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La question des cimetières
WOESTE Charles - 1871

WOESTE Charles, La question des cimetières

dans Revue générale, Bruxelles, Charles Lelong, 1871, pp. 5-26, 115-130

Introduction générale

(page 5) La question des cimetières, entendue dans le sens que lui ont assigné les luttes politiques, est la question de savoir si les cimetières doivent être divisés par cultes, de telle façon qu'on y réserve en outre un compartiment pour ceux qui meurent en dehors de toute religion positive, ou s'il convient au contraire d'y enterrer pêle-mêle et sans distinction de croyances les personnes décédées. Mais, envisagée sous les divers aspects qu'elle est susceptible de revêtir en administration et en jurisprudence, cette question présente une portée beaucoup plus large, et elle embrasse un assez grand nombre de problèmes d'une importance à peu près équivalente.

C'est restreinte au premier de ces deux sens qu'elle a vivement préoccupé l'opinion publique dans ces dernières années, et qu'elle a suscité des controverses ardentes. Toutefois, les autres points de vue méritent à divers égards de fixer l'attention, et, s'ils n'ont pas provoqué de la part des catholiques des protestations retentissantes, ils n'en ont pas moins été l'occasion de violations de droits considérables.

En tant que se rapportant à la division des lieux de sépulture par cultes, la question a fait en 1855 son avénement dans le domaine parlementaire non pas qu'on eût jusque-là évité toute difficulté dans l'application des lois en vigueur ; mais, ainsi que nous le verrons bientôt, les hommes les plus écoutés des deux partis avaient toujours paru d'accord pour admettre la solution réclamée par la liberté religieuse. C'est pour mieux fixer cette solution, et en même temps pour réviser toute la législation sur la matière, que MM. de Haussy et Rogier avaient institué en 1849, par arrêté royal du 1er mars, une commission chargée d'élaborer un travail d'ensemble. (Note de bas de page : Cette commission était composée de MM.Ch. de Brouckère, bourgmestre de Bruxelles, Tielemans, conseiller à la cour d'appel de Bruxelles, Paquet, conseiller à la cour de cassation, Dewandre, 1er avocat-général près la même cour, Orts fils, représentant, de Coninck, doyen de Bruxelles, Willaert, curé de N. D. de la Chapelle, Wyns de Raucour, sénateur, Vent, pasteur protestant, et Loeb, grand-rabbin. Les deux ecclésiastiques appelés dans la commission refusèrent d'y siéger : elle se constitua sans eux ; M. Orts en fut le rapporteur), et celle-ci n'avait pas hésité à formuler (page 6) des dispositions en conformité parfaite avec les justes exigences des consciences chrétiennes.

En 1855, les choses commencèrent à prendre une physionomie différente. Dans la séance du 29 novembre de cette année, M. Verhaegen soutint pour la première fois à la tribune cette thèse, que les personnes baptisées dans la religion catholique, mais auxquelles l'Église refusait la sépulture ecclésiastique, avaient le droit d'être enterrées dans la partie bénite des cimetières. MM. Alph. Nothomb et Malou repoussèrent une telle prétention avec énergie : aucun député n'appuya M. Verhaegen ; aucun ordre du jour ne fut proposé par la gauche. Il semblait que le sentiment de la Chambre était presque unanime, et qu'une entente analogue à celle de 1842 s'était tacitement produite. Malheureusement les funestes journées de 1857 ne tardèrent pas à éclater ; elles ne furent pas seulement un grand échec pour la Constitution ; elles transformèrent l'opinion libérale, en la poussant décidément dans les voies d'une hostilité religieuse bien marquée, et en lui imposant la défense des doctrines les plus extrêmes.

La presse et les associations du parti vainqueur proclamèrent à l'envi la nécessité d'instituer la promiscuité dans les cimetières ; beaucoup de membres de la gauche parmi les nouveaux venus et même parmi les silencieux de 1855, se rangèrent à ce système, et bientôt la fraction de la majorité parlementaire qui y était favorable augmenta à vue d'œil. Il ne s'agissait plus seulement de décider, comme le demandait M. Verhaegen quelques années auparavant, que les personnes nées dans la religion catholique, mais que l'Église privait de la sépulture chrétienne, devaient être inhumées dans le compartiment catholique ; il s'agissait de dépouiller les cimetières de leur caractère religieux, et de décréter que les catholiques, les protestants, les juifs, les libres-penseurs, les suicidés seraient désormais enterrés à la suite les uns des autres et d'après l'ordre des décès.

Le débat se prolongea pendant cinq années au dehors de l'enceinte parlementaire, et, au mois de juillet 1862, M. Alph. Vandenpeereboom, ministre de l'intérieur, déclara à la Chambre qu'il considérait l'article 15 du décret de prairial an XII comme contraire à la Constitution : c'est l'article qui consacre la division par cultes des lieux de sépulture. Un peu plus tard, le 10 juin 1864, il ajouta que le gouvernement, tout en persistant dans sa manière de voir, n'avait l'intention ni de présenter une loi nouvelle, ni même d'interpréter le décret de l'an XII par voie de circulaire, mais qu'il laisserait aux administrations communales le soin de l'appliquer dans le sens qui leur serait conseillé par leur raison et leur conscience.

(page 7) C'était à la fois ouvrir la porte à l'anarchie et attribuer aux municipalités sur les cimetières des droits formellement contraires aux prescriptions générales de la loi existante. Plusieurs villes, administrées par des conseils communaux libéraux, profitèrent de l'autorisation ministérielle pour supprimer arbitrairement, même dans les cimetières des fabriques, toute séparation religieuse ; de rares communes rurales les imitèrent. Le total des unes et des autres est sans doute resté peu élevé, soit que dans la plupart des localités tout le monde meure dans le sein de l'Eglise, soit que, là où il en est autrement, le bon sens public fasse obstacle aux entreprises de l'intolérance libérale. Néanmoins, de temps en temps, on apprend que, par un nouveau règlement sur la matière, telle ou telle commune est venue grossir la minorité. C'est ainsi que l'exemple donné par Malines et Gand en 1865, a été récemment encore suivi par Verviers (1869) et par St-Josse-ten-Noode (1870). Plus souvent, en l'absence même de toute décision des conseils communaux modifiant les dispositions légales, des bourgmestres libéraux font enterrer d'autorité dans les cimetières bénits des protestants, des solidaires ou des suicidés.

Un tel état de choses, nous avons à peine besoin de le dire, offre deux inconvénients : il trouble et froisse les consciences, il établit l'inégalité devant la loi. Il n'est pas admissible en effet que le droit de se faire inhumer dans des cimetières consacrés soit refusé aux catholiques de Bruxelles, de Gand et de Verviers, alors que le même droit est reconnu aux catholiques d'Anvers, de Bruges et de Namur. Quand les libéraux soutiennent un tel système, ils prouvent une fois de plus qu'ils sont les plus impitoyables adversaires de tous les principes de liberté et d'égalité qu'ils reprochent sans cesse à leurs adversaires de violer.

Dès 1864, les catholiques, blessés dans leurs légitimes susceptibilités religieuses, avaient organisé un vaste pétitionnement à la législature (Note de bas de page : Il atteignit 800,000 signatures environ). Mais il appartenait au ministère conservateur de faire disparaître ce grief des populations, tout en respectant la liberté et les droits de tous. C'est ce qu'a compris le gouvernement, qui vient d'installer une commission à l'effet d'examiner les questions relatives aux inhumations et de proposer les mesures les plus propres à les résoudre (Note de bas de page : Cette commission est composée de MM. Anspach, bourgmestre de Bruxelles, Bonjean, conseiller à la cour de cassation, Delcour, représentant, baron Dellafaille, sénateur, comte de Theux, représentant, Fr. Dolez, bourgmestre de Mons, Faider, 1er avocat-général près la cour de cassation, Lelièvre, bourgmestre de Namur, baron Liedts, ministre d'état, Schollaert, représentant, et Simons, 1er avocat-général près la cour d'appel de Bruxelles).

L'arrêté est précédé du rapport au roi que voici :

(page 8) « Sire,

« Des incidents regrettables se sont produits, à diverses reprises, en matière d'inhumations. Il est utile de rechercher les moyens de les prévenir, en assurant à la fois les droits de l'autorité civile et le libre exercice des cultes.

« Le caractère religieux de la sépulture a été proclamé à toutes les époques. Sous le régime de notre Constitution, il ne peut être méconnu.

« D'autre part, l'autorité civile doit intervenir dans les cimetières par des mesures de surveillance et de police, et sa mission comprend non seulement tout ce qui touche à la salubrité publique, mais aussi tout ce qui concerne l'ordre dans les lieux d'inhumation et le respect dû à la mémoire des morts.

« En présence des difficultés auxquelles ont donné lieu l'interprétation et l'exécution du décret du 23 prairial an XII, j'ai l'honneur de proposer à Votre Majesté de déférer l'examen des questions qui s'y rattachent à une commission chargée d'en étudier et d'en proposer la solution. »

Il semble résulter de ce rapport que le gouvernement n'a pas eu l'intention de charger la commission de refondre la législation sur les cimetières en son entier, mais seulement de trancher les difficultés auxquelles son application a donné lieu. Nous croyons cependant que la commission sera naturellement amenée à faire un œuvre d'ensemble.

Il résulte aussi des trois premiers paragraphes du rapport, que le gouvernement a été surtout préoccupé de la nécessité de faire cesser les conflits naissant du point de savoir si les séparations religieuses des cimetières devaient être conservées.

Cette question en effet est aux yeux du grand nombre la question capitale. Mais elle n'est pas la seule ; il en est beaucoup d'autres, et nous allons les énumérer. Toutefois nous écarterons de cette énumération toutes celles qui sont étrangères au domaine des luttes politiques, et sur lesquelles il sera, pensons-nous, facile de s'entendre.

Les questions dont nous nous occuperons brièvement sont les suivantes :

A qui appartiennent les anciens cimetières ?

En supposant que ce soit aux fabriques, celles-ci peuvent-elles être autorisées à les agrandir ?

Les fabriques d'église, les consistoires, les associations et les individus ont-ils le droit d'établir des cimetières nouveaux ?

(page 9) En admettant que les anciens cimetières soient la propriété des fabriques, quels sont les droits des communes sur ces cimetières ? En ont-elles non seulement la police et la surveillance, mais encore l'administration et la jouissance ? Spécialement, sont-elles fondées à réclamer le prix des concessions de terrains ?

Dans les cimetières communaux ou autres, faut-il attribuer à chaque culte un compartiment distinct ?

Lorsqu'une famille possède un caveau dans un cimetière bénit, a-t-elle la faculté d'y déposer ceux de ses membres qui meurent en dehors de la communion de l'Église ?

