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Note
d’intention
« Du gouvernement représentatif en
Belgique (1831-1848) », par E. VANDENPEEREBOOM
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1856, 2 tomes
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TOME 2
(page 1)
Le cinquième ministère fut formé le 13 avril 1841 : il était composé de MM. le
comte de Muelenaere, aux Affaires
étrangères ; Nothomb, à l'Intérieur
; Van Volxem, à la Justice ; (page 2) le comte de Briey, aux Finances : Desmaisières, aux Travaux publics ; le général Buzen
maintenu à la Guerre. M. Liedts
était nommé gouverneur du Hainaut ; M. Leclercq reprenait ses fonctions de
procureur général près la Cour de cassation.
Dès
son entrée, M. Nothomb, Ministre de l'Intérieur, adressa une circulaire aux
gouverneurs de province (Moniteur de 1841, n°104).
Il y déclare, avec aussi peu de vérité que peu de modestie, que le nouveau
ministère « est le point culminant d'une situation » : il démontre la
nécessité d'écarter les divisions de partis, que personne plus que lui
n'a rendu profondes. L'obstacle opposé aux torrents rend leur course plus
terrible, et telle est la ténacité des faits politiques naturels que les
circulaires les mieux écrites sont impuissantes pour les détruire.
Les
élections approchaient : il était devenu de tradition de décorer, à cette
occasion, quelques membres de
Le
quatrième renouvellement partiel de
Ces élections, qui étaient loin d'avoir répondu
aux efforts (Note de bas de page : M. Nothomb n'avait pas permis à
M. le gouverneur du Hainaut d'aller déposer son vote aux élections d'Anvers : M.
Liedts avait cru devoir lui en demander la permission. Voir les débats
sur cet incident, Moniteur de 1841, n° 324) et aux
espérances du ministère, amenèrent une modification de son personnel. Le
souffle du parlement n'avait pas encore (page
4) passé
sur lui et déjà il se dissolvait. L'arrêté du 5 août 1841 porte le considérant
qui suit : « Notre Ministre d'État, gouverneur de
Ces motifs personnels du 5 août n'existaient-ils
pas, ne pouvaient-ils pas être prévus, le 13 avril précédent, jour de la
formation du cabinet ? Un fait digne de remarque, c'est que M. de Muelenaere
fit souvent partie de combinaisons ministérielles, sans y rester longtemps,
comme titulaire. Entré le 24 juillet 1831, il remet sa démission le 12 août
suivant, il garde l'interim jusqu'au 17 septembre 1832. Entré le 4 août
1834, il se retire le 13 janvier 1837. Cette fois, entré le 13 avril 1841, il
délaisse sa position le 5 août suivant. Cet homme d'État se donnait ainsi
l'apparence d'occuper le pouvoir plutôt pour en éloigner ses adversaires, que
pour y consolider ses amis politiques. Mais, il fut souvent membre du conseil, sans
portefeuille. Il est nommé, en cette qualité le 5 août 1841 ; le 16 avril 1843,
il donne sa démission ; elle n'est pas acceptée (ministère Nothomb) ; le 19
juin 1845, il donne sa démission ; elle n'est pas acceptée (ministère Van de
Weyer-Malou) : le 2 mars 1846, il donne sa démission ; elle n'est pas acceptée
(ministère de Theux-Malou) ; le 12 juin 1847, il donne sa démission ; elle est
acceptée... (Ministère Rogier- Frère.)
Cette position de membre du
conseil, sans portefeuille, - si peu en harmonie avec le jeu normal du régime représentatif,
parce qu'elle engage si peu la responsabilité personnelle, - présente un
singulier aspect, au point de vue du mode de (page 5) gouverner, adopté par chacun de nos grands partis. Elle
s'est rencontrée souvent dans les cabinets catholiques ou mixtes, une seule
fois dans les cabinets libéraux. De 1831 à 1847, il a presque toujours fallu,
au navire de l'État, un équipage de sept ou huit catholiques ou mixtes
; de 1847 à 1832, un équipage de six libéraux a suffi. Etait-ce
crainte légitime, ou excès de modeste méfiance chez les premiers ; était-ce
conscience de leur force, ou aventureuse audace chez les seconds ? Le fait est
que ce ne fut que sous le seul ministère libéral Lebeau-Rogier de 1832, que
l'on admit, au sein du conseil, un ministre sans portefeuille, M. Félix de
Mérode. Et encore, jusqu'en 1839, le noble ministre d'État n'était pas un
simple membre du conseil, il était le remplaçant toujours prêt de tout ministre
titulaire défaillant, ou introuvable : - en 1832, après la retraite de M. Ch.
