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Mandement de Carême pour 1839, sur l'éducation et sur l'instruction à donner aux enfants
VAN BOMMEL, Corneille - 1839

VAN BOMMEL, Corneille, Mandement de Carême pour 1839, sur l'éducation et sur l'instruction à donner aux enfants

(Paru dans « Mandements, lettres pastorales, circulaires et instructions de Monsieur C.R.A. Van Bommel, évêque de Liége », t. 2, années 1838 à 1844. Liége, P. Kersten, 1845)

(page 98) Corneille-Richard-Antoine Van Bommel

Par le miséricorde divine et par la grâce du saint siège apostolique, évêque de Liège,

Au clergé et à tous les fidèles de notre diocèse, salut et bénédiction dans le Seigneur.

N. T. C. F.!

Parmi les devoirs de la charge pastorale, il en est un qui nous paraît tellement important, que nous ne croirons jamais avoir fait assez, pour nous en acquitter convenablement. Ce devoir est celui que retraçait en termes si énergiques à tous les évêques de la chrétienté, l'immortel Pie VII au moment de son élévation sur le trône pontifical. « Sans doute, disait-il, vous devez prendre garde à tout le troupeau sur lequel l'Esprit-Saint vous a établis évêques ; mais vous devez principalement veiller sur les enfants et sur les jeunes gens. Ils doivent être l'objet spécial de votre amour paternel, de votre vigilante sollicitude, de votre zèle, (page 99) de tous vos soins ; car le Seigneur vous les a instamment recommandés par son exemple et par ses discours. »

C'est en acquit de ce devoir, que nous venons aujourd'hui, N. T. C. F., vous adresser à tous, aux pasteurs comme à leurs ouailles, quelques paroles de salut, pour réveiller en vous le zèle de la bonne éducation des enfants, d'où dépend l'avenir de la Religion, et par conséquent celui de la société qui en est inséparable. Nous désirons surtout être compris des parents, à qui la Religion et la nature elle-même font de cette éducation le devoir le plus sacré ; des instituteurs, appelés à partager leur sollicitude et souvent à suppléer à leur impuissance ; des magistrats qui disposent des moyens appartenant à tous, pour seconder le zèle des parents par la création d'établissements d'instruction et d'éducation.

Commençons par établir ce principe fondamental que la Religion est la seule base de la bonne instruction et éducation des enfants ; nous en tirerons après cela des conséquences pratiques, qui bien goûtées et généralement suivies, amèneront un jour les résultats les plus heureux.

Première partie. La religion doit être la base de l’instruction

Lorsque Pie VII pressait les évêques de faire de l'éducation de la jeunesse l'objet de leurs plus tendres soins, c'était en juillet 1800, au sortir de cette grande (page 100) tourmente révolutionnaire où l'on avait vu tant de bouleversements et de ruines, tant de crimes et de malheurs ; et voici un de ses motifs : « Ceux, disait-il, qui se sont efforcés de détruire la société et les familles, et de renverser toutes les autorités divines et humaines, n'ont épargné aucun soin, pour infecter et corrompre la jeunesse. »

En effet, les mêmes hommes, qui avaient anéanti en France et les congrégations religieuses et les autres institutions destinées depuis des siècles à élever simultanément la jeunesse dans la crainte de Dieu et dans la connaissance des arts et des sciences, s'efforcèrent d'élever sur ces ruines des établissements d'instruction, d'où la Religion et ses ministres étaient soigneusement bannis.. Savez-vous, N. T. C. F., quels en furent, après une expérience de dix ans, les résultats officiellement constatés ? On en fut tellement effrayé, qu'il s'éleva de toute la France un cri général, une réclamation unanime, dont nous aimons à reproduire l'expression textuelle.

« Il est temps, y est-il dit, que les théories se taisent devant les faits. Point d'instruction sans éducation et point d'éducation sans morale et Religion.

« L'instruction est nulle depuis dix ans, il faut prendre la Religion pour base de l'éducation.

« Les enfants sont livrés à l'oisiveté la plus dangereuse, au vagabondage le plus alarmant.

« Ils sont sans idée de la Divinité, sans notion du juste et de l'injuste. De là des mœurs farouches et barbares, de là un peuple féroce.. »

(page 101) La France, disait l'orateur du gouvernement, en terminant ces citations, la France appelle la Religion au secours de la morale et de la société.

