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Note
d’intention
« Du gouvernement représentatif en
Belgique (1831-1848) », par E. VANDENPEEREBOOM
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1856, 2 tomes
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TOME 2
(page 50) Il n'y eut pas deux mois
d'intervalle entre la session qu'on venait de clore, le 24 septembre 1842, et la
treizième session, qui s'ouvrit le 9 novembre suivant. Celle-ci ne devait durer
que cinq mois, puisqu'elle fut close le 12 avril 1843. Elle fut marquée plus
qu'aucune autre, par la division des partis, aujourd'hui nettement dessinée, et
que la position, prise par M. Nothomb au pouvoir, devait raviver chaque jour
davantage, au lieu de la calmer, comme il l'avait déclaré. Le discours du Trône
annonçait que toutes les difficultés, résultant de notre séparation avec la
Hollande, avaient été résolues (page 51)
sans intermédiaire et dans un esprit mutuel de conciliation ; qu'un traité
avait été conclu avec l'Espagne ; que les droits de sortie imposés sur nos
produits seraient abolis ; que, dans l'intérêt du Trésor et de l'industrie, les
droits d'entrée sur certains objets d'importation étrangère seraient abaissés ;
que les résultats de l'enquête commerciale seraient discutés ; que des
dispositions seraient présentées pour protéger l'enfance dans les manufactures.
Enhardi par ses succès, le ministère avait eu l'imprudence d'insérer dans le
discours du Trône ces paroles provocantes : « Je n'ai qu'un vœu à former, c'est
qu'à tous égards, la session nouvelle ne soit, pour le pays et pour moi, que la
continuation de « la session précédente. » Après les vives discussions sur les
modifications à la loi communale, une telle phrase était une insulte et une
menace pour la forte minorité qui s'était opposée à ces changements. La
commission de l'Adresse avait eu la prudence de ne point répondre à ce passage,
et cependant, il imprima à la discussion une couleur politique très prononcée.
Après des débats animés, l'adresse fut votée à l'unanimité moins 3 voix
(Moniteur de 1842, Discours du Trône et discussion des Adresses, n°313,316 et
317)
La loi des céréales du 31 juillet 1834, qu'on avait annoncée comme la panacée universelle contre la disette et les souffrances de l'agriculture, comme la charte qui pouvait invariablement régler les grands intérêts qui se rattachent à cette question, fut de nouveau modifiée, en ce qui concerne l'orge et le seigle. Amère critique de la prétention à une pondération impossible ; humble aveu de l'impuissance du régime réglementaire, si souvent constatée ! (Loi du 25 décembre 1842. Moniteur de 1842, n°330, 331, 357, 358)
Presque
tous les budgets furent votés avant l'ouverture de l'exercice auquel ils
appartenaient : ils le furent à de grandes (page 52) majorités, mais non sans que leur
discussion se ressentît de l'agitation des esprits. Celui des Voies et moyens
fut le champs clos, où les partis se trouvèrent en présence et qui donna lieu à
un incident très rare dans les annales parlementaires. Dans la séance du 4
décembre 1841, M. le Ministre des Finances (M. Smits) avait prononcé ces
incroyables paroles : « J'ai une longue et honorable carrière, et j'ose
dire que je suis profondément pénétré du sentiment de mes devoirs. Eh bien !
Messieurs, j'ai tellement la conviction que les revenus portés au budget que
j'ai eu l'honneur de présenter se réaliseront, que si ma fortune particulière
le permettait, je n'hésiterais pas à les prendre à forfait, persuadé que je
suis que mon patrimoine s'en trouverait notablement amélioré. » Au lieu d'un
excédant il y avait eu un déficit : M. Smits avait été un faux prophète et un
mauvais calculateur. Personne ne lui ôta son patrimoine, mais la Chambre lui
retira sa confiance. Voici comment. Le Ministre des Finances avait proposé 7
centimes extraordinaires à la contribution foncière ; 10 centimes additionnels
à la contribution personnelle. En fait de ressources gouvernementales, les
centimes additionnels sont le pont aux ânes. La Chambre ne voulut pas y passer.
Les 7 centimes furent rejetés par 68 voix contre 4 et 2 abstentions ; les
quatre ministres représentants furent seuls à les appuyer : la proposition des
10 centimes fut retirée, afin de lui épargner le même sort, humiliant pour le
cabinet. M. Delfosse apprécia (séance du 3 décembre 1842) cet échec de la
manière suivante : « Le vote d'hier est un fait inouï dans les fastes
parlementaires ; dans aucun temps, dans aucun pays, je pense, on n'a vu un
ministère se trouver absolument seul pour appuyer une proposition et ne pas
rencontrer dans la représentation nationale une seule voix amie ; après un
échec aussi humiliant, le ministère, s'il avait le moindre sentiment de
dignité, ne devrait pas se borner à retirer les projets, il devrait se retirer
lui-même ; (page 53) si la même
chose se présentait en France ou en Angleterre la démission des ministres ne se
ferait pas attendre vingt-quatre heures. » M. Smits se tut ; M. Nothomb
répliqua : « C'est au ministère d'apprécier, comme il le juge convenable, le
vote qui a été émis hier, et chaque membre de la Chambre l'appréciera
également. » Il n'y eut pas de démission, mais, dès ce jour, le Ministre des
Finances était condamné à mourir : nous verrons bientôt par quelle habile
manœuvre M. Nothomb le jeta par-dessus bord.
Dans la discussion des autres budgets, la question politique se trouva toujours à côté ou même en avant de la question d'affaire. Au budget de l'Intérieur, on signala quelques essais de fraude électorale. M. Nothomb prit l'engagement de faire des propositions de redressement, mais, cette fois encore, il fut entraîné au delà du but, par ses partisans, exigeants parce qu'ils étaient nécessaires ; il vérifiait ainsi le mot connu : « On tombe du côté vers lequel on incline. » (Moniteur de 1842, n°349, supplément. M. de Foere, absent, fit lire par un de ses collègues une note ainsi conçue : « En Angleterre, pour être membre du Parlement, il faut justifier d'un revenu qui est, je crois, de 300 liv. st. Canning ne pouvait justifier de ce revenu. Un de ses amis lui fournit un titre, auquel Canning donna un acte de rétrocession. Ce fait fut connu par le Parlement tout entier. Il n'a soulevé aucune réclamation. Il suffit que la lettre de la loi soit accomplie. C'est ce qui se pratique chaque jour, en Angleterre, sans opposition. » Moniteur de 1842, n° 351, supplément)
Au
budget des Travaux publics, une question très intéressante pour le Trésor fut soulevée.