de Brouckere du ministère de
Mais, depuis la conclusion du
traité de paix de 1839, ce noble patriote n'a plus été membre du conseil, sans
portefeuille. Il n'ambitionna plus ce rôle, sans danger et sans responsabilité,
ne donnant que l'éclat du pouvoir, sans en imposer les charges. M. de Mérode
restait ainsi fidèle à la devise de son antique blason : « Plus d'honneur
que d'honneurs. »
Par deux arrêtés du 5 août
La douzième session s'ouvrit
le 9 novembre 1841 : elle fut close le 24 septembre 1842, ayant ainsi duré plus
de dix mois. Peu de membres anciens avaient été évincés, malgré les manœuvres
du ministère ; et, par suite, peu de membres nouveaux étaient entrés à la
Chambre : parmi eux se trouvait M. J. Malou, élu par Ypres.
Le mois d'octobre 1841 avait
été marqué par une tentative de complot, aussi coupable dans son but que
méprisable par la pauvreté de ses moyens et l'obscurité de ses instruments. On
le nomma le complot des paniers-percés (Note de bas
de page : Voir, Moniteur de 1841, n°304 à 311, 316, 331, 363, les
extraits de divers journaux du temps, donnant des détails sur ce complot et sa
poursuite).
Le discours du Trône
commençait par ces mots : « Malgré de folles et d'odieuses menées, nous pouvons
nous féliciter des circonstances au milieu desquelles s'ouvre la session. » Il appelait,
de nouveau, l'attention des Chambres sur les projets de lois d'enseignement, en
réclamant la priorité pour celui sur l'instruction primaire. La loi communale
était menacée d'être modifiée dans son organisation. M. Rogier, à
La vérification des pouvoirs
amena des discussions sur l'élection de MM. de Mérode, Huveners et Cogels, et,
comme toujours, ces questions furent résolues à coups de majorités, plutôt que
d'après les principes du droit.
(page 7) Le désir d'avoir de meilleures conditions pour l'entrée de
nos produits en France, avait engagé le ministère à charger une commission,
composée de MM. de Muelenaere, Liedts et Dechamps, d'obtenir une convention à
cet égard. Cette mission vit ses efforts échouer devant la roideur égoïste de
notre puissante voisine. Le but à atteindre valait l'effort ; on reprocha au
ministère, non de l'avoir tenté, mais de n'avoir pas réussi. Il en est d'un
traité comme d'un mariage. Si, par crainte d'un échec, vous n'en faites pas la
demande, il est rare qu'on vienne vous l'offrir.
Réservée lors de la discussion
de l'adresse, la question politique se présenta au budget des Voies et moyens.
L'opposition y fut vive et pressante. M. Delfosse prouva que, si le ministère
se déclarait impartial dans ses circulaires, il se montrait partial par ses
actes. M. Lebeau fit voir combien l'adresse du Sénat avait blessé la
loyale pratique du régime parlementaire. M. Devaux démontra que, à la suite de
l'aplanissement de nos difficultés extérieures, les partis s'étaient déclassés
au sein du Parlement comme au dehors et que des majorités et des minorités
nouvelles s'étaient formées. Pour tout observateur impartial, cette
modification de la position parlementaire était évidente. M. Verhaegen porta à
la proposition du Bus-Brabant, en faveur de la personnification civile de
l'université catholique, des coups, comme on en frappe, quand on veut abattre.
Si tant est qu'un esprit, aussi lucide que celui de M. Nothomb, ait pu se faire
illusion, un seul instant, sur sa présence aux affaires comme moyen d'apaiser
les partis, la clarté des faits devait le détromper. Mais une forte lutte
allait à l'énergie de cet homme d'État. Il fit bien voir qu'il était résolu à
ne pas abandonner la place pour un seul assaut. Nous n'insisterons pas
davantage, en ce moment, sur ces débats ; car nous aurons, souvent encore, à
signaler le talent, l'adresse et le sang-froid du Ministre de l'Intérieur du 13
avril, et nous pourrons en tirer cette leçon, qu'arrivé aux affaires avec la
déclaration et, peut-être, (page 8)
la volonté de gouverner entre les partis, il ne s'est maintenu au pouvoir qu'à
l'aide d'un parti. Que si, avec ses nombreuses ressources d'esprit et de
caractère, il a échoué dans une telle tâche, qui donc peut espérer d'y réussir
après lui ?
Les autres budgets furent
adoptés avec une grande opposition dans la discussion, mais sans grande réduction
de chiffres. Celui de
La pêche maritime est digne de
la sollicitude du Gouvernement, à plus d'un titre. Elle doit lutter contre la
pèche étrangère, montée sur une plus grande échelle et disposant de plus forts
capitaux : elle occupe une population de nos côtes assez pauvre ; ses produits
doivent servir à l'alimentation publique, dans un pays, où l'abstinence de la
viande est (page 9) prescrite et
assez généralement observée, pendant une partie de l'année.
