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« Le Congrès
national. L’œuvre et les hommes », par Louis de Lichtervelde, Bruxelles,
1945
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CHAPITRE IV. LA CONSTITUTION
1. Les travaux préparatoires
(page 51) La
première tâche assignée au Congrès était la discussion et le vote d'une
constitution. Commencée le 25 novembre 1830, elle fut achevée en un peu plus de
deux mois, soit le 7 février 1831, ce qui est, reconnaissons-le
aujourd'hui, un record de vitesse pour une œuvre législative aussi considérable
et qui a duré.
Le Congrès fut saisi de deux projets complets : celui de
la commission instituée par le Gouvernement Provisoire
et celui de MM. Forgeur, Barbanson, Fleussu et Liedts.
Le projet de la commission qui était surtout l'œuvre de
deux jeunes, Nothomb et Devaux, servit de base aux travaux de l'assemblée. Sans
doute, la disposition en fut-elle modifiée, mais
sauf en ce qui concerne le Sénat, la structure et même presque toute la rédaction primitive furent maintenues. Le projet Forgeur
était calqué sur le premier, mais il ne prévoyait qu'une Chambre unique et il
affaiblissait sensiblement le pouvoir royal en ne
lui accordant qu'un veto suspensif, ainsi qu'une autorité moindre sur les
pouvoirs subordonnés et sur les officiers du ministère public. Il ne prévalut
point.
Le Congrès organisa les travaux préparatoires de la
manière suivante. Il s'était divisé en dix sections de vingt membres, désignés
par tirage au sort. Chaque section examina le projet de constitution, titre par
titre, et nomma deux de ses membres pour former une (page 52) section centrale. Celle-ci, après examen des discussions des sections, proposait le texte à soumettre à
l'assemblée et désignait un rapporteur qui rendait compte par écrit de ces
premiers débats et apportait aux propositions faites toutes les justifications nécessaires. A plusieurs reprises, il y eut même, avant la
discussion en séance publique, une discussion préalable,
d'un caractère officieux, en comité général. Ce système, fort propice à
l'avancement des travaux, imposait aux membres du Congrès un labeur considérable. Les sections siégeaient de dix heures du
matin à trois heures de relevée ; les sections centrales siégeaient
le soir de sept à neuf. Les séances publiques du Congrès commençaient le plus
souvent vers midi pour finir vers cinq heures, heure du dîner que l'on allait
prendre en ville. On continuait souvent à table le travail politique commencé.
Les séances se prolongèrent bien des fois le soir et même la nuit. « Je puis
vous certifier, écrivait un député de Tournai, F. du Bus, le 9, décembre, que
ceux qui restent ici à la besogne ont leurs journées bien remplies et que s'ils
perdent du temps, ce n'est pas à s'amuser... le Congrès composé pour la presque
totalité de personnes étrangères à la marche d'une
assemblée délibérante, a à s'occuper d'objets d'une gravité qui fait réfléchir
les esprits les plus légers et le reproche qu'il doit surtout éviter est celui
d'une précipitation dont les suites compromettraient tout l'avenir de la
patrie. On travaille donc, on examine les projets
divers de notre future constitution, on calcule avec une scrupuleuse bonne foi
les avantages et les inconvénients de systèmes
diversement modifiés que l'on nous a présentés et que l'on enfante encore tous
les jours. Le résultat est une grande divergence d'opinions, ce qui constitue
un obstacle extrêmement grave que nous espérons voir lever au premier jour. »
(Note de bas de page : Vicomte DU Bus DE WARNAFFE, Physionomie du Congrès National, p. 54.)
Les rapporteurs de
La grande part prise par Raikem dans les travaux préparatoires de
2. La question du sénat
(page 54)
Avant d'aborder le détail de
La discussion publique dura du 13 au 18 décembre. Il y
eut cinquante-deux discours, des incidents et même du tumulte. Le Congrès eut
quelque peine à trouver sa voie au milieu de la multiplicité des amendements et
des suggestions. Beaucoup de députés étaient hésitants.
