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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 31 janvier 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 671) M. de Villegas procède à l'appel nominal à midi et un quart.

M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Villegas communique à la chambre l'analyse des pièces qui lui sont adressées.

« Les administrations communales de Beeringen, Heusden et Coursel présentent des observations sur le tracé à donner à la route de Moll vers le Limbourg. »

_ Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.


« Plusieurs habitants d'Enghien demandent qu'il soit fait des économies dans les dépenses de l'Etat. »

- Renvoi à la commission des pétitions et dépôt sur le bureau pendant la discussion des budgets.


« Les sieurs Perlot et Nicolas, cultivateurs à Herbeumont, demandent que la parcelle de terrain communal, pour laquelle ils ont fait des offres, lenr soit concédée pour la somme de 800 fr., ou qu'elle soit mise aux enchères publiques. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Bernard, bourgmestre, à Habay-la-Neuve, prie la chambre d'augmenter de 5,570 fr. 56 c. le crédit supplémentaire de 55,703 fr. 38 c. demandé pour le département des finances. »

- Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet relatif à cette demande de crédit.


« Plusieurs habitants de Cortemarcq et de Handzaeme demandent la construction d'une route pavée qui relierait la chaussée de Dixmude à Roulers à celle de Thielt à Ostende. »

M. Rodenbach. - Je demanderai le dépôt de cette pétition sur le bureau, pendant la discussion du budget des travaux publics.

- Adopté.


« Le conseil communal de Lille-Saint-Hubert propose l'établissement de couvents de trappistes au lieu de fermes-modèles pour favoriser le défrichement des bruyères. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Lille-Saint-Hubert demandent que la langue flamande soit enseignée dans les établissements d'instruction publique ; qu'elle fasse partie de tous les examens ; que dans les provinces flamandes les tribunaux et les administrations soient obligés d'en faire usage et que tous les fonctionnaires publics soient contraints de la comprendre et de la parler. »

M. Rodenbach. - Je demanderai que ces deux pétitions, que j'ai déposées sur le bureau, soient renvoyées à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs habitants de Bruxelles demandent la réforme postale basée sur la taxe unirorme de 10 c. pour la lettre simple affranchie et sur un port double pour toute lettre non affranchie. »

- Dépôt sur le bureau, pendant la discussion du budget des travaux publics.


« Les notaires du canton de Glons demandent que le chef-lieu de ce canton soit transféré à Fexhe-lez-Slins ».

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi relatif à ce transfert.


« Le conseil communal de Brecht prie la chambre de rétablir les droits d'entrée sur le bétail. »

- Renvoi à la commission d'industrie.

Rapports sur des pétitions

M. David fait les rapports suivants. - « La veuve deTaeye, revenue de Santo-Thomas, au mois de juin 1845, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir de la compagnie de colonisation les indemnités qui lui ont été promises du chef d'achat de biens de la communauté. »

La pétitionnaire, sur la foi des agents de la société de colonisation à Guatemala, s'est décidée, vu l'espèce de patronage que paraissait accorder le gouvernement à cette société, à se rendre en janvier 1844 à Santo-Thomas ; après avoir tout vendu en Belgique elle est partie avec son mari, 5 enfants, le père, le frère et la sœur de son mari ; ils étaient tous très robustes.

Le patrimoine de cette malheureuse famille a servi en partie à acheter des terrains de la comunauté. A peine arrivée à destination la pétitionnaire fut mordue à la jambe par un insecte venimeux, l'amputation dut avoir lieu et bientôt elle vit mourir son mari, 3 de ses enfants, son beau-père, son beau-frère et sa belle-sœur.

Anéantie par tant de malheurs elle avait droit à indemnités et remboursements de ses achats de terres de la part de la société, mais au lieu de cela, on l'a forcée à s'embarquer pour revenir en Belgique où elle est arrivée en juin 1845, avec deux enfants en bas àge, estropiée et réduite à la mendicité.

Dans une aussi grande infortune, elle tourne ses regards vers le gouvernement, en espère un secours provisoire et de l'appui afin que justice lui soit rendue par la société.

En conséquence, votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. David, rapporteur. - « La dame Deslandes, pensionnaire au Pachéco, à Bruxelles, demande que M. le ministre des finances soit autorisé à faire liquider sur la base de rente viagère la perception du droit de succession qu'elle doit acquitter du chef de parties de rentes annuelles sur le grand-livre de la dette publique de France consolidées dont l'usufruit lui a été légué par sa belle-sœur. »

La pétitionnaire, âgée de 74 ans, pensionnaire de l'hospice du Pachéco de Bruxelles, a hérité de l'usufruit de 10/41 de deux rentes annuelles 5 p. c, inscrites sur le grand-livre de la dette publique de France.

Comme usufruitière, elle aurait à payer sur un capital important des droits de succession qu'elle ne peut acquitter, elle ne possède absolument rien ; elle se trouvera privée du bénéfice du legs lui fait et les amendes successives absorberont le capital.

Elle demande que M. le ministre des finances soit autorisé à faire liquider les droits de succession sur la base de rente viagère au lieu de l'être sur la base d'usufruit ; ces droits de succession ainsi établis, elle pourrait les acquitter au moyen de l'intervention de personnes charitables.

Le grand âge et les infirmités de la pétitionnaire ne lui permettront pas de jouir des bienfaits de ce legs, si une prompte décision n'est prise, et votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette supplique à M. le ministre des finances.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. David, rapporteur. - « Le sieur Cantillon, ancien entrepreneur, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir un secours ou un emploi. »

Le pétitionnaire, associé à quelques personnes marquantes de Bruxelles et environs, a établi, en 1829, à Amsterdam un moulin à vapeur peur faire de grain farine, et une boulangerie pour la confection des biscuits pour la marine : le tout a coûté 200,000 florins des Pays-Bas ; l'entreprise rendait bien, lorsque les événements de 1830 ont forcé cette société belge à abandonner son établissement en Hollande ; de là une première et forte perte pour lui.

Appelé en 1831 au camp de Zonhoven par le général Daine, qui manquait de vivres pour ses troupes par la négligence du fournisseur habituel, il y passa un marché d'urgence, dont l'exécution dut avoir lieu avec tant de précipitation, qu'il essuya de très grandes pertes en argent et en chevaux ; elles ont été constatées par une commission d'enquête, instituée par M. le ministre de la guerre.

Entrepreneur et fournisseur de vivres et fourrages improvisé par la circonstance qui précède, il a continué de 1832 au 1er juillet 1846 cette industrie, source presque certaine de beaux bénéfices pour tous ceux qui s'en mêlent, mais qui pour lui fut une cause de ruine. Les années 1835, 1839, 1840, 1842, 1843 et 1846 lui ont été funestes par suite des très hauts prix des denrées alimentaires et fourrages ; 1839 surtout, année de nos dernières hostilités avec la Hollande, lui a été désastreuse, les corps d'armée dans le Limbourg ayant été considérablement renforcés, principalement en cavalerie, il eut deux régiments de cette arme en plus à pourvoir pendant six mois.

(page 672) Malgré des pertes cuisantes et réitérées, jamais il n'a cherché par le vol et la fraude à se rattraper, à faire de gain illicite, les nombreux certificats favorables lui délivrés par cinq généraux et commandants de place font foi de sa grande loyauté, de son activité et exactitude.

Touché du grand malheur qui a frappé le pétitionnaire, père de sept enfants, S. M. a bien voulu lui donner des paroles d'espérance et d'encouragement, l'honorable M. de Theux s'est intéressé à lui en cherchant à le placer dans l'administration des chemins de fer, mais son âge seul, il a plus de 25 ans, a été un empêchement à l'obtention d'un emploi ; M. de Schiervel, gouverneur du Limbourg, le bourgmestre et le curé de Curange lui ont délivré des certificats de moralité et de bonne conduite et enfin M. l'ingénieur Kummer a fait des démarches en sa faveur.

D'après tout ce qui précède, votre commission vous propose le renvoi de la présente supplique à M. le ministre de la guerre.

- Ces conclusions sont adoptées.

Projet de loi prtant le budget du ministère des travaux publics de l'exercice 1848

Discussion du tableau des crédits

Chapitre III. Chemins de fer

Discussion générale

M. le président. - La discussion continue sur l'ensemble du chapitre III, Chemin de fer.

(page 683) M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, lorsque le pays est menacé d'impôts nouveaux ; lorsque le pays est menacé d'un nouvel emprunt, à cause d'une insuffisance que certaines personnes croient voir dans le trésor ; lorsque ces bruits alarmants viennent coïncider avec une crise financière qui ébranle toutes les fortunes et qui est déjà la cause de la ruine de plusieurs, lorsque ces bruits alarmants viennent coïncider avec une crise industrielle qui réduit à une impitoyable agonie d'infortunés et nombreux compatriotes, il m'est impossible, messieurs, de voter en silence le budget d'une administration qui, d'après moi et d'après beaucoup de monde, dépense trop et ne reçoit pas assez.

Il suffit, messieurs, pour se convaincre que cette administration ne produit pas assez et nous coûte trop, de la comparer aux administrations des chemins de fer d'autres pays. Il suffit, messieurs, pour s'en convaincre, de lire la loi du 1er mai 1834, qui a créé nos chemins de fer. J'ai lu avec attention le discours remarquable que l'honorable ministre des travaux publics a prononcé dans cette enceinte le 25 de ce mois, et il me semble y avoir aperçu l'augure d'un avenir meilleur. Cette espérance, messieurs, je la fonde sur deux passages : M. le ministre des travaux publics, craignant la comparaison entre les résultats qu'offrent les chemins de fer belges administrés par l'Etat et les chemins de fer étrangers dirigés par des compagnies, a repoussé cette comparaison. Il nous a déclaré qu'il la croyait impraticable, parce que cette comparaison pèche, d'après lui, par sa base ; il a ajouté qu'il fallait tenir compte de l'infériorité des tarifs.

Ainsi, voici enfin un ministre des travaux publics qui convient que les tarifs non réduits ont de l'influence sur les recettes ; si donc nos recettes sont peu considérables, cela tient aux tarifs.

Je prends acte de cette déclaration, parce que, dans le passé, il semblait que, pour obtenir des produits considérables, il fallait diminuer encore les tarifs.

Les tarifs semblaient toujours trop élevés, il fallait se préoccuper surtout du nombre des transports ; et certes, il faudrait à ce compte des transports fabuleux pour réaliser des recettes satisfaisantes.

Une autre déclaration qui m'a frappé dans le discours de M. le ministre des travaux publics est la suivante : « L'Etat, a dit M. le ministre, peut augmenter les transports, pourvu que cette marche ne constitue pas le trésor en perte. »

J'ai pris encore acte de cette déclaration. Le gouvernement peut, d'après M. le ministre, favoriser les transports autant que possible (et je l'y engage), mais ce n'est qu'à la condition que ces opérations ne constituent pas le trésor en perte.

En rapprochant un peu plus tard l'article 5 de la loi du 1er mai 1834, du compte du chemin de fer pour 1846, nous verrons si le chemin de fer a constitué le trésor en perte.

En attendant, je dois un mot de réponse à M. le ministre, à propos des paroles qu'il a prononcées pour repousser toute comparaison entre les chemins de fer belges et les chemins de fer dirigés par les compagnies étrangères. Je dirai donc que je suis complètement de l'avis de M. le ministre à propos de l'assimilation, mais c'est pour des motifs entièrement différents. Je soutiens comme lui que toute comparaison est impossible. Voici pourquoi.

D’abord nous ignorons jusqu’à présent quelle est la dépense réelle de l’exploitation des chemins de fer belges ; nous l’ignorons, parce que jusqu’à ce jour l’exploitation n’a pas cessé de s’appuyer sur le fonds des emprunts ; une foule de dépenses d'exploitation ont été imputées sur le fonds spécial ; il est dès lors impossible de savoir quelle est la dépense de l'exploitation, mais il est plus que probable que la dépense de l'exploitation dépasse de beaucoup celle produite par le gouvernement ; cette dépense est beaucoup plus forte que nous nous l'imaginons.

Ensuite, s'il y a des comparaisons à faire, elles sont toutes à l'avantage du service des chemins étrangers. Le chemin de fer belge rapporte moins et ses conditions d'exploitation sont infiniment plus avantageuses pour lui. Qui ne sait que nos voies ferrées ont été construites à des prix beaucoup moins considérables que les voies ferrées françaises ? La moyenne par lieue en Belgique est de 1,700,000 et en France 2,000,000 !

Qui ne sait que les billes coûtent en Belgique 30 p. c. de moins qu'en France ? Qui ne sait que les rails coûtent 30 p. c. de moins qu'en France ? Qui ne sait encore que le coke coûte moitié moins en Belgique ? Toutes les conditions d'exploitation sont en faveur du chemin de fer belge, j'induis de là qu'aucune comparaison n'est possible !

M. le ministre des travaux publics a dit encore, pour établir l'impossibilité d'une comparaison, que le but d'une compagnie était tout différent de celui d'un Etat qui exploite. « Le but d'une compagnie, a-t-il dit, est uniquement la recette ; le but d'un Etat, c'est d augmenter les transports, de favoriser l'intérêt général. » Mais si l’intérêt de tous préoccupe surtout le gouvernement, qu’il commence par se préoccuper un peu plus de l'intérêt des contribuables et un peu moins de celui des voyageurs.

