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« Le Congrès national. L’œuvre et les hommes », par Louis de Lichtervelde, Bruxelles, 1945

 

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CHAPITRE III. L'INDEPENDANCE, LA FORME DU GOUVERNEMENT ET L'EXCLUSION DES NASSAU

 

 

1. Le décret d’indépendance

 

(page 41) Les 17 et 18 novembre, le Congrès discuta une motion du comte de Celles proclamant l'indépendance de la Belgique. Au cours du débat, on y ajouta la restriction suivante : « sauf les relations de la province de Luxembourg avec la Confédération Germanique ». Ces termes étaient repris de la Loi fondamentale du royaume des Pays-Bas. Comme, depuis 1815, le Luxembourg, tout en continuant à faire partie de la Belgique, relevait, cependant, sous certains rapports de la Confédération Germanique, on n'eut garde, à cet égard, de modifier le statu quo, d'autant plus que la forteresse de Luxembourg était toujours entre les mains d'une garnison fédérale qui avait empêché la ville de se rallier à la Révolution comme le reste de la province.

L'indépendance de la Belgique, c'était la séparation d'avec la Hollande, la rupture de l'union imposée quinze ans auparavant par les puissances victorieuses de Napoléon, en un mot, le droit pour la nation de disposer d' elle-même. « Nous voulons une patrie, s'écria Lehon, pour elle un état politique et distinct qui la constitue. » La motion fut votée à l'unanimité. Le petit groupe de députés du parti français déclara par la bouche de Lardinois que le meilleur usage (page 42) que l'on put faire de notre indépendance serait de se jeter dans les bras de la France. Le Congrès comprenait tout autrement sa décision, et le sens exclusif de celle-ci fut fixé plus tard. Mais Lehon, appuyé sur ce point par Devaux et par le vicomte Charles Vilain XIIII, tint à affirmer qu'il se réservait d'accepter la réunion à la France si jamais la Belgique était un jour placée devant une contrainte des puissances tendant à rétablir l'ancien ordre de choses. Les hommes sont ainsi faits qu'ils font facilement les Gribouille. Ces déclarations qui voulaient être habiles, étaient, au fond, très maladroites car elles avaient pour effet de diminuer aux yeux de l'étranger, mal au courant de ce qui se passait à Bruxelles, la valeur du prochain vote. Ce qui importait le plus, en effet, c'était de convaincre l'Angleterre que la Révolution belge n'allait pas faire le jeu de l'impérialisme français qu'elle redoutait encore ; il n'est pas étonnant qu'elle regardât avec suspiciqn les révoltés qui avaient détruit la barrière constituée pour contenir à jamais dans leurs frontières nos voisins du Midi. Tout le problème diplomatique, c'était d'endormir les défiances des hommes d'Etat de Londres, de gagner petit à petit leur confiance, de les persuader que le nouvel Etat ne serait pas un satellite de Paris. La menace de la réunion était un moyen d'action simpliste et enfantin qui ne pouvait que se retourner contre ses auteurs. En l'employant, le Gouvernement Provisoire et notamment Gendebien ne furent pas mieux inspirés.

 

2. L’absence de préoccupation linguistique

 

L'indépendance de la Belgique supposait son unité. Celle-ci ne fut pas mise en question un seul instant. Elle constituait un fait acquis dont le caractère définitif était attesté par la patriotique ferveur des Liégeois que la conquête française avait, quarante ans plus tôt, confondus sous la même loi avec les habitants des autres provinces des Pays-Bas Catholiques. Le Congrès montra, sur ce point, une vigilance extrême : il ne voulut pas proclamer l'indépendance des « Provinces Belgiques », mais bien de « la Belgique » et n'admit pas un amendement qui reprenait l'ancienne (page 43) appellation ; il repoussa toute proposition de composer la commission de l'adresse d'un membre par province ; il ne se laissa pas arrêter par la diversité des langues parlées par les habitants. Le fédéralisme, très à la mode en 1789, ne l'était plus du tout en 1830, car on avait vu où il nous avait rapidement conduits.