Ce témoignage de tout un peuple, qui venait de faire l'expérience d'une éducation philosophique, et qui en avait comparé les effets avec ceux d'une éducation chrétienne, est d'un tel poids qu'il nous dispense de citer d'autres autorités.

Il est donc vrai qu'il n'y a point d'instruction vraie, solide, sans éducation, comme il n'y a point d'éducation possible, sans Religion, et qu'ainsi l'instruction des enfants doit être avant tout morale et religieuse.

Ce principe n'est plus nié que par les athées et les matérialistes ; pour eux il n'y a ni Dieu, ni Religion, ni morale.

Mais il est proclamé par tous les peuples civilisés, à quelque Religion qu'ils appartiennent.

Et pour vous, chers diocésains, nourris depuis votre enfance des vérités les plus substantielles de la vraie foi, les notions même élémentaires de cette foi le rendent évident.

Car, premièrement, pourquoi, parents, Dieu vous a-t-il donné des enfants ? Pourquoi tous, tant que nous sommes, nous trouvons-nous sur la terre ? Est-ce pour amasser des richesses, acquérir de la gloire, satisfaire les plaisirs des sens ? N'est-ce pas, avant tout, pour connaître Dieu, pour l'aimer et le servir, et mériter, par une vie chrétienne, un bonheur éternel ? N'est-ce pas là la grande, l'unique destination de l'homme, sa (page 102) grande et unique affaire en ce monde ? N'est-ce pas là ce que l'Esprit-Saint a voulu nous faire comprendre, lorsqu'il nous dit : Craignez Dieu et observez ses commandements, car c'est là tout l'homme ? (Eccl. 12.13). Si c'est là tout l'homme, celui qui néglige ce premier des devoirs, celui qui néglige d'apprendre à connaître, à aimer et à servir Dieu, cesse d'être un homme raisonnable, il manque le but de sa création, en délaissant Dieu qui est le centre de son être et de son bonheur. Quand même il posséderait en objets créés tout ce qui peut flatter les sens et satisfaire sa cupidité, intérieurement il éprouve un vide qui le trouble et lui fait dire en gémissant: Vous nous avez créés pour vous, Seigneur, et notre cœur est dans l'agitation tant qu'il ne repose pas en vous. (S. Aug. Conf. Lib. 1 cap 1.)

Or, N. T. C. F., nul ne connaît Dieu le Père, que par son divin Fils ; c'est Jésus-Christ lui-même qui le dit (Matth 11.27). Il faut donc connaître ce Fils bien-aimé ; il faut connaître sa vie, sa doctrine, ses œuvres, son Eglise, pour avoir une idée juste de Dieu et de nos rapports avec lui.

Donc pour assurer le bonheur des enfants et de la société, il faut poser comme base de toutes les autres connaissances, cette connaissance d'un seul vrai Dieu et de son envoyé Jésus-Christ, parce que de là découlent non seulement les notions précises des attributs, des œuvres et des bienfaits de la Divinité, mais encore le (page 103) sentiment du respect, de la reconnaissance, de l'amour, de la fidélité et de toutes les autres vertus dont nos cœurs doivent être remplis à son égard, et dont nos actions doivent être l'expression. L'ordre, la paix, le bonheur de l'homme, la vie de son âme et toute la vie éternelle sont là: Hæc est vita æterna, ut cognoscant te, solum Deum verum, et quem misisti Jesum Christum (Joan 17.3).

Si l'enfant, si le jeune homme n'apprend pas cette première de toutes les sciences, à quoi lui serviront toutes les autres ? A quoi sert-il à l'homme de gagner l'univers entier, s'il vient à perdre son âme, à perdre la vie éternelle ?

Ne mît-on que de la tiédeur, que de la négligence à inculquer à l'enfant ces connaissances essentielles, encore cette insouciance peut-elle avoir pour lui les suites les plus funestes ; car une demi-connaissance de la Religion et de la morale de l'Evangile ne lui suffira pas pour se frayer une voie droite à travers les écueils dont la mère orageuse du monde est semée ; il s'en fera donc une qui ne sera pas droite. Or, il est écrit: Le jeune homme suit sa première voie ; il ne s'en écartera pas même dans la vieillesse (Prov. 22.6). Ainsi vous compromettez aussi son bonheur, en ne lui donnant de la Religion et de la morale que des idées superficielles.

Mais il est un deuxième motif qui complète la démonstration de cette vérité.

