(Paru en 1838 (2ème édition) à Bruxelles, par la Société nationale)
(Le texte ci-dessous ne reprend que la partie de l’ouvrage de Barthélemy Dumortier qui se rapporte au partage de la dette belgo-hollandaise. Les constatations qui y sont reprises ont été utilisées lors de la négociations du traité de paix de 1839 et ont contribué à réduire de plus d’un tiers (3 millions sur 8,4 millions de florins) la part qui sera in fine imputée à la Belgique. Ce montant est toutefois encore largement supérieur à celui qui découle des explications fournies ci-dessous. Vae victis !. )
(page 28) Nous venons de voir combien étaient injustes les dispositions de la Conférence relatives aux territoires que l'on prétendait arracher à la Belgique. Dans le partage de la communauté, la partialité pour être moins sensible n'était pas moins choquante.
A l'époque de la réunion, la Belgique n'avait pas de dette liquidée, mais elle possédait d'immenses et (page 29) magnifiques domaines en propriétés foncières. Lorsqu'en 1818 sa dette fut liquidée, elle ne s'élevait qu'à la somme insignifiante de 282,719 florins de rente. La Hollande au contraire se présentait avec une dette énorme, formée de l'ancienne dette contractée par les Provinces-Unies pour soutenir leurs guerres contre nous dans les siècles précédents, et des charges et impôts de toute nature occasionnés par l'invasion française. Remarquons que la Belgique, de son côté, avait aussi dû faire face aux mêmes besoins, mais il avait été procédé dans les deux pays, de deux manières bien différentes.
En Hollande, toutes ces charges avaient été mises au compte de l'Etat qui avait contracté des emprunts pour y faire face ; en Belgique, tout avait été supporté par les particuliers et les corporations. Par là, la Belgique avait été plusieurs fois ruinée par les guerres et les invasions, tandis que la Hollande, constamment prospère, avait prodigieusement accru les capitaux et les richesses de ses particuliers, pendant les siècles précédents. Mais aussi la Belgique n'ayant jamais sacrifié l'avenir au présent, avait en 1814, la perspective d'une subite prospérité, tandis que la Hollande ayant toujours sacrifié l'avenir au présent, avait à la même époque accumulé une dette énorme, qui ne présageait que la banqueroute. Imposer cette dette à la Belgique, c'était donc lui faire payer une seconde fois ce qu'elle avait déjà supporté.
Une circonstance importante est bien propre à (page 30) faire ressortir combien la Belgique était destinée à être exploitée par la Hollande au moyen de la réunion des deux pays.
Lorsque la Hollande fut soumise à la domination impériale, sa dette avait partagé le tiercement de la dette française. Quelque injuste qu'ait été cette mesure dans l'origine, il faut bien reconnaître que c'était là un malheur passé et que le nouvel Etat n'avait à remplir que les obligations existantes lors de sa régénération. C'est ce que reconnurent les Etats-Généraux et le roi Guillaume lui-même dans le principe de la régénération de la Hollande, et cela était d'autant mieux fondé que la majeure partie des anciennes obligations ne se trouvait plus entre les mains des premiers possesseurs et avait passé dans celles des spéculateurs. Mais lorsque le roi Guillaume sut que l'intention des Alliés était de réunir la Belgique à la Hollande et de nous faire payer la dette hollandaise, il ressuscita la dette morte, montant à l'énorme somme de onze cent quarante-six millions de florins (trois milliards de francs), et en fit ce qu'il nomma la « dette différée ». La circonstance singulière que le Roi tint cachés pendant treize moi les articles arrêtés (page 31) le 20 juin 1814, qui stipulaient que la Belgique aurait payé les dettes de la Hollande, a fait dire qu'un intérêt d'agiotage n'était pas étranger au rétablissement de cette dette morte, et que ce prince et ses ministres avaient commencé par en acheter la plus grande partie. La délicatesse du roi Guillaume lorsqu'il s'agissait de fournir sa cassette n'est au reste un mystère pour personne. Ceux qui conserveraient du doute à ce sujet peuvent consulter la loi spoliatrice du 26 août 1822.
