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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DU 19 AVRIL
1839 par A. DE RIDDER (1920)
CHAPITRE PREMIER
1. Acceptation des XXIV
articles par la
Hollande. Ses causes
Le 14 mars 1838, le baron Dedel,
ministre des Pays-Bas près de S.M. britannique, se rendait chez lord Palmerston
et lui remettait une note par laquelle il manifestait, au nom de son
gouvernement, l'intention de signer le traité des XXIV articles.
Cette adhésion, le roi Guillaume ne
se décidait pas à la donner sans récriminer contre la dureté des conditions
imposées à la Hollande
et sans laisser entendre explicitement qu'il ne consentait à renoncer à aucun
des avantages que lui assuraient les stipulations de 1831. Il avait soin, en
effet, de mettre cette réserve que « dans le cas inespéré d'un défaut de coïncidence réciproque de vues et d'action
chez toutes les parties intéressées», la déclaration que M. DedeI était chargé
de faire devrait être « considérée
comme non avenue », et il rappelait que les clauses du traité des XXIV articles
avaient été, par la
Conférence, déclarées finales
et irrévocables.
La décision du souverain des
Pays-Bas était inattendue, même pour le monde diplomatique, car ce qu'on connaissait
dans les cours étrangères des dispositions du roi de Hollande ne pouvait faire
espérer un changement prochain dans sa résistance obstinée. Quelques semaines
avant la remise de la note néerlandaise à lord Palmerston, le monarque,
rencontrant le baron Mortier, ministre de France à la Haye, lui avait dit: « Il
est un mot que mon gosier ne pourra jamais prononcer, c'est le mot Belgique, qui me fait mal au cœur. Il
établit un état de choses contraire à mes droits et à mes devoirs. Je ne
transigerai jamais, pas plus avec les uns qu'avec les autres. Vous avez
assurément entendu dire que je suis Guillaume-le-Têtu;
oui, je passe pour être têtu, mais ma conduite est la conséquence d'une
conviction profonde et l'avenir prouvera que j'ai raison » (Lettre du baron Mortier à M. Molé, 30
janvier 1838. Archives du Ministère des Affaires étrangères à Paris. Pays-Bas,
639, folio 69). Les renseignements reçus de La Haye avaient (page 16)
même convaincu le gouvernement prussien, très désireux cependant d'arriver à
une solution de la question belge; de l'inutilité de nouvelles démarches. « La
question belge, disait M. de Werther à l'ambassadeur de France à Berlin, est
rangée dans la catégorie des affaires dont je n'estime plus la solution
possible et que, dans l'intérêt de tous et de la chose même, il est plus
prudent de ne pas réveiller. » (Lettre
de M. Bresson à M. Molé, 11 novembre 1837. Arch. du Min. des Af. Etrangères à
Paris, Prusse, 289, folio 15).
Mais l'échec qu'au début de 1838 la Hollande venait de subir
dans l'affaire de la forêt de Grünenwald, tout en mortifiant profondément le
roi, lui avait fait comprendre qu'il était urgent de modifier le statu quo
établi depuis 1831 en faveur des Belges et qui pesait si lourdement sur son
propre pays, Il avait chargé M. de Verstolck de faire part aux cours d'
Autriche, de Prusse et de Russie, de son intention d'accepter les XXIV
articles, mais de donner à son acceptation seulement un caractère provisoire.
Le prince de Metternich s'était empressé de répondre à cette ouverture que
jamais la France
et l'Angleterre n'adhèreraient à cette proposition, que le roi de Hollande ne
pouvait plus aborder la
Conférence de Londres qu'avec l'acceptation définitive des
sept premiers articles et l’offre de reprendre la négociation sur les autres (Note de bas de page : En 1833,
c'est après l'acceptation des sept premiers articles du traité des XXIV
articles que les négociations avaient été rompues), qu'une démarche
différente serait inutile: elle amènerait des complications que les trois cours
du nord voulaient éviter, comme la
France et l'Angleterre. La réponse de la Prusse avait été en tous
points semblable à celle de l'Autriche. Seule la Russie s'était montrée
disposée à admettre la suggestion de la Hollande (Lettre du comte Sebastiani à M. Molé, 26 mars 1838. Arch. du
Min. Af. étr. A Paris, Angleterre, 650, folio 237).
Ce ne fut pas, semble-t-il, une
pression étrangère qui eut raison de l'obstination de Guillaurne. M. de
Werther, que l'on félicitait du succès de la politique prussienne à La Haye, se
défendit d'avoir été pressenti et affirma avoir tout ignoré des intentions du
monarque néerlandais (Lettre de
M. van de Weyer à M. de Theux, 11 avril 1838). C'était uniquement pour
répondre aux vœux de ses sujets que le roi consentait à céder. A la dernière
réunion des États-Généraux, les membres de l'opposition ne lui avaient pas
dissimulé que leur conscience répugnait à ce qu'ils votassent encore un budget
trop lourd pour le peuple. Cette déclaration avait fait profonde impression.
sur le souverain. D'un autre côté, les nouvelles reçues des Indes annonçaient
que l'année avait été mauvaise et que les recettes coloniales ne pourraient
couvrir le déficit de la (page 17) Métropole. Vers la fin de février, le roi
appela auprès de lui MM. de Verstolck, de Zuylen et de Falck et leur exposa ses
craintes. L'opinion de ces trois hommes, profondément dévoués à leur souverain,
avait été unanime: tous avaient conseillé la conclusion immédiate d'un
arrangement, parce que les intérêts de la dette belge étaient la principale
cause du déficit (Lettre du baron Mortier au comte Molé. Arch. du Min: des Aff.
étr. et Paris.Pays-Bas, 639, folio 115) (Note de base de page : La nouvelle de l'acceptation
avait été transmise à Berlin, Pétersbourg et Vienne par des courriers expédiés
le 11 mars aux agents néerlandais près de ces Cours. Le 13, la communication
avait été faite au Comité secret aux Etats Généraux, et tel était alors à La
Haye le respect pour les devoirs publics que pas un mot n'en avait transpiré au
dehors. Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris. Pays-Bas, 639, folio 115).
Le roi s'était résigné et il s'était persuadé qu'une fois son acceptation
arrivée à Londres, le traité définitif avec la Belgique serait signé
sans tarder (Lettre de lord
Palmerston à M. van de Weyer, 15 mars 1838, et lettre de M. van de Weyer au
chevalier de Theux, 16 mars 1838).
2. Attitude réservée de lord
Palmerston et méfiance du gouvernement belge
Il fut vite détrompé. Lorsque le
diplomate hollandais remit la note à lord Palmerston, celui-ci s'attendait si
peu à cette communication qu'il en éprouva de la surprise. Il se contenta de
répondre à M. Dedel que l'affaire dont il s'agissait était tellement importante
qu'il ne pouvait naturellement lui exprimer aucune opinion sur le contenu de sa
note. Il ne voulut cependant pas lui donner ou lui laisser l'espoir que le
traité de 1831 serait maintenu sans aucune modification.. Il s'empressa, au
contraire, de lui enlever toute illusion à cet égard en faisant observer que
bien des choses s'étaient passées depuis la signature des XXIV articles et
qu'on avait beaucoup parlé de modifications à faire de gré à gré.
Dès le 15 mars, lord Palmerston
s'empressait de rendre compte à M. van de Weyer de son entrevue avec M. Dedel
et de lui envoyer une copie de la note néerlandaise. Le 16, le diplomate belge
faisait rapport à son gouvernement de ce qui venait de se passer à Londres.
