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COMPLOT ET ATTENTAT CONTRE
ACTE D’ACCUSATION
(Extrait du
Moniteur belge n°59, du 28 février 1842)
Le
procureur général près la cour d’appel de Bruxelles expose que la cour, par
arrêt du 19 janvier
1°
Auguste-Louis-Nicolas Vandermeere, âgé de 45 ans, général-major en
disponibilité de service, né à Bruxelles et domicilié à Postel ;
2°
Jacques-Dominique Vandermeere, âgé de 53 ans, ex-général, actuellement sans
profession, né et demeurant à Bruxelles ;
3°
Jean-Pierre Parys, âgé de 53 ans, intendant de la gendarmerie, né et demeurant
à Bruxelles ;
4°
Joseph-Henri Vandersmissen, âgé de 40 ans, négociant, né à Bruxelles et
demeurant à Etterbeek
5°
Egide-François-Mathieu-Marie Crehen, plus connu sous le nom de De Crehen, âgé
de 32 ans, militaire pensionné, né et demeurant à Bruxelles ;
6°
Pierre-Joseph Parent, âgé de 37 ans, ex-colonel de volontaires, né à Tongres et
demeurant à Bruxelles ;
7°
Pierre-Alexandre Verpraet, âgé de 24 ans, né à Charleroy, ex-caporal au 1er régiment
de chasseurs à pied ;
8°
Louise-Catherine Colleton-Graves, femme de Jacques-Dominique Vandersmissen, âgé
de 49 ans, née à Devon, comté de Devon, en Angleterre, et demeurant à
Bruxelles ;
9°
Isidore-Charles-Richard Van Laethem, âgé de 29 ans, ex-officier, né à Bruxelles
et demeurant à Ixelles ;
Accusés
des crimes prévus par les articles 87, 88, 89, 90, 91 et 60 du Code pénal.
En
conséquence, le procureur général soussigné a rédigé le présent acte
d’accusation; par lequel il expose, qu’il résulte des pièces du procès, les
faits et détails suivants :
Depuis
le traité de paix du 19 avril 1839,
Des
conséquences aussi déplorables n’ont pas arrêté des hommes qui, mécontents de
leur position, perdus de dettes, ou attachés d’une manière plus ou moins
ostensible à la maison d’Orange, fondaient sur un changement de gouvernement
l’espoir d’un meilleur avenir pour eux-mêmes. Deux de ces hommes appartenant à
Pour
lever l’étendard de la révolte, il fallait des armes et des munitions; il
fallait chercher à ébranler la fidélité du soldat, il fallait recruter des
hommes propres à soutenir un coup de main. De Crehen, commandant des blessés de
Septembre, attaché par certains rapports à M. de Beaumont, artificier du Roi,
pouvait à ce double titre et mieux que tout autre, acheter des armes et des
munitions, sans éveiller l’attention publique; on eut donc accours à lui.
Parent, ancien chef des volontaires, Van Laethem, qui avait fait la guerre en
Portugal avec la légion belge, Verpraet, ex-caporal au 1er régiment
de chasseurs à pied, étaient en position de recruter dans l’armée et hors de
l’armée les hommes qui auraient pu faire un mouvement révolutionnaire. Cette
tâche leur fut donc attribuée, et ils se mirent en devoir d’associer à une
entreprise qui devait procéder par le pillage et l’incendie, comme nous le
verrons plus tard, tous ceux qui ne reculeraient point devant de pareils
moyens.
Décidés
à commettre des actes aussi coupables, les accusés n’avaient pas même pour
excuse un prétendu motif d’intérêt public. Ils n’étaient poussés au crime que
par des considérations personnelles, par des embarras financiers, par une
misère profonde ou par une ambition déçue. C’est ainsi que nous voyons figurer
parmi eux l’ancien général Vandersmissen, qui ne pouvait regagner que par une
révolution, le titre et les honneurs qu’une première conspiration lui avait
fait perdre; le général Vandermeere, qui croyait peut-être avoir à se plaindre
de sa mise en disponibilité, et qui était dans une position tellement gênée, que son receveur avait dû lui faire
des avances considérables, et que lui-même laissait en souffrance de petites
dettes de 100, 200 et 500 francs; enfin les nommés De Crehen et Parent, dont la
profonde misère est pleinement établie au procès, puisque le premier réclamait
à la dace du 9 septembre, une modique somme de vingt francs pour pouvoir se
procurer ce qui lui était nécessaire pour soigner une blessure qui venait de se
rouvrir, tandis que l’autre mendiait à la même époque un secours de 250 francs,
et qu’il écrivait à M. le ministre de l’intérieur « … qu’il se trouvait dans un
état de besoin difficile à décrire;… qu’il se trouvait dans la dernière des
misères..., que si le ministre n’avait pas la bonté de prendre une décision
immédiate (avant deux fois 48 heures) il serait obligé de vendre le peu
d’effets qui lui restaient pour s’alimenter, ce qui prouve évidemment,
disait-il, que cette demande n’était faite qu’à la dernière des extrémités. »
Vers
le milieu du mois d’août dernier, Vandermeere, qui se trouvait au café des
Mille-Colonnes à quelque distance de M. l’avocat Jottrand, s’approcha de ce
dernier, se mit à l’entretenir du mécontentement qu’il disait exister dans le
pays et dans l’armée; il lui déclara que « beaucoup de monde pensait que le roi
Guillaume Il, ancien prince d’Orange conviendrait au gouvernement de
Quelques
jours après, le docteur Feignaux demanda à M. Jottrand s’il avait entendu
parler d’un projet de restauration orangiste qui semblait se tramer dans le
pays; il assura que la chose était bien réelle. M. Feignaux a encore parlé dans
le même sens à deux autres témoins; il a même demandé à l’un d’eux ce qu’il
ferait en pareille occurrence, et il lui adit qu’il s’agirait de prendre le
dessus.
Vers
le 2 ou le 3 du mois de septembre, un habitant du Limbourg cédé, raconta à M.
Jottrand que le roi Guillaume II devait nourrir la même opinion si on en
jugeait par certains propos qu’il aurait tenus publiquement lors de sa tournée
toute récente dans cette province; enfin M. Jottrand s’assura par lui-même, en
parcourant du 22 au 29 septembre la partie cédée du Luxembourg, qu’on s’y
attendait généralement et pour une époque assez prochaine, à une restauration
orangiste en Belgique. Certaines personnes attribuaient même à l’attente de cet
événement, la suspension de la ratification du traité d’union douanière qui
venait d’être conclu entre
En
cherchant de son côté à accréditer cette opinion, en la soutenant même avec
insistance, le général Vandermeere préludait au complot qui devait bientôt se
manifester par des faits, et dont il devait être un des principaux artisans.
A la
fin du mois d’août, ou dans les premiers jours de septembre, l’ex-général
Vandersmissen rencontra le major pensionné Desaeger. Il l’accosta et lui
dit : « Vous êtes toujours dans la même position, mais cela changera
sous peu, et cela a une queue, une queue. » Dans une autre entrevue il lui
dit encore: « Nous allons les mettre à leur place, ce sera notre tour et
vous commanderez la place de Bruxelles, aussi sûr que vous tenez la canne à la
main. » Il finit une autre fois par lui donner cinq pièces de dix florins,
que Desaeger a remises au juge d’instruction, et qui devaient servir à faire
boire les hommes qu’il enrôlerait.
Vers
la même époque, Joseph Vandersmissen rencontra également le major Desaeger près
de l’estaminet de
Plus
tard, à la date du 25 septembre, Joseph Vandersmissen s’est expliqué d’une
manière encore plus formelle en présence du major Desaeger et du docteur Demoor
: « Le canon grondera demain à Bruxelles, leur disait-il; il y aura demain soir
un mouvement dans le Parc. Les républicains se sont réunis aux orangistes;
demain on proclamera soit Guillaume Il, soit la république; les hommes les plus
honorables et les plus influents sont à la tête. » Il ajouta que tout bon
patriote devait aider à ce mouvement parce que le pays était plus heureux sous
l’ancien gouvernement qu’aujourd’hui, et que le prince d’Orange avait toujours
aimé les Belges.
Tandis que les frères Vandersmissen tenaient de semblables discours aux deux
personnes que nous venons d’indiquer, l’ex-général Vandersmissen et le général
Vandermeere s’expliquaient dans le même sens vis-à-vis du major Kessels.
Arrivé
à Bruxelles le 25 septembre, le major Kessels avait rencontré l’ex-général
Vandersmissen sur
Ils
dirent à ce sujet qu’après avoir délibéré si le mouvement se ferait sous le
drapeau orange ou sous le drapeau tricolore belge, ils s’étaient décidés pour
ce dernier, de crainte que la vue du drapeau orange ne produisit mauvais effet
sur le peuple, et n’empêchât la réussite de leurs projets. Ils ajoutèrent que,
par suite de la séparation administrative, l’armée belge resterait entière et
qu’aucun Hollandais n’y serait admis.
Le major Kessels leur fit à cet égard de nombreuses objections ; il leur
démontra qu’en supposant qu’ils parvinssent à se rendre maîtres de Bruxelles
par surprise, ils auraient contre eux le reste du pays, et notamment les places
fortes; que si, contre toute attente, ils pouvaient avoir un succès momentané
dans le pays , il n’était pas douteux que le gouvernement français n’intervint
en envoyant un corps d’armée au secours du gouvernement belge; que, par
conséquent, leur projet n’aurait d’autre résultat que d’amener la guerre
civile. Mais ils répondirent que
Le
major Kessels a maintenu cette déclaration en présence de Vandermeere et
Vandersmissen, qui ont nié tous les propos qu’on leur attribue. Vandermeere a
même prétendu ne pas se souvenir d’une entrevue qu’il aurait eue avec lui chez
Parys; mais cette dénégation ne peut être que mensongère, puisque les propos
rapportés par Kessels, quant à la résolution d’effectuer une restauration
orangiste, s’accordent parfaitement avec ceux que nous rapportent MM. Desaeger
et Demoor, bien qu’il leur fût impossible, en déposant les 5 et 11 novembre, de
prévoir ce que Kessels viendrait déclarer à la justice trois semaines plus
tard, comme il était impossible au major Kessels de savoir le 2 décembre ce que
MM. Desaeger et Demoor avaient déclaré trois semaines auparavant.
Il en
est de même des propos relatifs au général Daine, puisque de Crehen s’était
exprimé dans le même sens, le 28 du mois d’octobre, en offrant à un réfugié
polonais de le mettre en rapport avec les généraux Vandermeere, Vandersmissen
et Daine pour opérer une restauration en faveur de Guillaume Il, et en lui
disant que Daine marcherait avec sa division sur Bruxelles. Il a répété la même
chose dans son quatorzième et son quinzième interrogatoires, et cette parfaite
concordance entre deux hommes qui ne s’étaient pas vus, qui n’avaient pu se
concerter pour attribuer à Vandermeere et Vandersmissen les propos qu’ils
rapportent l’un et l’autre de la même manière, prouve évidemment que ces propos
doivent avoir été tenus. La déclaration du major Kessels se trouve donc
pleinement justifiée, et elle démontre déjà à la date du 25 septembre et dans
le chef de Vandermeere et Vandersmissen, une résolution arrêtée de renverser le
gouvernement et d’opérer une restauration orangiste. Cette résolution, ainsi
que nous l’avons vu, résultait également pour les deux frères Vandersmissen des
rapports qu’ils avaient eus avec MM. Desaeger et Demoor.