Quoi qu'il en soit, lors de la réunion des deux pays, la dette active hollandaise s'élevait à quatorze millions et demi de florins de rente annuelle. A l'époque de 1830, l'ancienne dette hollandaise était indiquée par le Gouvernement comme s'élevant à la somme de 14,383,766 florins de rente active. Mais d'un autre côté, il avait été créé des dettes nouvelles qui, jointes à la dette belge et aux arriérés, formaient à cette époque un total de 19,265,267 florins. Dans (page 32) ce chiffre, les dettes contractées pendant la communauté s'élevaient à 3,841,724 florins ; (page 33) mais, par contre, l'avoir de la communauté s'était augmenté de colonies acquises en commun et d'une marine imposante.
Maintenant, pour agir avec justice, que devait faire la Conférence ? D’après les règles du bon sens, la Belgique et la Hollande devaient, en se séparant, emmener chacune son apport, actif et passif, et partager les dettes et les acquêts de la communauté.
C'est ce qu'avait reconnu la Conférence dans sa réponse à la protestation du cabinet français, relativement au partage des dettes. « Il est nécessaire et juste, disait-elle, que, lorsque la Hollande et la Belgique se séparent, chacune reprenne la dette dont elle était chargée avant leur union, et que >ces dettes qui furent réunies en même temps que les deux pays soient séparées de même. » (Annexe B au 20ème protocole). C'est aussi ce qu'avaient reconnu, dix jours avant l'arbitrage, les plénipotentiaires hollandais eux-mêmes : « Il est, disaient-ils, dans l'examen de la question des dettes, un principe incontestable, dont l'application préviendra beaucoup d'erreurs et d'abstractions, savoir, qu'à l'époque de la séparation, les deux parties se retirent avec ce qu'elles avaient apporté dans la communauté et qu'elles partagent dans une juste proportion (par exemple celle de la population) les dettes faites en commun. » (Note des plénipotentiaires hollandais, en date du 26 septembre 1831, annexée au 44ème protocole.)
(page 34) Ce « principe incontestable », admis par la Conférence et par la Hollande, avait déjà, remarquez-le bien, été formulé en traité et accepté par la Belgique, puisqu'il constituait l'article 12 des propositions de paix arrêtées par la Conférence le 26 juin 1831 ainsi conçu :
« Le partage des dettes aura lieu de manière à faire retomber sur chacun des deux pays la totalité des dettes, qui, originairement pesait, avant la réunion, sur les divers territoires dont ils se composent et à diviser dans une juste proportion celles contractées en commun. »
D'après ce qui précède, il ne paraissait pas douteux que ce principe dût être la base du partage de la communauté dans le traité des 24 articles, en sorte que la dette à charge de la Belgique devait être d'environ 2,500,000 de florins de rente.
Arrêtons-nous sur ce point important ; examinons le protocole du 6 octobre 1831, et voyons si, dans ce fameux arbitrage, la justice a présidé au partage de la communauté du royaume des Pays-Bas et si le principe incontestable proclamé et accepté par tous, fut respecté par ceux qui s'étaient posés nos juges.
D'abord la Conférence prend pour base de ses calculs des tableaux fournis par les plénipotentiaires hollandais, qui en avaient garanti l'exactitude, et elle (page 35) déclare que « si ces tableaux se trouvaient inexacts, malgré une garantie si formelle, les cinq cours seraient par la même en droit de regarder comme non avenus les résultats des calculs auxquels ces tableaux auraient servi de base. »
Se fondant ensuite sur l'article 6 de la convention du 8 juillet 1814 qui proclamait la communauté des charges et des bénéfices entre les deux parties du royaume, et procédant d'après ce principe au partage des dettes du royaume des Pays-Bas, la Conférence admet que les dettes originairement belges doivent être supportées par la Belgique seule et que les dettes contractées pendant la communauté doivent être partagées par moitié Voilà pour les charges, nous verrons plus tard ce qui concerne le partage des bénéfices.
(page 36) Enfin, eu égard à certains avantages commerciaux, elle nous impose une rente annuelle de 600,000 florins.