Enfin les évêques peuvent-ils être enterrés dans leurs cathédrales ?

La solution de ces diverses questions a appartenu jusqu'ici, en partie aux tribunaux, en partie à l'administration. Ainsi, dans l'état présent des choses, la question de savoir qui sont les propriétaires des anciens cimetières est une question juridique ; celle de savoir si les fabriques doivent être autorisées à en acheter de nouveaux, est une question administrative. Mais nous établirons que rien ne s'oppose, bien au contraire, à ce que le législateur les tranche toutes dans la loi annoncée.

Nous avons déjà dit que le décret du 23 prairial an XII constituait toute la législation sur la matière. Dans ses 26 articles, il traite en effet des sépultures et des lieux qui leur sont consacrés, de l'établissement des nouveaux cimetières, des concessions de terrains, de la police des lieux de sépulture, et des pompes funèbres. Cependant diverses dispositions du concordat, des articles organiques (loi du 18 germinal an X), de l'arrêté du 7 thermidor an XI qui a restitué aux fabriques leurs biens non aliénés, et du décret du 30 décembre 1809 réorganisant les fabriques, sont invoquées dans les controverses que nous parcourrons successivement.

Pour procéder avec ordre, nous exposerons dans un premier paragraphe les solutions qui dans ces derniers temps ont prévalu dans les sphères judiciaire et administrative, et nous en démontrerons les erreurs ; dans un second paragraphe nous indiquerons les principes auxquels il convient, suivant nous, de s'arrêter.

Chapitre premier

Le système libéral appliqué par les tribunaux et quelques conseils communaux depuis une dizaine d'années, et par le département de la justice depuis vingt ans, se résume dans la thèse que voici :

(page 10) « L'enterrement des morts est un service public, et les inhumations sont des actes purement civils. Or, les services publics rentrent dans la compétence exclusive de l'autorité civile ; donc les inhumations ne peuvent se faire que dans des lieux appartenant aux communes et d'après les dispositions que celles-ci déterminent. »

Par application de cette thèse, le système décide :

« 1° Tantôt que les anciens cimetières n'appartiennent pas aux fabriques, tantôt qu'ils constituent dans leurs mains des propriétés inertes, sur lesquelles elles n'ont actuellement aucun droit, et dont l'administration et l'usufruit ont à tous égards passé aux communes (jurisprudence des tribunaux).

2° Que les communes seules ont le droit d'acquérir de nouveaux cimetières ; que par suite les fabriques ne peuvent être autorisées même à agrandir leur anciens cimetières (jurisprudence de l'administration).

3° Que l'article 15 du décret de prairial an XII est en désaccord avec la liberté des cultes et l'égalité devant la loi, et qu'il y a lieu d'enterrer à la suite les unes des autres, dans tous les cimetières, les personnes décédées (jurisprudence de quelques conseils communaux, soutenue avec passion par la presse et les associations libérales).

Entrons maintenant dans les détails du système, et montrons qu'il contrevient formellement aux lois en vigueur.

I. De la propriété des cimetières

La plupart des cimetières qui existent dans le pays sont des cimetières anciens, c'est-à-dire remontant à une époque antérieure à notre annexion à la France en 1795 : ceux de ces cimetières qui desservent les communes rurales entourent les églises ; ceux au contraire qui desservent les communes urbaines sont établis à une certaine distance de l'enceinte de celles-ci conformément à l'édit de Joseph II du 26 juin 1784 qui prescrivit la fermeture des lieux de sépulture situés dans les villes. Les cimetières qui ont été ouverts depuis 1795 sont en très petit nombre. Toutefois, à mesure que la population des grands centres augmente, les anciens lieux de sépulture deviennent trop petits, et c'est ici que la question de savoir si les fabriques peuvent agrandir leurs cimetières ou en acquérir de nouveaux, prend une importance réelle.

Un point qui nous semble incontestable, c'est que les anciens (page 11) cimetières sont la propriété des fabriques. L'opinion contraire ne conteste guère qu'ils leur appartinssent sous l'ancien droit, mais elle nie qu'ils leur auraient été restitués par les lois relatives à la restauration du culte. L'affirmative se base sur ce qu'ils étaient des dépendances des églises, lesquelles ont été rendues au culte par le concordat, ou tout au moins sur ce qu'ils ont été compris dans les biens restitués aux fabriques par l'arrêté du 7 thermidor an XI.

Elle a été adoptée par notre cour de cassation (arrêt du 20 juillet 1843), et par nos trois cours d'appel (arrêts de Gand des 3 février 1840 et 8 mai 1846 ; arrêt de Bruxelles du 14 août 1851 ; arrêt de Liége du 2 août 1862). Toutes ces décisions ont été prises conformément aux avis du ministère public, représenté par les plus savants jurisconsultes dont notre magistrature s'honoré, M. l'avocat-général Collinet, M. le procureur-général Ganser, et MM. les avocats-généraux Dewandre et Faider. On nous permettra au surplus de ne pas insister ici sur ce premier point, car dans quelques jours nous publierons un écrit séparé qui en traitera ex professo (Note de bas de page : Cet écrit paraîtra au commencement de février à la librairie V. Devaux et Cie, 26, rue St-Jean, sous le titre : » De la propriété des anciennes églises, des anciens cimetières et des anciens presbytères. »).

La jurisprudence s'étant prononcée, en ce qui concerne les anciens cimetières, en faveur de la propriété des fabriques, et l'immense majorité des cimetières du pays rentrant dans cette catégorie, il était à croire que le gouvernement autoriserait les fabriques à acquérir de nouveaux cimetières et à agrandir ceux qu'elles possèdent, et telle est en effet la ligne de conduite que suivit l'administration sous le royaume des Pays-Bas, et depuis notre révolution jusqu'en 1847.

Mais, à cette dernière époque, le libéralisme en décida autrement, et en 1851 M. Tesch introduisit une jurisprudence administrative nouvelle. Les fabriques de la ville d'Ypres ayant demandé l'autorisation d'agrandir leurs cimetières, M. Tesch s'y refusa par une dépêche au gouverneur de la Flandre occidentale du 25 octobre 1851 (Note de bas de page : Cette dépêche a été lue par M. Defré à la séance de la Chambre du 10 décembre 1861. (Anna. parlem. 1861-62, p. 195), disant « qu'en présence du décret du 23 prairial an XII, art. 2 et 7, les communes seules étaient habiles à établir des cimetières et à agrandir ceux qui existent. » Les fabriques d'Ypres ayant renouvelé leur demande sous le ministère Dedecker, M. Alph. Nothomb s'y montra favorable, et un arrêté royal accorda l'autorisation réclamée. Toutefois, M. Nothomb émit l'avis que, si les fabriques avaient capacité pour agrandir leurs anciens cimetières, cette capacité ne s'étendait pas à l'établissement de cimetières nouveaux :

(page 12) « J'admets pleinement dit-il dans une note qu'il rédigea à cette occasion (Note de bas de page : La note a été lue par M. Nothomb à la Chambre le 11 décembre 1861. (Ann. parl., p. 215)), que s'il s'agissait d'établir, de créer un cimetière nouveau, la fabrique est inhabile : c'est le droit ou plutôt l'obligation de la commune. Mais il s'agit ici d'agrandir un cimetière qui en droit, d'après le dernier état de la jurisprudence, peut appartenir à la fabrique... Ne peut-on pas autoriser un propriétaire à agrandir sa chose ? Je le crois. »

En 1857, la jurisprudence de 1851 fut remise en vigueur dans sa plénitude, et, lors d'un court débat soulevé à la Chambre le 15 janvier 1862 au sujet de cette question, M. Tesch déclara de nouveau qu'aux communes seules incombait l'obligation d'avoir des cimetières et qu'elles seules pouvaient en acheter.

L'opinion de M. Tesch, et même celle de M. Nothomb, nous paraissent erronées.

Elles s'appuient sur les trois motifs suivants : 1° les corps moraux ne peuvent faire que ce que la loi leur permet : or, aucune loi n'autorise les fabriques à acquérir des cimetières ; 2° l'ensemble du décret du 23 prairial an XII donne aux communes la propriété des lieux de sépulture, comme le prouve l'art. 7 qui leur impose l'obligation d'en établir, et l'art. 16 qui leur accorde l'autorité, la police et la surveillance sur tous les cimetières ; 3° l'inhumation des morts et par suite l'établissement des lieux de sépulture sont des mesures de police et de salubrité rentrant exclusivement dans les attributions des autorités locales.

Ces motifs ne sont que spécieux.

Du moment qu'il est admis que les lois du consulat ont restitué aux fabriques leurs anciens cimetières, la question nous semble tranchée. Comment expliquer en effet que le législateur, s'il avait voulu les frapper d'inhabilité pour l'avenir, eût commencé par leur rendre les lieux d'inhumation qu'elles avaient possédés avant la mainmise nationale ? Il y aurait là une contradiction que rien ne réussirait à dissiper.

Aussi, aucune disposition du décret du 23 prairial an XII ne crée une pareille situation. Loin de là, son article 16 parle de deux catégories de cimetières, ceux qui appartiennent aux communes et ceux qui appartiennent aux particuliers. Mais, si les particuliers ont été reconnus aptes à posséder des lieux d'inhumation, comment croire qu'on ait adopté une décision différente à l'égard des fabriques ? Il est vrai que le décret de l'an XII ne parle pas positivement des cimetières de fabriques ; mais, outre qu'en présence des lois et arrêtés antérieurs, cette mention expresse (page 13) était superflue, le décret a été surtout rédigé en vue de l'état de choses existant en France, où les anciens cimetières étaient généralement considérés comme ayant appartenu autrefois aux communes.

D'ailleurs, diverses lois autorisent les fabriques à posséder des immeubles, aucune n'en exclut les cimetières. Enfin les cimetières sont regardés par la foi chrétienne comme des choses religieuses. On ne conteste pas que les fabriques puissent acquérir des églises. Mais les cimetières ne sont que des dépendances et des annexes des églises ; ce sont les églises des morts comme les temples sont les églises des vivants : les uns et les autres sont des lieux de prières, que la bénédiction religieuse revêt, d'après les enseignements de notre religion, d'un caractère sacré. Rien donc ne se conçoit mieux que la capacité des fabriques d'acquérir des cimetières, puisqu'elles personnifient le culte et que c'est sur leur tête que repose la propriété des choses religieuses.

Mais, dit-on, l'inhumation des morts est une mesure de salubrité et de police, rentrant dès lors dans les attributions des autorités locales.