En effet, s’il y a perte sur les chemins de fer, c'est le contribuable qui est obligé de couvrir cette insuffisance. Du moment où l'intérêt des contribuables est sauvegardé, que les tarifs soient aussi réduits que possible, je ne demande pas mieux. Comme l'a dit l'honorable M. Pirmez, avec ce bon sens qui le caractérise, il est impossible d'accorder des faveurs immodérées aux voyageurs et au commerce sans en prendre le prix dans la poche des contribuables, et c'est, quant à moi, un système que je repousse ; si plus tard la chambre adopte ce système, quand les tarifs seront établis par la loi, je n'aurai rien à dire ; je prendrai patience, je subirai sans murmurer l'expression de la volonté de la représentation du pays. Mais tant que la législature concédera au gouvernement de déterminer provisoirement les tarifs, il me semble que le gouvernement devrait avoir quelques égards pour les contribuables et ne pas concentrer tous ses soins en faveur de ceux qui usent des voies de fer, parce que cela leur convient.

Il y a plus, en favorisant immodérément les transports au détriment des contribuables, vous favorisez les voyageurs étrangers qui traversent la Belgique à des prix réduits, comparativement aux prix des pays voisins ; et la différence doit être payée par des Belges, qui, éloignés des voies ferrées, en usent peu, ou aux dépens des industries auxquelles ce système de transports a occasionné des pertes considérables.

Maintenant, afin d'établir si la situation du chemin de fer, en 1846, ne constitue pas le trésor en perte, je vais vous produire, messieurs, le compte du chemin de fer.

Pour déterminer cette situation, il était nécessaire de connaître le chiffre des intérêts et de l'amortissement à une époque quelconque. J'ai eu recours à l'obligeance du directeur de la dette publique ; et c'est après d'assez longs calculs qu'il est parvenu à m'en indiquer le chiffre pour l'année 1846 :

En 1846, les frais d'exploitation se sont élevés à 7,245,766 fr. 52 c. Les intérêts et l'amortissement ont coûté au trésor 9,400,913 fr. 36 c. Donc total des dépenses 16,646,679 fr. 88 c.

La recette a été la même année comme ci 13,655,908 fr. 82 c.

Donc l'insuffisance, en 1846, a été de 2,990,771 fr. 06 c. Environ trois millions.

Maintenant comment s'exprime la loi du 1er mai 1834, la loi mère des chemins de fer ? Voyons l'article 5, il est conçu en ces termes : « Les produits de la route provenant des péages qui devront être annuellement réglés par la loi, serviront à couvrir les intérêts et l'amortissement de l'emprunt, ainsi que les dépenses annuelles d'entretien et d'administration de la nouvelle loi. »

Ainsi le législateur de 1834 a voulu que les recettes couvrissent non seulement les frais d'expIoitalion, mais encore les frais résultant des emprunts et de l'amortissement.

Vous voyez donc que nous sommes loin des termes de la loi de 1834, que nous avons une insuffisance de trois millions environ et que c'est le trésor public qui paye le déficit. Si je voulais faire le compte de ce déficit pour les années antérieures, ce ne serait pas exagérer que de le fixer a 30 millions, et ce déficit a été couvert par les recettes ordinaires des budgets.

Comme je viens de le dire, j'augure mieux de l'avenir et j'aime à espérer que M. le ministre des travaux publics, fidèle aux principes qu'il a développés dans son discours du 25 ce mois, organisera à l'avenir les transports de façon à ce que leur marche ne constitue plus le trésor en perte ; au reste, j'aurai soin de lui rappeler des paroles et des principes qui sont de nature à donner des garanties aux intérêts des contribuables et du trésor.

J'insiste d'autant plus sur cet objet, que l'on paraît vouloir très sérieusement nous imposer la charge d'impôts nouveaux. Or, je pense que si le chemin de fer, que si le sucre acquittaient au trésor ce qu'ils lui doivent, les impôts nouveaux seraient inutiles. On me répliquera peut-être : Mais payer un peu plus sous forme de péages au chemin de fer, ou sous forme d'impôts, peu nous importe !

Je répondrai que ce n'est pas du tout la même chose. Comme l'a si bien dit l'honorable M. Pirmez, le 26 janvier : « Le sacrifice que je fais en payant l'impôt est un sacrifice de toute autre nature que celui que je fais en prenant un billet au bureau des chemins de fer, il n'y a pas de comparaison entre ces deux genres de sacrifices ; l'un est volontaire, l'autre est forcé.... Il y a, ajoutait l'honorable membre, une aussi grande différence entre le sacrifice volontaire et le sacrifice forcé, qu'il y en a entre la liberté et la servitude. »

Maintenant, messieurs, après avoir fait mes réserves en faveur des intérêts des contribuables et du trésor, qu'il me soit permis de vous signaler les causes de l'insuffisance des recettes du chemin de fer. D'abord (il est inutile de revenir là-dessus), il est positif que les chiffres de notre tarif concernant les personnes sont trop réduits. Il y a entre le tarif belge et celui du chemin de fer du Nord une différence d'un centime par kilomètre, soit cinq centimes par lieue, telles que les estime l'administration.

Je ne réclame pas une surtaxe aussi considérable, mais je demande que le tarif des voyageurs soit mis plus ou moins en harmonie avec ceux de nos voisins ; et le moyen d'y arriver c'est que le projet de loi, qui a fait l'objet des délibérations des sections, soit discuté dans cette chambre. Si le gouvernement trouve à propos d'y faire des modifications, il est libre de présenter des amendements et de les soumettre à la législature.

(page 684) En tout cas, j'insiste avec les sections centrales qui ont fait les rapports sur les budgets des travaux publics pendant ces dernières années, sur la convenance de régler enfin le tarif des péages des chemins de fer par la loi. D'après la loi de 1834, ces tarifs devaient être, tous les ans, fixés par la législature. Plus tard, on est revenu là-dessus, parce qu’il a semblé que c'était une perte de temps ; on a trouvé d'ailleurs que 1 expérience n'était pas assez longue, qu'il fallait attendre, permettre au gouvernement de faire des expériences. Il en a fait depuis treize ans. Il est grand temps de fixer définitivement les tarifs par la loi, après une discussion spéciale.

Ce serait le seul moyen de faire cesser ce que j'appelle une espèce d'illégalité ; je veux parler de ces remises de péages à telle ou telle entreprise. D'après l'article 112 de la Constitution, nulle exemption ou modération d'impôt ne peut être établie que par la loi. Si ce n'est pas enfreindre positivement la Constitution dans la situation d'aujourd'hui, c'est plus ou moins froisser un grand principe que d'accorder à telle ou telle personne, à telle ou telle société des remises qui sont en définitive des faveurs payées par d'autres. Si vous dispensez quelqu'un d'acquitter un péage, vous êtes obligés de tirer l'équivalent de la poche d'une autre personne.

J'aime beaucoup la générosité ; mais c'est surtout quand elle se pratique aux dépens de celui qui la fait et non aux dépens d'autrui.

Pour me résumer quant aux tarifs des personnes, je dis que l'économie, que réclame le voyageur, c'est surtout l'économie de temps, car l'économie de temps et de la précision dans le service produit des réductions de dépenses. Or, pour le dire en passant, l'administration belge imprime à son service peu de célérité et peu de précision ; il y a beaucoup à redire à ce sujet.

Une autre cause de l'insuffisance des recettes, c'est, j'en suis convaincu, le luxe du personnel qui absorbe des sommes trop considérables.

L'honorable M. de Brouckere l'a dit, il y a quelques jours, le personnel de la direction, entre autres, est par trop nombreux ; il est vraiment exorbitant ; cela passe toutes les bornes.

J'ai cherché des points de comparaison entre le personnel des chemins belges et celui des chemins administrés par des compagnies. Je suis .resté persuadé que le personnel belge est relativement beaucoup plus nombreux.

En voulez-vous des preuves ? Eh bien ! les trains du chemin du Nord marchent avec trois et même deux gardes-convois, tandis que les nôtres marchent avec cinq conducteurs. C'est ce dont je me suis assuré par des renseignements que j'ai puisés à des sources officielles. Le croiriez-vous, messieurs ? A la station du nord de Bruxelles, il y a plus de commissaires de police, de portiers qu'à la station du nord à Paris !

Messieurs, pourquoi tout ce personnel ?Je crois pouvoir vous le dire. Il provient en partie du système de contrôle établi sur nos voies de fer. Dans des compagnies bien organisées, tout le contrôle s'exerce à l'entrée et à la sortie des gares. Ici ce contrôle n'est d'aucune valeur d'après l'organisation établie. Tout le contrôle s'opère pendant la marche des convois, et il faut en conséquence un personnel beaucoup plus nombreux destiné à la vérification des coupons.

Ce qui exige aussi un personnel plus nombreux, c'est la manie de faire des gares des promenades publiques. Les stations sont devenues des lieux de rendez-vous pour les promeneurs, et je suis étonné qu'il n'en résulte pas plus d'accidents. On ne parvient, au reste, à les éviter qu'à l'aide d'une foule d'agents qui surveillent sans cesse les mouvements de ces redoutables remorqueurs. Ce ne sont pas seulement des promeneurs qui encombrent les stations, ce sont encore des colporteurs de journaux qui vous entourent, vous étourdissent par leurs cris discordants et peu harmonieux et ne vous lâchent que lorsque vous leur avez pris un numéro contenant un beau feuilleton.

Messieurs, ce qui est encore cause de l'insuffisance des recettes, c'est un système absurde d'administration, système au moyen duquel les dépenses se créent sans contrôle, sans les ordres du ministre. Sous les administrations précédentes, il est arrivé sans cesse que l'initiative des dépenses était prise par des agents inférieurs, même par des conducteurs des ponts et chaussées ; et le ministre n'était là pour ainsi dire que pour ratifier ce qu'ils avaient fait. Et à ce propos j'aime à rendre justice à un acte récent de M. le ministre des travaux publics qui, par un arrêté fort bien motivé, a mis ordre à cette anarchie.

Ce qui augmente la dépense, c'est ce système du gouvernement de vouloir tout faire par lui-même. Nous avons à Malines un immense atelier. Ce n'est pas seulement un atelier de réparation, c'est un atelier de construction. On y assemble les pièces nécessaire pour construire des voilures, on les peint, on les garnit ; et, après tout, l'on n'obtient pour résultat que des voitures infiniment inférieures à celles des chemins de fer exploités par les compagnies françaises, tant sous le rapport de l'élégance que du confort.

Quand on sort d'une berline du chemin de fer du Nord ou du chemin de fer d'Orléans à Tours, on entre réellement avec répugnance dans les berlines construites à Malines. Et cependant, je puis vous assurer que ces berlines coûtent à peu près autant que les berlines construites aux frais des compagnies. Celles-ci en abandonnent la construction à la concurrence publique ; mais ici, probablement dans le but d'entretenir cet immense personnel, de lui donner de la besogne, on construit beaucoup au moyen d'ouvriers qui travaillent directement pour l'Etat, et qui sont directement à ses gages.

Je dois le reconnaître cependant, depuis quelque temps le gouvernement a abandonné à un constructeur habile de Bruxelles la fabrication de quelques berlines qui doivent coûter chacune 7,000 fr. Ces berlines seront construites d'après un modèle arriéré ; mais elles seront garnies avec beaucoup plus de soin, avec beaucoup plus de confort que ne le sont celles qui sortent des ateliers de Malines. Le constructeur, cependant, y introduira quelques changements d'après le système des voilures anglaises et françaises. Eh bien ! ces voitures ne coûteront pas plus cher, j'en suis sûr, que celles qui sont construites à Malines.

J'espère que si cet essai réussit, M. le ministre des travaux publics donnera une plus grande extension à ce mode d'établir des moyens de transport.

Enfin, messieurs, ce qui contribue à ce que nos recettes ne croissent pas davantage, c'est un système absurde quant au tarif des marchandises. Ici, messieurs, je ne me plaindrai pas de ce que les tarifs soient trop réduits ; je crois, au contraire, que pour les marchandises ils sont dans plusieurs circonstances trop élevés ; ce que le transport des marchandises réclame, ce n'est pas la vitesse, ce sont des prix peu élevés.

Le tarif des marchandises a été publié, je pense, en 1842 ou 1843, et ce tarif, à ce qu'il paraît, est susceptible de critiques sérieuses. Il établit une espèce d'uniformité pour le transport des marchandises ; au lieu de décroître en raison de l'augmentation des distances, ce tarif reste toujours le même. On peut consulter à cet égard une publication très remarquable d'un ingénieur belge, qui fait grand honneur à son pays, j'entends parler de l'ouvrage de l'ingénieur Belpaire. Il a traité toutes ces questions ainsi que d'autres d'une manière extrêmement remarquable, et son ouvrage a fait même sensation à l'étranger ; je désire que M. le ministre des travaux publics mette à exécution ce qu'il nous a promis à cet égard et qu'il révise les tarifs dans le système de cet ingénieur.

N'est-il pas absurde de voir la plupart des articles de diligence transportés par les anciennes messageries ou au compte de leurs propriétaires ? Le chemin de fer fait le service, et ce sont les messageries qui en retirent tout le profit. D'où cela provient-il ? Cela provient de plusieurs causes qui semblent ne pas mériter qu'on les indique dans cette enceinte et qui cependant exercent une grande influence sur nos recettes. Quand on envoie un colis quelconque aux messageries, comme les employés de ces entreprises ont une part dans les bénéfices, l'expéditeur est accueilli avec toute la politesse désirable. Quand on se présente au chemin de fer, comme plus les expéditions augmentent plus cela donne de besogne aux employés, on rencontre assez généralement assez peu d'obligeance ; les réponses sont brèves, les renseignements s'obtiennent avec peine.