Au premier moment, le cabinet de
Bruxelles ne songea pas à regarder comme sérieuse l'intention manifestée par le
roi Guillaume. (Note de base de
page : Le sentiment qui domine à Bruxelles est celui de la défiance,
écrivait au comte Molé, le 21 mars 1838, M. Serurier, ministre de France en
Belgique, et on a peine à croire à une conversion dont on avait si généralement
désespéré. Archives du Ministère des Affaires étrangères à Paris. Belgique,
tome 16, numéro 13). Elle était trop en opposition avec une volonté
absolument con. traire affirmée antérieurement d'une manière très solennelle,
pour qu'on pût la croire empreinte de bonne foi. En mars 1832, le monarque
n'avait-il pas déclaré - et le fait était encore vivace dans la mémoire de tous
- à la nation néerlandaise et à l'Europe, que la signature des XXIV articles «
compromettait son honneur » ? (Lettre
du chevalier de Theux à M. Firmin Rogier, 20 mars 1838).
En Belgique, on considéra d'abord
sa volte-face comme le résultat (page 18) de l'attitude prise par les
États-Généraux, où plusieurs membres avaient déclaré récemment qu'il fallait en
finir, par l'acceptation pure et simple des XXIV articles, avec les difficultés
dans lesquelles se débattait la Hollande. Conscient que cette acceptation pure et
simple serait repoussée à Londres, le roi Guillaume ne pouvait hésiter beaucoup
à donner à l'opposition financière, devenue dans ses États de jour en jour plus
formidable, l'apparente satisfaction qu'elle réclamait. De l'illusoire
concession à laquelle il paraissait se résigner, le souverain néerlandais
comptait, pensait-on, retirer l'avantage de rendre la Conférence responsable
d'un refus et d'imputer à elle seule l'impossibilité de conclure un traité
définitif avec la
Belgique. Ainsi, sans doute, parviendrait-il parer aux
contradictions qu'il rencontrait dans les Pays-Bas et à calmer l'opinion
publique mécontente, sans abdiquer en même temps, en fait, rien de son ancienne
intransigeance (Lettres de M.
van de Weyer au chevalier de Theux, 16, 23 et 27 mars 1838, et du chevalier de
Theux à M. van de Weyer, 20 mars 1838)
3. Le refus d'exécuter le
traité du 15 novembre 1831
Malgré la persuasion dans laquelle
il se trouvait que le gouvernement néerlandais ne visait pas à trouver un
terrain d'entente permettant de conclure une paix définitive (Note de bas de page : Interrogé
par le baron Mortier, Ministre de France à La Haye, qui lui demandait si l'on
devait considérer la remise par M. Dedel à lord Palmerston de la note
néerlandaise comme l'expression de la ferme volonté du roi Guillaume de
terminer irrévocablement la question hollando-belge, le ministre des affaires
étrangères de Hollande, pris au dépourvu, montra le plus grand embarras et
finit par répondre : « Je ne puis m'expliquer à cet égard. » Arch. du Ministère
des Att. étrangères à Paris, Pays-Bas, 639, folio 108), le gouvernement
du roi Léopold ne s'en occupa pas moins de fixer immédiatement les principes appelés
à diriger sa politique dans la phase nouvelle où allaient entrer les rapports
de la Belgique
avec la Hollande.
.
Ces principes s'inspiraient dés
déclarations mêmes faites par lord Palmerston à M. Dedel. Comme le ministre
britannique, le cabinet de Bruxelles estimait que les choses, telles qu'elles
existaient lorsque la
Conférence de Londres avait arrêté le traité des XXIV
articles, n'étaient plus entières. Des réserves avaient été apposées par
plusieurs Puissances à la ratification de ce traité. Le gouvernement
néerlandais y avait refusé son adhésion. Léopold 1er s'était promis de faire
valoir tous les droits que pouvaient lui donner ce refus et les réserves
énoncées. La
Grande-Bretagne et la France avaient dû employer des mesures
coercitives pour amener un état de choses qui fit cesser l'imminence des
hostilités entre la Hollande
et la Belgique. Puis
le traité du 21 mai 1833, conclu entre la Grande-Bretagne et
la France,
d'une part, et la Hollande,
d'autre part, avait amené un droit nouveau. L'article 5 de ce traité avait en
effet supprimé la possibilité d'une ratification pure et simple des XXIV
articles (page 19) qui, rédigés à la hâte, pour ainsi dire au milieu des
hostilités, et sans l'intervention préalable des parties intéressées, avaient
laissé en suspens plusieurs questions des plus graves. Il prévoyait qu'un
traité définitif complet et direct entre la Belgique et la Hollande devrait précéder
l'évacuation du territoire. C'est à ces conditions qu'on obtint de la. Belgique
une renonciation à l'emploi de nouvelles mesures coercitives, bien que les
Puissances se fussent engagées à amener de gré ou de force l'adhésion de la Hollande au traité de
1831. Le texte de la convention de 1833 se trouva confirmé par le commencement
d'exécution qu'on y donna. Des conférences directes furent ouvertes entre la Belgique et la Hollande sous les
auspices des grandes Puissances, afin d'aplanir les difficultés auxquelles les
XXIV articles laissaient ouverture (Lettre du chevalier de Theux à M. van de Weyer, 20 mars 1838, et lettre
du même à. M. F. Rogier, 22 mars 1838). Déjà, en 1832, la Hollande déclarait
elle-même que ces articles se trouvaient modifiés et ne possédaient plus leur
teneur primitive (Lettre du
chevalier de Theux à M. F. Rogier, 20 mars 1838). (Note de bas de page : Cette
déclaration se trouvait contenue dans une note remise, le 4 mars 1832, au comte
Orloff : « Les dits articles ayant déjà été modifiés dans un traité avec la Belgique, ont perdu leur
teneur primitive, et le cabinet de La Haye n'a pas saisi comment les
plénipotentiaires des Pays-Bas pourraient signer, comme plénipotentiaires, un
acte ainsi modifié et déjà ratifié par deux parties contractantes comme traité
définitif. »)
Telles sont les considérations sur
lesquelles s'appuya, aux débuts de l'incident, le gouvernement belge pour se
refuser à l'exécution pure et s,impIe du traité du 15 novembre 1831.
4. Accueil fait à la
politique belge à Londres et à Paris
Ces considérations, il les
exposait, dès qu'il en eut délibéré, aux cours des Tuileries et de Londres. Aux
arguments de droit, il ajoutait des arguments de fait. Il s'attachait à faire
comprendre aux gouvernements français et britannique que si, en 1831, l'acceptation des
XXIV articles avait été favorablement accueillie, quand Anvers se trouvait
occupée par l'ennemi et que le pays était sous l'influence d'une défaite, il ne
pouvait en être de même sept années plus tard, alors que toute collision
paraissait improbable et qu'on ne devait plus croire la Belgique exposée à une
attaque néfaste. Le but qu'il assignait en conséquence à sa politique, c'était
d'obtenir la conservation du territoire ou du moins sa possession la plus
prolongée possible, en nourrissant l'espoir que des événements ultérieurs, des
arrangements financiers, pourraient peut-être amener « le définitif (page 20)
du statu quo » (Lettres du
chevalier de Theux à M. van de Weyer, 29 mars 1838, et à M. F. Rogier, 22 mars
1838). Le minimum des prétentions belges devait en tout cas être
d'obtenir quitus des sommes dues pour le paiement des arrérages de la dette. (Note de bas de page : J'ai cru
utile, écrivait le 23 mars 1838
M. de Theux à M. van de Weyer, d'examiner à fond l'état
des négociations ouvertes et rompues en 1833. Il ne s'agit, quant à présent,
d'émettre aucune opinion sur les questions qui ont été traitées. Cependant, je
pense qu'il est utile que vous sachiez que, dans divers rapports aux Chambres
sur l'état des finances, le non-paiement des, arrérages a été posé en principe
par le Gouvernement; que le Roi, à diverses reprises, nous a exprimé la même
résolution comme irrévocable, et que, l'année dernière, le roi des Français
s'est exprimé de même au baron de Werther. La même chose a été dite ici par
tous les Ministres en toute occasion aux .chefs des légations étrangères. Il est
évident que le retard de cinq années depuis la rupture des négociations en 1833
vient corroborer les actes relatifs à cette question qui est de la plus haute
importance. »
Le 27 mars, M. van de Weyer répondait à M. de Theux : « Je partage
tout à fait votre opinion sur le paiement des arrérages: il ne peut plus en
être question. Je ne m'en cache pas plus ici que vous ne l'avez fait à
Bruxelles. »
En 1835, l'Angleterre
avait émis l'opinion que la
Belgique devrait être déchargée du paiement des arrérages de
la dette. Arch. du Min.des Aff. étr., Conférence de Londres 13, 72. - En 1838,
cette opinion était encore celle de lord Palmerston, comme l'écrivait le 22
mars le général Sebastiani au comte Molé. Arch. du Min. des Aff.. étr. à Paris,
Angleterre, 650, numéro 23.)
