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« Le Congrès
national. L’œuvre et les hommes », par Louis de Lichtervelde, Bruxelles,
1945
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CHAPITRE III. L'INDEPENDANCE,
1. Le décret d’indépendance
(page 41) Les 17 et 18 novembre,
le Congrès discuta une motion du comte de Celles proclamant l'indépendance de
L'indépendance de
2. L’absence de préoccupation linguistique
L'indépendance de
Notons, à ce propos, que les députés ont accepté sans
protestation d'aucune sorte l'usage exclusif au Congrès, de la langue
française. Celle-ci était depuis un siècle la langue de la haute administration
et de la culture. Les vingt années de régime français avaient encore augmenté
sa prédominance et la réaction anti-hollandaise du moment agissait dans le même
sens. Mais il ne faudrait pas en déduire que les députés du pays flamand ne
connussent pas la langue de leur région. Bien au contraire, ils la parlaient
,chez eux ; ils l'écrivaient couramment comme le prouvent les lettres
conservées dans les archives privées. Pour plusieurs, par exemple pour Karl
Lebon, député de Turnhout et bourgmestre de Gheel, le
flamand était incontestablement la langue du foyer ; c'est en flamand qu'il
écrit à sa femme de la salle des séances du Congrès. Nul doute que, pour lui,
les Flamands forment, comme tels, une partie de l'assemblée ; il parle au moins
une fois du vote massif « des Flamands ». Mais l'unité du pays n'en était
pas moins à ses yeux hors de toute contestation. La question linguistique, pour
ancienne qu'elle soit, n'était pas, en 1830, dans les préoccupations du moment.
L'essentiel, alors, était, pour tous les Belges, de se libérer de l'ingérence
étrangère, de constituer au plus vite un Etat viable et cela valait bien
quelques sacrifices. Ce n'est que lorsque le péril est passé que ceux-ci
apparaissent comme trop lourds ; l'ordre des besoins auxquels les pouvoirs
publics doivent faire face varie ainsi suivant les époques. Si étrange que cela
puisse paraître aujourd'hui, la diversité des langues parlées en Belgique ne
portait, en 1830, nulle atteinte à la communauté d'aspirations et de tendances
qui existait entre les citoyens. On avait d'ailleurs une telle confiance (page 44) dans la liberté que l'on
demeurait persuadé qu'elle suffirait à tout.
3. La forme du gouvernement
Après avoir proclamé l'indépendance de
Le Congrès se prononça pour la monarchie parce que la
monarchie était, chez nous, la forme traditionnelle du gouvernement et que
l'idée même de république était associée aux pires souvenirs de
Parmi les partisans de la monarchie, les plus pénétrants
en soulignent les mérites intrinsèques et la réelle .supériorité. Avec sa précoce
sagesse, Jean-Baptiste Nothomb montre la nécessité de concilier dans la société
le besoin de stabilité avec celui du mouvement : « Il y a stabilité, dit-il,
dès qu'il existe au centre de l'ordre politique un pouvoir qui se perpétue de
lui-même et qui échappe à toutes les vicissitudes humaines. » Raikem, juriste
de grande classe, dont l'autorité s'affirme tout de suite au sein du Congrès,
se prononce fortement pour la monarchie parce que c'est le système qui «donne
le plus de liberté avec le plus de sécurité ». Après tant de convulsions,
on sentait profondément la nécessité de l'une et de l'autre. Le jeune Charles
Vilain XIIII assure qu'il voit dans l'hérédité la seule garantie qui puisse
préserver l'Etat de ces commotions fatales, sans elle, à chaque changement de
règne. Joseph Lebeau, surtout, est catégorique. Il déclare sans ambages « que,
considérée à priori et abstractivement, la monarchie constitutionnelle, loin
d'être un état de transition vers un régime plus parfait, est au contraire une
combinaison politique plus savante, plus ingénieuse que la république
elle-même. La royauté n'est pas à (page
46) proprement parler un pouvoir puisqu'elle ne peut agir seule, toute
l'action propre de la couronne gît dans le choix du cabinet, mais on a vu que
ce choix lui est imposé. Par cet ingénieux mécanisme, vous avez un centre
immuable à côté d'un pouvoir exécutif renouvelé sans secousses ». Pour Devaux,
« la monarchie constitutionnelle représentative, c'est la liberté de la
république, avec un peu d'égalité en moins dans les formes si l'on veut, mais
aussi avec une immense garantie d'ordre, de stabilité et, par conséquent en
réalité, de liberté de plus dans les résultats ». Poursuivant son analyse avec
une rare pénétration, Devaux insiste sur le caractère national que revêt
nécessairement la monarchie : « la monarchie est le rempart le plus sûr que
notre liberté puisse opposer dans l'avenir à l'intervention et à la domination
des étrangers, en premier lieu parce que, dans une monarchie, les partis
n'atteignent presque jamais cette violence et cet aveuglement extrême auxquels
ils s'abandonnent si facilement dans une république, en second lieu parce que
le pouvoir du monarque est une barrière qui, de toute sa force et de celle de
la nation même, résiste à la domination de l'étranger ».
