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« Mémoires pour servir à l’histoire contemporaine de la
Belgique », par Ch. WOESTE, tome 1
(1859-1894)
(Bruxelles, Dewit, 1927)
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CHAPITRE V - LE MINISTÈRE DE M. BEERNAERT (26 OCTOBRE
1884). LA PÉRIODE HEUREUSE ET LES PREMIÈRES DIFFICULTÉS
(Quatrième partie : Session 1889-1890 et session
extraordinaire 1890)
1. Ouverture de la session 1889-1890
(page 403) La session de 1889-1890 commença
sous de mauvais auspices et se termina dans des conditions beaucoup plus
favorables.
Au mois
d’octobre était mort l’un des députés de Gand, M. de Moerman.
Fallait-il que le parti conservateur luttât ? M. Beernaert le désirait
beaucoup. Après l’échec de M. de Becker à Bruxelles, un second échec à Gand
souriait peu. Les catholiques de Gand résistaient. Une réunion eut lieu chez M.
de Lantsheere, à laquelle assistaient, indépendamment
des Gantois, trois ministres, MM. Beernaert, de Volder et de Bruyn, ainsi que
moi. Là les Gantois exposèrent les motifs de leur refus de (page 404) lutter ; ceux-ci étaient
décisifs ; M. Beernaert dut bien y avoir égard, mais il ne dissimula pas son
déplaisir c’est ainsi que M. Lippens fut élu.
Peu de
temps après, Pourbaix fut renvoyé devant les assises
de Mons. On chercha à provoquer un grand tapage autour de cette nouvelle
affaire ; mais on ne réussit guère. M. Janson fit entendre son tonnerre ; il
produisit peu d’effet ; son but était, en faisant condamner Pourbaix,
d’atteindre le gouvernement. Il fut déçu. Le jury acquitta Pourbaix,
du chef de provocation, et ne le condamna que du chef de complicité de recel de
dynamite. Ce résultat inattendu fut une déconvenue pour la coalition radico-libérale, améliora la position du Cabinet et lui
permit de destituer M. Gautier. Il avait été établi que M. Gautier n’avait pas
rempli scrupuleusement son devoir et qu’il ne s’était pas conformé aux ordres
reçus. Beaucoup de libéraux renoncèrent à le défendre ; on essaya bien une
interpellation, à la rentrée des Chambres, mais elle fit long feu, et le
gouvernement retira de cette révocation les avantages qui s’attachent à tout
acte de force de la part du pouvoir. On ne peut méconnaître cependant que ces
débats multipliés eurent des conséquences durables : la réconciliation des
libéraux et des radicaux à Bruxelles ; l’affaiblissement du crédit dont
jouissait M. Beernaert dans certaines régions libérales, et enfin la difficulté
pour nous de prendre immédiatement une position nette et franche dans la question
électorale.
2. La question électorale (I) (session 1889-1890)
Nous nous
réunîmes, M. Beernaert, M. de Volder et quelques membres de la droite, pour
discuter ce qu’il convenait de faire à ce dernier point de vue. M. de Lantsheere avait d’abord été d’avis qu’il fallait mettre (page 405) dès le mois de janvier la loi
en discussion. M. de Smet de Naeyer insistait dans le
même sens au point de vue des élections de Gand ; on pouvait invoquer aussi, à
l’appui de ce sentiment, l’utilité qu’il y avait à ne pas laisser les élections
provinciales et communales se faire au moyen d’éléments que l’on se proposait
d’exclure du corps électoral. Mais je démontrai que la loi, fût-elle votée au
cours de la session, ne pourrait être appliquée à ces élections ; qu’elle comportait,
en effet, une révision minutieuse des listes et que celle-ci devait suivre la
filière ordinaire. Il n’y avait rien à répondre à cette démonstration. M.
Beernaert cependant proposa encore de faire porter les élections du mois de
juin sur la question des capacitaires et, si elles réussissaient, de demander
le vote de la loi dans une session extraordinaire. Je lui répondis que c’était
un jeu trop dangereux. Il n’insista pas.
Cependant,
nous ne pouvions pas laisser croire que nous abandonnions le projet, d’autant
moins que telle n’était nullement notre intention. Nous décidâmes donc que les
sections seraient réunies. Les libéraux y vinrent en masse et là, ils prirent
une attitude aussi déterminée que les radicaux. Les cinq premières sections
devaient nommer des rapporteurs catholiques. Dans la sixième, dont je faisais
partie avec MM. Beernaert, Sainctelette et Janson, je
proposai de nommer un rapporteur de la gauche. MM. de Macar
et Sainctelette mirent en avant le nom de M. Janson.
J’objectai que, sur la question électorale, il ne représentait pas
l’opposition. « Ici bien ! » dit vivement M. Sainctelette,
et il insista pour que M. Janson fût nommé. Je répliquai (page 406) que, du moment où M. Janson commandait les troupes
libérales, nous n’avions plus qu’à nous incliner. Quelques jours après, comme
pour expliquer son attitude, M. Sainctelette me dit
qu’il était suspect de modération à gauche.
