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Note
d’intention
FORGEUR Joseph (1802-1872)
FORGEUR Joseph, né en 1802 à Liège, décédé en 1872 à
Liége
Age en 1830 : 28 ans
Congressiste (1830-1831, Huy)
Biographies par HEPTIA (1930) et CAULIER-MATHY
(1990)
Interventions au
cours de la session 1830-1831 (Congrès national)
(Extrait
de P. HEPTIA, Joseph Forgeur, dans Les gens de robe liégeois et la révolution
belge de 1830, Liège, Thone, 1930, pp. 214-228)
Joseph Forgeur. Avocat près
Le Barreau liégeois s'honore, à juste titre, de la contribution large et
précieuse, qu'apportèrent ses membres, à la constitution de l'indépendance de
notre patrie. En évoquant les grandes figures qui firent
Avocat à vingt-deux ans, il fut présenté au serment par celui qui devait
rester son maître: le grand avocat français, réfugié chez nous, Me Teste.
Joseph Forgeur appartenait à cette jeunesse audacieuse, enthousiaste et
fougueuse, follement éprise de liberté, et si bien faite pour les événements
qui allaient se dérouler. Préparé par son âge, ses sentiments et ses études,
ainsi qu'il le disait lui-même, au grand rôle qu'il sera appelé à jouer, il y
consacrera toute sa vie et fera, tant au Barreau qu'en politique, une carrière
brillante et féconde.
A vingt-cinq ans, on l'aperçoit parmi les éléments les plus avancés de
notre Cité, aux côtés des Rogier, Lebeau, Devaux et tant d'autres, participant
aux campagnes de (page 215) presse contre les abus et les vexations du régime
orangiste, collaborant au Mathieu Laensbergh et au Courrier de
Il se distingue, dans ce procès célèbre, en se faisant le champion de la
liberté de la presse. Il y avait vingt-sept ans.
Son énergie le promut aux fonctions de commandant en second, puis de
secrétaire de la garde urbaine, et lui valut de traiter plus tard en cette
qualité de la reddition de la citadelle de Liège.
Son talent oratoire et les nombreuses marques de patriotisme, dont il
avait fait preuve, le firent élire membre du Congrès national, par le district
de Huy, le 10 novembre
Retracer ici l'importante participation de Forgeur dans l'œuvre magistrale
de l'affranchissement de
Sa personnalité est marquante et réalise un type dont nous trouvons
dépeints, dans les journaux de l'époque, le physique et le moral en termes
expressifs.
Le voici d'après les esquisses du Congrès, brossées par le Méphistophélès:
« M. Forgeur n'a pas trente ans, sa tête est blonde et frisée ; il a de
grands yeux d'un bleu foncé, pleins d'expression et de vivacité ; quand il
parle, un sourire railleur et dédaigneux est continuellement sur sa
bouche ; sa tête se balance régulièrement sur ses épaules, ses gestes ont
quelque chose d'impérieux et de tranchant.
« Le Secrétaire Vagabond » du Congrès est le moins propre avec M. de
Brouckère à rester en place, courant à droite, à gauche, s'asseyant, se levant,
montant, descendant, se tourmentant sur son banc ; on dirait en vérité, qu'il
essaye de personnifier le mouvement perpétuel. »
Il avait, en effet, l'habitude de se promener dans la salle au cours des
séances, ayant, disait-il, des inquiétudes dans les jambes ; il se faisait
alors interpeller par le « Malin Bonhomme», M. Surlet de Chockier, son Président,
qui lui criait: « Remontez au bureau, M. Forgeur, que diable, on dirait que
nous avons la peste ici. »
« Ce qui distingue le talent de 1'honorable député de Huy, rapportait-on de
lui, c'est un accent de conviction, une chaleur de paroles, vraie, réelle,
entraînante. Il n'a pas l'élégante et classique pureté de M. Van de Weyer,
l'accent âpre et mordant, l'élévation d'idées de M. Lebeau, mais c'est
peut-être mieux encore : il s'empare de votre esprit, il vous émeut, il vous
entraîne, c'est là le grand art qu'on cherche vainement. Etudes et soins ne
peuvent les acquérir, c'est la nature qui les donne. M. Forgeur est orateur, et
son mérite est d'autant plus grand qu'il lui manque une qualité physique tout à
fait essentielle; au lieu de la voix suave de M. Van de Weyer, au lieu de
l'organe rude et pénétrant de M. Lebeau, l'honorable député n'a qu'un maigre
filet de voix; son ton de fausset devient aigre et criard lorsqu'il
s'échauffe, et c'est presque un prodige pour lui de se faire écouter avec
plaisir. »
Moins profond, moins nerveux que M. Lebeau, il est moins que lui dominé par
les systèmes, il a sur M. de Gerlache, l'immense avantage d'un homme de
tribune sur un homme de cabinet.