Ensuite, messieurs, que deviennent les colis ? Je parle d'après mon expérience personnelle ; j'ai fait l'épreuve des deux moyens de transport : par les entreprises particulières, le colis sera transporté de Bruxelles à Paris en 30 heures et, le croirez-vous ? par le chemin de fer il reste huit jours en route. J'ai fait la même épreuve de Bruxelles à Liège : par les messageries, le colis arrive à destination du jour au lendemain ; par le chemin de fer, il reste 4 jours en route.

De plus, messieurs, si l'on désire faire expédier un objet par le chemin de fer il faut le faire porter à l'extrémité de la ville ; aucune facilité n'est accordée aux expéditeurs ; on dirait que tout est calculé pour les rebuter. Dans une ville aussi considérable que Bruxelles, il faudrait 6 bureaux établis dans les divers quartiers, munis de grandes enseignes indiquant que c'est là qu'on peut déposer les articles destinés au chemin de fer.

Il faut que je cite ici un fait assez grave. Vous savez, messieurs, que pendant tout ce mois il a fait un froid violent qui a interrompu complètement le service des canaux. Eh bien, dans les environs de Bruxelles il y a une usine importante, une usine qui donne de l'ouvrage à 400 ouvriers. Cette usine avait besoin de 200 kilog. de sel ; elle ne pouvait pas les faire venir par les canaux ; elle s'adressa au chemin de fer le 10 du mois de janvier en offrant de payer 5 fois ce qu'eût coûté le transport par eau ; eh bien, le 25 janvier on n'avait pas encore reçu de réponse, et l'intéressé, en se rendant dans les bureaux, apprit qu'on n'avait pas entendu parler de sa demande.

Pour me résumer, messieurs, ce que je désire, c'est que le gouvernement s'arrange de manière à décharger les contribuables des 3 millions qu'ils doivent couvrir ; et dans la situation présente, cette charge est très pénible, surtout si l'insuffisance des recettes des chemins de fer produit la nécessité d'impôts nouveaux.

Je demande que l'on rentre dans le système de la loi du 1er mai 1834. J'ai voté, moi, messieurs, cette loi du 1er mai 1834, et j'ai voté pour que le chemin de fer fût exploité par le gouvernement ; j'ai voté contre le système de l'exploitation par les compagnies. La question a été débattue avec beaucoup de vivacité, et elle a été décidée par une majorité peu considérable. Eli bien, j'ai uni ma voix à celle de la majorité, et ce qui m'y a déterminé ce sont les conditions que renferme la loi de 1834. Si dès maintenant ces conditions ne sont pas exécutées, il y aura réellement déception pour ceux qui ont voté dans le sens que je viens d'indiquer.

J'insisterai encore, messieurs, pour une prompte discussion des tarifs, afin de faire cesser toutes ces faveurs que je considère, moi, comme plus ou moins contraires à l'esprit de l'article 112 de la Constitution. Je désirerais que M. le ministre des travaux publics nous dît s'il compte modifier ce projet de loi. S'il trouve, dans l'intérêt du chemin de fer, quelques modifications à y introduire, je désirerais qu'il voulût les transmettre à la section centrale qui est composée et qui est toute disposée, je pense, à s'occuper de ce travail.

Je me bornerai à ces observations.

(page 674) M. Van Renynghe. - Messieurs, si j'ai demandé la parole, ce n'est que pour un moment. J'ai à vous dire quelques mots sur le chemin de fer qui partirait de Courtray par Menin, Wervicq, Commines et Ypres, et viendrait aboutir à Poperinghe.

La ligne de ce chemin est une des plus urgemment nécessaires et serait très productive. Elle traverserait des localités qui, sous le rapport de l'industrie et de l'agriculture, méritent d'attirer l'attention du gouvernement.

La ville de Poperinghe qui, dans notre grande prospérité du moyen âge, faisait partie de la hanse flamande et qui possédait un canal dé jonction avec l’Yser, mais lequel a cessé d'être navigable par suite de circonstances désastreuses, pourrait sortir, par une voie ferrée, de l'isolement, où elle se trouve de nos jours. Ses fabriques de tabac qui donnent en grande partie l'existence à deux cents familles pauvres, ainsi que son agriculture qu'on peut citer comme modèle et qui est sa principale industrie, se ressentiraient vivement de ce bienfait. Ce serait pour le moment une espèce de compensation, en ce qui concerne le transport, pour l'objet principal de sa production, le houblon, qui est frappé à l'entrée de la France d'un droit exorbitant, d'un droit équivalant à une prohibition, chose ignorée sans doute des honorables membres de cette chambre. Ce droit s'élève à soixante et quatorze francs par 100 kilogrammes, somme bien souvent égale et quelquefois supérieure au prix vénal du produit de cette branche importante de notre industrie agricole. Par contre, les houblons étrangers se présentent sur nos marchés en concurrence avec les nôtres, sans être assujettis, pour ainsi dire, à aucun droit. C'est, en attendant que l'on remédie à ces inégalités, contre lesquelles les communes intéressées et la commission, provinciale d'agriculture de la Flandre occidentale protestent depuis longtemps, c'est dans l'intérêt de six villes et de plusieurs communes populeuses qui ont aussi leur part de souffrances, que je viens réclamer la construction de ce chemin de fer qui serait déjà livré à l'exploitation avec grand avantage pour les concessionnaires, si le cabinet précédent avait décidé qu'où aurait dû commencer par cette ligne.

Je suis convaincu et M. le ministre des travaux publics doit l’être avec moi par suite des différentes explications qui lui ont été données à cet égard, que si, tant sous le rapport des profits qu'en retireraient le commerce, l'industrie et l'agriculture, que sous celui des bénéfices qui en reviendraient aux exploitants de ce chemin, le gouvernement ne trouvait pas expédient de seconder les concessionnaires, il serait dans son propre intérêt de le faire construire aux dépens de l'Etat.

J'espère donc, s'il est accordé au ministère de créer un emprunt pour l'exécution des grands travaux dont M. le ministre de l'intérieur a fait l'énumération dans cette enceinte, et parmi lesquels sont compris ceux relatifs à la construction de la voie, dont il s'agit, j'espère, dis-je, que cette voie ne sera pas reléguée parmi celles que l'on semble vouloir considérer comme idéales.

M. de Roo. - Messieurs, depuis plusieurs années nous avons voté la concession du chemin de fer de la Flandre occidentale dont vient de parler l'honorable préopinant. Un terme de deux ans, si je ne me trompe, a été accordé pour en opérer l'achèvement, et un cautionnement de 2 millions a été déposé pour en garantir l'exécution. Cependant cette exécution n'a pas encore eu lieu, notamment dans une partie de la Flandre occidentale ; le district de Thielt, où le manque d'ouvrage se fait le plus vivement sentir, où la population est décimée par suite des privations qu'elle endure et qui n'ont d'autre cause que le désœuvrement ou le manque de travail. M. le ministre des travaux publics, comme chargé de l'exécution de la loi, doit savoir à quoi tient ce défaut d'exécution, et. je le prie de le faire connaître au public, à moins qu'il ne trouve moyen d'en faire disparaître la cause et ainsi faire exécuter ce chemin de fer dans le plus bref délai possible. Sinon, je demande qu'on tienne la main à l'exécution de la convention qui a été conclue, ratifiée par les chambres et qui est maintenant passée en force de loi.

Cette convention ne peut pas rester une lettre morte, il faut que le gouvernement la fasse exécuter ; il faut qu'on fasse honneur aux engagements pris envers les chambres ; sans cela on tromperait la religion de ceux qui ont voté ce chemin de fer ; car il en est beaucoup, et je suis de ce nombre, qui n'auraient pas voté le chemin de fer de la Flandre occidentale, si on n'avait pas promis de faire l'embranchement de Deynze à Thielt.

Je demande qu'on fasse exécuter cet embranchement, soit en saisissant le cautionnement, soit en expropriant la ligne qui est construite, et en la faisant ainsi passer à une autre société qui remplisse mieux ses engagements.

M. Rodenbach. - Messieurs, je me proposais de prendre part à cette discussion, mais je dois me borner à dire quelques mots parce que je suis fortement enroué.

Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s'il n'y aurait pas moyen de marcher plus vile sur nos chemins de fer. En Belgique, nous faisons 7 lieues par heure : en France on fait 8 lieues ; ce n'est pas beaucoup plus que chez nous. En Angleterre, il y a des compagnies qui font 14 lieues par heure, d'autres en font 15, 16 ; récemment, la compagnie occidentale en Angleterre a décidé qu'on ferait 20 à 25 lieues par heure.

Je sais qu'on peut prétendre que plus la vitesse est considérable, plus il y a du danger ; mais je crois que réellement 7 lieues à l'heure, c'est trop peu. Je ne demande pas qu'en Belgique, on fasse à l'heure 20 à 21 lieues comme en Angleterre ; mais on pourrait au moins faire 10 lieues à l'heure. Toute la chambre est sans doute convaincue avec moi que, quand on veut organiser parfaitement le service, on doit pouvoir faire plus que sept lieues à l'heure...

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - C'est juste !

M. Rodenbach. - On pourra encore me dire qu'il y a beaucoup de stations et qu'on doit s'arrêter beaucoup ; quoi qu'il en soit, ce service doit être amélioré ; il n'y a en Belgique qu'une voix pour proclamer que ce service se fait trop lentement.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai déjà eu l'honneur de donner à la chambre des explications assez étendues sur les intentions du gouvernement quant à l'exploitation et à l'administration du chemin de fer. Je serai donc aujourd'hui très bref dans les réponses que je ferai aux observations qui ont été présentées par l'honorable M. de Man.

Parmi ses critiques, quelques-unes sont justes et fondées, mais il y en a aussi beaucoup d'autres qui sont empreintes ou d'erreur ou d'une évidente exagération.

Et d'abord, l'honorable membre a cru qu'il était nécessaire (c'est devenu un peu l'habitude depuis l'ouverture de cette session) de récriminer par anticipation au sujet de l'emprunt dont le pays serait menacé, et de la situation déplorable dans laquelle le pays se trouverait, afin de faire un grief au gouvernement de tous les actes qu'on lui suppose l’intention de proposer.

Il me semble que l'on ferait bien de renoncer à ces récriminations anticipées, et que, lorsque le gouvernement aura soumis à la chambre les projets qu'il croit dans l'intérêt du pays, il sera temps de les examiner complètement, sérieusement, sans qu'on doive aujourd'hui compliquer inutilement les autres discussions d'objets qui leur sont parfaitement étrangers.

Les explications que j'ai eu l'honneur de donner à la chambre ces jours passés, ont satisfait l'honorable membre sous plus d'un rapport ; il y voit l'espérance d'une administration meilleure ; il considère comme étant d'un bon augure les intentions que j'ai annoncées.

Ce qui particulièrement a frappé l'attention de l'honorable M. de Man, c'est la déclaration que j'ai faite, qu'il faut obtenir du chemin de fer et beaucoup de recettes et beaucoup de services publics sans que ces services constituent cependant le trésor en perte. Or, selon l'honorable membre, cela doit signifier qu'à tout prix, le chemin de fer de l'Etat doit produire l'intérêt et l'amortissement des capitaux qui y sont engagés. Je m'expliquerai tout à l'heure sur ce point ; mais que l'honorable membre me permette de lui dire qu'il a fort mal interprété mes paroles.

J'ai dit que, relativement aux dépenses d'exploitation, il fallait faire rendre au chemin de fer la plus grande somme de services possible, même avec des bénéfices moindres, mais toutefois sans constituer le trésor en perte.

Ces observations étaient donc tout à fait séparées de la question qu'a traitée l'honorable membre, celle des intérêts et de l'amortissement des capitaux engagés dans cette opération.

Et quant à cette question d'intérêts et d'amortissement, l'honorable membre me paraît interpréter la loi du 1er mai 1834 dans un sens que cette loi ne pouvait pas avoir. Cette loi, il est vrai, porte dans une de ses dispositions, que les produits du chemin de fer serviraient à couvrir les intérêts et l'amortissement des capitaux engagés, mais elle ne pouvait pas décréter des revenus ; elle a indiqué l'emploi des fonds, mais elle n’a pas prescrit que le chemin de fer produirait nécessairement telle ou telle somme. Et puis, lorsqu'on raisonne du chemin de fer en 1847, il faut bien qu'on se souvienne des idées qui dominaient à l'époque où la loi du 1er mai 1834 a été votée.

On était alors généralement convaincu que les produits seraient très considérables, et c'est parce qu'on le supposait ainsi, qu'on a surtout signalé la nécessité de faire payer au chemin de fer les intérêts et l'amortissement des capitaux engagés dans sa construction. D'autres idées, aujourd'hui reconnues erronées, dominaient également à la même époque ; ainsi, par exemple, la supposition que les péages sur les chemins de fer pouvaient être établis tellement bas qu'ils rendraient impossible toute concurrence par les canaux. Les résultats ont prouvé que de pareilles espérances ne pouvaient pas être réalisées.

J'ai, d'ailleurs, une autre réponse à faire à l'honorable membre, en ce qui concerne les intérêts de l'amortissement du capital consacré à l'établissement du chemin de fer.

L'honorable membre ne remarque pas que le chemin de fer est loin d'avoir indiqué la plus grande somme possible de ses produits. Chaque année nous allons en augmentant ; depuis plusieurs années, on a successivement accru les recettes du chemin de fer de plus d'un million. Nul (page 675) ne saurait dire encore à quelle époque cette progression favorable s'arrêtera, et jusqu'à ce qu'elle se soit arrêtée, on pourrait dire, même en partageant entièrement les idées de l'honorable membre, qu'il ne faut pas se hâter de condamner ce qui existe ni mettre autant de promptitude dans les jugements.

