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« Le Congrès
national. L’œuvre et les hommes », par Louis de Lichtervelde, Bruxelles,
1945
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CHAPITRE Ier. LES ELECTIONS DE 1830
1. La légitimité limitée du Gouvernement provisoire
(page 9) Le 4 octobre 1830, dix
jours après les journées victorieuses de Bruxelles des 24, 25 et 26 septembre,
le Gouvernement Provisoire qui, de sa propre autorité, avait pris en mains les
destinées de
I. Les provinces de
II. Le Comité central s'occupera au plus tôt d'un projet de Constitution.
III. Un
Congrès national où seront représentés tous les intérêts des provinces sera
convoqué. Il examinera le projet de
Constitution, le modifiera en ce qu'il jugera convenable et le rendra comme
Constitution définitive, exécutoire dans toute
Au
moment où il prenait ces amples résolutions qui affirmaient sa volonté d'instaurer
au plus vite une légalité nouvelle, le Gouvernement Provisoire, surgi derrière
les barricades de la capitale, n'était même pas encore maître de tout le pays.
2. La convocation du Congrès national et la question du cens
Le 11
octobre, un arrêté du Gouvernement Provisoire décida que le Congrès national —
ce nom, d’origine américaine, a été légué à la Révolution de 1830 par la
Révolution Brabançonne — serait composé de deux cents députés et que ceux-ci
seraient élus directement par le corps électoral, ce qui était une nouveauté. (page 11) La qualité d’électeur fut
conférée d’abord aux citoyens payant un cens variant de 13 à 150 florins
d’après les localités. Le Gouvernement Provisoire donnait, en somme, le droit
de suffrage à ceux qui, sous le régime hollandais, étaient simplement appelés à
former les assemblées primaires. Comme le temps faisait défaut et que
l’administration était désorganisée, il s’abstint sagement de toucher aux
autres dispositions de la loi électorale en vigueur. C’est ainsi que l’on
exigeait des électeurs des campagnes un cens plus élevé que de ceux des villes.
Le décret ajoutait pour la première fois à la masse des électeurs censitaires
des électeurs capacitaires : magistrats, avocats, notaires, officiers du grade
de capitaine au moins, titulaires de diplômes universitaires, ministres des
différents cultes. L’âge de l’électorat et de l’éligibilité fut fixé à
vingt-cinq ans, ce qui ouvrait tout juste à un des rédacteurs de l’arrêté,
Jean-Baptiste Nothomb, l’entrée du Congrès.
Le
décret du 11 octobre ayant suscité de vives protestations, le Gouvernement
Provisoire décida, le 16 octobre, d’élargir encore le corps électoral en
abaissant de moitié le cens exigé dans les campagnes. Pour une population de
trois millions et demi d’habitants, il y eut à peu près 46.000 électeurs, dont
38.429 censitaires et 7.670 capacitaires. Personne ne songea sérieusement à
instaurer le suffrage universel. L’opinion commune voyait dans l’électorat une
fonction bien plus qu’un droit ; le cens était considéré non comme un privilège
de la fortune, mais comme une garantie de l’indépendance de l’électeur, tandis
que l’instruction apparaissait comme une garantie de ses lumières. On était
trop près des excès de la Révolution Française pour ne pas redouter l’appel aux
masses. La classe moyenne, qui avait pris une part prépondérante dans
l’opposition légale avant l’insurrection, ressaisissait sans effort et sans
lutte la direction du mouvement politique.
Le
détail des opérations du scrutin fut réglé par un arrêté du 12 octobre: le vote
aurait lieu au chef-lieu (page 12)
d'arrondissement par bulletins secrets, chaque électeur ayant le droit de
porter sur sa feuille autant de noms qu'il y aurait de sièges à conférer. Pour
être élu au premier tour, la majorité absolue était requise ; un ballottage
départagerait ensuite les candidats ayant réuni le plus de voix. Des députés
suppléants seraient élus en nombre égal à celui des députés effectifs. Les
élections, fixées au 27 octobre, furent reportées au 3 novembre et le Congrès
fut convoqué pour le 10.
3. L’isolement de Louis de Potter
Louis De Potter, simple agitateur qui jouissait, depuis son exil, d'une
popularité aussi vive qu'elle fut éphémère, avait, au sein du Gouvernement
Provisoire, essayé de s'opposer à la réunion immédiate d'une assemblée
souveraine. S'il avait bel et bien perdu à Paris le sens des réalités
nationales, il s'y était initié aux vraies traditions révolutionnaires qui
veulent que celui qui a pu s'emparer un jour du pouvoir le garde le plus
longtemps possible sans partage. Louis De Potter
estimait que le Gouvernement Provisoire n'avait qu'à prolonger son règne de
manière à provoquer un glissement à gauche suivi de la proclamation de la
république et d'une guerre générale des peuples contre les rois. « J'essayai,
écrivit-il plus tard dans sa célèbre Lettre à mes Concitoyens, de
retarder l'élection de quinze jours. Je disais : l'opinion se formera, se
manifestera, les choix seront plus épurés, plus prononcés.» Il aurait voulu
trancher dans le vif avant la réunion d'une assemblée de députés qu'il
pressentait « aussi timides que consciencieux ». Ce beau programme n'était
pas fait pour séduire les autres membres du Gouvernement Provisoire. Le comte
Félix de Mérode, notamment, y était résolument opposé. La présence au pouvoir
de ce grand seigneur signifiait nettement que l'élément conservateur, qui avait
l'oreille de l'opinion après tant de convulsions politiques, entendait, limiter
au minimum les conséquences sociales de la chute du royaume des Pays-Bas. Ses
collègues, comme lui-même, n'ignoraient pas que l'autorité qu'ils avaient prise
n'avait pas eu le temps de s'affermir et que la bourgeoisie en général (page 13) était restée attachée à la
plupart de ses anciens mandataires aux Etats Généraux et aux Etats Provinciaux,
demeurés beaucoup plus populaires que ne l'étaient devenus les hommes nouveaux.