Lorsque la discussion devient confuse et les idées imprécises, M. Forgeur
intervient, coupant court le débat, ramenant l'assemblée à la question,
l'empêchant de s'écarter du sujet, résumant .l'argumentation avec clarté, rédigeant
immédiatement les conclusions à déduire, et dans les rapports officiels, on
peut lire à la suite de maintes interventions: « Ces conclusions sont adoptées.
»
Il a le génie de l'improvisation et se distingue notamment dans la
discussion sur le choix du chef de l'Etat. Considérant comme seule possible la
protection de
M. de Gerlache, dans un discours écrit, où toutes les ressources de
l'esprit avaient été épuisées, soutenait le duc de Leuchtenberg; M. Forgeur se
leva pour la réplique, et les raisonnements de M. de Gerlache si bien combinés,
ses plaintes si adroites, son avenir si chargé de nuages, tout cela fut mis à
néant. M. Lebeau, à son tour, prit la parole et se montra supérieur; M. Forgeur
se leva une seconde fois et il en fut de l'improvisation de M. Lebeau comme du
discours écrit de M. de Gerlache. Le duc de Nemours fut élu par 97 voix contre
74 pour le duc de Leuchtenberg et 21 pour l'archiduc Charles d'Autriche. Et le
journal auquel ce fait est emprunté, d'ajouter: « C'est là un bel épisode dans
la vie de M. Forgeur, je doute qu'il y pense jamais sans le sentiment d'un
noble orgueil et d'une haute confiance en lui-même. »
Il fut particulièrement brillant dans les discussions du contre-projet de
Constitution. Citons, entre autres, son intervention dans la question très
importante de l'admission des étrangers aux emplois publics (Art. 6) et son
discours remarquable sur les dispositions relatives à l'indépendance du
clergé, où il obtint un très vif succès dans la discussion sur l'article 12 du
projet de constitution ainsi conçu : « Toute intervention de la loi ou du magistrat
dans les affaires d'un culte quelconque est interdite. »
M. Defacqz présentait un amendement demandant la suppression de cet article
présentant de graves dangers à propos du mariage purement religieux. De
nombreux abus avaient surgi à la suite d'un arrêté du 16 octobre 1830, du
gouvernement provisoire faisant disparaître toute entrave à l'exercice du
culte. Plusieurs mariages avaient été célébrés religieusement avant de l'être
devant l'officier de l'état-civil par ignorance des époux.
L'opinion contraire estimait qu'en favorisant le mariage civil, on
favorisait les alliances purement civiles, ce qui était scandaleux; que le
concubinage résultant pour la loi civile, d'une union purement religieuse,
était moins à craindre que le divorce civil entraînant la bigamie aux yeux de
la loi religieuse.
Me Forgeur prit la parole, pour mettre les choses au point, en partant du
principe qu'exiger le mariage civil avant le mariage religieux, n'est nullement
une atteinte à la liberté des cultes... « On veut la liberté des cultes,
disait-il, que deviendrait cette liberté, s'il vous était permis de vous
immiscer dans les affaires de la religion ? Mais Messieurs, que
feriez-vous en défendant au prêtre de célébrer le mariage religieux avant le
mariage civil ? Serait-ce vous immiscer dans les affaires de la religion ?
Serait-ce dire que l'Etat peut obliger un prêtre ou lui défendre de
célébrer un mariage ? En aucune façon ; l'Etat ne dit pas au prêtre : Vous
serez forcé de départir la bénédiction nuptiale ou de la refuser quand je vous
le prescrirai ; mais il dit : au nom, et dans l'intérêt de tous, je veux que
le mariage soit d'abord contracté civilement ; vous prêtres, vous marierez, si
vous le trouvez bon, les individus que j'aurai déclarés aptes au mariage, vous
pouvez refuser de les marier si tel est votre bon plaisir : je n'ai, ni le
droit, ni la volonté de vous y contraindre. Voilà ce que vous dites, Messieurs,
et ainsi vous opérez sur la société tout entière, vous agissez dans l'intérêt
des masses. »
Cette preuve de bon sens et de conciliation
recueillit l'approbation de toute l'Assemblée.