D’après
ce que Joseph Vandersmissen lui avait dit, le mouvement devait éclater le
dimanche des fêtes de septembre; mais il fut alors ajourné. Desaeger lui en
demanda la cause, et Vandersmissen lui répondit que l’affaire n’avait pas lieu
parce qu’il y avait eu contre-ordre, et parce que le roi de Hollande désirait
que cela fût remis. Le major Desaeger a déclaré également qu’après les fêtes de
Septembre M. Vandenplas lui avait dit qu’on n’attendait plus que l’ordre de
commencer, de
Pour
faire croire davantage à la possibilité du succès, Vandermeere a dit un jour au
major Kessels que le roi de Hollande, Guillaume II, avait donné sa parole de
chevalier, que si le gouvernement transitoire l’appelait au trône de
Dans
les premiers jours du mois d’octobre, de Crehen se rendit à Anvers chez le
sieur Van de Leemputte, fondeur-mécanicien, pour y marchander deux pièces de
canon en bronze, de six centimètres de calibre, ces deux pièces étaient sur
affûts; le prix en fut fixé à 4,800 francs. De Crehen revint le 13 du même mois
en disant qu’il fallait pour chaque pièce un levier et un petit seau, il revint
encore le 16, tira de son portefeuille deux billets de banque de 100 francs
qu’il remit au sieur Van de Leemputte, à-compte du prix d’achat, en disant
qu’il devait se rendre le même jour à Liége, et qu’il reviendrait le
surlendemain pour prendre livraison des deux pièces de canon; mais il ne
reparut que le samedi 23. Il compléta alors la somme de 1,800 fr. au moyen de
deux billets de banque, l’un de 1,000 fr. et l’autre de 500 francs, et il paya
le surplus en pièces de 10 florins. Il recommanda en même temps au sieur Van de
Leemputte de faire partir les canons pour Bruxelles par le chemin de fer, et de
les adresser bureau restant, à M. de Beaumont, artificier du roi. Ils furent
remis le même jour à la station d’Anvers, mais ils n’arrivèrent à Bruxelles que
le dimanche soir, 24 octobre.
La
veille, vers six heures du soir, de Crehen s’était déjà présenté à la station
de Bruxelles, avec une voiture à déménagement du sieur de Wallens, pour y
prendre les deux pièces de canon; il y revint le dimanche matin, pour
s’informer si elles étaient arrivées, et il tira de sa poche dans un cabaret
voisin où il payait à boire à un officier de police du chemin de fer, un
rouleau de 60 à 80 guillaumes, lui qui était réduit, dans les premiers jours de
septembre, à mendier un secours de 20 francs. Les canons étant enfin arrivés le
dimanche soir, De Crehen vint les prendre avec la même voiture de déménagement,
le lundi 25, vers sept heures du matin, et il les fit porter au local des
blessés de Septembre, rue des Sols, où il les déposa dans un grenier.
Tandis
que De Crehen allait acheter les canons à Anvers, Vandermeere expédiait à Liége
le commis de l’intendant Parys, pour y chercher le major Kessels. Celui-ci
arriva à Bruxelles le 12 ou le 13 octobre; il se rendit chez Vandermeere, qui
le reçut très-froidement, et qui lui dit « Major, je dois vous apprendre que
nous sommes informés que pendant la journée du 26 septembre, vous avez été
trois fois au ministère de la guerre, et que vous avez mis le ministre au
courant de ce que nous vous avons dit. » Cette accusation était fausse,
puisque le major Kessels n’avait signalé à M. le ministre qu’un fait qu’il ne
tenait point des accusés, et dont nous parlerons plus tard.
Il
n’eut donc pas de peine à se justifier aux yeux de Vaudermeere, et celui-ci
l’engagea à ne pas rompre avec eux, en lui disant qu’il aurait lieu d’être
satisfait. Il lui offrit même la place de colonel d’artillerie et cent mille
francs pour entrer dans le complot.
Le
lendemain vers midi, le major Kessels se rendit chez Parys où se trouvait
Vandermeere; la conversation recommença sur la politique; Vandermeere dit à ce
sujet que leur plan était assuré, et que la conspiration avait de nombreuses
ramifications dans l’armée. Sur les observations du major qu’ils se faisaient
illusion, et que la garnison de Bruxelles suffisait pour comprimer l’émeute,
Vandermeere répliqua « Nous aurons d’abord soin de nous emparer du ministre de
la guerre, du commandant de place Stroykens et du major Lahure; ceux-ci étant
une fois en notre pouvoir, le reste se fera facilement. »
Vandermeere
lui a encore dit à la même époque qu’il voulait s’emparer de l’encaisse des
banques et en donner un reçu, parce que c’était une arme trop dangereuse entre les
mains de l’ennemi, et parce qu’il avait d’ailleurs besoin de ces fonds pour
faire face aux dépenses que nécessiterait le nouveau gouvernement. Il se
proposait, disait-il, de donner plus tard un compte détaillé de l’emploi de cet
argent.
De
Crehen, qui ne savait pas ce que le major Kessels avait déclaré ou déclarerait
à la justice, a fait des révélations analogues.
Dans
son premier interrogatoire, il a représenté Parys comme ayant pris une part
très active au complot. D’après ce même interrogatoire, l’ex-général
Vandersmissen lui avait dit le dimanche des fêtes de Septembre qu’il comptait
sur lui et sur les blessés qu’il commandait, pour soutenir le mouvement qui
devait éclater le soir, et qui serait appuyé par la nation; plus tard, il était
venu lui dire que l’affaire serait remise parce qu’ils n’étaient pas en mesure;
le 27 ou le 28 septembre, il l’avait envoyé chez Vandermeere, pour s’entendre
avec lui; Vandermeere lui avait dit alors que l’état du pays exigeait un
changement de gouvernement qui replaçât
Dans
son dixième interrogatoire, De Crehen a déclaré qu’il s’était trouvé chez
Vandermeere, cinq ou six jours avant son arrestation, avec Parys et une autre
personne; que Parys insistait pour que l’on commençât de suite, en disant qu’il
fallait profiter du moment où le Roi était à son château d’Ardennes; que
Vandermeere répondit qu’on n’était pas en mesure,que les ouvriers de Gand
avaient en ce moment assez d’ouvrage, et qu’il fallait attendre jusqu’à ce
qu’ils fussent dans une position plus ou moins critique. Il a déclaré encore,
dans le même interrogatoire qu’un autre jour Parys et Vandermeere avaient dit en
sa présence que les puissances verraient avec plaisir
Ces
propos, rapprochés de ceux qui nous sont attestés par MM. Desaeger, Demoor et
Kessels, démontrent clairement dans le chef des frères Vandersmissen, de Parys
et de Vandermeere, la résolution bien arrêtée de renverser le gouvernement et
d’opérer une restauration orangiste; et cette preuve est d’autant plus forte,
que Desaeger, Demoor, Kessels et De Crehen n’avaient pu s’entendre à cet égard,
et qu’il serait physiquement impossible qu’ils eussent parlé tous quatre dans
le même sens, si les propos qu’ils rapportent n’avaient pas été réellement
tenus. L’ex-général Vandersmissen a d’ailleurs manifesté les mêmes intentions
au nommé Dewever, qu’il avait attiré chez lui à l’époque des fêtes de septembre,sous
prétexte de lui donner des secours, et à qui il demanda quelques jours après
s’il ne connaissait personne sans ouvrage pour renverser l’Etat et combattre le
roi. Vandersmissen lui avait dit alors qu’il y avait beaucoup de fusils à
Ixelles au local d’hiver de la garde civique; et cette circonstance, de même
que la grande facilité de s’emparer des fusils en question, ont été pleinement
vérifiées au procès.
Mais
alors même que les accusés n’auraient fait connaître à personne leur but et
leurs projets; alors même que le major Kessels et De Crehen n’auraient rien
révélé à la justice, la résolution de tenter un mouvement révolutionnaire
serait encore évidente par l’acquisition de deux pièces de canon que De Crehen
a faite pour le compte des accusés, chez le sieur Van de Leemputte à Anvers;
par l’achat qu’il a fait également, pour leur compte, de différents objets qui
étaient nécessaires pour faire manoeuvrer ces deux pièces de canon, tels que
sacs à étoupilles, sacs à charge, boîtes pour lances à feu, par la commande de
150 boulets et de 100 boîtes à mitraille, d’un calibre entièrement semblable à
celui des deux pièces d’artillerie, enfin par l’acquisition de plus de
Ainsi
que nous l’avons déjà dit, elles étaient arrivées à Bruxelles le dimanche soir
24 octobre, et elles avaient été transportées par De Crehen à l’ancien local
des Finances, le lundi 25. Le concierge en informa le lendemain, 26 octobre, M.
Levae, administrateur du fonds spécial des blessés de Septembre, qui fit
immédiatement appeler De Crehen. L’accusé se présenta chez lui entre midi et
une heure, et il soutint que ces canons appartenaient à M. de Beaumont, qui
venait de tomber en faillite; que lui De Crehen était allé les prendre à
Tivoli, de peur qu’ils ne fussent saisis par les créanciers, et que ne sachant
où les mettre, il les avait déposes à l’ancien local des Finances, M. Levae
n’en fut que plus décidé à ne pas les garder plus longtemps dans ce local, et
il ordonna d’une manière bien expresse à l’accusé de venir les prendre le plus
tôt possible.
Cet
ordre avait été donné entre midi et une heure. Un peu après deux heures, Parys
et Vandermeere vinrent prendre à la station des Augustins la vigilante à deux
chevaux n’ 88, conduite par le nommé Adolphe Janssens. Ils dirent au cocher de
les mener d’abord chez le banquier Salter, rue de
M.
Salter n’était pas chez lui lors de la visite de Vandermeere et Parys. Ils
s’adressèrent à son caissier, Joseph Bigwood, à qui Vandermeere demanda si son
maître n’avait pas de maison à louer. Sur sa réponse négative, ils se
retirèrent et se tirent conduire successivement, comme nous l’avons dit, à l’ancien
manége des Guides et chez les frères Jones.