Notons, à ce propos, que les députés ont accepté sans protestation d'aucune sorte l'usage exclusif au Congrès, de la langue française. Celle-ci était depuis un siècle la langue de la haute administration et de la culture. Les vingt années de régime français avaient encore augmenté sa prédominance et la réaction anti-hollandaise du moment agissait dans le même sens. Mais il ne faudrait pas en déduire que les députés du pays flamand ne connussent pas la langue de leur région. Bien au contraire, ils la parlaient ,chez eux ; ils l'écrivaient couramment comme le prouvent les lettres conservées dans les archives privées. Pour plusieurs, par exemple pour Karl Lebon, député de Turnhout et bourgmestre de Gheel, le flamand était incontestablement la langue du foyer ; c'est en flamand qu'il écrit à sa femme de la salle des séances du Congrès. Nul doute que, pour lui, les Flamands forment, comme tels, une partie de l'assemblée ; il parle au moins une fois du vote massif « des Flamands ». Mais l'unité du pays n'en était pas moins à ses yeux hors de toute contestation. La question linguistique, pour ancienne qu'elle soit, n'était pas, en 1830, dans les préoccupations du moment. L'essentiel, alors, était, pour tous les Belges, de se libérer de l'ingérence étrangère, de constituer au plus vite un Etat viable et cela valait bien quelques sacrifices. Ce n'est que lorsque le péril est passé que ceux-ci apparaissent comme trop lourds ; l'ordre des besoins auxquels les pouvoirs publics doivent faire face varie ainsi suivant les époques. Si étrange que cela puisse paraître aujourd'hui, la diversité des langues parlées en Belgique ne portait, en 1830, nulle atteinte à la communauté d'aspirations et de tendances qui existait entre les citoyens. On avait d'ailleurs une telle confiance (page 44) dans la liberté que l'on demeurait persuadé qu'elle suffirait à tout.

 

3. La forme du gouvernement

 

Après avoir proclamé l'indépendance de la Belgique, le Congrès aborda une autre question de principe : la forme du gouvernement futur. Le comité de Constitution avait bâti son projet sur la monarchie ; il s'agissait de savoir s'il serait suivi. Le projet n'avait pas osé donner un titre au chef de l'Etat. Dans les premiers jours qui suivirent là révolution, le mot de roi suscitait des méfiances ; de plus, pour des raisons assez mesquines d'économie, d'aucuns ne voulaient que d'un prince, voire d'un grand-duc, dignités au rabais. L'opinion était faite cependant. Au vote du 22 novembre, il n'y eut que treize voix en faveur de la république.

Le Congrès se prononça pour la monarchie parce que la monarchie était, chez nous, la forme traditionnelle du gouvernement et que l'idée même de république était associée aux pires souvenirs de la Révolution Française, et de la conquête étrangère. Le discours de Mathieu Leclercq fit grande impression. C'était un homme de trente-quatre ans, d'un caractère fier, ferme, sûr et bienveillant. D'une tenue toujours digne, un peu sévère comme le montre le beau portrait de Liévin De Winne, M. Leclercq était, au dire de M. Faider, un orateur « disert sans passion, clair sans éclat, large sans confusion, élégant sans recherche, convaincant sans entraînement, savant sans étalage. En résumé, une belle et forte dialectique que rien ne pouvait briser, une modération et une tempérance que rien ne pouvait altérer ». M. Leclercq commence par reconnaître qu'il y a quelque chose d'absurde de laisser au hasard de la naissance le soin de désigner le chef d'une nation et il avoue sa conviction qu'un jour viendra où les peuples européens, devenus aussi vertueux que les peuples d'Amérique, seront dignes de vivre en république. Il ne voit réellement que les vices de l'hérédité et il n'en perçoit pas les avantages pour la formation professionnelle du monarque ; en cela, il est bien de son temps. Mais, observe-t-il, ces (page 45) vices peuvent être contrebalancés. Ils le sont dans la monarchie constitutionnelle puisque le roi ne peut agir sans le concours de ministres responsables. Le roi, s'il est paralysé pour le mal, ne l'est pas pour le bien. M. Leclercq ne veut pas qu'il soit le mannequin couronné cher aux théoriciens de la monarchie de juillet. Il voit plus haut et plus juste ; il s'attache à demeurer en contact avec les réalités de chez nous : « Au milieu des débris de nos traditions politiques qui, successivement, se sont effacées, dit-il, la royauté est restée seule empreinte dans les mœurs de la multitude ; seule, elle peut la retenir encore. » Cette idée fut plus d'une fois reprise par' d'autres orateurs, mais sans. jamais recevoir tous les développements qu'elle comporte ; elle avait déjà frappé la plupart par son évidente vérité.