La question si délicate de l'indemnité parlementaire ou du traitement,
encore si discutée actuellement, fut également l'objet des débats aux séances
du Congrès.
Me Forgeur partisan de l'indemnité émettait cette thèse: « Si vous refusez
un traitement raisonnable, vous n'aurez que l'aristocratie. Me de Celles nous a
dit que ce n'était pas à craindre; que
les jeunes qui n'auront pas
Esquissant un tableau clair et précis de ce qui devait être plus tard la
forme du gouvernement, M. de Robaulx, chaud partisan de la forme républicaine,
élective et non héréditaire, voulait faire décider cette grave question par un
referendum, et interpellait les progressistes monarchistes en ces termes: ...
« Cette jeunesse nouvelle, ardente, audacieuse, même quand il s'agit du
bien de la patrie, est animée d'un désir d'ordre et de réparation ; elle porte
le cachet du siècle qui l'a vue naître : c'est vous dire assez qu'elle n'est
pas imbue de ces idées gothiques qui ont enfanté des droits de naissance et
d'aînesse dans le gouvernement.
Cette jeunesse qui a fait partie du siècle qui a combattu, qui compose la
masse que l'on a calomniée en la traitant d'ignorante et en la considérant
comme ne raisonnant pas, cette jeunesse, dis-je, est prête à démentir cette
opinion erronée; elle nous crie qu'il est temps enfin de faire justice de
l'hérédité des gouvernements, et de lui donner un chef qui soit digne d'elle,
et qu'elle ne conservera que pour autant que les talents et la vertu le
soutiennent; voilà où la philosophie du siècle nous a mené. »
Précisant avec une admirable netteté de vue, Me Forgeur dans une fougueuse
improvisation réhabilita cette jeunesse, en s'écriant: « Par mon âge, par mes
sentiments, par mes études, j'appartiens à cette génération nouvelle dont on
vous a parlé; je viens protester en son nom à cette tribune.
« Je ne sais si la législation se composera de deux chambres. Quoi
qu'il en soit, il y aura une représentation nationale directement élue. Pas de redressement
de grief, pas de subside, sera la loi suprême. Le chef de l'Etat n'aura qu'un
pouvoir neutre; il rectifiera l'action de tous les pouvoirs, l'exécution sera
donc le Ministère; si le Ministère est inhabile, il sera privé des moyens du
Gouvernement; s'il est coupable, il sera puni. Chaque commune, chaque
province, s'administrera elle-même, par les hommes de son choix.
« Voilà
Il eut la plus noble attitude encore le 1er juin 1831, dans la discussion
d'un projet de nouveau plan de négociation avec
Le Gouvernement demandait à être autorisé à entamer de nouvelles
négociations sur les questions territoriales, au moyen d'indemnités pécuniaires
et à donner un nouveau délai au Prince pour l'acceptation de
Mes Beyts et Jottrand avaient proposé un amendement, disant que
le Congrès n'entendrait pas reconnaître la nécessité d'accepter le Protocole
du, 20 janvier 1831, ni les protocoles subséquents, relatifs à la dette; que le
chef de l'Etat à élire, aurait à accepter endéans le mois de son élection, et
prêterait serment dans la quinzaine, à peine de voir son élection non avenue.
Il ne s'agissait pas de passer par les conditions de
M. Jottrand demandait à ce que l'on réduise encore les délais de
négociations. C'est au moment très grave, où le pays attendait depuis plusieurs
années dans l'anxiété, qu'on lui donnât un chef et que l'intégrité de son
territoire fût sauvegardée, que le Congrès allait s'engager dans de nouvelles
voies diplomatiques.
C'est alors que M. Forgeur fit sonner aux oreilles de ses auditeurs ahuris,
ce langage fier et cinglant: « Les temps sont bien changés; Messieurs, je me
souviens d'avoir assisté à des séances du Congrès où l'on avait ici la
conviction que la nation pouvait par elle-même, et sans conseils du dehors,
terminer sa Révolution. Je me souviens alors que les menaces des puissances
étaient dédaignées dans cette enceinte dès que l'on répondait aux notes de
Ici, disent les rapports, éclate une explosion de murmures telle qu'il
serait impossible d'en donner une idée. L'Assemblée tout entière se lève en
criant: « A l'ordre, à l'ordre», tandis que les tribunes applaudissent l'orateur,
qui poursuit: « Qu'on fixe un délai pour l'acceptation du prince...
présentez-lui la couronne sans conditions... Mais la lettre de Lord Ponsonby
vous convie à faire le contraire. Fixez donc un délai ; car, lorsque
Et vous aurez appris, alors, que lorsqu'on vous promet que le rôle de la
diplomatie sera court et très court, il est infiniment plus long. » Cette
improvisation fut accueillie de bravos et de nombreux applaudissements.
