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Note
d’intention
« Du gouvernement représentatif en
Belgique (1831-1848) », par E. VANDENPEEREBOOM
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq,
1856, 2 tomes
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TOME 2
(p. 117) La quinzième session s'ouvrit le 22
octobre 1844, pour être close le 17 mai 1845 : elle dura sept mois. Le discours
du Trône était très pâle; l'adresse, qui n'en était qu'une prudente paraphrase,
ayant été mise à l'ordre du jour d'une manière précipitée, l'opposition ajourna
aux budgets le débat politique.
La loi de 1833, sur les
céréales, avait été votée comme le système fondamental du régime des grains. Et
cependant, chaque année, on y avait introduit des changements, soi-disant
provisoires et temporaires. Cette fois encore, les modifications qui y avaient
été apportées durent être prorogées (Loi du 31 décembre 1844. Annales
parlementaires de 1844-1845, pp. 167, 171, 456, 459, 479).
La conclusion d'une convention
commerciale est, pour tout (page 118)
ministère, un acte qui engage gravement sa responsabilité. Les difficultés à
surmonter sont nombreuses : à l'extérieur, ce sont les prétentions souvent
exorbitantes de l'État avec lequel on négocie, les droits ou la jalousie des
puissances avec lesquelles on a déjà contracté; à l'intérieur, ce sont les
nombreux intérêts qui tous veulent être favorisés et dont les plus minimes ont
les mêmes exigences que les plus considérables. Les questions d'intérêt
matériel viennent, en outre, se compliquer de la question politique. Cette
responsabilité du Gouvernement n'a pas de sanction, car il n'y a pas d'exemple d'un
traité, même le moins avantageux, qui ait été rejeté par les Chambres. En cette
matière, le droit d'amendement n'existant pas, à cause de la nature bilatérale
de l'acte, c'est, comme on dit : « à prendre ou à laisser. » Tout se borne
donc, pour le pouvoir législatif, à des discussions, souvent exagérées par
l'esprit de localité et d'intérêt privé qui ne tient pas compte de l'ensemble
des stipulations. Ces débats offrent cet inconvénient grave qu'ils
affaiblissent et embarrassent l'action du Gouvernement pour les négociations pendantes et futures et qu'ils
font connaître à l'étranger le fort et faible de notre situation. On peut donc
se faire cette question : s’il ne conviendrait pas que de semblables
discussions eussent lieu à huis clos? La réclame électorale y perdrait sans
doute beaucoup, mais de nombreux intérêts y trouveraient une sauvegarde. Au
reste, comme aux termes de l'art. 35 de
Ces observations nous sont suggérées par la discussion du traité signé,
le 1er
septembre 1844, avec les États composant le Zollverein. Ce n'est qu'à la
suite de dispositions temporaires (page 119) et après sept années de
négociations, souvent interrompues, qu'on en était arrivé à cette convention. Elle
contenait des stipulations maritimes, commerciales et de transit : le principe
de la répression réciproque de la fraude y était aussi déposé. Il faut bien le
dire, la masse des avantages acquis était du côté du Zollverein : du nôtre, il
n'y avait de réellement favorisées, et faiblement encore, que les industries de
la métallurgie, des charbonnages et de la draperie; cette dernière obtenait une
réduction des droits de sortie sur les laines. Trois Ministres étaient
intervenus dans cette convention. L'opposition leur dit qu'il n'y avait pas
lieu pour eux de se laisser aller à ce contentement, que M. Dupin aîné appelait
: « les extases de la paternité. » M. Nothomb répondit froidement : « Mon
collègue n'a pas dit : Montons au
Capitule ! Il nous suffit à nous de rester entre le Capitole et
Les dispositions légales ou
réglementaires, relatives au domicile de secours, n'avaient pu réprimer de
nombreux abus. De toute part, on en demandait la révision. Le Gouvernement
proposa un projet abrogeant ou révoquant la loi du 28 novembre 1818 et tous les
arrêtés sur la matière. Soigneusement élaboré, le projet ne donna pas lieu à
d'aussi longues discussions qu'on aurait pu le croire. Voici les principales
dispositions adoptées.