Sans doute, celles-ci doivent veiller à ce que les règles du bon ordre et de la salubrité publique soient observées dans tous les cimetières ; mais il ne résulte nullement de là que les fabriques ne puissent posséder des lieux de sépulture. L'inhumation des morts est, nous ne le méconnaissons pas, un acte de police, en ce sens que l'autorité civile doit garantir l'inhumation à tout le monde ; mais rien ne s'oppose à ce que les cultes remplissent ce soin à la décharge de l'autorité civile. Cela est si vrai que, d'après l'article 19 du décret, cette dernière n'est appelée à intervenir qu'à défaut de l'autorité ecclésiastique.

Les passions libérales oublient trop souvent que la liberté religieuse est consacrée par les lois et que cette liberté serait violée, si on interdisait l'inhumation des morts aux communions religieuses auxquelles leur foi impose un tel devoir. Le législateur s'est du reste inspiré lui-même de cette pensée si juste ; car, aux termes de divers articles du décret de prairial, les fabriques jouissent seules du droit de fournir les voitures et tout ce qui est nécessaire aux enterrements ; les cérémonies religieuses sont permises dans les cimetières comme dans les églises ; l'autorité ecclésiastique est chargée de lever les corps, et les cimetières sont divisés par cultes (articles 15, 18, 19 et 21).

Quoi qu'il en soit, en 1861, date de la discussion parlementaire à laquelle nous avons fait tout à l'heure allusion, on était arrivé aux singulières conséquences que voici :

1° D'une part les fabriques étaient reconnues propriétaires des (page 14) cimetières anciens, c'est à dire de l'immense majorité des cimetières du pays ;

2° D'autre part elles étaient déclarées incapables d'en acquérir de nouveaux et d'agrandir ceux qu'elles possèdent.

L'anomalie était frappante ; elle était le fruit d'une pratique administrative vicieuse. Mais elle devait bientôt disparaître, non par le fait de l'administration revenant à des errements meilleurs, mais par le fait de da magistrature réagissant indirectement contre ses décisions antérieures.

La cour de cassation eut à connaître en 1864 du point de savoir si le prix des concessions dans les cimetières anciens appartenait aux fabriques ou aux communes. La cour de Liége s'était prononcée en faveur des premières, en partant de la nature du droit de propriété. La Cour suprême au contraire admit le système opposé. Elle ne voulut pas revenir formellement sur sa jurisprudence de 1843 (Note de bas de page : Dans l'espèce jugée par l'arrêt du 20 juillet 1843, M. Van Hoegarden avait été désigné comme rapporteur : il était partisan des communes ; mais la majorité de la cour s'étant séparée de lui, M. Joly fut chargé de rédiger l'arrêt. Dans l'espèce décidée le 27 février 1864, c'est encore à M. Van Hoegarden que les fonctions de rapporteur avaient été confiées, et l'on comprend que l'honorable magistrat ait cherché, au moins indirectement, à ramener la cour aux principes qu'il partageait dès 1843), adoptée depuis lors par tous les tribunaux du pays ; mais elle décida que, quels que fussent les propriétaires des cimetières regardés comme appartenant aux fabriques, les communes étaient seules en droit d'en régler l'usage, et par conséquent de recevoir le prix des concessions ; que la propriété des fabriques, en supposant qu'elle existât, était une propriété morte, inerte, vinculée dans l'exercice des droits privés qui en résultent, et qu'elle ne devait renaître que dans le cas où les cimetières viendraient à être supprimés (arrêt du 27 février 1864).

Cet arrêt étrange eut les proportions d'une sorte de révolution. Il était en désaccord avec la pratique suivie dans toutes les communes jusqu'en 1860 ; ce n'est qu'à cette dernière époque que la ville de Bruxelles avait commencé à élever des prétentions en harmonie avec le système que la cour de cassation devait accueillir quatre ans plus tard ; et d'ailleurs comment comprendre que les lieux de sépulture auraient été restitués aux fabriques, pour appartenir de fait aux communes ?

Ici encore nous renvoyons, pour la réfutation complète, au livre dont nous avons signalé plus haut la publication prochaine. Bornons-nous à dire quelques mots de la base sur laquelle repose l'argumentation de l'arrêt.

(page 15) Cette base, c'est que les cimetières sont destinés au service public. des inhumations.

Nous répondons deux choses :

La première, c'est qu'aucune loi n'affecte les cimetières des fabriques au service public des inhumations. La vérité est que les fabriques en Belgique enterrent spontanément et sans y être obligées, à la décharge des communes.

La seconde réponse, c'est qu'en fût-il même autrement, il s'ensuivrait bien que les cimetières des fabriques seraient frappés d'une servitude dans l'intérêt public, mais nullement que cette servitude paralyserait complétement le droit de propriété ; il faudrait dire au contraire que ce droit doit sortir ses effets, partout où son exercice est compatible avec celui de la servitude en question.

Ajoutons que ces mots de service public des inhumations, en désaccord, nous l'avons montré, avec le texte même et l'esprit du décret de prairial, ne se justifient pas non plus en raison. Pourquoi veut-on faire de l'inhumation des morts un service public ? pourquoi l'État ne pourrait-il laisser aux cultes, aux parents, aux amis du mort, le soin de sa sépulture ? pourquoi les défunts devraient-ils être enterrés administrativement ? et du moment où l'ordre public est respecté et les règles, de la salubrité observées, l'intérêt public n'est-il pas satisfait ? A notre sens, il ne faut, comme l'a très bien dit un journal, ériger en service public que les fonctions sociales que l'initiative individuelle ne remplit point ou remplit mal. Ailer plus loin, c'est restreindre inutilement la liberté du citoyen.

Le monopole des sépultures n'appartient, donc pas à l'administration publique. Celle-ci ne doit intervenir que pour enterrer ceux auxquels les cultes ou les particuliers n'assurent pas d'inhumation convenable. A nos yeux, ce sont là les véritables principes de la matière, et nous espérons bien qu'ils seront consacrés par la loi nouvelle.

En attendant, on voit à quels résultats a abouti la jurisprudence administrative de M. Tesch combinée avec l'arrêt de la cour suprême du 27 février 1864 ; ç'a été, dans la réalité des choses, de frapper les fabriques d'une incapacité complète ; non seulement on leur refuse la faculté d'acquérir de nouveaux cimetières, mais on suspend d'une manière absolue les droits qui leur appartiennent sur les anciens.

Telle est la situation, en ce qui concerne la question de propriété. Passons maintenant aux autres points de vue.

II. Police, surveillance, administration et jouissance

(page 16) Tout le monde a toujours admis que l'autorité communale avait, dans un intérêt de salubrité et d'ordre public, la police et la surveillance des lieux de sépulture appartenant soit aux fabriques soit à des particuliers. Personne n'a jamais non plus contesté que les communes eussent l'administration et la jouissance de leurs cimetières, à l'exception cependant des produits spontanés accordés aux fabriques par l'art. 36 du décret du 30 novembre 1809 en échange de la charge d'entretien que leur impose l'art. 37 du même décret.

Mais, dans ces derniers temps, on a été beaucoup plus loin, et l'on a prétendu que les communes avaient l'administration et l'usufruit des cimetières dont elles n'ont pas la propriété.

Pour justifier cette prétention en ce qui concerne l'administration, on se base d'abord sur la théorie nouvelle formulée par la cour de cassation en 1864, et ensuite sur l'art. 16 du décret de prairial qui accorde aux communes « l'autorité, la police et la surveillance » sur tous les lieux de sépulture.

Nous ne dirons que deux mots de ce dernier argument, parce qu'il est pleinement réfuté dans le livre que nous allons publier. Donner au mot autorité de l'art. 16 le sens qu'on y attache, c'est le rendre inconciliable avec les mots police et surveillance. S'il impliquait un droit d'administration, il eût été inutile de conférer en outre aux communes la police et la surveillance, qui sont manifestement comprises dans ce droit. Le mot autorité ne peut donc signifier qu'une chose, c'est que le pouvoir communal a le droit de prendre des arrêtés relatifs à la police et à la surveillance, et non pas seulement d'exercer celles-ci matériellement. Ce pouvoir à l'autorité sur les cimetières dans un but de police et de surveillance.

Un jugement du tribunal de Bruxelles, du 4 juin 1864, a fait de la théorie que nous combattons une application importante. Il a décidé que ceux qui obtiennent des concessions dans les cimetières des fabriques, ne peuvent faire exécuter aucun travail sur le terrain concédé sans l'intervention et l'autorisation de la commune.

Or, aucune disposition des lois actuelles n'accorde pareil droit aux communes. Le jugement argumente, en premier lieu, de plusieurs dispositions du décret de prairial, et il oublie que ce décret a été principalement fait pour les cimetières des communes, qu'il ne parle qu'à l'art. 16 des lieux de sépulture appartenant à d'autres mains, et que (page 17) d'ailleurs les restrictions qu'il apporte au droit de propriété sur ces derniers doivent être renfermées dans les plus strictes limites.

Il invoque en second lieu le décret du 14 décembre 1789, qui confère au pouvoir municipal l'administration des établissements qui sont spécialement destinés à l'usage des citoyens des communes ; mais il perd de vue que, si les fabriques reçoivent des morts dans leurs cimetières, c'est volontairement et sans que ceux-ci aient été affectés à cet usage par la loi.

Quant à la jouissance, nous avons déjà rappelé que les communes se l'attribuent sur les cimetières qui ne leur appartiennent pas, en se fondant sur l'arrêt de 1864. Cet arrêt que nous avons rencontré ci-dessus, est d'autant plus incompréhensible que le décret de 1809 a accordé aux fabriques, indépendamment du produit de leurs biens, les produits spontanés même des cimetières communaux. Comment croire dès lors que le législateur de l'époque aurait entendu enlever aux fabriques l'usufruit des cimetières qui leur appartiennent ? Aucune disposition légale d'ailleurs ne peut être citée dans ce sens.

III. Division des cimetières par cultes

L'art. 15 du décret de prairial porte : « Dans les communes où l'on a professe plusieurs cultes, chaque culte doit avoir un lieu d'inhumation particulier ; et, dans le cas où il n'y aurait qu'un seul cimetière, on le partagera par des murs, haies ou fossés en autant de parties qu'il y a de cultes différents, avec une entrée particulière pour chacune, et en proportionnant cet espace au nombre d'habitants de chaque culte. »

Ce texte est formel, et il défie par sa clarté toute équivoque ; cependant, ainsi que nous l'avons déjà constaté, plusieurs administrations communales se sont permis de l'abroger ; d'autres le violent quand l'occasion s'en présente. Les unes ne nient pas que les trois cultes reconnus aient le droit d'avoir, ou bien des cimetières spéciaux, ou bien des compartiments séparés dans le cimetière unique ; mais elles soutiennent que les incroyants qui meurent en dehors de la communion de l'Église doivent être enterrés dans le cimetière catholique, soit (page 18) parce qu'ils ont été baptisés, soit même parce que ce cimetière est le cimetière général. Les autres, allant plus loin, affirment avec M. Alph. Vandenpeereboom que l'art. 15 du décret de prairial est contraire à la constitution.