Et le 1er juillet, M. Charles de Brouckère ouvrait la discussion sur le
traité des XVIII articles rappelant que le 2 juin le Congrès avait autorisé le
Gouvernement à ouvrir des négociations sur les questions territoriales, au
moyen d'indemnités pécuniaires, et de faire des propositions dans ce sens. En
effet le résultat de ces négociations devait être soumis à l'appréciation et à
la ratification du Congrès et dans tous les cas, rapport avait dû être fait au
30 juin, statuant définitivement sur le point de savoir si les négociations
seraient rompues ou continuées. Par décret du 4 juin, en élisant le prince de
Saxe-Cobourg, le Congrès avait mis pour condition expresse, de son élection,
l'obligation de maintenir l'indépendance et l'intégrité du territoire. Il ne
devait prendre possession du pouvoir qu'après avoir juré d'observer la
constitution, et partant, son article premier qui fixait les limites du
territoire. « Le Ministre devait faire rapport le 30 juin, disait M. de
Brouckère, et le 28 il est monté à la tribune sans faire rapport sur les XVIII
articles; si le Ministre ne prend pas de
conclusions, je considère ce refus comme une défection complète du ministère.
Si au contraire il a envie de faire adopter les XVIII articles, il dira qu'il a
trahi le pays, car il considère l'acceptation des protocoles comme une
trahison. » Cette discussion sur les XVIII articles dura plus de huit jours.
Lorsqu'il s'agit de répondre au protocole du 20 janvier 1830, soumis par
les plénipotentiaires des cinq grandes puissances à Londres, le Gouvernement
provisoire remit une note diplomatique, d'un langage ferme et digne, faisant
valoir qu'il était impossible de constituer un état indépendant, sans la
garantie immédiate de la liberté de l'Escaut, de la possession de la rive
gauche de ce fleuve, de la province de Limbourg en entier, et du grand-duché de
Luxembourg, sauf les relations avec la confédération germanique. Me Forgeur
appuya cette réponse d'un vigoureux élan patriotique, et de fierté, et se
distingua par un remarquable discours en disant : « ... que vouloir nous
contester une partie du Limbourg, et le grand-duché de Luxembourg, était des
prétentions qui n'avaient ni base ni fondement, méritant d'être flétries par le
ridicule... Ne nous inquiétons pas des prétentions de
« J'émets le vœu de voir apporter dans nos discussions, cette dignité
et cette observation des convenances qui siéent à une assemblée qui sait se
respecter et se rendre respectable... »
Déjà en séance du 31 mars 1831, il présentait un projet de décret ainsi
conçu :
« Au nom du peuple belge,
« Le Congrès National considérant que l'article premier de
« DÉCRÈTE:
« Le Régent fera notifier au roi de Hollande que si, dans le délai
d'un mois, il n'a pas renoncé à ses prétentions sur la rive gauche de l'Escaut,
le Limbourg et le grand-duché de Luxembourg, il y sera contraint par la force
des armes.»
L'avenir devait donner raison à cet homme clairvoyant et pourtant si jeune
encore, qui s'était rassis au milieu des applaudissements de l'assemblée.
Celle-ci néanmoins, devait par 126 voix contre 70, adopter les XVIII articles
formant les préliminaires du traité de paix entre
Une fois la tâche du Congrès terminée, M. Forgeur abandonna la politique et
n'y rentra que le 12 mai 1851, élu sénateur de Liège.
Cette grande et noble figure dont on a pu dire à sa mort qu'il fut
l'orgueil de la cité liégeoise et de la patrie belge, mérite que son souvenir
soit conservé par les générations futures.
Elles trouveront à suivre de tels exemples, des enseignements de véritable
patriotisme, de profond désintéressement dans le service de la cause publique,
et de sens politique d'une rare perspicacité.
L'œuvre de tels hommes, compte aujourd'hui cent ans, montrant au monde
entier, naguère sceptique, la haute valeur de ses artisans. Fasse le ciel
toutefois, que les générations montantes, se montrent à la hauteur de leur mission,
incomparablement plus facile, et conserve intact le chef-d'œuvre admirable de
notre constitution sur laquelle repose l'édifice grandiose de notre patrie une
et indivisible.