A première vue, l'idée d'un Sénat était inévitablement
associée à celle de
La nomination des sénateurs par le roi, que ce fût à vie,
à temps, librement ou sur présentation, avait ses partisans. Elle fut
préconisée par la section centrale et défendue avec talent par Devaux et
Lebeau. Elle aurait pu réussir si l'on avait marqué avec plus de force que ce
système faisait du Sénat moins une chambre législative proprement dite qu'une
sorte de grand conseil, apte à émettre des avis, mais moralement incapable, dans un gouvernement représentatif,
de tenir longtemps les autres pouvoirs en échec. Donner
à un Sénat ainsi composé les mêmes prérogatives qu'à
Deux autres systèmes restaient en présence : l'élection par les conseils provinciaux ou l'élection
directe par un corps électoral restreint. On ne voulut pas du premier, de
crainte d'introduire la politique dans les assemblées provinciales que l'on
avait l'illusion de maintenir dans une sphère purement administrative. « Vous
aurez des sénateurs, disait Lebeau, mais point de routes, de canaux ni
d'écoles. » On craignait aussi d'ouvrir la moindre fissure à ce vieux
fédéralisme de 1789 dont le pays avait si cruellement pâti. D'autre part, un
sénat issu d'un corps électoral plus restreint que la première chambre risquait
de s'ériger en adversaire de celle-ci et de
provoquer des conflits dont la solution pacifique deviendrait impossible. Aussi
par 136 voix contre 40 le Congrès finit, en désespoir de cause, par confier
l'élection des sénateurs aux mêmes électeurs que l'autre chambre, en exigeant
simplement des conditions d'éligibilité spéciales qui furent fixées comme suit
: quarante ans d'âge et le paiement d'un cens de mille florins de contributions
directes ou même d'un peu moins en cas d'insuffisance de nombre des éligibles.
Le Sénat fut donc une assemblée de riches propriétaires où la noblesse, d'abord
en forte majorité, garda jusqu'à la révision de 1893 la prépondérance. Avec la
fiscalité modérée de cette époque, le nombre des éligibles au Sénat n'atteignit
pas 700 pour tout le pays.
On est surpris de voir que le Congrès n'ouvrit pas le
Sénat aux titulaires des hautes charges publiques ni aux universitaires. Mais
il avait tendance à considérer comme un privilège l'octroi de faveurs aux porteurs de certains diplômes ; il se méfiait de toute prérogative attribuée aux membres de certains corps
publics. Par contre, le cens électoral lui apparaissait avant tout comme une
garantie d'indépendance. L'homme qui a des biens au soleil, en effet, ne dépend
de personne et opine librement. Dans l'esprit des hommes de 1830, le cens ne
devait jamais conditionner l'exercice de droits civils parce que là, il
s'agissait des droits de la personne humaine ; mais quand il s'agissait de droits politiques, on raisonnait autrement. On
voyait à juste titre dans ceux-ci une intervention dans la chose d'autrui : le
bien public. Dès lors on trouvait légitime d'exiger de la part des électeurs et
des élus des conditions de fortune qui supposaient la liberté de décision et
une certaine habitude de gérer des intérêts
patrimoniaux. Quoi qu'il en soit, on est aujourd'hui d'accord pour reconnaître
que le Congrès n'est pas parvenu à constituer le Sénat suivant une formule heureuse ou originale. C'est la partie la moins réussie de
son œuvre. Le Sénat qui est sorti de ses mains n'a eu qu'une influence
secondaire sur la marche du gouvernement et n'a pas
suffisamment remédié aux insuffisances de l'autre chambre.
3. L’originalité de la constitution belge
4. Le ralliement de la hiérarchie catholique
Le libéralisme passionné du Congrès National, s'il
répondait à des tendances profondes de l'esprit public, était cependant bien
fait pour étonner les observateurs étrangers qui
avaient suivi les débuts mouvementés du royaume des Pays-Bas. Les catholiques qui
formaient la majorité du Congrès National s'étaient, quinze ans plus tôt,
ralliés autour de leurs évêques quand ceux-ci avaient porté contre la
constitution promulguée par le roi Guillaume le Jugement Doctrinal
qui condamnait l'égale protection accordée par le nouvel Etat à tous les
cultes indistinctement ainsi que l'indifférence officielle de l'autorité
publique en (page 59) matière
religieuse. Les catholiques de 1815, à l'appel de Mgr de Broglie, évêque de
Gand, avaient alors revendiqué pour l'Eglise la
position privilégiée qu'elle avait détenue de temps immémorial avant
C'est ainsi qu'en 1830 les catholiques cessent de
regarder en arrière. Ils sont unanimes maintenant à ne revendiquer pour
eux-mêmes rien d'autre que la liberté. Le 13 décembre, le vieux prince de Méan, le dernier prince-évêque de Liége que la faveur du
roi Guillaume a placé sur le siège métropolitain de Malines, adressa au Congrès
une lettre remarquable pour exposer « leurs besoins et leurs droits ». La
lettre avait été rédigée par le vicaire général Sterckx,
le futur cardinal, et concertée entre lui et les principaux
leaders catholiques de l'assemblée : Gerlache, Raikem, le baron de Secus, le chanoine van Crombrugghe.