Le lieu de la naissance est le
domicile de secours primitif : (page 120)
l'individu, né fortuitement sur le territoire d'une commune,
d'une personne qui n'y habitait pas, a pour domicile de secours la commune
habitée par son père ou sa mère, au moment de sa naissance, si l'on vient à
découvrir cette dernière commune. Les enfants trouvés, nés de pères et de mères
inconnus, ont leur domicile de secours dans la commune sur le territoire de
laquelle ils ont été exposés ou abandonnés; mais dans ce cas, la moitié des
frais de leur entretien incombe à la province, où cette commune est située (Note
de bas de page : Le partage des frais entre la commune et la province est
conforme aux dispositions de l'art. 131, n° 18 de la loi communale et de l'art.
69, n° 19 de la loi provinciale). Le domicile de secours
primitif est remplacé par celui que donne une habitation, dans une autre
commune, pendant huit années consécutives, malgré des absences momentanées. Ne
peuvent acquérir ce domicile de secours, les sous-officiers et soldats du
service actif, les détenus, les individus admis ou placés dans les
établissements de bienfaisance ou de santé, ou secourus à domicile par la
charité publique. Ce domicile de secours fictif est remplacé, par un autre
domicile de secours, également fictif, acquis par une habitation consécutive de
huit années dans une autre commune. Le domicile de secours de la femme mariée
est celui de son mari : le domicile de secours des enfants mineurs est celui de
leur père ou de leur mère. Il en est de même pour l'étranger admis à établir
son domicile en Belgique.
La loi règle tout ce qui a trait au secours provisoire et au
recouvrement de ces frais. Les différends entre les établissements de
bienfaisance d'une même commune sont décidés par le conseil communal, sauf
appel près de la députation permanente : les différends entre des communes ou
des établissements de bienfaisance d'une même province sont décidés par la
députation permanente, sauf recours au Roi : les différends entre des communes
ou des établissements de (page 121)
différentes provinces, sont décidés par le Roi définitivement et sans appel.
Pour
acquérir droit aux secours publics, dans une commune qui n'était pas le lieu de
sa naissance, l'indigent devait y avoir habité, d'après la loi française (24
vendémiaire an II) pendant une année; d'après la loi de 1818, pendant quatre
années. D'après les dispositions nouvelles, il doit y avoir habité pendant huit
années consécutives. On est parvenu ainsi à amoindrir, si pas à écarter
totalement, les fraudes exercées par quelques administrations rurales et qui
consistaient à faire acquérir à leurs pauvres un domicile de secours dans les
villes, en les y entretenant pendant quatre années (Loi du 18 février 1845, adoptée, à
Nous avons vu que la sanction,
la promulgation et la publication des lois avaient été réglées par la loi du 19
septembre 1831 (Voir t. I., livre II, pp. 85-86). La publication des arrêtés royaux généraux était régie par
l'arrêté du 5 octobre 1830; celle de certains arrêtés spéciaux par l'avis du
conseil d'État du 23 prairial, conservé, pour
« Les Chambres ont adopté et
nous sanctionnons ce qui suit :
« Promulguons la présente loi,
ordonnons qu'elle soit revêtue du sceau de l'Etat et publiée par la voie du Moniteur.
» à l'ancienne formule, ainsi conçue :
« Nous avons, de commun accord
avec les Chambres, décrété et arrêtons ce qui suit : ( Loi.)