Dès 1837, les Chambres furent
saisies d'un projet ayant en vue, principalement, la répression de la fraude du
poisson de provenance étrangère. Il fut retiré et remplacé par un autre projet,
ayant un double but, celui de protéger la pèche faite par nos armateurs et
celui de faire profiter le Trésor par la perception plus stricte des droits
imposés sur les produits de la pêche étrangère.
Il déclarait libres à l'entrée
les provenances de la pèche nationale : des mesures étaient prescrites pour
arriver à la perception des droits, d'ailleurs légers sur le poisson venant de
nos concurrents étrangers ; les faveurs n'étaient accordées aux pêcheurs
indigènes qu'après l'accomplissement (page
10) des nombreuses conditions prescrites
par le projet (Loi du 25 février 1842, adoptée, à la Chambre,
par 51 voix contre 4 ; au Sénat, à l'unanimité des 31 membres présents. Moniteur
de 1842, n° 30 à 49).
Par arrêté royal du 26 juillet
1841, le Gouvernement
avait élevé les droits d'entrée sur les fils de lin et de
chanvre. Il soumit cet arrêté à la sanction des Chambres. Deux points d'examen
se présentaient ici : la constitutionnalité et la convenance de la mesure. Sur
le premier point, on se demandait si l'art. 120 de
(page 11) Nous avons vu que le Gouvernement
avait été autorisé, par la loi du 29 juin 1840, à appliquer
chaque année, pendant quatorze ans, 400,000 francs à l'établissement d'un
service de navigation à vapeur entre
Nous
avons dit, plus haut, que la demande des Evêques, ayant pour but d'obtenir la
personnification civile de l'université catholique de Louvain, avait été
formulée en projet de loi par MM. du Bus aîné et Brabant (Moniteur
de 1841, n° 95, Rapport de M. de Decker. La
section centrale concluait, à l'unanimité, à l'adoption de la proposition du
Bus-Brabant).
Cette tentative qui, à tort ou à raison, avait semblé une première tentative de
retour vers le passé, avait fortement ému l'opinion publique. Elle fut l'objet
d'une vive polémique dans la presse, et des écrits spéciaux avaient traité
cette irritante question. Avertis par cette opposition éclatante, désespérant
sans doute de voir le ministère (page 13) ajouter cette difficulté à
toutes celles qu'il avait à vaincre chaque jour, les Évèques adressèrent à
Il faut placer ici une modification
ministérielle. Le général Ministre de
Le général Buzen avait, plus que tout autre, contribué à faire avorter
le complot du mois d'octobre 1841. De là, des haines implacables et des
attaques, dans certains journaux, qui recherchèrent des faits qui se seraient
passés trente ans auparavant. Il est difficile, même après avoir lu le pour et
le contre, de découvrir la vérité sur l'ensemble des reproches allégués et des
justifications qui les suivirent. Toujours est-il que ce militaire, qui s'était
montré brave sur les champs de bataille,
(page 14) n'eut pas assez de
sang-froid et de courage civil pour supporter ou pour repousser les âpres agressions
d'une presse malveillante, peut-être calomniatrice. Il faut rester dans la vie
privée, si l'on craint de voir sa vie entière livrée, comme une proie à
déchirer, à l'injure brutale, aux interprétations injustes, aux accusations
mensongères. Avant de se lancer dans les agitations et les tempêtes de la vie
publique, il faut se demander sérieusement si l'on est bien l'homme, dont on
puisse dire : « Illi robur et oes triplex ? » Sur la proposition de M.
Dumortier, usant de son droit d'initiative, une loi fut votée, accordant une
pension viagère de 3,000 francs à la veuve du malheureux général (Moniteur de
1840, n°70 à 113, proposition et adoption de
la loi du 27 avril 1842, conférant une pension à madame veuve Buzen).
Napoléon Ier, au milieu de
ses préoccupations guerrières, ne négligeait pas les intérêts du commerce et de
l'industrie. Par la loi du 18 mars 1806 et les décrets organiques du 11 juin
1809, 3 août et 5 septembre 1810, il fixait l'établissement et la compétence
des conseils de prud'hommes. Les heureux fruits, que l'industrie avait
recueillis de ces institutions, (page 15)
doivent nous engager à entrer dans la même voie. C'est ce que
fit le Gouvernement
en présentant un projet de loi sur la matière, le 11 décembre
1839. On adopta les dispositions françaises et l'on eut raison. Il faut changer
le moins possible, les belles lois et les fortes organisations de cette époque,
car elles émanent des vastes conceptions de l'immortel Empereur et du concours
d'hommes d'un immense savoir, dignes instruments de son génie.
