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COMPLOT ET ATTENTAT CONTRE LA SURETE DE L’ETAT (CONSPIRATION DES PANIERS-PERCES)

ACTE D’ACCUSATION

 

(Extrait du Moniteur belge n°59, du 28 février 1842)

Le procureur général près la cour d’appel de Bruxelles expose que la cour, par arrêt du 19 janvier 1842, a renvoyé devant la cour d’assises de la province de Brabant, les nommés :

1° Auguste-Louis-Nicolas Vandermeere, âgé de 45 ans, général-major en disponibilité de service, né à Bruxelles et domicilié à Postel ;

2° Jacques-Dominique Vandermeere, âgé de 53 ans, ex-général, actuellement sans profession, né et demeurant à Bruxelles ;

3° Jean-Pierre Parys, âgé de 53 ans, intendant de la gendarmerie, né et demeurant à Bruxelles ;

4° Joseph-Henri Vandersmissen, âgé de 40 ans, négociant, né à Bruxelles et demeurant à Etterbeek 

5° Egide-François-Mathieu-Marie Crehen, plus connu sous le nom de De Crehen, âgé de 32 ans, militaire pensionné, né et demeurant à Bruxelles ;

6° Pierre-Joseph Parent, âgé de 37 ans, ex-colonel de volontaires, né à Tongres et demeurant à Bruxelles ;

7° Pierre-Alexandre Verpraet, âgé de 24 ans, né à Charleroy, ex-caporal au 1er régiment de chasseurs à pied ;

8° Louise-Catherine Colleton-Graves, femme de Jacques-Dominique Vandersmissen, âgé de 49 ans, née à Devon, comté de Devon, en Angleterre, et demeurant à Bruxelles ;

9° Isidore-Charles-Richard Van Laethem, âgé de 29 ans, ex-officier, né à Bruxelles et demeurant à Ixelles ;

Accusés des crimes prévus par les articles 87, 88, 89, 90, 91 et 60 du Code pénal.

En conséquence, le procureur général soussigné a rédigé le présent acte d’accusation; par lequel il expose, qu’il résulte des pièces du procès, les faits et détails suivants :

Depuis le traité de paix du 19 avril 1839, la Belgique, placée au rang des pays indépendants, reconnue comme tel par toutes les grandes puissances et par la Hollande elle-même, devait se croire à l’abri de ces tentatives de restauration qui avaient signalé les temps où sa nationalité était encore contestée. De telles entreprises, repoussées par l’immense majorité des Belges, réprouvées par l’Europe entière, et formellement désavouées par le gouvernement des Pays-Bas, ne présenteraient sans doute aujourd’hui aucune chance de réussite, mais elles n’en causeraient pas moins une perturbation très grave en armant les citoyens les uns contre les autres, et en provoquant le massacre, l’incendie et le pillage.

Des conséquences aussi déplorables n’ont pas arrêté des hommes qui, mécontents de leur position, perdus de dettes, ou attachés d’une manière plus ou moins ostensible à la maison d’Orange, fondaient sur un changement de gouvernement l’espoir d’un meilleur avenir pour eux-mêmes. Deux de ces hommes appartenant à la Belgique par leur naissance et par la position qu’ils occupent dans l’armée le général en disponibilité, comte Vandermeere, et l’intendant de la gendarmerie Parys, ont osé s’associer à un ancien conspirateur de 1831, à l’ex-général Vandersmissen, pour détruire ce que la révolution de Septembre et le voeu national avaient fondé, ce que la diplomatie européenne avait sanctionné, ce que la Hollande elle-même avait reconnu.

Pour lever l’étendard de la révolte, il fallait des armes et des munitions; il fallait chercher à ébranler la fidélité du soldat, il fallait recruter des hommes propres à soutenir un coup de main. De Crehen, commandant des blessés de Septembre, attaché par certains rapports à M. de Beaumont, artificier du Roi, pouvait à ce double titre et mieux que tout autre, acheter des armes et des munitions, sans éveiller l’attention publique; on eut donc accours à lui. Parent, ancien chef des volontaires, Van Laethem, qui avait fait la guerre en Portugal avec la légion belge, Verpraet, ex-caporal au 1er régiment de chasseurs à pied, étaient en position de recruter dans l’armée et hors de l’armée les hommes qui auraient pu faire un mouvement révolutionnaire. Cette tâche leur fut donc attribuée, et ils se mirent en devoir d’associer à une entreprise qui devait procéder par le pillage et l’incendie, comme nous le verrons plus tard, tous ceux qui ne reculeraient point devant de pareils moyens.

Décidés à commettre des actes aussi coupables, les accusés n’avaient pas même pour excuse un prétendu motif d’intérêt public. Ils n’étaient poussés au crime que par des considérations personnelles, par des embarras financiers, par une misère profonde ou par une ambition déçue. C’est ainsi que nous voyons figurer parmi eux l’ancien général Vandersmissen, qui ne pouvait regagner que par une révolution, le titre et les honneurs qu’une première conspiration lui avait fait perdre; le général Vandermeere, qui croyait peut-être avoir à se plaindre de sa mise en disponibilité, et qui était dans une position tellement  gênée, que son receveur avait dû lui faire des avances considérables, et que lui-même laissait en souffrance de petites dettes de 100, 200 et 500 francs; enfin les nommés De Crehen et Parent, dont la profonde misère est pleinement établie au procès, puisque le premier réclamait à la dace du 9 septembre, une modique somme de vingt francs pour pouvoir se procurer ce qui lui était nécessaire pour soigner une blessure qui venait de se rouvrir, tandis que l’autre mendiait à la même époque un secours de 250 francs, et qu’il écrivait à M. le ministre de l’intérieur « … qu’il se trouvait dans un état de besoin difficile à décrire;… qu’il se trouvait dans la dernière des misères..., que si le ministre n’avait pas la bonté de prendre une décision immédiate (avant deux fois 48 heures) il serait obligé de vendre le peu d’effets qui lui restaient pour s’alimenter, ce qui prouve évidemment, disait-il, que cette demande n’était faite qu’à la dernière des extrémités. »

Vers le milieu du mois d’août dernier, Vandermeere, qui se trouvait au café des Mille-Colonnes à quelque distance de M. l’avocat Jottrand, s’approcha de ce dernier, se mit à l’entretenir du mécontentement qu’il disait exister dans le pays et dans l’armée; il lui déclara que « beaucoup de monde pensait que le roi Guillaume Il, ancien prince d’Orange conviendrait au gouvernement de la Belgique, maintenant ne son père était retiré des affaires. » M. Jottrand lui fit à cet égard quelques objections; mais elles n’empêchèrent point l’accusé de maintenir l’opinion qu’il venait d’énoncer.

Quelques jours après, le docteur Feignaux demanda à M. Jottrand s’il avait entendu parler d’un projet de restauration orangiste qui semblait se tramer dans le pays; il assura que la chose était bien réelle. M. Feignaux a encore parlé dans le même sens à deux autres témoins; il a même demandé à l’un d’eux ce qu’il ferait en pareille occurrence, et il lui adit qu’il s’agirait de prendre le dessus.

Vers le 2 ou le 3 du mois de septembre, un habitant du Limbourg cédé, raconta à M. Jottrand que le roi Guillaume II devait nourrir la même opinion si on en jugeait par certains propos qu’il aurait tenus publiquement lors de sa tournée toute récente dans cette province; enfin M. Jottrand s’assura par lui-même, en parcourant du 22 au 29 septembre la partie cédée du Luxembourg, qu’on s’y attendait généralement et pour une époque assez prochaine, à une restauration orangiste en Belgique. Certaines personnes attribuaient même à l’attente de cet événement, la suspension de la ratification du traité d’union douanière qui venait d’être conclu entre la Prusse et le Grand-Duché.

En cherchant de son côté à accréditer cette opinion, en la soutenant même avec insistance, le général Vandermeere préludait au complot qui devait bientôt se manifester par des faits, et dont il devait être un des principaux artisans.

A la fin du mois d’août, ou dans les premiers jours de septembre, l’ex-général Vandersmissen rencontra le major pensionné Desaeger. Il l’accosta et lui dit : « Vous êtes toujours dans la même position, mais cela changera sous peu, et cela a une queue, une queue. » Dans une autre entrevue il lui dit encore: « Nous allons les mettre à leur place, ce sera notre tour et vous commanderez la place de Bruxelles, aussi sûr que vous tenez la canne à la main. » Il finit une autre fois par lui donner cinq pièces de dix florins, que Desaeger a remises au juge d’instruction, et qui devaient servir à faire boire les hommes qu’il enrôlerait.

Vers la même époque, Joseph Vandersmissen rencontra également le major Desaeger près de l’estaminet de la Cour de Rome; il l’entraîna dans un petit chemin pour lui confier quelque chose. « Il est question, lui dit-il alors, d’une révolution, de bouleverser le gouvernement, de tenir le roi et la reine prisonniers, et, chacun de notre côté, nous devons tâcher de gagner du monde; vous avez à vous plaindre, c’est le moment de vous venger. »

Plus tard, à la date du 25 septembre, Joseph Vandersmissen s’est expliqué d’une manière encore plus formelle en présence du major Desaeger et du docteur Demoor : « Le canon grondera demain à Bruxelles, leur disait-il; il y aura demain soir un mouvement dans le Parc. Les républicains se sont réunis aux orangistes; demain on proclamera soit Guillaume Il, soit la république; les hommes les plus honorables et les plus influents sont à la tête. » Il ajouta que tout bon patriote devait aider à ce mouvement parce que le pays était plus heureux sous l’ancien gouvernement qu’aujourd’hui, et que le prince d’Orange avait toujours aimé les Belges.
Tandis que les frères Vandersmissen tenaient de semblables discours aux deux personnes que nous venons d’indiquer, l’ex-général Vandersmissen et le général Vandermeere s’expliquaient dans le même sens vis-à-vis du major Kessels.

Arrivé à Bruxelles le 25 septembre, le major Kessels avait rencontré l’ex-général Vandersmissen sur la Place Royale, vers midi. Ce dernier lui parla longuement de l’injustice qu’il prétendait que le gouvernement lui avait faite, et le conduisit chez l’intendant Parys où se trouvait le général Vandermeere; on commença à s’entretenir du malaise de l’industrie et du commerce, et des négociations commerciales avec la France, qui prenaient une mauvaise tournure. Vandersmissen et Vandermeere (Parys était alors dans une chambre voisine)disaient que le pays ne pouvait pas continuer à exister sans débouchés, que le peuple était très mécontent ainsi que l’armée, à cause du grand nombre de passe-droits que l’on avait faits au choix. Vandermeere ajouta : « J’ai la conviction qu’il n’y a qu’un seul moyen de tirer le pays de ce mauvais pas: c’est de faire un mouvement en faveur du roi des Pays-Bas, Guillaume II; cette conviction est partagée par la grande majorité du pays, notamment par tous les industriels de Gand, Liège et les négociants d’Anvers et de Louvain; les industriels du Hainaut partagent la même opinion; quant au traité avec la France, on n’en obtiendra jamais aucun résultat; ce que nous voulons, ce n’est pas une réunion complète des deux pays, mais la réunion sous le même sceptre avec des administrations séparées. »

Ils dirent à ce sujet qu’après avoir délibéré si le mouvement se ferait sous le drapeau orange ou sous le drapeau tricolore belge, ils s’étaient décidés pour ce dernier, de crainte que la vue du drapeau orange ne produisit mauvais effet sur le peuple, et n’empêchât la réussite de leurs projets. Ils ajoutèrent que, par suite de la séparation administrative, l’armée belge resterait entière et qu’aucun Hollandais n’y serait admis.
Le major Kessels leur fit à cet égard de nombreuses objections ; il leur démontra qu’en supposant qu’ils parvinssent à se rendre maîtres de Bruxelles par surprise, ils auraient contre eux le reste du pays, et notamment les places fortes; que si, contre toute attente, ils pouvaient avoir un succès momentané dans le pays , il n’était pas douteux que le gouvernement français n’intervint en envoyant un corps d’armée au secours du gouvernement belge; que, par conséquent, leur projet n’aurait d’autre résultat que d’amener la guerre civile. Mais ils répondirent que la France, occupée de ses frontières d’Espagne, ne pouvait pas intervenir; que, les puissances alliées à la Hollande ne manqueraient pas de seconder le mouvement, et que d’ailleurs on pouvait compter sur l’armée du Hainaut commandée par le général Daine; que ce général s’était engagé à marcher sur Bruxelles avec sa division dès qu’il aurait été averti que le mouvement avait réussi dans la capitale, et qu’arrivant en deux étapes à Bruxelles, il y appuierait le gouvernement de fait qu’il y trouverait établi; sur de nouvelles observations, Vandermeere ajouta qu’il connaissait la position gênée du général Daine, et qu’il était sûr de sa coopération aux conditions qu’on lui avait offertes.