« Mandons et ordonnons que les
présentes, revêtues du sceau de l'État, insérées au Bulletin officiel, soient
adressées aux cours et tribunaux, pour qu'ils les observent et fassent observer
comme loi du royaume. »
Pour la forme, le second mode,
conservé par un long usage, avait un caractère plus solennel; aucune nécessité
ni même aucune convenance n'en commandait le changement. Pour le fond, le
remplacement du Bulletin officiel par
le Moniteur, comme instrument de publicité, assurait aux actes
législatifs et administratifs une notoriété plus prompte, puisque la
publication avait lieu jour par jour. Cette disposition ne fut cependant admise
que par 33 voix contre 32. Les lois sont rendues obligatoires le dixième jour
après leur publication, à moins que la loi n'ait fixé un autre délai; ce
qui leur donne une date certaine et patente. Les arrêtés royaux seront
également publiés par le Moniteur, dans le mois de leur date, et
obligatoires le dixième jour de leur publication, à moins que l'arrêté n'ait
fixé une autre date. Les arrêtés royaux, qui n'intéressent pas la généralité
des citoyens, deviennent obligatoires à dater de la notification aux intéressés
; ils sont insérés par extrait au Moniteur, sauf ceux, dont la
publicité, sans présenter aucun caractère d'utilité publique, pourrait léser
les intérêts individuels, ou nuire aux intérêts de l'Etat. Il y aura un recueil
spécial pour la réimpression des lois et arrêtés, dont l'objet n'est pas
purement individuel ou local. L'abonnement au Recueil des lois est
obligatoire pour les (page 123) communes. Le résultat principal de cette loi ' était
de remplacer le Bulletin officiel par le Moniteur, pour la
publication des lois et arrêtés royaux (Loi du 28 février 1845, adoptée, à
Le 16 janvier 1845, un
accident grave s'était produit à l'une des constructions du chemin de fer de
l'État: une partie du tunnel de Cumptich s'était écroulée, heureusement sans
que mort d'homme eût été à déplorer. L'inquiétude fut très vive dans le public,
elle eut de l'écho dans
Au Sénat, à de vifs reproches
sur les fautes commises dans cette construction, se mêlèrent des plaisanteries
sur la responsabilité des ingénieurs, auteurs des plans, et des ministres qui
les avaient approuvés. M. le vicomte Desmanet de Biesme disait : « J'ai parlé
tout à l'heure d'une loi sur la responsabilité ministérielle, mais puisque
cette loi n'existe pas et que nous ne sommes pas prêts a
l'avoir, surtout si elle doit venir de l'initiative du Gouvernement, il y
aurait un moyen d'atténuer un peu les inconvénients
résultants de sa non-« existence. Je voudrais qu'il y eût une inscription sur
les ouvrages qui rappelât le nom de ceux qui les ont exécutés. Nous plaçons
toujours les médailles et les procès-verbaux dans les fondements, et quoiqu'il
soit malheureusement probable que la génération présente les reverra, et qu'il
n'est pas à craindre qu'elles aient le temps de s'altérer, il me paraît plus
rationnel d'indiquer le nom des constructeurs; parce qu'alors il y aurait place
pour le blâme et pour la louange, selon le mérite de la construction.
« Si l'on veut mettre une
inscription sur les entrées du tunnel de Cumptich, moi j'en ai préparé une, que
j'aurai l'honneur de vous proposer.
« Bâti en 1835;
« Croulé en 1845;
« Ce tunnel
« Avait été construit,
« M*** étant Ministre de l'Intérieur,
« Sur les plans et sous la direction de M*** ingénieur et
« Par les soins de M*** entrepreneur,
« Chevalier de Léopold, etc. »
« Je crois que ce serait
peut-être un moyen d'avoir de meilleures constructions ; si mon idée obtient
l'approbation du Sénat, je demande la priorité pour mon inscription. »
(Rires.).
Le ministre aurait pu répondre
à la grave assemblée :
Vous riez, donc vous êtes désarmés !
M. Nothomb se contenta de dire
: « Il y a quelque temps, faisant visite à une personne à la campagne, j'ai été
fort étonné de lire sur son escalier cette inscription : Cet escalier
détestable a été construit par l'architecte un tel, etc. Vous voyez que
cette personne a réalisé d'avance l'idée émise par (page 126) l'honorable préopinant. (Rires) » (Annales parlementaires, 1844-1845,
p. 964). Les discussions du Sénat étaient, pour M. le Ministre
de l'Intérieur, un jeu, comparées à celles de
La discussion de chaque budget
donna lieu à de vives attaques contre le cabinet et surtout contre son chef. A
celle du budget des Voies et moyens, il fut question de
(page 127) L'opposition avait donné rendez-vous au cabinet, pour le
débat politique, à la discussion du budget de l'Intérieur. M. Nothomb était
l'homme qu'on voulait attaquer, mais il ne se présenta pas seul sur le terrain.