4. L’absence de véritable campagne électorale
Les trois semaines qui s'écoulèrent entre le décret du Gouvernement
Provisoire sur les élections et les élections mêmes, ne se prêtèrent pas à
l'organisation d'une vraie campagne électorale. Le mois d'octobre 1830 tout
entier n'est que le prolongement des Journées de Septembre. Le pays est dans
une agitation intense. Partout, les garnisons royales, décimées par la
désertion en masse des miliciens belges, sont contraintes de disparaître ou de
se rendre. Les couleurs brabançonnes, qu'on avait presque oubliées, volent de
clocher en clocher, et les foules en délire se laissent aller à cet
attendrissement patriotique dont les nouvellistes de l'époque ne se lassent pas
de peindre les élans. S'il y a des orangistes influents à Gand, à Anvers, à
Liége, à Verviers, ils se terrent, car on n'entend nulle part de note
discordante. Les dons affluent à Bruxelles ; les villages les plus reculés des
Flandres envoient de la poudre, des armes, de la charpie, des vivres, de
l'argent. Les communes adhèrent de toutes parts au nouveau pouvoir et l'on peut
encore lire dans les archives les adresses manuscrites où les notables des
campagnes, d'une écriture malhabile, expriment en termes d'une touchante
simplicité leur patriotisme et leur fidélité. Ils s'adressent au Gouvernement
Provisoire, encore si mal assis, comme à une autorité depuis longtemps
reconnue, et d'aucuns vont jusqu'à user envers ces révolutionnaires qui bravent
l'Europe, de toutes les richesses du vieux formulaire protocolaire.
Les jours se suivent dans la fièvre. Les agents du régime nouveau prennent
possession de leurs fonctions dans les Hôtels de ville, les Palais de justice,
les Gouvernements provinciaux, les Commissariats de districts. Les
administrations centrales renouent le contact avec leurs services dispersés.
Sur les grand-routes se pressent courriers, diligences, chaises de poste, et, (page 14) à leur suite, des nouvelles
aussi effrayantes que contradictoires s'égrènent le long du chemin. On se bat
aux lisières de
Parmi le personnel nouveau qui accède aux premières places dans
l'administration et dans l'armée, il y a, à côté d'hommes de valeur qui ont
saisi leur chance, des intrigants et des aventuriers toujours prêts à se
faufiler au milieu des patriotes.
Le chômage, suite inévitable d'une crise révolutionnaire, étend bientôt ses
ravages dans les régions industrielles. La classe ouvrière gronde, et, à la fin
d'octobre, au moment où l'on procède au renouvellement des régences
municipales, des troubles graves éclatent dans le Hainaut. Quelques jours plus
tard, le bombardement d'Anvers par le général Chassé, enfermé dans la
citadelle, vient jeter l'effroi dans le pays entier.
II n'est donc pas étonnant que les élections pour le Congrès n'aient pas eu
le caractère d'une lutte d'idées. Nulle part on n'assista à un duel entre
candidats affichant des programmes différents. Les élections furent une
occasion de plébisciter des notabilités investies de la confiance publique,
soit qu'elles aient été mises en vedette au cours des derniers événements, soit
qu'elles appartinssent déjà au groupe catholique ou au groupe libéral uni dans
l'opposition. On voulait fonder de commun accord un régime d'ordre et de
liberté, pratiquer loyalement le système parlementaire, fonder un Etat nouveau
dégagé des entraves du passé. Les divergences de vues sur les questions qui,
plus tard, devaient alimenter nos querelles intérieures, glissèrent absolument
au second plan. La majorité qui élit à Liége des catholiques aussi convaincus
que Gerlache et Raikem laissait passer en même temps des libéraux comme Rogier
et Leclercq. Point de listes homogènes ni de tendances exclusives.