Ces diverses raisons nous paraissent sans valeur.

Il est vrai que l'art. 15 ne dit pas en termes exprès que des compartiments spéciaux seront réservés aux incroyants. Mais la pensée qui l'a inspiré conduit invinciblement à cette conséquence. Si en effet le législateur n'a pas voulu que les protestants fussent enterrés dans les cimetières catholiques, comment supposer qu'il aurait entendu y prescrire l'inhumation de ceux qui rejettent la divinité du Christ ? D'ailleurs l'art. 15 assigne à chaque culte soit un lieu d'inhumation particulier, soit une partie distincte du cimetière unique ; or, les incroyants n'appartenant à aucun culte, il s'en suit qu'ils ne peuvent être enterrés dans les compartiments attribués à des cultes déterminés.

On ne conçoit pas davantage comment l'art. 15 serait contraire soit à la liberté religieuse, soit à l'égalité devant la loi, et par là même à la Constitution. La liberté religieuse exige que les cultes soient protégés dans toutes leurs manifestations, du moment où celles-ci sont compatibles avec les droits d'autrui. L'existence de cimetières catholiques rentre-t-elle dans cette règle générale ? Incontestablement, puisqu'il suffit, pour sauvegarder les droits d'autrui, d'accorder aux cultes non catholiques ainsi qu'aux incroyants des lieux d'inhumation distincts. Ceci montre en même temps que l'égalité devant la loi n'implique pas la promiscuité. Cette égalité est pleinement satisfaite, dès que chacun est enterré d'une façon décente dans des cimetières également convenables (Note de bas de page : On nous permettra de renvoyer pour les développements de ce point au rapport que nous avons présenté sur la question au second congrès de Malines. (Assemblée générale des catholiques en Belgique, 1861, t. 1er, p. 344)).

Quelque évident que soit le sens de l'art. 15, les libéraux antireligieux ne se sont pas découragés, et ils se retranchent d'ordinaire, pour assigner à l'article une signification contraire, derrière un rapport présenté par M. de Ségur au conseil d’Etat lors de la discussion du décret. Ce rapport a été invoqué il y a quelques années par M. Defré à la chambre, et bien qu'il eût paru dès lors en opposition flagrante avec les termes de l'art. 15, on n'avait pas suffisamment expliqué la disparate qu'il renfermait. Aujourd'hui, il n'en est plus ainsi, grâce à un réquisitoire prononcé en 1868 au conseil d’Etat par M. Aucoc, commissaire (page 19) du gouvernement (Note de bas de page : Ce réquisitoire est rapporté par le Recueil périodique de Dalloz, 1868, 3o partie, page 9.). Ce réquisitoire a établi que l'opinion de la section de l'intérieur, au nom de laquelle parlait M. de Ségur, n'avait pas été accueillie par l'assemblée générale du conseil d'Etat.

Le projet primitif, présenté par le ministre de l'intérieur, portait à l'art. 20. « Les lieux consacrés aux inhumations seront bénis par les ministres des cultes...»

La section de l'intérieur n'adopta pas cet article ; elle y substitua une disposition qui formait l'art. 21 de son projet et qui était ainsi conçue :

« Les lieux de sépulture demeurent à la charge et seront la propriété des communes. Ils n'appartiendront exclusivement à aucun culte, et seront soumis seulement à l'autorité, police et surveillance de l'administration. »

Cette disposition nouvelle était commentée dans le rapport de M. de Ségur de la façon suivante :

« Le ministre permettait qu'on bénît les cimetières ; la section a pensé que cette permission rendrait les catholiques seuls propriétaires des lieux de sépulture et serait contraire au système de tolérance établi par nos lois qui protègent également tous les cultes. Elle a cru qu'il fallait, au contraire, déclarer que les cimetières n'appartenaient à aucun culte exclusivement, qu'ils étaient propriétés communales et soumis seulement à la surveillance de l'administration. Cependant comme la religion catholique exige que les morts soient enterrés dans une terre bénite, les prêtres de cette religion pourront bénir chaque fosse à chaque inhumation. La section a cru qu'il n'existait pas d'autre moyen de satisfaire la piété, sans réveiller les querelles de différents cultes. »

Ainsi la section de l'intérieur et M. de Ségur voulaient deux choses : 1° la première, c'est que tous les cimetières fussent considérés comme propriétés communales ; 2° la seconde, c'est qu'aucun n'appartînt exclusivement à un culte déterminé et que l'Église se contentât de bénir chaque fosse à chaque inhumation.

L'assemblée générale du conseil d'Etat ne s'est pas ralliée à cette double manière de voir. Car le projet fut renvoyé à la section, et celle-ci en rédigea un nouveau dans lequel nous trouvons la rédaction actuelle de l'art. 15 que nous avons reproduit ci-dessus, et l'art. 16 disposant que « les lieux de sépulture, soit qu'ils appartiennent aux communes, soit qu'ils appartiennent aux particuliers, seront soumis à l'autorité, police et surveillance des administrations municipales. »

(page 20) Il est donc manifeste que le conseil d'Etat adopta un système différent de celui qui lui était proposé. Tandis que M. de Ségur demandait que les cimetières n'eussent pas de caractère religieux général et que les fosses seules pussent être bénies, le conseil d'Etat décida que chaque culte aurait un lieu d'inhumation distinct.

Un journal doctrinaire, l'Écho du parlement, a récemment objecté que, si l'art. 21 du projet de la section de l'intérieur n'avait pas été approuvé, c'est parce qu'il n'admettait que des cimetières communaux, et qu'on avait probablement observé dans la discussion qu'il en existait aussi appartenant à des particuliers (Note de bas de page : Les discussions auxquelles le décret de l'an XII a donné lieu n'existent pas dans les archives du conseil d’Etat. A Paris même, il existe un cimetière appartenant à des particuliers, le cimetière de Picpus, établi en 1802).

Il est vraisemblable que ce motif a été un de ceux qui ont dicté la décision du conseil d’Etat : aussi y a-t-il été fait droit par l'art. 16 du projet définitif. Mais à ce motif s'en est joint un autre auquel il a été donné satisfaction par la rédaction nouvelle de l'art. 15, puisque l'art. 21 proposé par la section de l'intérieur stipulait, avec le commentaire de M. de Ségur « que les lieux de sépulture n'appartiendraient exclusivement à aucun culte », et que l'art. 15, tel qu'il a été voté en dernière analyse, exige au contraire que chaque culte ait un lieu d'inhumation particulier ou tout au moins une partie distincte du cimetière unique.

Ce qui au surplus met clairement en relief la pensée qui a finalement prévalu au conseil d’Etat, c'est l'instruction adressée aux préfets par le ministre de l'intérieur, M. Chaptal, peu de jours après l'adoption du décret, le 8 messidor au XII, et dans laquelle on lit ce qui suit :

« La profession de différents cultes dans une même commune, a souvent donné lieu quant aux inhumations à des querelles et à des discussions religieuses. Pour en empêcher le retour, le gouvernement a pensé que dans ces communes chaque culte devait avoir un lieu d'inhumation particulier. » Ce passage prouve que c'est bien le sentiment du gouvernement, révélé par l'art. 20 du projet primitif, qui l'a emporté, à l'encontre du discours de M. de Ségur qui en était le contrepied.

Aussi qu'arriva-t-il en France et en Belgique, après que le décret de l'an XII eût été rendu ? Il arriva deux choses. D'abord, ainsi que le constate M. Aucoc, les cimetières de la plupart des communes où le culte catholique était professé furent bénis d'une manière générale ; (page 21) le clergé n'excepta de cette mesure que les cimetières de Paris où la diversité des croyances et des opinions et l'incertitude sur les convictions religieuses de beaucoup de personnes décédées, en rendaient l'application moins facile. Ensuite le décret fut toujours appliqué par l'administration conformément aux principes qui viennent d'être exposés.

Les limites de ce travail nous obligent à ne citer que quelques autorités.

En France, nous nous bornerons à mentionner un seul document : c'est un rapport présenté au Sénat, le 22 janvier 1864, par M. de Royer, sur une pétition réclamant la promiscuité, et conformément aux conclusions duquel l'assemblée passa à l'ordre du jour. Le rapporteur, dans un travail lumineux, rappela la jurisprudence administrative constamment suivie, et notamment une circulaire de M. Martin du Nord, ministre des cultes, du 1er septembre 1845, et d'autres plus récentes, du 30 août 1857 et des 1er et 15 septembre 1861. « N'est-ce pas, ajouta-t-il, rendre un dernier hommage à la liberté de conscience que d'ouvrir, après la mort, un cimetière particulier à ceux que la prière réunissait pendant leur vie dans un temple séparé ? » ; et plus loin « L'égalité et la liberté en matière de cultes ne consistent pas dans la confusion et le désordre, mais dans l'impartiale protection qui est accordée à la profession de tous les cultes reconnus. »

(page 22) En Belgique, nous n'invoquerons que des autorités libérales, antérieures il est vrai à 1857, mais dont le témoignage, aux yeux des esprits impartiaux, suffira à faire justice des accusations d'intolérance dirigées contre le système de la séparation par cultes.

La première est M. de Haussy, alors qu'il était ministre de la justice. Appelé à se prononcer en 1849 sur le point de savoir si les familles possédant des caveaux dans les cimetières catholiques étaient en droit d'y introduire des personnes mortes en dehors de la communion de l'Église, il répondit : « On ne pourrait obliger les ministres du culte à admettre » dans la partie bénite du cimetière catholique des personnes qui ne professent pas ce culte ou qui l'ayant professé ne sont pas mortes dans la communion de l'Église catholique... Ce serait violer cette liberté (la liberté des cultes) que d'obliger les ministres catholiques à recevoir dans la partie du cimetière affectée aux catholiques des individus d'autres religions, ou d'aucune religion.» (Note de bas de page : Cette réponse a été lue par M. Nothomb à la chambre le 30 novembre 1855).