En
entrant chez ces derniers, l’un des trois accusés leur dit qu’ils venaient
réclamer un service important que les frères Jones ne pouvaient pas leur
refuser, parce qu’ils se trouvaient au pied du mur; » qu’il leur fallait une
remise qui pût contenir des objets assez volumineux, et surtout un emplacement
sûr, où personne ne pût pénétrer. Les frères Jones ne pouvaient point
satisfaire à cette demande, parce que leurs ouvriers ont accès à tous leurs
magasins; mais comme ils étaient en marché avec le sieur Vandersmeersche pour
la location d’un autre magasin, situé rue des Echelles, l’un d’eux se rendit
immédiatement chez le propriétaire, à la demande des accusés, et il revint
bientôt avec la clef de cet autre magasin. Ils demandèrent alors aux accusés à
quel usage ils le destinaient; l’un d’eux répondit « qu’il s’agissait de
deux pièces de canon qui joueraient bientôt de la clarinette; qu’un mouvement
éclaterait à Bruxelles le dimanche suivant; que ce mouvement devait réussir;
qu’il était temps que cela finit; que les ministres devaient faire l’ouverture
du chemin de fer pour Jurbise, qu’on se serait emparé d’eux et que le coup
était immanquable ; que les canons se trouvaient actuellement à l’ancien hôtel
des Finances et que M. Levae exigeait impérieusement qu’ils fussent enlevés
sans délai, ce qui pourrait les compromettre. »
Tous
ces faits ont été rapportés à la justice par les frères Jones, qui les ont
confirmés en présence des accusés eux-mêmes, et leur déposition est importante
sous plus d’un rapport: elle confirme en premier lieu les déclarations de MM.
Kessels, Desaeger, Demoor et de l’accusé De Crehen, sur un mouvement
révolutionnaire que les accusés organisaient à Bruxelles, elle prouve ensuite
que les canons achetés à Anvers devaient servir à cette criminelle entreprise;
elle démontre enfin que ces canons avaient été achetés pour compte de Parys,
Vandermeere et Vandersmissen. Si en effet, ces accusés avaient été étrangers à
cette acquisition, il devait leur importer fort peu que M. Levae consentît ou
non à garder les deux pièces de canon au local des blessés de Septembre.
C’était une affaire qui ne les regardait pas, dont ils n’avaient pas à
s’occuper, dont ils ne devaient même avoir aucune connaissance. Leur démarche
chez les frères Jones prouve donc évidemment que les canons étaient leur
propriété, et que de Crehen les avait achetés et fait transporter à Bruxelles
pour leur compte, d’autant plus qu’ils n’avaient pu apprendre que par De Crehen
lui-même l’ordre si formel que M. Levae lui avait donné une heure auparavant.
Aussi a-t-il déclaré dans son quatrième interrogatoire, qu’il avait acheté ces
deux pièces de canon par ordre de Vaudermeere, et avec de l’argent que ce
dernier lui avait donné; cette déclaration, pleinement confirmée par ce qui
précède, se justifie davantage encore par la circonstance que Vandermeere avait
donné rendez-vous à De Crehen, les deux fois que celui-ci est allé à Anvers
pour conclure le marché et pour prendre livraison.
Lorsque
De Crehen se trouvait à Anvers, le 16 octobre, il se rendit au café de
l’Empereur, place de Meir, vers les 4 heures de l’après-midi pour y attendre,
comme il l’a déclaré lui-même à un témoin qui nous le rapporte, un monsieur qui
lui avait donné rendez-vous. Ce monsieur, qui n’était autre que l’accusé
Vandermeere, arriva bientôt au café, et il emmena de Crehen de l’autre côté de
la place de Meir, auprès d’une vigilante dans laquelle se trouvait Parys, et
d’où Vandermeere lui-même venait de sortir. Parys, de son côte, a dû
reconnaître qu’il s’était en effet trouvé à Anvers avec Vandermeere, dans le
courant du mois d’octobre, et qu’en passant sur la place de Meir, un individu
qu’il prétend ne pas connaître était venu parler au général. Celui-ci soutient
au contraire qu’il n’a jamais été à Anvers avec Parys, et que s’il a rencontré
De Crehen au café de l’Empereur, c’était par hasard, et en allant y chercher
une autre personne qu’il n’indique pas.
Le 23
octobre, lorsque De Crehen se rendit chez le sieur Van de Leemputte pour faire
expédier les canons, il se trouva encore à Anvers avec le témoin qu’il avait vu
le 16, au café de l’Empereur, et il le quitta vers les quatre heures de
l’après-midi, en lui disant qu’il allait à l’hôtel des Etrangers, où il devait
trouver quelqu’un. Ce quelqu’un, qui ne tarda pas à arriver, était encore
l’accusé Vandermeere, accompagné alors d’une autre personne. Ils se firent
conduire successivement à la chambre n°13, qu’ils trouvèrent trop petite, et
ensuite au n°22, et lorsqu’ils y étaient d’un moment, ils firent monter De
Crehen qui se hâta de les rejoindre. De Crehen prétend que Vandermeere l’a
présenté alors à la personne avec qui il se trouvait, et qu’il dit à cette
personne « Je vous présente le commandant de l’artillerie, et je vous réponds
que tout ira bien. »
Il est
donc certain que Parys et Vaudermeere, qui ont joué un rôle si actif dans le
transport des canons, se trouvaient à Anvers le 16 octobre, lorsque De Crehen
est allé les acheter définitivement, et qu’ils lui avaient donné rendez-vous à
l’hôtel des Etrangers le samedi 23, lorsque De Crehen est allé en prendre
livraison. Ces deux rendez-vous successifs dans une autre ville, avec un homme
d’une condition si inférieure à celle du général comte Vandermeere et
l’intendant Parys, rendez-vous qui ont eu lieu chaque fois que De Crehen se
rendait à Anvers pour l’achat des canons, et auxquels les deux autres accusés
ne peuvent assigner aucun motif plausible, n’ont pas besoin de commentaire.
Les
accusés avaient fait leurs ouvertures aux frères Jones d’une manière si
cavalière; ils paraissaient tellement certains de leur fait, que les frères
Jones n’avaient su d’abord que répondre. La réflexion leur persuada bientôt de
ne point se prêter à la demande qu’on leur avait faite; l’un d’eux se rendit en
conséquence le soir même chez Parys, à qui il déclara que le propriétaire du
magasin avait deux clefs, qu’il pouvait y entrer à chaque instant, et qu’ainsi
le local n’était ni sûr ni convenable. Parys en parut assez mécontent, et il
demanda à M. Jones s’il ne connaissait pas un autre emplacement dans le
voisinage. M. Jones lui désigna alors un magasin de M. Janssens-de-Cuyper, rue
du Commerce, et il lui indiqua l’adresse de celui-ci à Molenbeek Saint-Jean.
Le
lendemain matin, 27 octobre, De Crehen fit venir au local des Finances une
voiture à déménagement du sieur de Wallens, sur laquelle il fit charger les
canons par deux hommes de peine. Il partit ensuite avec eux et la voiture, et
il s’arrêta rue du Pont-Neuf, n° 38, chez un marchand de liqueurs où il leur
paya à boire; il leur ordonna d’attendre dans cette maison jusqu’à ce qu’il les
fit appeler pour décharger la charrette, et il se remit en route dans la
direction de la rue de Laeken. Arrivé en face de l’Entrepôt, il fit arrêter la
voiture à déménagement, et il se rendit chez les frères Jones, à qui il déclara
que les canons étaient à la porte; il leur demanda en même temps l’endroit où
il devait les placer. Ceux-ci répondirent par un refus formel, et De Crehen se
retira en les priant de dire à Parys, s’il venait, qu’il l’attendait près de
l’Allée-Verte.
D’après
les indications que l’un des frères Jones lui avait données la veille, Parys se
rendit en vigilante, le 27, vers dix heures du matin, chez le sieur Janssens de
Cuyper à Molenbeek-Saint-Jean. Il s’y présenta sous le faux nom de Van der Elst
ou Van der Est, et il lui demanda son magasin en location pour y monter une
machine. Il vint ensuite rejoindre, en arrivant du côté de la porte du Rivage,
la charrette à deménagement qui stationnait à l’entrée de la rue du Commerce,
contre le mur du jardin de madame Dansaert-Engels. Parys sortit de voiture et
alla avec De Crehen examiner le magasin de M. Janssens de Cuyper; mais ils
durent renoncer à y placer leurs canons, parce qu’une femme qui était préposée
à la garde de ce magasin par l’associé de MM. Janssens leur déclara qu’elle
n’en sortirait point.
Lorsque
la charrette à déménagement se dirigeait vers le bassin du Commerce, De Crehen
avait rencontré l’un des fils Vandersmissen et il l’avait chargé d’appeler les
deux ouvriers qui étaient restés chez le marchand de liqueurs, n°38, rue du
Pont-Neuf. Ces ouvriers vinrent en effet le rejoindre, et lorsque Parys eut dû
renoncer à mettre les deux pièces de
canon dans le magasin de M. Janssens de Cuyper, ils aidèrent de Crehen à les
transporter et à les décharger chez M. Tilmont, hors la porte de Laeken.
Le
surlendemain, 29 octobre, vers neuf heures du matin, De Crehen vint les
reprendre chez Tilmont avec une autre voiture à déménagement du sieur de Wallens,
et il le fit conduire à Tivoli, où il les déposa dans le jardin sous
l’orchestre, et où elles furent saisies le même jour par la police.
Les
canons ont donc été achetés chez le sieur Van de Leemputte, à Anvers, par de
Crehen, le samedi 23 octobre; ils ont été transportés au local des Finances, le
lundi 25, chez M. Tilmont, le mercredi 27, après que De Crehen les eut
présentés inutilement chez les frères Jones, et que Parys et lui eussent tenté
de les mettre dans le magasin de M. Janssens de Cuyper; et ils ont enfin été
transportés à Tivoli, par De Crehen, le vendredi, 29, dans la matinée.
Les
faits que nous venons d’analyser, les propos tenus aux frères Jones sur un
mouvement qui devait éclater le dimanche suivant, et sur les canons qui
joueraient bientôt de la clarinette dans les rues de Bruxelles démontrent
clairement la culpabilité de Parys, Vandermeere et Vandersmissen; aussi n’y
ont-ils répondu que par des dénégations ou par des explications tortueuses.
Vandersmissen
convient d’être entré un jour dans l’ancien manége des Guides, parce qu’il
pleuvait, et pour voir les préparatifs que l’on y faisait pour la réunion de
l’ordre des Templiers; mais il soutient n’y avoir pas rencontré Vandermeere,
Parys ou De Crehen. Il convient aussi de s’être rendu un jour chez les frères
Jones pour y régler, dit-il, un compte avec eux; mais il prétend, encore une
fois, que Parys et Vandermeere ne s’y sont pas trouvés en même temps que lui.
Confronté avec tes frères Jones,il a déclaré n’avoir aucune connaissance des faits
rapportés par eux, et il a dit que c’était une trame qui s’éclaircirait plus
tard.
Vandermeere,
de son côté, a dû reconnaître qu’il était allé chez M. Salter avec Parys, mais
il a soutenu que c’était pour lui parler d’un effet de
Parys,
au contraire, a reconnu qu’il était allé chez les frètes Jones avec
Vandersmissen et Vandermeere, mais il a dit n’avoir aucun souvenir des
différentes circonstances rapportées par ces deux témoins.