Paul HEPTIA.
_____________________
(Extrait de : N. CAULIER-MATHY, Nouvelle
biographie nationale, t. II, 1990, pp. 152-155)
FORGEUR, Joseph,
baron, avocat, homme politique, né à Liège le 31 juillet
1802, y décédé le 17 février 1872.
Il était le deuxième des sept enfants et le fils
aîné de Jean-Pierre-Nicolas (Liège, 5 décembre 1766 - 21 décembre 1855) et de
Marie-Catherine Humblet (9 septembre 1782 - 6 septembre 1866).
Les parents de Joseph Forgeur étaient installés
dans le quartier commerçant de Liège, au Pont d'Ile, où son père est à la fois
perruquier, parfumeur et quincaillier en 1810-1812. Sa mère, issue d'une
famille liégeoise qui avait émigré à Paris où l'un de ses oncles s'était
installé comme imprimeur, était la nièce du chanoine Jean-Joseph Humblet
(1747-1829). Celui-ci avait été, selon ses dires, « attaché à titre d'aumônier
aux deux premières puissances de l'Europe, celle de
Décoré de l'ordre royal du Lys, pensionné de la
liste civile de France en tant qu'ancien chanoine de Molsheim (Bas-Rhin),
Jean-Joseph Humblet était venu finir ses jours dans son pays natal. Acquéreur
en 1820 d'une maison proche de l'évêché, il s'était installé au château de Tilleur
où il menait un train de vie de bonne bourgeoisie ayant voiture et chevaux. Il
fréquentait la société liégeoise, tenant notamment sur les fonts baptismaux le
fils de l'agent de change Jean-Michel Frésart.
Le chanoine était certes resté en contact avec la
veuve de son frère retirée dans le béguinage d'Hermée mais il semble en
relations plus suivies avec sa nièce, mère de Joseph Forgeur. Pour ce prêtre
qui a vécu
Le chanoine Humblet avait également pris ses
dispositions pour qu'il jouisse rapidement des assises matérielles indispensables
à toute position sociale. Une clause spéciale de son testament faisait entrer
en possession immédiate de l'immeuble liégeois l'aîné de ses petits-neveux.
L'aîné de ses petits-neveux parisiens avait aussi été privilégié, « comme
étant le seul à perpétuer le nom de la famille ». Le chanoine Humblet avait
partagé ses rentes françaises et anglaises entre ses neveux parisiens et
Catherine Forgeur qui devait les abandonner à ses enfants dès leur majorité.
Le décès du chanoine Humblet provoqua un changement
dans le statut social des parents de Joseph Forgeur. A partir de cette époque,
ils se disent rentiers, quittent le Pont d'Ile pour s'installer d'abord Fond
Saint-Servais (1829), puis dans le quartier de l'évêché (1831-1855). Les unions
contractées par leurs enfants reflètent cette transformation. Marie-Catherine,
leur deuxième fille, épouse en 1831 J.A.N. Simons, alors notaire à la résidence
de Chapon-Seraing. L'aînée épouse à trente-cinq ans un bijoutier de Herstal.
Le premier mariage, conclu un an après le décès du
chanoine Humblet, avait été celui de Joseph Forgeur qui épousa, le 31 mars
1830, Eugénie Dupont, fille de Quirin-Lambert-Joseph et de
Marie-Anne-Françoise-Elisabeth Fabry (1766-1846). .
Eugénie Dupont
avait un frère qui fit carrière au Ministère des finances. Elle avait aussi
cinq sœurs. Joseph Forgeur eut ainsi comme beau-frère un
professeur d'université, Evrard Dupont, un notaire, J.P. Gilkinet, un avocat,
J.G. Deleeuw, un homme d'affaires hutois, Clément Delloye et un banquier liégeois,
Gérard- Théodore Nagelmackers.
L'épouse de Joseph Forgeur était issue d'une famille
fortement politisée. Son grand-père paternel, Quirin-Beaudouin Dupont, avait
été commissaire de
J.H. Fabry, qui avait pour gendre un lieutenant-colonel
d'artillerie, J.F. Renault, était resté en contact avec ses nièces, étant
présent comme témoin lors de leur mariage. Aussi, la présence des gendres de Q.