Lorsque nous connaîtrons ce que le chemin de fer doit produire définitivement chaque année, alors seulement nous saurons s'il ne répond pas aux espérances qui avaient été conçues, s'il ne produit pas les intérêts et l'amortissement des capitaux engagés. Mais aujourd'hui il serait impossible de considérer le chemin de fer comme se trouvant dans son état normal et définitif, sous le rapport des recettes, pas plus qu'il ne l'est sous celui de ses dépenses.

L'honorable membre a pensé que le déficit (comme il l'a nommé) dans la situation du chemin de fer devait être attribué à cinq causes principales qu'il a indiquées : la première de ces causes, c'est que les tarifs ne sont pas assez élevés. L'honorable membre n'a fait allusion qu'au tarif des voyageurs, puisque, dans une autre partie de ce discours, il a reconnu que le tarif des marchandises est trop élevé et que surtout il est mal agencé.

Que le tarif des voyageurs ne soit pas assez élevé, c'est un point sur lequel je ne puis être d'accord avec l'honorable membre, surtout quant aux voyageurs de troisième classe.

Je dois répéter ici ce que déjà j'ai eu l'honneur de dire à la chambre, que dans la fixation de ses tarifs, l'Etat ne peut pas se déterminer par les mêmes considérations qu'une compagnie.

L'Etat, dans la fixation de ses tarifs, doit avoir autre chose en vue que des recettes ; il a en vue les services qu'il peut rendre au public.

Ce que nous devons chercher, c'est ce point qui permet, avec le même produit, de rendre une somme de services plus considérable ; et c'est là, comme j'ai eu l'honneur de l'exprimer, un des grands avantages de l'exploitation par l'Etat, de pouvoir balancer une recette moins élevée par de plus grands services rendus.

L'Etat sans qu'il y ait perte pour le trésor, sans qu'il y ait quelque chose à prendre au contribuable, comme l'a énoncé l'honorable préopinant, l'Etat peut, avec un tarif moindre, faire plus de transports produisant une recette égale à celle que donnerait un tarif plus élevé en faisant moins de transports. Il est vrai qu'on fait ainsi une dépense un peu plus considérable, mais cette dépense est largement compensée par l'immense service rendu au pays. Et puis, dans ses observations, l'honorable membre ne tient pas compte des avantages indirects procurés par le chemin de fer, et qui n'ont pas moins de valeur que ceux que l'on retire d'une route ordinaire. Si cet honorable membre raisonnait pour les routes comme il le fait pour le chemin de fer, il devrait conclure à la suppression des routes ; pour être logique il devrait s'opposer du moins à la construction de toute espèce de route, car les routes ne produisent pas l'intérêt et l'amortissement des capitaux engagés.

Les routes, il en est un très grand nombre, ne couvrent pas leurs frais d'entretien ; faut-il les supprimer ? Non certes ; elles sont d'une utilité immense. Et pourquoi ? C'est à raison des avantages indirects qu'elles procurent ; et ces avantages sont tels qu'ils constituent de véritables dégrèvements des charges publiques. Permettez-moi de citer un exemple pour vous faire toucher du doigt la vérité de ma pensée : une localité est privée de route, les terres y valent deux mille francs l'hectare ; une route y est construite, aussitôt les terrains bordant la route augmentent de quelques centaines de francs par hectare.

L'impôt payé est le même après l'établissement de la route qu'avant ; les propriétaires ne jouissent-ils pas d'un véritable dégrèvement de contribution ? Leur fortune n'est-elle pas augmentée ? Et quand le produit des impôts est ainsi employé, tantôt sur un point du pays, tantôt sur un autre, est-il bien raisonnable, au point de vue des intérêts généraux, même des intérêts particuliers, de supputer si la caisse de l'Etat reçoit l'intérêt et l'amortissement des capitaux engagés ?

La deuxième cause de l'insuffisance des recettes du chemin de fer, c'est qu'au chemin de fer de l'Etat, le personnel serait trop nombreux, qu'il serait exorbitant. Je dois dire qu'à l'heure qu'il est, bien que je partage en quelque sorte d'instinct les idées de l'honorable membre, je n'ai pas pu encore me former à cet égard une opinion consciencieuse. Pour qu’elle soit établie et raisonnée de manière à former une conviction, ii faut qu'on ait comparé ce qui est nécessaire au chemin de fer de l'Etat avec ce qui est nécessaire aux chemins de fer exploités par les compagnies.

Je ne pense pas que l'honorable préopinant ait les éléments indispensables pour raisonner sur ce point en connaissance de cause, pour moi je ne les possède pas, quoique j'aie fait des recherches pour les réunir, afin d'arriver à comparer les personnels des diverses administrations.

Messieurs, il faut se tenir en garde contre des renseignements pris en passant qui ne sont pas suffisamment approfondis. J'en trouve la preuve dans l'exemple cité par l'honorable membre ; il vous a dit que les gardes-convois des chemins de fer de l'Etat étaient très nombreux ; qu'ils étaient en moindre nombre sur les chemins de fer des diverses compagnies. Examen fait, car ce point a été vérifié au département des travaux publics depuis les observations de la section centrale, on a trouvé, j'en dirai les motifs, que s'il y a un plus grand nombre de gardes et de surveillants sur les convois de l'Etat, il y en a un moins grand nombre dans les stations que dans celles des compagnies.

La cause en a été signalée par l'honorable membre lui-même ; c'est que sur le chemin de fer de l'Etat, on fait les vérifications en route, on exerce le contrôle des coupons, on fait la répartition des marchandises pendant la marche, tandis qu'aux autres chemins de fer, tout ce service se fait en station. Ce que nous avons en plus de personnel en circulation, les autres l'ont en station. Je donnerai sur ce point plus de détails tantôt, mais je demande la permission de citer un exemple que chacun de vous pourrez vérifier : à la station de Bruxelles, je parle seulement de ce qui doit servir pour le contrôle, il y a un chef de station, un surveillant et un chef-ouvrier ; à la station de Valenciennes, il y a un chef de service, un sous-chef, trois contrôleurs de coupons, quatre surveillants, un chef d'équipe.

En Belgique vous avez moins en station, mais vous avez plus en circulation ; en somme, cela revient absolument au même. L'honorable membre a dit qu'avant mon entrée aux affaires une autre cause d'augmentation de dépenses provenait de ce que les propositions étaient faites par des agents inférieurs.

Si pareille chose a existé, je compte que cela ne se représentera plus.

L'honorable membre a dit ensuite que la manie de tout faire était un peu trop répandue au chemin de fer ; en cela, la proposition énoncée d'une manière générale, ne manque pas d'une certaine vérité, quoique cette manie, puisque manie il y a, soit beaucoup restreinte aujourd'hui. Dans l'exemple qu'il a cité, l'honorable membre est tombé dans l'erreur ; il n'est pas exact que les voitures confectionnées à Malines (d'abord on ne confectionne pas de voitures à Malines ; première erreur ; on se borne à les monter) coûtent une somme plus considérable que les voitures du chemin de fer français.

M. de Man d’Attenrode. - J'ai dit la même somme.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Le prix des voitures du chemin de fer de l'Etat est bien inférieur au prix des voitures françaises. Je n'oserais indiquer, de mémoire, le chiffre de la différence, je ne pourrais pas affirmer. Mais je suis certain de m'être fait rendre compte de ce point ; je puis affirmer que les renseignements qui m'ont été donnés sont tels qu'il existe une différence notable entre les prix de nos voitures et les prix des voitures françaises. Trouvant la différence entre le prix des voitures françaises et des voitures beiges extrêmement à l'avantage de la Belgique, j'ai autorisé une dépense de mille francs en plus chez le fabricant auquel a fait allusion l'honorable membre, afin que l'on donnât plus de confort à nos voitures, et qu'on les mît plus en harmonie avec les voitures françaises.

Dans cette comparaison, il faut tenir compte d'une circonstance qui a sa valeur. Le chemin de fer français est neuf ; il n'est pas juste de comparer son matériel au nôtre qui a longtemps roulé.

Il est impossible qu'il soit en aussi bon état. En outre, on a profité de l'expérience des chemins de fer belges ; on a introduit en France des améliorations qui existaient ailleurs. Nous avons été les premiers ; nous avons donné l'exemple. Nous avons maintenant à profiter des exemples que nous donnent ceux qui ont profité des écoles que nous avons faites.

Le système des tarifs est la cinquième cause indiquée par l'honorable membre. Quant aux marchandises, il est évidemment vicieux. J'ai indiqué ce qui est défectueux, selon moi : les bases générales sur lesquelles j’ai eu l'honneur d'appeler la discussion n'ont soulevé aucune contradiction. Le système du tarif actuel est évidemment défectueux ; il se compose de diverses classes, d'une foule de catégories ; et surtout il contient cette fâcheuse disposition qui établit une différence de prix entre la charge complète et la charge incomplète.

Il en résulte que l'intervention des tiers est obligatoire parce que seuls ils peuvent procurer des charges complètes, et obtenir ainsi une réduction sur le prix des transports. C'est un vice radical qui doit nécessairement disparaître.

L'honorable M.de Man, à l'occasion des tarifs, a énoncé qu'il était important qu'il fussent définitivement réglés par la loi. Je ne sais s'il y a lieu encore de régler le tarif par la loi. Après bien des années d'exploitation, d'expérience, j'ai rencontré fort peu d'hommes pris parmi les plus compétents, qui eussent une opinion arrêtée, qui fussent d'accord sur les points principaux, sur les points essentiels. Si les hommes spéciaux, les hommes compétents ne sont pas d'accord, comment parviendra-t-on à formuler un système qui pourrait être discuté, établi dans cette chambre.

Je crois que l'on doit laisser encore subsister l’état de choses actuel, qui ne présente pas d'inconvénients graves, et qui permettra encore au gouvernement, pendant un certain temps, d'expérimenter quant au tarif. Quand des faits nombreux auront été reconnus, on pourra se présenter devant la chambre avec un système formulé, complet, offrant un caractère stable tel que celui qui doit émaner d'une loi ; car, vous le voyez, de toutes parts on réclame des modifications au tarif, quoique, depuis nombre d'années on ait expérimenté le tarif existant. Je n'entends pas au surplus me prononcer maintenant sur ce point.

Deux honorables membres ont ensuite pris la parole (MM. Van Renynghe et de Roo), pour s'occuper l'un et l'autre du chemin de fer de la Flandre occidentale. C'est un chemin de fer concédé. Je ne suppose pas que les honora les membres (quoique les observations de l'honorable M. Van Renynghe pussent avoir cette portée) provoquent l'intervention de l'Etat dans les affaires des compagnies.

Quant à moi, pour dire mon opinion personnelle, je ne pense pas que cette intervention soit possible. Je crois qu'elle serait très dangereuse ; (page 676) elle serait sans limites ; nul ne saurait dire où l'on devrait s'arrêter. Car intervenant pour l'une, on serait mis dans la fâcheuse position d'intervenir pour les autres.

Que le gouvernement se montre strict observateur des contrats, qu'il fasse tout ce qui est en son pouvoir pour obliger les compagnies à remplir leurs engagements ; c'est non seulement son droit, mais c'est son devoir. Si les honorables membres ont voulu connaître la pensée du gouvernement, il la dit. Mais il faut aussi tenir compte des circonstances. La compagnie du chemin de fer de la Flandre occidentale est, comme toutes les autres compagnies de chemins de fer dans une situation fâcheuse, à raison de la crise financière qui a surtout affecté l'Angleterre, là où les capitaux doivent être pris pour l'exécution des chemins de fer concédés.

Je suis persuadé que l'on n'obtiendrait aucun résultat en se montrant très rigoureux vis-à-vis des compagnies. En faisant prononcer leur déchéance, obtiendrait-on un avantage ? Trouverait-on une compagnie qui se substituer à l'autre pour l'exécution des travaux ? Je ne le pense pas. Il faudra faire ce qui est juste et raisonnable, en présence d'une pareille situation ; réserver ses rigueurs pour les sociétés qui n'ont pas mis la main à l'œuvre, et accorder des facilités, ainsi que le gouvernement l'a annoncé dans le discours du trône, à ces compagnies qui, par les travaux qu'elles ont exécutés, ont témoigné de leurs bonnes intentions, ou, comme l'a dit la chambré dans sa réponse au discours du trône, ont donné des preuves de leur bonne foi.

M. Brabant. - Mon intention n'est pas du tout d'entrer dans la discussion générale du budget du chemin de fer. Je me serais même abstenu de prendre la parole en ce moment sans les explications que vient de donner le gouvernement sur ses intentions relatives au tarif.

Voilà la treizième année qu'on exploite le chemin de fer. Voilà la cinquième année que le réseau est complet et livré à l'exploitation. Je conçois qu'on n'ait pas encore des idées arrêtées sur le tarif à établir pour les marchandises ; mais il me paraît difficile qu'on ne se soit pas fait un système sur le tarif des voyageurs. Faut-il maintenir le tarif existant ou en établir un plus élevé ou plus bas ?

Je conçois que l'on hésite encore sur ce point ; mais il y a une chose qui me paraît incontestable, c'est qu'un système une fois adopté doit être appliqué à la généralité, qu'il ne doit pas y avoir de différence de ligne à ligne, que les uns ne doivent pas payer bon marché tandis que les autres payent fort cher. Or, voici un vice incontestable qu'on a signalé, il y a déjà 4 ans, et auquel le gouvernement avait promis de porter remède. Cependant nous sommes toujours dans la même situation.

Je demanderai à M. le ministre des travaux publics si, dans le projet de loi qui doit être présenté très prochainement...

