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« ESSAI HISTORIQUE & POLITIQUE SUR
Par Jean-Baptiste Nothomb
CHAPITRE XVIII Deuxième
ministère du Roi. - Tentatives de négociation directes avec la Hollande. -
Refus du gouvernement hollandais. Adoption du principe des mesures coercitives.
- Désaccord sur la nature de ces mesures.
(page 296) Nous avons
vu, dans le chapitre XVI, quelle est l'attitude que le gouvernement hollandais
avait prise à la suite de la proposition des vingt-quatre articles du 15
octobre 1831; nous nous sommes arrêtés au projet présenté confidentiellement,
le 30 janvier 1832, projet qui détruisait le traité du 15 novembre dans toutes
ses parties; on pouvait supposer que les ratifications successives du 31
janvier, du 18 avril et du 4 mai, feraient fléchir la politique hollandaise;
c'est dans cet espoir que
Cette offre du gouvernement hollandais avait pour lui un double avantage.
Dans sa pensée, il ne
s'engageait à rien, certain qu'il se croyait que
Il se rapprochait de
Les parties restèrent ainsi en présence pendant le mois d'août et la première moitié du mois de septembre 1832.
L'emploi des mesures coercitives devait supposer que toutes les mesures pacifiques étaient épuisées; ceci n'a pas besoin de démonstration. .
Or, les mesures pacifiques étaient-elles épuisées?
Non; l'offre de
(page 299)
Reportons-nous au jour de l'échange des dernières ratifications et rappelons-nous les incertitudes et les alarmes qu'elles renouvelèrent dans les esprits, sous l'empire de la première impression.
Les ratifications des
cinq Cours n'étant pas toutes pures et simples, il se présentait deux
hypothèses : 1 ° Il pouvait entrer dans les vues de
2°
Le plus grand danger était dans la première hypothèse; pour la repousser, il fallait trouver immédiatement un point d'arrêt; et le principe de l'évacuation préalable fut posé.
Le gouvernement belge était de la sorte parvenu à écarter la première hypothèse; restait la deuxième, qui (page 300) ne tarda pas à se réaliser, en plaçant toutes les parties dans la position la plus bizarre.
Véritable impasse, où il n'était possible ni de négocier, ni de recourir à la force.
Nous avons dit que le gouvernement hollandais avait offert de négocier, mais sans déterminer de bases; c'est là qu'était le principal danger de la deuxième hypothèse, et, ce danger, il fallait l'éviter.
C'est dans cette
intention que le ministre anglais, lord Palmerston, concerta des propositions
avec les deux plénipotentiaires belges, MM. Van de Weyer et Goblet ; la
nouvelle négociation cessait d'être non définie ; ces propositions, qui furent
communiquées à tous les membres de
(page 301) L'un des plénipotentiaires belges, le général Goblet, se chargea de porter à Bruxelles les nouvelles propositions; il y arriva le 9 septembre; après plusieurs jours de délibération, les ministres, tout en reconnaissant la nécessité d'un changement de système, crurent devoir se retirer, pour rester fidèles à des engagements publics[4] : retraite doublement honorable, car les mêmes hommes n'ont usé de leur indépendance de députés que pour prêter à leurs successeurs un courageux appui.
Le Roi était dans l'impossibilité de recomposer immédiatement le cabinet; cédant à la conviction profonde qui l'animait, le général Goblet consentit, le 15 septembre, à se charger du portefeuille des affaires étrangères, et il accepta seul, jusqu'au 20 octobre, toute la responsabilité des événements; les ministres sortants restèrent à la tête de leurs départements comme simples administrateurs[5].
Si le nouveau ministre demeura si longtemps sans (page 302) collègues, c'est qu'il avait le malheur de ne pas être compris. On supposa, en Belgique, en France, en Angleterre, en Hollande, que le général Goblet n'avait d'autre intention que de faire accepter le thème de lord Palmerston par le gouvernement hollandais, et qu'il avait conçu cet espoir ; on s'attacha dès lors à démontrer que cet espoir était chimérique et on crut avoir condamné le système. C'était précisément en proclamer le triomphe : préoccupé qu'on était d'une hypothèse, on avait négligé l'hypothèse contraire.
S'il s'y était prêté, l'on aurait probablement vanté l'habileté du ministre belge, et cependant c'était là qu'était l'écueil ; le ministre aurait échoué au milieu des panégyriques de la presse.
Le gouvernement
hollandais, en se refusant à la négociation, en rétractant son offre de
négocier, entrait dans toutes les vues du ministre belge; le refus de
Le général Goblet ne fit rien pour détromper la presse; il savait qu'il eût détrompé en même temps le gouvernement hollandais; et, en l'absence des Chambres, la discrétion était possible[6] 1.