Dupont et M.A. Fabry sur la scène politique, dès les prémices de
Commandant en second de la garde urbaine, secrétaire
de la commission qui traita de la reddition de la citadelle de Liège, Joseph
Forgeur fut nommé, le 10 septembre 1830, membre d'un comité consultatif.
Les électeurs de l'arrondissement de Huy choisirent
pour les représenter au Congrès National, leur ancien concitoyen, l'avocat
Joseph Lebeau établi à Liège et son collègue Joseph Forgeur ainsi que le
beau-frère de ce dernier, J.G. Deleeuw. A Liège, leur oncle, J.H. Fabry, et
leur beau-frère, G. Th. Nagelmackers, sexagénaires, seront désignés par les
électeurs liégeois comme suppléants au Congrès National.
Dans cette assemblée dont il fut l'un des quatre
premiers secrétaires, Joseph Forgeur prit une part active à l'élaboration des
articles 14, 15 et 16 de
Après la dissolution du Congrès National, il
disparaît de la scène politique alors que son beau-frère, J. Deleeuw, est élu à
Cet éloignement de la vie politique nationale, qui
laissait le champ libre à son jeune collègue W. Frère, permettait aussi à
Joseph Forgeur de se consacrer exclusivement à ses activités professionnelles.
D'après le nombre impressionnant de plaidoiries publiées, Joseph Forgeur
s'avère avoir été un avocat civiliste fort recherché. Cependant, on est dans
l'impossibilité d'évaluer ses revenus professionnels. Les archives publiques,
enregistrement sous seing privé mis à part, ne laissent de traces que
d'honoraires qui n'ont pu être acquittés immédiatement. Encore cette mention
figure-t-elle au nom du débiteur, ce qui limite les possibilités de recherche.
Ainsi, on ignore si la somme de 6.000 francs réclamée par Joseph Forgeur en
1848 à R.A.H. Vandermaesen « tant pour honoraire... que pour déboursés faits
pour compte de ce dernier » est exceptionnelle ou tout à fait dans les normes.
Dans ce dernier cas, le chiffre de 50.000 francs présenté comme le rendement
habituel d'un cabinet d'avocat prospère serait atteint et peut-être même dépassé.
Dans le cas présent, l'indice de capitalisation sous
forme de biens immeubles semble discutable. Alors que la famille Fabry avait
acquis des biens-fonds, Joseph Forgeur et son épouse ne paraissent pas avoir
été attirés par cette forme d'investissement, durant les premières années qui
suivirent l'Indépendance tout au moins. Ainsi les importants bénéfices retirés
de la vente de sa participation dans le charbonnage du Sart-au-Berleur ne
furent pas réinvestis en 1835 dans l'immobilier.
La crise
financière de 1839 qui a révélé la fragilité des placements industriels d'une
part et la signature, la même année, du traité des XXIV articles qui garantit
la survie du jeune Etat paraissent avoir modifié la position de Joseph Forgeur
en la matière. Entre 1839 et 1842, il acquiert trois immeubles dans le quartier
Nord de Liège et la propriété des Capucins à Huy. En 1846, il
achète le domaine de
Dès cette époque, Joseph Forgeur aurait pu figurer
sur la liste des éligibles de la province de Liège. Il attendit néanmoins
Son élection au Sénat le 12 mai 1851 marque un
tournant dans 1'histoire de la représentation liégeoise dans
Il succède, en effet, au sénateur catholique, le
baron Joseph M.L. de Potesta. Un noble catholique est ainsi remplacé par un
roturier bourgeois, citadin de surcroît alors que de Potesta était avant tout
un châtelain, sa maison de la place Saint-Paul n'étant qu'une résidence
hivernale.
Joseph Forgeur entrait au Sénat au moment même où
cette assemblée allait marquer, par son opposition à la loi sur les droits de
succession en ligne directe, sa composition sociologique spécifique. Joseph
Forgeur chercha une issue à ce conflit qui opposait le Gouvernement au Sénat
mais son amendement transactionnel fut repoussé et la dissolution du Sénat, le
5 septembre 1851, devait donner lieu à de nouvelles élections.
Réélu, il le fut cette fois de concert avec d'autres
Liégeois issus comme lui de cette « bourgeoisie intelligente, éclairée,
libérale » (Frère-Orban) qui allait représenter l’arrondissement de Liège
jusqu'à la fin du régime censitaire.
Son mandat sénatorial l'amena à redoubler
d'activité. Préparant avec un soin extrême ses interventions dans les débats
qui furent à la fois très nombreuses, - plus d'une vingtaine par session, - et
très remarquées, il n'en réduisit pas pour autant ses activités
professionnelles.