Plusieurs membres. – Il est présenté.

M. Brabant. - Je sais qu'un projet de loi a été présenté par l'honorable M. Dechamps, mais je ne suis pas certain qu'il n'ait pas été retiré.

Les idées de l'honorable M. de Bavay n'étaient pas absolument celles de l'honorable M. Dechamps à cet égard.

Mais la loi qui autorise le gouvernement à établir les tarifs sur les chemins de fer, doit, si je ne me trompe, expirer au 1er mars. Je prierai d'abord M. le ministre de ne pas faire ce qu'on a fait les trois années précédentes, de ne pas laisser expirer les délais de manière à devoir pendant 15 ou 20 jours percevoir les péages du chemin de fer sans autorisation légale. Je crois que nous avons acquis assez d'expérience en matière de transport des voyageurs, pour arrêter un tarif, d'autant plus qu'il ne s'agit pas d'un tarif à perpétuité, mais d'un tarif qui pourra, comme tous les autres impôts, être changé d'année en année, et plus souvent même si l'on voit que le premier système adopté ne convient pas.

Je demanderai à M. le ministre si son intention n'est pas de nous proposer des dispositions quant aux péages à percevoir pour le transport des voyageurs.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Lorsque je me suis expliqué tout à l'heure sur les tarifs, sur la différence des systèmes, lorsque j'ai signalé à la chambre que très peu d'hommes spéciaux sont d'accord sur les bases qu'il faut adopter, c'est principalement au transport des marchandises que j'ai fait allusion. C'est maintenant du tarif des voyageurs que l'on parle plus spécialement. Je ne puis pas dire que le gouvernement présentera un projet de loi relativement à ce tarif ; je ne puis dire sans en avoir conféré avec mes collègues, quel est le système auquel il convient de s'arrêter. J'examinerai les observations qui ont été faites par l'honorable M. Brabant, et si, comme il le pense, c'est avant le 1er mars, qu'une loi doit intervenir, le gouvernement fera connaître ses intentions en temps opportun et de manière à ce qu'on n'opère pas de perception à une époque où les péages n'auraient plus été légalement fixés.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - La chambre est saisie d'un projet.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Si la chambre est saisie d'un projet, comme le fait observer mon honorable collègue, il appartient à la chambre d'en fixer la discussion.

Puisque j'ai la parole, je demanderai la permission de dire quelques mots en réponse à des interpellations qui m'ont été faites à la dernière séance par l'honorable M. Osy.

L'honorable membre a demandé que le gouvernement fît connaître ses intentions quant à l'achèvement du chemin de fer, des stations, du matériel, etc.

Déjà, messieurs, j'ai fait connaître, le discours du trône l'a au surplus annoncé, que l'intention du gouvernement était d'achever définitivement le chemin de fer, de compléter son matériel. Je ne puis pas dire aujourd'hui exactement quelle pourra être la somme nécessaire pour compléter le matériel des transports, pour achever les stations et pour faire les doubles voies. Mais on pense généralement dans l'administration, et le chiffre a été plusieurs fois indiqué dans cette chambre, qu'il faudra au minimum une somme de 20 millions pour ces travaux.

L'honorable M. Osy a demandé aussi que les convois de marchandise, au lieu d'être convoyés par des agents de la douane, le fussent par les agents du chemin de fer. Cela éviterait, a-t-il dit, des complications et des frais.

Cette question a été plusieurs fois agitée entre le département des finances et le département des travaux publics. Le département des travaux publics émettait une opinion analogue à celle de l'honorable M. Osy ; mais le département des finances n'a jamais cru pouvoir se rallier d'une manière absolue au système qui consisterait à remettre aux agents du chemin de fer la garde des marchandises. Il existe à cet égard des résolutions qui sont assez récentes et qui ont du reste simplifié ce qui existait auparavant. Peu d'employés des douanes interviennent dans la conduite des convois de marchandises, et ils sont aidés dans cette surveillance par des agents du chemin de fur ; il n'en résulte pas des frais considérables.

Je ne crois pas que l'on puisse obtenir davantage, dans les circonstances actuelles, du département des finances.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, mon honorable collègue, M. le ministre des travaux publics, vient de traiter entre autres choses une question qui a été soulevée dans la dernière séance par l'honorable M. David et par mon honorable ami M. Osy. Je me proposais aussi de donner quelques renseignements à ce sujet à la chambre.

Par une fiction le chemin de fer de l'Etat est considéré comme le prolongement du rayon des douanes. Les plus grandes facilités sont accordées par l'administration pour le transport des marchandises sur cette grande voie de communication. Je crois que l'on pourrait dire avec raison que dans aucun autre pays, où il y a des droits protecteurs en faveur de l'industrie, de pareilles facilités n'existent. L'intention du gouvernement est de les maintenir et de les développer encore par le projet de loi sur le transit qui va vous être prochainement présenté.

Mais, messieurs, dans cet état des choses il est nécessaire qu'il y ait pour l'administration des douanes des garanties complètes de surveillance. Or, si la surveillance des marchandises transportées par le chemin de fer était confiée aux seuls agents du chemin de fer, ces garanties n'existeraient pas. L'expérience a constaté que chez la plupart des employés du chemin de fer, et ce n'est pas un blâme ou un reproche que je leur adresse, car leurs fonctions sont différentes, il n'y a pas la même sollicitude, le même esprit de surveillance qui anime les employés des administrations des douanes.

J'ajouterai que la surveillance n'est pas le seul point à prendre en considération. Les gardes-convois du chemin de fer n'ont pas, comme les préposés de l'administration des douanes, qualité pour constater les contraventions. Les premiers ne connaissent pas non plus les dispositions des règlements ni des lois en matière de douane. Il pourrait dès lors arriver, en cas d'accident sur le chemin de fer, que les intérêts du trésor, comme ceux de l'industrie et du commerce fussent gravement compromis.

Ces diverses considérations sont un obstacle à ce que la simplification du service proposée par les deux honorables membres que j'ai cités soit introduite. Il n’en résulterait d'ailleurs pas une grande source d'économie ; car le surcroît de dépense que la surveillance de la douane occasionne n'est pas considérable. Elle n'impose non plus aucune gêne au commerce ; jamais aucune plainte n'est parvenue à ce sujet au département des finances.

Tout récemment un projet de convention a été formulé dans le but d'étendre à la France et à la Prusse le régime libéral de transit établi en Belgique par les arrêtes du 20 août 1842 et du 5 juin 1845. il en résultera, et ceci répond à une observation que l'honorable M. Osy a également faite, que les waggons de transport qui, aujourd'hui, stationnent assez souvent à Cologne, seront rendus plus promptement disponibles ; il en résultera encore cette autre facilité que les convois pourront circuler entre les trois Etats et passer le rayon de leurs douanes de nuit comme de jour et pendant tous les jours de l'année.

Vous voyez, messieurs, que par compensation l'administration des douanes doit au moins avoir les garanties suffisantes pour que tant de facilités ne puissent donner lieu à des abus, et elle ne les trouve complètement que dans le concours de ses employés.

M. Rodenbach. - Je crois devoir renouveler l'interpellation que j'ai faite tout à l'heure à M. le ministre des travaux publics, relativement à la vitesse de la marche des convois. Je crois lui avoir dit qu'en Belgique on ne fait que sept lieues par heure, tandis qu'en France on en fait huit et qu'en Angleterre ou en fait quatorze ou quinze ; que même la compagnie occidentale fait vingt à vingt-cinq lieues par heure.

J'ai demandé s'il n'était pas possible en Belgique de faire moitié de ce qu'on fait en Angleterre. Je ne demande pas qu’on fasse 20 ou 25 lieues par heure, mais je crois qu'on pourrait en faire 10 ou 11.

Je désirerais connaître l'opinion de M. le ministre sur cette question, car on se plaint généralement en Belgique que la marche des convois soit trop lente.

(page 685) - M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, je viens de mettre le gouvernement en demeure d'exécuter l'article 5 de la loi du 1er mai 1834. M. le ministre des travaux publics m'a répondu en donnant à cet article une interprétation que je ne puis admettre. J'ai interprété cet article avec mon gros bon sens ; l'interprétation que lui donne M. le ministre est basée, selon moi, sur une subtilité.

Je maintiens mon opinion, et je désire que la chambre vide cette question en donnant aux tarifs la sanction légale.

Quand la chambre aura fixé les tarifs par une loi, l’interprétation sera indiquée par le vote de la chambre.

J'appuie, messieurs, l'observation qui a été faite par l'honorable M. Brabant. Le tarif actuel ne traite pas d'une manière égale toutes nos sections de routes. Il y a des sections où les péages sont plus élevés que sur d'autres. Je me rappelle que les années précédentes cette inégalité a fait l'objet de maintes réclamations, de la part, je pense, des honorables députés du Hainaut et de Namur.

M. le ministre des travaux publics nous a dit que le chemin de fer est appelé à rendre d'immenses services au public. Je ne méconnais pas ces services ; je m'en applaudis et je désire qu'il en rende encore de plus éminents. Mais je demande surtout qu'il ne soit pas une cause d'impôts nouveaux. Quant à moi, j'aime beaucoup mieux payer quelques centimes de plus pour aller à Anvers, par exemple, que de payer le droit de succession en ligne directe.

M. le ministre des travaux publics a comparé ensuite le chemin de fer aux routes pavées. Il a dit qu'on est beaucoup plus exigeant pour le chemin de fer que pour les routes pavées, qu'on exige pas des routes qu'elles produisent l'intérêt des capitaux qui y ont été consacrés. Mais, messieurs, je le crois bien ; qui donc a construit les routes ? Ce sont les villes et le provinces, et le gouvernement refuse de leur payer l'intérêt des sommes qu'elles ont employées à la construction de ces routes. C'est l'objet d'une foule de réclamations.

Je passe à une autre réponse que m'a adressée M. le ministre.

J'avais mis en avant quelques données pour prouver que le personnel de l'administration du chemin de fer belge est beaucoup plus nombreux que le personnel des compagnies françaises. M. le ministre des travaux publics a répliqué que ces renseignements n'étaient pas officiels. Eh bien, je déclare que ce que j'ai dit je l'ai puisé aux sources les plus authentiques. Je me suis adressé au commissaire royal près le chemin de fer du Nord, qui est un de mes amis. Je me suis permis de lui poser plusieurs questions et je vais, messieurs, vous faire connaître les réponses que je dois à son honorable intervention. J'avais posé entre autres cette question ; quel était le nombre des conducteurs d'un train de voyageurs.au chemin de fer du Nord ? Voici la réponse : Un train de voyageurs se compose :

1° D'un mécanicien et d'un chauffeur ;

2° De deux à trois conducteurs, garde-freins, suivant le nombre des voitures (en moyenne un conducteur pour six voitures) ; souvent on se contenue de trois conducteurs pour 24 voitures, qui est le nombre maximum, autorisé par l'ordonnance du roi sur la police des chemins de fer ;

3° D'un graisseur qu’on ne met par prudence qu'aux trains de grande vitesse.

Depuis lors, messieurs, cet honorable fonctionnaire a été envoyé ici, par son gouvernement, afin de chercher à simplifier les formalités douanières, de concert avec des délégués prussiens et belges, et il m'a déclaré que pour le moment il n'y avait plus que deux gardes-convois, suc les chemins de fer du Havre et d'Orléans.

Quant à ce que j'ai dit des commissaires de police et des portiers dans la station du Nord, à Paris, c'est encore de lui que je tiens ces détails.

J'ai ensuite dit quelques mots du prix des berlines qui se confectionnent à Malines. J'ai prétendu qu'elles coûteraient à peu près autant que les berlines si élégantes, si confortables qui nous arrivent de Paris. Ici je n'ai pas de chiffres authentiques, mais j'ai le droit de croire qu'il en sera ainsi, quand je vois combien tout ce que l'Etat fait est plus cher que ce que font les particuliers. Quand l'Etat exploite lui-même, qu'est-ce qui arrive ? Il arrive à l'Etat ce qui arrive à un propriétaire qui veut cultiver lui-même son domaine : les ouvriers vont tard à l'ouvrage et travaillent mollement, sans énergie : ils se disent : « Mon Dieu ! notre propriétaire est si riche, pourquoi donc nous fatiguer ? D'ailleurs, il ne nous renvoie jamais, il est si généreux. » Quant au régisseur, il ne renvoie jamais les ouvriers paresseux, car comme ses fonctions ne sont pas de longue durée et que le propriétaire en change souvent, il se dit de son côté : « Pourquoi donc irais-je mécontenter les travailleurs ? J'encourrais leurs ressentiments, et je n'y serai plus dans quelques mois. »

Un propriétaire peut se passer ces fantaisies quand il est fort riche, mais quand il est réduit à faire des emprunts, alors uns conduite semblable mérite un blâme sévère.

Messieurs, je suis partisan du système d'exploitation par le gouvernement, et c'est dans l'intérêt du maintien de ce système que j'ai présenté ces observations. Si le gouvernement ne veut pas entrer dans la voie que je lui indique, s'il ne veut pas, dans l'intérêt public, faire produire au chemin de fer de quoi couvrir les dépenses, qu'il nous occasionne, nous finirons par nous lasser de toutes ces charges, et l'opinion qui veut l'exploitation par les compagnies recrutera tous les jours de nouveaux partisans et elle finira par triompher. Le seul moyen de l'en empêcher, c'est de faire à peu près aussi bien que les compagnies.

