussi sec que la première. Le ministre des Affaires étrangères et de
l'Intérieur se contenta de répondre: « La nouvelle demande d'audience ayant le
même but que la précédente, les ministres ne peuvent que persister dans leur
refus. »
D'accord avec le roi, M. de Theux,
tout en étant résolu de défendre jusqu'aux plus extrêmes limites les intérêts
de la Belgique,
montrait ainsi qu'il entendait en même temps éviter, sa popularité dut-elle en
souffrir, des incidents provoqués par des intentions très patriotiques
peut-être, mais qui auraient pu créer à l'étranger des impressions défavorables
pour notre cause.
8. Les délibérations du
parlement français - Attitude ambiguë du comte Molé - Annexionistes français
Le roi et son gouvernement avaient
de graves motifs pour chercher à ménager les susceptibilités des Puissances
européennes. Pendant que les conseils provinciaux délibéraient, Léopold Ier faisait
un séjour à Paris. Il y voyait les principaux hommes d'État français dont il
sondait les opinions et les intentions relativement aux intérêts belges en
cause. Ses consultations ainsi que ses conversations lui apportaient la
confirmation des renseignements recueillis par M. le Hon et lui montraient le
danger que la Belgique
rencontrerait en résistant coûte que coûte aux décisions de la Conférence de
Londres et en provoquant l'intervention armée des Puissances. Le danger pouvait
même venir d'un côté où personne en Belgique ne le soupçonnait.
A moment où le roi résidait en
France, l'attention publique était en ce pays attirée sur nos affaires par les
appels éloquents de plusieurs orateurs. Notre cause y fut défendue à la Chambre des Pairs,
notamment par le marquis de Dreux-Brézé et par M. Villemain, qui s'attachèrent
à montrer comment l'intégrité du territoire belge se rattachait aux exigences
de la politique française. Mais notre principal avocat en cette circonstance
fut le comte de Montalembert, qui résuma avec beaucoup de talent l'ensemble de
nos réclamations et la légitimité de leurs motifs (Lettre de M. de Honorable au chevalier de Theux, 7 juillet
1838). Il soutint, comme (page 104) l'avaient fait avant lui des
orateurs belges, que le traité des XXIV articles avait perdu sa force
obligatoire par le refus prolongé de la Hollande de s'y rallier (Note de bas de page : Cette thèse avait été
défendue, en dehors du parlement, par M. B. Dumortier dans sa sensationnelle
brochure La Belgique
et les vingt-quatre articles). Dans un langage de grande élévation, il
indiqua les motifs qui soulevaient contre la Belgique libérale la
formidable opposition des monarchies absolues.
« D'où vient, demanda-t-il, la
haine de tous les pouvoirs absolus, de tous leurs partisans, contre la Belgique ? D'où vient le
désir de l'amoindrir, de l'humilier ? Je vais vous le dire, Messieurs; c'est
parce que la Belgique
a imité la. France, c'est parce qu'elle a montré qu'il y avait un heureux
milieu possible entre le despotisme et la licence, que l'on pouvait secouer le
joug d'une dynastie imposée par l'étranger ou infidèle à ses serments, sans se
précipiter dans les saturnales de l'anarchie! Voilà ce que la Belgique a fait. En le
faisant, elle a porté un coup mortel aux pouvoirs absolus, parce qu'elle a
montré aux peuples qu'ils pouvaient, dans une extrémité fâcheuse, se passer
d'eux, sans tomber nécessairement dans le désordre. Elle a montré que la
royauté, l'ordre, la religion, la prospérité matérielle pouvaient coexister
avec la constitution la plus libérale. Voilà ce qu'a fait la Belgique et aussi ce qu'a
fait la France.
Voilà ce qui a excité contre la Belgique les haines des
absolutistes de tous les pays, de toutes les nuances. Mais voilà aussi ce qui
doit établir entre elle et nous une indestructible alliance, une glorieuse et
féconde sympathie que je ne crains pas d'avoir invoquée aujourd'hui. »
Aucun des orateurs ne parvint à
obtenir du comte Molé une parole en faveur de la Belgique. Ce n'est
pas que sur certains points, sur les points principaux même de la question, il
ne partageât les idées du comte de Montalembert. Au mois de septembre 1838, il
déclarait qu'après un retard de sept années amené par le fait du gouvernement
néerlandais, les Belges eussent été en droit de se considérer comme dégagés des
clauses du traité du 15 novembre, même des stipulations territoriales. S'il
avait eu l'espoir, disait-il, d'être secondé par le cabinet de Londres, il
n'aurait pas hésité à faire de la conviction qu'il avait à cet égard la base de
ses instructions (Arch. du Min.
des Aff. étr. à Paris, Angleterre, 651, folio 156).
