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« Le Congrès
national. L’œuvre et les hommes », par Louis de Lichtervelde, Bruxelles,
1945
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CHAPITRE VIII – L’ŒUVRE DU CONGRES
(page 126) L’élection du prince
Léopold et le vote des Préliminaires de paix donnent enfin à l’Etat belge dont le
Congrès a planté les racines la possibilité de vivre et de grandir. Après bien
des doutes et des hésitations, après des luttes ardentes qui ont dressé les uns
contre les autres tant de patriotes également sincères, le Congrès a eu la
force de repousser les solutions extrêmes. Il s’est résigné aux sacrifices
inévitables pour obtenir l’entrée du nouveau royaume dans le concert des
nations.
Dès que le Roi met à
Le Congrès après avoir reconduit le chef de l’Etat à son palais et pris
part, selon la coutume belge, à un banquet, se réunit une dernière fois au lieu
ordinaire (page 128) de ses séances.
Dans l’euphorie du jour, il décerna une récompense nationale au Régent qui
avait eu au moins le mérite de prévenir la chute dans l’anarchie. Joseph Lebeau
eut la générosité, ainsi que Nothomb, de s’associer à ce geste. Puis Gerlache
qui s’était multiplié depuis trois mois, au fauteuil, à la tribune comme
à la tête des délégations du Congrès, clôtura la session par un émouvant
discours où il porta sur l’oeuvre accomplie un
jugement que l’histoire ne désavoue pas et dont il faut citer ces lignes :
« Quand vous proclamiez dans notre Constitution actuelle tant de
dispositions tutélaires, vous ne faisiez en réalité que reconstruire sur ses
fondements primitifs l’édifice social élevé par nos aïeux, en ajoutant à votre
ouvrage ce que la marche du temps, l’expérience des autres peuples et la nôtre
même nous avaient enseigné.
« Toutes les libertés qui ne se trouvent ailleurs que dans les livres
ou dans les constitutions oubliées sont consignées dans la vôtre avec les
garanties qui en assurent la durée ; et déjà depuis dix mois, vous les
pratiquez légalement. Qu’on nous cite un peuple en révolution, alors que tous
les ressorts de l’autorité étaient brisés, qui ait montré plus d’audace
vis-à-vis. de l’ennemi, plus de modération et de magnanimité au dedans, plus de
respect pour les lois ? et qui ait su mieux concilier en général l’amour de
l’ordre et l’amour de la liberté ! C’est ce beau caractère qui nous a rendus
dignes d’être admis dans la grande famille des nations européennes. »
Le Congrès national mérite vraiment de vivre dans le souvenir des Belges.
Du commencement à la fin de sa dramatique session de neuf mois, un patriotisme
sans défaillance a dominé tous ses actes, même ceux que la raison condamne. A
aucun moment malgré la tentation qu’il en eut parfois, il ne se laissa
entraîner hors de sa voie par l’esprit de parti. Il a placé au-dessus de toute
chose le bien du pays. Il a su étouffer dans son sein tout ce que
Mais la crise qui l’a ainsi élevée au-dessus d’elle-même a été trop courte
pour que
C’est à cause de cette richesse que l’histoire du Congrès mérite d’être
reprise et méditée. Quoi de plus émouvant après les folles divisions de ces
dernières années, que d’évoquer la tendresse avec laquelle les députés du
Hainaut, par exemple, les Defacqz, les Lecoq, les
Gendebien ont multiplié leurs efforts pour la conservation d’une terre flamande
comme le Limbourg ? Les Flamands comme Muelenaere, Rodenbach, Fransman d’autre part, n’ont pas fait moins pour la
conservation du Luxembourg. Toute la patrie est vivante en eux quels que soient
la langue, la race, le lieu. Si les hommes du Congrès sont aveugles, quand,
pour sauver l’intégrité de nos provinces, ils vont jusqu’à vouloir, sans l’avoir
préparée, la guerre contre l’Europe, leur erreur témoigne de la vigueur d’un instinct national dont on a osé plus
tard nier jusqu’à l’existence.
Un patriotisme profond, presque toujours raisonné, mais passionné parfois
jusqu’à en être déraisonnable, a guidé le Congrès dans toutes ses décisions. Il
lui a permis de maîtriser les
poussées excessives du coeur ; il lui a donné
finalement la force de se soumettre aux exigences suprêmes du bon sens. Jugée
dans son ensemble, l’œuvre du Congrès porte la marque d’un sage et puissant
équilibre. C’est le secret de sa durée. Les élans tumultueux qui ont troublé le
Palais de la (page 131) Nation les
jours des grandes séances n’ont agité les âmes qu’à la surface. Le contingent
solide et imposant des députés silencieux qui votaient après avoir sondé leur
conscience de Belges s’est toujours rallié, en fin de compte, aux solutions
modérées.
Le Congrès, cependant a présenté les défauts des hommes de son temps et des
hommes de la nation dont il était issu. Il a longtemps ignoré la nature
véritable des relations de
Mais ces ombres que la vérité nous oblige de reconnaître ne doivent pas
défigurer à nos yeux l’image historique du Congrès national. Quelle droiture
chez ces députés, quel désir de voir clair, d’agir en toutes choses pour le
bien du pays ! Quels scrupules aussi dans l’accomplissement de leur mission ! «
Me voici (page 132) revenu à mes
hautes fonctions, écrit M. du Bus à sa famille après quelques jours de congé,
fonctions pour lesquelles je sens vivement mon insuffisance dans les
circonstances graves que traverse toute l’Europe depuis plusieurs mois. »
Cette modestie n’est pas rare chez les membres du Congrès ; elle permet
aux ralliements de se produire, aux conversions de s’achever au cours de
loyales discussions. Le Congrès National est avant tout une assemblée de très
honnêtes gens.
Il est juste d’évoquer son souvenir à l’heure où la Belgique doit
reconstruire l’Etat bouleversé par la tragique successions de deux guerres et
de deux invasions en un quart de siècle. Les anciens dissentiments sont
effacés. Les trois Etats des Pays-Bas, unis contre un ennemi commun, ont
retrouvé les voies d’une action politique commune. Vue avec le recul du temps
l’histoire du Congrès offre des exemples et des leçons d’un puissant
enseignement. Certes les situations auxquelles il faut faire face aujourd’hui
sont bien différentes, mais les forces à mettre en mouvement pour faire œuvre
durable sont toujours les mêmes et les écueils à éviter sont très semblables.
La Belgique de 1944 demande à ses enfants de faire preuve des vertus solides
dont le Congrès a donné le réconfortant spectacle. Quatre-vingt-quatre années
de paix et de prospérité ont été la récompense de sa sagesse. Sachons donc,
avec espérance et avec foi, puiser à cette source demeurée jaillissante.