(page 303)
En quittant Londres, le
général Goblet avait laissé
Le 20 septembre, le
plénipotentiaire belge, M. Van de Weyer, écrit à
(page 304) Le même jour,
le plénipotentiaire hollandais, M. van Zuylen van Nyevelt, lance contre
« Dans cet état de
choses, le soussigné a ordre de réclamer de .
« Le premier effet de
cette note, qui a tout l'air d'un manifeste contre
« Cependant, toujours
remplie du désir unanime de (page 306) s'interposer dans une lutte si animée,
pour en éloigner les périls, elle a résolu de faire encore auprès du baron van
Zuylen une dernière tentative, dans la vue de s'assurer si, nonobstant le
silence peu convenable de son cabinet sur les propositions confidentielles que
lui-même lui a transmises, il n'a pas reçu des instructions et pouvoirs
suffisants pour discuter, sous les auspices de
« En lui faisant
cette première question, il paraît indispensable que
« Si donc M. van
Zuylen a des pouvoirs suffisants pour négocier et pour conclure sur des termes
semblables ou analogues à ceux qu'il a communiqués à sa Cour, et que
« Mais si M. van
Zuylen se déclare sans pouvoirs ou si, prétendant les avoir, il se réserve
encore d'en référer à sa Cour, ou si même il n'en fait usage que pour proposer
des choses inadmissibles pour
(page 307)
L'interrogatoire tant écrit que verbal du plénipotentiaire hollandais acheva de
mettre à nu la pensée du cabinet de La Haye;
« En résumant ces
observations, on acquiert la conviction que le cabinet de La Haye ne veut pas
accepter les vingt-quatre articles dans leur ensemble, et que son refus porte
même sur des stipulations essentielles. Il commence par attacher une réserve
importante aux articles 1er jusqu'au 6e inclusivement, relatifs aux
arrangements territoriaux; il proteste contre la majeure partie des
stipulations de l'article 9 sur la navigation de l'Escaut et sur celle des eaux
intermédiaires entre ce fleuve et le Rhin; il entend changer le 11e article de
manière à rendre son effet illusoire; il demande sans compensation la
suppression de l'article 12 ; enfin, sans faire mention d'autres modifications
moins importantes qu'il réclame, il altère les stipulations des articles 13 et
14 relatifs aux arrangements financiers, en refusant à
Les hypothèses prévues
par le mémorandum du 24 septembre, comme devant nécessiter l'emploi des mesures
coercitives, s'étaient donc réalisées, et
Aucun plénipotentiaire ne révoqua en doute la nécessité des mesures coercitives en elles-mêmes.
Ces mesures pouvaient être de deux espèces: pécuniaires ou matérielles.
Les plénipotentiaires d'Autriche, de Prusse et de Russie déclarèrent que leurs cours ne pourraient s'associer à d'autres mesures qu'à des mesures pécuniaires[7].
Les plénipotentiaires de
France et de
« Le plénipotentiaire
britannique (lord Palmerston) exprime son regret de n'être pas à même de
consentir à la proposition faite par les plénipotentiaires d'Autriche, de
Prusse et de Russie. Il est profondément convaincu des avantages qui
résulteraient d'une unanimité d'action de la part des cinq puissances, s'il
était possible de l'obtenir, et il se flatte d'avoir donné une preuve de
l'importance qu'il attache à cette unanimité par la manière dont il a suggéré,
à la précédente réunion de
(page 309) « Mais le
plénipotentiaire britannique est convaincu, que, dans l'état actuel de la
négociation, il est nécessaire, pour le maintien de la paix de l'Europe, que
quelques mesures décisives soient adoptées par les puissances qui ont ratifié
le traité de novembre et qui ont garanti l'exécution des dispositions de cet
acte, et il regrette de ne voir dans la proposition des plénipotentiaires des
trois cours aucune mesure qui réponde à l'exigence du cas. La tendance de cette
proposition est de renouveler des négociations que l'expérience de beaucoup de
mois et l'aveu de
« Le plénipotentiaire britannique ne saurait, par conséquent, consentir à une proposition dont un nouveau délai semblerait devoir être le seul résultat certain; et en réservant au gouvernement de Sa Majesté britannique la décision qu'il jugera convenable de prendre en exécution des engagemens contractés par Sa Majesté, il se borne, pour le moment, à l'expression de son regret de ce que les plénipotentiaires d'Autriche, de Prusse et de Russie ne soient pas préparés à concourir à des mesures efficaces, dans le but de mettre à exécution un traité qui, depuis tant de mois, a été ratifié par leurs cours, et dont l'inaccomplissement prolongé expose à des dangers continuels et croissants la paix de l'Europe.