Dans une des sessions précédentes, M. Nothomb, Ministre de l'Intérieur, avait
signalé la reprise par l'Etat du canal de Mons à Condé, comme une ressource
considérable pour le revenu public. Dans la présente discussion, M. Malou avait
remis en avant cette idée ; mais la section centrale s'était bornée à
recommander la question à
(page 54) l'examen du Gouvernement.
Les
débats furent assez étendus sur ce point et ils eurent pour résultat, non de la
résoudre en ce moment, mais de préparer les voies à une solution prochaine
(Moniteur de 1843, n°12,13)
Heureux,
sans doute, de se retirer d'une place devant laquelle un siège en règle était
établi, M. Van Volxem, Ministre de la Justice, donna sa démission, le 15 décembre
1842. Il disait : « Les services rendus par M. Willems au pays et à votre
justice ne me permettaient pas, Messieurs, de penser que M. Willems ne serait
pas de nouveau honoré de vos suffrages (comme conseiller à la Cour des comptes)
si une circonstance particulière n'y était obstative. Cette circonstance
résulte de l'affinité qui existe entre M. Willems et moi, parce que j'ai épousé
une de ses sœurs, qui est décédée depuis bien longtemps. » L'art. 2
du décret du 9 août 1831, établissant la Cour des compte, porte : « Les membres
de la Cour des comptes ne peuvent être parents ou alliés jusqu'au quatrième
degré... d'un ministre... » Cette prescription doit-elle être entendue dans le
même sens que l'incompatibilité prévue par l'art. 51 de la loi communale et
l'art. 41 de la loi provinciale, qui statuent : « L'alliance est censée
dissoute par le décès de la femme du chef de laquelle elle provient» ? M. le
Ministre de la Justice ne se donna ni le temps, ni la peine de résoudre cette
question. M. Nothomb fut chargé, par intérim, du portefeuille vacant ; on
pouvait dire de lui, comme de Louis XIV : non pluribus impur.
Le
25 octobre 1842, le Gouvernement
belge avait conclu avec celui d'Espagne une convention de
navigation et de commerce. Les parties contractantes s'assuraient des avantages
réciproques pour leur marine marchande. Les tissus de lin et de chanvre belges
obtenaient un léger abaissement de droits. Les dégrèvements accordés aux vins
français, à leur entrée en (page 55)
Belgique,
étaient étendus aux vins espagnols. Deux tiers de réduction des
droits d'entrée étaient accordés aux huiles et aux fruits verts ou secs de la
Péninsule ; le transit vers l'Allemagne leur était ouvert, aussi bien qu'aux
vins. La convention devait avoir une durée de cinq années : elle stipulait des
clauses résolutoires. En somme, l'Espagne accordait beaucoup moins qu'elle
n'obtenait : ses principaux produits d'exportation étaient notablement dégrevés
; les nôtres ne l'étaient que d'une manière peu sensible. L'industrie linière
n'avait, autrefois, pas de meilleur marché, après la France, que l'Espagne. Ses
débouchés, de ce côté, allaient chaque jour en décroissant : la concurrence
anglaise, soit par commerce régulier, soit par commerce interlope, était, sans
contredit, la principale cause de cette décadence. Mais la présente convention
n'avait pas assez fait pour lui ouvrir, de nouveau et sérieusement, cet
important exutoire. Le remède était impuissant contre la pléthore dont elle
souffrait. Mais les bons traités dépendent du pouvoir exécutif : le pouvoir
législatif ne peut pas les amender, pour les rendre meilleurs ; son action se
borne à les admettre ou à les rejeter, mesure extrême et dangereuse. La
convention fut acceptée (Loi
du 5 janvier 1843, adoptée, à la Chambre, par 77 voix contre 1 ; au Sénat, par
36 voix contre 1. Moniteur de 1843, n°333, 334, 362, 363).
La
loi du dernier emprunt, qui comprenait une somme de 1,750,000 francs, pour le
creusement d'un canal, à petite dimension, du Ruppel à Bois-le-Duc, stipulait
que cette voie navigable serait établie, moyennant le concours des communes
et des propriétés intéressées, d'après un tracé et aux conditions à déterminer
par une loi, préalablement à toute exécution. Un projet de loi, conforme à
ces principes, fut présenté aux Chambres. Chose ordinaire, une fois la somme
votée, on éleva des plaintes posthumes sur les conditions. Ce qu'on avait (page 56) regardé comme un moyen d'obtenir
un travail de grande utilité locale, fut considéré comme une injustice, quand
le moment du règlement fut arrivé. Le quart d'heure de Rabelais est de tous les
temps et de tous les lieux, et la carte à payer ôte parfois un peu des douceurs
du festin budgétaire. Et, cependant, les conditions imposées étaient douces ;
en voici les principales :
« Art. 2. Les propriétés communales et privées, situées de part et d'autre du canal, sur une profondeur de 5,000 mètres, seront appelées à concourir aux frais de son établissement. »
«
Art. 3. Ce concours consistera dans le remboursement d'une partie des frais
d'établissement du canal, et ce au moyen d'indemnités à payer pendant
vingt-cinq ans. »
« Art. 4. Ces annuités sont calculées d'après les bases suivantes : les
propriétés étant divisées en cinq zones, chacune de 1,000 mètres.
«
Pour les propriétés de la 1ère zone, par hectare, fr. 2 00
«
Pour les propriétés de la 2ème zone, par hectare, fr. 1 40
«
Pour les propriétés de la 3ème zone, par hectare, fr. 1 00
«
Pour les propriétés de la 4ème zone, par hectare, fr. 0 60
«
Pour les propriétés de la 5ème zone, par hectare, fr. 0 40 »
«
Art. 6. L'annuité est rachetable par 100 francs de capital pour fr. 7 10
d'annuité. En cas de rachat, les débiteurs auront l'option de s'acquitter, soit
en numéraire, soit par la cession de partie de leur propriété jusqu'à une
concurrence et aux prix suivants : »
«
Propriétés de la 1ère zone, par hectare, fr. 130
«
Propriétés de la 2ème zone, par hectare, fr. 100
«
Propriétés de la 3ème zone, par hectare, fr. 80
«
Propriétés de la 4ème zone, par hectare, fr. 60
«
Propriétés de la 5ème zone, par hectare, fr. 50
« Le
Gouvernement
est autorisé à vendre aux enchères publiques, les propriétés cédées.