L'archevêque constatait qu'il ne suffisait pas de proclamer la liberté de
l'Eglise, mais qu'il fallait l'assurer effectivement. « Je n'entends,
disait-il, demander aucun privilège : une parfaite
liberté avec toutes ses conséquences tel est l'unique objet de nos vœux, tel
est l'avantage qu'ils veulent partager avec tous leurs concitoyens.» Mgr de Méan, faisant allusion au projet de
Cette prise de position d'une importance capitale était
une preuve de sagesse et de dextérité politiques. L'Eglise de Belgique avait
connu depuis quarante-cinq ans des jours bien difficiles. Tour à tour, le
Joséphisme autrichien, la persécution de
5. L’influence de Lamennais
Au moment où en Belgique les catholiques s'alliaient avec les libéraux, héritiers des philosophes du
XVIIIe siècle, pour former l'opposition nationale, un mouvement intellectuel
prenait naissance dans l'Eglise de France et ne tardait pas à exercer au dehors
une vaste et profonde influence. En
Les catholiques belges que les préoccupations
philosophiques inquiétaient peu, s'approprièrent insensiblement les formules et
le langage de celui qu'on saluait comme le docteur
du XIXe siècle, et dans leur lutte contre le pouvoir, dans leurs manœuvres pour
consolider l'alliance qu'ils avaient contractée avec les libéraux, ils
utilisèrent largement les armes que leur offrait ce
cœur généreux et tourmenté. La publication de son journal l'Avenir coïncida
avec l'ouverture du Congrès. L'Avenir trouva tout de suite en Belgique
des collaborateurs et des abonnés ; ses principaux articles furent réimprimés à
Louvain dans un recueil spécial au tirage de 4.000 exemplaires. Le clergé des
Flandres, particulièrement engagé dans la révolution belge, goûtait vivement
cette littérature ardente ; dans les familles de la noblesse et de la
bourgeoisie patriotes, la jeunesse en faisait sa nourriture intellectuelle. On
en trouve particulièrement l'écho dans les discours
du vicomte Charles Vilain XIIII et de l'abbé Andries qui se levèrent un jour au
Congrès pour défendre la liberté des prédications Saint-Simonniennes à Bruxelles. Le soir, chez le marquis de
Rodes, on lisait l'Avenir à voix haute pendant
que ses filles tricotaient des châles aux couleurs brabançonnes et polonaises.
Beaucoup des catholiques du Congrès furent gagnés par
l'optimisme de Lamennais qui croyait que la liberté
assurerait infailliblement le triomphe de la vérité sur l'erreur ; mais tout en
copiant bien (page 63) souvent son
langage, tout en s'inspirant des mêmes tendances, ils se gardèrent, pour la
plupart, d'aller aussi loin que lui. On constate, par sa correspondance, que le
chanoine van Crombrugghe, par exemple, repoussa son
influence. Les textes constitutionnels issus des délibérations du Congrès ne
portent pas la marque des dangereuses exagérations de Lamennais. Ce sont
toujours des textes positifs, élaborés par des juristes et non des déclarations
philosophiques. Quand le Congrès vote l'article 25 de
6. Les divergences entre catholiques et libéraux ,
la liberté d’enseignement
La question des rapports entre
l’Eglise et l’Etat
Le titre Il de
(page 65) Le
projet de la commission de Constitution portait un article 21 ainsi conçu : «
L'exercice public d'aucun culte ne peut être empêché qu'en vertu d'une loi et
seulement dans le cas où il trouble l'ordre et la tranquillité publique. » Cet
article fut approuvé par la section centrale. Mais, au Congrès, les leaders
catholiques, Gerlache, le baron de Secus et l'abbé
van Crombrugghe montrèrent qu'en vertu des principes
déjà adoptés cette disposition qui permettait de frapper un être moral ne
pouvait convenir. Nul n'entendait mettre en péril la liberté des cultes : la
pensée n'était pas claire et la rédaction était fautive. M. van Meenen proposa de dire : « La liberté des cultes et celle
de manifester ses opinions en toute matière sont garanties sauf la répression
des délits commis au moyen, à l'occasion ou sous prétexte de ces libertés. »
L'amendement fut accueilli favorablement. La discussion suscita des précisions
nouvelles si bien que le texte définitif devint : « La liberté des cultes,
celle de leur exercice public ainsi que la liberté de manifester ses opinions
en toutes matières sont garanties, sauf la répression des délits commis à
l'occasion de l'usage de ces libertés.» Defacqz
proposa de garantir de même la liberté de ne participer aux actes d'aucun
culte, ce qui fut accepté.