M. le Ministre des Affaires étrangères (comte Goblet) vint, dès le début, faire
cette déclaration: « Le vote sur l'ensemble du budget, prenant un caractère
politique, décidera donc de l'existence du cabinet. » Ces irritants débats
remplirent vingt-deux séances. Aux rudes attaques de MM. Delfosse,
Verhaegen, Castiau, Lebeau, Devaux, Tornaco, Fleussu vinrent se joindre les
griefs de M. de Naeyer, les inexorables reproches de M. Dumortier. Pour donner
une idée du ton de la discussion, citons quelques passages. M. Delfosse disait
: « Les places, les faveurs, voilà le grand système de Gouvernement imaginé
par M. le Ministre de l'Intérieur. Sa politique est une politique fondée sur le
mépris de l'espèce humaine. On dirait que M. Nothomb, sentant l'impossibilité
de se relever dans l'opinion, cherche à abaisser les autres pour être à leur
niveau. » M. Verhaegen, voulant dépeindre la tyrannie, exercée par M. le
Ministre de l'Intérieur sur ses collègues, avait dit : « Je conclus de là que
l'homme qui dirige nos affaires et au sort duquel vous vous êtes tous associés,
MM. les Ministres, a voulu abattre toutes les têtes, pour ne régner que sur
des cadavres. — M. le président : C'est, sans doute, dans
l'improvisation que ces paroles sont échappées à l'honorable préopinant. — M.
Verhaegen : Figure de rhétorique, M. le président! (Hilarité générale et
prolongée.) » M. Dumortier s'écriait : « Oui, vous avez de grands mérites; vous
avez une vaste intelligence; vous énoncez fort bien vos pensées; vous avez de
la résolution; vous avez du talent. Mais vous avez perdu de vue la première de
toutes les pensées qui doivent dominer un homme d'État; pensée sans laquelle il
n'y a pas de Gouvernement
possible, de Gouvernement complet possible. On administre avec la
tête, on
(page 128) ne gouverne que par le
cœur... (Très bien! Très bien !). Voulez-vous, Messieurs, voulez-vous
l'honneur national? Voulez-vous le triomphe de notre nationalité? Faites
disparaître du pouvoir cette rouerie (Note de bas de page : Le
mot rouerie passa sans observation ; pendant la session 1853-1856, le
mot tripotage donna lieu à de vives discussions. Un ministre est plus
susceptible qu'un autre, et, de plus, on peut remarquer que le langage
parlementaire tend à devenir plus doux), qui ne peut
rester longtemps, sans compromettre cette nationalité. (Très-bien ! très-bien!)
» M. Osy déposa une proposition ainsi conçue : « Je prie M. le président de
mettre aux voix la question suivante : Le ministère a-t-il la confiance de
« Sire,
« Dans la situation actuelle
des affaires,
« Elle supplie Votre Majesté
de prendre en considération (page 130) une position qui ne pourrait se prolonger, sans
compromettre la dignité du pouvoir. »
Après cinq jours d'orageux
débats, on posa cette question : « Y a-t-il lieu de faire une adresse à
La discussion continua pendant
dix-sept jours : le terrain était disputé pied à pied (Annales
parlementaires, 1844-1845, pp. 560 à 1085).
M. de Renesse avait fait la proposition d'une enquête parlementaire pour «
rechercher les « causes de la décadence de l'Ecole vétérinaire de l'État ; »
elle fut repoussée par 35 voix contre 30 et 1 abstention. Le Ministre de
l'Intérieur remporta ici son suprême triomphe. Pendant le restant de la
session, M. Nothomb joua sa dernière partie en habile joueur ; mais il devenait
visible que ses pièces de défense diminuaient et que son cercle d'action allait
se rétrécissant chaque jour : l'échec et mat allait se faire.