»
«
Art. 7. Le Gouvernement
pourra, dans les cas (page
57) exceptionnels,
accorder les modérations qui pourront lui paraître équitables. »
Nous avons insisté, avec détail, sur les dispositions de cette loi, parce qu'elles jettent de nouvelles lumières sur un mode d'exécution de travaux publics, qui pourrait être étendu et permettrait de réaliser des entreprises utiles aux particuliers et, par la suite, à la richesse publique. Nous l'avons indiqué à propos du canal de Zelzaete (voir t. II, au commencement de ce livre VII.)
Le
principe de l'intervention des propriétaires intéressés avait déjà été formulé
par la loi établissant le creusement de ce dernier canal. La faculté de se
libérer par cession de terrains, que le Gouvernement serait
autorisé à faire revendre, pourrait être critiqué, s'il n'avait pour but de
favoriser les petits propriétaires et les communes. L'art. 7, qui donne au Gouvernement
le pouvoir d'accorder des modérations, mauvais en principe, a été rendu
détestable dans l'exécution. La condition de concours a été ainsi amoindrie et
la base de la loi ébranlée. Le Gouvernement avait demandé, par un
article final, à être autorisé à rendre les conditions de la présente loi
applicables aux canaux à exécuter dans la Campine, par voie de concessions de
90 ans, après une enquête, mais sans adjudication publique. On lui
démontra que c'était là un droit exorbitant et qui, dans tous les cas, devrait
trouver sa place dans la loi des péages. Il se rendit à cette observation
fondée et retira la disposition.
Tous
les amendements, tendant à diminuer la part contributive des communes ou des
propriétés intéressées furent repoussés. L'ensemble de la loi fut admis (Loi du
10 février 1843, adoptée, à la Chambre, par 61 voix contre 1 ; au Sénat, par 3l
voix contre 1, et 2 abstentions. Moniteur de 1843, n°16 à 18, 38, 39.
Voir Exposé de la situation du royaume, t. IV, p. 251.)
Le
canal de la Campine a été étendu depuis ; il comprend (page 58) aujourd'hui une longueur de
75,788 mètres. La première section, celle dont il est question ici (de Bocholt
à la Pierre-Bleue) fut commencée le 3 avril 1843 et ouverte à la navigation le
22 août 1844 : la seconde section (de la Pierre-Bleue à Herenthals) a été
ouverte le 21 septembre 1846. Un embranchement, de ce canal vers Turnhout, fut
commencé en juillet 1845 et ouvert le 21 septembre 1846.
L'arrêté royal du 25 novembre 1844 règle la police de ce canal et fixe le tarif des droits à percevoir.
Le
traité de paix avec les Pays-Bas, conclu le 19 avril 1839, n'avait posé que des
principes généraux : il restait donc à régler leur application. Le Gouvernement
avait nommé plusieurs commissions chargées de tracer les limites
séparatives des deux États ; de fixer les voies pour l'écoulement des
eaux ; d'arrêter le mode d'acquittement des péages et toute la partie
financière ; enfin de procéder au transfert et à la remise des archives. Les
travaux de ces commissions furent longs et difficiles, aboutissant sur certains
points, échouant sur plusieurs autres. Dans une négociation directe, les deux
Gouvernements étaient parvenus, après bien des efforts, à tomber d'accord sur
tons les points en litige. De là résulta la convention du 5 novembre 1842. Nos
limites nous empêchent d'entrer dans les nombreux détails de cet arrangement :
bornons-nous à en mentionner les points principaux. Nous dirons, d'abord, que
pour les juger, il faut les considérer dans leur ensemble et ne pas perdre de
vue que c'était une transaction.
Quant
aux limites, le traité de 1839 stipulait : que la Belgique comprendra
les provinces de Brabant, Hainaut, Liège, Namur, Flandre orientale, Flandre
occidentale et Anvers, telles qu'elles ont fait partie du royaume des
Pays-Bas. Les quatre premières de ces
provinces ne touchent pas à la Hollande : les trois dernières ne
présentaient pas, pour leur délimitation, de difficultés très graves. Quant aux
provinces de Luxembourg et de Limbourg il s'éleva des prétentions (page 59) nombreuses. Une partie de Martelange,
territoire contesté, nous fut laissée. Dans le Limbourg les points litigieux
furent aplanis par des concessions réciproques (Mentionnons,
en passant, - moins comme objet ayant trait à la présente convention, que comme
objet de curiosité, - la position de la commune de Moresnet. Une partie de son
territoire appartient à la Prusse, une autre partie à la Belgique ; la
partie intermédiaire, ayant une superficie et une population restreintes, est
indépendante. C'est une communauté, sans formes précises de gouvernement
ou d'administration, quelque chose de moindre encore que le Val
d'Andorre ou Monaco. Proie trop faible pour qu'on se la dispute. Population
indépendante, dont le premier privilège est d'être exemptée du service
militaire.)
La navigation
comprenait les formalités à remplir pour la perception des droits de péages
sur les navires naviguant sur l'Escaut et le canal de Terneuzen : les frais à
payer pour l'érection et l'entretien des fanaux et des travaux d'art pour
l'écoulement des eaux : le droit de libre navigation et les frais à payer sur
les eaux intermédiaires entre l'Escaut et le Rhin et sur la Meuse. Tous ces
points étaient réglés d'après les bases des traités antérieurs et de la
convention de Mayence du 31 mars 1831.
Ils tendaient à adoucir, autant que possible, les stipulations onéreuses, que
nous avions dû accepter.