La vaine philosophie a dit: L'homme naît bon et (page 104) vertueux, et c'est là-dessus qu'elle a élevé tout son édifice d'instruction et d'éducation.

La Religion dit : L'homme naît coupable et gâté ; et c'est son point de départ à elle pour régler et diriger toute l'éducation de l'homme depuis sa plus tendre enfance.

Le péché originel, dogme fondamental de la Religion, et fait primitif qui seul explique l'homme et le mélange de grandeur et de bassesse qui étonne en lui, comme seul il donne la clef de l'histoire du genre humain ; ce premier péché, dans lequel nous avons été conçus (Ps. 50) et qui infecte toute la race humaine, a causé dans l'âme et dans le corps d'affreux ravages. Le baptême ne les répare pas entièrement. L'entendement demeure enveloppé de ténèbres, la volonté inclinée à la rébellion, et la chair se révolte contre l'esprit (Gal. 5.17). Les sens de l'homme sont portés au mal depuis sa jeunesse (Gen. 8.21). Ajoutez à l'action puissante de ces sens rebelles, l'action du démon qui s'occupe à tenter les hommes, et l'action non moins séduisante des mauvais exemples, et dites s'il résistera, le jeune homme qui ne connaît à fond ni Dieu, ni ses devoirs envers lui, ni Jésus-Christ, ni les moyens institués par lui pour guérir, fortifier et sauver nos âmes, ni les récompenses promises à ceux qui remportent la victoire, ni les châtiments réservés aux lâches et aux traîtres. Non, il ne résistera pas ; à moins d'un secours extraordinaire de la grâce, il se laissera aller à ses (page 105) passions, et ainsi abandonné à lui-même, que deviendra)t-il ? Ce que devient un coursier qui a pris le mors aux dents, dit l'Ecriture; indomptable, il se jettera dans l'abime (Eccl. 3e. 8).

Que si la Religion est la base nécessaire de l'éducation, l'étude de la Religion doit être la première et principale étude, et toutes les autres branches d'étude doivent être coordonnées avec elle ; aucune ne peut être en opposition avec la Religion, d'où résulte l'unité et la conformité de doctrine, qui ne nuit jamais au progrès des connaissances humaines, mais qui prévient les écarts de l'esprit humain et l'abus de la science.

Après avoir établi rapidement le principe, nous nous hâtons d'arriver aux conséquences.

Deuxième partie

C’est d’abord avec vous, chers parents, que nous voulons raisonner, sur les obligations déduites de ce grand principe, que l'éducation de vos enfants doit être avant tout morale et religieuse. Nous commençons par vous considérer dans l'intérieur de vos familles ; puis dans une troisième partie, nous vous suivrons avec vos enfants dans les écoles.

Vous voici donc en famille, entourés de ces objets de votre tendresse, à qui vous avez donné le jour, prodigué tant de soins et de caresses, sur qui vous veillez avec tant de soucis et d'inquiétude, sur qui vous fondez tant (page 106) d'espérances pour l'avenir ; dites-nous, si vous êtes chrétiens, quelle pensée doit vous animer, doit dominer toutes vos autres pensées ?

La voici Dieu nous a donné ces enfants, pour que nous les lui rendions ; nous avons été, dans l'ordre de la nature, les instruments de Dieu pour leur donner la vie, afin que dans l'ordre de la Religion, nous leur procurions par une éducation chrétienne, la vie éternelle. Dépositaires des âmes innocentes de nos enfants, nous sommes tenus à ce second et laborieux enfantement dont parle l'Apôtre, et qui doit se prolonger jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé dans leurs cœurs (Ad Gal., 4). Voilà le premier et le plus sacré de nos devoirs.

Vous avez raison, pères et mères, et c'est en même temps le plus rigoureux et le plus redoutable, car vous répondrez de vos enfants sur votre tête. Si par votre négligence ce précieux dépôt vous échappe, vous en rendrez un compte sévère ; si surtout, faute de soins, d'instruction, de surveillance et de bons exemples, vos enfants perdent le trésor de leur innocence, et vont se précipiter successivement dans le gouffre des vices et de l'enfer, leur sang criera vengeance contre vous au tribunal du souverain Juge. Déjà la perte d'un jeune homme majeur et maître de lui-même pourra être imputée aux parents, dit S. Jérôme ; que sera-ce de celle du faible innocent ? Si perfecta ætas et sui juris imputatur parentibus, quantò magis lactens et fragilis ? (Ep 19. S. Hier. ad Lætam).