Notre armée n'a pas changé
aussi souvent d'organisation que d'uniforme, mais peu s'en faut. Et chaque
fois, on venait déclarer que, si cette réglementation nouvelle n'était pas
adoptée, c'en était fait de notre indépendance et de notre nationalité. Chaque
fois aussi, cette organisation devait être définitive; c'était, comme on le
disait burlesquement, « la charte de l'armée. » Dans la présente discussion M.
de Chimay, rapporteur, vint déclarer que « le Gouvernement s'était
donné le tort grave d'intituler la loi : organisation de l'armée; mais
que la section centrale avait réparé cet abus, en appelant la loi : organisation
des cadres. » Père (page 131)
et parrain se disputaient sur le nom à donner à l'enfant. Laissant là cette
question futile, M. Castiau, avec sa franchise et son éloquence habituelles,
aborda le fond de la constitution militaire: il attaqua vivement le mode vicieux
de recrutement. « Toute notre organisation militaire, disait-il, repose, en ce
moment encore, sur une absurdité et une iniquité. Elle repose sur une absurdité
: quoi de plus absurde que de livrer au sort, au caprice du hasard, aux chances
de la loterie la répartition de la plus lourde des charges sociales,
l'obligation du service militaire pour les uns, l'exemption de cette charge
pour les autres? Elle repose sur une iniquité : est-il une iniquité plus
choquante que d'accorder aux classes riches le privilège de se soustraire à
l'impôt du sang, d'acheter des remplaçants et des substituants, et de se livrer
à une véritable traite des blancs? Quand
Cette
loi d'organisation de l'armée, suivant le ministre; cette loi d'organisation
des cadres, suivant la section centrale, comprenait sept articles. Elle divisait
l'état-major général de l'armée et les états-majors particuliers, aussi bien
que les cadres d'officiers des troupes de diverses armes en deux sections,
l'une d'activité, l'autre de réserve : elle fixait le nombre, le
traitement et la position des officiers de chaque catégorie : (page 132)
elle déterminait les droits à l'avancement, à la retraite et à la pension de
réforme : enfin, elle établissait le mode d'admission des sous-lieutenants dans
l'état-major particulier et dans les troupes du génie. La discussion fut
longue. M. Brabant y prit part en homme qui a profondément étudié la question.
Mais ses efforts et ceux des autres opposants vinrent échouer contre un
entraînement, auquel on n'a jamais su résister (Loi du 19 mai 1845, adoptée, à
Si, grâce à l'initiative du Gouvernement, la
position des officiers de l'armée venait d'être avantageusement fixée ; grâce à
l'insistance de quelques représentants, la condition des magistrats allait
s'améliorer aussi. Dès
Pour
Il est un autre vice, auquel
Cette loi, dont les
dispositions étaient si favorables à un grand nombre de magistrats, passa sans
vive opposition
(Loi du 20 mai 1845, adoptée, à
Le projet portait le
traitement du président à 9,000, celui des conseillers et du greffier à 7,000
francs. La section centrale proposait respectivement 8,000 et 6,000 francs. Le
chiffre du Gouvernement
prévalut, à une grande majorité, dans les deux enceintes.
En 1848 (Loi
du 27 décembre 1848), les idées et les nécessités
d'économie se manifestèrent aussi vivement qu'en 1830. Le Gouvernement, sous
cette préoccupation, vint proposer un abaissement des traitements des membres
de cette Cour, promettant de porter ces réductions dans toutes les branches du
service public, même dans les dépenses de l'armée. Engagée par cette promesse,
dont l'exécution entière devait amener de si grands résultats pour les
contribuables, la majorité, dont nous faisions partie, admit cette réduction.
Ce vote nous pèse, comme un regret ; nous dirions comme un remords, si nous ne
pouvions invoquer les circonstances atténuantes de la bonne foi induite en
erreur.