Laissons parler le protocole de la Conférence relatif au partage des dettes.
« La rente annuelle des dettes contractées pendant la réunion par le royaume des Pays-Bas se montant en nombre rond à 10,100,000 florins des Pays-Bas, il résulterait de ce chef un passif pour la Belgique de 5,050,000 florins des Pays-Bas.
» De plus, la dette austro-belge ayant appartenu exclusivement à la Belgique avant sa réunion avec la Hollande, il a été jugé également équitable que cette dette pesât exclusivement sur la Belgique à l’avenir. L'intérêt à 2 1/2 pour cent de la partie dite « active » de cette dette, ainsi que le service de l'amortissement de la partie dite « différée », étant évalués en nombre rond à 750,000 florins des Pays-Bas de rente annuelle, la Belgique aurait à supporter de ce deuxième chef un autre passif de 750,000 florins de rente.
« La Conférence, procédant toujours d'après les règles de l'équité, a trouvé qu'il rentrait dans les principes et les vues qui la dirigent, qu'une autre dette qui pesait originairement sur la Belgique avant sa réunion avec la Hollande, savoir, la dette inscrite pour la Belgique au grand-livre de l'empire français et qui d'après ses budgets s'élevait par aperçu à 4 millions de francs ou 2 millions de (page 37) florins des Pays-Bas de rente, fût mise encore maintenant à la charge du trésor belge. Le passif dont la Belgique serait chargée de ce troisième chef serait donc de deux millions de florins des Pays-Bas de rente annuelle.
« Enfin, eu égard aux avantages de navigation et de commerce dont la Hollande est tenue de faire jouir les Belges et aux sacrifices de divers genres que la séparation a amenés pour elle, les plénipotentiaires des cinq cours ont pensé qu'il devait être ajouté aux trois points indiqués ci-dessus une somme de six cent mille florins de rente, laquelle formerait avec ces passifs un total de 8,400,000 florins des Pays-Bas.
Voici donc le résumé de ces calculs :
Moitié des dettes contractés pendant la communauté : fl. 5,050,000
Dette austro-belge : fr. 750,000.
Dette belge d’origine française : fl. 2,000,000.
Avantages de navigation et de commerce : fl. 600,000.
Total, fr. 8,400,000 (en francs ; 17,777,777).
Maintenant que nous venons d’exposer le travail de la Conférence dans le partage de la communauté, examinons chacun des articles, dont il se compose. Et d’abord les dette originairement belges, savoir la dette austro-belge et la dette française à la charge de la Belgique.
La dette austro-belge n'est pas, comme le dit la Conférence, un emprunt originairement belge, c'est au contraire une dette contractée par l'Autriche dans nos provinces sous la garantie des Etats de Belgique, pour faire face aux besoins de la monarchie autrichienne, lors de ses guerres contre les Turcs. Mais le roi Guillaume, par complaisance ou autrement, la reconnut en 1816 et par un simple arrêté, comme dette belge. Admettons que ceci soit un fait consommé, alors la question de quotité se présente.
La Conférence évalue la dette austro-belge à une rente annuelle de 750,000 florins ; ce chiffre est complètement inexact, attendu qu'il résulte de l'état de la dette nationale des Pays-Bas au 15 janvier 1829, présenté à la seconde chambre des Etats-Généraux à l'occasion du budget décennal de 1830 par le gouvernement des Pays-Bas, que la dette dont il s'agit, ne se composait que d'une rente de 403,610 florins, formant un capital de 16,144,412 florins en dette active et 32,288,824 florins en dette différée qui ne porte aucun intérêt.
Et qu'on ne vienne pas dire que nous omettons le service de l'amortissement, car porter une dette et l'amortissement de cette dette c'est faire double emploi.
Ceux donc qui ont dit à la Conférence que l'intérêt de la dette austro-belge s'élevait à 750,000 florins ont trompé la Conférence.
Le protocole établit qu'en 1830 il aurait existé à charge du royaume des Pays-Bas une dette (page 39) d’environ quatre millions de rente, provenant du grand-livre de l'empire français. Nous ignorons qui a pu imaginer ce fait qui est entièrement controuvé, le trésor des Pays-Bas n'étant chargé lors de la séparation d'aucune dette semblable, ainsi qu'il conste de l'état de la dette nationale présenté aux Etats-Généraux.