3. L’affaire Nieter (I)
(session 1889-1890)
On en était
là lorsque parurent en France certains documents relatifs aux grèves de 1886,
documents qui avaient dû être soustraits dans les ministères. Déjà
précédemment, des documents diplomatiques (Il s’agit
principalement du mémoire de M. Banning exposant les
dangers extérieurs qui, dans la pensée de l’auteur, menaçaient l’indépendance
de la Belgique. (W.)) avaient
été détournés et communiqués à la presse étrangère. Le ministère fut d’emblée
convaincu que l’auteur de ces soustractions était un ancien reporter du Journal de Bruxelles du nom de Nieter ; il avait été attaché à son Cabinet par M. Jacobs ;
il était resté le secrétaire de M. Thonissen, puis de
M. de Volder, et chargé spécialement des affaires d’enseignement ; il venait
d’échanger cette position contre celle d’inspecteur des beaux-arts ; il dirigeait,
de plus, une sorte de bureau marron de la presse au département des Affaires
étrangères, et il possédait toute la confiance du prince de Chimay. Je ne crus
pas d’abord à sa culpabilité. Pendant quatre ans, il nous avait rendu, au point
de vue de l’exécution de la loi sur l’enseignement primaire, les services les
plus constants et les plus signalés. Je le savais très répandu dans le monde
politique libéral, mais il me paraissait si dévoué à nos personnes que ces
relations n’avaient éveillé en moi aucun soupçon ; d’ailleurs il me rapportait
souvent avec tant d’empressement ses conversations (page 407) avec les libéraux, que je devais le croire sincère.
Toujours est-il qu’une instruction fut ouverte contre lui ; que M. de Volder le
suspendit de ses fonctions ; que, pour éviter, disait-il, un emprisonnement
préventif (auquel la justice, a-t-on affirmé, ne songeait pas), il partit pour
Paris, déclarant qu’il reviendrait lorsque l’instruction serait terminée, et
qu’il chargea ostensiblement M. Janson de sa défense dans une lettre où il
l’appelait : « Mon cher Maître. »
4. La loi sur l’enseignement supérieur (session
1889-1890)
Pendant que
tout ceci piquait l’attention, la Chambre avait abordé la discussion de la loi
sur l’enseignement supérieur ; elle la prolongea pendant de longues séances,
Cette loi mit en rumeur tout le corps universitaire et provoqua, avec un nombre
considérable d’écrits, les avis les plus contradictoires. Je ne puis m’étendre
ici sur les questions de programme et de durée des études, qui furent cependant
très chaudement débattues. En réalité, trois questions de principe, auxquelles
deux autres vinrent bientôt se mêler, dominèrent le débat : 1° Fallait-il
rétablir l’examen de gradué en lettres ? 2° Convenait-il d’instituer des
examens professionnels ? 3° Les universités libres devaient-elles recevoir le
droit de conférer des diplômes d’ingénieur ?
M. de
Volder avait paru d’abord incliner vers le rétablissement du graduat. Je me
prononçai en sens contraire ; et la majorité de mes amis prit la même attitude
; le gouvernement finit par se rallier à cette manière de voir. Tout annonçait
donc que la solution ne souffrirait pas de difficultés sérieuses, lorsque MM. Cartuyvels et de Smet de Naeyer,
soutenus au dehors même par quelques professeurs catholiques, MM, Mansion et de
Ceuleneer, (page
408) entre autres, demandèrent le rétablissement du graduat avec une ardeur
peu commune. Ils échouèrent par une majorité de huit voix ; mais le combat
resta longtemps incertain. Quant à l’examen professionnel, nous étions unanimes
à le repousser. Nous étions, de même, d’accord pour établir l’égalité au point
de vue des études d’ingénieur entre les quatre universités. M. Beernaert avait,
il est vrai, en 1876, émis à cet égard une opinion contraire ; il l’avait
longtemps maintenue ; finalement il avait renoncé à son opposition ; seulement,
les souvenirs qu’évoquait son attitude ancienne et dont on ne manqua pas
d’argumenter le déterminèrent, je pense, à se tenir complètement à l’écart de
la discussion.
On agita
bientôt deux autres points : Devait-on organiser le doctorat en philosophie, de
manière à y former les professeurs d’enseignement moyen et à rendre inutiles
les écoles normales d’humanités et de sciences de Liége et de Gand ?
Convenait-il d’instituer pour les établissements d’enseignement supérieur
libres, autres que les deux grandes universités, des jurys spéciaux où les
professeurs de chacun d’eux figureraient par moitié ? Sur le premier point, le
gouvernement se rallia, après quelques négociations, à l’affirmative : c’était
une grande conquête pour la liberté d’enseignement. Sur le second point, nous
prîmes, M. Mélot et moi, l’initiative d’un amendement
qui avait pour lui la justice ; cependant, des professeurs de Louvain le
combattirent avec énergie ; ils rencontrèrent quelque écho dans la droite ;
mais, après bien des péripéties, l’amendement passa.