Le major Kessels a maintenu cette déclaration en présence de Vandermeere et Vandersmissen, qui ont nié tous les propos qu’on leur attribue. Vandermeere a même prétendu ne pas se souvenir d’une entrevue qu’il aurait eue avec lui chez Parys; mais cette dénégation ne peut être que mensongère, puisque les propos rapportés par Kessels, quant à la résolution d’effectuer une restauration orangiste, s’accordent parfaitement avec ceux que nous rapportent MM. Desaeger et Demoor, bien qu’il leur fût impossible, en déposant les 5 et 11 novembre, de prévoir ce que Kessels viendrait déclarer à la justice trois semaines plus tard, comme il était impossible au major Kessels de savoir le 2 décembre ce que MM. Desaeger et Demoor avaient déclaré trois semaines auparavant.

Il en est de même des propos relatifs au général Daine, puisque de Crehen s’était exprimé dans le même sens, le 28 du mois d’octobre, en offrant à un réfugié polonais de le mettre en rapport avec les généraux Vandermeere, Vandersmissen et Daine pour opérer une restauration en faveur de Guillaume Il, et en lui disant que Daine marcherait avec sa division sur Bruxelles. Il a répété la même chose dans son quatorzième et son quinzième interrogatoires, et cette parfaite concordance entre deux hommes qui ne s’étaient pas vus, qui n’avaient pu se concerter pour attribuer à Vandermeere et Vandersmissen les propos qu’ils rapportent l’un et l’autre de la même manière, prouve évidemment que ces propos doivent avoir été tenus. La déclaration du major Kessels se trouve donc pleinement justifiée, et elle démontre déjà à la date du 25 septembre et dans le chef de Vandermeere et Vandersmissen, une résolution arrêtée de renverser le gouvernement et d’opérer une restauration orangiste. Cette résolution, ainsi que nous l’avons vu, résultait également pour les deux frères Vandersmissen des rapports qu’ils avaient eus avec MM. Desaeger et Demoor.

D’après ce que Joseph Vandersmissen lui avait dit, le mouvement devait éclater le dimanche des fêtes de septembre; mais il fut alors ajourné. Desaeger lui en demanda la cause, et Vandersmissen lui répondit que l’affaire n’avait pas lieu parce qu’il y avait eu contre-ordre, et parce que le roi de Hollande désirait que cela fût remis. Le major Desaeger a déclaré également qu’après les fêtes de Septembre M. Vandenplas lui avait dit qu’on n’attendait plus que l’ordre de commencer, de la Hollande, et que cet ordre pouvait venir aussi vite que le contre-ordre était venu.

Pour faire croire davantage à la possibilité du succès, Vandermeere a dit un jour au major Kessels que le roi de Hollande, Guillaume II, avait donné sa parole de chevalier, que si le gouvernement transitoire l’appelait au trône de la Belgique, il se rendrait le lendemain â Bruxelles.

Dans les premiers jours du mois d’octobre, de Crehen se rendit à Anvers chez le sieur Van de Leemputte, fondeur-mécanicien, pour y marchander deux pièces de canon en bronze, de six centimètres de calibre, ces deux pièces étaient sur affûts; le prix en fut fixé à 4,800 francs. De Crehen revint le 13 du même mois en disant qu’il fallait pour chaque pièce un levier et un petit seau, il revint encore le 16, tira de son portefeuille deux billets de banque de 100 francs qu’il remit au sieur Van de Leemputte, à-compte du prix d’achat, en disant qu’il devait se rendre le même jour à Liége, et qu’il reviendrait le surlendemain pour prendre livraison des deux pièces de canon; mais il ne reparut que le samedi 23. Il compléta alors la somme de 1,800 fr. au moyen de deux billets de banque, l’un de 1,000 fr. et l’autre de 500 francs, et il paya le surplus en pièces de 10 florins. Il recommanda en même temps au sieur Van de Leemputte de faire partir les canons pour Bruxelles par le chemin de fer, et de les adresser bureau restant, à M. de Beaumont, artificier du roi. Ils furent remis le même jour à la station d’Anvers, mais ils n’arrivèrent à Bruxelles que le dimanche soir, 24 octobre.

La veille, vers six heures du soir, de Crehen s’était déjà présenté à la station de Bruxelles, avec une voiture à déménagement du sieur de Wallens, pour y prendre les deux pièces de canon; il y revint le dimanche matin, pour s’informer si elles étaient arrivées, et il tira de sa poche dans un cabaret voisin où il payait à boire à un officier de police du chemin de fer, un rouleau de 60 à 80 guillaumes, lui qui était réduit, dans les premiers jours de septembre, à mendier un secours de 20 francs. Les canons étant enfin arrivés le dimanche soir, De Crehen vint les prendre avec la même voiture de déménagement, le lundi 25, vers sept heures du matin, et il les fit porter au local des blessés de Septembre, rue des Sols, où il les déposa dans un grenier.

Tandis que De Crehen allait acheter les canons à Anvers, Vandermeere expédiait à Liége le commis de l’intendant Parys, pour y chercher le major Kessels. Celui-ci arriva à Bruxelles le 12 ou le 13 octobre; il se rendit chez Vandermeere, qui le reçut très-froidement, et qui lui dit « Major, je dois vous apprendre que nous sommes informés que pendant la journée du 26 septembre, vous avez été trois fois au ministère de la guerre, et que vous avez mis le ministre au courant de ce que nous vous avons dit. » Cette accusation était fausse, puisque le major Kessels n’avait signalé à M. le ministre qu’un fait qu’il ne tenait point des accusés, et dont nous parlerons plus tard.

Il n’eut donc pas de peine à se justifier aux yeux de Vaudermeere, et celui-ci l’engagea à ne pas rompre avec eux, en lui disant qu’il aurait lieu d’être satisfait. Il lui offrit même la place de colonel d’artillerie et cent mille francs pour entrer dans le complot.

Le lendemain vers midi, le major Kessels se rendit chez Parys où se trouvait Vandermeere; la conversation recommença sur la politique; Vandermeere dit à ce sujet que leur plan était assuré, et que la conspiration avait de nombreuses ramifications dans l’armée. Sur les observations du major qu’ils se faisaient illusion, et que la garnison de Bruxelles suffisait pour comprimer l’émeute, Vandermeere répliqua « Nous aurons d’abord soin de nous emparer du ministre de la guerre, du commandant de place Stroykens et du major Lahure; ceux-ci étant une fois en notre pouvoir, le reste se fera facilement. »

Vandermeere lui a encore dit à la même époque qu’il voulait s’emparer de l’encaisse des banques et en donner un reçu, parce que c’était une arme trop dangereuse entre les mains de l’ennemi, et parce qu’il avait d’ailleurs besoin de ces fonds pour faire face aux dépenses que nécessiterait le nouveau gouvernement. Il se proposait, disait-il, de donner plus tard un compte détaillé de l’emploi de cet argent.

De Crehen, qui ne savait pas ce que le major Kessels avait déclaré ou déclarerait à la justice, a fait des révélations analogues.

Dans son premier interrogatoire, il a représenté Parys comme ayant pris une part très active au complot. D’après ce même interrogatoire, l’ex-général Vandersmissen lui avait dit le dimanche des fêtes de Septembre qu’il comptait sur lui et sur les blessés qu’il commandait, pour soutenir le mouvement qui devait éclater le soir, et qui serait appuyé par la nation; plus tard, il était venu lui dire que l’affaire serait remise parce qu’ils n’étaient pas en mesure; le 27 ou le 28 septembre, il l’avait envoyé chez Vandermeere, pour s’entendre avec lui; Vandermeere lui avait dit alors que l’état du pays exigeait un changement de gouvernement qui replaçât la Belgique sous le sceptre d’un des fils du prince d’orange, en conservant notre constitution et notre drapeau, et en nous liant à la Hollande par un traité intime; il lui avait promis en même temps le grade de colonel, le commandement de l’artillerie à Anvers, et des décorations s’il voulait coopérer à la réussite du projet; il lui avait aussi donné, dans le même but, trente pièces de dix florins.

Dans son dixième interrogatoire, De Crehen a déclaré qu’il s’était trouvé chez Vandermeere, cinq ou six jours avant son arrestation, avec Parys et une autre personne; que Parys insistait pour que l’on commençât de suite, en disant qu’il fallait profiter du moment où le Roi était à son château d’Ardennes; que Vandermeere répondit qu’on n’était pas en mesure,que les ouvriers de Gand avaient en ce moment assez d’ouvrage, et qu’il fallait attendre jusqu’à ce qu’ils fussent dans une position plus ou moins critique. Il a déclaré encore, dans le même interrogatoire qu’un autre jour Parys et Vandermeere avaient dit en sa présence que les puissances verraient avec plaisir la Belgique soustraite à l’influence de la France, et que si celle-ci s’avisait d’intervenir à main année en faveur du gouvernement belge, la Prusse et les autres puissances s’y opposeraient. Sur l’observation de De Crehen, que ce plan amènerait nécessairement la guerre générale, ils répondirent que c’était là le désir de l’Europe. Ils ajoutèrent encore que les beaux résultats de l’exposition ne mèneraient à rien, si nous n’avions pas de débouchés, tandis qu’avec la Hollande nous profiterions de ses colonies.

Ces propos, rapprochés de ceux qui nous sont attestés par MM. Desaeger, Demoor et Kessels, démontrent clairement dans le chef des frères Vandersmissen, de Parys et de Vandermeere, la résolution bien arrêtée de renverser le gouvernement et d’opérer une restauration orangiste; et cette preuve est d’autant plus forte, que Desaeger, Demoor, Kessels et De Crehen n’avaient pu s’entendre à cet égard, et qu’il serait physiquement impossible qu’ils eussent parlé tous quatre dans le même sens, si les propos qu’ils rapportent n’avaient pas été réellement tenus. L’ex-général Vandersmissen a d’ailleurs manifesté les mêmes intentions au nommé Dewever, qu’il avait attiré chez lui à l’époque des fêtes de septembre,sous prétexte de lui donner des secours, et à qui il demanda quelques jours après s’il ne connaissait personne sans ouvrage pour renverser l’Etat et combattre le roi. Vandersmissen lui avait dit alors qu’il y avait beaucoup de fusils à Ixelles au local d’hiver de la garde civique; et cette circonstance, de même que la grande facilité de s’emparer des fusils en question, ont été pleinement vérifiées au procès.

Mais alors même que les accusés n’auraient fait connaître à personne leur but et leurs projets; alors même que le major Kessels et De Crehen n’auraient rien révélé à la justice, la résolution de tenter un mouvement révolutionnaire serait encore évidente par l’acquisition de deux pièces de canon que De Crehen a faite pour le compte des accusés, chez le sieur Van de Leemputte à Anvers; par l’achat qu’il a fait également, pour leur compte, de différents objets qui étaient nécessaires pour faire manoeuvrer ces deux pièces de canon, tels que sacs à étoupilles, sacs à charge, boîtes pour lances à feu, par la commande de 150 boulets et de 100 boîtes à mitraille, d’un calibre entièrement semblable à celui des deux pièces d’artillerie, enfin par l’acquisition de plus de 80 kilogrammes de poudre. A la vue de ce matériel et de ces munitions, il est évident que les pièces de canon n’avaient pas été achetées, comme De Crehen l’a déclaré dans le principe à quelques personnes, pour les fêtes de Tivoli ou pour des réjouissances publiques, mais qu’elles avaient été acquises par lui dans un but de destruction, dans un but révolutionnaire.