Les finances
étaient, sans contredit, la partie la plus difficile à fixer et celle pour
laquelle un abandon du droit strict et une transaction étaient les plus
nécessaires. Elle comprenait, en effet, l'encaisse de l'ancien caissier général
et, par conséquent, se compliquait des nombreux rapports d'intérêt que la
Société Générale avait soit avec le gouvernement ancien,
soit avec le roi Guillaume, comme particulier ou comme fondateur et principal
actionnaire de cette banque. L'encaisse avait été arrêté, par la convention du
1er
novembre 1833, à la somme de fr. 12,989,618-82, convertie, pour une somme a peu
près équivalente, en fonds publics. Par la loi du 28 décembre 1835, nous avions
décidé, cédant à un sentiment d'extrême loyauté, de continuer à recevoir les losrenten
en payement des domaines (page 60)
vendus. Cet acte rendit plus lourde et plus compliquée notre
présente liquidation. Enfin, l'adoption ou le rejet du traité entraînait
l'adoption ou le rejet de la convention avec la Société Générale, si
profondément intéressée dans la liquidation entre les deux États. Nous ne
pouvons pas nous étendre sur tous les détails de ces décomptes divers, qui
n'ont d'ailleurs plus, en ce moment, qu'un intérêt plutôt historique que
parlementaire. Pour étudier cette question, dans toutes ses parties, on peut
consulter avec fruit, non pas les discussions, puisqu'elles ont eu lieu en
comité secret, mais les documents suivants : les deux rapports antérieurs de M.
I. Fallon et ses discours sur la présente convention (Moniteur de 1835,
n°139 et 140 ; de 1837, n° 329, 2e supplément ; de 1842, n°65) ; l'exposé des
motifs du Gouvernement
(Ibid., 1842, n°336) ; le rapport étendu et lumineux de M.
Donny (Ibid.,
1843, n° 28, 29, 31, 32, 35) ; le discours de M. Jadot (Ibid.,
1843, n° 62). La loi fut adoptée sans grande opposition (Loi
du 3 février 1843, adoptée, par la Chambre, par 77 voix contre 8, et 4 abstentions
; au Sénat, par 35 voix contre 3, et 5 abstentions. En exécution du § 1er de
l'art. 63 du traité du 5 novembre 1842, on a inscrit au grand-livre de la dette
publique, sans expression de capital, une rente annuelle inaliénable de 846,560
francs, au profit du Gouvernement
des Pays-Bas).
Les
Chambres discutèrent, aussi en comité secret, et adoptèrent à l'unanimité : 1°
Un projet de loi relatif à la convention de commerce et de navigation
intérieure conclue avec les Pays-Bas ; 2° un projet de loi concernant la
convention faite avec le Roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg, dans le but
de faciliter l'achèvement et la navigation du canal de Meuse et Moselle (Loi
du 3 février 1843).
Telle
fut la fin de nos longs différends avec la Hollande. Si l'on peut s'exprimer
ainsi, ce ne fui que douze ans après la (page 61) séparation de corps, que l'on arriva à la séparation de
biens. Le roi qui causa ces difficultés, n'intervint point dans leur solution ;
la convention fut signée par Guillaume II. Guillaume Ier avait
abdiqué la partie des pouvoirs que le peuple ne lui avait pas arrachée ; double
expiation, si non double justice ! Les deux nations, de sœurs qu'elles avaient
été, pouvaient désormais devenir alliées et amies. Leur union, fruit de
combinaisons diplomatiques, fut rompue par une révolution populaire. Quand
Bossuet disait, dans un simple et sublime langage : « L'homme s'agite et Dieu
le mène, » il parlait des rois aussi bien que des autres mortels. Car, si les
souverains se croient assez forts pour combiner des royaumes, par leurs
précaires protocoles, la Providence prouve que seule elle est capable de donner
la vie aux nationalités, par ses immuables décrets. Les quinze années, pendant
lesquelles les deux peuples vécurent sous un même régime, ne suffirent pas pour
les rapprocher jusqu'au point de leur faire oublier les différences de leur
origine, de leurs intérêts et surtout de leurs croyances religieuses. Un
monarque sage eût pu effacer, par sa prudence et sa justice, ces causes
d'éloignement instinctif : le Roi Guillaume Ier ne fit, par son obstination et
sa partialité, que rendre cette affinité plus difficile, et cela du premier
jour où il reçut la direction de ces deux royaumes, jusqu'à celui où il vit
l'un d'eux échapper à sa domination, nous allions presque dire à son
despotisme. Habile à concevoir les entreprises d'intérêt matériel, prompt à les
réaliser, juste, jusqu'à un certain point, à les répartir, il ne sut comprendre
ni pratiquer le respect qui est dû aux croyances séculaires, moins encore les
ménagements qu'exigeait le passé de deux nations, l'une encore toute glorieuse
des souvenirs de sa puissante république, l'autre toute fière aussi des
traditions des franchises de son pouvoir communal et de ses états généraux.
Guillaume Ier eût pu être un bon roi absolu, pour un pays habitué au Gouvernement
despotique
; il fut un mauvais (page 62) roi
constitutionnel pour des nations dignes du régime représentatif. De la loi
fondamentale, il fit une charte octroyée ; changeant ainsi la solide base de son
Trône en un fragile appui. Il se montra impatient des avertissements de la
tribune et colère contre les critiques, même les plus justes, de la presse : il
ne sut jamais se plier aux règles du Gouvernement constitutionnel.
C'est pour avoir méconnu ces prescriptions, qu'il est tombé, comme tomberont,
tôt ou tard, tous les souverains, appelés à gouverner les peuples mûrs pour la
liberté représentative, et qui n'entoureront pas de leur respect et de leur
justice les principes constitutionnels, seule ancre de salut des monarchies
modernes.
Pour
ceux qui recherchent, dans les lois de douane, le double but de favoriser
l'industrie et d'accroître les ressources du Trésor, il est un juste milieu
difficile à trouver. On croit l'atteindre par des droits élevés et une forte
répression de la fraude : mais les lois les plus sévères n'amènent souvent pas
le résultat désiré. La fraude est encouragée par un tarif exagéré et le
bénéfice à réaliser sert de prime aux dangers de la saisie. Ce principe est
vrai surtout pour les objets qui représentent une grande valeur sous un petit
volume. C'est un tarif modéré, pensons-nous, qui garantit le mieux les intérêts
de l'industrie et du Trésor, car il est un obstacle, tout à la fois, et à la fraude
et à la corruption des employés. Les Chambres furent saisies d'un projet de loi
fortifiant l'action de l'administration pour la répression de la fraude.