L’un
des accusés soutient donc d’une manière positive que les deux autres ne se
trouvaient pas avec lui chez les frères Jones; le second déclare ne pas se
souvenir que Parys et Vandersmissen l’aient accompagné, et le troisième
convient qu’ils s’y sont rendus tous trois ensemble. Ce désaccord des accusés
sur une visite qui n’aurait eu rien de répréhensible si elle n’avait pas eu
pour objet de mettre les canons en lieu de sûreté; les dépositions si formelles
des frères Jones, celle du cocher Janssens qui avait conduit chez eux les trois
accusés, ne laissent pas le moindre doute sur leur culpabilité.
Ainsi
que nous avons eu occasion de le dire, on s’était expliquer sans réserve avec
les frères Jones, et cela venait probablement de ce qu’ils avaient été connus
autrefois comme orangistes et de ce qu’ils avaient mémé été pillés en 1834.
Parys, qui n’avait pas la même confiance en M. Janssens-de Cuyper, et qui
s’était présenté à lui sous un faux nom, s’était borné à lui demander son
magasin pour y monter une machiné; interrogé à cet égard par M. le juge
d’instruction, il a répondu que c’était une machine à faire des briques; tandis
qu’il avait parlé à la femme qui gardait le magasin d’une machine à fabriquer
du coton; interrogé de plus près sur cette prétendue machine à faire des
briques, il a déclaré qu’elle lui avait été proposée par un Allemand, dont il
n’avait pas retenu le nom, mais qu’il croyait s’appeler Freier, et dont il
ignorait la demeure; que cet Allemand ne lui avait pas dit d’où il venait, ni
de quel pays il était; que lui Parys ne savait pas où était la machine en
question lorsqu’il est allé chez M. Janssens de Cuyper, et qu’il l’ignore
encore aujourd’hui; qu’il avait acheté au commencement de l’été, de compte à
demi avec une autre personne, deux terrains dans le but d’y faire des briques,
mais qu’il ne voulait pas nommer cette personne.
Une
explication aussi louche se réfute d’elle-même. Elle prouve clairement que la
machine à faire des briques, et l’être mystérieux qui devait la fournir, ne
sont qu’une misérable défaite imaginée par l’accusé, il est d’ailleurs établi
au procès, par la déclaration de l’un des frères Jones, que Parys est revenu
chez eux, le 27, après avoir été examiner le magasin de M. Janssens de Cuyper,
qu’il a dit alors qu’il y avait été pour placer les canons, mais qu’il allait
tâcher de les mettre ailleurs, parce qu’il avait trouvé dans ce magasin une
femme qui ne voulait pas en sortir, et parce qu’on ne pouvait pas décharger les
canons en sa présence.
Il
résulte des faits que nous venons d’exposer, qu’après avoir reçu de M. Levae
l’ordre d’enlever les canons, De Crehen s’était empressé d’en instruire ses coaccusés
qui s’étaient mis de suite à la recherche d’un autre local, et qui ont appris
aux frères Jones, comme ceux-ci le déclarent, que les canons se trouvaient au
local des Finances, et que M. Levae exigeait qu’ils fussent transportés
ailleurs; que les frères Jones ont paru d’abord disposés à les recevoir dans
leur magasin de la rue des Echelles, qu’ensuite il ont changé d’avis, que l’un
d’eux est allé trouver Parys, et qu’il lui a indiqué, sur sa demande, le
magasin de M. Janssens de Cuyper, rue du Commerce, et la demeure de ce dernier
à Molenbeek-St-Jean. Cela explique pourquoi De Crehen, à qui Parys avait
nécessairement rendu compte de toutes ces circonstances, est allé présenter les
canons chez les frères Jones, le lendemain 27 octobre; pourquoi, incertain
lui-même sur le local où il les déposerait, et ne voulant pas faire connaître
toutes ses démarches à des hommes qu auraient pu les révéler plus tard à la
justice, il a fait rester, les deux ouvriers chez le marchand de liqueurs de la
rue du Pont-Neuf; pourquoi, en partant de chez les frères Jones, il a dit qu’il
allait attendre Parys, près de l’Allée-Verte; pourquoi il est allé stationner
avec la voiture à déménagement plutôt au coin de la rue de Commerce que dans
toute autre partie de la ville; pourquoi Parys en revenant de chez M.
Sanssens-de Cuyper, est allé retrouver de Crehen près de l’Allé-Verte, et
pourquoi ils sont allés ensemble voir le magasin de la rue de Commerce, eux qui
ne se connaissaient que depuis une dizaine de jours ainsi qu’ils doivent en
convenir eux-mêmes. Si d’ailleurs le magasin de M. Janssens-de Cuyper n’avait
dû servir, comme le soutien Parys, qu’à y monter une machine à faire des
briques, dont il devait être seul propriétaire, et dans laquelle De Crehen
n’avait aucune espèce d’intérêt, il n’aurait certes pas souffert qu’un homme
qu’il ne connaissait que depuis dix jours, et qu’il avait, s’il faut l’en
croire, rencontré par hasard dans la rue, se fût permis de l’y accompagner.
Parys
et Vandermeere pouvaient fort bien, comme ils l’ont fait, charger De Crehen
d’acheter des canons à Anvers, lui donner rendez-vous dans cette ville,
s’occuper activement de la recherche d’un nouveau local, lorsque M. Levae avait
exigé que les canons fussent enlevés de l’hôtel des Finances; mais ils n’avaient
pas les connaissances spéciales que devait exiger la confection des gargousses,
des boulets, des boîtes à mitraille et autres munitions de guerre, et celle des
différents objets nécessaires à la manoeuvre des deux pièces de canon. Ces
connaissances spéciales appartenaient plus particulièrement à l’un des
prévenus, l’ex-général Vandersmissen, qui avait servi longtemps dans
l’artillerie, et qui devait naturellement prendre à lui toute cette partie de
l’entreprise. Les rapports qu’il a eus à cet égard avec De Crehen qui avait
également servi dans l’artillerie ; la saisie de munitions et de matériel
qui a été faite tant chez Vandersmissen, que dans une maison inhabitée qui lui
appartient et dont la clef se trouvait chez Joseph Vandersmissen, son frère, vont
établir contre lui une nouvelle preuve de culpabilité.
Il
fallait pour le service des deux pièces de canon, deux sacs à étoupilles, deux
sacs à charge, deux boîtes en tôle ou en fer-blanc pour y mettre des lances à
feu, et deux courroies pour suspendre ces boîtes au cou des artilleurs. De
Crehen, qui était chargé de faire tous les achats, commanda le 26 octobre, chez
le nommé Gillekens, bourrelier, Vieux-Marché-aux-Grains, deux grands sacs de
cuir, dots il donna lui-même le dessin, en demandant qu’ils fussent
confectionnés pour le lendemain à 4 heures. Le 27 il vint réclamer ces sacs qui
n’étaient pas prêts, et il en commanda deux autres plus petits; ainsi que deux
courroies à boucles. Tous ces objets furent remis jeudi 28 octobre, vers 4
heures de l’après-midi, au nommé Criplets qu’il venait de prendre à son
service, et ils furent payes par De Crehen qui les fit transporter à son
domicile. Les deux grands sacs ont été reconnus par un officier d’artillerie
comme étant des sacs à charge, et les deux petits comme étant des sacs à
étoupilles; De Crehen leur a aussi attribué cette destination dans son huitième
interrogatoire et il avait déjà déclaré dans le premier qu’il les avait
commandés par ordre de l’ex-général Vandersmissen, et qu’il les avait payes avec
l’argent que celui-ci lui avait donné. Ils ont été retrouves plus tard avec les
courroies à boucles chez Vandersmissen lui-même, et ils pouvaient y être
arrivés que par l’intermédiaire de De Crehen, puisque c’est chez lui qu’ils
avaient été déposés en premier lieu. Cette circonstance prouve que sa
déclaration, bien que contredite par Vandersmissen, doit être conforme à la
vérité.
Conduit
le 15 novembre à la caserne des guides pour y reconnaître les armes et d’autres
objets placés sous la main de la justice, De Crehen s’est informé spontanément
des sacs de cuir qu’il ne retrouvait point parmi ces objets. Il avait déclaré
la veille, dans son sixième interrogatoire, qu’il les avait transportés le
vendredi 29 octobre vers huit heures et demie du matin chez l’ex-général
Vandersmissen. Une visite domiciliaire fut donc pratiquée chez ce dernier le 15
du mois de novembre, et elle y fit découvrir dans un coffre les deux sacs a
étoupilles, au milieu de différents effets de chasse tels que carnassières,
guêtres, etc. L’un des fils Vandersmissen, présent à l’opération, déclara que
ces deux sacs servaient pour aller à la chasse aux canards.
Les
deux autres sacs y ont été retrouvés le lendemain, cachés avec soin sur le
toit. Tous quatre ont été positivement reconnus a certains signes particuliers
par les deux ouvriers qui les avaient confectionnés. Les deux courroies à
boucles, auxquelles on devait suspendre les boîtes en fer-blanc, destinées à
contenir des lances a feu, ont été saisies également chez l’ex-général Vandersmissen
le 18 du mois de novembre. L’un des fils de l’accusé a déclaré aux officiers de
police que ces courroies étaient toutes neuves, et qu’elles pouvaient servir à
serrer des livres ou toute autre chose.
Tous
ces objets, dont on avait besoin pour faire manoeuvrer les deux pièces de
canon, et qui ont été retrouvés chez l’ex-général Vandersmissen, élèvent contre
lui une nouvelle charge et une charge très forte, puisqu’il ne les aurait
jamais eus en sa possession s’il avait été étranger au complot. Aussi y a-t-il
sur ce point discordance complète entre lui et ses deux fils. Il prétend ne pas
connaître les quatre sacs de cuir, bien que De Crehen affirme les lui avoir
remis en main propre, et quoiqu’ils n’aient pu arriver chez lui que par son
intermédiaire. Il soutient aussi ne les avoir jamais vus et ne pas savoir à
quoi ils étaient destinés. L’un de ses fils prétend au contraire, comme nous
l’avons déjà dit, que les petits sacs servaient pour aller à la chasse aux
canards, et l’autre soutient que les grands sacs étaient destinés à renfermer
le linge et d’autres objets lorsqu’on se rendait à la campagne. Il a déclaré
aussi que ces sacs étaient chez son père depuis environ trois mois; et
cependant De Crehen ne les avait commandés que le 26 octobre.