Ses qualités d'avocat d'affaires et surtout son
mandat sénatorial le firent rechercher en tant que membre des conseils
d'administration des sociétés anonymes. Pour lui, la participation à la vie
des affaires n'était pas une nouveauté mais jusqu'alors, il avait moins
recherché les indemnités découlant des fonctions d'administrateur que les
bénéfices qu'il pouvait retirer de la vente, au moment opportun, des titres
détenus en portefeuille. C'est pourquoi il avait stipulé que son nom ne devait
pas figurer parmi ceux des sociétaires de la société civile du Passage
Lemonnier, alors qu'il avait investi dans la construction de ce passage
couvert, inauguré en 1839, qui représentait une véritable nouveauté en
Belgique.
Cette affaire du Passage avait provoqué un très
sérieux différend entre Joseph Forgeur et son beau-frère G. Th. Nagelmackers,
aussi pourrait-on voir dans la constitution de
Ses relations avec le Pouvoir expliquent certainement
sa présence en tant que commissaire dans la société de chemin de fer de
Pepinster à Spa constituée en S.A. en 1853. Il occupe la même position
dans le conseil d'administration du charbonnage de
Ses plaidoiries en faveur de
C'est dans les charbonnages et plus particulièrement
dans celui de Patience et Beaujonc que s'investit Joseph Forgeur, confiance qui
semble avoir été partagée par ses héritiers, lesquels détiennent, en 1891, un gros
paquet d'actions de cette entreprise à la différence des autres sociétés
précédemment citées.
Ses multiples activités ne réduisirent en rien sa
sociabilité. Membre de
Sénateur, Joseph Forgeur continuait à appartenir à
ce groupe social tout en étant proche de la noblesse qu'il fréquentait dans
Mais ce souhait, exprimé dans un moment de désarroi,
alors que la défaite électorale avait écarté les libéraux de la direction de
l'Etat, ne fut pas répété dans son troisième et ultime testament. Grand
officier de l'Ordre de Léopold, décoré de
Cet homme politique qui se voulait le fils de ses
œuvres laissait un testament où les traces d'Ancien Régime étaient visibles.
Certes, il posait le principe de l'égalité entre ses héritiers mais d'une
part, se disait convaincu que l'intérêt de ses enfants était de maintenir le
plus longtemps possible l'indivision entre eux et stipulait d'autre part qu'en
cas de partage, la part des enfants devait consister principalement en immeubles.
La quotité disponible revenant à son épouse serait constituée principalement
par des valeurs au porteur.
Joseph Forgeur estimait implicitement que ses
enfants, respectivement .âgés de quarante et un, trente-quatre, trente-deux et
vingt-sept ans dont l'un était diplomate en service à Vienne et l'autre docteur
en droit, tandis que son gendre Lucien Smits était ingénieur, étaient peu à
même de gérer une fortune mobilière.
Les biens immeubles, qu'il délaissa à son décès
étaient situés au cœur de la ville, dans les environs de son hôtel de la rue du
Pot d'Or. Il avait conservé la propriété d'Embourg et celle de
La mise en valeur d'un héritage foncier situé dans
le quartier des Guillemins, viabilisé dans les années
(00) Vérification de ses pouvoirs
comme membre du Congrès (10/11/1830)
(01) Vérification des pouvoirs
d’un membre du congrès. Question de nationalité (11/11/1830)
(02) Formation du bureau
définitif (11/11/1830)
(03) Projet
d’adresse en réponse au discours du gouvernement provisoire (11/11/1830)
(04) Règlement
d’ordre du congrès national (12/11/1830, 13/11/1830,
15/11/1830)
(05) Démission
du gouvernement provisoire et proposition de proroger sa mission (12/11/1830)
(06) Inviolabilité
des membres du congrès ( (16/11/1830)
(07) Question
de la priorité à accorder à la proposition relative à l’exclusion des Nassau et
à celle relative à la forme du gouvernement (16/11/1830)
(08) Négociations
relatives au statut du Luxembourg (17/11/1830)
(09) Mode de publication des actes du congrès national (18/11/1830, 27/11/1830)
(10) Forme du gouvernement de
la Belgique (20/11/1830)
(11) Exclusion des Nassau de tout pouvoir en Belgique (23/11/1830, 24/11/1830)
(12) Propositions
tendant à réclamer communication de pièces diplomatiques (24/11/1830)
(13) Présentation
d’un projet de constitution et proposition de s’occuper de ce projet (25/11/1830)
(14) Question du sénat (06/12/1830,
11/12/1830, 16/12/1830, 17/12/1830, 18/12/1830,
15/01/1831)
(15) Initiative
des lois pour la présentation des projets de décret (13/12/1830,
15/12/1830)
(16) Naturalisation des étrangers (20/12/1830)
(17) Constitution. Egalité des Belges devant la loi et octroi
aux seuls Belges des emplois publics (notamment dans les universités) (21/12/1830)
(18) Constitution. Garantie de la liberté individuelle (21/12/1830)
(19) Constitution. Liberté des cultes, de leur exercice public
et liberté des opinions (21/12/1830)
(20) Constitution. Indépendance des cultes vis-à-vis des
pouvoirs publics, notamment question de l’antériorité du mariage civil sur le
mariage religieux (22/12/1830)
(21) Communication
diplomatique relative à la reconnaissance par les Puissances de l’indépendance
belge (03/01/1831)
(22) Question du choix du chef de l’Etat (Nemours-Leuchtenberg) (05/01/1831, 07/01/1831, 19/01/1831, 28/01/1831,
31/01/1831, 03/02/1831, 04/02/1831)
(23) Constitution.