Mais si, jusque-là, tout alla sans heurts, il n'en fut
plus de même lorsqu'on aborda l'article 12 du projet de la section centrale
portant l'interdiction de « toute intervention de la loi ou des magistrats dans
les affaires d'un culte ». Defacqz, savant juriste,
qui, malgré sa jeunesse était animé de l'esprit des anciennes compagnies
judiciaires dont il possédait d'ailleurs la belle culture classique et l'esprit
raffiné, prononça de sa voix mélodieuse qui portait bien, un discours incisif
qui marquait, pour la première fois, la volonté de reculer devant les
conséquences d'une des libertés fondamentales reconnues de commun accord. « Il
faut, dit Defacqz, que la puissance temporelle prime
et absorbe en quelque sorte la puissance religieuse parce que la loi civile
étant faite dans l'intérêt de tous, elle doit l'emporter sur ce qui n'est (page 66) que de l'intérêt de
quelques-uns. » Il proposait donc la suppression du texte.
L'émotion fut vive. L'orateur avait soulevé la question
du mariage civil et regretté que le Gouvernement Provisoire eût supprimé, au
nom de la liberté des cultes, l'obligation de contracter les liens civils du
mariage avant les liens religieux. C'était soulever une foule de questions
délicates. Comment concevoir, vu les principes admis, que la loi réglementât
l'admission de fidèles à un sacrement ? D'autre part, l'état civil laïcisé
était une institution encore neuve, et il n'était pas difficile d'inquiéter
ceux qui y tenaient comme à une précieuse conquête. Nothomb, au nom des
libéraux modérés, se sépara de Defacqz. « Si
l'article est rejeté, dit-il, l'Union aura été une tactique et non un principe,
un piège et non un acte de bonne foi. » Il déclara que la loi civile devait
être incompétente en matière religieuse et il affirma : « Il n'y a pas plus de
rapport entre l'Etat et la religion qu'entre l'Etat et la géométrie ». Le jeune
député oubliait que l'Etat enseigne la géométrie dans ses écoles et utilise des
géomètres dans ses bureaux ! La discussion dévia
presque entièrement sur la question de l'antériorité du mariage civil. Les
prêtres du Congrès montrèrent que les évêques avaient spontanément maintenu la
règle imposée depuis le Concordat, mais qu'ils devaient être laissés juges de
certaines exceptions nécessaires pour le repos des consciences.
Finalement la suppression proposée par Defacqz fut rejetée le 23 décembre par 111 voix contre 59
au milieu d'une vive agitation. Mais, pour ne pas rompre l'union, une
transaction devenait nécessaire. Les divers amendements furent renvoyés à la
section centra1e qui fit rapport à la séance du 26 décembre. La question était
en somme de savoir si la séparation de l'Eglise et de l'Etat qui était dans le
vœu de tous aurait ou non le caractère d'une séparation amiable. Les
négociations engagées aboutirent le 5 février au vote de l'article 16 de
L'article 16 de
La liberté d’enseignement
La liberté de l'enseignement donna lieu également à des
difficultés qui ne furent pas immédiatement surmontées. Le projet de la
commission disait : « L'enseignement est libre ; toute mesure préventive est (page 68) interdite ; les mesures de
surveillance et de répression sont réglées par la loi. L'instruction publique
donnée aux frais de l'Etat est également réglée par la loi. » Ces dispositions,
conçues sur le même principe que celui qui régissait les autres libertés,
étaient en elles-mêmes raisonnables. Mais après le Joséphisme, l'Empire, le roi
Guillaume qui avaient abusé des tracasseries administratives envers les
séminaires et les collèges religieux, il n'est pas étonnant que la seule idée
d'une surveillance de l'enseignement excitât de la méfiance. La section
centrale déclara qu'elle n'avait en vue qu'une surveillance en vue de réprimer
les délits éventuels. C'était bien mal poser la question.