Toute la liquidation de l'ancienne dette des provinces méridionales ne s'élevait qu'à la faible somme de 282,719 florins de rente.
Ceux donc qui ont dit à la Conférence qu'à l'époque de la Révolution le trésor des Pays-Bas était grevé d'une rente de 4,000,000 de francs provenant de l'empire français, ont imaginé un fait qui n'existait pas et par conséquent ont trompé la Conférence.
La Conférence évalue ensuite, d'après les documents fournis par les plénipotentiaires hollandais, les dettes contractées pendant la communauté à 10,100,000 florins, et nous compte de ce chef 5,050,000 florins de rente. Cette évaluation n'est pas du tout en harmonie avec le tableau de la dette nationale en 1829 remis aux Etats-Généraux par le Gouvernement à l'occasion de la discussion du budget décennal, d'après lequel les dettes contractées pendant la réunion ne s'élevaient en totalité qu'à la somme annuelle de 3,841,724 florins, en sorte que la moitié, qui, d'après les principes de la Conférence, devait venir à charge de la Belgique, s'élevait, non à 5,050,000 fl., mais seulement à 1,920,862 florins de rente.
(page 40) D'où peut donc provenir une aussi énorme différence ? Comment se fait-il que la dette contractée pendant la communauté, qui, d'après le gouvernement hollandais, ne s'élevait qu'à 3,841,724 florins, ait été portée par la Conférence à la somme de 10,100,000 ? C'est que la Conférence opérait sur des documents fournis par les plénipotentiaires hollandais. Or, d'après les tableaux et les déclarations annexés au protocole, il est visible que l'erreur provient de ce que l'on a attribué à la Belgique la moitié de l'arriéré des Pays-Bas, de l'emprunt de 110 millions du Syndicat d'amortissement et de l'emprunt de 30 millions pour les colonies'. Examinons ces trois objets.
Relativement à l'arriéré des Pays-Bas, ce n'est pas une dette contractée pendant la communauté, mais une fin de liquidation de l'ancienne dette hollandaise admise le même jour que la liquidation de l'ancienne dette des provinces méridionales et qui par (page 41) conséquent, d'après les principes posés par la Conférence, devait rester exclusivement à la charge de la Hollande, comme l'ancienne dette belge à la charge de la Belgique.
Ceux donc qui ont donné cette dette comme une dette contractée par la communauté, ont trompé la Conférence.
Quant à l'emprunt de 116 millions de florins à 4 1/20/0, effectué par le Syndicat en vertu de la loi organisatrice de cette institution, et réduit à 110 millions en 1830, ce n'est point là une dette de l'Etat, mais une opération d'amortissement qui avait pour but la conversion de l'ancienne dette hollandaise dite « dette différée », en un emprunt du Syndicat. Or, une dette ne change pas de nature parce qu'elle a subi une conversion ; son origine reste la même. Si donc, d'après les principes admis par la Conférence, chaque partie devait reprendre ses anciennes dettes, il est évident que l'emprunt de 116 millions, ne concernant que la conversion de l'ancienne dette différée hollandaise, devait suivre le sort qu'eût suivi cette dette si elle n'eût pas été convertie.
Ceux donc qui ont indiqué cet emprunt comme une dette contractée pendant la communauté ont trompé la Conférence.
J'ai dit que la « dette différée » est une dette hollandaise, car la dette belge et la dette austro-belge réunies n'en forment qu'un trentième ; si donc une partie quelconque de la dette belge arriérée avait été amortie (page 42) par le Syndicat, cela devait entrer dans le compte à liquider. Il en est de même de l'arriéré des Pays-Bas.