(page 107) Aussi portez toute votre attention sur ce premier âge, où les impressions sont si vives et exercent si souvent sur le reste de la vie une influence presque décisive. Vous souvenant que les prémices de toutes choses sont dues au Seigneur, consacrez-lui les premières pensées et les premières paroles de votre enfant. Dès qu'il devient possible d'exercer son intelligence et sa mémoire, dirigez-les vers la connaissance de la loi chrétienne. Apprenez-lui les premières vérités du catéchisme ; parlez-lui des faits principaux consignés dans les Livres saints.

N'imitez pas ces parents insensés qui se hâtent de charger l'imagination et la mémoire des enfants de connaissances stériles ou dangereuses, et souvent même les épuisent par des études prématurées, exigeant qu'ils apprennent par cœur des contes et des fables, tandis qu'ils leur laissent ignorer cette divine science, sans laquelle toute la sagesse humaine n'est qu'erreur et vanité ! Quel désordre ! Quelle inconséquence !

Suivez donc, pères et mères, une marche tout opposée, et pour bien établir dans le cœur de votre enfant le fondement de son bonheur, mettez-lui sans cesse sous les yeux J.-C. auteur et consommateur de notre foi, qui s'étant fait enfant, croissait en sagesse devant Dieu et devant les hommes. Tout ce que vous dites, tout ce que vous faites devant votre enfant, rapportez-le à J.-C. centre de toute la Religion, mais en choisissant parmi les discours et les actions de l'Homme-Dieu, ce qui est le plus à la portée de l'enfant, le plus accessible à son imitation. S'il ressent quelque mouvement (page 108) d'indocilité contre les ordres qu'il reçoit, qu'il s'accoutume à voir J.-C., le maître des rois et de la nature, humblement soumis à ses parents. - S'il s'impatiente de souffrir quelqu'incommodité, rappelez-lui l'étable et la crèche de Betlehem, la fuite en Egypte, la faim, la lassitude que le Sauveur endura souvent dans l'exercice de son ministère, et la croix sur laquelle il mourut. - S'il montre de l'indifférence, de la dureté pour les pauvres, peignez-lui la bonté avec laquelle le Sauveur accueillait tous les malheureux, et l'empressement qu'il mettait à les soulager. - S'il ne peut se résoudre à quelque travail rebutant, apprenez-lui que J.-C. a travaillé jusqu'à trente ans dans un atelier obscur. - S'il veut être loué, estimé, il n'oubliera pas les opprobres dont le Sauveur a voulu être rassasié. - S'il ne peut s'accorder avec ceux qui l'environnent, il considérera J.-C., conversant avec les pécheurs et avec des adversaires hypocrites et de mauvaise foi. - S'il témoigne quelque ressentiment, il ne quittera pas le pied de la croix où J.-C. meurt en pardonnant à ses bourreaux, sans s'estimer heureux d'avoir à pardonner aussi. - S'il se laisse emporter à une joie immodérée, il se souviendra de la douceur et de la modestie de J.-C., dont toute la vie a été si grave et si sérieuse. Il se retracera souvent à lui-même ce que J.-C. penserait, ce qu'il dirait de nos conversations, de nos amusements, de nos occupations les plus sérieuses, s'il était encore visible au milieu de nous.

Cette excellente méthode qui est de S. Jérôme, fait de (page 109) l'Evangile un code pratique de vertus ; l'enfant s'instruit et acquiert en même temps toutes les qualités du cœur qui doivent le rendre agréable à Dieu et aux hommes ; il laisse en peu de temps loin derrière lui les plus beaux raisonneurs ; et non seulement ses idées sur la morale sont plus saines, plus justes, plus élevées, plus fixes ; mais il sait de plus comment il doit les réduire en actes.

Ceci devient surtout vrai, chers parents, lorsque par vos exemples vous facilitez à vos enfants cette pratique de la Religion ; lorsqu'entourés d'eux vous présidez à la prière commune ou à une pieuse lecture ; lorsque vous agenouillant avec eux devant la croix de J.-C., vous leur apprenez à renoncer au péché qui l'y a fait mourir et à protester de leur amour envers celui qui nous a tant aimés le premier ; lorsque avec eux, vous adorez ce Dieu Sauveur, vous le remerciez, vous le priez, de vous combler tous ensemble de ses grâces, pour éviter tout péché et persévérer dans la justice ; lorsqu'après quelque faute commise par votre enfant, vous lui apprenez à s'en repentir devant Dieu, et à se préparer au sacrement de la réconciliation, et ainsi du reste.