Quant
aux deux boîtes en fer-blanc destinées à contenir des lances à feu, elles ont
été saisies le 30 octobre dans la maison inhabitée de l’ex-général
Vandersmissen, maison qui est située le long des étangs d’Etterbeek, sur la
digue qui conduit à Ixelles. Ces boîtes avaient été commandées par De Crehen,
chez le ferblantier Barbanson, quelques jours avant les poursuites, et
Barbanson les avait portées au domicile de De Crehen, rue d’Argent. Elles ne
peuvent donc s’être trouvées dans la maison inhabitée de Vandersmissen, à
laquelle De Crehen n’avait pas accès, que par le fait de Vandersmissen lui-même
ou de son frère. Tout porte même à croire, bien que De Crehen ne s’en soit pas
expliqué d’une manière formelle, qu’il les avait remises à l’ex-général, le28
octobre,entre neuf et dix heures du matin, puisqu’il était venu prendre vers
neuf heures, accompagné de Parent et porteur des deux boîtes en question, la
vigilante à deux chevaux n°107 qui stationnait place de
Vers
onze heures, il vint prendre la même voiture, se rendit chez le nommé
Ackermans, Marché-aux-Poissons, où il acheta deux sacs de poudre contenant
ensemble une quantité de
La
table ronde et les quatre chaises avaient été conduites dans cette maison sur
une brouette, le 28 octobre, vers cinq heures du soir, par
le nommé Jean-Baptiste Bauwens, ouvrier de Joseph Vandersmissen, accompagné
alors des deux fils cadets de l’ex-général. Cette circonstance, qui serait très
insignifiante si elle ne se rattachait pas à l’exécution du complot, a encore
une fois donné matière à des explications différentes de la part des deux fils
Vandersmissen, de leur père, de leur mère, de Joseph Vandersmissen leur oncle,
de la femme
de celui-ci et de son ouvrier Bauwens.
Bauwens,
à qui on avait fait évidemment la leçon et qui l’avait mal comprise ou mal
retenue, a soutenu qu’il était allé prendre la table et les quatre chaises chez
l’ex-général Vandersmissen, boulevard de
Waterloo, et qu’il les avait transportées sur sa tête jusqu’à sa maison
inhabitée d’Etterbeek, ce qui est assez peu probable, et ce qui est d’ailleurs
démenti par deux témoins qui ont vu Bauwens conduire une brouette. D’un autre
côté, l’ex-général et sa femme, de même que la fille Jaupin qui était entrée à
son service le 26 octobre, déclarent ne pas connaître la table et les quatre
chaises; la fille Jaupin affirme qu’on n’est pas venu les prendre chez son
maître.
Les
fils Vandersmissen, au contraire, âgés seulement de 17 et de 14 ans, et qui
prétendent les avoir fait conduire dans la maison inhabitée pour un rendez-vous
de chasse qu’ils devaient avoir avec des jeunes gens de leurs amis, soutiennent
qu’elles se trouvaient au moulin appelé le Faucon,
sur la chaussée d’Etterbeck tandis que leur père nie cette circonstance et
qu’il dit ne pas savoir pour quel motif
ses enfants les auraient fait transporter dans la maison où elles ont été
découvertes.
Enfin
Joseph Vandersmissen et sa femme prétendent ne pas connaître la table et les
quatre chaises; ils soutiennent même ne les avoir jamais vues, tandis qu’un
témoin déclare que les quatre chaises se trouvaient dans la chambre à coucher
de Mme Vandersmissen, et la table dans celle de son beau-père. Un autre témoin
a dit aussi que
l’un des pieds de cette table avait été cassé autrefois, et que l’une des
chaises avait été brûlée en la mettant trop près du feu pour sécher du linge.
Cette double circonstance, qui ne laisse pas le moindre doute
sur l’identité des objets, a été vérifiée immédiatement par M. le juge
d’instruction. Un témoin a également reconnu d’une manière positive et comme
appartenant aux époux Vandersmissen d’Etterbeek, l’écuelte en fer-blanc, les
couteaux de table et le grand sac qui ont été saisis dans la maison inhabitée
de l’ex-général.
Il est
donc évident que le petit mobilier dont on avait besoin pour faire des
gargousses et qui a été conduit dans cette maison par l’ouvrier de Joseph
Vandersmissen, était la propriété de ce dernier. Cette circonstance, jointe aux
propos que Joseph Vandersmissen avait tenu à MM. Desaeger et Demoor, confirme
de plus en plus sa participatior au complot et aux actes qui devaient en
assurer l’exécution. Il esi même certain que les deux sacs de poudre achetés
chez le sieur Aclieranans, et que De Crehen avait déposés chez Joseph
Vandersmissen comme nous le verrons bientôt, ne peuvent avoir été transportés
dans la maison inhabitée que par le fait et par les ordres de celui-ci,
puisqu’ils s’y trouvaient enfermés dans un sac qui lui appartenait, et avec une
écuelle en fer-blanc et de couteaux de table qui lui appartenaient également.
Cela est d’autant moins douteux que Joseph Vandersmissen avait fait prendre le
même jour, vers dix heures du matin, la clef de cette maison chez une femme
Hoevenaert, et que cette clef a été saisie à son domicile le 13 du mols de
novembre; aussi s’est-il bien gardé, quoiqu’il en fût requis, de conduire les
officiers de justice à la maison inhabitée de son frère lorsqu’ils se sont
présentés chez lui le 29 octobre. Pour leur donner le change, il les a conduits
dans une autre maison également déserte, située sur la même digue, et qui
n’appartenait pas à son frère, mais dans laquelle on n’a rien trouvé, Il fallut
donc procéder le lendemain à une nouvelle visite domiciliaire dans la maison
que Joseph Vandersmissen avait eu la précaution de ne pas indiquer la veille,
et cette visite y fit découvrir ce que De Crehen avait acheté et ce que Joseph
Vandersmissen avait fait transporter pour la confection des gargousses.
Nous
allons voir maintenant de Crehen compléter l’achat des munitions de guerre, en
commandant des boulets et des boîtes à mitraille d’un calibre exactement
semblable à celui des deux pièces de canon.
Le 25
octobre, lorsqu’il venait de faire transporter ces canons au local des blessés
de Septembre, il le rendit chez le tourneur Schotmans, rue de
Vers
trois heures, il se présenta chez le nommé Berry, fondeur en fer à
Saint-Gilles, et il lui demanda s’il pouvait lui fournir 50 boulets dans la
soirée et cent autres pour le samedi soir; il était porteur, comme le déclare
Berry, de plusieurs modèles en bois, dont les uns avaient le calibre un peu
plus forts que les autres, et il lui remit les modèles du calibre le plus
grand. De Crehen ajouta qu’il avait absolument besoin de ces boulets pour le
dimanche matin; et nous avons vu d’un autre côté, par la déclaration des frères
Jones, que le mouvement devait éclater à Bruxelles le dimanche, lorsque les
ministres se seraient rendus à l’inauguration du chemin de fer de Jurbise.
L’accusé commanda et paya d’avance une quantité de boulets d’un poids total de
Si la
fonte des boulets exigeait une grande précision dans le modèle, on devait
employer pour les boîtes à mitraille un modèle un peu plus petit que celui des
deux pièces de canon, parce que l’épaisseur de la tôle ou du fer-blanc devait
occuper une certaine place. Les premiers modèles fournis par Schotmans, bien
qu’ils fussent trop petits d’une ligne, pouvaient donc servir pour les boîtes à
mitraille; aussi De Crehen vint-il en remettre un le 27 octobre, vers trois
heures de l’après-midi, chez le nommé Malaise, ferblantier, chaussée d’Ixelles,
et il commanda de faire cent boîtes à mitraille sur ce modèle, Il s’y rendit de
nouveau le lendemain, et lui promit deux bouteilles de vin de champagne, si on
lui remettait le vendredi 29, à cinq heures de l’après-midi, les 100 boîtes
qu’il avait commandées. Ces boîtes ont été saisies au domicile de Malaise à
l’heure même où De Crehen devait venir les prendre. On a vérifié plus tard
qu’elles étaient, ainsi que les boulets trouvés chez Berry, d’un calibre
exactement semblable à celui des deux pièces de canon achetées à Anvers.
Schotmans a aussi reconnu le modèle en bois que De Crehen avait remis à
Malaise, comme étant l’un de ceux qu’il avait faits pour compte de l’accusé.
De
Crehen a déclaré dans ses interrogatoires qu’il avait fait faire les boulets et
les boîtes à mitraille par ordre de l’ex-général Vandersmissen, et qu’il avait
payé le tout avec de l’argent que Vandersmissen lui avait donné. La procédure
signale, d’un autre côté, un fait qui prouve tout à la fois et que l’ex-général
Vandersmissen n’était pas étranger à la confection des boîtes à mitraille, et
qu’il avait fait acheter par De Crehen, comme celui-ci le déclare, la poudre et
le mérinos qui devaient servir aux gargousses.
Après
avoir placé dans la vigilante à deux chevaux n° 107 les deux sacs de poudre
qu’il venait d’acheter chez Ackermans, De Crehen s’était fait conduire chez
Joseph Vandersmissen à Etterbeek. Il prétend dans son troisième interrogatoire
qu’il a parlé à la femme de ce dernier, et qu’il lui a dit :
« Madame, le général vous envoie ceci, il viendra tantôt, il m’a dit que
vous étiez prévenue; » qu’elle lui a donné pour réponse, qu’elle avait reçu l’ordre
de faire conduire les sacs dans la petite maison; qu’elle lui a conseillé d’y
aller lui-même, en lui disant qu’il rencontrerait le domestique qui avait la
clef; qu’il a, en effet, rencontré ce domestique près du chemin de traverse
conduisant à la maison inhabitée de l’ex-général, que le domestique lui a remis
la ciel de cette maison; qu’ayant voulu ensuite se diriger de ce côté, et
trouvant les chemins fort mauvais, il est retourné chez la dame Vandersmissen à
qui il a dit : « Voici la clef, je ne puis aller m’enfoncer dans ce
mauvais chemin, veuillez faire transporter vous-même les deux sacs. »
Cette
déclaration est contredite à la vérité par la dame Vandersmissen; mais nous
allons voir qu’elle se justifie de point en point, et qu’elle mérite ainsi une
pleine confiance.
Il est
prouvé d’abord au procès que l’un des enfants de Joseph Vandersmissen était
allé prendre le jour même, vers dix heures du matin, chez la femme Hoevenaert,
la clef de la maison inhabitée de l’ex-général. Cette clef devait donc se
trouver au pouvoir de Joseph Vandersmissen lorsque De Crehen est arrivé chez
lui avec les deux sacs de poudre, entre
midi et une heure.
Il est
certain aussi que les deux sacs devaient être déposés dans cette maison
inhabitée, soit par De Crehen, soit par tout autre, puisqu’ils y ont été saisis
deux jours après.
Il est
constaté enfin, autrement que par les dires de l’accusé, qu’après s’être arrêté
un instant chez Joseph Vandersmissen, il s’est fait conduire au cabaret de
Toutes
ces circonstances justifient entièrement la déclaration de l’accusé. Elles
démontrent qu’après avoir été une première fois chez Joseph Vandersmissen, De
Crehen a voulu transporter les deux sac de poudre à la maison inhabitée de
l’ex-général, et qu’il a dû renoncer à ce projet. Elles prouvent aussi que la
femme de Joseph Vandersmissen avait dû lui remettre la clef de cette maison qui
se trouvai chez elle depuis 10 heures du matin, ou qu’elle avait dû la lui
faire remettre par son domestique, puisqu’autrement De Crehen n’aura jamais pu
songer à y transporter lui-même les deux sacs de poudre. Une dernière
circonstance va prouver mieux encore, s’il est possible combien la déclaration
de l’accusé est sincère.