Nous fûmes
ainsi dotés d’une loi sur l’enseignement supérieur qui, tout en introduisant
des réformes heureuses, avait notablement agrandi le domaine de la liberté
d’enseignement.
La session
fut abordée par l’examen de cette loi et la discussion des budgets.
Je ne veux
signaler, à ce dernier point de vue, que trois débats intéressants.
A
l’occasion du budget de la Guerre, M. d’Oultremont
demanda la nomination d’une commission mixte chargée d’examiner les questions
relatives au recrutement de l’armée. Malheureusement pour lui, il ne possédait
pas assez les secrets de la tactique parlementaire pour présenter cette
proposition dans des conditions de succès. Il dut plusieurs fois modifier ses
batteries, et finalement sa demande fut rejetée par le gouvernement et toute la
droite, y compris les militaristes. Il avait ainsi opéré la concentration de
toutes nos forces contre lui. Il en fut vivement contrarié et ne parla plus que
de se retirer.
Le budget
des Travaux publics donna lieu à de nouvelles instances en faveur de Bruges
port de mer. Mes collègues de cet arrondissement me prièrent d’intervenir en
leur faveur, ce que j’avais déjà fait une première fois. Je m’y décidai. Le
député d’Ostende, M. Carbon, me demanda de m’abstenir
; je ne cédai pas à ses sollicitations. Il me paraissait qu’on pouvait voter
aussi en faveur d’Ostende les crédits nécessaires à l’amélioration de son port.
Je pense que mon intervention ne fut pas inutile ; peu de temps après, Bruges
obtint gain de cause auprès du gouvernement.
Enfin le
budget de la justice suscita des échanges de vues importants sur le régime
pénitentiaire et les dépôts (page 410)
de mendicité. M. Lejeune avait, à plusieurs reprises, esquissé sur ces
problèmes difficiles des vues erronées. Il convenait de ne pas les laisser
prendre corps, et, en le pressant, je parvins à lui faire reconnaître que le
système cellulaire devait conserver sa prépondérance dans le pays.
5. L’affaire Nieter (II)
(session 1889-1890)
Lors du
même budget, une discussion politique fut engagée par M. Bara, puis soutenue
par MM. Janson et Frère, unis pour faire campagne contre nous. Cette discussion
porta d’abord sur les questions de principe ; ensuite, elle se concentra sur
l’incident Nieter. Celui-ci, après avoir quitté le
pays et avoir fait le mort pendant quelque temps, était rentré bruyamment en
scène, réclamant une solution judiciaire, se soumettant à des interrogatoires
et produisant certaines pièces qu’il devait à la confiance que le prince de
Chimay lui avait témoignée et qui émanaient, soit du prince lui-même, soit de
son entourage. Ce procédé souleva généralement le dégoût. Cependant, les
orateurs de l’opposition s’armèrent de ces révélations ; ils en firent état à
la tribune et provoquèrent le gouvernement à s’expliquer. Le prince de Chimay
se défendit mal ; à partir de ce moment, beaucoup pensèrent que sa retraite
était inévitable ; tel était aussi l’avis de M. Beernaert. Celui-ci eût désiré
lui donner un successeur, mais, tout compte fait, on préféra conserver dans le
gouvernement un ministre qui, sans briller dans les discussions parlementaires,
jouissait d’une grande situation sociale.
L’opposition
mena grand bruit, dans la Chambre et dans la presse, au sujet de l’affaire Nieter, et elle ne se fit pas faute de réveiller l’affaire Pourbaix. Le but était (page 411) d’impressionner le corps électoral. Elle croyait à une
victoire prochaine, notamment à Gand ; elle se flattait que le pays éprouvait
pour le gouvernement le dégoût factice qu’elle affichait, et elle estimait, par
suite, qu’il était de bonne guerre de fortifier de telles dispositions. En
cela, elle se trompait. Les accusations étaient si exagérées, si odieuses,
qu’elles étaient demeurées sans prise sur l’opinion. Il semble, du reste, que
les élections partielles qui avaient eu lieu depuis six mois auraient dû
l’éclairer. Successivement des sièges étaient devenus vacants à Dinant, à Namur et à Louvain. Le parti libéral avait cru y
triompher ; il présenta partout des candidatures ; il organisa des campagnes
oratoires ; il commit la faute grave de les laisser conduire par les radicaux ;
il échoua par trois fois. Ces échecs se retournèrent contre lui et vinrent très
opportunément établir que le revirement attribué au pays n’existait pas. Dès
lors, les catholiques se préparèrent avec un zèle plus marqué à la prochaine
lutte électorale ; mais les libéraux conservèrent leur confiance ; les
avertissements, si éloquents qu’ils fussent, étaient restés pour eux sans
signification.