Cens électoral (06/01/1831)
(24) Constitution.
Conditions d’éligibilité, notamment d’âge (06/01/1831)
(25) Constitution.
Indemnité parlementaire (06/01/1831)
(26) Cour des comptes (06/01/1831)
(27) Pétition
relative à la distillation des céréales (07/01/1831)
(28) Budget des dépenses pour le premier semestre de l’année 1831, notamment
sénat, budget des affaires étrangères, traitements des membres de l’ordre
judiciaire, indemnités pour les dommages dus à la révolution (15/01/1831)
(29) Proposition tendant à déclarer
faux le compte rendu du comité général du 16 janvier, donné par l'Émancipation,
et consacré aux protocoles du 9 janvier 1831 (17/01/1831)
(30) Garde civique (17/01/1831)
(31) Responsabilité
ministérielle (20/01/1831)
(32) Constitution.
Droit de résistance aux actes illégaux des fonctionnaires publics et droit de
poursuite (notamment à l’égard des ministres) (21/01/1831)
(33) Constitution.
Cour de cassation (21/01/1831)
(34) Constitution.
Publicité des audiences des cours et tribunaux (21/01/1831)
(35) Constitution.
Nomination des juges et présidents des cours et tribunaux (22/01/1831)
(36) Protestation
contre le protocole du 20 janvier 1831 contenant les bases de séparation entre
(37) Constitution. Garde civique (04/02/1831)
(38)
Constitution. Révision de la constitution (04/02/1831)
(39)
Constitution. Proposition de créer une dixième province (Tournaisis) (04/02/1831, 05/02/1831)
(40) Constitution. Privation des grades dans la force publique (05/02/1831)
(41) Indépendance des cultes vis-à-vis des pouvoirs
publics, notamment question de l’antériorité du mariage civil sur le mariage
religieux (05/02/1831)
(42) Constitution. Traitements des ministres du
culte (05/02/1831)
(43) Démission
de plusieurs membres du congrès (30/03/1831)
(44) Programme du deuxième
ministère du régent (30/03/1831)
(45) Nomination d’une commission
pour constater l’état des finances de l’Etat (30/03/1831)
(46) Situation diplomatique (30/03/1831, 02/04/1831)
(47) Commission
d’enquête sur les causes des émeutes de mars 1831 (02/04/1831)
(48) Retenue
sur les traitements des fonctionnaires de l’Etat (05/04/1831)
(49) Demande de congé ou absence
d’un membre du congrès (07/04/1831, 08/04/1831)
(50) Projet
d’emprunt forcé de 12 millions de florins (07/04/1831)
(51) Question
du chef de l’Etat (Léopold de Saxe-Cobourg) et propositions annexes (01/06/1831, 02/06/1831, 03/06/1831,
01/07/1831, 02/07/1831, 08/07/1831, 09/07/1831)
(52) Rétablissement
du jury (19/07/1831
(53) Délits politiques et de
presse (20/07/1831)
(54) Serment
à prêter par les fonctionnaires publics (20/07/1831)
(55) Amnistie (20/07/1831)
(56) Proposition tendant à donner
à M. le baron Surlet de Chokier, régent de
(57) Dissolution du congrès (20/07/1831)