L'activité du Gouvernement ne
s'était point ralentie même en présence de l'opposition acharnée qu'il
rencontrait à chaque pas. M. Dechamps semblait particulièrement s'étudier à (page 136) faire oublier sa peu digne
conduite pendant la discussion de la loi du jury d'examen, par le nombre et
l'importance des projets de travaux publics qu'il présentait : le laborieux
administrateur voulait réhabiliter le ministre trop amoureux de la possession
d'un portefeuille. Il laissa des traces et des souvenirs au Département des
Travaux Publics, par des conventions relatives à des concessions très
considérables.
Le Gouvernement fut autorisé
à concéder à la compagnie Richards le chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse
avec ses embranchements, qui étaient au nombre de quatre. Cette concession
était un immense bienfait pour une contrée, riche en produits minéraux de toute
sorte, mais comme paralysée par l'absence de voies de communication. M. de
Baillet-Latour communiqua la statistique suivante : « Le chemin de fer, dans sa
ligne principale et dans ses embranchements depuis Charleroy jusqu'à la
frontière, rencontrera vingt-six hauts-fourneaux au bois et trente-deux au
coke, vingt-six forges, six laminoirs, huit ateliers de construction de
machines, huit cents puits d'extraction de minerai, au delà
de deux cents carrières de marbre de plus de quinze variétés (y compris le malplaqué), la plupart non exploitées faute
de moyens de communication. »
Il se présenta, dans cette
discussion, une question d'autant plus importante que l'on entrait, pour la
première fois, dans le système de la construction des chemins de fer par voie
de concession. Voici cette question :
Nous
signalons une modification, au fond importante, introduite sur l'observation de
M. Malou. On stipulait que les particuliers pourraient établir le long du
chemin de fer et sur des points à leur choix, des magasins, abordages
avec des machines, etc. Rien de mieux ; mais on ajoutait : le Gouvernement se
réserve d'autoriser la prise en possession des terrains nécessaires par les
voies usitées pour l'expropriation pour cause d'utilité publique. Or,
c'était là une question d'intérêt privé, devant se résoudre par des conventions
particulières et ne pouvant pas ouvrir un droit à l'expropriation forcée, comme
pour cause d'utilité publique. Ce paragraphe fut écarté à bon droit. Le projet
fut admis, à l'unanimité, dans les deux enceintes (Loi
du 7 mars 1845. Annales parlementaires, 1844-1845, pp. 911, 916, 925,
932, 979, 982.)
(page 438) La concession du chemin de fer de Tournai à Jurbise et de
Saint-Trond à Hasselt, demandée par la société Mackensie,
fut ensuite discutée. Cette demande reposait sur un principe tout nouveau :
exécution de la voie ferrée et des travaux d'art par les demandeurs ;
exploitation et entretien par le Gouvernement, moyennant 50 p. c. de la recette
brute. Le temps et l'expérience pouvaient seuls dégager l'inconnu de cet x mystérieux.
Les concessionnaires avaient, en outre, la jouissance de la ligne, déjà
exécutée, de Landen à Saint-Trond. Les débats furent ici plus vifs et plus
longs. Ils amenèrent au moins le résultat immédiat de la renonciation des
concessionnaires provisoires à la subvention de 200,000 francs de la part du Gouvernement (Loi
du 16 mai 1845, adoptée, à
Le chemin de fer de Louvain à
Puis vint tout un faisceau,
comprenant : 1° La demande de la compagnie d'Harcourt d'un chemin de fer de
Liège à Namur, avec prolongement éventuel jusqu'à Visé, et d'un autre chemin de
fer des charbonnages du Centre à Manage et à Mons; 2° la demande de la
compagnie Bischoffsheim d'un canal de Mons à
(page 439)
(page 440) « Art. 2. Aucun chemin de fer de Poperinghe
ou de Furnes à la frontière de France ne pourra être concédé qu'en vertu d'une
loi. » La loi fut ainsi adoptée, dans les deux enceintes, à la presque
unanimité (Loi du 18 mai 1845. Annales parlementaires, 1844-1845,
pp. 1686, 1693, 1710, 1713, 1734, 1754).