6. Le prêt en faveur de l’Etat indépendant du Congo
(session 1889-1890)
Pendant que
ces événements se déroulaient devant le public, M. Beernaert s’occupait de la
solution de la question du Congo. Celle-ci faisait l’objet des constantes
préoccupations du Roi. Il m’en avait entretenu plusieurs fois dans le courant
de l’hiver et je n’avais pas hésité à me montrer favorable à ses vues ;
j’apercevais là un grand intérêt de civilisation, et je me serais reproché de
ne pas aider au succès d’une oeuvre destinée à
favoriser les progrès de l’Évangile. Le Roi ne pouvait plus faire (page 412) face à lui seul aux charges
du Congo. On a cru et dit qu’il avait sacrifié dans cette entreprise toute sa
fortune personnelle. On s’est trompé ; au printemps de 1890, cette fortune
était intacte ou peu s’en faut ; elle se composait de 17 millions environ ;
mais il en avait fait le trésor du Congo, et les intérêts de ces millions
formaient l’élément le plus important des recettes du jeune État ; en joignant
à cet élément le produit des impôts, soit 500,000 francs à peu près, on
arrivait à un total de 1 million à 1 million 200,000 francs pour des dépenses
se chiffrant déjà à 3,500,000 francs et ne pouvant qu’augmenter. Il était donc
urgent d’aviser.
J’avais
démontré au Roi que le premier emprunt du Congo avait été émis dans des
conditions telles, qu’il devait échouer ; il avait été conçu, lui avais-je dit,
dans la pensée que le public, sur lequel il comptait, n’était formé que de
millionnaires. Le Roi avait été frappé de ces réflexions et m’avait dit qu’il
chercherait autre chose. Il avait fini, de concert avec des banquiers, par
trouver une combinaison assez compliquée, portant sur 150 millions ; mais ne
devant lui apporter, comme bénéfice, que 20 millions. M. Beernaert n’était pas
hostile à cette combinaison ; elle fut soumise à quelques membres de la droite,
MM. Nothomb, Jacobs, de Lantsheere, de Moreau, Van Cleemputte et moi ; nous l’agréâmes en principe ; mais M.
Van Cleemputte et, avec lui, les Gantois, consultés à
ma demande, posèrent comme condition de leur adhésion que tout fût ajourné
jusqu’après les élections. Leur voeu fut transmis au
Roi, qui se résigna. Mais, dans l’entre-temps, des indiscrétions avaient été
commises, et la combinaison, connue du (page
413) publics fut vivement attaquée : elle devait entraîner pour les
banquiers des bénéfices assez considérables ; et, non sans raison, l’opinion en
fut offusquée. A ce moment, il n’était pas encore question entre la Belgique et
l’État du Congo d’une convention impliquant une annexion future : il s’agissait
d’une pure opération financière. L’opération projetée succomba donc devant la
réprobation qu’elle avait suscitée ; M. Beernaert n’insista plus pour qu’elle
fût acceptée ; mais au moins fallait-il, avant les élections, tomber d’accord
sur autre chose. Sept ou huit membres de la droite furent consultés ; nous
agitâmes le point de savoir si on ferait au Roi un don ou un prêt de 25
millions. M. de Lantsheere se prononça pour le don ;
moi, pour le prêt ; celui-ci prévalut, et, le Roi fut informé de notre
décision. Après les élections on devait faire un pas de plus et, prenant acte
de cette générosité, lier le sort de l’État du Congo à la Belgique.
7. Les catholiques sortent encore renforcés des
élections de 1890
Vers le
même temps, les actionnaires du Journal
de Bruxelles eurent de nouveau à examiner sa situation. En 1888, les
bénéfices avaient encore été de 29,000 francs. A l’assemblée générale du mois
de mai 1890, la gérance fit connaître qu’ils étaient tombés en 1889 à 14 mille
francs, et que, pour 1890, il y avait, rien qu’en ce qui concerne les
abonnements pris à la poste, une nouvelle chute de 18,000 francs. C’était donc
le déficit assuré pour l’exercice 1890. Je formulai, dans le procès-verbal, les
observations que cet état de choses me suggérait ; je réclamais des mesures
énergiques, et je dis que la responsabilité du comité de surveillance y était
engagée. Celui-ci commençait à le comprendre ; mais on (page 414) décida d’ajourner toute résolution jusqu’après les
élections.
Celles-ci,
en effet, commençaient à absorber l’attention des deux partis. La
vingt-deuxième session de la Fédération des cercles catholiques et des
associations conservatrices, qui se tint à Renaix avec un extrême éclat,
servit, en quelque sorte, de prologue à la campagne. Dans plusieurs
arrondissements, nos amis affectaient de grandes espérances ; ailleurs, ils
faisaient preuve d’une grande hésitation : à Ath, l’inaction prévalait ; à
Tournai, des contestations de personnes paralysaient toute activité ; à
Soignies, il n’y avait pas d’élan.