C'est en prenant en parents chrétiens ces tendres soins de l'âme de votre enfant, que vous aurez aussi des enfants chrétiens, c’est-à-dire des enfants dociles, des enfants réglés, vertueux, respectueux, appliqués à leurs devoirs, pleins de zèle à s'instruire, à vous aider, à vous seconder en tout, qui feront en un mot votre joie et votre consolation.

Il est bien entendu que pour que votre action sur la (page 110) première éducation de vos enfants obtienne ce plein succès, elle devra être complétée et perfectionnée par le clergé dans un cours d'instructions familières, appelées catéchismes, où se mettant tout à fait à la portée des enfants, il leur montre et leur fasse en quelque sorte toucher du doigt, dans l'histoire même de notre sainte Religion, et les principaux mystères qu'elle enseigne, et les plus sublimes règles de morale qu'elle prescrit, et les grands exemples de vertu qu'elle offre, et les faits admirables qui lui servent de preuve et d'appui. Tout pasteur zélé, obligé solidairement avec les parents, de répondre des enfants qui lui sont confiés, comprendra que pour opérer dans ces âmes des convictions profondes, qui tiennent pendant le temps orageux de la jeunesse contre la force des passions et les attaques des ennemis extérieurs, il faut autre chose que la lettre du catéchisme. Non, la Religion n'est pas simplement un objet de mémoire ; elle est encore, elle est surtout un objet d'étude et d'étude sérieuse et consciencieuse ; il faut la faire pénétrer dans l'âme, dans le cœur des enfants, et l'on peut dire que l'on a presqu'entièrement perdu ses peines, lorsqu'on n'a pas réussi à réduire la connaissance de la Religion en sentiment, et la pratique en habitude.

Les parents et les curés nous diront peut-être qu'à leur tour ils se croient généralement incapables d'obtenir de si heureux résultats, à moins d'être secondés par de bonnes écoles. L'observation nous paraît fondée. Nous considérons les bonnes écoles comme un besoin, nous désirons qu'il s'en établisse partout, et nous allons (page 111) d'après les principes posés dans la première partie, donner quelques indications pour faciliter aux parents le choix de celles qui méritent leur confiance.

Troisième partie

Nous avons vu qu'il n'y a point d'instruction sans éducation, et point de bonne éducation sans Religion, d'où il suit, que l'instruction, l'éducation et la Religion ont entr'elles un lien tellement nécessaire, que les séparer, c'est les détruire.

L'éducation n'est pas l'instruction ni même tout à fait l'enseignement ; l'éducation est la pensée qui préside à l'instruction, et qui dirige, qui vivifie l'enseignement (Laurentie).

Si cette éducation n'est pas chrétienne, c'en est fait des fruits réels de l'instruction, même la mieux entendue, et de l'enseignement le plus habile. Vous pourrez bien alors former dans les écoles quelques enfants sachant parfaitement lire, écrire, calculer, mais vous n'aurez pas en général des enfants sages, dociles, probes, réglés. Vous pourrez former dans les collèges quelques jeunes gens, habiles mathématiciens ou bons philologues et littérateurs ; mais vous ne formerez pas en général des jeunes gens vertueux, respectant les mœurs et la Religion et se respectant eux-mêmes ; la plupart deviendront la désolation de leurs parents et l'opprobre de leurs familles ; et la corruption de leurs mœurs sera le premier obstacle aux succès de leur éducation.

(page 112) L'instruction sans une éducation chrétienne, est donc un mauvais arbre qui ne peut produire que des fruits amers.

D'où nous concluons que la pensée dominante de l'instituteur doit être religieuse ; et que la branche principale d'enseignement dans son école soit primaire soit moyenne, celle qui doit servir de base et de direction à toutes les autres, celle avec laquelle toutes les autres doivent être coordonnées, c'est la Religion, et par conséquent la Religion catholique, sans réticence d'aucun de ses dogmes, d'aucun de ses préceptes de morale, d'aucun de ses conseils, d'aucune de ses pratiques.