Parmi les partisans de la monarchie, les plus pénétrants en soulignent les mérites intrinsèques et la réelle .supériorité. Avec sa précoce sagesse, Jean-Baptiste Nothomb montre la nécessité de concilier dans la société le besoin de stabilité avec celui du mouvement : « Il y a stabilité, dit-il, dès qu'il existe au centre de l'ordre politique un pouvoir qui se perpétue de lui-même et qui échappe à toutes les vicissitudes humaines. » Raikem, juriste de grande classe, dont l'autorité s'affirme tout de suite au sein du Congrès, se prononce fortement pour la monarchie parce que c'est le système qui «donne le plus de liberté avec le plus de sécurité ». Après tant de convulsions, on sentait profondément la nécessité de l'une et de l'autre. Le jeune Charles Vilain XIIII assure qu'il voit dans l'hérédité la seule garantie qui puisse préserver l'Etat de ces commotions fatales, sans elle, à chaque changement de règne. Joseph Lebeau, surtout, est catégorique. Il déclare sans ambages « que, considérée à priori et abstractivement, la monarchie constitutionnelle, loin d'être un état de transition vers un régime plus parfait, est au contraire une combinaison politique plus savante, plus ingénieuse que la république elle-même. La royauté n'est pas à (page 46) proprement parler un pouvoir puisqu'elle ne peut agir seule, toute l'action propre de la couronne gît dans le choix du cabinet, mais on a vu que ce choix lui est imposé. Par cet ingénieux mécanisme, vous avez un centre immuable à côté d'un pouvoir exécutif renouvelé sans secousses ». Pour Devaux, « la monarchie constitutionnelle représentative, c'est la liberté de la république, avec un peu d'égalité en moins dans les formes si l'on veut, mais aussi avec une immense garantie d'ordre, de stabilité et, par conséquent en réalité, de liberté de plus dans les résultats ». Poursuivant son analyse avec une rare pénétration, Devaux insiste sur le caractère national que revêt nécessairement la monarchie : « la monarchie est le rempart le plus sûr que notre liberté puisse opposer dans l'avenir à l'intervention et à la domination des étrangers, en premier lieu parce que, dans une monarchie, les partis n'atteignent presque jamais cette violence et cet aveuglement extrême auxquels ils s'abandonnent si facilement dans une république, en second lieu parce que le pouvoir du monarque est une barrière qui, de toute sa force et de celle de la nation même, résiste à la domination de l'étranger ».