Lorsque M. van de Weyer eut notifié
à lord Palmerston. les motifs de droit qu'avait la Belgique de ne pas
accepter, comme solution définitive de son différend avec la Hollande, la ratification
du traité des XXIV articles, et de ne chercher cette solution que dans un
traité conclu directement, de gré à gré, avec le roi Guillaume, il rencontra
une entière adhésion faite dans des termes très explicites.
« C'est, en effet, répondit le
Ministre britannique au diplomate belge, sous le même point de vue que je
considère votre position. Je remonte à tout ce qui s'est fait en Conférence
depuis l'époque où elle rédigea les XXIV articles. Cet arrangement fut, non pas
soumis, mais imposé aux deux parties. La Hollande protesta et continua de protester
jusqu'à présent. La Belgique,
ayant en vain demandé qu'on y apportât des modifications, consentit à
l'accepter et, en conséquence, les cinq Puissances conclurent avec elles le
traité du 15 novembre.
« Lorsqu'on procéda à
l'échange des ratifications de ce traité, trois des Puissances firent des
réserves et s'engagèrent à exécuter le traité, sauf les modifications et amendements à apporter dans un arrangement
définitif entre la Belgique
et la Hollande,
aux articles 9, 12 et 13. De plus, le plénipotentiaire russe déclara que
l'arrangement définitif entre la
Hollande et la
Belgique, dont il est question dans la réserve de Sa Majesté
Impériale, doit être à ses yeux, un arrangement de gré à gré. Cet acte de
ratification, avec la réserve russe, fut heureusement admis par la Belgique, et ce doit vous
être aujourd'hui une bien grande satisfaction d'avoir personnellement accepté
la responsabilité de cet acte et d'avoir ainsi fourni à votre pays une nouvelle
arme défensive et le moyen d'améliorer le traité qui (page 21) le constitue
définitivement. Ce ne fut pas ainsi que l'on en jugea dans le temps,
l'importance de cette acceptation fut alors complètement méconnue. C'est
cependant grâce à ces réserves que les décisions de la Conférence, contenues
dans les XXIV articles et déclarées finales et irrévocables, sont devenues
susceptibles de modifications (Note
de bas de page : Comme on le verra plus loin, lord Palmerston oublia
malheureusement très vite cette déclaration qu'il faisait à M. van de Weyer.
Lorsqu'il le jugea nécessaire à sa politique, il déclara à nouveau finales et
irrévocables les stipulations des XXIV articles et ne se rappela plus que les
réserves insérées par la Prusse,
l'Autriche et la Russie
avaient fait perdre son irrévocabilité au traité du 15 novembre 1831),
et que le refus d'accepter purement et simplement leur acceptation par la Hollande, ne sera pas une
inconséquence. Cependant, les circonstances imposèrent à toutes les parties
l'obligation d'exécuter les clauses du traité relatives aux arrangements
territoriaux; et quoi qu'il y eût unanimité sur les clauses et qu'elles
n'eussent été soumises à aucune réserve, les trois cours du nord refusèrent
leur coopération à la France
et à la
Grande-Bretagne pour mettre la Belgique en possession du
territoire qui lui était définitivement assigné. Les deux dernières Puissances
agirent seules, laissant les trois au blâme de ne point exécuter un traité
qu'elles avaient ratifié. Les événements amenèrent la conclusion de la
convention du 21 mai. L'article 5 de cette convention porte que les hautes
parties contractantes s'engagent à s'occuper, sans délai, du traité définitif
qui doit fixer les relations entre les Etats de S.M. le roi des Pays-Bas, grand
duc de Luxembourg, et la Be1gique,
et qu'elles inviteront les cours d'Autriche, de Prusse et de Russie à y
concourir. La Hollande
ayant été sommée d'exécuter cet arrangement, l'invitation de concourir fut
adressée aux trois Puissances du nord. Elles y répondirent par l'envoi de
nouvelles instructions à leurs plénipotentiaires qui, depuis le 13 juillet 1833
jusqu'au 15 novembre de la même année, prirent part à la négociation que la Belgique, invitée à le
faire, avait consenti d'ouvrir avec Hollande. Pendant cette négociation, l'on
proposa, de part et d'autre, des modifications importantes aux XXIV articles.
« Il résulte de tout ce qui
précède que les cinq Puissances, liées par leurs actes, ne peuvent considérer
comme nul et non avenu tout ce qui s'est fait depuis le mois d'octobre 1831, et
que la soumission de la Hollande
aux XXIV articles, seule condition alors exigée, serait aujourd'hui évidemment
insuffisante. Il n'y a donc, selon moi, que deux partis à prendre, ou de
rédiger une déclaration motivée dans ce dernier sens, ou de prendre acte de la
note hollandaise en exprimant l'opinion qu'on y voit un rapprochement vers les
intentions conciliatrices des cinq cours, et un moyen de reprendre, sur
l'ancienne base, la négociation directe interrompue en 1833. Ce qui me fait
supposer, ainsi qu'à vous, que la
Hollande ne se flatte point de réussir à faire admettre sa
tardive acceptation, c'est qu'elle la déclare comme non-avenue, s'il y a un défaut de coïncidence réciproque
de vues et d'actions chez toutes les parties intéressées Or, la partie la
plus intéressée est à coup sûr la
Belgique, dont les vues et l'action coïncideront fort peu
avec celles de la Hollande. »
(Lettre de M. van de Weyer au
chevalier de Theux, 20 mars 1838)
(page 22) Mais, quelque favorables pour nous que fussent
à ce moment les dispositions de lord Palmerston, il ne prenait cependant pas
l'engagement de soutenir les prétentions de la Belgique ni au point de
vue territorial, ni au point de vue de la dette.
Il gardait à ce sujet un silence
qu'à l'ambassade de France on ne jugeait pas comme encourageant pour le
gouvernement du roi Léopold (Lettre
de M.de Bourquenay au comte Molé, 20 avril 1838. Arch. du Min. des Atf, étr. à
Paris, Angleterre, 650, numéro 34, p. 263).