(page 677) M. Dolez. - Je viens adresser une double prière à M. le ministre des travaux publics. La première m'a été inspirée par quelques considérations qu'il nous soumettait tout à l'heure, en répondant à la comparaison qui avait été faite dans une autre séance, entre le nombre des employés circulant sur nos chemins de fer et le nombre des employés circulant sur les chemins de fer français. Il a dit que la différence s'expliquait par cette circonstance qu'en Belgique une partie du service se faisait pendant la circulation tandis qu'en France cette même partie du service se faisait en station. Eh bien, messieurs, je viens demander à M. le ministre des travaux publics, au nom de l'humanité, de vouloir bien examiner s'il ne serait pas nécessaire de substituer le service français au service pratiqué sur nos chemins de fer.

Pour mon compte, toutes les fois que je vois de malheureux gardes-convois se livrer à cette gymnastique dangereuse qui, chaque année, coule la vie à plusieurs d'entre eux, je dis qu'il est inhumain de conserver un pareil mode d'exploitation, quand on peut le remplacer paru» autre mode qui est usité dans un pays voisin et qui ne présente aucune espèce de danger. Je prie donc M. le ministre des travaux publics de vouloir bien examiner s'il y aurait des inconvénients à supprimer le mode usité parmi nous et à y substituer le mode pratiqué en France et pratiqué en Angleterre.

La deuxième prière que j'ai à adresser à M. le ministre, la voici : on disait tout à l'heure, avec raison, qu'il existait une injustice très grande dans les prix comparatifs des transports sur les différentes lignes du chemin de fer. La ligne du Midi est surtaxée, et croiriez-vous qu'à cette injustice de la surtaxe l'administration en a joint une autre ? C'est de consacrer à la ligne du midi, et particulièrement à la partie de cette ligne qui va de Braine-le-Comte à Mons, tout le matériel de rebut. Nous payons plus cher et nous sommes plus mal servis. J'en appelle à tous ceux d'entre mes honorables collègues qui ont voyagé sur les différentes lignes du chemin de fer, nous payons plus cher et toutes les vieilles voitures nous sont destinées. Je puis certifier qu'il m'est arrivé, pendant les vacances dernières, de me trouver exposé à la pluie dans une voiture de première classe. J'ai assez de confiance dans l'équité de M. le ministre des travaux publics pour être persuadé qu'il ne tardera pas à porter remède à une pareille injustice.

Je n'en dirai pas davantage ; mais j'insiste sur l'une et l'autre observation, et notamment sur la première ; je crois qu'il y a un véritable intérêt d'humanité engagé.

M. Mercier. - Messieurs, M. le ministre des travaux publics a fait observer avec raison qu'on ne peut établir une comparaison rigoureuse entre le revenu d'un chemin de fer exploité par l'Etat et un chemin de fer administré par une société particulière, et qu'il y a des circonstances dont il est juste de tenir compte par rapport au chemin de fer de l'Etat.

Je suis d'accord avec l'honorable ministre sur ce point ; mais il est un renseignement essentiel qu'il importe d'obtenir d'une manière exacte parce qu'il faut avant tout que la vérité soit connue, c'est l'intérêt que l'Etat retire des capitaux consacrés au chemin de fer ; il est vrai qu'un renseignement de cette nature est donné annuellement dans le compte rendu de l'exploitation du chemin de fer, mais il manque d'exactitude pour deux motifs que je vais indiquer.

D'abord on n'a pas établi séparément pour chaque année la différence entre les intérêts payés par l'Etat sur les capitaux dépensés et le revenu net du chemin de fer ; pour former un compte régulier, le déficit doit être ajouté chaque année au capital employé.

Le second motif pour lequel le compte rendu est défectueux sous ce rapport, c'est qu'on n'a fait courir l'intérêt du capital improvisé qu'à dater des payements faits aux entrepreneurs. Cependant il n'a pas dépendu du gouvernement de contracter des emprunts, de telle manière que les bailleurs fourniraient les fonds précisément au moment où ils seraient employés par l'administration du chemin de fer ; le département des travaux publics lui-même s'est souvent trompé sur les époques et la quotité des payements ; lorsqu'il indiquait, par exemple, que deux ou trois millions devaient être payés chaque mois, il arrivait qu'on ne devait en mandater qu'un seul : cependant, le département des finances avait été obligé de se mettre en règle pour effectuer un payement de trois millions ; il ne pouvait donc éviter d'avoir des fonds improductifs dans les caisses de l'Etat, surtout dans les premiers temps qui suivaient la conclusion d'un emprunt.

Le compte dont je parle devrait être dresse en commun par les deux départements des finances et des travaux publics. Je demande donc que M. le ministre des travaux publics ait égard à cette observation, soit dans le prochain compte rendu du chemin de fer, soit en présentant son budget de 1849. Si nous n'opérons pas de cette manière, il est impossible que nous connaissions la vérité.

(page 685) M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, l'honorable M. Mercier vient de vous entretenir des comptes du chemin de fer. La commission des finances ayant bien voulu me charger de faire les rapports sur les comptes de l'Etat, on m'a demandé déjà plusieurs fois comment il se fait que l'administration du chemin de fer ne rende pas un compte détaillé des dépenses de la construction du chemin de fer.

On répondra, sans doute, que le gouvernement satisfait à l'article 6 de la loi de 1834, en publiant annuellement un rapport sur l'exploitation du chemin de fer. Mais ce rapport ne rend compte que des opérations de l'exploitation qui ont eu lieu dans le cours de l'année ; ce n'est pas même un compte de dépenses de l'exploitation annuelle.

Voici ce que veut l'article 6 de la loi.

Le texte en est ainsi conçu :

« Avant le 1er juillet 1835, et d'année en année jusqu'au parfait achèvement des travaux, il sera rendu un compte détaillé aux chambres de toutes les opérations autorisées par la présente loi. »

Remarquez d'abord, messieurs, que ce compte ne doit être rendu que jusqu'à l'achèvement des travaux ; il ne s'agit donc pas là d'un compte d'explication, il s'agit du compte des opérations qui se rattachent à l'exploitation.

Le compte rendu qu'on nous a communiqué consiste en un tableau où l'on ne donne que quelques chiffres sommaires, et l'article 6 décrété que ce sera un compte rendu détaillé, un compte semblable aux comptes détaillés, tel que l'exige la loi de comptabilité et que le gouvernement sera obligé de nous présenter pour l'exploitation de l'année prochaine.

Je demande donc que le gouvernement, se conformant à l'article 6 de la loi du 1er mai 1834, rende enfin un compte détaillé des dépenses qui résultent de la construction du chemin de fer. Ce compte devrait être établi par année ; on aurait alors des renseignements précis sur le mode qui a été employé pour sa construction.

Aujourd'hui, où peut-on puiser des renseignements sur la construction du chemin de fer ? On ne peut en recueillir que dans les cahiers d'observations de la cour des comptes ; eh bien, ces documents présentent des renseignements qu'on serait heureux de mettre en doute, quant aux circonstances qui ont accompagné sa construction. Je voudrais, dans, l'intérêt même des diverses administrations qui ont présidé successivement à la construction du chemin de fer, que le gouvernement fît établir et publiât un compte détaillé des opérations qui ont eu pour résultat cette construction. Les travaux sont entièrement achevés ; il est temps que ce compte soit dressé et qu'on exécute enfin l'article 6 de la loi du 1er mai 1834.

(page 678) M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable M. de Man, d'accord avec l'honorable M. Mercier, demande que les comptes du chemin de fer soient présentés autrement qu'ils ne l'ont été jusqu'ici. L'honorable M. Mercier soutient que les comptes qui ont été rendus n'ont pas indiqué quelle était la véritable situation des capitaux affectés au chemin de fer.

Je ne puis parler en connaissance de cause que du dernier compte que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre ; mais quant à celui-ci, la différence entre les deux modes d'opérer y est indiquée : on a indiqué, d'une part, le capital moyen utilisé, et d'une autre part, le véritable état des capitaux consacrés à la construction du chemin de fer, y compris le payement des intérêts et l'amortissement.

Ce compte a été établi, non pas au département des travaux publics, mais au département des finances, source où l'on puise les renseignements, selon l'honorable M. Mercier ; les détails se trouvent dans le compte rendu ; ce sont les annexes 23, 24 et 25 ; le compte général du chemin de fer arrêté au 1er janvier 1847, en principal, intérêts et amortissement, s'y trouve ; de même que le compte établi par le département des travaux publics, qui a cru que pour connaître la dépense qui avait été réellement faite, il ne fallait tenir compte que du capital moyen utilisé. Les deux résultats se trouvent du reste sous les yeux de la chambre.

L'honorable M. de Man demande autre chose. Il veut un compte détaillé de l'emploi des sommes, il désire qu'on indique par section, par station quelle a été la dépense effectuée : il demande un détail très circonstancié de l'emploi de tous les fonds mis à la disposition du département des travaux publics pour la construction. Je ne sais pas jusqu'à quel point ces travaux n'ont pas été faits. Il me semble que cela doit exister ; on ne se serait pas bien rendu compte des opérations, si pareille comptabilité n'avait pas été tenue. Qu'elle ait été publiée, je ne puis pas l'affirmer, j'examinerai ce qui en est ; sous ce rapport je remarquerai qu'il est étonnant que ce soit seulement après treize ans qu'on vienne demander ce compte si détaillé, si approfondi, si circonstancié. Mais cela doit avoir été fait.

L'honorable M. Rodenbach a demandé si on ne pourrait pas imprimer une marche plus rapide aux convois ; en France, a-t-il dit, on marche bien plus vite qu'en Belgique, et en Angleterre on marche beaucoup plus vite ; il désirerait qu'on prît une moyenne. La rapidité de la marche est à la fois une question de dépense et une question de sécurité ; cela dépend aussi de la situation de la voie et du matériel. Je ne puis dire à l'honorable membre si on ne pourrait pas marcher avec plus de rapidité. Quant à moi, qui ne suis pas ingénieur, il me semble qu'on pourrait, sans inconvénient, en temps ordinaire, donner plus de rapidité aux convois ; toutefois, ainsi que l'honorable membre l'a lui-même indiqué, il y a en Belgique une cause permanente de ralentissement, par suite du grand nombre de temps d'arrêt auxquels nous sommes assujettis. Le chemin de fer de l'Etat a un grand nombre de stations et de haltes ; quelques minutes de perdues à chacune opèrent une grande réduction sur la rapidité du parcours.

Quant à l'honorable M. Dolez, il a demandé deux choses en faveur de la ligne du Midi, qu'on fit cesser la surtaxe dont elle est frappée et qu'on ne lui envoyât plus le rebut du matériel du chemin de fer. Les choses étant ainsi, il y aurait une double injustice. Je prendrai les mesures nécessaires pour faire disparaître la deuxième. La surtaxe provient de ce que les distances ont été mal calculées elles seront rectifiées lors de la révision générale des distances. L'administration a fait dresser le tableau de toutes les distances exactement par un géomètre ; on pourra examiner si le prix du transport est eu rapport avec le trajet réellement parcouru.

L'honorable membre a ensuite demandé que, quant au contrôle, on adoptât le même mode qu'en France, qu'on supprimât la circulation des gardes pendant la marche des convois. Déjà j'avais posé une pareille question, il ne paraît guère possible, dans l'étal actuel des choses, d'adopter en Belgique le même système qu'en France. Deux raisons s'y opposent : nos stations sont accessibles à tout le monde et les stations ne sont pas clôturées. En France, au contraire, toutes les stations sont clôturées et sont uniquement accessibles aux voyageurs. Tout individu dans la station est réputé voyageur et doit justifier son droit d'y être par la présentation de son coupon.

La justification en marche ne donne pas lieu à autant d'inconvénients qu'on pourrait le supposer. Pendant que l'honorable membre parlait, j'ai jeté un coup d'œil rapide sur le tableau des accidents en 1846 et i 1847, et je n'en ai pas aperçu un seul provenant de la circulation des gardes pendant la marche des convois. Les gardes acquièrent beaucoup de dextérité et d'habileté, à tel point que les inconvénients qu'on pourrait craindre n'existent pas en réalité.

M. de Mérode. - Je désire présenter à la chambre quelques observations fort courtes.

Il est certain qu'en d'autres pays on obtient des chemins de fer non seulement un produit égal à la dépense, mais encore que des compagnies font des bénéfices. Nous sommes donc à cet égard dans une position d'infériorité, puisque le déficit du chemin de fer va nécessiter la création de nouveaux impôts. S'il payait ses frais, les propositions d'impôts nouveaux qui nous sont annoncées n'auraient pas lieu. Pour moi, je ne demanderais pas mieux qu'on payât ces impôts, si la situation actuelle des malheureux était meilleure qu'elle n'était en 1830 ; mais c'est le contraire que nous voyons tous les jours ; nous trouvons que les habitants des Flandres sont dans la misère la plus profonde ; pour ceux qui sont exténués par la faim, ce n'est pas en leur offrant de les conduire à bon marché en voiture, qu'on améliorera leur sort. Si je ne voyais pas cette situation affligeante, si je trouvais le peuple moins malheureux, je dirais : Payons des impôts nouveaux, voyageons gratis même, nous verrons tout le monde pourvu de pain, de vêtements, de tous les objets nécessaires à la vie. Je suis étonné qu'on s'occupe tant de conduire à bon marché ceux qui veulent changer de place, quand tant d'individus sont dans la position la plus triste ; ceux-là ne pensent pas à se promener sur les chemins de fer, car c'est à peine s'ils ont des vêtements.

Au 1er mars 1834 on disait que les chemins rapporteraient des bénéfices au trésor public ; après le premier projet qui n'embrassait qu'une certaine quantité de lignes, on nous a engagés à faire faire par l'Etat d'autres lignes ; une des principales raisons qu'on donnaient, c'étaient les bénéfices que l'Etat en retirerait et par suite la possibilité de diminuer d'autres impôts.