Les catholiques se cabrèrent. On ne montra pas que la
liberté de l'enseignement devait, en fin de compte, être concilié avec le droit
évident de l'Etat de fixer les programmes d'études et de réglementer la
délivrance des diplômes. Le Congrès s'empêtra dans le droit pénal au lieu de
considérer l'aspect technique que l'on aurait pu donner au contrôle proposé. On
songea à confier la surveillance à des autorités électives, ce qui eût été pire
que tout. Finalement, après des débats très vifs, le droit de surveillance de
l'Etat fut rejeté par 76 voix contre 71 et le Congrès admit, sur la proposition
de Van Meenen, le texte de l'article 17 désiré par
les catholiques : « L'enseignement est libre ; toute mesure préventive est
interdite ; la. répression des délits n'est réglée que par la loi.
L'instruction publique donnée aux frais de l'Etat est également réglée par la
loi. » Le domaine de l'enseignement était ainsi soustrait, dans la plus large
mesure, à l'initiative du pouvoir exécutif qui avait prétendu, sous le régime
déchu, y dominer.
L'article 17 de
7. Les autres droits constitutionnels
Les autres stipulations relatives aux droits des Belges
furent votées presque sans débat. La liberté de la presse suscita des effusions
lyriques. « C'est la plus vitale, la plus sacrée parce qu'elle est la
sauvegarde et le palladium de toutes les autres » disait l'abbé Verduyn le 26 décembre. On discuta de la responsabilité des
éditeurs et imprimeurs et l'on adopta le régime le plus large : ni censure, ni
cautionnement. L'abbé de Foere était convaincu que la liberté de la
presse conçue suivant ce système serait favorable à l'ordre social et à sa
stabilité. Il convient d'observer que si les conditions d'existence de la
librairie n'ont guère changé depuis 1830, celles de la presse quotidienne
se sont radicalement transformées. Les journaux étaient voués à la défense de
certaines idées et n'avaient qu'un faible tirage de quelques milliers (page 70) d'exemplaires, desservait
surtout des abonnés ; depuis lors, la presse est devenue une industrie
puissante, susceptible d'être mise au service d'intérêts privés ou d'intérêts
étrangers ; elle pénètre partout. Les informations fausses, les campagnes
calomnieuses, les manœuvres tendant à discréditer l'autorité publique reçoivent
ainsi, par les progrès techniques, des possibilités de diffusion rapide et
d'amplification que nul n'aurait pu soupçonner il y a cent ans. La matière même
qui fait l'objet du texte constitutionnel a changé tandis que celui-ci est
demeuré immuable. Sur la proposition de Lebeau, le Congrès décida que les
délits de presse seraient de la compétence du jury.
Pour la liberté de réunion, le Congrès, sur la
proposition de M. de Langhe, ancien fonctionnaire de l'Empire, finit par
accepter la possibilité de mesures préventives. Barthélemy, le beau-père
d'Alexandre Gendebien, effrayé de voir que le projet permettait indistinctement
toutes les réunions, du moment qu'il s'agissait de gens paisibles et non armés,
s'écria : « Je crains que nous ne fassions une Constitution beaucoup plus anarchique
que libérale. » Avec Devaux, il fit accepter que les réunions en plein air
restassent soumises aux lois de police., Cette précaution de simple bon sens
rencontra cependant 42 opposants.
La liberté des langues fut votée en fin de séance le 27
décembre. Cette question qui est maintenant au premier plan des préoccupations,
n'était entrevue alors que sous l'angle des droits individuels. Pour les
raisons que nous avons exposées plus haut, les députés des Flandres, dont la
plupart étaient fortement enracinés dans leur milieu, acceptaient sans rancœur
la suprématie du français dans la vie officielle. « Tout le monde est d'accord
sur ce point, disait Raikem, que l'emploi des langues est facultatif et dans
l'usage habituel chacun sera le maître de parier comme il voudra... Pour les
actes de l'autorité, la langue doit être unique, sauf la traduction à ajouter
dans les cas nécessaires. » Mais le texte voté fut prudent et ne fixa pas cette
théorie qui n'était pas conforme à nos (page
71) traditions. Il réserva le droit du législateur. « L'emploi des
langues usitées en Belgique est facultatif ; il ne peut être réglé que par la
loi et seulement pour les actes de l'autorité publique et pour les affaires
judiciaires .» Il est à regretter que l'on tarda si. longtemps à user de la
faculté ainsi donnée.