A Paris, la décision du roi
Guillaume avait profondément surpris, mais on y avait bientôt acquis la
conviction qu'elle était plus sérieuse. qu'on ne le pensait en Belgique et
peut-être aussi en. Angleterre (Lettre
de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 23 mars 1838) 2, où, au mois
d'avril encore, lord Palmerston croyait que la démarche du roi de Hollande
n'avait d'autre but que de gagner du temps et des budgets extraordinaires (Arch. du Min. des Aff. étr. el Paris,
Angleterre, 650, numéro 38, p. 270). L'accueil fait aux vues politiques
du cabinet de Bruxelles fut toutefois satisfaisant. M. de Theux crut pouvoir y
puiser la conviction que la sympathie ainsi que l'appui du gouvernement
français ne. lui feraient jamais défaut. On lui marqua d'ailleurs nettement le
désir. de marcher autant que possible d'accord avec lui et avec le gouvernement
anglais. Dès qu'on eut connaissance en France de la démarche brusque et
imprévue du monarque néerlandais, le cabinet des Tuileries, se défiant de ce
qui pourrait se faire à Londres avant qu'il ne se fût concerté avec le
gouvernement du roi Léopold, donna pour premières instructions au général
Sebastiani, son ambassadeur près de S. M. britannique, de ne signer
provisoirement les protocoles qu'ad referendum. Il lui exprima en même temps
son étonnement de ce que lord Palmerston eût mis tant de hâte à convoquer la Conférence. « Il est à
regretter, écrivait le comte Molé, qu'avant de se décider à réunir la Conférence, lord
Palmerston n'ait pas cru devoir attendre que les cabinets de Londres et de
Paris se fussent concertés sur la marche à suivre pour ne pas être pris au
dépourvu par l'accord qui s'établira, suivant toute apparence, entre la cour de
La Haye et les trois autres cours» (Lettre
du comte Molé au général Sebastiani, 19 mars 1838. Arch. du Min. des Aff. étr.
à Paris, Angleterre, 650, numéro 9).. Comme rien ne s'était fait dans la
première réunion de la
Conférence, le général eut le temps d'envoyer au comte Molé
les éclaircissements nécessaires et de rassurer son ministre. « S'il y a
une question au monde, lui écrivait-il le 22 mars, sur laquelle on fut assuré
d'avance à Londres de marcher de concert avec la France, sous la précaution
d'une entente préalable, c'est cette même question belge, car l'accord est et
restera intime dans tout ce (page 23) qui la touche de près ou de
loin. » (Arch.. du Min. des aff. étr. à Paris, Angleterre, 650,
folio 230). Il obtint, en outre, de lord Palmerston., que la seconde
séance serait différée jusqu'au moment où des instructions lui seraient
parvenues de Paris et où M. van de Weyer en aurait reçues de Bruxelles. En
attendant il devait prendre, ainsi que le ministre belge, confidentiellement
connaissance des projets de rédaction où la Conférence avait chargé
M. de Bülow, plénipotentiaire de la
Prusse, de consigner les résultats de ses premières
délibérations. La réponse définitive à M. Dedel serait subordonnée aux dépêches
qui arriveraient de France et de Belgique (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 23 mars 1838).
L'on ne redoutait pas à Paris un
désaccord entre l'ambassadeur de France et lord Palmerston, mais on craignait,
et non sans raison, que la forte personnalité du ministre anglais n'imposât ses
vues et ses directions à un homme déjà vieux et malade comme l'était le général
Sebastiani. Aussi, le comte Molé lui réitéra-t-il l'ordre de ne rien décider
sans ses instructions.
Malgré l'appui qu'on lui promettait
à Londres et à Paris, le Gouvernement du roi Léopold put soupçonner dès l'abord
que cet appui ne serait pas assez large pour soutenir toutes ses aspirations.
Au langage que lui tint le roi Louis-Philippe, M. Firmin Rogier (Chargé
d'affaires de Belgique à. Paris pendant une absence du comte Le Honorable)
comprit que si la France
admettait le refus du gouvernement belge de payer les arrérages de la dette (Note de bas de page :
Louis-Philippe pensait, au début des négociations, que le roi de Hollande
lui-même n'insisterait pas avec force sur ce point. Lettre de F. Rogier au chevalier de
Theux, 26 mars 1838), il ne le soutiendrait pas dans ses prétentions
territoriales. La poursuite de ces prétentions aurait pu compromettre la paix
européenne et le roi des Français tenait avant tout au maintien de cette paix (Note de bas de page : Lettre de
M. F. Rogier au chevalier de Theux, 26 mars 1838, - Louis-Philippe était
encouragé dans cette politique par les conseils de M. Bresson: « J'ose inviter,
écrivait celui-ci, le 24 avril 1838, de tout mon pouvoir le gouvernement du Roi
à ne pas s'associer aux prétentions et aux exigences que je vois poindre et qui
bientôt éclateront en Belgique, Nous nous précipiterions dans des embarras de
toute nature et nous ne pourrions en sortir que par la guerre. L'Allemagne ne
transigera pas aujourd'hui sur la question territoriale ». Arch, du Min.
des Aff. étr, à Paris, Prusse, 289, folio 2475). En France on
considérait d'ailleurs que la
Belgique devait chercher surtout à éviter qu'un conflit
n'éclatât. « La Belgique,
écrivait, le 30 avril, M. Bresson au comte Molé, est le seul pays qui ait un
intérêt absolu à la paix, car, pour ses amis ou ses ennemis, selon les chances
de la guerre, elle devient le prix de la victoire. Elle raisonne bien mal et
elle oublie les leçons du passé si elle porte d'elle-même un autre
jugement. » (Arch. du M.
des Aff. Etr. à Paris, Prusse, 289, folio 252).
5. La Hollande et les
Puissances du Nord. La Prusse et les prétentions territoriales belges
Si le gouvernement belge pouvait
espérer voir ses intérêts protégés dans une certaine mesure par la France et par l'Angleterre
qu'avait-il à attendre des Puissances du nord?
Des renseignements qui lui
parvenaient de ses légations à l'étranger, il ne pouvait douter que ces États
ne défendraient de tout leur pouvoir la cause de la Hollande. .
De Londres, on l'informait de la
tentative du roi des Pays-Bas de faire accepter par la Conférence un
arrangement provisoire destiné à remplacer le statu quo établi par la
convention du 31 mai 1833 et de l'échec que cette politique avait rencontré
aussi bien en Prusse qu'en Autriche.
Cependant, à Berlin, le baron de
Werther déclarait que si le cabinet prussien avait saisi toutes les occasions
qui s'étaient présentées pour pousser le souverain des Pays-Bas à adhérer aux
XXIV articles, il n'en avait cependant plus été question le moins du monde dans
les derniers temps, et que la résolution prise par le roi Guillaume 1er était
toute spontanée, que personne ne s'y attendait. (Lettre du comte Bresson au comte Molé, 31 mars 1838. Arch. du
Min.des Aff. étr. à Paris, Prusse, 280. folio 7) Quant aux intentions de
son gouvernement, le ministre se refusait à toute confidence, l'affaire,
disait-il, devant se traiter à Londres. Il se bornait, en ce qui regardait
notre cause, à des assurances générales : le cabinet, dont il faisait partie,
était dans les meilleures dispositions pour la Belgique, celle-ci pouvait
compter sur lui dans tout ce qui serait juste et raisonnable.
Si M. de Werther se montrait si peu
disposé, au début des nouvelles négociations, à donner des indications sur ses
vues dans le différend hollando-belge, c'est parce qu'il voulait, pour cette
affaire, marcher complètement d'accord avec l'Autriche. Or, il ignorait encore
les intentions de cette Puissance. Dès qu'il avait eu connaissance de la note
néerlandaise, il s'était empressé d'envoyer un courrier au prince de
Metternich, afin d'arrêter avec le chancelier une ligne de conduite commune (Lettre de M. Beaulieu au chevalier de
Theux, 18 avril 1838).
Le langage imprudent que tinrent
certains journaux belges à propos de la question territoriale, amenait
cependant bientôt le ministre de Frédéric-Guillaume à sortir partiellement de
sa réserve.