Enfin pour ce qui concerne l'emprunt de 30 millions de florins à 3 1/2 pour cent autorisé par la loi du 27 mai 1830, il n'est que la conversion de trois emprunts effectués pour les colonies des Indes-Orientales et pour lesquels le royaume des Pays-Bas s'est porté caution. Ce n'est donc point là une dette contractée mais un simple cautionnement. Si la Belgique doit payer la moitié des emprunts contractés par les colonies hollandaises, celles-ci deviennent débitrices. envers nous et nous devons avoir sur elles des droits proportionnés à notre créance. Mais les plénipotentiaires hollandais, en donnant cette dette comme une dette de la communauté, ont encore trompé la Conférence.
Nous ne quitterons pas l'article des dettes contractées pendant la communauté sans faire remarquer que l'emprunt de 68 millions de florins autorisé par la loi du 27 décembre 1822, pour faire face aux pensions, et dont la rente s'élevait en 1830, d'après les plénipotentiaires hollandais, à la somme de 1,682,300 fl., n'a été négocié que jusqu'à concurrence de 20 millions et que les 48 millions restants étaient encore non négociés le 15 janvier 1829 entre les mains du Syndicat, ainsi qu'il résulte de l'état de situation (page 43) présenté à cette époque aux Etats-Généraux. Or, un emprunt n'étant consommé qu'au jour de son émission, ces 48 millions qui n'avaient pas été émis, n'avaient pas été empruntés et par conséquent ils auraient dû être déduits du capital et de la rente autorisés par la loi, ce qui, pour notre moitié, réduirait de 600,000 fl. la rente annuelle mise à la charge de la Belgique. Si je n'en fais pas l'application, c'est que j'ignore quelle est la somme employée sur cet emprunt en 1829 et 1830, somme qui doit au reste avoir été peu considérable, puisqu'elle ne pouvait avoir lieu que dans certaines limites autorisées par la loi. Toutefois, les plénipotentiaires hollandais, en déclarant à la Conférence que l'emprunt de 68 millions constituait une dette à charge de l'Etat, ont (page 43) dissimulé que les deux tiers n'en avaient pas été émis et ont par conséquent encore trompé la Conférence.
Il nous reste à parler des avantages commerciaux que nous accordait la Conférence, et pour lesquels on nous faisait payer un tribut annuel de 600,000 florins à la Hollande. J'ai exposé que ces avantages sont devenus sans objet à l'époque actuelle, puisque la Belgique y a pourvu par d'autres moyens et aux dépens de son trésor public.
Nous avons démontré que la Conférence opérant (page 44) d'après des tableaux et déclarations dont les plénipotentiaires hollandais avaient garanti l'exactitude, a été trompée :
1° Lorsqu'on lui a fait accroire que la dette austro-belge s'élevait à 750,000 florins de rente, tandis qu'elle ne s'élevait qu'à 403,710 florins.
(page 45) 2° Lorsqu'on a imaginé à la charge de la Belgique une dette française de 4 millions de francs de rente qui n'existe pas.
3° Lorsque l'on a indiqué comme dette contractée par la communauté, l'arriéré des anciennes Provinces-Unies des Pays-Bas.
4° Lorsque l'on a indiqué comme dette contractée par la communauté, la conversion de l'ancienne dette différée hollandaise.
5° Lorsque l'on a indiqué comme une dette contractée par la communauté, l'emprunt fait au nom des colonies et dont la communauté n'a été que la caution.
6o Lorsque l'on a indiqué comme une dette contractée par la communauté l'emprunt de 68 millions dont les deux tiers étaient encore non négociés, et par conséquent non empruntés.
Ainsi, d'après les principes posés par la Conférence elle-même et reconnus comme incontestables par les plénipotentiaires hollandais, la part de la Belgique dans la dette du royaume-uni des Pays-Bas ne devait s'élever au plus et sauf à débattre encore ce qui devait l'être qu'à la somme de 2,607,191 fl., savoir :
(page 46) Ancienne dette des provinces méridionales : fl. 282,719
Dette austro-belge : fl. 403,610.
Moitié des dettes de la communauté : fl. 1,920,862.
Total : fl. 2 ;607 ;191, somme déjà énorme puisqu'elle représente un capital de plus de trois cents millions de francs ; somme énorme si l'on considère qu'elle a été contractée presque exclusivement dans l'intérêt de la Hollande, et si l'on réfléchit que la Hollande a vendu à son profit nos magnifiques domaines dont la dette hollandaise a absorbé à elle seule pour 94 millions.