Introduit par un ministre représentant des intérêts qui réclament la
protection, M. Desmaisières, il fut défendu par un ministre représentant des
intérêts qui désirent la liberté, M. Smits. La différence entre les aspirations
de Gand et d'Anvers explique les modifications consenties par le Ministre des
Finances actuel au projet primitif. Cette position du Gouvernement fut
signalée, dans la discussion. Dans le premier projet, on prévoyait
l'établissement d'un second rayon de douane : la section centrale (page 63) proposa et M. Smits admit la
suppression de cette disposition. M. de Lehaye l'ayant faite sienne, elle fut
rejetée par 53 voix contre 11. La majorité nous semble avoir eu raison : c'eût
été, en effet, imposer à un plus grand nombre de communes et de villes les
formalités, gênantes pour le commerce et l'industrie, attachées à la portion du
territoire réservée à l'action de la douane. La loi, d'ailleurs, consacra
d'autres moyens de répression d'une sévérité, on pourrait dire exorbitante.
Ainsi (art. 15) : « Les employés auront le droit de pénétrer, sans aucune
autorisation ou assistance dans le domicile, où ils auront vu introduire
les marchandises poursuivies. » - Ils pourront exercer ce droit, même la nuit :
c'est-à-dire que cette répression est plus forte que celle pour autres crimes
ou délits. « Ils sont autorisés à faire usage de leurs armes pour abattre les
chiens employés à la fraude ou servant à faciliter la course des porteurs de
charges ou ballots, ainsi que les chevaux chargés, ou montés par des
fraudeurs, lorsque ceux-ci ne s'arrêteront pas à la première réquisition. »
En d'autres termes, pour réprimer la fraude de quelques ballots de marchandise
étrangère, on livrait la vie d'un homme à la vengeance, à la maladresse, ou à
l'excès de zèle d'un douanier. Et qu'on ne dise pas que c'est là une
exagération ; nous avons vu, de nos propres yeux, un fraudeur monté tomber sous
un coup de carabine, blessé d'une balle qui lui avait traversé la cuisse, en
tuant son cheval. Une disposition, qui amène de tels résultats, est une tache
dans une loi. Quelques membres parlèrent de visites domiciliaires et d'estampilles
: il est étonnant qu'une majorité, qui avait été sévère jusqu'à la cruauté, ait
écarté ces armes du vieil arsenal protectionniste. La loi fut admise, avec
toutes ses rigueurs (Loi du 6 avril
1843, adoptée, à la Chambre, par 42 voix contre 5, et 6 abstentions ; au Sénat,
par 27 voix. Moniteur de 1843, n°39 à 46, 48, 87, 90).
(page 64) Notre tarif de douane
présentait de grandes anomalies, en ce qui concernait les droits de sortie imposés
à certains articles. Ainsi, pour en citer un exemple, les bières acquittaient
fr. 21-20, l'hectolitre ; les aluns, fr. 81-80, les 100 kilogrammes. La perte
présumée pour le Trésor, à provenir de l'abaissement de ces droits, était de
près de 90,000 francs. C'était donc uniquement dans l'intérêt du commerce et de
l'industrie que les modifications furent proposées. La réforme, toutefois, ne
fut pas si profonde, qu'il ne fallût y revenir. Quelques députés des Flandres,
cherchant toujours, pour l'industrie linière, un remède dans la protection et
non dans le progrès, soutinrent une proposition, tendant à imposer de 15 p. c.
les lins fins à la sortie. Cette demande fut renvoyée à la section centrale
chargée de l'examen d'une proposition analogue. La loi, qui comprenait un
abaissement de droits sur près de 200 articles, fut adoptée, sans grande
discussion, dans les deux enceintes (Loi du 30 mars 1843. Moniteur de
1843, n°46 à 48, 87. Aux États-Unis, la Constitution défend de frapper de
droits de sortie aucun article exporté : « No tax or duty shall be
laid on articles exported from any State. (Art. 1er, sect. IX, §
5). »)
Les
besoins du Trésor et l'éternelle lutte entre la canne et la betterave
ramenèrent la question des sucres. En présence des difficultés de pondérer
équitablement les droits entre les deux industries, des esprits sérieux se sont
demandé, à cette époque, si mieux n'eût pas valu empêcher, dès le principe, la
production indigène du sucre de se développer. C'eût été, disaient-ils, éviter
tous les embarras de l'application des droits ; donner une forte impulsion à
notre mouvement maritime et, par suite, augmenter nos exportations vers
l'étranger. Les opposants à ce système répondirent : Êtes-vous en droit de
faire avorter ainsi une industrie indigène, dans un pays qui n'a pas de
colonies produisant la matière première des sucres ; (page 65) vous détruiriez la concurrence et, par
conséquent, l'abaissement possible du prix d'une denrée de luxe sans doute,
mais dont l'usage s'étend chaque jour ; un événement politique, ou une révolte
d'esclaves pourrait subitement doubler le prix de cette matière première ;
cette fabrication occupe un grand nombre de bras et de forts capitaux, elle
procure indirectement de grandes ressources au Trésor, elle améliore les terres
et en élève la valeur, elle favorise d'autres industries et tend elle-même à se
développer dans de larges proportions. Est-il politique de tuer une industrie
qui a de tels principes et de telles causes de vitalité ? Les résultats des
deux systèmes et l'utilité de la coexistence des deux industries sont
développés lucidement, dans deux rapports de M. Mercier (Moniteur de 1842, n°299 et 311, et de 1843, n°37). Il fut aussi
parlé du travail en entrepôt : le Gouvernement repoussa cette idée parce
qu'elle n'était pas accompagnée de formule. Il est certain que le travail en
entrepôt, ou la non-coexistence des deux sucres pouvaient être réglés au début
de notre organisation : mais il est vrai aussi que l'adoption de l'un et l'autre
de ces systèmes eût
entraîné à des frais ou à des indemnités considérables, après qu'on avait
laissé l'état actuel des choses se développer pendant treize ans (En 1843, il
existait, dans le pays, soixante-trois raffineries de sucre exotique et trente
et une fabriques de sucre de betterave (Exposé,
t. IV, p. 134.))