Dès la première quinzaine d'avril,
il faisait au ministre de France et au chargé d'affaires britannique des
déclarations révélatrices d'une résolution bien arrêtée. La mission de la Conférence, disait-il
au premier, constitue « la plus grande affaire qui ait pu échoir aux hommes
d'État de notre temps. Si nous en sortons sans faire la guerre, comme j'en ai
l'espérance, j 'y verrai une espèce de miracle ». (page 25) «Si, disait-il, le
16 avril à sir G. Hamilton, nous pouvions seulement soupçonner que la Belgique agit, dans cette
occasion, avec l'arrière-pensée de conserver des territoires qui, de notre
consentement, ne lui appartiendront jamais, nous n'hésiterions pas à annuler
notre reconnaissance de son indépendance » (Lettre de M. Beaulieu au chevalier de Theux. 18 avril 1838). 1)).- «Et, continuait-il, si on essaye de
revenir sur les arrangements territoriaux, de mon côté, je suis certain qu'il
n'y a plus maintenant de solution pacifique possible. La. Prusse, secondée par
l'Allemagne entière, y résistera de toutes ses forces. Je n'émets cette opinion
qu'après l'avoir mûrement pesée. L'orgueil national, les droits de la Confédération
germanique seraient trop ouvertement blessés pour que nous puissions espérer sur
ce point une transaction. » (Lettre de M. Bresson au comte Molé, 16 avril r838. Arch. du Min. des Aff.
étr. à Paris, Prusse, 289, folio 227)
Plus tard, le roi de Wurtemberg lui
aussi tenait un langage très explicite au comte Bresson. « Il m'a, écrivait le
diplomate français, pris à partie. Il a appuyé sur la nécessité, sur la
prudence de terminer l'affaire belge et de ne pas laisser revivre une question
fertile en complications. Le sentiment allemand, la volonté de résister aux
prétentions manifestées en Belgique, perçaient dans toutes ses paroles. Si nous
fléchissions, disait-il, les Belges croiront qu'ils nous font peur. Le roi
Léopold n'est pas maître chez lui; c'est le parti prêtre qui domine et qui a
conçu la folle espérance d’agiter les provinces rhénanes et l'Allemagne.
Croyez-moi, terminez. Je ne puis trop le répéter, terminez. On a fait une assez
belle part, me semble-t-il, à la
Belgique. » (Lettre du 2 juin 1838. Idem. Légation de Prusse. 290. folio 8)
. Avec M. Beaulieu, M. de Werther
se montrait peu explicite, mais il lui en disait cependant assez pour lui faire
comprendre que des conséquences graves pourraient atteindre le jeune royaume
dans le cas où l'on s'y serait obstiné à vouloir maintenir le statu quo
territorial. (Lettre de M.
Beaulieu au chevalier de Theux, 18 avril 1838). Lorsqu'il désespérait
encore de faire parler le ministre prussien, M. Beaulieu se rendit chez un
fonctionnaire supérieur du département des Affaires Étrangères, le conseiller
intime Eichorn, qui, aussi bien que M. de Werther, pouvait lui donner d'utiles
indications sur la politique du roi Frédéric-Guillaume. Des confidences qu'il
en obtint, il résultait clairement que, sauf sur certains points de détail, la Prusse et l'Autriche
poursuivraient l'exécution pure et simple des XXIV articles. Si des concessions
étaient à faire, ces Puissances paraissaient vouloir les exiger toutes de la Belgique, sans parler
d'en demander aucune à la
Hollande, alors cependant (page 26) qu'à l'obstination de
celle-ci on devait les nouvelles négociations qui allaient s'ouvrir et par
conséquent aussi les difficultés qui allaient se présenter.
M. Eichorn, en effet, ne cacha pas
à M. Beaulieu que la Prusse
et l'Autriche étaient dans les meilleures. dispositions et parfaitement
d'accord pour ne pas laisser échapper cette occasion d'en finir ; qu'elles
espéraient que les deux Puissances maritimes se réuniraient à elles dans cette
vue; que cet accord des quatre cours, s'il était possible de l'obtenir, pouvait
seul, à son. avis, assurer une solution ; il était nécessaire pour forcer le
roi Guillaume dans ses derniers retranchements. S.M. néerlandaise, ajoutait-il,
avait probablement compté sur les difficultés qui seraient mises à un
arrangement définitif par la
Belgique appuyée de l'Angleterre et de la France ; le gouvernement du
roi Léopold devait déjouer ce dessein en renonçant à se renfermer dans
certaines prétentions étrangères aux XXIV articles. .
Ce dernier point amenait la conversation
sur le paiement des arrérages de la dette. M. Eichorn affirma que le refus du
cabinet de Bruxelles de s'en acquitter aurait pour conséquence de rétablir la
position du roi des Pays-Bas vis-à-vis de ses sujets et de placer à leurs yeux
tous les torts du côté belge. Il fit entendre que, dans ce cas, la Prusse et l'Autriche se
trouveraient « plus ou moins rapprochées de l'opinion des Hollandais », car
l'obstination du roi Guillaume avait été plus onéreuse aux Pays-Bas qu’à la Belgique.
« Vous prétendez, ajouta-t-il, à
des indemnités pour des armements auxquels vous a obligés la résistance des
Hollandais. Mais la révolution belge a obligé toutes les Puissances à des
armements extraordinaires. Que diriez-vous si elles venaient vous en demander
compte ? » (Lettre du comte Bresson
au comte Molé, 23:mai 1838. Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris. Légation de
Prusse,289, folio 288) Il conclut en engageant la Belgique à ne pas faire
de tout cela une mesquine question d'argent, mais à ne voir que le but politique.
(Note de bas de page : Au
sujet de cette question des arrérages, M. Beaulieu écrivait encore, le 18
avril, au chevalier de Theux : « Quant aux arrérages, je dois dire que personne
ici n'admet la légitimité de notre prétention à une libération complète. Je
pense toutefois que l'on ne serait pas éloigné de favoriser une transaction sur
ce point, transaction dont les liquidations quo nous aurons à faire avec la Hollande, pourraient
fournir le moyen.» M. Bresson, de son côté, écrivait au comte Molé que M.
d'Arnim non seulement entendait que le gouvernement belge payât tous les
arrérages, mais voulait aussi exiger an profit de la Hollande une indemnité
pour l'occupation du Limbourg et du Luxembourg. Arch. du Min. des Aff. étr. à
Paris, Prusse, 289, folio 205)
A la demande de M. Beaulieu si de
l'adhésion pure et simple du roi des Pays-Bas aux XXIV articles, il résultait
que les traités à (page 27) conclure devraient être, dans. l'esprit du
gouvernement prussien, la reproduction littérale de ces articles, le conseiller
intime répondit par la négative, en motivant son opinion sur le fait que
certaines stipulations avaient besoin d'éclaircissements ou de développements
et qu'il fallait, autant que possible, ne laisser aucune question indécise.
Le chargé d'affaires belge, avant
de terminer l'entretien, s'enquit près de M. Eichorn du motif pour lequel il
avait laissé la Russie
entièrement de côté dans les considérations qu'il venait de développer. « La Cour de Russie,
interrogea-t-il, serait-elle moins bien disposée que celles de Berlin et de
Vienne ?» « Quelles que soient, fut-il répondu, les dispositions du cabinet
russe, il sera entraîné par l'accord qui existe entre nous et
l'Autriche. »
Peu de jours après cet entretien,
les dispositions de la Russie
furent manifestées très explicitement par le langage de son envoyé à Berlin. Le
diplomate moscovite déclara que le cabinet de Saint-Pétersbourg continuerait,
comme par le passé, à vouloir tout ce que voudrait le roi des Pays-Bas (Lettre de M. Beaulieu au chevalier de
Theux, 18 avril 1838).