Deux
décrets impériaux, l'un du 28 août
Dix-sept
villes étaient indiquées, dans le projet actuel, comme pouvant servir de siège
de conseils de prud'hommes. Dix de ces conseils seulement ont été organisés.
Depuis lors, des lois spéciales ont autorisé quatre autres villes à jouir de
cette juridiction si utile, parce qu'elle est expéditive, conciliatrice et peu
coûteuse. En l'absence d'un conseil d'Etat, certains recours furent attribués
au Roi.
Le projet ne
rencontra d'opposition que sur un point, celui de la légalité de l'action
répressive, attribuée aux prud'hommes par l'art. 4 du décret du 3 août 1810.
Les adversaires de cette attribution invoquaient l'art. 94 de
Ces conseils forment, pour
ainsi dire, la juridiction inférieure et les justices de paix des tribunaux de
commerce : ils rendent les plus grands services, en aplanissant, le plus
souvent par conciliation, les nombreux différends qui s'élèvent entre les
maîtres et les ouvriers (Voir,
Exposé de la situation du royaume, 1841-1850, t. III, pp. 334, 434 ; t.
IV. p, 149, détails sur l'organisation de ces conseils, le nombre des causes,
etc.).
Une loi du 4 mars
La
loi du 26 juin 1842, décrétant la construction du canal de Zelzaete à la mer du
Nord, nous fournit une nouvelle preuve des nombreux obstacles, que doit se
résoudre à vaincre le représentant qui veut user de son droit d'initiative. M.
Lejeune avait déposé cette proposition, dès le 6 avril 1837, et elle avait été
vivement appuyée par les députés des Flandres. Modifiée par M. le Ministre des
Travaux Publics, elle ne fut soumise à la discussion de
L'introduction au projet, de
la participation dans la dépense, des propriétaires intéressés était une
application de l'art. 30 de la loi de 1807, qui consacrait un principe nouveau,
à savoir que les particuliers dont la propriété acquiert une notable
augmentation de valeur, par suite des travaux publics, ordonnés ou approuvés
par le Gouvernement,
pourront être chargés de payer une indemnité de ce chef. Cette
innovation avait ici deux motifs : le premier de tactique, car c'était
faciliter l'adoption du projet ; le second, touchant au fond et reposant sur ce
fait que les propriétés riveraines devaient gagner, par cette construction, une
plus-value supérieure à celle que procurent ordinairement des travaux publics
d'une autre nature. Les Chambres en adoptant cette loi (Loi
du 26 juin 1842, adoptée, à la Chambre, par 51 voix contre 9 ; au Sénat, à
l'unanimité. Moniteur de 1842, n°111 à 116, 173. Voir aussi, abbé Andries, Recherches sur les voies
d'écoulement des eaux des Flandres. - Wolters,
Recueil des lois, arrêtés, etc., concernant l'administration des eaux
et polders de la Flandre orientale),
consacrèrent donc un principe nouveau, en fait d'exécution de travaux publics.
Ce point est assez important pour que nous nous y arrêtions.
Nous avons
dit quelle était la disposition de la loi française de 1807 : admise ici, elle
le fut encore dans la loi d'exécution
(page 18) du canal de
La loi ayant consacré, deux
fois en Belgique,
la participation des propriétaires intéressés à certaines
dépenses pour travaux d'utilité publique, il devient inutile de discuter à fond
le point constitutionnel de la question. Toutefois, disons-en un mot, en
passant. L'art. 11 de
Donc, sur le droit de l'expropriation, point de doute
; mais, quant à l'application de ce droit, il y eut peu de discussions au
Congrès et, aujourd'hui, comment faut-il l'entendre ? A côté de la déclaration
d'utilité publique, on doit, pensons-nous, placer la déclaration des moyens
d'exécution. Supposons, dans une ville pauvre, un quartier infect, foyer de
maladies et de rachitisme. On déclare qu'il y a utilité publique à le percer,
par deux rues formant croix. Mais, cette déclaration restera, pendant cinquante
ans, lettre morte, parce que la caisse communale ne peut à elle seule supporter
la dépense. Aux termes de
(page 20) Nous allons donc examiner le point de savoir s'il ne
conviendrait pas d'étendre ce principe, d'une manière plus générale, pour
l'exécution de travaux communaux utiles à la généralité des citoyens ;
et, dans l'affirmative, quel serait le mode le plus convenable pour faire
participer, dans une juste mesure, à la dépense, les propriétaires intéressés directement
et profitant notablement de ces travaux.