Donc, dirons-nous aux parents, en leur traçant leurs devoirs de chrétiens dans le choix des écoles auxquelles ils veulent confier leurs enfants, donc toute école, toute institution, dont l'enseignement religieux est banni, est une mauvaise école, une école où des parents catholiques ne peuvent pas mettre leurs enfants.

Donc toute école, toute institution, où l'on se bornerait uniquement, et comme pour la forme, à donner une ou deux leçons de catéchisme par semaine, sans rien faire de plus pour l'enseignement moral et religieux, est encore une école peu digne de votre confiance. Pourquoi ? parce que la Religion n'y est pas la base de l'éducation ; elle n'y est admise que comme un simple accessoire. Or il est absolument impossible, en si peu de moments et en isolant tout le reste du temps la Religion de l'action de l'instituteur, et de produire sur l'esprit et le cœur de l'enfant, des impressions morales et (page 113) religieuses assez profondes, pour qu'elles lui demeurent la vie entière, au milieu des assauts que sa vertu, sa probité, et son respect pour la Religion auront à soutenir.

Non, une école ne peut être bonne, que pour autant que la Religion est l'âme et le fond de toute l'éducation qu'on y donne.

Les instituteurs et les institutrices doivent sans cesse en inculquer l'estime et l'amour par leurs paroles et plus encore par leurs exemples, par leur piété et leur exactitude à remplir tous leurs devoirs. Il faut que d'accord avec les ministres de la Religion, ils emploient tous les jours quelques moments opportuns, pour expliquer ce qui, dans la Religion, dans son histoire, est propre à éclairer l'esprit et à former le cœur. Il faut qu'ils apprennent aux enfants à penser et à agir en chrétiens, qu'ils mêlent la Religion aux conseils, aux avis, aux leçons de tous les jours. Il faut donc que les ministres de la Religion aient de l'action, et une action positive sur les instituteurs en tout ce qui concerne l'enseignement moral et religieux, et la direction de l'éducation chrétienne ; car c'est à eux que l'enseignement de la morale et de la Religion appartient ; c'est à eux, comme aux parents que l'Apôtre a dit : Educate eos in disciplina et correptione Domini (Ad. Eph. 6. V. 4.) Elevez-les dans la sainte loi et dans la crainte du Seigneur.

C'est alors que la Religion sera, non pas une partie accessoire, une partie tolérée de l'instruction, mais ce (page 114) qu'elle doit être, la partie essentielle, la partie fondamentale, en un mot la base de tout le système d'éducation : elle sera, selon le vœu d'un philosophe, dont l'opinion ne peut être suspecte d'exagération en matière religieuse, elle sera toujours la première leçon, et la leçon de tous les jours.

Après vous avoir ainsi mis en état de bien choisir l'établissement auquel vous voulez confier votre enfant, que nous reste-t-il, chers parents, à vous recommander ? Ah ! c'est de ne pas trop abréger le temps de l'instruction ! Il est déplorable de voir dans les villes les travaux de l'industrie, et dans les campagnes la garde des animaux tuer l'école. Sans doute l'extrême pauvreté peut ici excuser quelques parents ; mais le nombre de ceux qu'une cupidité cruelle et un faux calcul aveuglent, est infiniment plus considérable. Pourquoi, pour un misérable gain de quelques centimes condamner à l'ignorance et quelquefois à un dur esclavage des enfants en bas âge, qui à peine connaissent les premiers éléments de la Religion, et ne savent ni bien lire, ni écrire ? Cette déplorable ignorance, lorsqu'elle se joint dans les campagnes à l'oisiveté et au désœuvrement, et dans les ateliers des villes au contact avec des jeunes gens déjà vicieux, n'est-elle pas, d'ailleurs, la première cause trop ordinaire d'une corruption prématurée ? Encore une fois, quel malheur et quel crime de perdre des âmes innocentes pour un peu d'argent ! Cet argent ne tourne même pas toujours au bonheur matériel des familles ; dans les villes surtout, combien de fois ne devient-il pas un aliment à la débauche ?