Messieurs, on ne peut pas, comme l'a fait M. le ministre, comparer les routes ordinaires aux chemins de fer ; les routes ordinaires se sont faites par des siècles, très lentement ;on les a faites ensuite sur les revenus ordinaires, on n'a pas contracté d'énormes emprunts pour leur construction ; ensuite, elles servent à tout le monde ; elles sont indispensables à l'agriculture, et c'est l'agriculture qui rend le plus de services aux habitants, puisqu'elle leur procure les substances nécessaires à la vie. Il y a d'autres objets de plus ou moins de luxe qui concernent l'alimentation, qui ne sont pas de stricte nécessité. Or, il est certain que les routes ordinaires, comme je l'ai déjà dit, et même les petites routes parcourant les campagnes, pour servir au transport des récoltes, des engrais, provoquent beaucoup plus de richesses solides que tous les chemins de fer.

D'ailleurs les chemins de fer, tout utiles qu'ils sont, j'en reconnais l'utilité surtout pour les grandes lignes, ont ruiné beaucoup de propriétaires qui avaient des établissements sur les routes ordinaires ; ils seront obligés de payer des impôts nouveaux pour obtenir ce qui a été la cause de l'amoindrissement de leur fortune. Il est naturel de tirer parti de ces propriétés-là, au lieu d'y chercher une jouissance à bon marché.

Je ne puis admettre le principe qui a été réclamé tout à l'heure d'une égalité parfaite de prix sur les différentes parties du chemin de fer du pays.

Il y a des distances à parcourir pour lesquelles la traction est beaucoup plus coûteuse que pour d'autres. Ainsi de St-Etienne à Lyon où il n'y a qu'à descendre, il en coûte quatre fois moins que pour remonter de Lyon à St-Etienne. De même le parcours de Liège à Verviers, qui est presque constamment ascendant, doit coûter beaucoup plus que le parcours de retour ou le trajet de Bruxelles à Anvers. De même pour les routes ordinaires, la différence de traction influe sur le prix. Une route montueuse nécessite un plus grand nombre de chevaux. Personne ne se plaindra de la nécessité de payer plus cher l'entrepreneur du roulage sur une route semblable, que sur une route plate. Il ne serait donc pas juste d'admettre ce principe absolu que sur toutes les lignes on devrait payer le même prix.

Je dirai aussi quelques mois sur la vitesse. Depuis que nos chemins de fer sont exploités, il est arrivé très peu d'accidents. C'est un honneur pour l'administration, il n'y a pas de pays où il soit arrivé aussi peu d'accidents qu'en Belgique. Un des motifs qui ont fait éviter les accidents, c'est une allure modérée. Le pays n'est pas si grand, les distances (page 679) ne sont pas si longues pour qu'il faille risquer de se briser bras ou jambes pour arriver un peu plus vite. Je voyage de temps en temps ; mes instants valent ceux d'un autre. Néanmoins, il m'est indifférent de mettre un quart d'heure de plus pour aller à Mons ou à Anvers. Je préfère cela à figurer dans les journaux comme victime d'une catastrophe.

En voulant aller plus vite, on use plus de matériel, plus de rails. C'est un motif pour ne rien changer. J'engage donc M. le ministre des travaux publics à n'exciter l'agilité des locomotives qu'à bon escient, quand il sera bien fixé sur la convenance de cette mesure.

M. Mercier. - Je ferai observer seulement à l'honorable ministre des travaux publics qu'en effet les intérêts des capitaux empruntés sont renseignés dans une annexe. Ce que je désirerais, pour que le compte fût exact, c'est qu'il fût l'indication formée par année. M. le ministre, dans le compte rendu général a donné le total des intérêts par séries d'années. Pour que le compte soit régulièrement dressé, il faudrait que pour chaque année l'excédant de la dépense sur la recette fût constaté et ajouté au capital emprunté, et que l'intérêt en fût établi au même taux que celui de ce capital.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je voudrais, sans gêner en rien la liberté de la discussion, sans chercher à restreindre le droit de critique que chacun peut exercer ici largement, engager quelques-uns de mes honorables collègues à examiner le chemin de fer avec un esprit un peu moins prévenu. Il y a chez quelques-uns de nos collègues comme un parti pris de discréditer le chemin de fer, tant pour les dépenses qu'il a occasionnées au pays que pour le mode de construction et d'exploitation. Enfin, à les entendre, rien n'est bon dans le chemin de fer ; tout est mauvais et à critiquer. Il me semble qu'il y a là de l'injustice, qu'il y a, je dois le dire, quelque chose qui blesse un sentiment qui, dans le pays, s'est élevé en quelque sorte à la hauteur d'un sentiment national

Si des étrangers devaient prendre à la lettre ce que plusieurs de nos honorables collègues ne cessent de nous dire du chemin de fer, ils devraient penser que le pays a fait une détestable entreprise, que cette entreprise, qui lui fait beaucoup d'honneur et beaucoup de bien, a été livrée à des mains malheureuses, à des mains malhonnêtes.

Je crois que les honorables membres qui ont l'habitude de critiquer le chemin de fer ne veulent pas donner cette portée à leurs discours. Je les engage cependant à modérer un peu l'expression de leur blâme et à se renfermer un peu plus dans les limites de la justice et de la modération.

On traite le chemin de fer avec une rigueur inouïe. Non seulement on veut qu'indépendamment de tous les services qu'il rend au pays, il couvre, par ses revenus, l'intérêt du capital engagé ; mais cela ne suffît pas ; il faut qu'il couvre non seulement l'intérêt, mais encore l'amortissement du capital ; de sorte qu'au bout de quelques années le chemin de fer n'aurait rien coûté à l'Etat. Vis-à-vis des autres services, on ne raisonne pas avec cette rigueur. Bien qu'on le nie, l'analogie est très grande entre le chemin de fer et les autres voies de communication. Je dis que si l'on faisait aux autres voies de communication l'application de ce principe rigoureux, on trouverait un mécompte beaucoup plus considérable ; car il n'y a pas un canal, une route pavée, il n'est pas un service public qui couvre à beaucoup près l'intérêt du capital, autant que le chemin de fer. Faut-il le répéter ? Il le faut bien, puisque les attaques se renouvellent si fréquemment. On oublie de faire entrer en ligne de compte pour le chemin de fer les services indirects qu'il rend, les transports gratuits dont il est chargé. Soyez justes ; je ne vous demande que de la justice dans vos calculs.

On est venu aussi tout à l'heure associer en quelque sorte les malheurs des classes ouvrières aux dépenses qu'on fait pour le chemin de fer. On semble se faire un plaisir de tâcher de dépopulariser, de calomnier le chemin de fer de toutes les façons. Mais dans l'intérêt des classes pauvres, l’année dernière, le chemin de fer a transporté gratuitement les denrées alimentaires, et de ce chef il a fait un sacrifice de 400,000 fr. Le trésor pouvait percevoir cette somme, il ne l'a pas reçue. Pourquoi ? Dans l'intérêt de la classe ouvrière, pour tâcher d'amener à meilleur compte sur tous les marchés les denrées alimentaires. (Interruption.)

Permettez, M. de Mérode. Je sais que c'est pour vous une sorte de besoin de parler contre le chemin de fer. Je vous engage seulement à tâcher d'être juste. Je dis qu'il faut tenir compte de toutes les recettes que le chemin de fer ne fait pas et qu'il pourrait faire.

Et cependant, est-il un seul de vos services publics qui soit en voie de prospérité aussi croissante que le chemin de fer ? Ne voyez-vous pas que chaque année le chemin de fer produit presque invariablement un million de plus, sans que la dépense s'accroisse dans la même proportion ?

Ayez encore patience quelques années et vous verrez que le chemin de fer justifiera la prédiction de ceux qui ont dit qu'en rendant d'immenses services au pays, il couvrirait sa dépense. Je suis d'avis qu'il faut arriver par tous les moyens, par la voie des économies comme par la voie de l'accroissement des recettes, à ce but que nous avons voulu atteindre, à savoir que le chemin de fer se payât lui-même ; et il y arrivera ; chaque année, il est plus près d'y arriver.

Un membre. - Et la loi ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - La loi a exprimé le vœu que le chemin de fer pût couvrir l'intérêt et l'amortissement des capitaux engagés. Malheureusement nous n'avons pas la faculté d'accroître de par la loi nos recettes à l'infini. Parce qu'une loi aurait décrété que le chemin de fer rapporterait 100 millions, ce n'est pas à dire pour cela que le chemin de fer produirait ce prodige.

On s'élève contre les facilités qu'offrent les tarifs ; on met en présence les classes riches et les classes pauvres. Eh bien ! encore ici il y a injustice. Il n'est pas vrai que les bas tarifs profitent seulement aux classes riches. Il n'est pas vrai que ceux qui se montrent partisans des bas tarifs veulent favoriser les classes riches aux dépens des classes pauvres. Je suis, quant à moi, partisan des bas tarifs ; et j'en suis partisan précisément en faveur des classes pauvres.

Je ne parle pas des classes mendiantes ; mais je parle des classes des petits industriels, des paysans, des laboureurs, des artisans. Voilà les classes auxquelles le chemin de fer profite. Voilà les classes pour lesquelles il faut des tarifs peu élevés. Ce sont ces classes qui occupent les waggons qui font précisément la fortune du chemin de fer. Il n'est pas douteux que, si vous augmentiez le tarif pour les voyageurs des waggons, vous frapperiez d'une contribution très élevée ces classes inférieures pour lesquelles vous témoignez des sympathies que je crois sincères, mais pour lesquelles je crois que nos sympathies, non moins sincères que les vôtres, sont en même temps plus efficaces.

Je dis que les waggons sont les voitures du peuple, sont les voitures des classes inférieures et qu'ils font la fortune du chemin de fer. Compulsez le résultat des recettes provenant des voyageurs de diligences et de waggons, et vous verrez que, tandis que le chiffre de la recette pour les diligences est resté pendant plusieurs années stationnaire, c'est par la recette des waggons que les produits ont augmenté d'année en année.

Si vous voulez que les classes riches payent davantage, augmentez le tarif des diligences, je ne m'y oppose pas. Mais n'augmentez pas le tarif des waggons ; dans l'intérêt des classes ouvrières, je m'y opposerais. L'augmentation, en 1839, du tarif pour les waggons a tout à coup, en quelques mois, privé le chemin de fer de plusieurs centaines de mille voyageurs, a interdit cette voie de communication à plusieurs centaines de mille voyageurs qui en avaient besoin.

Ce n'est pas pour leur plaisir que les paysans, que les artisans prennent des waggons ; ils n'ont pas de loisirs à dépenser. C'est pour leurs petites affaires ; pour leurs relations de famille ou pour leurs relations d'intérêts ; pour le marché, pour l'avocat, pour le médecin, pour la milice et une foule d'autres besoins de ces classes modestes, que vous ne voulez certainement pas condamner à marcher à pied, lorsque, tout en rapportant des revenus au pays, elles peuvent aller non pas ainsi commodément, mais aussi vite que vous. Laissez-leur au moins cette égalité.

Ce que nous avons dit en 1834, nous le maintenons. Nous croyons que le chemin de fer, tout en rendant d'immenses services au pays, couvrira sa dépense. Etsi vous doutez qu'il rende ces services, essayez de le supprimer, proposez-en la suppression !

M. de Mérode. - Il ne s'agit pas de cela.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - A voir comme vous les traitez, les chemins de fer sont un fléau.

M. de Mérode. - Dans les autres pays est-ce un fléau ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Consultez ce qui se passe dans les autres pays, vous verrez que tous les chemins de fer n'y sont pas en voie de prospérité. Si vous citez certains chemins de fer exceptionnels où l'on fait des bénéfices usuraires, grâce à la manière dont on exploite les voyageurs, je le veux bien. Mais il y a d'un autre côté un grand nombre de chemins de fer, dont les entrepreneurs sont loin d'avoir vu leurs affaires prospérer.

Je répète qu'outre qu'il rend d'immenses services au pays, le chemin de fer bien administré et en l'abandonnant en quelque sorte à ses résultats naturels, produira de quoi couvrir les intérêts des capitaux qu'il a coûtés. Aller au-delà, vouloir qu'il s amortisse lui-même, c'est vouloir ce qu’on n'exige d'aucun service public. C'est vouloir aussi que plus tard on voyage en quelque sorte gratis par le chemin de fer, que le tarif ne serve plus qu'à couvrir les frais d'exploitation. Mais quelle est la voie de communication dans le pays, quel est le service public de qui on exige à la foi et tant de services et tant de revenus ?

Nous aurons, messieurs, probablement encore à parler du chemin de fer dans différentes occasions. Tout ce que je demande, c'est qu'on le juge avec impartialité, je ne dirai pas comme une institution qui fait honneur au pays, mais au moins avec l'impartialité qu'on apporterait en jugeant une institution étrangère. Au lieu d'atténuer les services, au lieu d'atténuer les recettes, comme on le fait, qu'on juge les services, qu'on juge les recettes tels qu'ils existent réellement ! Au lieu d'exagérer les dépenses, au lieu de vouloir joindre aux intérêts des capitaux empruntés les sommes nécessaires même à l'amortissement, que l'on fasse le compte du chemin de fer, non pas avec indulgence, mais comme se font les comptes de toutes les entreprises d'utilité publique. Voilà ce que je demande pour le chemin de fer, et alors je suis en droit de dire que loin d'y trouver un sujet de blâme et de récriminations continuelles, on n'y devra trouver dans cette chambre que des occasions de s'en féliciter.