Ainsi que nous l’avons déjà dit, elles étaient arrivées à Bruxelles le dimanche soir 24 octobre, et elles avaient été transportées par De Crehen à l’ancien local des Finances, le lundi 25. Le concierge en informa le lendemain, 26 octobre, M. Levae, administrateur du fonds spécial des blessés de Septembre, qui fit immédiatement appeler De Crehen. L’accusé se présenta chez lui entre midi et une heure, et il soutint que ces canons appartenaient à M. de Beaumont, qui venait de tomber en faillite; que lui De Crehen était allé les prendre à Tivoli, de peur qu’ils ne fussent saisis par les créanciers, et que ne sachant où les mettre, il les avait déposes à l’ancien local des Finances, M. Levae n’en fut que plus décidé à ne pas les garder plus longtemps dans ce local, et il ordonna d’une manière bien expresse à l’accusé de venir les prendre le plus tôt possible.

Cet ordre avait été donné entre midi et une heure. Un peu après deux heures, Parys et Vandermeere vinrent prendre à la station des Augustins la vigilante à deux chevaux n’ 88, conduite par le nommé Adolphe Janssens. Ils dirent au cocher de les mener d’abord chez le banquier Salter, rue de la Pépinière, où ils descendirent tous deux, et où ils s’arrêtèrent environ dix minutes. Ils se firent conduire ensuite à l’ancien manége des Guides, boulevard de l’Observatoire, où ils descendirent également. L’ex-général Vandersmissen et De Crehen y arrivèrent bientôt après, le premier à pied et le second en vigilante. De Crehen n’y resta que quelques instants et repartit dans la voiture qui l’avait amené. Quant aux trois autres, ils y restèrent environ vingt minutes, montèrent ensuite tous ensemble dans la voiture de Janssens, et se firent conduire chez les frères Jones, carrossiers, rue de Laeken, où ils descendirent tous trois et s’arrêtèrent pendant environ un quart d’heure. De là Vandermeere et Vandersmissen se firent conduire à l’hôtel de l’Univers, et Parys à son domicile, Montagne de la Cour, n°53.

M. Salter n’était pas chez lui lors de la visite de Vandermeere et Parys. Ils s’adressèrent à son caissier, Joseph Bigwood, à qui Vandermeere demanda si son maître n’avait pas de maison à louer. Sur sa réponse négative, ils se retirèrent et se tirent conduire successivement, comme nous l’avons dit, à l’ancien manége des Guides et chez les frères Jones.

En entrant chez ces derniers, l’un des trois accusés leur dit qu’ils venaient réclamer un service important que les frères Jones ne pouvaient pas leur refuser, parce qu’ils se trouvaient au pied du mur; » qu’il leur fallait une remise qui pût contenir des objets assez volumineux, et surtout un emplacement sûr, où personne ne pût pénétrer. Les frères Jones ne pouvaient point satisfaire à cette demande, parce que leurs ouvriers ont accès à tous leurs magasins; mais comme ils étaient en marché avec le sieur Vandersmeersche pour la location d’un autre magasin, situé rue des Echelles, l’un d’eux se rendit immédiatement chez le propriétaire, à la demande des accusés, et il revint bientôt avec la clef de cet autre magasin. Ils demandèrent alors aux accusés à quel usage ils le destinaient; l’un d’eux répondit « qu’il s’agissait de deux pièces de canon qui joueraient bientôt de la clarinette; qu’un mouvement éclaterait à Bruxelles le dimanche suivant; que ce mouvement devait réussir; qu’il était temps que cela finit; que les ministres devaient faire l’ouverture du chemin de fer pour Jurbise, qu’on se serait emparé d’eux et que le coup était immanquable ; que les canons se trouvaient actuellement à l’ancien hôtel des Finances et que M. Levae exigeait impérieusement qu’ils fussent enlevés sans délai, ce qui pourrait les compromettre. »

Tous ces faits ont été rapportés à la justice par les frères Jones, qui les ont confirmés en présence des accusés eux-mêmes, et leur déposition est importante sous plus d’un rapport: elle confirme en premier lieu les déclarations de MM. Kessels, Desaeger, Demoor et de l’accusé De Crehen, sur un mouvement révolutionnaire que les accusés organisaient à Bruxelles, elle prouve ensuite que les canons achetés à Anvers devaient servir à cette criminelle entreprise; elle démontre enfin que ces canons avaient été achetés pour compte de Parys, Vandermeere et Vandersmissen. Si en effet, ces accusés avaient été étrangers à cette acquisition, il devait leur importer fort peu que M. Levae consentît ou non à garder les deux pièces de canon au local des blessés de Septembre. C’était une affaire qui ne les regardait pas, dont ils n’avaient pas à s’occuper, dont ils ne devaient même avoir aucune connaissance. Leur démarche chez les frères Jones prouve donc évidemment que les canons étaient leur propriété, et que de Crehen les avait achetés et fait transporter à Bruxelles pour leur compte, d’autant plus qu’ils n’avaient pu apprendre que par De Crehen lui-même l’ordre si formel que M. Levae lui avait donné une heure auparavant. Aussi a-t-il déclaré dans son quatrième interrogatoire, qu’il avait acheté ces deux pièces de canon par ordre de Vaudermeere, et avec de l’argent que ce dernier lui avait donné; cette déclaration, pleinement confirmée par ce qui précède, se justifie davantage encore par la circonstance que Vandermeere avait donné rendez-vous à De Crehen, les deux fois que celui-ci est allé à Anvers pour conclure le marché et pour prendre livraison.

Lorsque De Crehen se trouvait à Anvers, le 16 octobre, il se rendit au café de l’Empereur, place de Meir, vers les 4 heures de l’après-midi pour y attendre, comme il l’a déclaré lui-même à un témoin qui nous le rapporte, un monsieur qui lui avait donné rendez-vous. Ce monsieur, qui n’était autre que l’accusé Vandermeere, arriva bientôt au café, et il emmena de Crehen de l’autre côté de la place de Meir, auprès d’une vigilante dans laquelle se trouvait Parys, et d’où Vandermeere lui-même venait de sortir. Parys, de son côte, a dû reconnaître qu’il s’était en effet trouvé à Anvers avec Vandermeere, dans le courant du mois d’octobre, et qu’en passant sur la place de Meir, un individu qu’il prétend ne pas connaître était venu parler au général. Celui-ci soutient au contraire qu’il n’a jamais été à Anvers avec Parys, et que s’il a rencontré De Crehen au café de l’Empereur, c’était par hasard, et en allant y chercher une autre personne qu’il n’indique pas.

Le 23 octobre, lorsque De Crehen se rendit chez le sieur Van de Leemputte pour faire expédier les canons, il se trouva encore à Anvers avec le témoin qu’il avait vu le 16, au café de l’Empereur, et il le quitta vers les quatre heures de l’après-midi, en lui disant qu’il allait à l’hôtel des Etrangers, où il devait trouver quelqu’un. Ce quelqu’un, qui ne tarda pas à arriver, était encore l’accusé Vandermeere, accompagné alors d’une autre personne. Ils se firent conduire successivement à la chambre n°13, qu’ils trouvèrent trop petite, et ensuite au n°22, et lorsqu’ils y étaient d’un moment, ils firent monter De Crehen qui se hâta de les rejoindre. De Crehen prétend que Vandermeere l’a présenté alors à la personne avec qui il se trouvait, et qu’il dit à cette personne « Je vous présente le commandant de l’artillerie, et je vous réponds que tout ira bien. »

Il est donc certain que Parys et Vaudermeere, qui ont joué un rôle si actif dans le transport des canons, se trouvaient à Anvers le 16 octobre, lorsque De Crehen est allé les acheter définitivement, et qu’ils lui avaient donné rendez-vous à l’hôtel des Etrangers le samedi 23, lorsque De Crehen est allé en prendre livraison. Ces deux rendez-vous successifs dans une autre ville, avec un homme d’une condition si inférieure à celle du général comte Vandermeere et l’intendant Parys, rendez-vous qui ont eu lieu chaque fois que De Crehen se rendait à Anvers pour l’achat des canons, et auxquels les deux autres accusés ne peuvent assigner aucun motif plausible, n’ont pas besoin de commentaire.

Les accusés avaient fait leurs ouvertures aux frères Jones d’une manière si cavalière; ils paraissaient tellement certains de leur fait, que les frères Jones n’avaient su d’abord que répondre. La réflexion leur persuada bientôt de ne point se prêter à la demande qu’on leur avait faite; l’un d’eux se rendit en conséquence le soir même chez Parys, à qui il déclara que le propriétaire du magasin avait deux clefs, qu’il pouvait y entrer à chaque instant, et qu’ainsi le local n’était ni sûr ni convenable. Parys en parut assez mécontent, et il demanda à M. Jones s’il ne connaissait pas un autre emplacement dans le voisinage. M. Jones lui désigna alors un magasin de M. Janssens-de-Cuyper, rue du Commerce, et il lui indiqua l’adresse de celui-ci à Molenbeek Saint-Jean.

Le lendemain matin, 27 octobre, De Crehen fit venir au local des Finances une voiture à déménagement du sieur de Wallens, sur laquelle il fit charger les canons par deux hommes de peine. Il partit ensuite avec eux et la voiture, et il s’arrêta rue du Pont-Neuf, n° 38, chez un marchand de liqueurs où il leur paya à boire; il leur ordonna d’attendre dans cette maison jusqu’à ce qu’il les fit appeler pour décharger la charrette, et il se remit en route dans la direction de la rue de Laeken. Arrivé en face de l’Entrepôt, il fit arrêter la voiture à déménagement, et il se rendit chez les frères Jones, à qui il déclara que les canons étaient à la porte; il leur demanda en même temps l’endroit où il devait les placer. Ceux-ci répondirent par un refus formel, et De Crehen se retira en les priant de dire à Parys, s’il venait, qu’il l’attendait près de l’Allée-Verte.

D’après les indications que l’un des frères Jones lui avait données la veille, Parys se rendit en vigilante, le 27, vers dix heures du matin, chez le sieur Janssens de Cuyper à Molenbeek-Saint-Jean. Il s’y présenta sous le faux nom de Van der Elst ou Van der Est, et il lui demanda son magasin en location pour y monter une machine. Il vint ensuite rejoindre, en arrivant du côté de la porte du Rivage, la charrette à deménagement qui stationnait à l’entrée de la rue du Commerce, contre le mur du jardin de madame Dansaert-Engels. Parys sortit de voiture et alla avec De Crehen examiner le magasin de M. Janssens de Cuyper; mais ils durent renoncer à y placer leurs canons, parce qu’une femme qui était préposée à la garde de ce magasin par l’associé de MM. Janssens leur déclara qu’elle n’en sortirait point.

Lorsque la charrette à déménagement se dirigeait vers le bassin du Commerce, De Crehen avait rencontré l’un des fils Vandersmissen et il l’avait chargé d’appeler les deux ouvriers qui étaient restés chez le marchand de liqueurs, n°38, rue du Pont-Neuf. Ces ouvriers vinrent en effet le rejoindre, et lorsque Parys eut dû renoncer  à mettre les deux pièces de canon dans le magasin de M. Janssens de Cuyper, ils aidèrent de Crehen à les transporter et à les décharger chez M. Tilmont, hors la porte de Laeken.

Le surlendemain, 29 octobre, vers neuf heures du matin, De Crehen vint les reprendre chez Tilmont avec une autre voiture à déménagement du sieur de Wallens, et il le fit conduire à Tivoli, où il les déposa dans le jardin sous l’orchestre, et où elles furent saisies le même jour par la police.

Les canons ont donc été achetés chez le sieur Van de Leemputte, à Anvers, par de Crehen, le samedi 23 octobre; ils ont été transportés au local des Finances, le lundi 25, chez M. Tilmont, le mercredi 27, après que De Crehen les eut présentés inutilement chez les frères Jones, et que Parys et lui eussent tenté de les mettre dans le magasin de M. Janssens de Cuyper; et ils ont enfin été transportés à Tivoli, par De Crehen, le vendredi, 29, dans la matinée.