Nous venons de démontrer que, d'après les principes incontestables admis par les plénipotentiaires hollandais et la Conférence, la part de la Belgique dans les dettes de la communauté doit s'élever non à 8,400,000 fl. de rente ainsi que le portait le traité, mais seulement à 2,607,191 florins, au plus. Cette somme devait encore être réduite de la moitié du boni du Syndicat d'amortissement, tel qu'il existait au jour de la séparation de la communauté, boni considérable puisque cette institution avait vendu, dans les provinces belgiques, pour 94 millions de nos domaines. Elle devait en outre être réduite de la moitié de la partie disponible de l'emprunt de 68 millions, évaluée par approximation à 600,000 fl. de rentes, ce qui aurait ainsi mis le chiffre à charge de la Belgique bien au-dessous de deux millions de florins de rente.
Nous ne pouvons nous abstenir de faire ici remarquer le préjudice qu'aurait causé à la Belgique le mode admis par la Conférence dans le partage des dettes et du Syndicat en particulier. La Belgique, qui en droit ne doit rien à la Hollande, était d'après le traité chargée de lui payer un tribut annuel de 8,400,000 florins à partir du 1er Janvier 1832, et ce n'est qu'après cela qu'on devait s'occuper de liquider les comptes du Syndicat dont le boni devait venir par moitié en dégrèvement de la rente imposée à la Belgique. Or, toutes les pièces du Syndicat étaient entre les mains du roi Guillaume, qui ne se serait pas pressé de les mettre en lumière. Entre-temps la Belgique devait toujours payer ses 8,400,000 florins. Ainsi la Belgique, qui en droit ne doit rien à la Hollande, se serait trouvée réduite à solliciter de celle-ci la liquidation d'un compte qu'elle avait le plus grand intérêt à ne jamais liquider.
(page 47) D'un autre côté, si la Belgique, du chef du partage de la communauté, devait participer au passif du royaume des Pays-Bas, la justice exigeait qu'elle participât aussi dans une proportion égale au partage de l'actif de ce royaume. C'est ce qu'avait reconnu la Conférence en proclamant le partage égal de l'ensemble des charges et des bénéfices du royaume des Pays-Bas. Voyons donc comment se fit la répartition des bénéfices de la communauté.
Par le traité conclu le 17 mars 1824 entre l'Angleterre et les Pays-Bas, et ratifié par les Etats-Généraux, l'Angleterre céda aux Pays-Bas ses possessions dans Sumatra et les îles avoisinantes en échange de la ville de Malacca, de ses dépendances ainsi que de Singapore. Mais les droits de l'Angleterre étant plus considérables, une somme de cent mille livres sterling fut payée par les Pays-Bas à l'Angleterre. La Belgique devait donc s'attendre à obtenir dans les colonies acquises en commun de l'Angleterre une part proportionnée à la moitié du sacrifice pécuniaire fait par le royaume des Pays-Bas.
Elle devait aussi s'attendre à obtenir la moitié de la possession de la nouvelle Guinée et des îles avoisinantes, qui furent acquises au royaume des Pays-Bas pendant le régime de la communauté sous le gouvernement d'un Belge, M. le vicomte Du Bus de Ghysignies.
La Belgique devait encore s'attendre à obtenir et l'intégralité de la flotte et du chantier laissés à Anvers par (page 48) les Alliés avant la réunion à la Hollande et la moitié de la flotte construite pendant le régime de la communauté. Cette dernière présentait une valeur importante ; des sommes considérables y avaient été affectées chaque année depuis la réunion. A l'époque de la séparation, le nombre des navires construits pendant la communauté, s'élevait à 6 vaisseaux de ligne, 19 frégates, 17 corvettes, 9 bricks, plus un grand nombre de vaisseaux de moindre dimension. En outre, un grand nombre de navires étaient en construction.