Sur ces
entrefaites eurent lieu les élections provinciales. Elles furent pour les
libéraux une première déception. Ils comptaient conquérir les députations
permanentes du Luxembourg et de Namur, au moins la première : elles nous
restèrent toutes deux, appuyées sur des majorités plus fortes que par le passé.
A Malines, où les libéraux annoncèrent leur victoire, ils furent également
battus.
Les
élections législatives leur apportèrent une seconde déception. Les travailleurs
électoraux de Gand nous avaient promis une majorité d’au moins deux cents voix
; de plus, nos amis paraissaient certains de l’emporter à Verviers et à
Charleroi (pour trois sièges) ; à Soignies et à Huy, ils avaient le plus grand
espoir ; par contre, ils ne comptaient guère sur Thuin ; à Mons, ils se
figuraient que leur progrès serait marqué. Comme presque toujours, is résultats s’écartèrent sensiblement des prévisions ;
nous fûmes battus partout dans les arrondissements wallons, sauf à Thuin, où la
révision du premier scrutin (page 415)
paraissait devoir nous procurer un siège, mais nous triomphâmes à Gand, en
distançant les libéraux de plus de cinq cents voix.
Ce succès
éclatant, bien que partiel, fixa le caractère de la journée ; il terrifia les
libéraux ; il pallia nos autres échecs ; il nous conservait à la Chambre une
majorité de cinquante voix. Notre majorité ancienne ne se trouvait donc
affaiblie que de quatre voix ; mais elle devait bientôt remonter de deux voix,
par suite du compte rectifié qui fut fait des suffrages de Thuin.
Nous
pouvions nous réjouir largement d’une telle victoire. Après six ans de pouvoir,
elle dépassait nos voeux. Cependant, je fus frappé de
nos insuccès dans les provinces wallonnes ; ils étaient en partie imputables à
un défaut d’organisation. Aussi, je m’empressai de convoquer dans une réunion
plénière nos amis les plus dévoués du Hainaut et de la province de Liége, à
l’effet d’y établir une organisation électorale plus sérieuse. On répondit de
toutes parts à cet appel, et nous parvînmes à jeter les bases d’une
reconstitution du parti dans la presque totalité de la région wallonne. Peu
après, on mit la main à l’oeuvre à Tournai, à Mons, à
Charleroi, à Thuin et à Huy ; à Ath et à Soignies, on montra moins
d’empressement ; rien pourtant n’y était désespéré ; seulement une impulsion
nouvelle devait y être donnée.
8. Les travaux parlementaires (session extraordinaire
1890)
Trois
semaines après les élections s’ouvrit la session
extraordinaire. Deux choses l’avaient rendue nécessaire : le vote d’une adresse
au Roi à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de son avènement et la
solution de la question du Congo. Quelques-uns de nos amis insistèrent pour
qu’on votât le projet de loi électorale, (page
416) et, comme conséquence, qu’on retardât les élections communales. M.
Jacobs, malade à Kreuznach, insista dans ce sens ; M. de Malander
aussi, les Anversois de même. Mais nous ne disposions que de peu de temps, et
aucune proposition publique ne fut faite. On se mit même d’accord pour ajourner
au mois de novembre le dépôt du rapport de M. Schollaert
:
La
rédaction de l’adresse fut confiée à des commissions de douze membres à la
Chambre, et de neuf membres au Sénat. A la Chambre, M. le président de Lantsheere fut chargé de ce soin. Son travail faisait
l’éloge de notre régime politique et rendait grâces à la Providence. Le jour où
il fut lu au sein de la commission, M. Frère ne fit aucune objection ; MM.
Bara, Sainctelette, Tesch
et Janson n’étaient pas venus ; mais tous les membres présents convinrent qu’on
réclamerait la signature de tous les députés. Cependant, quelques membres de la
gauche demandèrent à la lire ; ils protestèrent contre ses constatations ; M. Sainctelette fut le plus animé ; ils déclarèrent ne pouvoir
se féliciter d’un état de choses qui leur était si contraire ; M. Frère retira
alors la signature qu’il avait déjà donnée, et l’on décida que l’adresse serait
signée par le bureau seul ; à la suite de cet arrangement, une résolution
analogue fut prise par le Sénat.
L’affaire
du Congo ne vint qu’après les fêtes du mois de juillet. Elle consistait en un
prêt de 25 millions avec éventualité de l’annexion de l’État à la Belgique au
bout de dix ans. Le parti libéral, à l’exception d’une petite fraction, n’y
paraissait pas d’abord très favorable ; le comte de Kerchove
goguenardait, quand lecture fut (page
417) donnée du projet ; d’autres ne témoignaient guère de meilleures
dispositions. Petit à petit pourtant, ils changèrent d’attitude. Le second jour
des fêtes, le Roi donna un grand dîner ; il y entretint longuement M. Bara ; il
en fit de même avec moi ; il était déjà convaincu qu’il n’avait guère
d’opposition à attendre des libéraux ; mais, en même temps, il me dit que
c’était un grand honneur pour le parti catholique de résoudre cette question.