La liberté d'association particulièrement chère aux
Belges fut. proclamée sans réticence. Mais le Congrès ne voulut pas régler par
une disposition constitutionnelle le statut juridique des groupements de nature
diverse qui se formeraient. Le baron de Secus eut
beau démontrer qu'il fallait donner aux associations, notamment aux
congrégations religieuses, le moyen légal de vivre sans subterfuge ; il se
heurta aux préjugés des juristes que hantait le spectre de la mainmorte. La
majorité, sur la proposition de van Meenen, écarta
les amendements qui tendaient vers cet objet. Le Congrès laissa au législateur
toute latitude d'intervenir quand il. le jugerait bon. Ce fut sans doute sage
car les esprits n'étaient pas mûrs pour une solution complète et loyale du
problème ; celle-ci, après avoir été esquissée à plus d'une reprise au milieu
de luttes ardentes, fut consacrée en 1921 par le vote à l'unanimité de la loi
sur les associations sans but lucratif.
Le Congrès compléta ce solide ensemble de libertés en
garantissant l'égalité aux Belges devant la loi, l'abolition de toute
distinction d'ordres tel que les concevait l'ancien régime, la liberté
individuelle, l'inviolabilité du domicile, le secret des lettres, l'abolition
de la mort civile et de la confiscation des biens, le droit de poursuivre sans
autorisation préalable les fonctionnaires publics pour faits de leur
administration. Il écarta, non sans hésitation, la proposition de consacrer le
droit de résister à tout acte illégal de l’autorité, ce qui aurait créé un état
d'anarchie permanente. On remarquera le caractère pratique des décisions du
Congrès. Il s'est gardé de proclamer les Droits de l'homme ou
8. Les chambres législatives et les dispositions
électorales
Les dispositions constitutionnelles organisant les
pouvoirs publics, sauf celles concernant le Senat dont nous avons déjà parlé,
suscitèrent au Congrès beaucoup moins de débats que celles concernant les libertés. Le travail fut surtout accompli au cours
des laborieuses séances du soir de la section centrale. Celle-ci ne s'écarta pas sensiblement du
projet de la Commission, et le Congrès n'usa que sobrement de son droit
d'introduire des amendements apportant des idées nouvelles. Il y avait chez la
plupart des députés un accord préalable sur la nature du régime qu'ils (page 73) entendaient fonder : ils
voulaient le régime parlementaire à la mode anglaise, la responsabilité
ministérielle, le gouvernement de cabinet, l'indépendance du pouvoir
judiciaire, l'autonomie des pouvoirs locaux.
Les deux Chambres reçurent toutes les garanties possibles
d'indépendance et d'autorité, surtout la Chambre des Représentants qui devait
être le moteur du Gouvernement.
Sur la
proposition de Defacqz, le Congrès décida d'inscrire
dans la Constitution le maximum et le minimum du cens exigible pour être
électeur : de 100 à 20 florins, laissant
à la loi électorale le soin de déterminer le chiffre d'après les localités. Les
capacitaires qui avaient pris part aux élections de 1830 furent ainsi
écartés ; on refusa de suivre l'abbé de Foere qui demandait leur admission
moyennant le paiement du cens minimum. Pas de privilèges, tel fut le prétexte.
En. réalité, les libéraux craignaient de donner trop de puissance au clergé. A
leurs yeux, d'ailleurs, l'abaissement du cens électoral risquait de tourner au
bénéfice de l'aristocratie terrienne. La loi électorale suscita à cet égard de
sérieuses difficultés ; elle fut rejetée le 22 février par 75 voix contre 64
parce que, quelques jours avant, le Congrès avait, par 63 voix contre 61, abaissé d un tiers les exigences
du projet et froissé quelques susceptibilités locales dans la répartition des
sièges. Il fallut revenir à un cens plus élevé, variant entre 80 et 25 florins pour emporter le morceau, le 2
mars, par 101 voix contre 31. Le suffrage universel était repoussé par la
presque totalité du Congrès parce qu'il voyait dans la fortune la principale
garantie d'indépendance et de sagesse. A (page
74) ses yeux, la démocratie était synonyme de désordre et conduisait à la
dictature.