Le
Gouvernement ne prit point dans cette question une attitude nette et franche :
il changeait de système devant la moindre opposition et il fut traîné à la
remorque par la Chambre. Telle était l'aigreur de l'opposition qu'elle sut
mêler, à cette question, l'amertume de ses reproches politiques. Le
Gouvernement avait d'abord proposé une sorte d'échelle mobile, sur des prix
fictifs. La section centrale avait proposé le droit d'accise de la manière
suivante : 50 francs les 100 kilogrammes (page
66) de sucre brut de canne ; 25 francs les 100 kilogrammes de sucre brut de
betterave. Cette proposition fut écartée par 41 voix contre 37. M. d'Huart
proposa un droit respectif de 45 francs et 20 francs : la Chambre l'admit par
45 voix contre 36. La décharge de l'accise, dans la proportion des 6/10, était
calculée :
a)
au rendement par 100 kil. de sucre brut :
- de
canne, de 57 kilogrammes de sucre raffinés en pains mélis, blancs, etc.
- de
betterave, de 49 kilogrammes de sucre raffinés en pains mélis, blancs,
etc.
b)
au rendement par 100 kil. de sucre brut :
- de
canne, de 60 kilogrammes de sucre raffinés en pains dits lumps, blancs,
etc.
- de
betterave, de 52 kilogrammes de sucre raffinés en pains dits lumps,
blancs, etc.
Pour
les autres qualités voyez la loi (Loi du 4 avril 1843, adoptée, à la Chambre,
par 58 voix contre 15, et 8 abstentions ; au Sénat, à l'unanimité. Moniteur de
1843, n°60 à 90). Des conditions et des pénalités sévères pour la fabrication
et l'exportation étaient stipulées. On annonça, encore une fois, la mort de
cette industrie. Cela fut si peu vrai, qu'il fallut bientôt réviser la
législation, soit pour suivre les progrès de la fabrication, soit pour réprimer
de nouveaux moyen mis en œuvre afin de frustrer les droits (Les recettes pour
droits d'accise avaient été : en 1841 de fr. 709,867 50 ; en 1842 de fr.
741,157 73. Elles furent, sous de la régime la présente loi : en 1844 de fr.
3,661,210 86 ; en 1845 de 2,612,665 17).
Disons,
à propos de cette loi, qui absorba dix-huit séances de la Chambre, que les
questions qui touchent aux intérêts matériels ne sont pas moins difficiles à
résoudre, que les questions qui concernent les intérêts moraux. Ajoutons que M.
Nothomb garda le silence pendant toute la discussion, et (page 67) cela malgré les provocations de l'opposition. Il n'était
pas fâché, peut-être, de faire ressortir l’insuffisance de son collègue des
finances encore plus clairement que lors du rejet des centimes additionnels.
Les jours de la vie ministérielle de M. Smits étaient comptés.
Un
crédit de fr. 247,377 70 fut demandé par le Ministre des Finances, pour payer
des sommes dues pour condamnations judiciaires. Il s'agissait d'acquitter les
indemnités adjugées aux sieurs de Gruyter et Lion, anciens commissaires aux
recherches de biens domaniaux cédés. Ici, encore une fois, on agita le point de
compétence de la Chambre ; à savoir, si elle peut se refuser à faire les fonds,
c'est-à-dire ne pas respecter les jugements, en matière civile. M. Nothomb,
Ministre de l'Intérieur, MM. du Bus aîné et Fleussu repoussèrent
victorieusement cette dangereuse doctrine. Ils démontrèrent que cela ne
pourrait se faire, que s'il existait, aux vœux de l'art. 106 de la Constitution,
une loi des conflits. Cet article est, jusqu'à présent, une lettre
morte. Pour le mettre en action, il faudrait des dispositions légales,
difficiles à formuler, qu'on ne s'y trompe pas. Le crédit fut adopté, à
l'unanimité et une abstention (Moniteur de 1843, n°70, supplément). Nous
n'indiquons ce débat, que parce que cette question s'est souvent présentée
devant le Parlement et que nous la regardons comme une des plus délicates qu'on
puisse soulever.
Le régime
représentatif a sa source dans l'élection ; corrompez la source et tout ce qui
en découle sera corrompu. Notre Constitution dit : « Tous les pouvoirs émanent
de la nation ; » pour que cette prescription reste une vérité, il faut que
cette émanation, c'est-à-dire la volonté du pays légal exprimée par le corps
électoral, soit libre et sincère. Ceci n'est point une question de parti ;
c'est une condition essentielle du self-government. En Angleterre, il a
fallu réprimer, (page 68) par de
nombreuses dispositions légales, les fraudes électorales, résultats du vote
public et du cens peu élevé dans ce pays (En
Angleterre, il existe plus de quatre-vingt-dix bills sur la matière. En trente
années (1801-1830), le Parlement a passé neuf actes de répression. (jollivet, Examen du système
électoral anglais, Paris 1835, passim.) Le 10 août 1842, après une
large enquête, faite sur la proposition de M. Roebuck, un nouveau bill
répressif fut admis. En France, où le vote était secret et le cens très élèvé,
il n'existait pas de loi de répression des fraudes électorales).
On
avait signalé, à notre tribune, quelques tentatives isolées de falsification de
ce criterium de la volonté nationale : elles consistaient dans
l'inscription, comme électeurs, de personnes ne payant pas par elles-mêmes le
cens, seule présomption légale de la capacité électorale. M. le Ministre de
l'Intérieur s'était engagé à constater, par enquête, la réalité des faits
allégués et, s'il y avait lieu, à présenter des dispositions répressives de
cette fraude. En séance du 16 février 1843, M. Nothomb déposa un projet ayant
pour objet d'assurer l'exécution régulière et uniforme de la loi électorale.
Les 16 articles, qui composaient le projet, pouvaient être ramenés à six
points principaux :
1° Exclusion,
du cens électoral, des centimes communaux et provinciaux ;
2° Possession
du cens électoral, distinction entre l'impôt foncier et les autres
contributions directes ;
3° Incapacités
électorales, rendues communes à tous les électeurs ;
4° Faculté
d'appel, devant les députations permanentes, attribuée aux commissaires
d'arrondissement ; et faculté de pourvoi en cassation, attribuée aux
gouverneurs ;
5° Formation
des bureaux et vote des membres des bureaux ;
6° Police
et régularité des opérations électorales.
(page 69) Examinons, en peu de mots, le
but et la portée de ces dispositions.