Il en fut de même du projet du
chemin de fer de
M. Rogier, auteur et promoteur
du système de l'exécution et de l'exploitation des chemins de fer par l'État,
fit d'énergiques mais d'inutiles efforts, pour arrêter cette fièvre de
concessions. Il avait, dans ses rêves paternels, songé à un immense chemin de
fer, ayant des racines sur tous les points du pays et étendant ses
embranchements vers toutes les frontières. Et les nouvelles branches de cet
arbre magnifique on allait les remettre aux mains d'étrangers ! La cause en
était que, au gré de beaucoup de localités, l'arbre gouvernemental croissait
trop lentement et que tout le monde avait hâte de jouir des bienfaits d'une
végétation plus hâtive et plus luxuriante.
On ne saurait disconvenir que
ce qui manquait à cette série de travaux publics, ce n'était ni le nombre, ni
l'importance des concessions demandées, c'était peut-être la maturité de
l'instruction préliminaire. Les offres venaient en masse et l'examen portait
des traces de quelque précipitation. La discussion aussi fut parfois étranglée
: les intérêts locaux se coalisaient et l'empressement de la possession
empêchait de songer à la sûreté de la jouissance. Il en résulta que plusieurs
de ces entreprises étaient, si l'on peut s'exprimer ainsi, nées avant (page 141) terme : il
y en eut qui moururent dans les langes de la concession ; il y en eut d'autres
qui eurent une enfance frêle et délicate; pour les faire marcher, il fallut employer
le minimum d'intérêt, c'est-à-dire les lisières gouvernementales. Malgré des
imperfections et des inconvénients partiels, ces concessions, dans leur
ensemble, portèrent de très heureux fruits pour le pays. Nos établissements
industriels y trouvèrent un large placement pour leurs produits; nos classes
ouvrières une source abondante de travail ; des centres importants de commerce
et d'industrie, des voies de communication rapide qu'ils ne pouvaient pas
espérer obtenir de longtemps; enfin, le chemin de fer de l'État de nombreux
affluents, devant grossir notablement ses recettes.
Le Gouvernement ne
voulant pas rester en arrière de ce grand mouvement de l'industrie privée,
présenta des projets de travaux publics considérables, à exécuter aux frais de
l'État. Nous voulons parler du canal de Turnhout et du canal latéral à
Par le premier projet, il
s'agissait de mettre la ville de Turnhout en communication avec le canal de
Le second projet, celui du
canal latéral à
Peu de temps avant de se
séparer,
Le 28 novembre 1843, le Gouvernement avait
déposé un projet de révision de la loi du 31 juillet 1834 : il était conçu dans
des vues assez libérales. Mais les protectionnistes ayant fait surgir de
nombreuses réclamations, M. Nothomb eut peur de voir sa majorité mixte lui
échapper; il retira son projet, en séance du 31 octobre 1844. Enhardis par
cette reculade,
(page 143) représentants et
sénateurs, partisans des hauts droits, firent une sorte de course au clocher :
c'était à qui irait le plus vite et arriverait le premier dans la voie de la
protection, si douce pour ceux qui, au bout, trouvent une augmentation de
revenu. Entrons dans quelques détails.
Le 31
décembre
Dans 1'entre-temps, les protectionnistes
de
Le 25 avril
« Article Unique. Par dérogation à la loi du 31 juillet 1834,
le droit sur le froment est fixé, lorsque le prix de :
l'hectolitre est de fr. 22-01
à fr. 24, en principal, à fr. 3 par 1,000 kilog., de fr. 20-01 à fr. 22, en
principal, à fr. 12-50 par 1,000 kilog.
« Sont ajoutés aux marchés
régulateurs, les marchés d'Alost, Eecloo, Furnes, Huy, Lokeren, Malines,
Roulers, Saint-Nicolas, Tirlemont, Tongres, Tournai et Ypres.