La seconde autorité est M. Liedts, qui, comme gouverneur du Brabant, adressa aux administrations communales le 21 février 1851, une circulaire dans laquelle on lit le passage suivant : « Comme il peut s'élever des difficultés au sujet de l'emplacement à déterminer pour le creusement de la fosse destinée à recevoir le corps d'une personne à laquelle, pour des motifs qu'il n'appartient pas à l'autorité civile d'apprécier, la sépulture ecclésiastique aurait été refusée, il ne sera pas inutile de rappeler ici que, d'après l'esprit de l'art. 15 du 23 prairial an XII, il convient que, dans chaque cimetière, une portion de terrain soit réservée pour l'inhumation de ceux que l'Église rejetterait hors de son sein. »

M. Tielemans partage l'opinion de MM. de Haussy et Liedts : « Lorsqu'un cimetière, a-t-il écrit (Répertoire de l’administration, V° cimetières, p. 61), a été consacré au culte, l'autorité civile ne doit plus désormais y faire enterrer des individus que l'autorité religieuse repousse comme étrangers à sa communion ; ceci est une conséquence de la consécration ; et c'est par ce motif qu'il est nécessaire de réserver dans tout cimetière catholique une portion de terrain non bénite pour l'inhumation de ceux à qui l'autorité religieuse refuse la terre sainte. »

Enfin nous nous abritons derrière le règlement édicté par le conseil communal de Bruxelles le 7 mai 1856. Ce règlement portait que les (page 23) inhumations se feraient d'après les distinctions établies par l'art. 15 du décret du 23 prairial an XII. Lors de la discussion, les observations suivantes furent échangées. M. Depaire demanda : « Quelles distinctions ? M. de Brouckère : - Les distinctions de cultes. M. Depaire : - Je m'en doutais bien ; mais comment l'administration communale sera-t-elle renseignée sur l'endroit où doit être enterré le cadavre ?» M. de Brouckère : - D'une façon extrêmement simple. On fait connaître que le mort appartient à tel ou tel culte. On s'adresse aux églises, s'il y a enterrement religieux. S'il n'y en a pas, l'inhumation a lieu dans la partie réservée aux personnes qui n'appartiennent à aucun culte.» Aucune protestation ne s'éleva contre ce langage, et le règlement fut voté, entre autres, par MM. de Brouckère, Fontainas père, Lavallée, de Page, Tielemans, Ranwet et Watteau.

Faut-il s'étonner après cela que, quand les libéraux soulevèrent la question des cimetières, un journal de Paris, non suspect de cléricalisme, la Presse, s'écria : « Il ne peut avoir à cette question qu'une solution juste et logique : la séparation de l'Église et de l'État et par suite la séparation des cimetières. Nous regrettons de voir la presse libérale belge éluder cette solution simple et satisfaisante pour tous, et n'opposer à l'intolérance qu'elle reproche aux catholiques qu'une intolérance pour le moins égale. Par un frappant retour de l'esprit de parti, ce sont maintenant les catholiques qui sont dans la liberté, en réclamant la séparation des cimetières, tandis que les libéraux prétendent leur imposer une promiscuité vexatoire, au nom de nous ne savons quelle puérile égalité devant la mort. » (Note de bas de page : Cité par le Journal de Bruxelles du 6 mars 1865).

Ainsi tout concourt à condamner les entreprises auxquelles le libéralisme s'est livré depuis quelques années sur les cimetières catholiques : le texte du décret de prairial, son esprit révélé par les travaux préparatoires, le principe de la liberté religieuse, le témoignage des autorités les moins récusables. Vraiment objecte-t-on que dans certains cimetières du pays, la division par cultes n'existe pas. Ce fait n'a jamais été établi, et, l'eût-il été, qu'il ne saurait prévaloir contre la règle. Il est possible qu'avant 1857, dans certaines localités, des personnes non catholiques aient été (page 24) par exception enterrées dans la partie bénite des cimetières, sans que le clergé ait cru devoir, à raison de circonstances particulières, protester publiquement. Mais de là à conclure qu'il y ait en Belgique d'anciens cimetières non bénits et que l'Église y ait admis la promiscuité comme principe, la distance est énorme. Citons un seul exemple. On a prétendu (page 24) souvent dans les discussions parlementaires que le cimetière de Mons n'était pas consacré : or, le journal le Hainaut a formellement contesté cette allégation dans son numéro du 16 mai 1865.

On aura beau dire, le système de la promiscuité ne peut revendiquer d'autre précédent que celui de la Convention nationale qui l'a introduit sur la proposition de Chaumette, et pour notre part nous ne saurions assez flétrir l'arbitraire intolérant de ceux qui, non contents des cimetières qu'on leur concède, veulent encore soumettre à leur omnipotence impie ceux des catholiques.

IV. De l’inhumation des évêques

Les passions libérales se sont acharnées à blesser sur un dernier point les sentiments catholiques. Jusqu'en 1867, les évêques avaient toujours été enterrés dans leurs cathédrales. A la mort du cardinal Sterckx, le clergé de Malines ayant fait déposer le corps du vénérable prélat dans la crypte de Saint-Rombaut, une clameur générale s'éleva des rangs du libéralisme et des poursuites furent intentées contre le doyen du chapitre, M. Genneré, qui fut condamné de ce chef à une amende par jugement du tribunal de Malines du 26 janvier 1869 (Belgique judiciaire, 1869, p. 201).

Lorsqu'on consulte le décret du 23 prairial an XII, il semble en effet que les évêques ne puissent être inhumés dans les cathédrales, car il stipule à son art. 1, « qu'aucune inhumation n'aura lieu dans les églises, temples et synagogues».

Toutefois l'usage, auquel divers décrets spéciaux sont venus donner une confirmation légale, s'est toujours maintenu de faire en faveur des évêques une exception à la disposition précitée.

Déjà, sous l'ancien droit, l'ordonnance du roi Louis XVI du 10 mars 1776, tout en défendant les inhumations dans les églises, avait excepté de la règle les archevêques et les évêques. Le décret de prairial n'a pas reproduit cette partie de l'ordonnance ; mais, ce qui est presque aussi décisif, c'est qu'à partir du rétablissement du culte en France et en Belgique, sous tous les gouvernements, les corps des (page 25) évêques ont été déposés dans leurs églises, sans qu'aucune opposition se soit jamais manifestée (Note de bas de page : L'usage constant est proclamé par tous les auteurs. Voir par exemple, Dalloz, v° culte, n°762. Le jugement du tribunal de Malines du 26 janvier 1869 constate aussi » que les infractions de cette nature étaient généralement restées jusqu'alors sans poursuites judiciaires. »).

Ceci suffit déjà pour attester la pensée du législateur ; mais cette pensée se révèle mieux encore dans les décrets spéciaux que rendit le gouvernement impérial peu de temps après le décret de l'an XII. C'est ainsi qu'un décret de 1808 prescrivit l'inhumation du cardinal de Belloy, archevêque de Paris, dans les caveaux de l'église de Notre-Dame. C'est ainsi encore qu'un décret du 26 mars 1811, exécutoire en Belgique, ordonna que les cardinaux de l'empire fussent enterrés dans l'église Sainte-Geneviève, à l'égal d'autres grands dignitaires. On ne doit pas être surpris après cela qu'une circulaire française en date du 14 décembre 1831 ait formellement rappelé qu'une seule exception était apportée aux défenses du décret du 23 prairial an XII : celle admise en faveur des évêques, qui, dit la circulaire, sont inhumés dans leur cathédrales conformément à un usage invariablement établi, sans que la distinction qui en résulte puisse être invoquée par une autre classe de citoyens.

Ces motifs nous paraissent de nature à justifier le maintien de ce qui a toujours été fait, et cela d'autant plus, que malgré le silence du décret de prairial, personne n'a protesté contre l'inhumations dans les caveaux de l'église de Laeken des membres de la famille royale de Belgique. Ici encore on a cru pouvoir se conformer aux usages généralement suivis relativement aux familles souveraines. Les deux exceptions se justifient par des raisons analogues : il a paru convenable de réserver une sépulture spéciale en rapport avec leur dignité aux chefs de la société religieuse et à ceux de la société civile.

Veut-on même que la loi soit trop impérative dans son texte pour autoriser, tant qu'elle existe, la dérogation que nous défendons ? Eh bien, nous aurions compris dans ce cas que le libéralisme eût signalé la lacune et qu'il eût prêté les mains à ce qu'elle fût remplie conformément aux vœux du grand nombre. Mais ce qui nous paraît un acte d'hostilité gratuite et vexatoire, c'est de prétendre que désormais les évêques doivent être inhumés dans les cimetières communs, et de s'opposer à ce que la dérogation soit expressément consacrée par la loi.

Les fidèles aiment à voir reposer à l'ombre des cathédrales leurs (page 26) pasteurs dont les tombes sont un lien avec le passé et marquent l'antiquité de leur foi et la durée séculaire de leurs églises. C'est là un sentiment éminemment respectable, dont les législateurs sages doivent tenir compte ; car l'attachement aux traditions et le culte des ancêtres sont l'un des fondements les plus solides de la nationalité des peuples.

Nous avons ainsi achevé de montrer ce que le libéralisme a fait de nos lois sur les cimetières et sur les inhumations, et nous n'avons plus qu'à indiquer à grands traits les bases de la législation que nous voudrions voir adopter.

Chapitre II

(page 115) Il nous reste à exposer les principes qui, d'après nous, devraient être adoptés sur les divers points que nous avons signalés jusqu'ici.

Reconnaissons-le tout d'abord la question des cimetières présente un assez grand nombre de difficultés ; mais, hâtons-nous de l'ajouter, ces difficultés proviennent pour une notable partie de ce qu'on se refuse trop souvent à quitter le domaine de la théorie et à descendre sur le terrain pratique. Avant 1857, les conflits étaient rares et dans tous les cas résolus facilement, parce qu'on tâchait de les terminer conformément à la justice et aux droits de la liberté religieuse ; depuis cette époque au contraire, ils se sont envenimés et ils ont créé les situations les plus pénibles, parce qu'on a voulu les trancher à l'aide de principes absolus, mal compris par l'esprit de parti, et isolés de la pensée générale qui préside à notre législation constitutionnelle.

Quoiqu'il en soit, des efforts louables ont été tentés pour dissiper ces difficultés de façon à faire taire les passions haineuses qui s'en étaient emparées, sans cependant froisser les consciences catholiques, et l'on a vu surgir plusieurs projets à l'effet de prévenir désormais le retour d'incidents regrettables. Parmi ces projets, il en est un qui mérite de fixer spécialement l'attention. Il propose d'obliger chaque commune à posséder au moins un cimetière dont elle règlerait l'usage comme elle l'entendrait, mais de laisser en même temps aux cultes la faculté d'en établir d'autres, auxquels ils seraient libres de donner un caractère religieux : ces derniers cimetières pourraient recevoir les personnes auxquelles la sépulture ecclésiastique est accordée d'après les lois des différents (page 116) cultes et dans le cas où aucune intention contraire n'est manifestée par le défunt ou par la famille.