D'autres orateurs marquèrent, comme M. Leclercq, des
préférences théoriques pour la république, par exemple Alexandre Gendebien,
mais ils ne croient pas que nous soyons mûrs pour ce système ni qu'il convienne
à notre situation internationale. « Comme monarchie, a dit le jeune Nothomb,
vous serez une puissance, comme république vous serez un épouvantail ». Mais la
monarchie dont il s'agit, c'est, on le dit plusieurs fois expressément, « une
monarchie républicaine ». On ne voit, dans la royauté, qu'un pouvoir
modérateur, une sorte de pouvoir neutre qui supprime les compétitions pour le
premier rang, un pouvoir qui n'a pour mission que de rectifier l'action des
autres pouvoirs. Les monarchistes du Congrès n'ont pas entrevu la nécessité d'établir
au centre de l'Etat une autorité capable de poursuivre de longs . desseins,
d'exercer auprès des ministres qui passent un (page 47) droit permanent de conseil, d'incarner aux yeux du pays
les intérêts supérieurs de la collectivité et de lui donner, au besoin, les
avertissements qui ne peuvent se trouver dans la bouche de ceux qui sont
obligés de quémander périodiquement ses suffrages. Les monarchistes du Congrès,
si convaincus qu'ils fussent, n'ont vu qu'une partie des mérites du système
qu'ils défendaient parce qu'ils avaient les illusions et les préjugés de leur
temps. Peut-être sentirent-ils l'excellence intrinsèque de la monarchie sans
parvenir à la définir entièrement, tant les idées politiques étaient encore
confuses dans l'Europe encore mal remise des convulsions du début du siècle.
Théoriciens trop logiques, ils s'abstinrent de mettre suffisamment en valeur
les raisons purement humaines qui sont la force essentielle du système.
Celui-ci, en confiant à une famille la charge de la royauté, fait du Pouvoir,
non plus une froide abstraction juridique, mais un objet de fidélité et d'amour
renouvelé sans secousse à chaque génération. Ces habitudes, dont ils avaient eu
le mérite de constater l'existence, trouvaient, par là, leur explication
profonde. Ils ne se doutaient pas encore de la tristesse du sort de ces peuples
qui n'ont plus personne à aimer ! Joseph Lebeau, qui avait défendu la monarchie
en doctrinaire qu'il était, avec ses seuls arguments de technicien du Droit
Public, eut la révélation foudroyante de cet aspect du problème quand,
accompagnant Léopold 1er de
Quelle surprise c'eût été, en outre, pour les monarchistes
du Congrès, s'ils avaient pu deviner que le roi auquel ils donneraient un jour
Les républicains, bien qu'écrasés d'avance, parlèrent
avec abondance. Ils eurent soin de faire valoir que leur système était le moins
dispendieux, argument qui avait alors du prix. Ils dirent que la république
était dans le courant du siècle ; certains ajoutèrent même qu'elle faciliterait
un jour l'annexion à
4. L’exclusion de la famille d’Orange-Nassau
Après s'être prononcé sur l'indépendance nationale et sur
la forme du gouvernement, deux questions de principe qu'il fallait nécessairement
trancher avant d'entreprendre la construction du nouvel Etat, le Congrès se
laissa entraîner par les passions violentes du moment à donner également une
valeur de principe à une troisième délibération qui n'avait plus le même
caractère et qui ne portait en réalité que sur une question de personne.
Constantin Rodenbach, l'éloquent et fougueux député de Roulers, déposa une
motion excluant à perpétuité de tout pouvoir en Belgique les membres de la
famille d'Orange-Nassau.
(page 49)
L'opinion était vivement surexcitée à ce sujet. On savait, dans le public, que
certains membres du Congrès et que certains groupes influents en dehors de
l'assemblée n'avaient pas encore renoncé à l'idée d'une solution
transactionnelle des difficultés soulevées par
La motion de Rodenbach, envisagée avec le recul du temps,
paraît inutile et presque absurde. Le Congrès, en effet, du seul fait de son
existence, avait rompu avec la légitimité du régime ancien ; le prince d'Orange
avait, par ses tergiversations, perdu les moindres chances d'être élu.
L'exclusion des Nassau n'était en somme qu'un geste spectaculaire et tapageur.
Mais la proposition une fois formulée, il devenait très difficile de la
repousser parce qu'un vote de rejet eût été un encouragement direct pour la
fraction orangiste. C'eût été porter à son comble la colère des patriotes et
exciter chez eux la défiance envers une assemblée que d'aucuns trouvaient déjà
suspecte de modération. L'acceptation de la motion, par contre, avait le grave
inconvénient de mettre le Congrès en opposition brutale avec les vues du
gouvernement anglais sans laisser au temps et à d'habiles négociations le moyen
de faire valoir l'inopportunité d'une combinaison que le pays rejetait
formellement.
La conscience jalouse que le Congrès avait de sa
souveraineté et le prestige très limité dont jouissait auprès de lui le
Gouvernement Provisoire, empêchaient les députés de subir une direction
quelconque dans la marche de leurs travaux. L'initiative de Rodenbach plaçait
ceux qui auraient préféré (page 50)
esquiver le débat devant un fait accompli. Le député de Roulers fut appuyé par
des voix chaleureuses et ardentes. Les uns montraient l'urgence de couper les
ponts avec un passé détesté, les autres accablaient