« Lorsque les droits établis
par le présent article seront appliqués au froment, le Gouvernement pourra
déclarer le seigle libre à l'entrée. »
Le rapport disait : «. Les
sections ont eu à examiner, en même temps, le projet signé par 21 membres de la
(page 145) Chambre
des Représentants et le projet admis à l'unanimité par le Sénat. »
Les 21, à l'exception d'un ou
deux, ayant exprimé le désir qu'on ne s'occupât plus de leur proposition, si
mal accueillie par le public, il restait à examiner si
En nous réservant ce droit, on
a voulu aussi nous imposer des devoirs plus rigoureux. En plaçant cette
initiative sous notre sauvegarde, c'était pour donner aux intérêts populaires
plus de garanties. Car notre responsabilité, à nous, dont le mandat est soumis
à un renouvellement plus fréquent, est bien autrement énergique que la
responsabilité du Sénat dont les membres sont élus pour huit ans. Puis, nous
sortons, nous, des rangs du peuple qui peut nous choisir dans toutes les
classes de la population. Et, au contraire, le cens d'éligibilité pour le Sénat
est tellement élevé qu'il restreint forcément le choix des électeurs dans les
rangs des grands propriétaires. Voilà pourquoi
Le droit
d'initiative du Sénat, dans l'espèce, était si contestable, que M. du Bus aîné,
au jugement si sûr, était forcé de s'écrier : « Moi aussi j'ai été
d'avis, dans ma section, que nous n'étions pas constitutionnellement saisis de
la proposition du Sénat. » M. Dumortier, ayant été interrompu par M. du Bus,
répliquait à cet honorable membre : « Si vous êtes ici pour faire votre devoir,
laissez la discussion avoir son cours; vous avez dit vous-même, que la
proposition du Sénat était inconstitutionnelle; eh bien, ne nous empêchez pas
de le démontrer. »
Le Ministre de l'Intérieur et
le rapporteur plaidèrent le danger de cette discussion; comme s'il pouvait y
avoir danger à maintenir fermement des prescriptions constitutionnelles : ils
parlèrent de la possibilité de conflits; comme si la responsabilité d'un
conflit devait retomber sur
Au Sénat, on maintint, assez
timidement, le droit d'initiative, dans l'espèce. Sur le fond, M. le vicomte Biolley prononça un discours, digne de son grand sens
pratique et de son bon cœur. Il disait : « On voulait une augmentation de
droit, en vain on le dissimule.
« Nous savons très bien que
l'agriculture doit être (page 148)
protégée,
mais elle l'est. Les plaintes que l'on entend, ne viennent que de la hauteur
des baux, c'est la plaie actuelle de l'agriculture. Il faudra
nécessairement qu'on en revienne à des taux plus modérés.
« ...
Ce qu'il faudrait, ce serait d'instruire l'agriculture. Sans doute, il y a des
parties du pays qui n'ont rien à apprendre, mais le plus grand nombre de
localités a besoin d'apprendre les nouvelles méthodes, apprendre à faire
produire plus de grains, à élever plus de bestiaux, à produire plus d'engrais.
Voyez ce qu'on fait en Allemagne. J'adjure M. le Ministre de l'Intérieur de
s'occuper sérieusement de cet objet... Que la loi actuelle fasse au plus tôt
place à une autre, je ne puis adopter celle qui nous est présentée et je
voterai contre. »
Il fallait quelque courage
pour prononcer de telles paroles, dans cette enceinte et au milieu du courant
d'idées qui y dominait.
La loi fut admise, au Sénat,
par 25 voix contre 3. Un membre, M. de Baillet, s'abstint en disant : « Il me
semble que, dans les circonstances actuelles et avec cette tendance si
manifeste à la hausse, il n'y a pas nécessité d'augmenter un tarif protecteur.
»
La loi, adoptée dans les deux
enceintes, ne fut pas promulguée. On put dire de cette discussion : «
Much ado about nothing. » (Annales parlementaires de
1 844-1845, pp. 681 à 1749. « Beaucoup de bruit pour rien », est le titre
d'une pièce de théâtre de Shakespeare). Nous allons voir les causes
de la non-promulgation.