A première vue, ce système est séduisant, et il semble concilier d'une manière fort heureuse l'égalité devant la loi avec la liberté religieuse. Néanmoins, il provoque une objection de fait considérable, c'est que, dans la majeure partie des communes du pays, les cimetières existants sont des cimetières anciens, appartenant aux fabriques. Que décidera-t-on à leur égard ? Les fera-t-on passer aux mains des communes ? Évidemment non, ce serait une spoliation. Si donc on entend que la pensée fondamentale du système se réalise, il faudra que chaque commune établisse au moins un cimetière nouveau, relevant exclusivement d'elle.

Mais qui ne voit qu'il y a là une impossibilité pratique, que cette charge imposée aux municipalités soulèverait un mécontentement général, et qu'elle serait à bon droit envisagée comme inutile, puisque presque partout il y a des lieux de sépulture suffisants et que les lois de l'Église permettent d'y réserver des compartiments séparés pour ceux qui meurent en dehors de sa communion ? Observons en outre que les nouveaux cimetières qui seraient établis par les communes resteraient probablement inoccupés, que presque personne ne consentirait à y faire enterrer ses proches et que les libéraux eux-mêmes tiendraient à reposer dans les cimetières des fabriques, parce qu'entourant les églises, ou revêtus au moins de la bénédiction religieuse, ils continueraient à être l'objet du respect particulier des populations.

Nous croyons donc que la système formulé plus haut, tout juste qu'il est en principe, tout réalisable qu'il serait si l'on ne devait pas tenir compte d'une situation existante, que ce système, disons-nous, n'est pas praticable, et que, dans l'œuvre de la révision de la législation sur la matière, il est indispensable de partir de ce point de départ fondamental, que les fabriques sont propriétaires de l'immense majorité des cimetières actuels. C'est ce qui nous engage à proposer les solutions que nous allons successivement développer et que nous résumerons ensuite sous forme de projet de loi.

I. Propriété des cimetières

Cette question embrasse les cimetières anciens et les cimetières nouveaux. Nous parlerons des uns et des autres.

1° Cimetières anciens

(page 117) Il faut distinguer entre les cimetières qui existaient avant 1795, date de notre annexion à la France, et ceux qui ont été établis depuis cette époque.

Quant à ces derniers, aucune difficulté ne peut surgir. Ils appartiennent évidemment à ceux, communes, fabriques ou particuliers, que les ont acquis.

Mais que décider relativement aux cimetières antérieurs à 1795, lesquels sont de beaucoup les plus nombreux ?

Nous avons déjà signalé la controverse à laquelle ils ont donné lieu, et que la plupart des arrêts ont tranchée en faveur des fabriques. Il ne s'agit donc plus que de savoir, en ce qui les concerne, s'il convient de fixer législativement la solution consacrée par la jurisprudence.

La commission de 1849 s'était prononcée pour la négative : « La commission, disait le rapport, a pensé qu'il était toujours dangereux, souvent injuste, d'appeler le législateur à trancher d'autorité des contestations d'intérêt privé. »

Nous comprenons ce langage en 1849 ; nous comprenons aussi que, dans la discussion du 15 janvier 1862, MM. de Naeyer et Tesch aient été d'accord pour déclarer qu'il était inutile de soulever législativement la question de la propriété des anciens cimetières.

Mais depuis lors, la controverse qui semblait définitivement résolue a ressuscité sous une forme nouvelle, et l'arrêt de la cour de cassation du 27 février 1864 a complétement frappé de stérilité pour les fabriques leur droit de propriété sur les anciens cimetières.

Dans ces circonstances, nous sommes d'avis que l'intervention de la loi est indispensable pour deux motifs. D'abord il est du devoir du législateur d'empêcher les controverses juridiques de s'éterniser, parce qu'à la longue elles ébranlent le droit et altèrent la confiance des particuliers et des établissements publics dans la puissance sociale. Ensuite, le pouvoir législatif, en réglant la matière, devra nécessairement se préoccuper de la jurisprudence inaugurée par la cour suprême en 1864, et fixer les droits des fabriques et des communes sur les anciens cimetières ; mais comment fixer ces droits réciproques, sans commencer par décider à qui appartiennent ces cimetières ? car enfin la détermination de ce premier point doit exercer une influence considérable sur les questions d'administration, d'entretien et de jouissance.

Il est bien vrai que l'arrêt de 1864 a tranché ces dernières questions sans se prononcer sur la question de propriété ; mais nous avons toujours cru, (page 118) et nous persistons à croire, que ces deux ordres d'idées ne peuvent être séparés, et que l'administration et la jouissance dépendent de la propriété, sans préjudice, bien entendu, à la police et à la surveillance qui ne sont point contestées aux communes.

A notre sens, l'intervention du législateur est aussi nécessaire qu'elle l'était peu, lorsque, sous prétexte d'interpréter l'article 84 de la loi communale, on l'a renversé. Nous pensons d'ailleurs qu'il vaut mieux adopter un système d'ensemble que de s'exposer à perpétuer d'anciennes difficultés qui continueraient immanquablement à agiter les esprits ou à alarmer les consciences.

2o Cimetières nouveaux.

Aucun motif plausible ne s'oppose à ce que les établissements publics, notamment les fabriques et les consistoires, ainsi que les associations et les particuliers, établissent de nouveaux cimetières. A plus forte raison faut-il assurer aux fabriques le droit d'agrandir les cimetières anciens dont elles sont propriétaires.

Il va de soi que ces droits appartiennent également aux communes, et qu'en outre celles-ci sont obligées d'établir des cimetières partout où les efforts individuels sont insuffisants. Nul ne méconnaît en effet qu'en l'absence des cultes, des associations et des particuliers, c'est aux communes qu'incombe l'inhumation des morts.

La commission de 1849 avait admis ces diverses solutions, que le rapport expose de la façon suivante : « Dans la pensée de la commission, les cimetières peuvent et pourront à l'avenir être originairement des propriétés privées ; en règle cependant, l'établissement et l'entretien des cimetières sont une charge de la commune. » Disons toutefois que la même commission proposait de faire passer aux mains des communes quant à l'administration et à l'entretien, non seulement les nouveaux cimetières fournis par les établissements publics ou les particuliers à la décharge des communes, mais même les anciens cimetières appartenant aux fabriques. Nous ne saurions, quant à nous, nous rallier à cette conclusion ; nous en dirons tout à l'heure les raisons.

II. Du service des inhumations

Les droits et les devoirs des communes ainsi que les droits des fabriques, (page 119) des associations et des particuliers étant déterminés, il convient de fixer les règles qui doivent désormais présider au service des inhumations.

La commission de 1849 avait à cet égard adopté le système suivant : « Il est facultatif aux communes de recourir aux particuliers et aux établissements publics à l'effet d'obtenir la fourniture d'un terrain destiné à la création d'un cimetière. Mais cette fourniture est faite à la décharge de la commune, qui en règle de gré à gré les conditions sous le contrôle de l'autorité supérieure. L'acte contenant ce règlement s'expliquera nécessairement sur la jouissance des fruits naturels et civils que le cimetière peut produire, et sur le sort du terrain dans le cas où le cimetière viendrait à perdre sa destination publique pour rentrer dans le domaine privé. Quant aux cimetières actuels, ils passent, quels qu'en soient les propriétaires, quant à l'administration et à l'entretien, aux mains de la commune ; mais le droit de propriété demeure ce qu'il était par le passé. »

Ce système, comme on le voit, reconnaît que les cimetières peuvent être des propriétés privées, mais en même temps il part de cette prémisse que le service des inhumations est un service public, incombant aux communes seules, et il admet comme conséquences, d'un côté que l'administration et l'entretien des anciens cimetières appartiennent à l'autorité municipale, de l'autre que les cimetières nouveaux créés par les établissements publics et les particuliers le sont à la décharge des communes, et que celles ci doivent en avoir, sinon nécessairement la jouissance, au moins l'administration à des conditions à déterminer par des contrats entre elles et les concessionnaires.

La même pensée se reflète dans l'art. 1er du projet élaboré par MM. Faider et Piercot. Cet article était ainsi conçu : « Les communes sont chargées de pourvoir à l'établissement, à l'agrandissement et à l'entretien des cimetières publics. Elles jouissent de leurs produits. Néanmoins, les fabriques d'église et les consistoires pourront fournir, à la décharge des communes, le terrain nécessaire à l'établissement ou à l'agrandissement des lieux publics de sépulture affectés à chaque culte. Le contrat qui interviendra dans ce cas entre la commune et la fabrique ou le consistoire intéressé, règlera les charges et les avantages de la concession. Il sera soumis à l'avis de la députation permanente et à l'approbation du Roi. »

Nous ne saurions pour notre part admettre un pareil système. Il est (page 120) l'application de l'idée fondamentale, que l'inhumation des morts est un service public rentrant exclusivement dans les attributions des communes. Cette idée nous semble aussi inexacte que dangereuse, et nous l'avons déjà démontré.

Le principe qu'il convient, d'après nous, de placer à la base d'une législation répondant aux nécessités de l'époque, c'est que l'autorité publique ne peut intervenir que là où l'individu fait défaut. Plus on encourage le développement des initiatives individuelles et mieux on réalise l'œuvre de décentralisation et de liberté que doit poursuivre tout législateur qui comprend son temps. Et qu'on n'objecte point que l'inhumation des morts n'est pas indifférente à l'intérêt public : cet intérêt est pleinement sauvegardé, du moment où le pouvoir civil est maintenu sur tous les cimetières dans ses droits de police et de surveillance.

Nous aimons bien mieux l'art. 14 de la loi hollandaise du 10 avril 1869. Il porte : « On pourra établir des cimetières particuliers avec l'autorisation et sous la surveillance des bourgmestre et échevins de la commune dans laquelle le terrain est situé. On ne refusera l'autorisation à une secte religieuse d'établir un cimetière particulier à son usage que lorsqu'il sera démontré que l'emplacement désigné ne saurait y servir conformément aux prescriptions de la présente loi. » On aperçoit immédiatement la différence entre cet article et le projet de 1849. Tandis que ce dernier admettait seulement les cultes à fournir des cimetières à la décharge des communes en donnant la haute main sur ces cimetières aux autorités locales, la loi hollandaise n'accorde au collège échevinal que la surveillance des lieux de sépulture appartenant aux cultes, et elle reconnaît ainsi, que les communions religieuses ont la faculté de pourvoir à l'inhumation des morts.