(page 115) Et quand on supposerait qu'avec des méthodes perfectionnées l'on réussit à apprendre aux enfants à bien lire et à bien écrire en moins de deux ans, ne serait-ce pas toujours méconnaître les premières conditions d'une bonne éducation, que de les lancer aussitôt, pour cette raison, dans les travaux manuels, qui coupent court à toute instruction morale et religieuse ? Encore une fois ne serait-ce pas sacrifier l'essentiel à l'accessoire, l'âme au corps, l'éternité au temps qui passe et s'envole ? Un homme qui est ici d'une autorité tout à fait irrécusable, a dit qu'une instruction sans morale pourrait n'être qu'un éveil à de nouveaux besoins, PLUS DANGEREUX PEUT-ÊTRE que l'ignorance MÊME. Or, la morale et la Religion ne s'enseignent pas en deux ans, de manière à jeter dans l'âme de profondes racines, capables de porter des fruits pendant toute la durée de la vie. La Religion et la morale s'enseignent autant et plus par l'exemple que par les leçons ; il faut donc de bons exemples pendant tout le temps de l'enfance qui assurément n'est pas circonscrite dans l'espace de deux ans.

Concluons de là : qu'il serait infiniment à souhaiter que dans les villes comme dans les villages l'on avisât au moyen de faire jouir les enfants du bienfait de l'instruction pendant un laps de temps assez long, pour que les bonnes impressions fussent aussi durables que l'instruction serait solide. Nous pensons qu'en définitive tout le monde y gagnerait. D'abord les enfants, que la bonne éducation rendrait moraux, religieux, instruits et probes, et mettrait ainsi en voie de devenir (page 116) solidement heureux ; ensuite l'industriel comme l'artisan, le maître comme le serviteur, le propriétaire comme l'ouvrier des champs, parce que tout le monde a intérêt à trouver dans la classe ouvrière des mœurs, de la probité, de la vertu, de la retenue. L'on peut même prédire que le jour où l'absence d'éducation aurait ruiné la moralité de cette classe, la société et les familles se verraient exposées à des maux incalculables. N'oublions pas que d'après la grande leçon déjà donnée par l'expérience, les mœurs d'un peuple qu'on instruit sans Religion tournent en peu de temps à la barbarie ; parce que ce peuple ne sentant plus que des besoins, des appétits et des passions sans frein, devient nécessairement inquiet, immoral, cupide, ambitieux et féroce.

Nous indiquerons encore ici un excellent moyen de suppléer à l'école, lorsque les circonstances n'ont pas permis aux enfants de la fréquenter un temps convenable, c'est l'institution des écoles dominicales. Nous supplions Messieurs les Curés ainsi que les personnes notables des grandes paroisses, de faire une attention toute particulière à cette observation. Les écoles dominicales font dans plusieurs diocèses de Belgique d'immenses progrès, et on en reconnaît généralement la très grande utilité. Elles servent à donner l'instruction à une foule d'enfants qui en ont été privés, ou qui n'en ont eu qu'une très imparfaite, et à conserver dans les bons principes, à fortifier dans la vertu, et dans les connaissances utiles déjà acquises, la jeunesse (page 117) qui vient de quitter l'école. Ce moment est toujours dangereux. Mille périls de séduction attendent ces enfants, privés tout d'un coup des leçons, des conseils, des encouragements et des exemples de leur maître. C'est donc une heureuse pensée, de les recueillir les Dimanches, jours de réunions si souvent funestes à l'innocence, dans un asyle de piété et de vertu, où ils retrouvent, et sur une plus grande échelle, tout ce qui peut les raffermir dans l'attachement à leurs devoirs. Les premiers essais qu'on a faits dans notre diocèse de ces écoles dominicales, font vivement désirer qu'elles puissent s'y multiplier sur tous les points.

Terminons, N. T. C. F., par quelques avis à l'appui de la grande vérité que nous avons tâché de vous inculquer aujourd'hui.

1° Déjà nous vous avons suffisamment rendus attentifs sur le choix du maître à qui vous confiez tout ce que vous avez de plus cher au monde. Que ce soit un homme capable de soutenir dignement le poids de l'autorité de père et de la sollicitude maternelle ; un homme qui comprenne et qui apprécie la haute mission de travailler au bonheur de l'enfant, de la famille, de la société ; un homme désintéressé, qui voie dans l'éducation non une proie jetée à l'ambition et à la cupidité, mais une carrière ouverte au dévouement ; et dans sa place moins des fonctions à exercer, que des devoirs à remplir ; un homme d'un âge mûr, ou en qui du moins l'instruction, l'attachement aux principes et la piété suppléent aux années, recommandable par la gravité (page 118) de ses mœurs et la solidité de la doctrine; Magister probæ ætatis et vitæ eruditionisque est eligendus (Hier. Ep. ad Laetam,). Un homme qui sache manier avec succès les trois grands ressorts de l'autorité, le ressort de la crainte, le ressort plus puissant de l'estime, et le ressort plus puissant encore de l'amour ; un homme doux et modeste qui n'ait pas la prétention de croire qu'il déroge à sa dignité et se rapetisse en se consacrant à de petits détails qui servent de fondement à d'aussi grandes choses ; un homme qui pratique ce qu'il enseigne, qui inspire l'amour de la Religion en l'aimant lui-même, le respect pour les choses saintes et pour les ministres du culte en les respectant lui-même ; un homme enfin dont les discours, les manières et les démarches soient autant de leçons de vertu.