Il
est certain que, dans beaucoup de communes, les besoins chaque jour croissants
de l'indigence absorbent une partie des ressources locales, décroissant elles-mêmes
par suite du malaise général. Il en résulte que, dans la plupart des localités,
les administrations ne peuvent pas entreprendre, à elles seules, des percements
de rues nouvelles, des élargissements de rues anciennes, souvent indispensables
à l'assainissement de tout un quartier. Ces entreprises effectuées auraient
coûté des sommes considérables pour expropriation, mais aussi auraient donné
aux terrains environnants une plus-value importante. Une fois l'utilité
publique reconnue, d'après les règles salutaires et protectrices existantes, ne
pourrait-on pas appeler les propriétaires intéressés à participer, en raison de
l'étendue, en façade comme en profondeur, de leurs terrains sur la rue ou la
place nouvelle, sur la rue considérablement élargie ? Nous le
pensons, et voici comment nous concevons leur intervention. La participation de
chacun serait réglée à l'amiable, ou, en cas de contestation, par les
tribunaux, comme cela existe aujourd'hui pour la fixation du prix des terrains
expropriés. Le propriétaire pourrait payer le montant de sa quote-part, en une
fois ou à terme, si mieux il n'aimait céder, à dire d'experts, sa propriété à
la ville qui en ferait la revente (Note de bas de page : Voici
les dispositions analogues de la loi du 10 février 1843 (canal de la Campine) :
« Art. 3. Ce concours consistera
dans le remboursement d'une partie des frais d'établissement du canal, et ce au
moyen d'annuités à payer « pendant vingt-cinq ans. - Art.
Ou nous nous trompons fort, ou ce nouveau mode
donnerait de grands résultats, en permettant aux communes d'entreprendre de
nombreuses améliorations, qu'elles ne peuvent aborder aujourd'hui que lentement
et partiellement, forcées qu'elles sont à en supporter seules tous les frais.
Les propriétaires n'auraient pas à se plaindre non plus, puisqu'on leur laisserait
l'option ou de donner, par un petit sacrifice et avec termes, une plus-value à
leur propriété, ou de céder celle-ci à sa pleine valeur.
A
ceux qui, par un respect exagéré pour la propriété trouveraient ce moyen trop
dur, nous allons en indiquer un autre. Supposons le percement d'une rue
nouvelle sur un terrain par lequel personne n'a actuellement d'entrée ou de
sortie ; vous nous permettrez, au moins, de dire en cette circonstance :
puisque nous faisons les frais de la voie nouvelle, ceux qui voudront y avoir
façade ou issue auront à nous payer une part à convenir à dire d'experts ; ceux
qui ne voudront pas intervenir dans nos dépenses, auront à se clore sans issue
et à rester dans l'état où ils étaient avant l'exécution du travail, pour
lequel nous ne leur avons exproprié que la partie nécessaire à la voie
elle-même. Certes, nul n'aurait à se plaindre d'une telle loi : eh bien ! si
insuffisante qu'elle nous paraisse, nous estimons qu'elle porterait encore de
grands fruits. Les intelligents interviendraient aussitôt dans une dépense qui
augmenterait la valeur de leur propriété : les bornés (page 22) se cloraient ; mais voyant bientôt qu'ils
sont dupes de leur entêtement, ils arriveraient d'autant plus vite à une
capitulation, qu'on aurait soin de mettre dans la loi, que l'indemnité serait
augmentée d'un dixième, pour chaque année de retard.
Nous ne
voulons pas formuler de projet de loi, notre cadre ne nous permet pas ces
développements : nous nous contentons d'indiquer sommairement deux moyens
d'exécution, dont le premier nous paraît le meilleur. Puisqu'on a admis, déjà
deux fois, le principe de l'intervention des riverains, à propos de canaux,
pourquoi ne pourrait-on pas l'admettre à propos d'une rue, d'une place, d'un
quai ? La première intervention était justifiée par la plus-value que les
canaux creusés donnaient aux propriétés riveraines ; la seconde intervention le
serait par l'augmentation de valeur que donnerait, aux terrains aboutissants ou
voisins, la nouvelle rue percée, la nouvelle place établie, le nouveau quai
construit. Dans tous les cas, nous croyons pouvoir nous servir, à l'égard de
cette question, de l'expression consacrée : « II y a quelque chose à faire ! » (Voir,
sur cette question, le journal l’Indépendance, de
1855, n° 205,212, 249, 364). Or, ce quelque chose peut se faire
par l'initiative du Gouvernement,
qui devrait d'autant moins tarder à la prendre qu'on arriverait,
avec une telle loi, à la réalisation possible et immédiate de nombreux travaux
d'assainissement et d'embellissement pour nos populeuses cités, pour nos grands
bourgs et même pour nos modestes villages.