Nous voudrions donc que la loi nouvelle consacrât les principes suivants :

1° Les communes sont appelées à s'entendre avec les fabriques et les consistoires dans un délai à déterminer, pour que l'inhumation des morts continue à se faire dans les cimetières appartenant à ces établissements ;

2°o Si une entente n'intervient pas, et cette entente devrait avant tout respecter les prescriptions que nous indiquerons au numéro IV, ou bien si les communes préfèrent ne pas négocier avec les fabriques, ou bien encore si celles-ci n'ont pas de cimetières ou des cimetières insuffisants, les communes pourront établir des cimetières communaux. Mais ceux-ci n'empêcheront dans aucune hypothèse le maintien des cimetières des (page 121) fabriques, des associations et des particuliers, et n'enlèveront jamais aux citoyens le droit d'y faire enterrer leurs parents, leurs amis ou les membres des associations constituées en vue d'inhumations de ce genre ;

3° Les fabriques auront la faculté d'établir de nouveaux cimetières et d'agrandir les anciens, et dans ces deux cas les communes pourront s'entendre avec elles pour que l'inhumation des morts ait lieu dans les cimetières qui leur appartiennent ;

4° Les communes n'auront à procéder à cette inhumation qu'à défaut des fabriques, des consistoires, des associations et des particuliers.

Ces diverses bases nous paraissent tout concilier. Car, sans obliger les communes d'une manière générale à acquérir de nouveaux cimetières, elles leur fournissent le moyen de stipuler que dans les cimetières des fabriques, là où il n'en existe point d'autre, il soit réservé un emplacement convenable pour ceux qui meurent en dehors de l'Église. L'autorité religieuse prêtera d'autant plus facilement les mains à un arrangement de cette nature, que les lois canoniques permettent la désignation dans les lieux de sépulture de compartiments auxquels ne s'étend pas la bénédiction commune.

Au service des inhumations se rattache l'administration des pompes funèbres. Le titre V du décret du 23 prairial an XII a fait rentrer les convois mortuaires dans les attributions des fabriques et investi celles-ci du droit de fournir les voitures, tentures, ornements, et de livrer tous les objets quelconques nécessaires pour les enterrements ou pour la décence et la pompe des funérailles. La commission de 1849 a conservé dans son projet les dispositions principales du décret sur ce point, et nous croyons avec elle qu'il n'y a pas lieu d'y apporter des modifications essentielles. Le législateur de l'an XII avait compris que les populations envisageaient l'inhumation des morts comme une acte religieux, et qu'il serait contraire à la liberté des cultes de faire sous ce rapport violence à leurs convictions.

Seulement l'art. 19 du décret de prairial devrait être rédigé autrement. Il dispose : « Lorsque le ministre d'un culte, sous quelque prétexte que ce soit, se permettra de refuser son ministère pour l'inhumation d'un corps, l'autorité civile, soit d'office, soit sur la réquisition de la famille, commettra un autre ministre du même culte pour remplir ces fonctions ; dans tous les cas, l'autorité civile est chargée de faire porter, présenter, déposer et inhumer les corps. » Il est évident que cette rédaction ne peut être conservée, et que l'autorité civile ne saurait (page 122) être maintenue dans le droit, contraire à la Constitution, de commettre, dans une hypothèse quelconque, un ministre du culte pour procéder à l'inhumation d'un corps.

L'article devrait être modifié en ce sens, que les fabriques ont la faculté de faire transporter les corps, fournir les voitures et procéder en un mot aux funérailles, mais que de son côté l'autorité communale doit intervenir, dès que son intervention est requise ou qu'il y a abstention des cultes, des associations et des particuliers. Un règlement, édicté par le conseil communal de Tongres, le 15 avril 1865, nous semble réaliser parfaitement cette pensée dans son art. 10 : « Chaque fois, dit-il, que l'autorité communale sera requise de faire procéder elle-même à une inhumation, ou chaque fois qu'elle interviendra d'office en l'absence de toute intervention de communion ou association, l'autorité se bornera à faire enlever le mort du lieu où il se trouve et à le faire transporter directement de ce lieu au cimetière communal. » (Note de bas de page : Ce règlement fut annulé par arrêté royal du 6 janvier 1867. A Tongres, il y a un cimetière communal).

III. Police, surveillance, administration, entretien, jouissance

1° Police et surveillance

On admet universellement que les autorités locales ont la surveillance et la police de tous les lieux de sépulture. Mais il va de soi que, dans l'usage de ce droit, elles ne peuvent jamais porter atteinte au libre exercice du culte catholique, et notamment à la règle générale que nous formulerons au n°IV. La surveillance consiste dans l'obligation de veiller à l'exécution des lois générales sur les inhumations, et notamment de celles qui prohibent les inhumations non autorisées. La police a pour but d'empêcher les désordres, les actes contraires au respect dû à la mémoire des morts, les indécences et les profanations, etc.

Les attributions de police impliquent-elles le droit pour l'autorité communale d'approuver les inscriptions sépulcrales, avant qu'elles soient placées ? L'art. 6 de l'ordonnance française du 6 décembre 1843 a formellement confié ce droit au maire : « Aucune inscription, dit-il, ne (page 123) pourra être placée sur les pierres tumulaires ou monuments funèbres, sans avoir été préalablement soumise à l'approbation du maire. »

Il ne nous paraît pas cependant qu'une disposition de cette nature puisse être introduite dans la législation nouvelle, en tant que s'étendant aux cimetières des fabriques, des associations et des particuliers. Si une inscription blesse les convenances, il suffit que l'autorité communale la fasse enlever, et ce droit dans son chef découle directement de ses attributions de police. Mais dans aucun cas, nous ne saurions admettre que le collège échevinal fût appelé à se prononcer sur la partie religieuse des inscriptions ; il est à cet égard complétement incompétent, et, voudrait-on même lui accorder une action préventive, que celle-ci devrait être restreinte à l'obligation d'effacer ce que la décence publique condamne.

2° Administration

Le projet de la commission de 1849 attribuait à l'autorité communale l'administration de tous les cimetières. Cette stipulation s'étendait même aux anciens cimetières dont les fabriques ont la propriété. « Quant aux cimetières actuels, dit le rapport, ils passent, quelqu'en soient les propriétaires, quant à l'administration... aux mains de la commune. »

La loi hollandaise du 10 avril 1869 au contraire se borne à placer les cimetières des cultes sous la surveillance des autorités locales (art. 14 et 20).

A nos yeux, il n'y a aucune raison de déroger aux principes généraux, en ce qui concerne l'administration des lieux de sépulture n'appartenant pas aux communes. Cette administration a été pendant plus de soixante ans aux mains des fabriques, sans qu'il en soit résulté d'inconvénient. Quel obstacle d'ailleurs y a-t-il à ce que ces établissements puissent déterminer, dans chaque cas particulier, l'emplacement de la fosse, accorder les concessions et en fixer l'étendue, autoriser les travaux sur les terrains concédés, etc. ? Qu'on n'objecte pas que les monuments pourraient blesser l'ordre public ; car, si cette éventualité se réalisait, l'intervention de la commune serait justifiée par le droit de police dont elle est investie. Qu'on ne dise pas non plus que les autorités locales sont intéressées à empêcher le développement trop considérable des concessions, et à prévenir ainsi la fermeture trop prompte des cimetières dans lesquels elles sont accordées ; car rien n'oblige, nous l'avons déjà fait observer, les fabriques à enterrer les morts ; aucune loi (page 124) n'affecte aux inhumations une portion quelconque de leurs propriétés, et dès lors on ne peut retourner contre elles le service qu'elles rendent spontanément aux communes.

3° Entretien

Le décret du 30 décembre 1809 (art. 37 4°) charge les fabriques de l'entretien de tous les cimetières, et il leur en concède par contre les produits spontanés (art. 36 4°).

La commission de 1849 proposait d'imposer aux communes l'entretien de tous les lieux de sépulture : « L'entretien des cimetières, disait le rapport, est une charge obligatoire des communes, à laquelle seront applicables les dispositions de l'art. 131 de la loi communale. La charge trouvera sa compensation partielle dans l'attribution aux communes des fruits que l'art. 36 du décret du 30 décembre 1809 assurait aux fabriques d'église. Ces dernières seront, par compensation aussi, déchargées des dépenses d'entretien que leur imposait l'art. 37 du même décret. »

Nous n'apercevons aucun motif d'adopter une semblable proposition, et nous croyons qu'il y a une distinction à faire. L'entretien des cimetières communaux nous semble incomber aux communes ; l'entretien de ceux qui ne leur appartiennent pas, aux cultes, aux associations ou aux particuliers. En règle générale, l'entretien est une charge de la propriété, et il n'y a pas lieu, d'après les principes exposés plus haut, d'apporter une exception à cette règle dans le cas actuel.

4° Jouissance

Les produits des cimetières sont de deux sortes : produits spontanés, prix des concessions.

Quant aux produits spontanés, il faut, selon nous, y appliquer la distinction énoncée ci-dessus pour l'entretien. La disposition générale du décret de 1809 attribuant aux fabriques les produits spontanés de tous les lieux de sépulture doit être restreinte aux cimetières dont elles sont propriétaires.

En ce qui concerne le prix des concessions, la commission de 1849 estimait que, quand les établissements publics et les particuliers fourniraient à la décharge de la commune un terrain destiné à la création d'un cimetière, les conditions de la fourniture seraient réglées de gré à gré sous le contrôle de l'autorité supérieure, et elle ajoutait : « L'acte contenant ce r(page 125) èglement s'expliquera nécessairement sur la jouissance des fruits naturels et civils que le cimetière peut produire. »

Nous sommes d'avis que la loi nouvelle doit expressément stipuler que le prix des concessions appartient au propriétaire. Nous ne saurions admettre que la commune ait la jouissance de propriétés qui ne lui appartiennent pas, et cela sans qu'aucun intérêt d'ordre public ou de salubrité soit en cause. Ici, encore une fois, il convient de rester fidèle aux principes généraux, et la chose est d'autant plus aisée que tous les auteurs enseignent que les propriétaires des cimetières, quels qu'ils soient, ont droit au prix des concessions : l'arrêt du 27 février 1864 fait disparate au milieu de cette unanimité. Le rapporteur de la commission de 1849, M. Orts, s'est aussi très formellement rallié au sentiment général le 15 janvier 1862, dans un discours prononcé à la chambre.

L'art. 11 du ́décret de prairial prescrit que, pour obtenir une concession, il faut offrir de faire une fondation ou une donation au profit des pauvres et des hôpitaux. Nous ne voyons aucun empêchement au maintien d'une disposition de ce genre. Dans un projet rédigé il y a quelques années, M. d'Anethan proposait un article ainsi conçu : « Les conseils communaux et les propriétaires des autres cimetières, associations ou particuliers, pourront y accorder des concessions moyennant un prix fixé par arrêté royal pour chaque cimetière communal ou particulier. Sur ce prix, une somme sera payée au bureau de bienfaisance, dans la proportion fixée par le dit arrêté royal. » La commission examinera s'il y a lieu d'adopter cette rédaction ou une rédaction analogue ; nous pensons néanmoins que le prix des concessions pourrait être fixé par les conseils communaux ou les fabriques avec approbation de l'autorité supérieure ; quant aux cimetières appartenant à des particuliers, le règlement du prix des concessions devrait rester complétement étranger au gouvernement.