Les faits que nous venons d’analyser, les propos tenus aux frères Jones sur un mouvement qui devait éclater le dimanche suivant, et sur les canons qui joueraient bientôt de la clarinette dans les rues de Bruxelles démontrent clairement la culpabilité de Parys, Vandermeere et Vandersmissen; aussi n’y ont-ils répondu que par des dénégations ou par des explications tortueuses.

Vandersmissen convient d’être entré un jour dans l’ancien manége des Guides, parce qu’il pleuvait, et pour voir les préparatifs que l’on y faisait pour la réunion de l’ordre des Templiers; mais il soutient n’y avoir pas rencontré Vandermeere, Parys ou De Crehen. Il convient aussi de s’être rendu un jour chez les frères Jones pour y régler, dit-il, un compte avec eux; mais il prétend, encore une fois, que Parys et Vandermeere ne s’y sont pas trouvés en même temps que lui. Confronté avec tes frères Jones,il a déclaré n’avoir aucune connaissance des faits rapportés par eux, et il a dit que c’était une trame qui s’éclaircirait plus tard.

Vandermeere, de son côté, a dû reconnaître qu’il était allé chez M. Salter avec Parys, mais il a soutenu que c’était pour lui parler d’un effet de 200 livres sterling, qui devait échoir dans le mois de novembre, et pour lequel il s’était porté garant. Il a dit reconnaître aussi avoir été chez les frères Jones, mais il a dit ne plus se souvenir que Parys et Vandersmissen fussent alors avec lui, et il a prétendu n’y être allé que pour voir une berline qu’ils allaient expédier pour l’Espagne et pour leur demander le prix du coupé qu’ils avaient mis à l’exposition.

Parys, au contraire, a reconnu qu’il était allé chez les frètes Jones avec Vandersmissen et Vandermeere, mais il a dit n’avoir aucun souvenir des différentes circonstances rapportées par ces deux témoins.

L’un des accusés soutient donc d’une manière positive que les deux autres ne se trouvaient pas avec lui chez les frères Jones; le second déclare ne pas se souvenir que Parys et Vandersmissen l’aient accompagné, et le troisième convient qu’ils s’y sont rendus tous trois ensemble. Ce désaccord des accusés sur une visite qui n’aurait eu rien de répréhensible si elle n’avait pas eu pour objet de mettre les canons en lieu de sûreté; les dépositions si formelles des frères Jones, celle du cocher Janssens qui avait conduit chez eux les trois accusés, ne laissent pas le moindre doute sur leur culpabilité.

Ainsi que nous avons eu occasion de le dire, on s’était expliquer sans réserve avec les frères Jones, et cela venait probablement de ce qu’ils avaient été connus autrefois comme orangistes et de ce qu’ils avaient mémé été pillés en 1834. Parys, qui n’avait pas la même confiance en M. Janssens-de Cuyper, et qui s’était présenté à lui sous un faux nom, s’était borné à lui demander son magasin pour y monter une machiné; interrogé à cet égard par M. le juge d’instruction, il a répondu que c’était une machine à faire des briques; tandis qu’il avait parlé à la femme qui gardait le magasin d’une machine à fabriquer du coton; interrogé de plus près sur cette prétendue machine à faire des briques, il a déclaré qu’elle lui avait été proposée par un Allemand, dont il n’avait pas retenu le nom, mais qu’il croyait s’appeler Freier, et dont il ignorait la demeure; que cet Allemand ne lui avait pas dit d’où il venait, ni de quel pays il était; que lui Parys ne savait pas où était la machine en question lorsqu’il est allé chez M. Janssens de Cuyper, et qu’il l’ignore encore aujourd’hui; qu’il avait acheté au commencement de l’été, de compte à demi avec une autre personne, deux terrains dans le but d’y faire des briques, mais qu’il ne voulait pas nommer cette personne.

Une explication aussi louche se réfute d’elle-même. Elle prouve clairement que la machine à faire des briques, et l’être mystérieux qui devait la fournir, ne sont qu’une misérable défaite imaginée par l’accusé, il est d’ailleurs établi au procès, par la déclaration de l’un des frères Jones, que Parys est revenu chez eux, le 27, après avoir été examiner le magasin de M. Janssens de Cuyper, qu’il a dit alors qu’il y avait été pour placer les canons, mais qu’il allait tâcher de les mettre ailleurs, parce qu’il avait trouvé dans ce magasin une femme qui ne voulait pas en sortir, et parce qu’on ne pouvait pas décharger les canons en sa présence.

Il résulte des faits que nous venons d’exposer, qu’après avoir reçu de M. Levae l’ordre d’enlever les canons, De Crehen s’était empressé d’en instruire ses coaccusés qui s’étaient mis de suite à la recherche d’un autre local, et qui ont appris aux frères Jones, comme ceux-ci le déclarent, que les canons se trouvaient au local des Finances, et que M. Levae exigeait qu’ils fussent transportés ailleurs; que les frères Jones ont paru d’abord disposés à les recevoir dans leur magasin de la rue des Echelles, qu’ensuite il ont changé d’avis, que l’un d’eux est allé trouver Parys, et qu’il lui a indiqué, sur sa demande, le magasin de M. Janssens de Cuyper, rue du Commerce, et la demeure de ce dernier à Molenbeek-St-Jean. Cela explique pourquoi De Crehen, à qui Parys avait nécessairement rendu compte de toutes ces circonstances, est allé présenter les canons chez les frères Jones, le lendemain 27 octobre; pourquoi, incertain lui-même sur le local où il les déposerait, et ne voulant pas faire connaître toutes ses démarches à des hommes qu auraient pu les révéler plus tard à la justice, il a fait rester, les deux ouvriers chez le marchand de liqueurs de la rue du Pont-Neuf; pourquoi, en partant de chez les frères Jones, il a dit qu’il allait attendre Parys, près de l’Allée-Verte; pourquoi il est allé stationner avec la voiture à déménagement plutôt au coin de la rue de Commerce que dans toute autre partie de la ville; pourquoi Parys en revenant de chez M. Sanssens-de Cuyper, est allé retrouver de Crehen près de l’Allé-Verte, et pourquoi ils sont allés ensemble voir le magasin de la rue de Commerce, eux qui ne se connaissaient que depuis une dizaine de jours ainsi qu’ils doivent en convenir eux-mêmes. Si d’ailleurs le magasin de M. Janssens-de Cuyper n’avait dû servir, comme le soutien Parys, qu’à y monter une machine à faire des briques, dont il devait être seul propriétaire, et dans laquelle De Crehen n’avait aucune espèce d’intérêt, il n’aurait certes pas souffert qu’un homme qu’il ne connaissait que depuis dix jours, et qu’il avait, s’il faut l’en croire, rencontré par hasard dans la rue, se fût permis de l’y accompagner.

Parys et Vandermeere pouvaient fort bien, comme ils l’ont fait, charger De Crehen d’acheter des canons à Anvers, lui donner rendez-vous dans cette ville, s’occuper activement de la recherche d’un nouveau local, lorsque M. Levae avait exigé que les canons fussent enlevés de l’hôtel des Finances; mais ils n’avaient pas les connaissances spéciales que devait exiger la confection des gargousses, des boulets, des boîtes à mitraille et autres munitions de guerre, et celle des différents objets nécessaires à la manoeuvre des deux pièces de canon. Ces connaissances spéciales appartenaient plus particulièrement à l’un des prévenus, l’ex-général Vandersmissen, qui avait servi longtemps dans l’artillerie, et qui devait naturellement prendre à lui toute cette partie de l’entreprise. Les rapports qu’il a eus à cet égard avec De Crehen qui avait également servi dans l’artillerie ; la saisie de munitions et de matériel qui a été faite tant chez Vandersmissen, que dans une maison inhabitée qui lui appartient et dont la clef se trouvait chez Joseph Vandersmissen, son frère, vont établir contre lui une nouvelle preuve de culpabilité.

Il fallait pour le service des deux pièces de canon, deux sacs à étoupilles, deux sacs à charge, deux boîtes en tôle ou en fer-blanc pour y mettre des lances à feu, et deux courroies pour suspendre ces boîtes au cou des artilleurs. De Crehen, qui était chargé de faire tous les achats, commanda le 26 octobre, chez le nommé Gillekens, bourrelier, Vieux-Marché-aux-Grains, deux grands sacs de cuir, dots il donna lui-même le dessin, en demandant qu’ils fussent confectionnés pour le lendemain à 4 heures. Le 27 il vint réclamer ces sacs qui n’étaient pas prêts, et il en commanda deux autres plus petits; ainsi que deux courroies à boucles. Tous ces objets furent remis jeudi 28 octobre, vers 4 heures de l’après-midi, au nommé Criplets qu’il venait de prendre à son service, et ils furent payes par De Crehen qui les fit transporter à son domicile. Les deux grands sacs ont été reconnus par un officier d’artillerie comme étant des sacs à charge, et les deux petits comme étant des sacs à étoupilles; De Crehen leur a aussi attribué cette destination dans son huitième interrogatoire et il avait déjà déclaré dans le premier qu’il les avait commandés par ordre de l’ex-général Vandersmissen, et qu’il les avait payes avec l’argent que celui-ci lui avait donné. Ils ont été retrouves plus tard avec les courroies à boucles chez Vandersmissen lui-même, et ils pouvaient y être arrivés que par l’intermédiaire de De Crehen, puisque c’est chez lui qu’ils avaient été déposés en premier lieu. Cette circonstance prouve que sa déclaration, bien que contredite par Vandersmissen, doit être conforme à la vérité.

Conduit le 15 novembre à la caserne des guides pour y reconnaître les armes et d’autres objets placés sous la main de la justice, De Crehen s’est informé spontanément des sacs de cuir qu’il ne retrouvait point parmi ces objets. Il avait déclaré la veille, dans son sixième interrogatoire, qu’il les avait transportés le vendredi 29 octobre vers huit heures et demie du matin chez l’ex-général Vandersmissen. Une visite domiciliaire fut donc pratiquée chez ce dernier le 15 du mois de novembre, et elle y fit découvrir dans un coffre les deux sacs a étoupilles, au milieu de différents effets de chasse tels que carnassières, guêtres, etc. L’un des fils Vandersmissen, présent à l’opération, déclara que ces deux sacs servaient pour aller à la chasse aux canards.

Les deux autres sacs y ont été retrouvés le lendemain, cachés avec soin sur le toit. Tous quatre ont été positivement reconnus a certains signes particuliers par les deux ouvriers qui les avaient confectionnés. Les deux courroies à boucles, auxquelles on devait suspendre les boîtes en fer-blanc, destinées à contenir des lances a feu, ont été saisies également chez l’ex-général Vandersmissen le 18 du mois de novembre. L’un des fils de l’accusé a déclaré aux officiers de police que ces courroies étaient toutes neuves, et qu’elles pouvaient servir à serrer des livres ou toute autre chose.

Tous ces objets, dont on avait besoin pour faire manoeuvrer les deux pièces de canon, et qui ont été retrouvés chez l’ex-général Vandersmissen, élèvent contre lui une nouvelle charge et une charge très forte, puisqu’il ne les aurait jamais eus en sa possession s’il avait été étranger au complot. Aussi y a-t-il sur ce point discordance complète entre lui et ses deux fils. Il prétend ne pas connaître les quatre sacs de cuir, bien que De Crehen affirme les lui avoir remis en main propre, et quoiqu’ils n’aient pu arriver chez lui que par son intermédiaire. Il soutient aussi ne les avoir jamais vus et ne pas savoir à quoi ils étaient destinés. L’un de ses fils prétend au contraire, comme nous l’avons déjà dit, que les petits sacs servaient pour aller à la chasse aux canards, et l’autre soutient que les grands sacs étaient destinés à renfermer le linge et d’autres objets lorsqu’on se rendait à la campagne. Il a déclaré aussi que ces sacs étaient chez son père depuis environ trois mois; et cependant De Crehen ne les avait commandés que le 26 octobre.