6. Désir du roi Léopold et
du chevalier de Theux de décliner la compétence de la Conférence de Londres
Ainsi éclairé par les rapports de
ses agents, le gouvernement belge acquit bientôt la conviction que l'entente ne
pourrait se réaliser au sein de la Conférence qu'au détriment de la Belgique. Aussi,
son vif désir fut-il d'en empêcher la réalisation (Note de bas de page : Ce désir n'était pas seulement
celui du cabinet, c'était aussi celui du roi Léopold. Le monarque écrivait, le
30 avril 1838, à M. de Theux : « Il est désirable qu'elles (la Prusse et l'Autriche) se
buttent sur la signature pure et simple et le traité préalable avec la Hollande puisqu'il est
impossible pour l'Angleterre et la
France de signer pareille proposition et cela mettrait la Conférence en
désaccord, chose très désirable sous tous les rapports. »)
« Toute votre politique, écrivait
le 27 mars M. de Theux à M. van de Weyer, doit être de faire en sorte qu'il
s'élève au sein de la
Conférence une divergence d'opinion sur la suite à donner à
la déclaration du roi Guillaume, de manière que ce dernier ait toute facilité
de s'en prévaloir pour ne pas donner de suite ultérieure à sa première
démarche, et que nous-mêmes nous puissions, au besoin, nous prévaloir de cette
même divergence d'opinion pour ne pas répondre à une invitation qui nous serait
adressée.» Sous l'influence du roi Léopold, décidé à poursuivre le maintien du
statu quo territorial, le ministre des Affaires étrangères songea même un
moment à décliner tout à fait l'intervention de la Conférence de Londres
et la reprise des négociations entamées en vertu de l'artic1e 5 de la
convention de 1833.
(page 28) « Le roi pense,
écrivait-il dans une lettre particulière et confidentielle adressée le 27 mars
à M. van de Weyer, que les négociations entre la Belgique .et la Hollande doivent
désormais être directes et sans l'intermédiaire de la Conférence.
« Et, en effet, à quoi
serviraient des négociations sous les auspices de la Conférence, lorsque le
cabinet de La Haye a prouvé, pendant ces huit dernières années, qu'il n'en
tient aucun compte, qu'il les a fait évanouir quand il l'a trouvé bon, sans que
la Conférence
ait fait autre chose que de constater ses refus.
« Il serait réellement peu
convenable que la Belgique
s'exposât de nouveau à des négociations de ce genre qui demeureraient
probablement sans suite, à moins que le résultat n'en soit avantageux au roi
Guillaume.
« Des négociations, sans
l'intermédiaire de la
Conférence, seraient, au contraire, une preuve de bonne volonté
et pourraient faire espérer un résultat satisfaisant.
« Veuillez ne pas perdre de
vue qu'il ne faut rien faire qui engage le gouvernement à reprendre la
négociation sous. les auspices de la Conférence. » (Note de bas de pas : Les idées qui animaient à ce sujet
le roi Léopold, étaient aussi dans une certaine mesure celles du monarque
néerlandais. « Le roi des Pays-Bas, écrivait le 6 juin 1838 le comte Bresson au
comte Molé après un entretien avec le baron de Werther, est opposé à toute
négociation ou conférence et par protocoles ou procès-verbaux. Il entend qu'on
prenne note de son adhésion au traité du 15 novembre et qu'on lui laisse
débattre les conséquences avec l'Angleterre. » Arch. du Min. des Aff. étr. à
Paris, Prusse, 290, folio 14.)
« Je suppose que l'opinion que
vous exprimerez à lord Palmerston sur la résolution à prendre ne préjuge en
rien la reconnaissance de la compétence ultérieure de la Conférence. L'appui
que le roi Guillaume y trouve auprès des représentants des trois cours du nord
doit nous faire préférer des négociations directes dégagées de toute influence.
A la vérité, la convention du 21 mai semble exiger des négociations sous les
auspices de la Conférence,
mais les tentatives faites en 1835 ont satisfait à cette stipulation. On ne
peut admettre qu'il puisse dépendre du bon plaisir du roi Guillaume de nous
ramener aujourd'hui devant la
Conférence. »
Et, dans une lettre officielle
adressée le même jour à Londres, le ministre ajoutait: « Il est essentiel
que la Conférence
ne préjuge rien quant aux négociations qui avaient été entamées sous ses
auspices en 1833; elles étaient évidemment subordonnées à un traité complet qui
devait intervenir immédiatement et de gré à gré entre les deux parties; il nous
est donc libre de considérer le résu1tat de ces négociations comme non arrêté »
.
Le 30 mars, le chevalier de Theux
écrivait encore à M. van de Weyer : « Je vous annonce avec plaisir que
nous sommes bien d'accord sur l'utilité de conserver le statu quo. Quant aux
moyens, je compte entièrement sur votre habileté pour tirer parti des hommes
(page 29) et des choses. L'essentiel est d'éviter la reprise des négociations
sous l'influence de la
Conférence; le roi la regarde comme assez dangereuse pour
décliner, au besoin, Sa compétence ultérieure. » Et, ayant à se prononcer sur
le projet de protocole de la première séance tenue par la Conférence, projet
qu'avait préparé Lord Palmerston, le ministre le trouvait bon et le disait en
soulignant qu'il n'impliquait de la part de la Belgique « aucune reconnaissance
de la compétence de la
Conférence. » (Lettre du chevalier de Theux au roi Léopold, 29 mars 1838)
7. Opposition de M. van de
Weyer à cette politique. Le sentiment de lord Palmerston
Les vues de Léopold 1er ne
rencontrèrent pas l'adhésion de son représentant à Londres. A la lettre
particulière et confidentielle de :M. de Theux, M. van de Weyer répondit, le 30
mars, par une longue missive, également particulière et confidentielle, qu'il
est utile de reproduire à peu .près intégralement, parce qu'elle expose, avec
clarté, les rétroactes de la question et la situation dans laquelle se trouvait
]a Belgique vis-à-vis des grandes Puissances européennes.
« Il me semble, écrivait le
diplomate, que vos idées ne sont pas encore bien arrêtées, et que l'on est sur
le point de se jeter dans une fausse voie. Il est de mon devoir de vous en
prévenir, avant que le gouvernement du roi ne s'y engage par un acte public et
officiel, et que nos adversaires n'en tirent parti contre nous pour nous
priver, plus tard, des avantages que le statu quo assure à la Belgique.
« Je croyais avoir, surtout
dans ma dépêche du 23, n° 46, posé la question d'une manière simple et claire.
Vous la placez sur un tout autre terrain où nous ne serons suivis ni par la France, ni par la Grande-Bretagne. Force
m'est donc de revenir sur mes pas, et d'examiner, en peu de mots, le véritable
état des choses.
« L'article V de la convention
du 21 mai impose à la
Grande-Bretagne, à la France et à la Hollande, l'obligation de
négocier, de concert avec les autres parties intéressées, un traité définitif.
En vertu de cet article, les trois Puissances du nord et la Belgique ont été invitées
à concourir à la négociation. Cette négociation, entamée sous les auspices de la Conférence, a duré
depuis le 15 juillet jusqu'au 15 novembre. Elle a été non pas rompue, mais suspendue jusqu’à ce que le roi Guillaume pût produire le double
assentiment de la Diète
et des agnats, ou signer les sept premiers articles du traité.
« A toutes les tentatives
faites par le cabinet de La Haye pour renouer la négociation, les cinq
Puissances ont invariablement répondu: « Acceptez l'une ou l'autre de ces
conditions et nous négocierons. » Si, au lieu d'adhérer purement et simplement
aux XXIV articles, le roi Guillaume eût accepté les sept premiers, la France, l'Angleterre, et à
plus forte raison les trois autres Puissances, eussent été obligées de
reprendre aussitôt la négociation interrompue. Elles se considèrent comme liées
à cet égard, au point que l'adhésion du roi Guillaume aux XXIV articles,
adhésion (page 30) qu'elles n'acceptent cependant point, est, à leurs yeux. une
espèce d'exécution de la condition préalable qui lui était imposée.