D'après les règles de la justice la plus vulgaire, les droits de la Belgique sur ces objets ne pouvaient être méconnus ; car si on lui imposait la moitié du passif résultant de la communauté, la moitié de l'actif ne pouvait lui être refusé. Voilà ce que prescrivait la justice. Eh bien ! cette demande si juste qu'aucun tribunal sur la terre ne pourrait se refuser de l'accorder, fut écartée, ou pour mieux dire, on n'y répondit pas.
Restaient donc les erreurs matérielles commises dans le partage des dettes. A cet égard, rappelons-nous que les plénipotentiaires hollandais avaient garanti l'exactitude de leurs tableaux et que la Conférence avait déclaré que « si, malgré une garantie si formelle, ces tableaux se trouvaient inexacts, les cinq cours se trouveraient par là même en droit de regarder comme non avenus les résultats des calculs auxquels ces tableaux avaient servi de base. »
(page 49) Lors de la discussion des 24 articles en comité secret, en octobre 1831, la chambre des Représentants ayant reçu communication du protocole dont il s'agit, reconnut de suite l'erreur relative à la dette française s'élevant à 4 millions annuellement, et réclama la rectification de cette erreur capitale. Mais elle crut pouvoir ne pas s'arrêter à cet article, attendu que, d'après la déclaration formelle de la Conférence, une rectification devenait inévitable.
Ce qui fortifiait la Chambre dans cette opinion, c'est qu'on avait alors encore présente à l'esprit la protestation de M. Sébastiani au nom du gouvernement français, contre le partage de la dette proposé par la Conférence dans son protocole du 27 janvier 1831 ; c'est là, disait cet honorable ministre, une question d'intérêt privé, plus que d'intérêt européen et pour la solution de laquelle la Conférence était à la fois moins compétente et moins éclairée que pour la solution des autres. Et la Conférence reconnaissant la justesse de ces observations avait déclaré dans sa réponse, que « ce n'était là qu'une proposition faite pour être discutée entre les deux parties. »
(page 50) D'après tout cela il n'était pas douteux que la Belgique dût rencontrer justice sur ce point devant la Conférence. Il n'en fut rien cependant, car lorsque le gouvernement belge réclama l'exécution de garanties aussi formelles, la Conférence pour toute réponse se borna à dire que ni le fond ni la lettre des 24 articles ne sauraient désormais subir de modifications. (Note adressée au plénipotentiaire belge, le 12 novembre 1831.)
La Belgique se trouvait ainsi chargée de la moitié à peu près de toute la dette du royaume des Pays-Bas, ou même de plus de la moitié de la dette, si l'on en déduit les parties amorties par le Syndicat ou créées au profit du Syndicat pour besoins momentanés. Ce n'était plus là le partage des dettes contractées pendant la communauté, que la Hollande et la Conférence avaient proclamé vouloir établir comme un principe incontestable ; c'était la moitié de l'intégralité de la dette antérieure à la communauté. Si cependant la Conférence voulait nous faire payer la moitié de la dette intégrale du royaume des Pays-Bas, elle devait aussi nous donner la moitié de l'avoir intégral de ce royaume et par conséquent des colonies, car encore une fois, dans le partage de la communauté, l'actif doit être divisé dans les mêmes proportions que le passif. Mais il était dit que la Belgique devait être immolée. Dans l’origine on avait promis à la Belgique, non pas le partage des colonies, (page 51) mais le libre accès aux colonies des Pays-Bas, « sur le même pied, avec les mêmes droits et les mêmes avantages que les habitants de la Hollande ». Eh bien ! cette dernière faveur lui fut encore refusée.
Ce n'est pas tout, tandis qu'on nous imposait avec un soin si religieux la moitié de l'ancienne dette de la Hollande, on laissait à la Hollande le soin de liquider le reste des dettes du royaume des Pays-Bas, et par conséquent les dettes originairement belges et sanctionnées par nos anciens souverains, savoir : les Engagères, les charges d'Etat héréditaires, les prestations et réquisitions aux armées alliées, les emprunts des villes et des provinces pour objets devenus la propriété de l'Etat. Et comme le roi Guillaume, après avoir admis sans examen la dette hollandaise sur des objets analogues, s'était constamment refusé de liquider la dette de nos provinces, on conçoit c’était prononcer la ruine définitive des rentiers belges porteurs de ces obligations.