9. Les pouvoirs du
roi
Les pouvoirs du roi furent déterminés conformément à la
conception devenue classique du régime. La personne du roi est inviolable, ses
ministres sont responsables. Le roi participe au pouvoir législatif, par
l'initiative et la sanction des lois et au pouvoir judiciaire par la nomination
des juges et par le droit de grâce. Il convoque les Chambres, les proroge, les
dissout. Il possède la plénitude du pouvoir exécutif. Il fait les traités ; il
commande l'armée ; il nomme aux emplois civils et militaires. Mais le roi ne
peut agir seul : il lui faut le contreseing d'un ministre. Or ce ministre doit
être, en fait, l'émanation de la majorité parlementaire ou doit avoir reçu la
consécration de celle-ci. Cette condition non écrite est garantie par les
dispositions qui rendent le Parlement maître du gouvernement. C'est lui, en
effet, qui vote annuellement le budget et le contingent. La Constitution ne
parle cependant que de la responsabilité pénale des ministres et non de leur
responsabilité politique. Le Congrès, dans ses discussions, a commis une erreur
d'optique en serrant le texte de trop près et en donnant à la première plus
d'importance qu'à la seconde.
Les pouvoirs du roi, si étendus qu'ils soient, subissent
deux limitations bien précises : le roi n'a d'autres pouvoirs que ceux qui lui
sont formellement attribués par
Quand le Congrès discute des pouvoirs du roi, il a en vue
la théorie constitutionnelle qui ne sépare jamais le chef de l'Etat de ses
ministres. Cependant, par une (page 75)
impulsion plus instinctive que raisonnée, il, n'a pas hésité à imposer au roi
des devoirs et malgré tout, des responsabilités morales particulières. En
effet, seul, parmi tous les fonctionnaires et magistrats, le roi prête un
serment dont
Au cours des discussions, le Congrès rejeta, après un
débat qui fut repris plusieurs fois, une proposition de subordonner à
l'assentiment des Chambres le mariage du roi et des princes aptes à succéder au
trône. Il maintint dans leur intégralité le droit de sanction des lois ainsi
que le droit de dissolution des deux Chambres. Il y eut quelque hésitation à
confier au roi et non à l'élection le droit de nommer les juges de paix et les
juges des tribunaux de première instance. Lebeau et Nothomb se firent les
chiens de garde des droits de la
couronne.
10. Le pouvoir judiciaire
Le pouvoir judiciaire, élevé au niveau des deux autres,
fut rendu indépendant. Lui aussi émane de la nation. Les juges nommés à vie
sont inamovibles. Les cours élisent leur président ; les magistrats assis sont
nommés par le roi sur présentation soit du Sénat, soit des conseils provinciaux
et sur présentation des cours elles-mêmes. Les jugements doivent être motivés
et rendus publiquement. Le jury est établi en matière politique et de presse.
Toute cette partie de la Constitution, solidement charpentée et rédigée avec un
soin particulier, a fait l'objet de délibérations minutieuses. La complaisance
extrême du Congrès pour le jury est une nouvelle marque de sa défiance envers
des agents du pouvoir.
11. Les pouvoirs locaux
Les institutions provinciales et communales forment en
quelque sorte un quatrième pouvoir dans l'Etat.
12. Les finances et la force publique
Les dispositions de
13. Les lignes de force du texte adopté
Le (page 78)
Congrès eut la conviction qu'il avait élevé un monument définitif à l'abri de
l'usure du temps. Il avait largement puisé dans les idées politiques du siècle
fortement influencé par
Mais le Congrès avait puisé aussi dans nos traditions
nationales les plus authentiques. Il ne s'en est pas toujours rendu compte
parce que, en 1830, on était en pleine réaction contre un passé dont on
comprenait mal la véritable grandeur. Le caractère légal des limites des
provinces et des communes (art. 3 de
« La Constitution belge, constate M. Pirenne, apparaît
comme le type le plus complet et le plus pur que l'on puisse imaginer d'une
constitution parlementaire et libérale. Durant un demi-siècle, elle a passé, en
son genre, pour un chef-d'œuvre de sagesse politique. Elle a exercé une action
directe et souvent profonde sur tous les Etats qui, au cours du XIXe siècle,
ont remanié ou élaboré leurs institutions suivant les principes parlementaires.
Aucun d'eux, pourtant, n'a poussé aussi loin qu'elle les conséquences de ces
principes, dispensé aussi largement la liberté, et abandonné aussi entièrement
le gouvernement de la nation à la nation elle-même. »
Les deux révisions que