- Personne ne demandant plus la parole sur l'ensemble du chapitre, la chambre passe à la discussion des articles.

Section première. Chemin de fer en exploitation
Premier paragraphe. Personnel. Service général. Direction
Article premier

« Art. 1er. Traitements et indemnités : fr. 254,000. »

(page 680) M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, il y a lieu d'ajouter à cet article une somme de 20,825 fr. pour les causes que j'ai eu l'honneur' 'indiquer à la chambre. Il s'agit du traitement d'employés qui ont été, jusqu'à présent, payés sur les fonds spéciaux.. C'est donc un transfert des fonds spéciaux au budget que je propose.

M. de Man d’Attenrode. - Je voudrais que M. le ministre des travaux publics voulût nous dire s'il n'y a pas parmi les traitements compris dans la nomenclature de l'appendice au n°7, des traitements temporaires qui devraient être portés dans la colonne des charges extraordinaires.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je ne considère pas les traitements comme ayant un caractère permanent, par cela seul qu'ils sont au budget. S'il est reconnu ultérieurement que des emplois ne doivent pas être maintenus, ils seront supprimés. Je pense avoir donné à la chambre la preuve que je n'hésite pas en pareille matière, lorsque l'inutilité des fonctions m'est démontrée. Mais je veux répondre quelque chose de plus à l'honorable M. de Man. Parmi les employés dont la liste est soumise par moi à la chambre, il y en a un dont les fonctions sont tellement temporaires que l'acte de nomination le porte en termes formels. Que les traitements figurent au budget ou qu'ils soient imputés sur les fonds spéciaux, cela revient absolument au même ; ceux qui ne sont que temporaires resteront temporaires ; ceux qui sont permanents continueront à être permanents. Les emplois qui ne sont plus nécessaires seront supprimés, c'est uniquement pour la régularité que je propose de porter tous les traitements au budget.

M. Brabant. – Il me semble qu'il serait de beaucoup préférable que M. le ministre des travaux publics pût continuer à payer les fonctionnaires dont il s'agit sur un fonds spécial. Je crains beaucoup de voir passer une dépense temporaire dans un budget, car tout article qui est porté au budget ne peut plus que grandir. M. le ministre promet de renvoyer les employés qui deviendront inutiles, mais je crois que tout le monde a promis cela. Ensuite M. le ministre s'engage pour lui, mais il n'engage pas ses successeurs. Dans la discussion qui a eu lieu sur l'article 2 du budget des travaux publics, j'ai fait observer à la chambre que le personnel de l'administration centrale avait été porté de 143,200 fr., si je ne me trompe, à 179,000 fr., parce qu'on avait fait une opération semblable à celle qu'on propose aujourd'hui. Des employés de l'administration centrale étaient payés sur le fonds de construction du chemin de fer ; on a trouvé que c'était irrégulier et on a porté leurs traitements au budget.

Eh bien, messieurs, quoique suivant les explications que je vous ai données, suivant ce que j'avais extrait du rapport de 1847, époque à laquelle ce transfert eut lieu, quoique les employés du chemin de fer figurassent au budget pour 43,200 fr., on est venu nous demander cette année une augmentation de 30,000 fr., sans rien retrancher de ces 43,200 fr. ; de sorte que nous payons aujourd'hui, par suite de cette régularisation, 73,200 fr. pour les employés de l'administration centrale. Je crains bien qu'il n'en soit de même du transfert que l'on veut opérer aujourd'hui.

Ensuite, messieurs, puisqu'on veut régulariser, il me semble qu'il faudrait régulariser complètement. Or, j'ai lu attentivement les tableaux que M. le ministre des travaux publics nous a communiqués, et ce ne sont pas seulement dix employés qui devraient être reportés à l'article premier, direction générale du chemin de fer, il y en a dix-huit, et il suffira d'indiquer leur qualité ou la besogne dont ils sont chargés pour faire voir qu'ils appartiennent à l'administration centrale.

J'en trouve un : « Direction. Service général. » C'est le n°5. Le n° 6 est dans le même cas : « Surveillance des stations en général. » C'est bien là de l'administration générale. « N°10. Vérification des métrés des stations. » Le n° 1 de l'art. 1er c'est le vérificateur des métrés des constructions ». Si le vérificateur des métrés des constructions appartient à l'article premier, il me semble évident que le vérificateur des métrés des stations appartient aussi à l'article premier. « N° 15. Station du nord. Service général. » Cet employé appartient à l'article premier. « N° 17. Peinture générale des bâtiments. » Même observation pour l'employé qui est chargé de cette surveillance. Il en est de même des n°31, 33,34, 50 et 53.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, les observations de l'honorable M. Brabant m'étonnent sous un double rapport. .D'abord, l'honorable M. Brabant aurait voulu qu'on continuât à prélever sur le fonds de construction les traitements des employés dont il s'agit. Or, la session dernière, l'honorable membre a critiqué avec vivacité un mode analogue qui était suivi pour les ponts et chaussées ; il a dit alors que la chambre ne savait rien de ce qui se passait, que le personnel du corps des ponts et chaussées est payé sur trente ou quarante articles différents ; que c'était un chaos, un désordre où il est impossible de se reconnaître.

J'ai cru entrer dans une meilleure voie. J'ai proposé, quant au personnel des ponts et chaussées, une régularisation complète ; j'ai tout communiqué à la chambre, j'ai proposé tous les transferts nécessaires ; j'ai cru que l'honorable membre aurait applaudi à cette marche ; je fais la même chose pour le chemin de fer ; et voici qu'il m'adresse ses critiques.

J'aurais dû continuer, à l'entendre, à prélever certains traitements sur le fonds de construction.

Je dis que cela est irrégulier ; on ne doit pas donner un pareil conseil au gouvernement. On peut ainsi commettre les abus les plus graves, augmenter indéfiniment le personnel, sans que les chambres en aient connaissance ; voilà ce qu'il faut éviter.

Pour que les lois du budget ne soient pas violées, il faut que la chambre connaisse chaque année exactement ce qui doit être payé pour le personnel. S'il y a des traitements temporaires, qu'on les fasse figurer à la colonne de l'extraordinaire, soit ; mais toujours faut-il que toute la dépense faite pour les traitements soit portée au budget.

Si, en se faisant illusion, on suppose que, lorsqu'un fonds a été mis à la disposition du gouvernement pour une construction, et qu'on a employé à une construction un personnel payé à l'aide de ce fonds ; si l'on suppose, dis-je, que la construction terminée, tout est dit, que les employés sont renvoyés, on est dans une étrange erreur.

Jamais cela n'est arrivé. A un service de cette nature se substitue un autre service, et l'on continue ainsi de payer le même personnel sur des fonds spéciaux qui sont successivement mis à la disposition du gouvernement. Ainsi, il suffirait de citer la date des nominations de la plupart des employés qui figurent dans les listes remises à la chambre, pour se convaincre que la nomination de ces employés remonte en quelque sorte à la création des chemins de fer ; en effet, parmi ces nominations, il en est qui ont été faites en 1836, en 1839 et en 1841.

J'ai cité un employé (n°1° de l'article 2) qui est purement temporaire, sa nomination est du 29 juin 1844 ; il est exprimé dans l'arrêté qui le nomme, que sa nomination ne s'applique qu'au service spécial indiqué dans l'arrêté ; mais pour tous les autres employés, ce sont de véritables fonctionnaires de l'administration, attachés à l'exploitation ; car il n'y a plus un bout de chemin en voie de construction et les autres constructions ne sont pas bien importantes ; je le répète donc, ce sont des employés au service de l'exploitation ; on ne pourrait pas les renvoyer sous le prétexte que les constructions sont achevées ; il s'agit d'une dépense permanente ; il faut donc les faire figurer au budget.

L'honorable membre a fait des critiques de détail qui ne sont pas plus exactes. Il a dit que quelques employés qui étaient portés à l'article 2 devraient avoir leur place à l'article premier.

Je demanderai quelle importance cela peut avoir : c'est une pure affaire d'administration. Du moment que le gouvernement déclare qu'en affectant telle somme au personnel du chemin de fer, il rétribuera convenablement le personnel à sa disposition, cela doit suffire. Mais au fond, les critiques de l'honorable préopinant n'ont pas de fondement ; il a fait remarquer que tel employé chargé de la direction d'un service général, et que d'autres, qui ont pour emploi de surveiller les stations en général, devraient figurer à l'article premier. Erreur complète ! L'article 2 du budget porte : «Service d'entretien des routes et des stations ; » or, tous les employés, chargés de la surveillance générale ou spéciale des stations, ou de celle des peintures, des métrés, etc., doivent être portés à l'article 2.

En résumé, je pense que pour opérer d'une manière convenable, régulière, pour que la chambre sache réellement quelles sont les dépenses qu'absorbe le personnel, il faut que ces dépenses figurent au budget ; c'est le premier point que nous avons voulu atteindre ; en agissant ainsi, nous avons espéré aller au-devant des vœux qui avaient été souvent exprimés.

Quant au second point, il y a lieu d'indiquer les catégories, telles qu'elles se trouvent au budget.

M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, je compte voter en principe la proposition du gouvernement, mais je mets à mon vote la condition de l'adoption d'un amendement, amendement que je vais lire à la chambre et que je demande à pouvoir développer demain. Il est près de 5 heures ; la discussion est assez importante pour être remise à demain ; il s'agit d'un chiffre de 143,000 fr. Voici l'amendement que je propose à la loi :

« Article additionnel. Les traitements ou indemnités pour le personnel ne pourront être prélevés sur les allocations destinées à des travaux extraordinaires on spéciaux. »

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - C'est l'objet de ma proposition.

M. de Man d’Attenrode. - J'ai confiance dans les promesses du ministre des travaux publics actuel, mais qui dit que ses successeurs ne rétabliront pas, dans l'avenir, le grave abus qu'il veut détruire ? On oublie si vite les engagements pris, au milieu de tous les remaniements de cabinet dont nous sommes témoins ! Qui dit que dans un an ou deux on ne recommencera pas à payer des membres du personnel sur des fonds spéciaux ?

J'ai compulsé, dans l'intérêt de mon amendement, les rapports antérieurs des sections centrales. Je demande que la chambre me permette de parler demain. Il est cinq heures. On n'expédie pas un article qui comprend 143 mille francs en quelques minutes.

Un membre. - On peut laisser cet article en suspens et passer aux articles suivants.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - La même question se représentera ; la proposition que fait l'honorable M. de Man est indépendante du chiffre ; c'est une mention à ajouter au budget, c'est une interdiction de faire pour le personnel des imputations sur le» fonds spéciaux. Qu'on vote le chiffre, je ne m'oppose pas à la mention ; je viens faire des propositions dans ce but, je vais donc au-devant de l'amendement, par (page 681) lequel on propose d'interdire des prélèvements-sur les fonds spéciaux pour le personnel.

M. le président. – L’amendement se rattacherait au texte.

M. de Man d’Attenrode. - Je ne m'oppose pas à ce que la discussion continue, M. le ministre s'étant rallié à ma proposition ; je subordonnais mon vote à l'adoption de mon amendement ; puisque le gouvernement lui fait un accueil favorable, je ne demande pas mieux que la discussion continue.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Le gouvernement ne se rallie pas à la proposition de l'honorable M. de Man ; c’est, au contraire, l'honorable membre qui s'est rallié à la proposition du gouvernement, en formulant en lettres ce que j'ai proposé en chiffres.

- L'article premier, tel qu'il a été proposé par M. le ministre, est mis aux voix et adopté.

La disposition présentée par M. de Man est également mise aux voix et adoptée.

Article 2

« Art. 2. Service de l’entretien des routes et des stations. Traitements et indemnités : fr. : 125,380. »

A cet article, M. le ministre a proposé une augmentation de chiffre de 119,163 fr. 50 c.

M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, il s'agit ici d'une augmentation considérable ; j'y trouve une somme de 31,637 fr. 50 c. répartie entre quatre architectes et quelques dessinateurs. Il est étrange que dans un corps comme celui des ponts et chaussées, il soit nécessaire d'avoir recours à quatre architectes pour faire les plans des stations. Je concevrais peut-être que l'administration s'en fût adjoint un pour embellir ses plans et les établir d'après les règles de l'architecture, mais je ne comprends pas qu'il soit nécessaire d'en subsidier quatre. J'ai entre les mains l'arrêté royal par lequel un traitement annuel de 10 mille fr. a été accordé à un architecte pour le service spécial d'une seule station. Ce traitement doit durer tant que la construction ne sera pas terminée. Elle a été commencée il y a quatre ans et voilà deux ans qu'on n'y travaille pas.

On devrait l'achever pour mettre fin à ce traitement temporaire. On le lui a accordé parce que, d'après l'arrêté, il serait d'usage d'accorder aux architectes 4 ou 5 p. c. des frais de construction et qu'on a voulu faire une économie en lui donnant un forfait de 10 mille francs par an jusqu'à l'achèvement du monument. Maintenant il reste là ; nous payons toujours 10 mille fr. par an, nous devons avoir payé 4 ou 5 p. c. de la dépense et au-delà. Nous avons payé 40 mille fr. Si j'avais quelque chance de réussir, je proposerais sur les 33 mille fr. que je viens d'indiquer une réduction.

M. Brabant. - Je vous appuie.

M. de Man d’Attenrode. - Eh bien alors je propose une réduction de 15 mille francs.

Plusieurs voix. - La chambre n'est plus en nombre.

- La séance est levée à 5 heures 1 /4.