(page 310) « Le
plénipotentiaire de S. M. le roi des Français (le baron Durand de Mareuil),
adhérant en tous points à la déclaration qui vient d'être faite par le
plénipotentiaire de Sa Majesté britannique, exprime, comme lui, son regret de
ne pouvoir accepter la proposition des plénipotentiaires d'Autriche, de Prusse
et de Russie, et, persistant dans celle qu'il a présentée lui-même à
Le protocole du 1er
octobre 1832 est le dernier acte de
[1] Propositions annexées au protocole n° 65, du 11 juin
1832.
[2] Propositions annexées au protocole n° 67, du 10
juillet 1832.
[3] Thème et rapport de lord Palmerston, annexés au
protocole n° 69, du 30 septembre 1832.
[4] Non seulement le ministre des affaires étrangères, M.
de Muelenaere, avait pris ces engagements devant les Chambres, mais il les
avait réitérés dans une lettre adressée directement à lord Palmerston, sous la
date du 10 août 1832, lettre qui se terminait par ces mots: « J'ai attaché mon
existence politique au système que j'ai cru devoir adopter à la suite de
l'échange de toutes les ratifications, et si ce système devait être abandonné,
je n'hésiterais pas à résigner le portefeuille que Sa Majesté a bien voulu me
confier. » (Papers relative to the affairs of Belgium, B. 1re partie, n° 41.)
(Note de la 3e édition.)
[5] Composition du deuxième ministère:
Affaires étrangères,
M. le général Goblet. (Arrêté du 18 septembre1832.)
Justice, M. Lebeau.
(Arrêté du 20 octobre.)
Intérieur, M. Ch.
Rogier. (Id.)
Finances, M.
Duvivier. (Arrêté du 30 octobre.) .
Guerre, M. le
général Evain.
Ministre d'État,
membre du conseil, M. le comte F. de Mérode.
[6] Le général Goblet ne se dissimulait point les dangers
de sa position; voici ce qu'il écrivait, le '25 septembre, à M. Van de Weyer,
en apprenant le premier refus du plénipotentiaire hollandais:
« Je
m'applaudis avec vous de la marche des événements qui, jusqu'à, répondent à tontes
nos prévisions et justifient la grande mesure que le Roi s'est déterminé à
prendre. Cette résolution de Sa Majesté a déplacé les torts, et c'est
maintenant de la Hollande que vient la résistance.
« En consentant à
ouvrir la négociation directe, le Roi avait moins en vue de parvenir à .un
arrangement à l'amiable que de constater, dans un court délai, l'impossibilité
de cet arrangement; depuis plus d'un mois, le roi de Hollande s'offre à traiter
directement avec nous, et cette offre a été, à tort ou avec raison, considérée
comme un obstacle à l'emploi des mesures coercitives. Notre but a été de faire
disparaître cet obstacle. Si la négociation s'ouvre sur le fond sans que les
bases concertées avec lord Palmerston aient été agréées, du moins quant à leur
esprit, si la négociation se traîne de détail en détail, si nous laissons au
roi de Hollande le temps de comprendre quel a été notre but principal, il est à
présumer que les fruits de notre politique nouvelle seront perdus et qu'en
définitive, nous nous trouverons engagés dans une négociation sans autre issue
que d'onéreuses concessions. » (Note de la 1re édition.)
Le général Goblet a
lui-même rendu compte de son ministère dans l'ouvrage qu'il a publié de 1864 à
1865, sous le titre de Mémoires historiques: dix-huit mois de politique et de
négociations se rattachant à la première atteinte portée aux traités de 1815. 2
vol. in-8°. (Note de la 4e édition.)
[7] Les plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse
reproduisirent à Francfort les raisons invoquées à Londres contre J'emploi des
mesures coercitives physiques, raisons auxquelles adhérèrent les autres membres
de la Confédération germanique. (Voyez le protocole de la Diète, du 6 décembre
1832.) (Note de la 3e édition.)
[8] Voyez, page 281, le texte de la déclaration du comte
Orloff.
(Note de la 1e
édition.) Le comte Alexis Orloff, né en 1787, était l'homme de confiance de
l'empereur Nicolas et comme son alter ego, ce qui avait donné à la démarche le
caractère le plus significatif. Il est le père du prince Nicolas qui, comme
envoyé à Bruxelles de 1859 à 1865, y a laissé de si excellents souvenirs. Il a
été élevé au rang de prince, à l'occasion du couronnement de l'empereur
Alexandre II, et mourut à Saint-Pétersbourg le 21 mai 1861. (Note de la 4"
édition.)