Le
premier point, l'exclusion, du cens électoral, des centimes communaux et
provinciaux, était déjà inscrit dans la loi communale (art. 7, n° 3) : il était
suivi dans huit provinces, celle de Liège comprenait seule ces centimes, dans
ce cens : la Cour de cassation (arrêt du 15 juillet 1836) s'était prononcée
pour cette exclusion : la discussion de la loi du 3 mars 1831 semble indiquer
que la majorité du Congrès n'a entendu parler que des contributions directes versées
au Trésor de l'État (les centimes communaux et provinciaux ne font qu'y
passer pour compte étranger). Du système contraire, il serait résulté
que, dans les communes, il eût dépendu de l'administration locale, en faisant
des dépenses exagérées et en votant des centimes pour couvrir ces dépenses, de
créer des électeurs. Nous regardons donc ce point, comme bien jugé par le
projet.
Le
deuxième point, tout en maintenant l'exception en faveur du possesseur à titre
successif, range les impôts directs en deux classes : les uns, à bases fixes
(foncier et redevance de mines), ne comptent à l'électeur que s'il les a payés
pendant l'année antérieure ; les autres, à bases variables (patentes, personnel,
etc.), ne lui comptent qu'en tant qu'il les ait payés, pendant chacune des deux
années antérieures. Ce remède contre les inscriptions fictives et frauduleuses
est aussi efficace que possible. Peu de personnes penseront à faire des
inscriptions indues, plus de deux ans à l'avance ; moins de personnes encore
voudront en supporter les frais. On pourrait objecter, il est vrai, que c'était
priver certaines personnes, possédant le signe matériel de la capacité
électorale, d'exercer leur droit et cela, parce que d'autres personnes
commettaient des fraudes. Cette objection était fondée, mais il fallait, pour
éviter cet inconvénient, trouver un autre remède contre les inscriptions
indues. Or, comme nul moyen efficace ne fut (page 70) proposé, il fallait bien se contenter de
cette répression, si peu parfaite qu'elle fût.
Le
quatrième point donne la faculté d'appel devant la députation permanente aux
commissaires d'arrondissement et le recours en cassation aux gouverneurs,
contre les inscriptions, les radiations, ou les omissions indues.
Il suffisait, pensons-nous, de laisser ce droit aux individus lésés ; ou à des
tiers jouissant des droits civils et politiques. Qu'avait à voir ici le Gouvernement,
à l'aide de ses agents ? Une élection, c'est la nomination du
jury national, appelé à juger le pouvoir. Le Gouvernement n'a
donc pas à intervenir dans la nomination de ses juges. Cette disposition est
contraire à la raison d'être, à l'esprit du système électif. C'est la mise en
tutelle du corps électoral ; c'est supposer son incapacité ou son inertie pour
l'accomplissement de la grande mission qui lui est confiée. Nous n'hésitons
donc pas à regarder cette innovation tout au moins comme inutile, et comme
pouvant être, parfois, dangereuse.
Le
cinquième point, la formation des bureaux, nécessite une observation. Au lieu
de laisser au président le choix des membres parmi les conseillers communaux,
le projet met en première ligne les bourgmestres. Or, si ces derniers sont
nommés hors du conseil, ils ne sont plus que des agents ministériels. En
France, ou avait porté le scrupule jusqu'à abandonner aux électeurs la
formation du bureau. Mais cette formalité préliminaire prolongeait trop les
opérations électorales.
Le sixième
point, police et régularité des élections, semble être dirigé contre la
communication et l'entente entre les électeurs. Ainsi, bureaux séparés dans des
locaux différents ; défense aux électeurs d'entrer dans les bureaux où ils ne
votent pas ; prohibition d£ la distribution ou de l'exhibition d'écrits ou
imprimés même utiles ou inoffensifs : toutes ces mesures étaient
préventives de la manifestation de l'esprit public, souffle de vie d'une
élection.
La
section centrale, par l'organe de M. Malou son rapporteur, (page 71) ajoutait à toutes ces dispositions, le vote par un même
scrutin et un même bulletin des sénateurs et des représentants, en cas
d'élection simultanée par un même collège ; source féconde d'erreurs et de
fraudes. Elle avait aussi inventé le papier électoral officiel ; mesure
inefficace pour assurer le secret du vote ; nouvelle intervention du Gouvernement dans
une opération, dans laquelle il n'a rien à faire qu'à attendre le résultat. La
première de ces propositions fut acceptée, la seconde fut rejetée.
Si hardies que fussent ces propositions de réforme, il ne fut pas question, cette fois encore, du vote au canton, ce salus populi de l'époque actuelle. M. Nothomb disait, dans l'exposé des motifs : « Une idée dominante a présidé à la rédaction du projet ; elle présidera à la discussion : c'est que les bases de la loi organique de 1831 doivent rester intactes. »
M.
Malou ajoutait, dans son rapport : « Il ne peut être question, en effet, de
toucher aux bases essentielles de la loi de 1831. » Or, une de ces bases, si
sacrées qu'on n'y pouvait toucher en ce moment, c'est l'art. 19, ainsi conçu :
« Les électeurs se réunissent au chef-lieu du district administratif, dans
lequel ils ont leur domicile. »
Nous
avons dit ce que nous approuvions, ce que nous blâmions dans les modifications
proposées. Treize séances furent consacrées par la Chambre à cette discussion.
Les débats se ressentirent de la position politique prise par le chef du
cabinet. Il venait d'user largement de la faculté de nommer des bourgmestres
hors du conseil ; et il n'avait pas osé appeler sur l'ensemble de ces actes la
publicité du Moniteur. On reprochait aussi à M. Nothomb de se montrer
trop complaisant pour le clergé, intervenant dans les affaires politiques et
temporelles. (M. Lebeau ayant cité, à la tribune, l'Histoire des Pays-Bas de
M. de Gerlache, celui-ci adressa une lettre d'explication au Moniteur. On
y lit la déclaration suivante : « Si l'honorable représentant voulait
simplement dire que l'intervention du clergé dans les affaires politiques ne
saurait être trop réservée et trop circonspecte, il aurait trouvé, dans mon
livre, de nombreux passages pour appuyer cette manière de voir. » Moniteur de
1843, n°81. M. Lebeau répliqua par une lettre, dans laquelle il prouve par des citations,
qu'il était autorisé à croire que M. de Gerlache approuvait, de tous points,
l'Encyclique de 1832. Moniteur de 1843, n°80 et 84).