Ainsi
que nous l’avons vu, il avait annoncé à la femme de Joseph Vandersmissen
qu’elle recevrait plus tard la visite de son beau-frère et remontant quelque
temps après, vers la ville, il rencontra effectivement ce dernier dans la
vigilante à un cheval n° 67; les deux voitures s’arrêtèrent, De Crehen prit
place dans celle de l’ex-général, et revint avec lui chez Joseph Vandersmissen,
après avoir dit au cocher de la vigilante n° 107 d’aller l’attendre à la porte
de Namur, il prétend que l’ex-général Vandersmissen a examiné les sacs, qu’il
les a pesés avec la main, qu’il dit à sa belle-soeur qu’il reviendrait dans la
journée, et qu’il lui dit aussi : « Il faudra faire transporter
ces sacs là-bas. »
Vandersmissen
a répondu à ce fait comme à tous les autres par une dénégation; mais cette
dénégation est contredite par trois témoins différents qui viennent attester la
rencontre des deux voitures sur la montagne d’Etterbeek, la circonstance que de
Crehen est sorti de sa vigilante pour entrer dans celle de Vandersmissen, la
circonstance qu’ils se sont rendus ensemble à la maison de son frère, alors que
de Crehen en revenait directement; la circonstance enfin, qu’ils se sont
rencontrés ensemble vers la porte de Namur, dans la vigilante n 67. En présence
d’une dénégation aussi téméraire, et à défaut d’une explication bien
satisfaisante de Vandersmissen sur le motif qui l’avait engagé à prendre De
Crehen dans sa voiture pour le ramener dans une maison d’où il venait de
sortir, il est évident que cette démarche n’avait d’autre but de sa part que
d’aller examiner avec De Crehen le mérinos et la poudre qu’il venait de
remettre à la dame Vandersmissen d’Etterbeek, par ses ordres et pour son
compte. Cela se comprend d’autant mieux que De Crehen s’était rendu le même
jour chez l’ex-général Vandersmissen entre 9 et 10 heures du matin pour lui
remettre les boîtes à lances à feu, qu’une heure ou une heure et demie après,
il était venu acheter la poudre chez Ackermans, et qu’ainsi Vandersinissen
devait savoir assez exactement quand elle serait déposée à Etterbeek. Le fait
que la poudre a été nécessairement, comme nous l’avons dit, transportée dans la
maison inhabitée par les soins de Joseph Vandersmissen vient aussi confirmer le
propos que De Crehen attribue à l’ex-général, lorsqu’il soutient qu’il aurait
dit à sa belle-soeur « Il faudra faire transporter ces sacs là-bas. »
En
retournant en ville, la vigilante n’ 67 s’arrêta à l’embranchement de la route
d’Etterbeek et de la route d’Ixelle; De Crehen sortit de voiture, se rendit à
une cinquantaine de pas sur la route d’Ixelles, et vint dire quelques mots à
Vandersmissen qui se fit ensuite reconduire chez lui. Ces faits nous sont
attestés par le cocher de la vigilante, et De Crehen soutient dans son sixième
interrogatoire qu’il est allé prendre chez Malaise un modèle de boîte à
mitraille pour le montrer à Vandersmissen. Il est établi d’un autre côté que
Malaise demeure en effet sur la chaussée d’Ixelles à 50 pas environ de
l’embranchement des deux routes. Vandersmissen, qui avait fait entrer De Crehen
dans le complot, qui avait demandé à Dewever des hommes pour combattre le roi
et renverser le gouvernement, qui avait accompagné Parys et Vandermeere dans la
recherche d’un nouveau local pour y déposer les canons, qui avait fait
commander et qui avait en sa possession les sacs à étoupilles, les sacs à
charge et les courroies à boucles qui devaient servir aux boîtes à lances à
feux, s’est donc également occupé de la confection des boîtes à mitraille, de
l’achat de la poudre et du mérinos dont on devait faire des gargousses.
Quelques jours après les fêtes de Septembre, de Crehen avait encore acheté chez
le sieur Albert Guerard, fripier rue d’Anderlecht, 17 fusils avec baïonnette,
deux carabines et 7 sabres avec leurs baudriers. Ces objets avaient été
transportés au local des Finances, où ils out été saisis le 10 du mois de
novembre. De Crehen a soutenu que l’ex-général Vandersmissen les lui avait fait
acheter pour les blesses de Septembre et qu’il lui avait remis les fonds
nécessaires au payement de ces objets. Si l’on rapproche cette circonstance de
la première ouverture que Vandersmissen avait faite à De Crehen en lui disant
qu’il comptait sur lui et sur les blessés qu’il commandait, on y trouve une
nouvelle charge contre ces accusés.
La
saisie des boulets opérée le 9 octobre, à 9 heures du matin, la visite
domiciliaire pratiquée vers midi chez Joseph Vandersmissen et qui avait été
suivie de son arrestation, avaient donné l’éveil aux accusés. Van Laethem s’était
empressé de prendre la fuite; Parys s’était réfugié, vers 3 heures, chez M.
Seghers, rue du Curé; le général Vandermeere et l’ex-général Vandersmissen,
chez le peintre Verwee, rue Royale extérieure, n° 26, où ils ont été arrêtés le
lendemain matin. Quant à De Crehen, il a été arrêté le 9 octobre dans
l’après-midi.
Vers 7
heures du soir, une dame est venue trouver Parys dans sa retraite; elle s’est
entretenue longtemps avec lui, et elle lui a parlé à voix basse.
Vers 9
heures le nommé Danhaive, cocher du général Vandermeere, s’y est rendu
également. Il a dit à Parys que de Crehen était arrêté, et il lui a remis un
billet ouvert écrit de la main de l’ex-général Vandersmissen. Ce billet portait
l’adresse de M. Seghers, rue du Cure; Danhaive pense qu’il contenait
l’indication de l’endroit où Parys devait rejoindre son maître; mais Parys a
refusé de le suivre. Avant de se rendre chez Seghers, Danhaive était allé par
ordre de Vaudermeere rue des Brigittines, n° 9, pour y trouver Parent, à qui il
devait remettre un semblable billet; il devait aussi s’informer si Parent étais
arrêté. Il s’est rendu ensuite au bureau du Lynx, rue des Hirondelles, n° 7, où
son maître l’avait chargé de remettre un troisième billet de même nature. Deux
personnes qui se trouvaient au bureau du Lynx sont montées dans la voiture que
Danhaive avait prise pour faire ses courses; elle ont dit au cocher de les
conduire de suite hors la porte de chaerbeek ; là elles sont descendues de
voiture et se sont rendues à pied avec Danhaive chez le peintre Verwee, où se
trouvaient Vandermeere et Vandersmisssen.
Vers
10 heures du soir, la femme de ce dernier est venue à son tour chez M. Seghers;
elle a appris de nouveau à Parys l’arrestation de De Crehen elle l’a vivement
engagé à la suivre dans un conciliabule qui devait se tenir hors de la ville;
elle lui a dit qu’on l’attendait, qu’on avait besoin d’un homme d’action, que
tout était bien. Parys, qui avait résisté à l’invitation qu’était venu lui
faire Danhaive, a repousse également les instances de l’accusée, épouse
Vandersmissen. Il lui a même répété à plusieurs reprises et d’un air irrité:
« Madame, laissez-moi tranquille, allez vous-en; si vous chez étiez homme,
je vous répondrais d’une autre manière. Comment ai-je pu me mettre clans cette
boutique-là? Vous ne m’avez déjà entraîné que trop loin; je regrette bien de
m’être engagé dans cette affaire. »
Ces
faits prouvent clairement les rapports criminels qui existaient entre Parys,
Vandermeere, Vandersmissen et De Crehen, dont on se hâtait de faire connaître
l’arrestation â Parys par deux messages différents. Ils prouvent aussi que dans
la soirée du 9 octobre, lorsqu’on avait déjà arrêté deux des accusés, lorsqu’on
avait saisi une partie de leur matériel et leurs munitions, Vandermeere et
Vandersmissen ne renonçaient pas encore à leurs projets, et qu’ils voulaient
tenter un mouvement dans la nuit même: aussi les accusés n’ont-ils opposés à
ces nouveaux faits que des dénégations ou des réticences.
L’accusée,
épouse Vandersmissen, interrogée une première fois sur sa visite chez Seghers,
a dit qu’elle ne se croyait pas obligée de répondre à cette question. Dans un
second interrogatoire, elle a nié le fait d’une manière positive, taudis que
Parys reconnaît qu’elle est venue le trouver chez Seghers; mais il prétend ne
pas se souvenir qu’elle aurait voulu l’entraîner dans un conciliabule, et il
soutient,
quoique deux témoins affirment le contraire, qu’il ne lui a pas dit autre
chose, si ce n’est de respecter l’hospitalité qu’on lui donnait, comme il entendait
la respecter lui-même.
Quant
à Vandermeere, il a nié les faits que nous venons de rapporter, comme il nie
tous les autres.
Nous
venons de voir que lorsqu’il s’agissait d’organiser un mouvement dans la nuit
du 29 octobre, lorsque Vandermeere et Vandersmissen faisaient appeler Parys à
deux reprises différentes; lorsqu’ils lui faisaient dire qu’il leur fallait un
homme d’action et que tout était bien, ils ont aussi fait chercher Parent, et
que Vandermeere avait chargé Danhaive de s’informer si Parent était arrêté.
Cette double circonstance suffirait à elle seule pour démontrer que Parent
faisait partie du complot, puisque autrement Vandermeere et Vandersmissen
n’auraient pas dû craindre qu’il fût arrêté et n’auraient pas eu recours à lui
au moment décisif. De Crehen l’a signalé du reste, dans son premier
interrogatoire, comme ayant été associé à l’entreprise criminelle des autres
accusés, et les faits du procès vont encore une fois confirmé ce qu’il avance.
Dans
la matinée du 28 octobre, lorsque Parent et De Crehen revenaient de chez
l’ex-général Vandersmissen, où ils étaient allés déposer les boîtes à lances à
feu, ils furent rencontrés près de la porte de Namur par un nommé Walenliewilz,
réfugié polonais. Parent l’engagea à prendre un verre de liqueur et il lui
demanda s’il connaissait seize Polonais qui étaient engagés à deux francs par
jour, et qu’il payait en remettant tous les jours trente-deux francs à un
certain Roczynski. Il l’engagea aussi à venir lui parler le lendemain; il lui
donna son adresse, et Walenkiewilz s’étant rendu à cette invitation vers dix
heures du matin, l’accusé lui offrit de l’argent et des épaulettes. Il lui
demanda, en outre, s’il pouvait faire entrer quelques Polonais dans la
conspiration. Parent, qui était dans la dernière misère au commencement de
septembre, avait alors les poches pleines d’or et d’argent.