Ainsi, ô moralité de la diplomatie ! on imposait à la Belgique une dette énorme qu'elle n'avait jamais contractée, on faisait peser sur elle la moitié des dettes apportées par la Hollande, et contractées par la communauté, et on laissait à la Hollande, à la Hollande seule tout l'avoir, tout l'actif de la communauté ! On imposait à la Belgique la moitié de la dette (page 52) hollandaise, et de la dette belge sanctionnée par les empereurs et les rois qui traitaient à la Conférence, la dette belge qui jamais n'avait été liquidée sous le roi Guillaume, on la vouait à un éternel oubli ! On imposait à la Belgique la moitié de la dette intégrale du royaume des Pays-Bas, et on laissait à la Hollande seule l'intégralité des colonies de ce royaume ! On imposait à la Belgique la moitié de la dette contractée en commun et on laissait à la Hollande toutes les propriétés coloniales acquises en commun, toute l'intégralité de la marine construite pour moitié aux frais de la Belgique ! On imposait à la Belgique la moitié des emprunts cautionnés pour les colonies et on lui refusait le recours vers les colonies, et jusqu'au libre accès à des pays arrosés par le sang belge, rachetés par l'or des Belges !
Voyez maintenant la comparaison ! Lorsqu'en 1815 les Alliés eurent deux fois subjugué la France, ils lui imposèrent un tribut énorme de sept cents millions de francs, tribut insupportable au peuple français. Mais la France est huit fois plus grande et plus populeuse que la Belgique, et cependant la somme à laquelle la Belgique fut imposée par la Conférence représente un capital de 711 millions de francs de dette active, non compris la dette différée. D'un autre côté, les Alliés n'avaient pas épuisé la France : ils ne lui avaient pas enlevé ses domaines, et la Belgique a pendant 15 ans été épuisée par la Hollande ; elle a (page 53) perdu tous ses magnifiques domaines qui constituaient son meilleur revenu '. Et malgré cela elle est imposée proportionnellement à une somme huit fois plus forte que la grande France, et vingt-quatre fois plus forte, si l'on y ajoutait la dette différée.
Le tribut annuel imposé à la Belgique égale environ le quart de ses impôts ; il représente le bénéfice d'un mouvement commercial annuel de 400 millions, et ce tribut, la Belgique devrait le payer indéfiniment, sans qu'il y ait un terme, dans les années calamiteuses comme dans les années prospères, sans aucune compensation. La Hollande au contraire recevrait chaque année, sans effort, de la Belgique, un tribut de dix-huit millions de francs ; et comme ses colonies lui rapportent aujourd'hui, grâces à la bonne direction donnée par un Belge, une somme de 25 à 30 millions, la Hollande recevrait chaque année de l'étranger 45 à 50 millions de francs, en numéraire, c'est-à-dire la moitié de son budget.
On a dit que la Belgique aurait trouvé dans le bénéfice de la neutralité une compensation au préjudice que lui causait le tribut annuel qu'elle devait payer à la Hollande et qu'elle aurait pu ainsi, sans (page 54) augmenter de beaucoup ses impôts, faire face à cette dette par la réduction de son armée. Admettons qu'il en soit ainsi ; alors nous demanderons si l'on a bien réfléchi aux conséquences de ce système. Car si notre armée absorbe les 18 millions que nous devrions donner annuellement à la Hollande, du moins ce sont des capitaux qui restent dans le pays, tandis que si nous avions dû donner chaque année à la Hollande le bénéfice d'un mouvement commercial de 400 millions de francs, le pays serait tombé chaque année dans une plus profonde misère.
Voilà pourtant quel devait être le sort de la Hollande et de la Belgique, si le traité eût été exécuté. C'était l'exploitation à perpétuité de la Belgique par la Hollande. C'était mettre en présence deux peuples, l'un oppresseur et l'autre opprimé, et, chose étrange ! l'opprimé était celui qui avait rompu ses fers et chassé l'oppresseur du sol de la patrie !