Quant aux deux boîtes en fer-blanc destinées à contenir des lances à feu, elles ont été saisies le 30 octobre dans la maison inhabitée de l’ex-général Vandersmissen, maison qui est située le long des étangs d’Etterbeek, sur la digue qui conduit à Ixelles. Ces boîtes avaient été commandées par De Crehen, chez le ferblantier Barbanson, quelques jours avant les poursuites, et Barbanson les avait portées au domicile de De Crehen, rue d’Argent. Elles ne peuvent donc s’être trouvées dans la maison inhabitée de Vandersmissen, à laquelle De Crehen n’avait pas accès, que par le fait de Vandersmissen lui-même ou de son frère. Tout porte même à croire, bien que De Crehen ne s’en soit pas expliqué d’une manière formelle, qu’il les avait remises à l’ex-général, le28 octobre,entre neuf et dix heures du matin, puisqu’il était venu prendre vers neuf heures, accompagné de Parent et porteur des deux boîtes en question, la vigilante à deux chevaux n°107 qui stationnait place de la Monnaie, et qu’il s’était fait conduire au boulevard de Waterloo, près de la maison de l’ex-général.

Vers onze heures, il vint prendre la même voiture, se rendit chez le nommé Ackermans, Marché-aux-Poissons, où il acheta deux sacs de poudre contenant ensemble une quantité de 50 kilogrammes, et chez le nommé Pluys, Marché-aux-Poulets, où il acheta un coupon de mérinos rouge de dix aunes de longueur. Ce mérinos et cette poudre devaient, comme De Crelien l’a déclaré dans ses interrogatoires, servir à faire des gargousses que l’on se proposait de confectionner dans la maison inhabitée d’Etterbeek. Aussi la justice y a-t-elle découvert ces objets le 30 octobre, lorsqu’elle a saisi les deux boîtes en fer-blanc destinées à contenir des lances à feu. Ces deux boîtes, le coupon de mérinos, une écuelle en fer-blanc et les deux sacs de poudre ont été trouvés dans un autre sac fermé au moyen d’une ficelle; dans l’une des boîtes de fer-blanc il y avait des chandelles, et dans l’autre des couteaux de table, deux écheveaux de fil gris et des aiguilles à coudre. On a saisi enfin dans cette maison, bien qu’elle fût inhabitée, table ronde, quatre chaises, de petits fagots et du charbon de terre. Comme les gargousses ne sont que de petits sacs d’étoffe de laine remplis de poudre, la présence simultanée du coupon de mérinos, des deux sacs de poudre, de quelques aiguilles et de deux écheveaux de fil gris, démontre clairement que l’on devait faire des gargousses dans la maison inhabitée du second accusé. La déclaration de De Crehen en se justifie donc sur ce point comme sur tous les autres.

La table ronde et les quatre chaises avaient été conduites dans cette maison sur une brouette, le 28 octobre, vers cinq heures du soir, par
le nommé Jean-Baptiste Bauwens, ouvrier de Joseph Vandersmissen, accompagné alors des deux fils cadets de l’ex-général. Cette circonstance, qui serait très insignifiante si elle ne se rattachait pas à l’exécution du complot, a encore une fois donné matière à des explications différentes de la part des deux fils Vandersmissen, de leur père, de leur mère, de Joseph Vandersmissen leur oncle, de la femme
de celui-ci et de son ouvrier Bauwens.

Bauwens, à qui on avait fait évidemment la leçon et qui l’avait mal comprise ou mal retenue, a soutenu qu’il était allé prendre la table et les quatre chaises chez l’ex-général Vandersmissen, boulevard de
Waterloo, et qu’il les avait transportées sur sa tête jusqu’à sa maison inhabitée d’Etterbeek, ce qui est assez peu probable, et ce qui est d’ailleurs démenti par deux témoins qui ont vu Bauwens conduire une brouette. D’un autre côté, l’ex-général et sa femme, de même que la fille Jaupin qui était entrée à son service le 26 octobre, déclarent ne pas connaître la table et les quatre chaises; la fille Jaupin affirme qu’on n’est pas venu les prendre chez son maître.

Les fils Vandersmissen, au contraire, âgés seulement de 17 et de 14 ans, et qui prétendent les avoir fait conduire dans la maison inhabitée pour un rendez-vous de chasse qu’ils devaient avoir avec des jeunes gens de leurs amis, soutiennent qu’elles se trouvaient au moulin appelé le Faucon, sur la chaussée d’Etterbeck tandis que leur père nie cette circonstance et qu’il dit ne pas savoir pour quel motif
ses enfants les auraient fait transporter dans la maison où elles ont été découvertes.

Enfin Joseph Vandersmissen et sa femme prétendent ne pas connaître la table et les quatre chaises; ils soutiennent même ne les avoir jamais vues, tandis qu’un témoin déclare que les quatre chaises se trouvaient dans la chambre à coucher de Mme Vandersmissen, et la table dans celle de son beau-père. Un autre témoin a dit aussi que
l’un des pieds de cette table avait été cassé autrefois, et que l’une des chaises avait été brûlée en la mettant trop près du feu pour sécher du linge. Cette double circonstance, qui ne laisse pas le moindre doute
sur l’identité des objets, a été vérifiée immédiatement par M. le juge d’instruction. Un témoin a également reconnu d’une manière positive et comme appartenant aux époux Vandersmissen d’Etterbeek, l’écuelte en fer-blanc, les couteaux de table et le grand sac qui ont été saisis dans la maison inhabitée de l’ex-général.

Il est donc évident que le petit mobilier dont on avait besoin pour faire des gargousses et qui a été conduit dans cette maison par l’ouvrier de Joseph Vandersmissen, était la propriété de ce dernier. Cette circonstance, jointe aux propos que Joseph Vandersmissen avait tenu à MM. Desaeger et Demoor, confirme de plus en plus sa participatior au complot et aux actes qui devaient en assurer l’exécution. Il esi même certain que les deux sacs de poudre achetés chez le sieur Aclieranans, et que De Crehen avait déposés chez Joseph Vandersmissen comme nous le verrons bientôt, ne peuvent avoir été transportés dans la maison inhabitée que par le fait et par les ordres de celui-ci, puisqu’ils s’y trouvaient enfermés dans un sac qui lui appartenait, et avec une écuelle en fer-blanc et de couteaux de table qui lui appartenaient également. Cela est d’autant moins douteux que Joseph Vandersmissen avait fait prendre le même jour, vers dix heures du matin, la clef de cette maison chez une femme Hoevenaert, et que cette clef a été saisie à son domicile le 13 du mols de novembre; aussi s’est-il bien gardé, quoiqu’il en fût requis, de conduire les officiers de justice à la maison inhabitée de son frère lorsqu’ils se sont présentés chez lui le 29 octobre. Pour leur donner le change, il les a conduits dans une autre maison également déserte, située sur la même digue, et qui n’appartenait pas à son frère, mais dans laquelle on n’a rien trouvé, Il fallut donc procéder le lendemain à une nouvelle visite domiciliaire dans la maison que Joseph Vandersmissen avait eu la précaution de ne pas indiquer la veille, et cette visite y fit découvrir ce que De Crehen avait acheté et ce que Joseph Vandersmissen avait fait transporter pour la confection des gargousses.

Nous allons voir maintenant de Crehen compléter l’achat des munitions de guerre, en commandant des boulets et des boîtes à mitraille d’un calibre exactement semblable à celui des deux pièces de canon.

Le 25 octobre, lorsqu’il venait de faire transporter ces canons au local des blessés de Septembre, il le rendit chez le tourneur Schotmans, rue de la Vierge-Noire; il se chargea de faire trois boules de bois parfaitement rondes,et il lui en donna le diamètre. Ces trois boules furent remises à De Crehen; mais il s’assura le 27 octobre, lorsqu’il venait de déposer les canons dans la remise du sieur Tilmont, hors la porte de Laeken, qu’elles étaient trop petites d’une ligne. Il revint donc le même jour chez Schotmans, et il lui commanda trois autres boules d’un calibre un peu plus fort. Il les fit prendre le lendemain 28 octobre vers midi par son domestique Crispiels.

Vers trois heures, il se présenta chez le nommé Berry, fondeur en fer à Saint-Gilles, et il lui demanda s’il pouvait lui fournir 50 boulets dans la soirée et cent autres pour le samedi soir; il était porteur, comme le déclare Berry, de plusieurs modèles en bois, dont les uns avaient le calibre un peu plus forts que les autres, et il lui remit les modèles du calibre le plus grand. De Crehen ajouta qu’il avait absolument besoin de ces boulets pour le dimanche matin; et nous avons vu d’un autre côté, par la déclaration des frères Jones, que le mouvement devait éclater à Bruxelles le dimanche, lorsque les ministres se seraient rendus à l’inauguration du chemin de fer de Jurbise. L’accusé commanda et paya d’avance une quantité de boulets d’un poids total de 200 kilogrammes; il donna à Berry un pourboire de quatre francs 64 centimes; Berry se mit de suite à l’oeuvre, et il fabriqua le soir même vingt boulets, qui furent saisis par la justice à son domicile, le lendemain matin 29 octobre. Vers sept heures et demie, un inconnu qui avait accompagné De Crehen la veille, était venu reprendre les modèles en bois, en disant que De Crehen devait partir à l’instant même pour Paris, par suite d’une lettre qu’il venait de recevoir.

Si la fonte des boulets exigeait une grande précision dans le modèle, on devait employer pour les boîtes à mitraille un modèle un peu plus petit que celui des deux pièces de canon, parce que l’épaisseur de la tôle ou du fer-blanc devait occuper une certaine place. Les premiers modèles fournis par Schotmans, bien qu’ils fussent trop petits d’une ligne, pouvaient donc servir pour les boîtes à mitraille; aussi De Crehen vint-il en remettre un le 27 octobre, vers trois heures de l’après-midi, chez le nommé Malaise, ferblantier, chaussée d’Ixelles, et il commanda de faire cent boîtes à mitraille sur ce modèle, Il s’y rendit de nouveau le lendemain, et lui promit deux bouteilles de vin de champagne, si on lui remettait le vendredi 29, à cinq heures de l’après-midi, les 100 boîtes qu’il avait commandées. Ces boîtes ont été saisies au domicile de Malaise à l’heure même où De Crehen devait venir les prendre. On a vérifié plus tard qu’elles étaient, ainsi que les boulets trouvés chez Berry, d’un calibre exactement semblable à celui des deux pièces de canon achetées à Anvers. Schotmans a aussi reconnu le modèle en bois que De Crehen avait remis à Malaise, comme étant l’un de ceux qu’il avait faits pour compte de l’accusé.

De Crehen a déclaré dans ses interrogatoires qu’il avait fait faire les boulets et les boîtes à mitraille par ordre de l’ex-général Vandersmissen, et qu’il avait payé le tout avec de l’argent que Vandersmissen lui avait donné. La procédure signale, d’un autre côté, un fait qui prouve tout à la fois et que l’ex-général Vandersmissen n’était pas étranger à la confection des boîtes à mitraille, et qu’il avait fait acheter par De Crehen, comme celui-ci le déclare, la poudre et le mérinos qui devaient servir aux gargousses.

Après avoir placé dans la vigilante à deux chevaux n° 107 les deux sacs de poudre qu’il venait d’acheter chez Ackermans, De Crehen s’était fait conduire chez Joseph Vandersmissen à Etterbeek. Il prétend dans son troisième interrogatoire qu’il a parlé à la femme de ce dernier, et qu’il lui a dit : « Madame, le général vous envoie ceci, il viendra tantôt, il m’a dit que vous étiez prévenue; » qu’elle lui a donné pour réponse, qu’elle avait reçu l’ordre de faire conduire les sacs dans la petite maison; qu’elle lui a conseillé d’y aller lui-même, en lui disant qu’il rencontrerait le domestique qui avait la clef; qu’il a, en effet, rencontré ce domestique près du chemin de traverse conduisant à la maison inhabitée de l’ex-général, que le domestique lui a remis la ciel de cette maison; qu’ayant voulu ensuite se diriger de ce côté, et trouvant les chemins fort mauvais, il est retourné chez la dame Vandersmissen à qui il a dit : « Voici la clef, je ne puis aller m’enfoncer dans ce mauvais chemin, veuillez faire transporter vous-même les deux sacs. »

Cette déclaration est contredite à la vérité par la dame Vandersmissen; mais nous allons voir qu’elle se justifie de point en point, et qu’elle mérite ainsi une pleine confiance.