Les perfectionnements apportés par l'industrie au mode de fabrication
des eaux-de-vie et alcools nécessitaient un changement à la base de l'accise.
Les besoins du Trésor rendaient, d'ailleurs, cette modification équitable,
puisque, pour y faire face, on s'adressait à un produit éminemment imposable.
Cette source de l'impôt est de celles que l'on est amené à troubler (page 23) fréquemment et inévitablement pour ainsi dire, parce que
les admirables découvertes de la science et les progrès incessants du mode de
fabrication rendent les accroissements de droits successivement illusoires.
Devant rencontrer, très souvent encore, des modifications de la législation sur
cette matière, nous n'appuierons pas sur les changements que nous signalons ici
(Loi du 27 juin 1842, adoptée, à la Chambre, par 52 voix contre 14 ; au
Sénat, à l'unanimité. Moniteur de 1842, n°116 à 131, 172, 173). Nous nous contenterons de dire que, quelque rigoureux
qu'ils aient pu paraître, au moment de leur discussion, ils furent loin de
faire atteindre le produit qu'on se proposait et qu'on était en droit d'obtenir
de cette base légitime du revenu public.
C'est le caractère propre des
crises commerciales qu'elles font chercher à remédier, par des palliatifs, à
des souffrances temporaires, mais inévitables. Cette fois, c'était le commerce
sédentaire qui attribuait sa langueur à la concurrence du commerce ambulant.
Comme si ce dernier n'était pas une conséquence de la liberté et de l'égalité
qui devraient exister, tout au moins, pour les transactions intérieures. Quoi
qu'il en soit, le Gouvernement,
pour satisfaire à ces plaintes, proposa d'étendre les entraves,
mises aux ventes à l'encan par la loi du 24 mars 1838, aux opérations des
marchands ambulants. A cet effet, il modifiait, à leur égard et en les
aggravant, les dispositions de la loi du 21 mai 1819 sur les patentes. La
poursuite contre le commerce mobile était si vive, qu'on atteignit même, par le
§ 8 de l'art. 1er
: « Les faiseurs de gaufres, galettes, beignets, crêpes, etc. »
Toutefois, les vendeurs de ces friandises populaires, sur étal et table
en plein air, étaient exempts. Exception démocratique, dans une loi de
protection ! (Loi du 18 juin 1842).
La stabilité des lois est une des conditions
essentielles de leur efficacité. Ce principe vrai pour toutes les dispositions
(page 24) légales,
l'est doublement pour celles qui organisent l'exercice des droits populaires.
Il faut que le peuple apprenne à user de ses franchises, dans les limites qui
lui sont prescrites : c'est- à-dire qu'une certaine pratique lui est nécessaire
pour qu'il fasse un usage régulier des libertés qui lui ont été concédées. Il
résulte de là, qu'il ne faut changer ces lois organiques que dans les cas
d'extrême nécessité et lorsqu'une expérience continue a prouvé que ces
changements sont inévitables. Un publiciste a dit : «... La loi n'a de vigueur
que quand les esprits sont convaincus de son utilité, et cette conviction ne
peut être négligée par les Gouvernements qui désirent une obéissance spontanée
et générale. Il faut donc, avant de porter aucun changement à la législation,
que ce changement soit désiré. Il ne suffit pas de faire le bien public ; il
faut encore qu'il soit reconnu pour tel et acclamé par l'opinion générale. » (SORIA,
Philosophie du droit public, t. III,
p. 237)
Voyons
si nous trouvons ces caractères dans les modifications apportées à la loi
communale, de date si récente. M. Malou disait (Séance du 15
mai 1842) : « Que faisons-nous ? Une loi est à peine
exécutée, que nous voulons la remanier, la perfectionner ; nous ne tenons
compte que de ses inconvénients, nous ne laissons rien de permanent ni de
stable parmi nous... Cette soif d'améliorations peut avoir de grands dangers,
parce que ces lois se rattachent à
Nous avons vu après quelles luttes ardentes et
quelles vicissitudes de discussion, on était parvenu, en 1836, à se mettre
d'accord sur la position du bourgmestre. On avait écarté l'élection directe,
tradition historique ; on avait admis, par transaction, la nomination par le
Roi, dans le sein du conseil. Cette importante décision avait été prise
à la majorité considérable de 80 voix contre 12, après qu'on avait admis « que
les bourgmestre et échevins participeraient concurremment à l'exercice du
pouvoir exécutif. » Nous avons cité les belles paroles inspirées à M. Dechamps
par cette ardeur et cette franchise que donnent la jeunesse et le mandat
récent. Il proclamait les avantages du double baptême, sur une même tête, de la
confiance royale et de la faveur populaire. Le bourgmestre réunissait ainsi la
force de l'autorité et le prestige de l'élection. On avait mis, d'ailleurs, le
remède à côté
(page 26) de l'inconvénient
possible, par cette prescription de l'art. 56 : « le gouverneur (agent
du pouvoir royal) peut, sur l'avis conforme et motivé de la députation
permanente du conseil provincial (agent du pouvoir populaire) suspendre et
révoquer, pour inconduite notoire et négligence grave, le
bourgmestre... » C'était un souvenir de cette déclaration constitutionnelle
(art. 25) : « Tous les pouvoirs émanent de
la nation : » c'était le contre-poids trouvé et, par conséquent,
l'équilibre établi entre l'autorité royale et les droits populaires. Et voilà
qu'après cinq années, c'est-à-dire après un seul essai d'application, sans
tenir compte des difficultés de toute mise en train, on vient
bouleverser un système, si difficilement trouvé et si ingénieusement élaboré.