Les
prévisions royales se réalisèrent ; M. Frère attaqua l’attitude du Cabinet dans
un assez mauvais discours ; en fin de compte, ses amis et lui votèrent le
projet.
Un instant
cependant d’assez grosses alarmes avaient surgi. Le gouvernement français
venait de déposer à la Chambre des députés des documents d’où l’on pouvait
inférer que la France se réservait de se prévaloir vis-à-vis de la Belgique de
son droit de préférence sur le Congo. Le baron Lambermont
fut envoyé à Paris, et, à la suite d’une conversation avec M. Ribot, ministre
des Affaires étrangères, il adressa à M. Beernaert un télégramme relatant les
paroles de son interlocuteur et nous donnant pleine satisfaction. M. Beernaert
se disposait à lire ce télégramme à la Chambre, quand M. Bourée,
ministre de France, intervint. Dans une lettre à M. Beernaert, il déclara que
la pensée du gouvernement français était bien celle qu’exprimait le télégramme
de M. Lambermont, mais que ce gouvernement ne
désirait pas que les termes du télégramme pussent lui être attribués. Dans ces
circonstances, le télégramme ne fut pas lu. Mais M. Beernaert se crut en droit
de rassurer complètement le Parlement sur les dispositions de la France. M.
Frère, à raison de ces dispositions, avait insisté auprès du (page 418) président de la Chambre pour
que le projet fût ajourné. Cette suggestion avait été immédiatement écartée.
En dehors
de ces deux objets, la session extraordinaire ne porta guère que sur le projet
de loi relatif aux falsifications des denrées alimentaires. Néanmoins, un vif
débat avait précédé la révision des élections de Thuin ; mais il était apparent
que la gauche manquait de souffle, malgré l’excitation dont quelques-uns de ses
membres se montraient animés, principalement vis-à-vis des ministres.
Ainsi se
termina l’année parlementaire. Elle avait été marquée pour moi par de nombreux
travaux et de grandes fatigues. A la suite des élections, j’avais écrit dans la
Revue générale un article sur la
situation, qui fut lu et cité partout. Je ne puis mentionner ici la Revue générale sans constater que,
quelques mois auparavant, nous nous étions séparés de M. de Haulleville.
La reconstitution de la revue s’était faite avec le concours de beaucoup
d’hommes distingués, notamment de professeurs de Louvain et de Liége, et avec
l’espoir que nous pourrions lui imprimer un nouvel essor.
Au mois de
juillet, les avocats à la Cour de cassation m’avaient élu bâtonnier. A la veille
des élections, le gouvernement m’avait promu au grade de commandeur de l’Ordre
de Léopold. J’appris, depuis, que M. Beernaert avait considéré comme une
gracieuseté de sa part de m’avoir nommé commandeur de l’Ordre de Léopold quatre
ans après que j’eusse été nommé officier.
A peine la
session était-elle terminée que M. le procureur général van Schoor vint
annoncer à M. Beernaert qu’une ordonnance de non-lieu serait provoquée par lui
(page 419) dans l’affaire Nieter. C’était, pour le gouvernement, une assez forte
déconvenue. Mais M. Beernaert m’affirma qu’il savait pertinemment que l’auteur
des détournements de documents était bien Nieter. Il
ajouta que celui-ci était un homme des plus dangereux et que, au témoignage de
M. Bourée, il était, depuis nombre d’années, l’espion
du gouvernement français.
Les
vacances parlementaires donnèrent, en matière d’enseignement, deux
satisfactions aux catholiques. L’école normale d’humanités de Liége et l’école
moyenne de filles de Couvin furent supprimées.
La
suppression de la première était la conséquence des dispositions votées à
l’occasion de la loi sur l’enseignement supérieur. On craignait un peu que M.
de Volder ne reculât l’exécution de cette mesure. Il faut lui rendre cette
justice qu’il n’en fit rien. La fermeture de l’école moyenne de filles de
Couvin était sollicitée depuis trois ans : promise par M. Thonissen,
elle avait toujours été différée par M. de Volder. Chaque année, lors du budget
de l’Instruction publique, elle était réclamée. M. de Volder répondait vaguement
; finalement, au mois de juillet 1890, je lui écrivis pour lui dire que, s’il
ne prenait pas une décision favorable, je proposerais à son budget un
amendement impliquant la suppression de l’école. C’est ainsi que j’obtins gain
de cause. Mais combien n’était-il pas pénible de devoir toujours recourir aux
grands moyens !
9. La question sociale : Les mouvements ouvriers
et le suffrage universel - le troisième congrès de Liège (1891)
A peine les
Chambres s’étaient-elles séparées que des meetings ouvriers, secondés par la
presse libérale presque tout entière, réclamèrent de nouveau la révision de la
Constitution et le suffrage universel. Les chefs de (page 420) parti ouvrier organisèrent le 10 août une manifestation
socialiste à Bruxelles, à laquelle prirent part de nombreux ouvriers venus de
divers côtés. Assurément, il ne fallait rien exagérer ; mais on annonçait qu’à
la suite de cette manifestation, la grève générale serait décrétée si le
suffrage universel n’était pas accordé, et, d’après des renseignements sérieux,
dans quelques centres industriels, la menace avait réussi à faire adopter pour
programme le suffrage universel par une fraction importante des classes
laborieuses.