Il est prouvé d’abord au procès que l’un des enfants de Joseph Vandersmissen était allé prendre le jour même, vers dix heures du matin, chez la femme Hoevenaert, la clef de la maison inhabitée de l’ex-général. Cette clef devait donc se trouver au pouvoir de Joseph Vandersmissen lorsque De Crehen est arrivé chez lui avec les deux sacs  de poudre, entre midi et une heure.

Il est certain aussi que les deux sacs devaient être déposés dans cette maison inhabitée, soit par De Crehen, soit par tout autre, puisqu’ils y ont été saisis deux jours après.

Il est constaté enfin, autrement que par les dires de l’accusé, qu’après s’être arrêté un instant chez Joseph Vandersmissen, il s’est fait conduire au cabaret de la Cour de Rome, où il a demandé si on ne pourrait pas lui procurer un homme et une brouette, pour transporter dans la maison inhabitée de l’ex-général les deux sacs qui se trouvaient dans sa voiture , qu’il a fini cependant par renoncer à ce projet, et qu’il est retourné chez Joseph Vandersmissen où il a déposé les deux sacs de poudre et le coupon de mérinos.

Toutes ces circonstances justifient entièrement la déclaration de l’accusé. Elles démontrent qu’après avoir été une première fois chez Joseph Vandersmissen, De Crehen a voulu transporter les deux sac de poudre à la maison inhabitée de l’ex-général, et qu’il a dû renoncer à ce projet. Elles prouvent aussi que la femme de Joseph Vandersmissen avait dû lui remettre la clef de cette maison qui se trouvai chez elle depuis 10 heures du matin, ou qu’elle avait dû la lui faire remettre par son domestique, puisqu’autrement De Crehen n’aura jamais pu songer à y transporter lui-même les deux sacs de poudre. Une dernière circonstance va prouver mieux encore, s’il est possible combien la déclaration de l’accusé est sincère.

Ainsi que nous l’avons vu, il avait annoncé à la femme de Joseph Vandersmissen qu’elle recevrait plus tard la visite de son beau-frère et remontant quelque temps après, vers la ville, il rencontra effectivement ce dernier dans la vigilante à un cheval n° 67; les deux voitures s’arrêtèrent, De Crehen prit place dans celle de l’ex-général, et revint avec lui chez Joseph Vandersmissen, après avoir dit au cocher de la vigilante n° 107 d’aller l’attendre à la porte de Namur, il prétend que l’ex-général Vandersmissen a examiné les sacs, qu’il les a pesés avec la main, qu’il dit à sa belle-soeur qu’il reviendrait dans la journée, et qu’il lui dit aussi : « Il faudra faire transporter ces sacs là-bas. »

Vandersmissen a répondu à ce fait comme à tous les autres par une dénégation; mais cette dénégation est contredite par trois témoins différents qui viennent attester la rencontre des deux voitures sur la montagne d’Etterbeek, la circonstance que de Crehen est sorti de sa vigilante pour entrer dans celle de Vandersmissen, la circonstance qu’ils se sont rendus ensemble à la maison de son frère, alors que de Crehen en revenait directement; la circonstance enfin, qu’ils se sont rencontrés ensemble vers la porte de Namur, dans la vigilante n 67. En présence d’une dénégation aussi téméraire, et à défaut d’une explication bien satisfaisante de Vandersmissen sur le motif qui l’avait engagé à prendre De Crehen dans sa voiture pour le ramener dans une maison d’où il venait de sortir, il est évident que cette démarche n’avait d’autre but de sa part que d’aller examiner avec De Crehen le mérinos et la poudre qu’il venait de remettre à la dame Vandersmissen d’Etterbeek, par ses ordres et pour son compte. Cela se comprend d’autant mieux que De Crehen s’était rendu le même jour chez l’ex-général Vandersmissen entre 9 et 10 heures du matin pour lui remettre les boîtes à lances à feu, qu’une heure ou une heure et demie après, il était venu acheter la poudre chez Ackermans, et qu’ainsi Vandersinissen devait savoir assez exactement quand elle serait déposée à Etterbeek. Le fait que la poudre a été nécessairement, comme nous l’avons dit, transportée dans la maison inhabitée par les soins de Joseph Vandersmissen vient aussi confirmer le propos que De Crehen attribue à l’ex-général, lorsqu’il soutient qu’il aurait dit à sa belle-soeur « Il faudra faire transporter ces sacs là-bas. »

En retournant en ville, la vigilante n’ 67 s’arrêta à l’embranchement de la route d’Etterbeek et de la route d’Ixelle; De Crehen sortit de voiture, se rendit à une cinquantaine de pas sur la route d’Ixelles, et vint dire quelques mots à Vandersmissen qui se fit ensuite reconduire chez lui. Ces faits nous sont attestés par le cocher de la vigilante, et De Crehen soutient dans son sixième interrogatoire qu’il est allé prendre chez Malaise un modèle de boîte à mitraille pour le montrer à Vandersmissen. Il est établi d’un autre côté que Malaise demeure en effet sur la chaussée d’Ixelles à 50 pas environ de l’embranchement des deux routes. Vandersmissen, qui avait fait entrer De Crehen dans le complot, qui avait demandé à Dewever des hommes pour combattre le roi et renverser le gouvernement, qui avait accompagné Parys et Vandermeere dans la recherche d’un nouveau local pour y déposer les canons, qui avait fait commander et qui avait en sa possession les sacs à étoupilles, les sacs à charge et les courroies à boucles qui devaient servir aux boîtes à lances à feux, s’est donc également occupé de la confection des boîtes à mitraille, de l’achat de la poudre et du mérinos dont on devait faire des gargousses. Quelques jours après les fêtes de Septembre, de Crehen avait encore acheté chez le sieur Albert Guerard, fripier rue d’Anderlecht, 17 fusils avec baïonnette, deux carabines et 7 sabres avec leurs baudriers. Ces objets avaient été transportés au local des Finances, où ils out été saisis le 10 du mois de novembre. De Crehen a soutenu que l’ex-général Vandersmissen les lui avait fait acheter pour les blesses de Septembre et qu’il lui avait remis les fonds nécessaires au payement de ces objets. Si l’on rapproche cette circonstance de la première ouverture que Vandersmissen avait faite à De Crehen en lui disant qu’il comptait sur lui et sur les blessés qu’il commandait, on y trouve une nouvelle charge contre ces accusés.

La saisie des boulets opérée le 9 octobre, à 9 heures du matin, la visite domiciliaire pratiquée vers midi chez Joseph Vandersmissen et qui avait été suivie de son arrestation, avaient donné l’éveil aux accusés. Van Laethem s’était empressé de prendre la fuite; Parys s’était réfugié, vers 3 heures, chez M. Seghers, rue du Curé; le général Vandermeere et l’ex-général Vandersmissen, chez le peintre Verwee, rue Royale extérieure, n° 26, où ils ont été arrêtés le lendemain matin. Quant à De Crehen, il a été arrêté le 9 octobre dans l’après-midi.

Vers 7 heures du soir, une dame est venue trouver Parys dans sa retraite; elle s’est entretenue longtemps avec lui, et elle lui a parlé à voix basse.

Vers 9 heures le nommé Danhaive, cocher du général Vandermeere, s’y est rendu également. Il a dit à Parys que de Crehen était arrêté, et il lui a remis un billet ouvert écrit de la main de l’ex-général Vandersmissen. Ce billet portait l’adresse de M. Seghers, rue du Cure; Danhaive pense qu’il contenait l’indication de l’endroit où Parys devait rejoindre son maître; mais Parys a refusé de le suivre. Avant de se rendre chez Seghers, Danhaive était allé par ordre de Vaudermeere rue des Brigittines, n° 9, pour y trouver Parent, à qui il devait remettre un semblable billet; il devait aussi s’informer si Parent étais arrêté. Il s’est rendu ensuite au bureau du Lynx, rue des Hirondelles, n° 7, où son maître l’avait chargé de remettre un troisième billet de même nature. Deux personnes qui se trouvaient au bureau du Lynx sont montées dans la voiture que Danhaive avait prise pour faire ses courses; elle ont dit au cocher de les conduire de suite hors la porte de chaerbeek ; là elles sont descendues de voiture et se sont rendues à pied avec Danhaive chez le peintre Verwee, où se trouvaient Vandermeere et Vandersmisssen.

Vers 10 heures du soir, la femme de ce dernier est venue à son tour chez M. Seghers; elle a appris de nouveau à Parys l’arrestation de De Crehen elle l’a vivement engagé à la suivre dans un conciliabule qui devait se tenir hors de la ville; elle lui a dit qu’on l’attendait, qu’on avait besoin d’un homme d’action, que tout était bien. Parys, qui avait résisté à l’invitation qu’était venu lui faire Danhaive, a repousse également les instances de l’accusée, épouse Vandersmissen. Il lui a même répété à plusieurs reprises et d’un air irrité: « Madame, laissez-moi tranquille, allez vous-en; si vous chez étiez homme, je vous répondrais d’une autre manière. Comment ai-je pu me mettre clans cette boutique-là? Vous ne m’avez déjà entraîné que trop loin; je regrette bien de m’être engagé dans cette affaire. »

Ces faits prouvent clairement les rapports criminels qui existaient entre Parys, Vandermeere, Vandersmissen et De Crehen, dont on se hâtait de faire connaître l’arrestation â Parys par deux messages différents. Ils prouvent aussi que dans la soirée du 9 octobre, lorsqu’on avait déjà arrêté deux des accusés, lorsqu’on avait saisi une partie de leur matériel et leurs munitions, Vandermeere et Vandersmissen ne renonçaient pas encore à leurs projets, et qu’ils voulaient tenter un mouvement dans la nuit même: aussi les accusés n’ont-ils opposés à ces nouveaux faits que des dénégations ou des réticences.

L’accusée, épouse Vandersmissen, interrogée une première fois sur sa visite chez Seghers, a dit qu’elle ne se croyait pas obligée de répondre à cette question. Dans un second interrogatoire, elle a nié le fait d’une manière positive, taudis que Parys reconnaît qu’elle est venue le trouver chez Seghers; mais il prétend ne pas se souvenir qu’elle aurait voulu l’entraîner dans un conciliabule, et il soutient,
quoique deux témoins affirment le contraire, qu’il ne lui a pas dit autre chose, si ce n’est de respecter l’hospitalité qu’on lui donnait, comme il entendait la respecter lui-même.

Quant à Vandermeere, il a nié les faits que nous venons de rapporter, comme il nie tous les autres.

Nous venons de voir que lorsqu’il s’agissait d’organiser un mouvement dans la nuit du 29 octobre, lorsque Vandermeere et Vandersmissen faisaient appeler Parys à deux reprises différentes; lorsqu’ils lui faisaient dire qu’il leur fallait un homme d’action et que tout était bien, ils ont aussi fait chercher Parent, et que Vandermeere avait chargé Danhaive de s’informer si Parent était arrêté. Cette double circonstance suffirait à elle seule pour démontrer que Parent faisait partie du complot, puisque autrement Vandermeere et Vandersmissen n’auraient pas dû craindre qu’il fût arrêté et n’auraient pas eu recours à lui au moment décisif. De Crehen l’a signalé du reste, dans son premier interrogatoire, comme ayant été associé à l’entreprise criminelle des autres accusés, et les faits du procès vont encore une fois confirmé ce qu’il avance.

Dans la matinée du 28 octobre, lorsque Parent et De Crehen revenaient de chez l’ex-général Vandersmissen, où ils étaient allés déposer les boîtes à lances à feu, ils furent rencontrés près de la porte de Namur par un nommé Walenliewilz, réfugié polonais. Parent l’engagea à prendre un verre de liqueur et il lui demanda s’il connaissait seize Polonais qui étaient engagés à deux francs par jour, et qu’il payait en remettant tous les jours trente-deux francs à un certain Roczynski. Il l’engagea aussi à venir lui parler le lendemain; il lui donna son adresse, et Walenkiewilz s’étant rendu à cette invitation vers dix heures du matin, l’accusé lui offrit de l’argent et des épaulettes. Il lui demanda, en outre, s’il pouvait faire entrer quelques Polonais dans la conspiration. Parent, qui était dans la dernière misère au commencement de septembre, avait alors les poches pleines d’or et d’argent.