Mais, persuadé qu'il ne serait pas
suivi par lord Palmerston, il ne voulait prendre à ce moment aucun engagement
qui liât sa politique. Il se tira de la difficulté devant laquelle il se
trouvait par une échappatoire, d'où, sans néanmoins être en mesure de faire
état d'aucune promesse, les Belges pouvaient conclure qu'il était favorable à
leur cause. « Cette Belgique, répondit-il, sur laquelle on me demande de
prononcer une parole, n'en a pas besoin; je prendrais à injure (page 105) qu'on
me demandât sérieusement cette parole, attendu que je n'admets pas le doute » (Moniteur universel du 7 juillet 1838.
Citation de M. Thonissen, La
Belgique sous le règne de Léopold Ier, tome III, p. 241).
Quelque effet que la séance de la Chambre des Pairs eût sur
l'opinion publique, elle ne devait en avoir aucun sur le gouvernement. Divers
hommes d'État, que Léopold 1er était à même d'interroger, n’acceptaient pas non
plus le point de départ théorique de la Chambre haute. « Le duc de Broglie, écrivait
M. Jules van Praet au chevalier de Theux, d'après les ordres et en quelque
sorte sous la dictée du roi, le duc de Broglie qui, un de ces jours, peut-être,
aura à traduire en faits les vues qu'il exprime aujourd'hui comme observateur
politique, déclarait encore dernièrement au duc d'Orléans que son principe à
lui serait de respecter les traités. » Ce n'est pas que le roi ne rencontrât à
Paris des dispositions très bienveillantes pour la Belgique, mais elles
n'étaient pas de nature à permettre les illusions que certains esprits
nourrissaient dans nos provinces. Sur la question financière seulement, on
pouvait espérer rencontrer un appui véritable dans le cabinet français. Léopold
1er faisait donc recommander à son ministre des Affaires étrangères une très
grande prudence. Il insistait sur la nécessité de ne point s'aventurer, de se
refuser à tout engagement direct ou indirect, de voir venir les événements et
de se réserver les bénéfices du temps (Lettres de M. Jules van Praet à M. de Theux, 10 et 11 juillet
1838).
Le roi rendait le chevalier de
Theux particulièrement attentif à un danger qui pouvait surgir de la France elle-même.
« Le roi, écrivait M. van
Praet le 12 juillet, continue avec fruit ses conférences politiques, et la
tournure qu'elles prennent confirme ce que j'avais l'honneur de vous dire dans
mes précédentes. Le roi des Français est animé d'un grand sentiment de
bienveillance pour la
Belgique, mais il résulte de tout ce qu'entend le roi Léopold,
une conviction intime qu’un système qui consisterait pour la Belgique à demeurer
entièrement passive et à attendre des mesures d'exécution de la part des
Puissances, pourrait amener les plus graves conséquences. Il ne faut pas
oublier (c'est le roi qui parle) que lorsque l'armée française a fait évacuer
par les troupes hollandaises le territoire belge, à la fin de 1832, il a existé
de la part de la France
certaines prétentions militaires que le gouvernement belge a vivement
combattues et dont il a triomphé. L'esprit qui dictait ces prétentions existe
toujours en France (Note de bas
de page : On en trouve des traces dans ce qu'écrivait, le 6 mai 1838, M. Bresson au comte
Molé: « La France
ne peut s'exposer à une guerre que pour son propre compte, pour biffer le
traité de 1815 et pour ressaisir sur le Rhin, aux dépens même de la Belgique, la position qui
lui assure la suprématie en Europe. Si nous prenons les armes, ce but seul est
dans les conditions nationales. Si nous voulons la paix, le traité de 1831 est
encore la meilleure garantie. » Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris,
Prusse, 289, folio 263), et si les choses en venaient (page 106) au
point que la conduite militaire des Puissances du nord obligeât la France à marcher de son
côté, il n'y a ici presque point d'homme d'Etat qui ne trouverait que
l'occupation temporaire de l'une ou l'autre forteresse belge serait une chose
trop merveilleusement bien vue par les Chambres et le pays, et de nature à
donner beaucoup de relief à un ministère quelconque. Les sentiments bien
sincères et bien vrais du père de la reine des Belges ne seraient peut-être pas
un contre-poids suffisant pour la balance, car vous n'ignorez pas que certains
mots retentissent en France d'une manière surprenante. Le roi vous recommande
donc d'avoir ces observations présentes à l'esprit et de ne point oublier que
c'est de Paris qu'il vous les adresse.