Que mit-on sur ces ruines ?
L'art.
2 de la loi de 1836 portait : « Le Roi nomme le
bourgmestre... dans le conseil » ; le Gouvernement demandait,
cette fois, d'ajouter ce paragraphe : « Néanmoins le Roi peut, pour des motifs
graves, nommer le bourgmestre hors du conseil, parmi les
électeurs de la commune, la députation permanente du conseil provincial
entendue. » M. de Theux, rapporteur, proposa, au nom de la majorité de la
section centrale la suppression des motifs graves et de l'intervention de la
députation permanente. Puisqu'on tendait au pouvoir fort, pourquoi y mettre des
limites ? M. Nothomb se rallia à cette suppression, soit qu'elle satisfît ses
secrètes espérances, soit que, voulant atteindre, tout au moins, son but
primitif, il n'osât pas s'aliéner ses complices plus hardis. En vain, M.
Fleussu, toujours fidèle à ses principes ; M. Mercier, qui, n'avait pas encore
modifié les siens, firent-ils des efforts pour rétablir, par des amendements,
la double garantie : en vain, MM. Delfosse, Devaux, Orts père, Dolez,
Dumortier, Verhaegen, Angillis et d'autres défendirent-ils la loi communale,
exposée, pour ainsi dire, à un siège en règle. Quand on relit cette mémorable
discussion, on est triste, en voyant l'audace
(page 27) qui accompagne la
supériorité du nombre ; on est fier, en constatant la force que donne la
supériorité de la raison. Que de beaux discours, respirant cette éloquence mâle
et naturelle, qu'inspire le patriotisme indigné ! L'opposition se conduisit,
comme se comporte une brave garnison investie ; joignant les ruses de la
tactique habile aux efforts du courage au grand jour. Mais toutes ces
résistances furent rendues vaines par la majorité des scrutins.
M.
Nothomb s'en tint au nouveau système de la section centrale. Consulter la
députation, disait-il, ce serait établir des conflits entre ce collège et le
gouverneur. Comme si l'art. 125 de la loi provinciale, qui donne le recours à
ce fonctionnaire, auprès du gouvernement,
contre certaines décisions du conseil et de sa députation,
n'établissait pas, d'une manière permanente et toutefois sans inconvénients,
cette éventualité de conflits. L'amendement ainsi conçu : « Il (le Roi) nomme
le bourgmestre, soit dans le sein du conseil, soit parmi les électeurs de la
commune âgés de vingt-cinq ans accomplis » fut adopté par 51 voix contre 39.
Ce
bourgmestre, fonctionnaire du ministère, sans être l'élu de la commune, avait
voix délibérative au collège et voix consultative au conseil, qu'il présidait.