Les
dispositions actuelles étaient donc considérées comme des pièges et des
embûches tendus en vue des (page 72)
élections
prochaines. M. Delfosse, disait : « Le sort des partis qui ne savent pas se
résoudre à quitter le pouvoir lorsqu'ils ont fait leur temps, est de prendre,
dans l'intérêt de leur conservation, des mesures qui avancent presque toujours
le moment de leur chute. Ils cherchent d'abord à ressaisir la popularité qui
leur échappe, en prodiguant les promesses, en affectant les vues les plus pures
et les plus patriotiques ; mais le public a un merveilleux instinct pour
comprendre le fond des choses, personne ne prend le change. N'ayant pu réussir
à égarer l'opinion, ils se jettent dans les moyens extrêmes pour la comprimer ;
s'ils se croient assez forts, ils emploient la violence ; la ruse s'ils
manquent de cœur. Vaines tentatives ! l'opinion publique sait se faire jour ;
elle renverse, sans le moindre effort, ceux qui avaient la folle prétention de
lutter contre elle. » D'autres orateurs, jugeant moins sainement la situation,
accusaient le ministère de vouloir tuer le régime représentatif. C'est le
propre de ces époques de surexcitation qu'à des reproches mérités on soit
enclin à ajouter des griefs exagérés. Ces membres effrayés ne pensaient pas
assez que ces ruses de guerre, fussent-elles réelles, sont facilement déjouées
par l'esprit public, justement ému et se tenant sur ses gardes.
Toutes les propositions du Gouvernement ainsi que le vote simultané proposé par la section centrale et accepté par lui, passèrent à la majorité des deux tiers des voix contre un tiers. (page 73) L'opposition obtint seulement que la prohibition de distribution ou d'exhibition, dans le local où se fait l'élection, ne s'appliquerait qu'aux écrits ou imprimés injurieux ou anonymes (Loi du 1er avril 1843, adoptée, à la Chambre, par 56 voix contre 28 ; au Sénat, par 26 contre 7. Moniteur de 1843, Exposé des motifs, n°47 ; Rapport de M. Malou, n°72 ; Discussions, n°73 à 85, 91, 94).
Si
M. Nothomb avait cru, par la loi nouvelle, renforcer les rangs de ses amis,
éclaircir les colonnes d'attaque de ses adversaires, il se trompa
grossièrement. Des événements prochains allaient lui enseigner que tout ferme
et tout hardi qu'il fût, il ne lui était pas plus permis, qu'à tout autre
ministre, de dire au flot électoral : « Tu n'iras pas plus loin ! »
Le
budget de la Guerre a eu, à toutes les époques de notre existence
représentative, le triste privilège d'être une source féconde de déboires pour
les ministres, parce qu'il était la principale cause de nos embarras financiers
et des nouvelles charges publiques. Nous avons eu, depuis notre émancipation
politique, plus de généraux mis hors de combat dans les luttes parlementaires,
que sur des champs de bataille. Le budget du présent exercice avait été soustrait
à la discussion, à l'aide de deux crédits provisoires. La fin de la session
approchait ; il fallait bien aborder ces débats,, sur le budget
lui-même. Le Gouvernement
proposait un projet s'élevant ensemble à 29,555,000 de francs :
la section centrale avait réduit ce chiffre à 27,000,000 de francs. Le Ministre
de la Guerre ne se rallia pas à cette réduction. M. Brabant, ardent au travail
et habile à découvrir les abus, avait été chargé du rapport : il sut le
défendre en homme qui a étudié son sujet et qui ne craint pas les inconvénients
de sa lâche. Nous ne saurions louer trop hautement cette lutte individuelle,
soutenue par de fortes convictions, contre des dépenses exagérées, (page 74) défendues par mille influences
puissantes. Tous ceux qui ont coopéré à quelques-unes de ces tentatives savent
que la conscience seule du devoir rempli peut faire braver les dégoûts,
qu'elles entraînent après elles. M. Brabant terminait un de ses discours par
ces paroles si sensées : « Craignons, Messieurs, que la nécessité de recourir à
des augmentations d'impôt ne produise dans les populations un mécontentement
qui serait aussi légitime que celui de l'armée, en supposant l'adoption d'une
réduction exagérée dans le budget de la Guerre : craignons de nous épuiser en
temps de paix, et de ne pouvoir compter, en temps de danger, sur des ressources
que nous aurions mal à propos consommées. Ne «erdons pas de vue surtout que le
principal élément de la défense d'un Etat est dans le bien-être des
populations, dans leur affection pour le Gouvernement, affection
qui n'a jamais été, en Belgique, le partage
des Gouvernements qui chargeaient le pays d'un fardeau trop lourd d'impôts. »
Chose étrange ! M. Nothomb ne trouva plus sa bonne majorité mixte pour défendre les propositions du cabinet : ce furent MM. Devaux, Lebeau, Rogier, Orts père, Verhaegen qui lui vinrent principalement en aide et dans la discussion et dans le vote ; ce furent ses amis de la droite qui lui firent défaut, cette fois. Le principal débat et le dénouement eurent lieu à propos de la section II, Solde et habillement, art. 1er, Infanterie : le Ministre de la Guerre demandait 10,334,000 francs ; la section centrale proposait 8,857,288 francs. Le chiffre du Gouvernement, mis aux voix, est rejeté par 49 membres, 18 l'adoptent, 4 s'abstiennent. M. le Ministre de la Guerre se leva immédiatement et dit : «... Aujourd'hui que votre concours, Messieurs, me manque dans une si grande mission, il ne me reste qu'à solliciter du Roi l'autorisation de résigner un pouvoir, que je n'ambitionnais pas, plutôt que (page 75) de mentir à une conviction bien réfléchie. » On ajourna la discussion du budget. Le lendemain, 5 avril 1843, la démission de M. le général-major de Liem était acceptée : M. le Ministre des Travaux publics, Desmaisières, était chargé, par interim, du portefeuille de la Guerre. La Chambre vota un crédit global de 19,000,000 de francs, qui avec les crédits de 7,000,000 de francs, déjà votés, élevaient les allocations provisoires du budget de la Guerre à 26,000,000 de francs. La section centrale fit toutes ses réserves, quant à ses critiques et à ses propositions de réduction.
La
Chambre s'ajourna le 6 avril 1843 : la clôture fut prononcée le 12 du même
mois. Jamais session ne fut plus remplie de débats politiques : le souffle des
partis avait passé sur elle ; et l'approche des élections avait empreint les
discussions d'un caractère d'animation extrême.