(page 15) Les Orangistes
s'abstinrent de toute démarche. Ils ne présentèrent pas de candidature avouée,
mais appuyèrent, là où ils le purent, des candidats qui, sans vouloir le
rétablissement de l'ancien ordre des choses, étaient disposés à chercher un
compromis. L'appel au trône du prince d'Orange, fort populaire en Belgique,
semblait à nombre de gens raisonnables un moyen de satisfaire la nation et de
sauvegarder l'avenir. Mais le bombardement d'Anvers du 27 octobre détruisit
toutes ses chances. Les candidats, d'ailleurs, n'avaient pas eu le loisir,
faute de temps, de donner beaucoup de précisions sur leur programme.. On ne
songeait pas, au surplus, à leur imposer de mandat impératif, car l'avenir
recelait trop d'inconnues. Le régime parlementaire, paré alors de tout
l'attrait de la nouveauté, paraissait impliquer avant tout de la confiance.
Aussi, les circulaires adressées aux électeurs par les candidats sont-elles
fort brèves, comme on pourra en juger par quelques exemples. M. de Robaulx, de
Philippeville, qui allait représenter au Congrès les idées avancées, se borne,
dans sa déclaration, à préconiser « la création d'une forme de gouvernement la
plus populaire et la plus économique possible et qui soit appropriée à l'état
et aux lumières du pays » (Courrier
des Pays-Bas, 24 octobre 1830). Il insiste surtout sur la diminution
des dépenses publiques. M. Van Meenen, un jacobin
désabusé de Louvain, déclare : « Mes principes, ma conduite, mon caractère, mes
sacrifices à notre belle cause sont connus depuis longtemps. Je ne les
démentirai point. J'aime la république, mais je suis intimement convaincu que
c'est la monarchie constitutionnelle représentative qui convient à notre
situation intérieure et à nos rapports extérieurs et je tiens que, pour
gouverner les Belges, il faut être Belge de naissance, d'éducation, de mœurs et
de sentiments. » (Courrier des Pays-Bas,
1er novembre 1830). Jean-Baptiste Nothomb, que
Durant les derniers jours d'octobre, les régences municipales arrêtent les
listes d'électeurs et en font l'affichage tant bien que mal. Des réunions ont
lieu, çà et là, pour préparer les candidatures, mais les yeux sont fixés sur la
frontière, où on se bat, sur Anvers où fument les décombres, sur Bruxelles,
cœur et cerveau du pays, que les combats ont douloureusement marqué. Le
mercredi 3 novembre, les électeurs se rendent en foule aux chefs-lieux
d'arrondissement, et malgré le peu de jours qui s'étaient écoulés depuis la fin
de la lutte pour l'indépendance, les opérations se déroulent partout dans un
ordre parfait. On voit pêle-mêle des négociants, des propriétaires, des
avocats, des ecclésiastiques, des gens du monde, des fermiers. Les membres du
clergé qui ont joué un rôle très influent dans le mouvement de résistance qui a
précédé la (page 17) Révolution,
mais qui n'ont généralement pas pris une part directe à celle-ci, se rallient
avec ensemble au pouvoir nouveau qui leur promet les libertés qu'ils réclament
; ils forment une partie notable du corps électoral capacitaire et ils
disposent, dans les arrondissements ruraux, d'un nombre de voix important par
rapport à celui des autres non censitaires. Dans l'ensemble, il est permis de
croire, d'après les chiffres partiels donnés par les statistiques, que les deux
tiers des inscrits sont venus voter. La proportion des votants, très forte dans
les petits arrondissements des Flandres, est au contraire très faible dans la
province d'Anvers : 328 sur 373 à Dixmude, 434 sur 494 à Roulers, 759 sur 874 à
Courtrai, 479 sur 2217 à Anvers, 738 sur 1455 à Malines.
5. Le résultat des élections
Comment se fit la répartition des suffrages entre les élus? Les électeurs,
moins ardents que les hommes en blouse, favorisèrent de leurs votes les
personnalités qu'ils connaissaient de longue date au détriment des hommes
nouveaux. Ainsi, à Bruxelles, M. Kockaert, un avocat
qui n'avait pris qu'une part minime à
Sur les deux cents élus, dix membres effectifs et vingt-huit membres
suppléants refusèrent le mandat (page 18)
qu'ils avaient obtenu, le plus souvent sans l'avoir sollicité. L'élection du 3
novembre 1830, si régulière dans la forme, si extraordinaire par les
circonstances, est une journée décisive dans l'histoire de
6. Cohérence du choix des électeurs
Le choix auquel ont concouru environ 30.000 électeurs apparaît bien comme
l'expression de la volonté nationale. Les élus ont conscience de représenter ce
peuple belge au nom. duquel le Congrès rendra bientôt ses décrets. Le
Gouvernement Provisoire, en les convoquant en assemblée, s'est donné un maître
sûr de sa propre légitimité. Dans l'élection du Congrès, on ne découvre ni
coups de force, ni coup de Jarnac, ni brigues, ni fraudes. Le corps électoral
restreint qui est allé aux urnes, vibre à l'unisson de tout le pays et exprime
bien les vœux des 400.000 pétitionnaires de 1829. Il a envoyé à Bruxelles, pour
délibérer et pour agir, quelques hommes d'un talent supérieur et une forte
majorité de gens sages, désireux de bien faire, animés d'un grand désir de donner
à leur pays qui a tant souffert depuis quarante ans, le bonheur calme auquel il
aspire. Après la domination française qui fit peser sur
C'est ainsi qu'aux accents de