Le
même jour 29 octobre entre 8 et 9 heures, il s’était rendu avec de Crehen chez
Virginie Bolté, rue des Sables, n° 9, où De Crehen avait acheté un paquet de
dix-huit livres de poudre, et un baril qui en contenait cinquante. Il a dit à
la fille Bolté qu’il viendrait prendre ce baril quelque temps après, et Parent
emporta le sac de dix-huit livres dans la vigilante à deux chevaux n’ 23, qu’il
était ailé chercher place de
Il est
établi d’un autre côté, qu’à la fin du mois de septembre une femme qui vivait
avec Parent a dit qu’il y avait à Bruxelles une douzaine d’hommes comme lui «
qui tenaient toute
De
Crehen prétend dans son cinquième interrogatoire qu’il avait déjà écrit
précédemment à son coaccusé dans le même but, et par ordre de Vandermeere; et
lorsqu’on réfléchit que Parent est revenu à Bruxelles deux ou trois jours après
l’achat des pièces de Canon, à une époque où les auteurs du complot
travaillaient activement à organiser leur mouvement révolutionnaire; lorsqu’on
le voit lui-même faire de coupables propositions à un réfugié polonais,
lorsqu’on le voit acheter
Indépendamment des seize Polonais que Parent avait engagés et auxquels il
payait deux francs par jour, d’autres individus ont encore cherché à associer
d’autres hommes au complot. Le 28 octobre, Van Laethem rencontra dans un
estaminet de la rue de Louvain un maréchal des logis au régiment des Guides. Il
l’engagea à sortir avec lui et il lui dit qu’il n’y avait pas d’avancement pour
les sous-officiers « Si vous voulez faire avec nous pour samedi soir
avant la retraite ajouta Van Laethem, je vous promets un brevet de
sous-lieutenant et une somme de 4,000 fr.; tâchez de réunir quatre à cinq
sous-officiers de vos camarades, de bons lurons comme vous, et ils auront le:
mêmes avantages s’ils veulent lutter avec nous : quand on a les
sous-officiers, on a les soldats en même temps. Au premier signal qui aura lieu
samedi soir, nous nous rendrons maîtres du chemin de fer, nous
expédierons 4 à 500 hommes sur Liége, nous mettrons en même temps le feu au
Petit-Château, et pendant que la police sera occupée à éteindre l’incendie et
que toute la troupe se sera portée sur les lieux dans le même but, nous nous emparerons facilement des casernes des
Annonciades et de Sainte-Elisabeth. »
Deux
jours auparavant l’accusé avait fait de semblables propositions au nommé
Audewater, bottier à Ixelles. L’ayant rencontré, le lundi 2 octobre, au cabaret
des Trois-Couleurs, Grand’Place, il
lui avait demandé s’il consentirait à aller en Portugal , et il lui avait dit
de se rendre chez Demol où on l’enrôlerait pour cette expédition. Audewater s’y
rendit effectivement, mais il apprit qu’on ne recevait plus d’engagement pour
le Portugal. Il retourna ensuite aux Trois-Couleurs
, il fit part à Van Laethem de la réponse qu’on lui avait donnée, et Van
Laethem lui dit de venir le trouver chez lui, le lendemain matin à 7 heures.
Audewater se présenta en conséquence le lendemain matin, à l’heure convenue,
chez l’accusé qui lui fit inscrire son nom et sa demeure sur un morceau de
papier et qui lui donna 2 fr. Ils sortirent ensemble ; Van Laethem fit boire la
goutte à Audewater dans deux cabarets différents, et il finit par lui dire que
ce n’était pas pour aller en Portugal qu’il l’avait engagé, mais pour commencer
une révolution en Belgique. Il lui recommanda de venir chez lui tous les jours
pour savoir quand la chose aurait lieu.
Vers
six heures et demie du soir, Van Laethem rencontra dans un cabaret hors de la
porte de Laeken, les soldats Dulien, Hazard et Roscamps, du régiment d’élite.
Il les engagea à boire un verre de bière avec lui, et ayant attiré Dulien hors
de la maison, il lui demanda s’il n’était pas disposé â partir pour l’Egypte.
Il fit ensuite la même proposition aux deux autres ; il leur paya quatorze
litres de bière, et il leur donna rendez-vous pour le lendemain, dans le même
cabaret. Les trois soldats y étant revenus dans la matinée du 27 octobre, Van
Laethem s’y présenta également; il leur fit prendre des bifteks , de la bière
et du café, et il leur dit que l’affaire dont il les avait entretenus la veille
ne pouvait avoir lieu pour le moment; qu’elle serait différée de trois, de cinq
ou de quinze jours, peut-être même de deux ou trois mois, qu’il devait réunir 3
à 400 hommes avant de commencer, et qu’il les embarquerait à Ostende lorsqu’il
aurait assez de monde.
Tandis
que Van Laethem recrutait en ville et dans les faubourgs d’autres hommes
parcouraient les campagnes dans le même but C’est ainsi que trois individus se
sont présentés, à deux reprises différentes, le dimanche 24 octobre, vers 4
heures de l’après-midi, et le lundi 25 dans la soirée, chez le nommé
Aldersoens, cabaretier à Woluwe-St.-Pierre â qui ils ont demandé s’il n’y avait
pas d’anciens militaires ou des gens sans ouvrage dans la commune. Ils lui ont
proposé à lui-même de partir pour Alger, et ils lui ont dit qu’ils parcouraient
les villages pour trouver d’anciens soldats.
Les
faits que nous venons d’analyser démontrent clairement que Van Laethem aussi
bien que De Crehen et Parent, était l’un des agents de Vandermeere, de Parys et
de l’ex-général Vandersmissen. Aussi De Crehen a-t-il déclaré dans son
troisième interrogatoire qu’il avait vu plusieurs fois Van Laethem chez
l’ex-général Vandersmissen, et que Van Laethem lui avait dit en sa présence
qu’il pouvait compter sur lui.
Pour
établir la culpabilité des accusés, il nous suffirait de prouver dans leur chef
une résolution concertée de renverser le gouvernement. Nous n’avons pas à
examiner si cette résolution avait ou non des chances de succès; nous sommes
persuadé qu’elle aurait échoué devant la volonté nationale, mais nous sommes
convaincu en même temps qu’elle aurait attiré des malheurs incalculables sur la
ville de Bruxelles, qui a déjà eu tant à souffrir par d’autres mouvements
populaires.
D’après
la commande de 150 boulets et de 100 boîtes à mitraille, d’après l’achat bien
constaté de plus de
Si
nous nous en référons aux dires des accusés Vandermeere et Vandersmissen,
rapportés par le major Kessels et par De Crehen, le mouvement devait être
beaucoup plus grave encore et eût amené la guerre civile en Belgique, puisque,
d’après ces accusés, le général Daine faisait partie du complot et devait
marcher sur Bruxelles avec sa division pour appuyer le gouvernement de fait
qu’il y aurait trouvé établi.
Le
général Daine a repoussé cette imputation, en protestant de son dévouement au
Roi et aux institutions qui nous régissent, mais nous n’en devons pas moins
fixer notre attention sur les rapports que Vandermeere a eus avec ce général,
parce qu’ils élèvent une nouvelle charge contre l’accusé.
Il est
prouvé, en effet, que Vandermeere a avancé 3,000 fr. au général Daine, le 7
septembre 1841 ; qu’il lui en a encore avancé mille le 23 octobre. Et cependant
Vandermeere était dans une position très gênée; il laissait en souffrance,
comme nous l’avons dit, de petites dettes de 100, 200 et 500 fr.; il avait dû
emprunter plus de 25,000 fr. à son receveur; il avait dû laisser protester le
13 août quatre billets s’élevant ensemble à 20,000 fr., et qu’il avait garantis
par son aval; il avait laissé protester le 15 octobre un billet de 5,000 fr.
qu’il avait créé le 24 septembre; il avait enfin laissé protester le 26
octobre, un billet de
C’est
probablement aussi dans le même but que Vandermeere s’est rendu chez lui dans
le courant du mois d’octobre, qu’il y a passé la nuit, qu’arrivé à Mons à 9
heures du soir et reparti le lendemain à 7 heures du matin, il n’y a vu que le
général et son aide de camp, car Vandermeere n’assigne pas d’autre motif a
cette course précipitée, que le désir d’obliger le général Daine, en lui
donnant le moyen de s’affranchir de quelques protêts dont il était menacé. Une
démarche aussi singulière n’était qu’un nouveau moyen de séduction par lequel
Vardermeere cherchait à captiver une influence qu’il croyait puissante.
Nous
avons exposé les faits qui ont précédé l’arrestation des accusés : il nous
reste à parler de ceux qui l’ont suivie.
Dans
la journée du 29 octobre, un inconnu vint accoster le portefaix Sirejacobs, qui
stationnait au canal; il lui dit qu’il y avait plus d’ouvrage sous le régime
hollandais qu’aujourd’hui ; il lui demanda son nom et son adresse en
s’informant s’il pourrait le trouver au besoin, et il lui donna environ
cinquante cents.
Le dimanche,
31 octobre, entre midi et une heure, cet individu rencontra de nouveau
Sirejacobs au Marché-aux-Grains. Il lui dit qu’une révolution allait éclater en
France et bientôt en Belgique ; il lui donna 4 fi. 60 centimes en
différentes pièces de monnaie, en lui recommandant de boire cet argent avec ses
camarades, et de se trouver avec eux à sept heures du soir derrière le palais
du prince d’Orange, sous les arbres, pour commencer à saccager les maisons
qu’on lui indiquerait. « Vous aurez un chef pour vous commander, ajouta
l’inconnu; le gouvernement hollandais reviendra, et ceux qui se seront bien
comportés auront les premières places et seront heureux. Les chefs des
militaires auront bien l’ordre de faire feu, mais les soldats tireront en
l’air. »
La
veille, vers quatre heures de l’après-midi, la femme de l’ex-général
Vandersmissen s’était rendue a Etterbeek chez le major de Saeger, qui était
sorti. Elle s’adressa à l’un de ses fils, sergent-major au régiment d’élite;
elle lui demanda si elle pouvait avoir confiance en lui, en ajoutant qu’il y
allait de son avenir, qu’il devait avoir du courage et de la fermeté, qu’il
serait capitaine si l’affaire marchait bien, et qu’il devait tacher de la faire
réussir. Elle le chargea de remettre à son père un papier sur lequel elle lit
écrire par Desaeger fis: « Place du rendez-vous entre la rue Verte et le palais
du prince d’Orange. Les cris sont : « A
bas la calotte, a bas les ministres, allons délivrer les prisonniers! Il faut
se rendre à la prison des Petits-Carmes et en route casser les lanternes, les
vitres et faire du tapage. » Elle lui demanda si son père avait beaucoup de
monde, et elle lui dit qu’il devait réunir ses hommes le lendemain, 30 octobre,
à 7 heures du soir; qu’il en viendrait d’autres encore, qu’ils devaient être
habillés de blouses et armes de haches et de pioches. Elle assignait donc
précisément au rendez-vous de ces hommes, l’heure et l’endroit qu’on a indiques
le lendemain à Sirejacobs; et tandis que l’inconnu lui parlait de saccager les
maisons qu’on leur désignerait, l’accusée voulait qu’ils fussent armés de
haches et de pioches.