Je craignis
que, si ce mouvement n’était pas contrarié, des conservateurs, les uns par
lassitude, les autres par inconscience du péril, ne se laissassent aller à
sacrifier la Constitution. J’écrivis donc le 31 août au Patriote une lettre pour sonner de nouveau le ralliement de tous
les conservateurs autour de la Constitution. Aucun organe catholique ne me
contredit ; beaucoup d’entre eux applaudirent. Quant à la presse libérale, elle
se livra contre moi à un véritable déchaînement. Son plan avait été de nous
entraîner à sa suite et de nous faire consentir à la révision : il se trouvait
momentanément éventé.
A quinze
jours de là, le 14 septembre, se tint un congrès socialiste ; il décréta la
grève générale, mais repoussa l’exécution de cette résolution jusqu’à ce
qu’elle fût possible. C’était un recul. Il était néanmoins incontestable que
les difficultés de la question ouvrière grandissaient et qu’elles ne pouvaient
tarder à dominer la situation.
C’est donc
très opportunément qu’au mois de septembre se réunit à Liége le troisième
congrès des oeuvres sociales.
(page 421) Dès le printemps, une réunion
avait arrêté chez Mgr Doutreloux les grandes lignes
du programme. On avait décidé notamment de substituer, à la seconde section des
congrès précédents (oeuvres sociales), une section
intitulée Législation internationale. Ce terme était bien vague ; je le fis
remarquer ; mais peut-être n’était-il pas mauvais de convaincre les esprits
sagaces de la difficulté d’arriver, en matière sociale, à une législation
commune à tous les pays.
Je suis
porté à croire que le but des organisateurs du congrès, M. Collinet
et le comte Waldbott de Bassenheim,
était tout autre : ils voulaient créer un mouvement en faveur d’une législation
de ce genre. Je m’en aperçus au choix des rapporteurs des principales questions
inscrites dans cette section, le comte de Kuefstein,
le chanoine Winterer, l’abbé Pottier, professeur au
grand séminaire de Liége, le R. P. Lehmkuhl, tous
interventionnistes plus ou moins décidés. La présidence de cette section avait
été confiée à un homme de la même opinion, le comte Blome,
membre de la Chambre des seigneurs d’Autriche, et la conversation que j’eus
avec lui et le comte de Kuefstein au dîner donné chez
M. Collinet le jour de l’ouverture du congrès, me
prouva qu’ils étaient résolus à tenter un effort dans le sens de leurs idées.
M. de Kuefstein était même partisan du minimum de
salaire, et l’abbé Pottier se rangeait à la même thèse. Au cours du dîner, Mgr Rutten, vicaire général de Liége, me fit part des tendances
de ce dernier. Après le dîner, je communiquai mes appréhensions à Mgr Doutreloux ; celui-ci, tout en admettant une certaine
intervention de l’État, paraissait les partager dans quelque mesure ; (page 422) il me dit qu’il ouvrirait
lui-même la seconde section et qu’il recommanderait la modération et la
conciliation.
Ici, une
explication me paraît nécessaire. J’ai toujours pensé, et je pense encore, que
la loi peut intervenir pour aider et protéger l’ouvrier. C’est pourquoi
j’avais, dès le deuxième congrès, demandé la réglementation du travail,
l’assurance obligatoire et la personnification civile des unions
professionnelles. Mais autre chose est l’intervention de la loi, autre chose
celle de l’État ; et encore ne faut-il admettre l’intervention de la loi que
quand elle est nécessaire pour aider la liberté individuelle et non pour se
substituer à elle. C’est pour marquer, dès le début du congrès, ma manière de
voir que, dans le discours que je prononçai à la séance d’ouverture, tout en
dénonçant le travail exagéré auquel certains ouvriers étaient soumis et en
réclamant pour eux la liberté du dimanche, je fis appel, pour réprimer ces
abus, plus aux influences morales qu’à la contrainte, et je prononçai ces
paroles «J’ai peur de l’État et je hais le césarisme. » Ces paroles furent
énergiquement applaudies ; mais elles n’exprimaient pas l’avis de l’assemblée
tout entière. Mgr Korum, évêque de Trèves, vint me
dire qu’il me combattrait ; Mgr de Cabrières, évêque
de Montpellier, approuva, au contraire, mon langage dans les termes les plus
gracieux.
La question
de l’intervention de la loi et de l’État se posa dans deux sections : la
deuxième et la troisième.