2° Veillez avec le même soin sur le choix des compagnons avec lesquels se lieront vos enfants, et sachez que dans les jours mauvais où nous vivons, cette surveillance ne saurait être poussée trop loin ; c'est à peine si à d'autres époques on eût cru possible, ce qu'une expérience de tous les jours nous apprend être devenu très commun et ordinaire.

3° Ne souffrez pas non plus auprès de vos enfants des domestiques suspects, lesquels infectés de la corruption du siècle, leur en inspireraient bientôt les maximes, et peut-être, par un abus criminel de votre confiance et de leur position, corrompraient leur innocence.

(page 119) Veillez sur leurs récréations, sur leurs réunions, sur leurs conversations, sur leurs lectures. Interdisez-leur soigneusement cette foule d'ouvrages modernes et surtout d'histoire, qu'une philosophie anti-chrétienne a remplis de paradoxes, de citations fausses, d'insinuations perfides contre la Religion de nos pères, de faits tronqués ou présentés sous un jour faux, et consultez vos pasteurs avant de mettre entre les mains de vosS enfants des nouveautés littéraires. Interdisez-leur ces romans, ces pièces de théâtre, ces productions presque hebdomadaires d'une littérature sans pudeur, sans retenue, où les principes de la saine morale sont immolés à tel point que le paganisme aurait eu honte de les produire, où la jeunesse va nécessairement se souiller l'imagination, se pervertir l'esprit, se corrompre le cœur. Ce serait assassiner vos enfants, que de ne point leur interdire ou de ne point leur ôter des poisons aussi subtils, aussi mortels, et le jour viendrait où ces enfants perdus sans ressource, vous appliqueraient cette parole foudroyante: Patres sensimus homicidas ; Ah ! nous nous sommes sentis frappés par une main parricide.

5° Au contraire, chers parents, insinuez de toutes manières, et par vos conseils, et par vos exhortations, et par vos exemples, et par de bonnes lectures, et par vous-mêmes et par les personnes de votre maison, et insinuez de bonne heure à ces jeunes âmes, le respect pour la vertu, pour les mœurs, pour la Religion, pour les pratiques du culte; insinuez-leur une vive horreur du mensonge, de l'hypocrisie, de la (page 120) médisance, des querelles, des invectives, des jurements et de tout ce qui dégrade l'honnête homme et en fait un mauvais chrétien ; inspirez-leur le mépris de la frivolité, du luxe, des folles dépenses, de la vanité, et de tout ce qui amollit le cœur et l'ouvre à des impressions fâcheuses ; appliquez-vous à mettre de la décence dans leur maintien, de la modestie dans leur regard et dans leurs discours, de la convenance dans tous leurs mouvements ; apprenez-leur à être sévères pour eux-mêmes, indulgents pour les autres et surtout pleins de compassion pour les malheureux ; accoutumez leurs mains encore pures à rendre volontiers service, à répandre même des bienfaits, des aumônes. Enfin inculquez-leur la fidélité pour le prince, le respect pour les lois, le zèle pour la patrie, afin qu'ils deviennent d'aussi bons citoyens qu'ils seront des chrétiens exemplaires.

Voilà pour vous et pour les instituteurs de votre choix la route à suivre, si vous voulez conduire vos enfants au bonheur. Entrez-y, N. T. C. F., avec courage, et marchez-y avec persévérance, et permettez-nous de répéter en terminant ce que nous avons dit en commençant : là est votre avenir, l'avenir de vos familles, l'avenir de la Religion et de la société.

Donné à Liége, sous notre seing notre sceau et le contreseing de notre secrétaire, le 19 janvier 1839.

Corneille, Evêque de Liége.

Par Mandement, J. Beckers, secrétaire.