D'autres orateurs marquèrent, comme M. Leclercq, des préférences théoriques pour la république, par exemple Alexandre Gendebien, mais ils ne croient pas que nous soyons mûrs pour ce système ni qu'il convienne à notre situation internationale. « Comme monarchie, a dit le jeune Nothomb, vous serez une puissance, comme république vous serez un épouvantail ». Mais la monarchie dont il s'agit, c'est, on le dit plusieurs fois expressément, « une monarchie républicaine ». On ne voit, dans la royauté, qu'un pouvoir modérateur, une sorte de pouvoir neutre qui supprime les compétitions pour le premier rang, un pouvoir qui n'a pour mission que de rectifier l'action des autres pouvoirs. Les monarchistes du Congrès n'ont pas entrevu la nécessité d'établir au centre de l'Etat une autorité capable de poursuivre de longs . desseins, d'exercer auprès des ministres qui passent un (page 47) droit permanent de conseil, d'incarner aux yeux du pays les intérêts supérieurs de la collectivité et de lui donner, au besoin, les avertissements qui ne peuvent se trouver dans la bouche de ceux qui sont obligés de quémander périodiquement ses suffrages. Les monarchistes du Congrès, si convaincus qu'ils fussent, n'ont vu qu'une partie des mérites du système qu'ils défendaient parce qu'ils avaient les illusions et les préjugés de leur temps. Peut-être sentirent-ils l'excellence intrinsèque de la monarchie sans parvenir à la définir entièrement, tant les idées politiques étaient encore confuses dans l'Europe encore mal remise des convulsions du début du siècle. Théoriciens trop logiques, ils s'abstinrent de mettre suffisamment en valeur les raisons purement humaines qui sont la force essentielle du système. Celui-ci, en confiant à une famille la charge de la royauté, fait du Pouvoir, non plus une froide abstraction juridique, mais un objet de fidélité et d'amour renouvelé sans secousse à chaque génération. Ces habitudes, dont ils avaient eu le mérite de constater l'existence, trouvaient, par là, leur explication profonde. Ils ne se doutaient pas encore de la tristesse du sort de ces peuples qui n'ont plus personne à aimer ! Joseph Lebeau, qui avait défendu la monarchie en doctrinaire qu'il était, avec ses seuls arguments de technicien du Droit Public, eut la révélation foudroyante de cet aspect du problème quand, accompagnant Léopold 1er de La Panne à Bruxelles en juillet 1831, il constata l'élan du cœur qui jetait le peuple au-devant du fondateur de la Maison de Belgique.

Quelle surprise c'eût été, en outre, pour les monarchistes du Congrès, s'ils avaient pu deviner que le roi auquel ils donneraient un jour la Couronne serait amené par la force des choses plus encore que par les dispositions de son caractère à élargir la sphère d'action qui lui était dévolue dans leur pensée et à devenir, dès son avènement, le premier diplomate de son pays d'adoption et le guide de ses dirigeants encore novices dans l'art de gouverner ! Ils ne se (page 48) doutaient pas, en novembre 1830, que pour mettre leur monarchie en selle, un prince quelconque ne suffirait pas. Leurs préférences, quand ils en vinrent à la question de personne, allèrent, en effet, tout d'abord à deux candidats qui n'étaient pas en âge de gouverner. Le Congrès, en votant pour la monarchie, eut la bonne fortune d'en construire une plus solide et meilleure qu'il ne le pensait.

Les républicains, bien qu'écrasés d'avance, parlèrent avec abondance. Ils eurent soin de faire valoir que leur système était le moins dispendieux, argument qui avait alors du prix. Ils dirent que la république était dans le courant du siècle ; certains ajoutèrent même qu'elle faciliterait un jour l'annexion à la France, ce qui provoqua des réactions immédiates. Un vieux Jacobin parla des rois « mangeurs d'hommes ». D'autres s'efforcèrent d'écarter les souvenirs odieux de 1793 en évoquant en termes idylliques Washington et Franklin. Le jeune abbé De Haerne fut écouté avec sympathie, mais sa voix n'ébranla aucune conviction. Le 22 novembre, par 174 voix contre 13 -  neuf Wallons et quatre Flamands - le Congrès se prononça pour « la monarchie constitutionnelle représentative sous un chef héréditaire ». L'excellent K. Lebon, député de Turnhout, put, ce jour-là, en écrivant à son épouse, ajouter à sa signature cette mention pleine d'humour : « het 200st deel van den Koning van Belgie », le 1/200 du Roi de Belgique.»

 

4. L’exclusion de la famille d’Orange-Nassau

 

Après s'être prononcé sur l'indépendance nationale et sur la forme du gouvernement, deux questions de principe qu'il fallait nécessairement trancher avant d'entreprendre la construction du nouvel Etat, le Congrès se laissa entraîner par les passions violentes du moment à donner également une valeur de principe à une troisième délibération qui n'avait plus le même caractère et qui ne portait en réalité que sur une question de personne. Constantin Rodenbach, l'éloquent et fougueux député de Roulers, déposa une motion excluant à perpétuité de tout pouvoir en Belgique les membres de la famille d'Orange-Nassau.