Dans la
deuxième on devait traiter de la réglementation du travail, de la durée de la
journée de travail et du minimum de salaire ; dans la troisième, de l’assurance
(page 423) ouvrière et de la
personnification civile des unions professionnelles.
Les débats
de la deuxième section furent plus animés que ceux de la troisième. La
personnification civile des unions professionnelles ralliait, en effet, tous
les catholiques : elle apparaissait comme une mesure de protection. L’assurance
ouvrière et, surtout, l’assurance obligatoire furent assez vivement discutées.
Un jésuite français, le Père Forbes, combattit, presque passionnément l’assurance
obligatoire. Il eut un double tort, celui de ne pas s’être renseigné sur les
législations étrangères et celui de donner à ses développements une forme trop
scolastique. La section persista dans les résolutions votées précédemment, mais
celles-ci n’allaient pas jusqu’à recommander l’organisation de l’assurance par
l’État.
Dans ces
questions difficiles et complexes, on ne distingue pas assez entre l’État et la
loi. Cette confusion régna dans les discussions de la deuxième section,
discussions qui prirent, à certain moment, un tour trop animé. Cependant la
victoire resta plutôt aux idées de modération et de conciliation. Au point de
vue de la réglementation du travail, la section alla un peu plus loin que la
loi belge, en demandant qu’on légiférât au sujet des femmes majeures. Mais elle
écarta la question du minimum du salaire ; et, en ce qui concerne la durée du
travail, tout en disant que la loi pouvait intervenir et qu’il serait désirable
qu’une législation internationale fut élaborée, elle admit des maxima variables
suivant les pays et les industries : c’était, en quelque sorte, se contredire ;
où serait le caractère international (page
424) d’une semblable législation ? Mais, quand la division est profonde on
aboutit souvent à des résolutions reflétant des idées opposées, et l’on doit
féliciter le chanoine Winterer d’avoir, quoique
Allemand, proposé une transaction acceptable. Les conclusions trop absolues du
comte Ruefstein furent écartées. En somme,
l’assemblée resta bien en deçà des conclusions de la lettre que lui avait
adressée le cardinal Manning.
On ne peut
méconnaître toutefois qu’une certaine intervention de la loi fût dans les vœux
de la majorité de l’assemblée. Et il était vraisemblable que les décisions qui
reflétaient ce sentiment seraient appelées à exercer sur les catholiques du
dehors une action durable. J’ai déjà dit que cette intervention était aussi
dans mes désirs. Mais elle n’échappera à un caractère dangereux que si elle est
étroitement limitée.
Il serait
injuste, au surplus, de contester l’importance des congrès de Liége. Les
notabilités qui y ont pris part, le retentissement qu’ils ont eu à l’étranger,
l’affluence des orateurs et des auditeurs, la gravité et la variété des
résolutions prises, tout autorisait à croire que ces grandes assises
exerceraient une action sérieuse. Tel fut, du reste, le sentiment des organes
libéraux les plus importants de l’étranger. Dans notre pays, les libéraux que
la haine du catholicisme ne domine pas exclusivement pensèrent de même. Mais la
petite presse libérale ne trouva, pour combattre les congrès, qu’un dénigrement
systématique et des arguments misérables.
On pouvait
pressentir aussi que les voeux adoptés donneraient
aux oeuvres ouvrières une impulsion nouvelle et
puissante Là réside principalement la solution (page 425) de la question sociale. La législation peut enlever
quelques griefs aux ouvriers ; mais les oeuvres
seules peuvent guérir les âmes.
J’avais,
pendant toute la durée du troisième congrès, été très absorbé par la direction
des travaux de la section que je présidais. La plupart des conclusions ne
m’étaient parvenues qu’au dernier moment, et il m’avait fallu élaguer les unes,
modifier les autres, en tâchant de ne pas blesser leurs auteurs. Ce labeur
avait été assez lourd. J’utilisai cependant les loisirs que me laissèrent les
séances des sections et de l’assemblée générale à m’entretenir avec les
illustrations étrangères. C’est un des attraits les plus grands des congrès de
ce genre. Causer avec Mgr Korum et le chanoine Winterer, ces vaillants champions de la cause catholique en
Allemagne, et avec une foule d’illustrations du même pays ; avec Mgr de Cabrières, évêque de Montpellier, faisant entendre au sujet
de la situation de la France une note plutôt optimiste et dont la parole pleine
de bonne grâce et d’atticisme touchait à tout sans effort ; avec le comte de Kuefstein, qui déclarait les catholiques incapables
d’organiser une presse et des écoles en Autriche ; avec lord Asburham, pair d’Angleterre, converti au catholicisme et
partisan de M. Gladstone dans la question irlandaise ; avec Mgr Vaughan, évêque
de Salford, déjà alors successeur présumé du cardinal Manning, conservateur et
plutôt anti-Irlandais ; avec beaucoup de Hollandais qui manifestèrent la
conviction que le service personnel serait rejeté dans leur pays, c’était
assurément pour moi un régal d’un prix sans pareil, et je le goûtai vivement.