Le même jour 29 octobre entre 8 et 9 heures, il s’était rendu avec de Crehen chez Virginie Bolté, rue des Sables, n° 9, où De Crehen avait acheté un paquet de dix-huit livres de poudre, et un baril qui en contenait cinquante. Il a dit à la fille Bolté qu’il viendrait prendre ce baril quelque temps après, et Parent emporta le sac de dix-huit livres dans la vigilante à deux chevaux n’ 23, qu’il était ailé chercher place de la Monnaie. Il se fit conduire à son domicile, petite rue des Dominicains, n°30, où il descendit de voiture avec le sac de poudre. De Crehen a prétendu dans son premier interrogatoire que l’ex-général Vandersmissen avait chargé Parent de faire des cartouches; et la circonstance qu’il a transporté le sac de poudre à son domicile justifie pleinement cette assertion.

Il est établi d’un autre côté, qu’à la fin du mois de septembre une femme qui vivait avec Parent a dit qu’il y avait à Bruxelles une douzaine d’hommes comme lui « qui tenaient toute la Belgique sur leurs doigts, et que la Belgique serait en révolution en une ou deux fois vingt-quatre heures. » Il est également établi que l’accusé a quitté le 18 octobre la ville de Spa, où il résidait depuis quelques mois et qu’il est venu se fixer à Bruxelles; que le même jour un certain Chaumont y est arrivé pour chercher l’accusé, et qu’il a laissé à son domicile un billet portant : « Je prie M. Parent de venir à Bruxelles le plus tôt possible et de laisser sa femme et ses effets à Spa, qu’il pourra revenir le lendemain pour finir ses affaires; il devra se rendre rue d’Argent, chez le capitaine de Crehen. »

De Crehen prétend dans son cinquième interrogatoire qu’il avait déjà écrit précédemment à son coaccusé dans le même but, et par ordre de Vandermeere; et lorsqu’on réfléchit que Parent est revenu à Bruxelles deux ou trois jours après l’achat des pièces de Canon, à une époque où les auteurs du complot travaillaient activement à organiser leur mouvement révolutionnaire; lorsqu’on le voit lui-même faire de coupables propositions à un réfugié polonais, lorsqu’on le voit acheter 18 livres de poudre avec De Crehen et les emporter à son domicile; lorsqu’on voit enfin Vaudermeere et Vandersmissen l’appeler à eux dans la nuit du 29 octobre, pour tenter un coup de main, il est impossible de ne pas être convaincu que Parent était un de leurs hommes, et que c’étaient eux, comme l’a dit De Crehen dans ses interrogatoires qui l’avaient fait chercher à Spa le 18 octobre. Toutes ces circonstances auxquelles l’accusé n’a opposé que des dénégations ne laissent pas le moindre doute sur sa culpabilité.
Indépendamment des seize Polonais que Parent avait engagés et auxquels il payait deux francs par jour, d’autres individus ont encore cherché à associer d’autres hommes au complot. Le 28 octobre, Van Laethem rencontra dans un estaminet de la rue de Louvain un maréchal des logis au régiment des Guides. Il l’engagea à sortir avec lui et il lui dit qu’il n’y avait pas d’avancement pour les sous-officiers «  Si vous voulez faire avec nous pour samedi soir avant la retraite ajouta Van Laethem, je vous promets un brevet de sous-lieutenant et une somme de 4,000 fr.; tâchez de réunir quatre à cinq sous-officiers de vos camarades, de bons lurons comme vous, et ils auront le:
mêmes avantages s’ils veulent lutter avec nous : quand on a les sous-officiers, on a les soldats en même temps. Au premier signal qui aura lieu samedi soir, nous nous rendrons maîtres du chemin de fer, nous
expédierons 4 à 500 hommes sur Liége, nous mettrons en même temps le feu au Petit-Château, et pendant que la police sera occupée à éteindre l’incendie et que toute la troupe se sera portée sur les lieux dans le même but, nous nous emparerons facilement des casernes des Annonciades et de Sainte-Elisabeth. »

Deux jours auparavant l’accusé avait fait de semblables propositions au nommé Audewater, bottier à Ixelles. L’ayant rencontré, le lundi 2 octobre, au cabaret des Trois-Couleurs, Grand’Place, il lui avait demandé s’il consentirait à aller en Portugal , et il lui avait dit de se rendre chez Demol où on l’enrôlerait pour cette expédition. Audewater s’y rendit effectivement, mais il apprit qu’on ne recevait plus d’engagement pour le Portugal. Il retourna ensuite aux Trois-Couleurs , il fit part à Van Laethem de la réponse qu’on lui avait donnée, et Van Laethem lui dit de venir le trouver chez lui, le lendemain matin à 7 heures. Audewater se présenta en conséquence le lendemain matin, à l’heure convenue, chez l’accusé qui lui fit inscrire son nom et sa demeure sur un morceau de papier et qui lui donna 2 fr. Ils sortirent ensemble ; Van Laethem fit boire la goutte à Audewater dans deux cabarets différents, et il finit par lui dire que ce n’était pas pour aller en Portugal qu’il l’avait engagé, mais pour commencer une révolution en Belgique. Il lui recommanda de venir chez lui tous les jours pour savoir quand la chose aurait lieu.

Vers six heures et demie du soir, Van Laethem rencontra dans un cabaret hors de la porte de Laeken, les soldats Dulien, Hazard et Roscamps, du régiment d’élite. Il les engagea à boire un verre de bière avec lui, et ayant attiré Dulien hors de la maison, il lui demanda s’il n’était pas disposé â partir pour l’Egypte. Il fit ensuite la même proposition aux deux autres ; il leur paya quatorze litres de bière, et il leur donna rendez-vous pour le lendemain, dans le même cabaret. Les trois soldats y étant revenus dans la matinée du 27 octobre, Van Laethem s’y présenta également; il leur fit prendre des bifteks , de la bière et du café, et il leur dit que l’affaire dont il les avait entretenus la veille ne pouvait avoir lieu pour le moment; qu’elle serait différée de trois, de cinq ou de quinze jours, peut-être même de deux ou trois mois, qu’il devait réunir 3 à 400 hommes avant de commencer, et qu’il les embarquerait à Ostende lorsqu’il aurait assez de monde.

Tandis que Van Laethem recrutait en ville et dans les faubourgs d’autres hommes parcouraient les campagnes dans le même but C’est ainsi que trois individus se sont présentés, à deux reprises différentes, le dimanche 24 octobre, vers 4 heures de l’après-midi, et le lundi 25 dans la soirée, chez le nommé Aldersoens, cabaretier à Woluwe-St.-Pierre â qui ils ont demandé s’il n’y avait pas d’anciens militaires ou des gens sans ouvrage dans la commune. Ils lui ont proposé à lui-même de partir pour Alger, et ils lui ont dit qu’ils parcouraient les villages pour trouver d’anciens soldats.

Les faits que nous venons d’analyser démontrent clairement que Van Laethem aussi bien que De Crehen et Parent, était l’un des agents de Vandermeere, de Parys et de l’ex-général Vandersmissen. Aussi De Crehen a-t-il déclaré dans son troisième interrogatoire qu’il avait vu plusieurs fois Van Laethem chez l’ex-général Vandersmissen, et que Van Laethem lui avait dit en sa présence qu’il pouvait compter sur lui.

Pour établir la culpabilité des accusés, il nous suffirait de prouver dans leur chef une résolution concertée de renverser le gouvernement. Nous n’avons pas à examiner si cette résolution avait ou non des chances de succès; nous sommes persuadé qu’elle aurait échoué devant la volonté nationale, mais nous sommes convaincu en même temps qu’elle aurait attiré des malheurs incalculables sur la ville de Bruxelles, qui a déjà eu tant à souffrir par d’autres mouvements populaires.

D’après la commande de 150 boulets et de 100 boîtes à mitraille, d’après l’achat bien constaté de plus de 80 kilogrammes de poudre, il est certain que les accusés avaient au moins 250 coups de canon à tirer, et cela suffisait déjà pour faire de nombreuses victimes. Il est également certain qu’ils voulaient joindre l’incendie à ces moyens de destruction c’est un fait que Van Laethem a révélé au maréchal des logis qu’il cherchait à embaucher, un fait que l’on a appris an major Kessels dans la journée du 26 septembre, en lui disant qu’on mettrait le feu au magasin aux fourrages et à la maison du bourgmestre, un fait que Verpraet a signalé à son tour, le 30 octobre, à un soldat du 1er régiment de chasseurs à pied. Verpraet lui a dit qu’on voulait mettre le feu à l’entrepôt et s’emparer des armes dans les casernes, pendant que la troupe se serait portée sur le théâtre de l’incendie. Tous ces moyens de destruction auraient eu pour résultat d’augmenter le trouble, peut-être même de donner aux accusés un succès momentané.

Si nous nous en référons aux dires des accusés Vandermeere et Vandersmissen, rapportés par le major Kessels et par De Crehen, le mouvement devait être beaucoup plus grave encore et eût amené la guerre civile en Belgique, puisque, d’après ces accusés, le général Daine faisait partie du complot et devait marcher sur Bruxelles avec sa division pour appuyer le gouvernement de fait qu’il y aurait trouvé établi.

Le général Daine a repoussé cette imputation, en protestant de son dévouement au Roi et aux institutions qui nous régissent, mais nous n’en devons pas moins fixer notre attention sur les rapports que Vandermeere a eus avec ce général, parce qu’ils élèvent une nouvelle charge contre l’accusé.

Il est prouvé, en effet, que Vandermeere a avancé 3,000 fr. au général Daine, le 7 septembre 1841 ; qu’il lui en a encore avancé mille le 23 octobre. Et cependant Vandermeere était dans une position très gênée; il laissait en souffrance, comme nous l’avons dit, de petites dettes de 100, 200 et 500 fr.; il avait dû emprunter plus de 25,000 fr. à son receveur; il avait dû laisser protester le 13 août quatre billets s’élevant ensemble à 20,000 fr., et qu’il avait garantis par son aval; il avait laissé protester le 15 octobre un billet de 5,000 fr. qu’il avait créé le 24 septembre; il avait enfin laissé protester le 26 octobre, un billet de 200 livres sterling revêtu de son acceptation. Pour avancer dans de semblables circonstances, et dans les mois de septemhre et octobre, une somme de 3,000 fr. au général Daine, il fallait nécessairement avoir un autre motif que le désir d’obliger un ami; et ce motif ne pouvait être que de se rendre favorable un homme sur lequel on croyait pouvoir compter.

C’est probablement aussi dans le même but que Vandermeere s’est rendu chez lui dans le courant du mois d’octobre, qu’il y a passé la nuit, qu’arrivé à Mons à 9 heures du soir et reparti le lendemain à 7 heures du matin, il n’y a vu que le général et son aide de camp, car Vandermeere n’assigne pas d’autre motif a cette course précipitée, que le désir d’obliger le général Daine, en lui donnant le moyen de s’affranchir de quelques protêts dont il était menacé. Une démarche aussi singulière n’était qu’un nouveau moyen de séduction par lequel Vardermeere cherchait à captiver une influence qu’il croyait puissante.

Nous avons exposé les faits qui ont précédé l’arrestation des accusés : il nous reste à parler de ceux qui l’ont suivie.

Dans la journée du 29 octobre, un inconnu vint accoster le portefaix Sirejacobs, qui stationnait au canal; il lui dit qu’il y avait plus d’ouvrage sous le régime hollandais qu’aujourd’hui ; il lui demanda son nom et son adresse en s’informant s’il pourrait le trouver au besoin, et il lui donna environ cinquante cents.