IV. Division des cimetières par cultes

Nous avons démontré, dans le chapitre 1er du présent travail, que cette division, loin de contrarier les bases de notre organisation politique, était positivement réclamée par la liberté religieuse, qu'elle a été appliquée (page 126) en Belgique sans contestation sérieuse jusqu'en 1860, et qu'elle a été justifiée par les autorités libérales les moins suspectes de préventions cléricales.

Vainement opposerait-on donc que le principe de l'art. 15 du décret de prairial n'est pas en harmonie avec notre législation constitutionnelle. C'est depuis que celle-ci est en vigueur que l'article a été défendu par les témoignages les moins récusables. Rien d'ailleurs n'établit mieux les progrès que le libéralisme a faits depuis quelque temps dans une voie attentatoire à la liberté, que le contraste de ses exigences actuelles avec les propositions émanées de la commission de 1849.

Cette commission, telle qu'elle s'est définitivement constituée, était exclusivement composée de libéraux (Note de bas de page : MM. de Brouckere, Dewandre, Paquet, Orts, Loeb, Vent, Wyns et Tielemans. Veut-on même que MM. Paquet et Dewandre fussent des catholiques ? La majorité de la commission n'en aurait pas moins appartenu à l'opinion libérale.). Or, voici en quels termes le rapporteur, M. Orts, a exposé son sentiment :

« Le titre IV règle la police des » lieux de sépulture. Il maintient l'obligation de séparer les cultes, en ajoutant la réserve, dans chaque cimetière, d'un espace séparé pour les dissidents, morts sans profession publique d'un culte déterminé. La disposition est nouvelle sous ce seul rapport ; elle comble une évidente lacune et permettra d'écarter plus complétement que par le passé toute chance de conflits ou de scandale en cas de refus d'une sépulture religieuse. C'est un hommage nouveau rendu par la loi à deux grands principes de notre droit public : au principe de la liberté des opinions et des cultes et à l'indépendance parallèle du pouvoir civil. »

C'est à dire que, dans le passage qui précède, M. Orts revendique la division des cimetières par cultes comme étant une des applications des principes à l'aide desquels on veut la battre en brèche. L'avant-projet de MM. Faider et Piercot, les auteurs du premier projet de la charité, donnait sa sanction aux propositions de la commission de la façon suivante : Art. 14 « Dans les communes où l'on professe plusieurs cultes, chaque culte doit avoir un lieu d'inhumation particulier, et dans le cas où il n'y aurait qu'un cimetière, on le partagera par des murs ou haies en autant de parties qu'il y a de cultes différents, avec une entrée particulière pour chaque division et en proportionnant cet espace au nombre des habitants de chaque culte. Il sera réservé, en outre, dans chaque cimetière public un terrain destiné aux inhumations pour lesquelles le concours du clergé est refusé ou n'est point réclamé. »

(page 127° Dira-t-on que depuis lors les idées ont marché, et qu'on est arrivé à une intelligence plus nette de la liberté religieuse ? Nous répondrons que la loi hollandaise de 1869, faite pour un pays où les divergences de croyances et d'opinions sont bien plus nombreuses encore qu'en Belgique, reproduit les dispositions de l'art. 15 du décret avec quelques modifications qui en fortifient plutôt qu'elles n'en altèrent l'idée essentielle : « Les cimetières communaux, dit l'art. 19, devront être établis de telle manière que l'administration d'une secte religieuse qui ne possède pas de cimetière à elle puisse faire enterrer les corps des membres de cette communauté dans une partie séparée du cimetière exclusivement destinée pour elle. Chaque culte aura une entrée séparée. L'autorité communale réglera de commun accord avec l'administration de la communauté religieuse les parties qu'il s'agit de séparer. »

Le principe de l'art. 15 du décret de prairial doit donc être conservé ; seulement il convient de mieux préciser dans la rédaction nouvelle l'obligation de réserver des compartiments distincts et tenus avec soin pour les défunts qui ne reçoivent aucune sépulture ecclésiastique.

Mais comment appliquer aux différentes situations qui existent dès maintenant, cette idée fondamentale ? A notre sens, il y a lieu de s'arrêter aux solutions suivantes :

1° D'abord, aucune difficulté ne peut surgir à l'endroit des cimetières communaux là où il en existe. A côté des compartiments assignés aux catholiques, aux protestants et aux juifs, il faut en établir pour les incroyants, les enfants morts sans baptême et les suicidés ;

2° La même règle doit s'étendre aux cimetières que les communes établiront dans la suite ;

3° Quant aux cimetières des fabriques, là où il n'existe pas de lieu de sépulture communal, les autorités locales pourront s'entendre avec les fabriques pour les séparer en six parties conformément à ce qui a été dit plus haut ; si l'entente ne se produit pas, les communes devront établir des cimetières distincts qui seront d'ailleurs soumis à la division par cultes. Là au contraire où il existe à la fois des cimetières de fabriques et des cimetières communaux, nous ne croyons pas qu'on puisse demander aux fabriques d'enterrer dans leurs cimetières des défunts n'appartenant pas à la communion catholique ;

4° Les diverses portions des cimetières seront entretenues avec un soin égal et auront chacune une entrée distincte.

La division par cultes soulève une question d'application dont la (page 128) solution est incontestable d'après les principes, bien qu'elle soit assez délicate par ses conséquences.

Lorsqu'une famille possède un caveau dans un cimetière bénit et qu'un membre de cette famille meurt en dehors de la communion catholique, l'inhumation de ce dernier peut-elle se faire dans le caveau ? La négative est évidente. En effet la concession des caveaux ne confie aux concessionnaires aucun droit de propriété, mais seulement un droit d'usage et de jouissance. Or, cet usage et cette jouissance sont nécessairement subordonnés au respect des règles qui président à l'existence des cimetières, et parmi ces règles l'une des plus essentielles, c'est la séparation par cultes.

Aussi un arrêté royal du 1er août 1847 a-t-il accordé la concession d'un caveau de famille, sous la restriction que l'on n'y inhumerait que les corps des personnes mortes dans le sein de l'Église. Le concessionnaire ayant réclamé contre la restriction, M. de Haussy, devenu dans l'intervalle ministre de la justice, répondit par une note dans laquelle il maintint, en la justifiant, l'intégralité de l'arrêté : « Si je considère, dit-il, cette clause comme inutile, c'est parce que la réserve qu'elle contient est de droit, et que, sans faire violence aux exigences du culte catholique, l'on ne pourrait obliger les ministres de ce culte à admettre dans la partie bénite du cimetière de ce culte des personnes qui ne professent pas ce culte, ou qui, l'ayant professé, ne sont pas mortes dans la communion de l'Église catholique. » (Note de bas de page : La note est de 1849. Elle a été lue par M. A. Nothomb à la séance de la Chambre du 29 novembre 1855).

Toutefois, sur ce point comme sur les autres, M. d'Anethan a cherché une conciliation, et l'art. 6 de son projet proposait la disposition suivante : « Dans chaque cimetière appartenant aux différents cultes, une partie non consacrée par les cérémonies religieuses sera réservée pour les concessions de caveaux, et, lorsque l'on procédera à la bénédiction de ceux-ci, une partie non bénite pourra être laissée, si la famille le demande, pour ses membres n'ayant pas droit à la sépulture religieuse. » La commission examinera cette disposition. Bornons-nous à faire remarquer que les familles qui consentiraient, lors de l'obtention de caveaux, à l'exclusion des incroyants du bénéfice de la concession, devraient être autorisées à établir les caveaux sollicités dans la partie bénite des cimetières...

V. Exceptions à l’obligation de l’inhumation dans les cimetières

(page 129) L'art. 14 du décret de prairial apporte à l'obligation d'être inhumé dans les cimetières l'exception suivante : « Toute personne pourra être enterrée sur sa propriété, pourvu que ladite propriété soit hors et à la distance prescrite de l'enceinte des villes et des bourgs. »

La commission de 1849 proposait la suppression de cette exception ; mais elle en introduisait une autre en faveur des membres de la famille royale : « La commission, disait le rapport, a proclamé, par l'art. 1er, l'obligation d'inhumer uniquement dans les lieux consacrés à la sépulture. Elle a cru devoir, pour le maintien inflexible de cette règle, introduire une pénalité en cas d'infraction, ce que la loi antérieure avait négligé. Voulant fortifier davantage ce rappel à l'égalité de tous devant la loi, le projet n'admet qu'une exception à la prescription impérieuse qui en forme le début : c'est l'exception consacrée en faveur des membres de la famille royale par l'art. 9. »

L'avant-projet de MM. Faider et Piercot au contraire reproduisait l'art. 14 du décret de prairial dans les termes suivants : Art. 4 : « Toute personne pourra, avec l'autorisation du collège des bourgmestre et échevins de la commune de la situation, être enterrée dans sa propriété, pourvu que l'emplacement désigné soit à la distance prescrite par l'art. 2 des villes et des parties agglomérées des communes rurales. »

Nous partageons l'avis de MM. Faider et Piercot. Nous croyons qu'il ne faut porter de restrictions à la liberté individuelle que quand un intérêt public évident l'exige. Or, ni la salubrité, ni le respect des morts, ni l'ordre public ne s'opposent sous certaines restrictions à l'inhumation dans leurs propriétés des personnes décédées.

Une seconde exception, sur laquelle tout le monde semble d'accord, doit être édictée en faveur des membres de la famille royale.

Enfin nous pensons qu'une troisième exception pourrait sans inconvénient être définitivement consacrée en faveur des évêques. Nous en avons donné les motifs dans le premier paragraphe de ce travail. Il faut se garder de blesser les désirs des consciences religieuses, quand aucun motif concluant ne l'exige. Or ces désirs sont tellement forts, que, malgré l'absence d'une loi générale, l'usage s'est établi partout d'enterrer les évêques dans leurs églises. L'existence de cet usage depuis (page 130) 70 ans prouve du reste que l'hygiène publique n'en réclame pas la suppression.

Nous terminons ici cette étude. Néanmoins, nous avons cru utile d'en résumer les développements dans le projet de loi suivant que nous soumettons avec confiance à tous les esprits impartiaux.

(Ce projet n’est pas repris dans la présente version numérisée).