« Vous pensez, mon cher
Ministre, que l'on a satisfait à l'article V de la convention du 21 mai par les
tentatives de négociations faites en 1833, et que l'on peut aujourd'hui
considérer cet article comme lettre morte.
C »e n'est pas ainsi que
l'entendent les signataires de cet acte. Ils ne le scindent point dans
l'exécution, et si la
Belgique jouit des avantages que lui assurent les autres
articles de cette convention, c'est à la condition de remplir avec la France et la Grande-Bretagne
l'engagement contracté par l'article V.
« Vous pensez encore que si la
négociation s'entame, il faut que ce soit directement avec la Hollande et non sous les
auspices de la Conférence.
« Je conçois qu'il serait
peut-être plus avantageux pour nous que la Hollande fût privée de l'appui des trois
plénipotentiaires du nord; mais, pour commencer une négociation directe, il
faut être deux, et jamais le cabinet de La Haye ne consentira à se placer sur
ce nouveau terrain. Ce serait nous reconnaître avant que de traiter.
« Enfin vous croyez que la Belgique est libre de
considérer le résultat des négociations de 1833 comme non arrêté; et c'est dans
votre dépêche officielle du 27 mars que vous exprimez votre opinion. Mais vous
oubliez, mon cher Ministre, que les plénipotentiaires du roi ont paraphé avec la Hollande 16 articles, et
qu'ils ont déposé plusieurs propositions sur d'autres points ; vous oubliez
qu'en interrompant la discussion et la négociation, ils ont fait la déclaration
suivante:
« Après avoir rappelé LL. EE.
cette série de faits qui se sont passés sous les yeux de la Conférence, et de
négociations qui ont eu lieu sous ses auspices, les soussignés ne doutent point
que les cours d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne,
de Prusse et de Russie, ne réunissent, en tous temps et en toutes
circonstances, leurs efforts et leurs puissants moyens pour assurer à la Belgique la paisible et
entière jouissance des avantages qui lui ont été garantis par la combinaison
d'une convention spéciale avec un traité revêtu de la sanction commune des cinq
cours (note du 26 septembre 1833).
« Il n'y a donc pas de milieu:
il faut ou que le gouvernement du roi reprenne la négociation interrompue afin
de modifier de gré à gré avec la
Hollande les XXIV articles, ou qu'il s'en tienne au traité du
15 novembre dont il a si souvent réclamé l'exécution pleine et entière, sauf à
ne point exécuter les clauses que le fait de la non-adhésion de la Hollande rend
inexécutables (paiement des arrérages, etc.). Certes, ce ne sera point pour la
seconde partie de l'alternative que vous vous déciderez.
« Soyez convaincu qu'il n'y a
pas d'autre marche à suivre dans nos véritables intérêts. Pour être fort, il faut rester dans le vrai. Or, ce serait nous en
écarter d'une manière étrange que de prétendre que la négociation de 1833 doit
être considérée comme nulle et non avenue; de déclarer qu'elle ne peut plus
être reprise et que l'article V de la convention du 21 mai a perdu de sa valeur
; d'exiger enfin autre chose qu'un arrangement de gré à gré.
« Quel serait le résultat
d'un pareil système? Que nous nous placerions dans notre tort, que nous
n'aurions ni l'appui de la
France, ni celui de l'Angleterre, et que l'on s'exposerait à
nous faire perdre, surtout en ce qui concerne le non-paiement de la dette, les
avantages de la convention du 21 mai, dont nous ne voulons exécuter qu'une
partie. On s'est, en 1832, fourvoyé de la même manière. Les Chambres avaient
imposé leur système au gouvernement. Le roi Guillaume en tira le plus grand
parti. Si l'on eût persévéré, jamais la convention de mai n'eut été conclue (…)
« Il est de la plus haute
importance que nous restions dans le vrai ; que vous connaissiez les intentions
de la Grande-Bretagne;
que vous sachiez qu'elle se considère comme obligée
de reprendre la négociation là où elle est restée ; qu'elle nous tient pour
engagés de la même manière, et qu'elle ne sanctionnera jamais un système
s'écartant de cette ligne. Il ne faut pas que le désir fort légitime et fort
naturel de prolonger le statu quo nous fasse faire un faux pas. Nous trouverons
dans le détail de la négociation mille moyens de la faire suspendre à nouveau,
ou de la traîner en longueur. Mais vouloir s'en affranchir tout à fait serait
tenter l'impossible.
« Réfléchissez-y bien, mon
cher Ministre, et demandez-vous si, en nous écartant de la voie ouverte par la
convention du 21 mai, nous ne favorisons pas les arrière-pensées du roi
Guillaume, qui veut, non pas conclure un traité définitif, mais changer le
statu quo d'une manière qui lui serait avantageuse. »
Les raisons qu'exposait dans cette
lettre M. van de Weyer, pour combattre la politique préconisée par Léopold 1er,
étaient- péremptoires. Cependant, sachant que le roi tenait à son idée (Note de bas de page : Le roi
avait écrit directement à M. van de Weyer une lettre que nous ne possédons pas),
et M. de Theux ayant répété, dans une dépêche du 30 mars (Note de bas de page : Elle avait
été écrite avant que celle de M. van de Weyer de la même date n'eût été reçue à
Bruxelles. M. de Theux n'avait donc encore pu prendre connaissance alors des
considérations développées par le Ministre de Belgique à Londres),
qu'alors même que les négociations viendraient à être reprises de part et
d'autre, la Belgique
devait conserver comme un droit incontestable de pouvoir regarder comme non
arrêté tout ou partie de ce qui avait été concerté en 1833, le ministre de
Belgique à Londres ne crut pas qu'il suffît de sa seule autorité pour s'opposer
à la mise en œuvre de cette politique: Il jugea utile d'aller demander à lord
Palmerston son opinion sur le droit qu'à Bruxelles on croyait devoir
revendiquer (Note de bas de
page : L'entrevue eut lieu le 1er avril). La réponse fut conforme
en tous points à la théorie qu'il avait développée dans sa lettre du 30.
« Je ne vois pas, en vérité,
lui dit l'homme d'Etat britannique, sur quels principes vous établiriez ce
droit, ni quels avantages vous en pourriez. retirer. En vertu d'une convention
que vous invoquez tous les jours, la
France et l'Angleterre ont ouvert avec la Hollande une négociation
à (page 32) laquelle les trois cours représentées à la Conférence, ainsi que la Belgique, ont pris une
part fort active. Dans le cours de cette négociation, qui avait pour but la
conclusion d'un traité définitif destiné à fixer les relations entre les Etats
de S.M. le roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg, et la Belgique, plusieurs articles
de ce traité ont été paraphés par toutes les parties et différentes
propositions ont été déposées de part et d'autre. Une de ces propositions, à
laquelle la Belgique
était étrangère, rendait nécessaires certaines démarches du roi de Hollande
envers les agnats de sa Maison et la Confédération germanique. En conséquence; les
négociations furent, non pas rompues, mais ajournées, jusqu'à ce que ces
démarches eussent produit un résultat.