Le dimanche, 31 octobre, entre midi et une heure, cet individu rencontra de nouveau Sirejacobs au Marché-aux-Grains. Il lui dit qu’une révolution allait éclater en France et bientôt en Belgique ; il lui donna 4 fi. 60 centimes en différentes pièces de monnaie, en lui recommandant de boire cet argent avec ses camarades, et de se trouver avec eux à sept heures du soir derrière le palais du prince d’Orange, sous les arbres, pour commencer à saccager les maisons qu’on lui indiquerait. « Vous aurez un chef pour vous commander, ajouta l’inconnu; le gouvernement hollandais reviendra, et ceux qui se seront bien comportés auront les premières places et seront heureux. Les chefs des militaires auront bien l’ordre de faire feu, mais les soldats tireront en l’air. »

La veille, vers quatre heures de l’après-midi, la femme de l’ex-général Vandersmissen s’était rendue a Etterbeek chez le major de Saeger, qui était sorti. Elle s’adressa à l’un de ses fils, sergent-major au régiment d’élite; elle lui demanda si elle pouvait avoir confiance en lui, en ajoutant qu’il y allait de son avenir, qu’il devait avoir du courage et de la fermeté, qu’il serait capitaine si l’affaire marchait bien, et qu’il devait tacher de la faire réussir. Elle le chargea de remettre à son père un papier sur lequel elle lit écrire par Desaeger fis: « Place du rendez-vous entre la rue Verte et le palais du prince d’Orange. Les cris sont : « A bas la calotte, a bas les ministres, allons délivrer les prisonniers! Il faut se rendre à la prison des Petits-Carmes et en route casser les lanternes, les vitres et faire du tapage. » Elle lui demanda si son père avait beaucoup de monde, et elle lui dit qu’il devait réunir ses hommes le lendemain, 30 octobre, à 7 heures du soir; qu’il en viendrait d’autres encore, qu’ils devaient être habillés de blouses et armes de haches et de pioches. Elle assignait donc précisément au rendez-vous de ces hommes, l’heure et l’endroit qu’on a indiques le lendemain à Sirejacobs; et tandis que l’inconnu lui parlait de saccager les maisons qu’on leur désignerait, l’accusée voulait qu’ils fussent armés de haches et de pioches.

En se retirant elle avait dit que Besaeger père devait venir la trouver chez elle à neuf heures du soir. Desaeger fils s’y rendit à sa place; il fut reçu par le fils Vandersmissen, qui lui répéta que le mouvement devait commencer le lendemain soir, à sept heures, L’accusée le fit ensuite monter auprès d’elle; elle lui annonça qu’elle venait de recevoir des nouvelles que le mouvement commencerait à dix heures et demie du matin, qu’il serait entamé par des soldats du 1er régiment de chasseurs à pied; qu’elle leur avait donné de l’argent et que si les chasseurs ne commençaient pas le matin, le mouvement éclaterait à six heures du soir. Et en effet l’accusé Verpraet, si sortait de ce régiment, avait cherché dans la journée même à embaucher des soldats.

Vers onze heures du matin, il avait attiré le chasseur Vanderhulst dans un cabaret, près de Ste-Gudule, pour lui payer à boire; il avait tiré de sa poche un papier sur lequel il y avait plusieurs noms, et il avait offert 25 francs à Vanderhulst s’il voulait signer avec les autres. Il lui avait dit qu’il s’agissait de mettre le feu à l’entrepôt, et de s’emparer des armes de la troupe lorsqu’elle serait allée éteindre l’incendie. Il ajoutait que c’étaient deux sous-officiers des guides qui les aient trahis, mais que l’affaire n’en resterait pas là. Verpraet avait fat le même jour des propositions semblables à un ancien capitaine pensionné, en lui disant que, s’il voulait, il aurait soixante hommes commander et de l’argent.

Confronté avec ce capitaine et avec le chasseur Vanderhulst, l’accusé a dû reconnaiitre qu’il allait presque tous les jours chez le marchand de liqueurs signalé par ces deux témoins ; il a dû reconnaître aussi qu’il avait payé à boire à plusieurs chasseurs de son ancien régiment, mais il a nié leur avoir fait aucune proposition criminelle, bien que leurs dépositions se trouvent continuées par celle du fils Desaeger, à qui la femme de l’ex-général Vandermissen disait dans la soirée du 30 octobre, comme nous l’avons vu, qu’elle avait donné une poignée d’argent à des soldats du régiment de chasseurs à pied, et que c’étaient eux qui commenceraient le mouvement.

L’instruction que nous venons d’analyser prouve qu’il y avait en Belgique quelques hommes qui n’ont pas craint de mettre leur propre volonté au-dessus de la loi et de la volonté nationale. Elle nous montre Vandermeeren, Parys et les frères Vandersmissen comme les premiers auteurs d’un complot qui avait pour but de renverser le gouvernement. Elle met Parys et Vandersmeeren en rapport avec De Crehen lorsqu’il se rendait à Anvers pour acheter et pour faire expédier les deux pièces de canon. Elle les réunit chez les frères Jones avec l’ex-général Vaudersinissen, une heure après que M. Levae eu ordonné à De Crehen d’enlever ces canons du local des Finances. Elle nous fait voir les trois accusés réclamant ensemble une remise pour y cacher deux pièces d’artillerie. Elle nous montre Parys faisant une autre démarche, dans le même but, chez M. Janssens de Cuyper, en venant examiner le magasin de la rue du Commerce avec De Crehen qui était allé l’attendre près de l’Allée-Verte. Elle prouve enfin qui
dans la soirée du 29 octobre, lorsqu’ils cherchaient à organiser un coup de main pour la nuit même, Vandermeere, et l’ex-général Vandersmissen ont fait appeler à deux reprises différentes leur coaccusé Parys, qui les avait accompagnés trois jours auparavant chez les frères Jones ; qu’ils se sont empressés de lui faire connaître, et par deux messages différents, l’arrestation de De Crehen; qu’ils lui ont fait dire par la femme dudit Vandersmissen, qu’ils comptaient sur lui, qu’ils avaient besoin d’un homme d’action, que tout irait bien.

S’il fallait ajouter un dernier degré d’évidence à des faits qui établissent aussi clairement un concert criminel entre les accusés, la procédure nous fournirait encore d’autres éléments de preuve qui viendraient confirmer leur culpabilité. Elle nous montrerait les principaux auteurs du complot nantis de sommes assez considérables dans le courant du mois d’octobre; elle nous signalerait de nouveaux rapports entre eux et les hommes qu’ils avaient associés à leur coupable entreprise.

Il est établi, en effet, qu’à partir du 15 octobre, l’ex-général Vandersmissen a échangé six billets de banque de 1,000 fr. chacun ; qu’indépendamment des 1,800 fr. donnés à De Crehen pour l’achat de deux pièces de canon, et de 3,000 francs comptés au général Daine à la date du 7 septembre et du 23 octobre, Vandermeere avait encore en sa possession deux billets de banque de 1,000 francs qu’il a échangés dans le courant de ce dernier mis ; qu’enfin , Parys a donné un billet de 1,000 francs, le 12 octobre, en paiement d’une somme de 450 francs qu’on venait lui réclamer et qu’il avait alors dans son secrétaire une grande quantité de pièces de dix florins, rangées en piles, sur un pied de longueur et trois à quatre pouce de largeur.

Il est établi également que de Crehen à qui Vandermeeren avait donné à Anvers deux rendez-vous successifs, lui faisait de fréquentes visites à Bruxelles, et que le 29 octobre, dès que les poursuites étaient commencées, les prévenus se hâtèrent de courir les uns chez les autres. C’est ainsi que la vigilante n°185 venait prend chez Vandermeere, à deux heures de l’après-midi , la femme avec laquelle vivait Parent et que Vandermeeren le faisait cherche lui-même dans la soirée pour l’associer au coup de main qu’il méditait, en recommandant à son domestique de s’informer si Parent était arrêté. C’est ainsi encore que la femme de l’ex-général Vandersmissen s’est présentée à trois reprises différentes chez Vandermeere dans l’après-dîner du même jour, et qu’elle a dû se retirer chaque fois parce que les officiers de justice se trouvaient dans la maison.

En conséquence de ce qui précède, Auguste-Louis-Nicolas comte Vandermeere, Jacques-Dominique Vandersmissen, Jean-Pierre Parys, Joseph Vandersmissen, Egide-François-Mathieu-Marie Crehen, plus connu sous le nom de De Crehen , Pierre-Jean-Joseph Parent, Philippe-Alexandre Verpraet, Louise-Catherine Colleton-Graves, femme de Jacques-Dominique Vandersmissen et Isidore Charles-Richard Van Laethem, sont accusés :

1° D’avoir arrêté et concerté entre eux en Belgique, pendant les mois d’août, septembre et octobre 1841, la résolution de détruire ou de changer le gouvernement ou l’ordre de successibilité au trône, la résolution d’exciter les citoyens ou habitants à s’armer contre l’autorité royale, la résolution d’exciter la guerre civile en portant les citoyens â s’armer les uns
contre les autres, la résolution enfin de porter la dévastation et le pilage à Bruxelles et dans d’autres communes de la Belgique:;

2° D’avoir en outre, pour parvenir à détruire ou changer le gouvernement ou l’ordre de successibilité au trône, pour parvenir à exciter les citoyens ou habitants à s’armer contre l’autorité royal, pour parvenir à exciter la guerre civile en portant les citoyens à s’armer les uns contre les autres, pour parvenir enfin à dévastation et le pillage à Bruxelles et dans d’autres communes de la Belgique, respectivement commis 1cs faits suivants :

A. Egide-François-Matthieu-Marie De Crehen , d’avoir acheté deux pièces de canon à Anvers, dans le courant du mois d’octobre 1800 quarante et un, et Auguste-Louis-Nicolas comte Vandermeere, de s’être rendu coupable de ce crime, 10 pour avoir donné des instructions pour le commettre ; 2° pour avoir fourni les fonds nécessaires à l’achat des deux pièces de canon, sachant qu’ils devaient servir à ce crime ;

B. Le même De Crehen d’avoir, à Bruxelles, dans le courant du mois d’octobre 1800 quarante et un, commandé et payé deux sacs à étoupilles, deux sacs à charge, deux boîtes pour lances à feu avec leurs accessoires, cent cinquante boulets et cent boîtes à mitraille ; et Jacques-Dominique Vandersmissen, de s’être rendu coupable de ce crime, 1° pour avoir donné des instructions pour le commettre ; 2° pour avoir fourni les fonds nécessaires au payement de ces différents objets, sachant qu’ils devaient servir à ce crime ;

C. Le même de Crehen d’avoir acheté à Bruxelles,dans le courant du moi d’octobre 1800 quarante et un, cinquante kilogrammes de  poudre et un coupon de mérinos pour faire des gargousses et Jacques-Dominique Vandersmissen de s’être rendu complice de ce crime, 1° pour avoir donné des instructions pour le commettre; 2° pour avoir fourni les fonds nécessaires au payement de cette poudre et de ce mérinos, sachant qu’ils devaient servir à ce crime;

D. Jacques-Dominique et Joseph-Henri Vandersmissen d’avoir disposé un local pour la confection des gargousses et d’y avoir fait transporter, à cet effet, les objets repris sous la lettre C.

E. Egide-François-Mathieu-Marie De Crehen et Pierre-Jean-Josepb Parent, d’avoir acheté ensemble à Bruxelles, le vingt-neuf octobre 1800 quarante et un, chez Virginie Boité, un baril contenant cinquante livres de poudre et un sac qui en renfermait dix- huit, sac que Parent a emporté chez lui;

F. Pierre-Jean-Joseph Parent, Philippe-Alexandre Verprart, Louise-Catherine Caneton-Graves, femme de Jacques-Dominique Vandersmissen, ledit Jacques-Dominique Vandersmissen et Isidore-Charles-Richard Van Laethem, d’avoir, à Bruxelles, dans le courant du mois de septembre et du mois d’octobre 1800 quarante et un cherché à embaucher dans le même but des bourgeois et des soldats, on tout au moins, de leur avoir fait une proposition, non agréée par eux, d’entrer dans un complot contre le gouvernement; sur quoi la cour d’assises de la province de Brabant aura à prononcer.

Fait en assemblée générale du parquet de la cour d’appel, à Bruxelles, le 24 janvier 1842.

Le procureur général,

J.-L.-J. FERNELMONT.