En se
retirant elle avait dit que Besaeger père devait venir la trouver chez elle à
neuf heures du soir. Desaeger fils s’y rendit à sa place; il fut reçu par le
fils Vandersmissen, qui lui répéta que le mouvement devait commencer le
lendemain soir, à sept heures, L’accusée le fit ensuite monter auprès d’elle;
elle lui annonça qu’elle venait de recevoir des nouvelles que le mouvement
commencerait à dix heures et demie du matin, qu’il serait entamé par des
soldats du 1er régiment de chasseurs à pied; qu’elle leur avait donné de
l’argent et que si les chasseurs ne commençaient pas le matin, le mouvement
éclaterait à six heures du soir. Et en effet l’accusé Verpraet, si sortait de
ce régiment, avait cherché dans la journée même à embaucher des soldats.
Vers
onze heures du matin, il avait attiré le chasseur Vanderhulst dans un cabaret,
près de Ste-Gudule, pour lui payer à boire; il avait tiré de sa poche un papier
sur lequel il y avait plusieurs noms, et il avait offert 25 francs à
Vanderhulst s’il voulait signer avec les autres. Il lui avait dit qu’il
s’agissait de mettre le feu à l’entrepôt, et de s’emparer des armes de la
troupe lorsqu’elle serait allée éteindre l’incendie. Il ajoutait que c’étaient
deux sous-officiers des guides qui les aient trahis, mais que l’affaire n’en
resterait pas là. Verpraet avait fat le même jour des propositions semblables à
un ancien capitaine pensionné, en lui disant que, s’il voulait, il aurait
soixante hommes commander et de l’argent.
Confronté
avec ce capitaine et avec le chasseur Vanderhulst, l’accusé a dû reconnaiitre
qu’il allait presque tous les jours chez le marchand de liqueurs signalé par
ces deux témoins ; il a dû reconnaître aussi qu’il avait payé à boire à
plusieurs chasseurs de son ancien régiment, mais il a nié leur avoir fait
aucune proposition criminelle, bien que leurs dépositions se trouvent
continuées par celle du fils Desaeger, à qui la femme de l’ex-général Vandermissen
disait dans la soirée du 30 octobre, comme nous l’avons vu, qu’elle avait donné
une poignée d’argent à des soldats du régiment de chasseurs à pied, et que
c’étaient eux qui commenceraient le mouvement.
L’instruction
que nous venons d’analyser prouve qu’il y avait en Belgique quelques hommes qui
n’ont pas craint de mettre leur propre volonté au-dessus de la loi et de la
volonté nationale. Elle nous montre Vandermeeren, Parys et les frères
Vandersmissen comme les premiers auteurs d’un complot qui avait pour but de
renverser le gouvernement. Elle met Parys et Vandersmeeren en rapport avec De
Crehen lorsqu’il se rendait à Anvers pour acheter et pour faire expédier les
deux pièces de canon. Elle les réunit chez les frères Jones avec l’ex-général
Vaudersinissen, une heure après que M. Levae eu ordonné à De Crehen d’enlever
ces canons du local des Finances. Elle nous fait voir les trois accusés
réclamant ensemble une remise pour y cacher deux pièces d’artillerie. Elle nous
montre Parys faisant une autre démarche, dans le même but, chez M. Janssens de
Cuyper, en venant examiner le magasin de la rue du Commerce avec De Crehen qui
était allé l’attendre près de l’Allée-Verte. Elle prouve enfin qui
dans la soirée du 29 octobre, lorsqu’ils cherchaient à organiser un coup de
main pour la nuit même, Vandermeere, et l’ex-général Vandersmissen ont fait
appeler à deux reprises différentes leur coaccusé Parys, qui les avait
accompagnés trois jours auparavant chez les frères Jones ; qu’ils se sont
empressés de lui faire connaître, et par deux messages différents,
l’arrestation de De Crehen; qu’ils lui ont fait dire par la femme dudit
Vandersmissen, qu’ils comptaient sur lui, qu’ils avaient besoin d’un homme
d’action, que tout irait bien.
S’il
fallait ajouter un dernier degré d’évidence à des faits qui établissent aussi
clairement un concert criminel entre les accusés, la procédure nous fournirait
encore d’autres éléments de preuve qui viendraient confirmer leur culpabilité.
Elle nous montrerait les principaux auteurs du complot nantis de sommes assez
considérables dans le courant du mois d’octobre; elle nous signalerait de
nouveaux rapports entre eux et les hommes qu’ils avaient associés à leur
coupable entreprise.
Il est
établi, en effet, qu’à partir du 15 octobre, l’ex-général Vandersmissen a
échangé six billets de banque de 1,000 fr. chacun ; qu’indépendamment des
1,800 fr. donnés à De Crehen pour l’achat de deux pièces de canon, et de 3,000
francs comptés au général Daine à la date du 7 septembre et du 23 octobre,
Vandermeere avait encore en sa possession deux billets de banque de 1,000
francs qu’il a échangés dans le courant de ce dernier mis ; qu’enfin , Parys a
donné un billet de 1,000 francs, le 12 octobre, en paiement d’une somme de 450
francs qu’on venait lui réclamer et qu’il avait alors dans son secrétaire une
grande quantité de pièces de dix florins, rangées en piles, sur un pied de
longueur et trois à quatre pouce de largeur.
Il est
établi également que de Crehen à qui Vandermeeren avait donné à Anvers deux
rendez-vous successifs, lui faisait de fréquentes visites à Bruxelles, et que
le 29 octobre, dès que les poursuites étaient commencées, les prévenus se
hâtèrent de courir les uns chez les autres. C’est ainsi que la vigilante n°185
venait prend chez Vandermeere, à deux heures de l’après-midi , la femme avec
laquelle vivait Parent et que Vandermeeren le faisait cherche lui-même dans la
soirée pour l’associer au coup de main qu’il méditait, en recommandant à son
domestique de s’informer si Parent était arrêté. C’est ainsi encore que la
femme de l’ex-général Vandersmissen s’est présentée à trois reprises
différentes chez Vandermeere dans l’après-dîner du même jour, et qu’elle a dû
se retirer chaque fois parce que les officiers de justice se trouvaient dans la
maison.
En
conséquence de ce qui précède, Auguste-Louis-Nicolas comte Vandermeere,
Jacques-Dominique Vandersmissen, Jean-Pierre Parys, Joseph Vandersmissen,
Egide-François-Mathieu-Marie Crehen, plus connu sous le nom de De Crehen ,
Pierre-Jean-Joseph Parent, Philippe-Alexandre Verpraet, Louise-Catherine
Colleton-Graves, femme de Jacques-Dominique Vandersmissen et Isidore
Charles-Richard Van Laethem, sont accusés :
1°
D’avoir arrêté et concerté entre eux en Belgique, pendant les mois d’août,
septembre et octobre 1841, la résolution de détruire ou de changer le
gouvernement ou l’ordre de successibilité au trône, la résolution d’exciter les
citoyens ou habitants à s’armer contre l’autorité royale, la résolution
d’exciter la guerre civile en portant les citoyens â s’armer les uns
contre les autres, la résolution enfin de porter la dévastation et le pilage à
Bruxelles et dans d’autres communes de
2°
D’avoir en outre, pour parvenir à détruire ou changer le gouvernement ou
l’ordre de successibilité au trône, pour parvenir à exciter les citoyens ou
habitants à s’armer contre l’autorité royal, pour parvenir à exciter la guerre
civile en portant les citoyens à s’armer les uns contre les autres, pour
parvenir enfin à dévastation et le pillage à Bruxelles et dans d’autres
communes de
A.
Egide-François-Matthieu-Marie De Crehen , d’avoir acheté deux pièces de canon à
Anvers, dans le courant du mois d’octobre 1800 quarante et un, et
Auguste-Louis-Nicolas comte Vandermeere, de s’être rendu coupable de ce crime,
10 pour avoir donné des instructions pour le commettre ; 2° pour avoir fourni
les fonds nécessaires à l’achat des deux pièces de canon, sachant qu’ils
devaient servir à ce crime ;
B. Le
même De Crehen d’avoir, à Bruxelles, dans le courant du mois d’octobre 1800
quarante et un, commandé et payé deux sacs à étoupilles, deux sacs à charge,
deux boîtes pour lances à feu avec leurs accessoires, cent cinquante boulets et
cent boîtes à mitraille ; et Jacques-Dominique Vandersmissen, de s’être
rendu coupable de ce crime, 1° pour avoir donné des instructions pour le
commettre ; 2° pour avoir fourni les fonds nécessaires au payement de ces
différents objets, sachant qu’ils devaient servir à ce crime ;
C. Le
même de Crehen d’avoir acheté à Bruxelles,dans le courant du moi d’octobre 1800
quarante et un, cinquante kilogrammes de
poudre et un coupon de mérinos pour faire des gargousses et
Jacques-Dominique Vandersmissen de s’être rendu complice de ce crime, 1° pour
avoir donné des instructions pour le commettre; 2° pour avoir fourni les fonds
nécessaires au payement de cette poudre et de ce mérinos, sachant qu’ils
devaient servir à ce crime;
D.
Jacques-Dominique et Joseph-Henri Vandersmissen d’avoir disposé un local pour
la confection des gargousses et d’y avoir fait transporter, à cet effet, les
objets repris sous la lettre C.
E.
Egide-François-Mathieu-Marie De Crehen et Pierre-Jean-Josepb Parent, d’avoir
acheté ensemble à Bruxelles, le vingt-neuf octobre 1800 quarante et un, chez
Virginie Boité, un baril contenant cinquante livres de poudre et un sac qui en
renfermait dix- huit, sac que Parent a emporté chez lui;
F.
Pierre-Jean-Joseph Parent, Philippe-Alexandre Verprart, Louise-Catherine
Caneton-Graves, femme de Jacques-Dominique Vandersmissen, ledit
Jacques-Dominique Vandersmissen et Isidore-Charles-Richard Van Laethem,
d’avoir, à Bruxelles, dans le courant du mois de septembre et du mois d’octobre
1800 quarante et un cherché à embaucher dans le même but des bourgeois et des
soldats, on tout au moins, de leur avoir fait une proposition, non agréée par
eux, d’entrer dans un complot contre le gouvernement; sur quoi la cour
d’assises de la province de Brabant aura à prononcer.
Fait
en assemblée générale du parquet de la cour d’appel, à Bruxelles, le 24 janvier
1842.
Le
procureur général,
J.-L.-J.
FERNELMONT.