« Si ce résultat est obtenu ou
si le roi Guillaume renonce à sa proposition, nous nous trouvons naturellement
reportés sur le terrain de 1833 et obligés de reprendre la négociation là où
nous l'avons laissée. Cette obligation est ce qui fait notre force envers les
plénipotentiaires des cours du nord: grâce d'un côté aux réserves, de l'autre à
la convention du 21 mai, et aux négociations qu'elle a amenées, nous avons le
droit de déclarer inadmissible l'adhésion pure et simple de la Hollande aux XXIV
articles. Mais ce droit nous ne l'avons qu'à la condition de ne pas violer
nous-mêmes les engagements que nous avons pris. Car il faut ou négocier sur la
base admise de part et d'autre en 1833 (et aucun fait nouveau, survenu depuis,
ne nous autorise à l'abandonner), ou s'en tenir au traité du 15
novembre. » (Lettre
confidentielle de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 2 avril 1838)
8. Projet d'un arrangement
provisoire
Lorsque le roi ainsi que M.. de
Theux eurent pris connaissance de cette lettre écrite le 30 mars, ils
s'inclinèrent devant la sagesse de ses conclusions et ne songèrent plus à
décliner la compétence de la
Conférence de Londres. (Note de bas de page : M. van de Weyer, sachant que
l'idée de décliner la compétence de la Conférence émanait du roi Léopold, ne voulut pas
laisser au ministre des Affaires étrangères la mission quelque peu délicate de
combattre les idées du souverain. Il ne lui adressa donc pas directement sa
lettre du 30 mars. Il la laissa sous cachet volant et la lui fit parvenir sous
le couvert du roi afin que S.M. pût ainsi la lire tout d'abord. Lorsque le roi
Léopold ler en eut pris connaissance, il l'envoya au chevalier de Theux en lui
écrivant, dans un billet daté du ler avril: « La lettre de M. van de Weyer est
malheureusement assez logique et dans le vrai; on oublie volontiers des
engagements désagréables. Il n'y a pas de doute que nous devons conserver los
formes et tâcher de gagner pour le fond la question. »)
Tout au plus, le ministre des
Affaires étrangères crut-il devoir encore revenir théoriquement sur la
possibilité de considérer comme rompues et non comme interrompues les
négociations de 1833.
Mais, pendant quelque temps, il
songea à employer un autre moyen qui aurait permis à la Belgique d'éviter, d'une
manière détournée, la reprise des négociations de 1833 sous la tutelle de la Conférence. On se
rappellera que le roi Guillaume avait eu l'idée d'accepter les XXIV articles
comme un arrangement provisoire destiné à remplacer avec avantage pour la Hollande le statu quo
qu'avait décidé (page 33) le traité de 1833. Ces mots arrangement provisoire amenèrent le chevalier de Theux à croire
qu'on pourrait peut-être amener le souverain néerlandais à admettre une trêve
de longue durée, suivie du désarmement et du rétablissement des relations
commerciales, tout en maintenant le statu quo territorial, moyennant le
paiement d'une partie de la dette. (Lettre du chevalier de Theux à M. van de Weyer, 27 mars 1838)
Ce qui lui paraissait donner à
cette politique quelque chance de succès, c'était la nécessité où se trouvait la Hollande de sortir de ses
embarras financiers, ne fut-ce que dans l'intérêt de ses créanciers, parmi
lesquels se trouvaient un grand nombre d'Anglais. Cet intérêt satisfait et le
désarmement opéré, c'est-à-dire les dangers de guerre écartés, la
« sollicitude » que les grandes Puissances portaient aux affaires belges
n'aurait-elle pas tendu à disparaître? (Note de bas de page : Lettre du chevalier de Theux à M.
van de Weyer, avril 1838.- Il semble que le roi Léopold. cette fois encore,
partagea ou même provoqua les idées de son ministre des Affaires étrangères. Le
Souverain eut à ce sujet une correspondance directe avec son représentant à
Londres. Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 18 avril 1838.)
M. de Theux aurait voulu que
l'initiative de proposer la trêve partît de la Hollande et que les
négociations eussent lieu directement avec son gouvernement. Il désirait éviter
d'y mêler la Conférence
où, comme il le disait justement, l’intérêt allemand dominait particulièrement
et « entravait » les pourparlers (Lettre de M. de Theux à M. van de Weyer, 14 avril 1838)
Il est possible que si la Belgique s'était trouvée
tout à fait seule en face de la
Hollande, le projet du chevalier de Theux eût pu réussir. Le
roi Guillaume ne tenait que médiocrement à la possession du Luxembourg, situé loin
de ses états, sans communication directe avec eux. Une compensation pécuniaire
l'aurait peut-être contenté, comme elle contenta son successeur en r867. Mais
la possession du Grand-duché n'était pas d'importance purement néerlandaise.
Bien plus que la Hol1ande, elle intéressait la Confédération
germanique. Déjà, aux négociations de 1830 et de 1831, la Prusse avait laissé percer
son intransigeance à ce sujet. Depuis lors, à diverses reprises, elle s'était
plu à manifester que le maintien du statu quo territorial lui était
désagréable. (Note de bas de
page : Le 17 avril, M. de Theux
écrivait encore à M. van de Weyer: « Je viens de voir M. le Bon à son arrivée
de Berlin. Il m'a dit que l'événement de la ratification du traité par la Hollande paraît avoir causé
beaucoup de surprise. M. de Werther est fort désireux de voir la fin du statu
quo, et paraît fort préoccupé du parti que nous prendrons . »)
Les obstacles que devait rencontrer
l'exécution du projet de trêve n'échappaient point à la perspicacité de M. van
de Weyer. Celui-ci reconnaissait que la réalisation des idées conçues par M. de
Theux aurait assuré à la
Belgique de grands avantages, notamment en (page 34) lui
faisant conserver un territoire et une population que, à son avis, on ne devait
« abandonner qu'à la dernière extrémité ». Mais, d'autre part, il sentait que
ces avantages contribueraient précisément à mettre les Puissances du nord en
émoi et les amèneraient à opposer aux désirs belges une résistance peut-être
invincible. L'Allemagne voulait que le principe de l'indemnité territoriale fût définitivement consacré. La Prusse et l'Autriche, selon
l'expression même du ministre de Belgique à Londres, avaient un intérêt immense
à ce qu'on ne changeât rien à cet égard. Elles s'étaient empressées, d'ailleurs,
de se répandre en déclarations catégoriques. Après avoir exhalé sa mauvaise
humeur contre l'accueil que la
Conférence avait, comme nous le verrons plus loin, réservé à
la déclaration de M. Dedel, M. de Metternich chargeait le prince Esterhazy de
prévenir lord Palmerston que si l'Autriche consentait à faire, dans la future
négociation, la part des circonstances, il était un point sur lequel la Cour de Vienne resterait
inflexible, à savoir les arrangements territoriaux.
Cependant ces difficultés, sur lesquelles
il avait médité à loisir, ne paraissaient pas à M. van de Weyer tellement
insurmontables qu'il fallût immédiatement s'attacher à décourager M. de Theux.
Au contraire, le plan de ce dernier lui sourit. Mais, pour sa réalisation, il
considérait comme indispensable de marcher d'accord avec la France et avec l'Angleterre
(Lettre de M. van de Weyer à M.
de Theux, 30 mars 1838) Lui aussi estimait que la proposition de trêve
ne pouvait émaner de la
Belgique. Il fallait, à son avis, qu'elle naquît des difficultés
même qui s'élèveraient au sein de la Conférence, quand elle commencerait réellement
ses travaux, et des embarras financiers qui gênaient la politique du roi de
Hollande. Peut-être, alors, celui-ci, si l'idée lui en était habilement
suggérée, la saisirait-il avec d'autant plus d'empressement qu'il pourrait y
voir une espèce de continuation de son système politique, le moyen d'échapper à
la nécessité de reconnaître l'indépendance de la Belgique, en même temps
que celui de calmer l'opposition de ses Etats. « Sans ]a question d'argent,
écrivait M. van de Weyer, cette opposition serait encore à naître et le partage
de la dette intéresse bien plus vivement les Hollandais que le partage du
Limbourg et du Luxembourg. Il faudrait donc, avec prudence et habileté, faire
naître une occasion favorable de jeter le germe de cette idée et de la faire
saisir au roi Guillaume comme une planche de salut. Ce n'est guère que dans
deux ou trois mois que nous pourrons nous assurer qu'il y a quelques chances de
succès à cet égard. » (Lettre
confidentielle de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 13 avril 1838).