(page 49) L'opinion était vivement surexcitée à ce sujet. On savait, dans le public, que certains membres du Congrès et que certains groupes influents en dehors de l'assemblée n'avaient pas encore renoncé à l'idée d'une solution transactionnelle des difficultés soulevées par la Révolution belge en appelant au trône le prince d'Orange qui, brouillé officiellement avec son père depuis qu'il avait appelé des personnalités belges engagées dans la Révolution à se rallier autour de lui à Anvers, s'était réfugié à Londres. Les grandes puissances, toujours en retard, en étaient encore à voir dans cette candidature le meilleur moyen de sortir de l'imbroglio, mais l'immense majorité du Congrès et, dans le pays, tous les hommes qui avaient risqué leur vie ou leur liberté, n'en voulaient à aucun prix.

La motion de Rodenbach, envisagée avec le recul du temps, paraît inutile et presque absurde. Le Congrès, en effet, du seul fait de son existence, avait rompu avec la légitimité du régime ancien ; le prince d'Orange avait, par ses tergiversations, perdu les moindres chances d'être élu. L'exclusion des Nassau n'était en somme qu'un geste spectaculaire et tapageur. Mais la proposition une fois formulée, il devenait très difficile de la repousser parce qu'un vote de rejet eût été un encouragement direct pour la fraction orangiste. C'eût été porter à son comble la colère des patriotes et exciter chez eux la défiance envers une assemblée que d'aucuns trouvaient déjà suspecte de modération. L'acceptation de la motion, par contre, avait le grave inconvénient de mettre le Congrès en opposition brutale avec les vues du gouvernement anglais sans laisser au temps et à d'habiles négociations le moyen de faire valoir l'inopportunité d'une combinaison que le pays rejetait formellement.

La conscience jalouse que le Congrès avait de sa souveraineté et le prestige très limité dont jouissait auprès de lui le Gouvernement Provisoire, empêchaient les députés de subir une direction quelconque dans la marche de leurs travaux. L'initiative de Rodenbach plaçait ceux qui auraient préféré (page 50) esquiver le débat devant un fait accompli. Le député de Roulers fut appuyé par des voix chaleureuses et ardentes. Les uns montraient l'urgence de couper les ponts avec un passé détesté, les autres accablaient la Maison déchue de sarcasmes et d'outrages, invitant le Congrès à justifier par un geste franchement révolutionnaire la confiance du peuple. Ce fut pire encore lorsqu'on apprit en séance secrète que deux envoyés de la Conférence des Puissances réunie à Londres étaient arrivés à Bruxelles pour notifier au Gouvernement Provisoire que l'exclusion des Nassau pouvait compromettre le repos de l'Europe et brouiller la Belgique avec les gouvernements dont elle avait intérêt à chercher l'appui. Cette tentative de pression parut intolérable. Cependant, avec un courage remarquable, l'abbé De Foere, Jottrand et Gerlache que nul ne pouvait soupçonner d'orangisme, parlèrent contre l'exclusion. Et de Gerlache, notamment, prononça son meilleur discours, celui sans nul doute qui lui coûta le plus et qui témoigne le mieux de son magnifique désintéressement et de sa ferme indépendance. Il était sans illusion sur l'effet de son intervention et se rendait bien compte que la majorité ne pouvait plus reculer après les manifestations auxquelles elle s'était livrée. Mais il estimait nécessaire de faire entendre la voix de la froide raison et de prendre la responsabilité publique d'une attitude qui aurait pu acquérir du prix si les événements avaient pris un cours différent de celui qu'il espérait lui-même. Mais Sylvain Van de Weyer qui avait été en Angleterre et qui y avait dit la vérité au prince d'Orange lui-même, ne se trompait pas quand il disait au Congrès : une fois commise la faute de discuter la question de l'exclusion, il est impossible de ne pas aller jusqu'au bout. La presse était déchaînée, la rue devenait tumultueuse. La menace grandissait autour du Congrès. Il fallait réprimer les manifestations intempestives des tribunes. Ne pas voter cette exclusion déjà prononcée en fait, c'eût été déchaîner la guerre civile. Le 24 novembre, l'exclusion fut déclarée par 161 voix contre 28.

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