Triste position à côté des échevins, ses supérieurs, puisqu'ils étaient, à la
fois, le produit dé la nomination royale et du choix civique : triste position,
aussi, devant le conseil, qui forçait son président à exécuter des mesures dans
la décision desquelles il n'avait pu intervenir, que par des avis qu'on n'avait
pas suivis ! Les fausses prémisses engendrent les fausses conséquences. On
sentit si bien tout ce qu'une telle situation avait d'inconvénients, qu'on
voulut la rendre générale, pour la faire paraître moins humiliante. M. Malou,
dans ce but sans doute, et s'étant familiarisé avec des modifications qui
l'avaient tant effrayé d'abord, déposa l'amendement suivant : « Le Roi nomme
les échevins dans le conseil. - Il nomme le bourgmestre
(page 28) parmi les électeurs de la
commune. Le bourgmestre ne peut être membre du conseil communal. » Ce
qui devait être l'exception allait devenir la règle. Notre vieil édifice
communal était menacé dans sa base. La section centrale qui avait proposé un
système moins acceptable que celui du Gouvernement,
adhéra à ce projet de démolition qu'elle n'avait pas imaginé elle-même. « Il
est évident, disait-elle, par l'organe de M. de Theux, que le bourgmestre, ne
pouvant, en aucun cas, faire partie du conseil, ne se trouve pas dans une position
exceptionnelle, quand il est nommé hors du conseil. Que dès lors, son
influence dans l'administration de la commune est conservée intacte : il est
évident encore que l'incompatibilité des fonctions de bourgmestre avec celles
de conseiller est le moyen le plus efficace pour assurer son indépendance. »
Quelle critique de sa propre œuvre dans ces mots : « position
exceptionnelle ! » Quel oubli de l'intérêt communal dans ces mots : « assurer
son indépendance ! » Quoi, vous craignez que ce bourgmestre non élu fasse tache
parmi les mandataires communaux, et vous voulez qu'il en existe partout : vous
prétendez assurer son indépendance à l'égard des électeurs, et vous ne tenez
aucun compte de leurs plus chers intérêts, dont vous lui confiez la direction !
La
section centrale proposa, toutefois, cette modification à l'amendement Malou :
« Le bourgmestre pourra être choisi aussi parmi les membres du conseil, »
c'est-à-dire parmi les élus ; en d'autres termes, elle admettait que la
capacité présumée par l'élection ne viciait pas la capacité présumée par le
payement du cens. Hommage involontaire rendu aux principes, dont la force est
telle qu'elle sert de point d'arrêt dans les plus grandes chutes, et dont la
clarté est si vive qu'elle éclaire les plus sombres erreurs ! M. Nothomb disait
: « Le Gouvernement
est parti d'une idée qui vous a été plusieurs fois exposée : c'est
qu'il faut dégager la position de bourgmestre de l'influence électorale... Aussi
ai-je déclaré que
(page 29) j'appuierai ce système :
mais comme c'est une innovation, j'ai cru bien faire, j'ai cru agir prudemment
en conservant éventuellement le projet du Gouvernement.
»
Langage audacieux et timide tout à la fois : manœuvre adroite peut-être, mais peu
franche : conduite forcée d'un ministre qui, pour combattre le bon droit de ses
adversaires, a besoin de caresser l'erreur de ses partisans !
La
partie de l'amendement de M. Malou, prescrivant : « Le bourgmestre ne peut être
membre du conseil communal, » fut rejetée par parité de voix, 45 contre 45.
L'adoption de
la modification apportée à la nomination du bourgmestre exigeait des
changements à ses attributions : ils furent admis, malgré une vive opposition.
Ainsi se trouvait anéanti le système de l'administration collégiale de
la commune, si laborieusement établi et accepté à une si forte majorité, en
On
venait d'amoindrir l'action des électeurs, en ce qui concernait leur part
d'intervention dans le choix du chef de la commune : il fallait l'amoindrir
encore, en ce qui regardait le choix des membres du conseil. M. de Theux,
enhardi par les succès obtenus et par le docile concours du ministre, assuma la
responsabilité de ce fatal changement. Nous arrivons à l'examen du système
connu sous le nom de fractionnement des communes. Diviser pour régner a
été et sera toujours la (page 30) devise des pouvoirs, auxquels il manque les deux appuis essentiels
de tout Gouvernement,
la sympathie et la confiance.
Le
changement proposé consistait à dire : « Dans les communes de quatre mille
habitants et au-dessus, les élections se font par sections : la répartition des
conseillers à élire est faite d'après la population... le nombre des sections
ne pourra être inférieur à trois, ni supérieur à huit : la division se fera par
quartiers voisins. » La proposition primitive prescrivait le fractionnement
pour toutes les communes de quatre mille habitants. Ce chiffre fut, sur la
proposition de M. F. de Mérode, porté à douze mille. Le changement avait ainsi
pour but et pour résultat de frapper les villes. Les villes surent répondre à
cet insolent défi.
Le
fractionnement de la commune, apprécié d'une manière absolue, est sévèrement
jugé par une autorité, que l'auteur et les partisans de la proposition lie
peuvent récuser. Voici ce qu'en dit M. de Bonald : « La commune, qu'on me
permette « le mot, est, dans le système politique, ce que le franc est
dans le système monétaire, l'unité première et génératrice, « l'unité
indivisible, parce qu'on ne peut la diviser, sans tomber dans des fractions
sans valeur, et des monnaies sans poids et sans titre. » (De Bonald, Pensées et
discours, t. II, p. 131).
A
ceux qui disaient : ce fractionnement était nécessaire, parce que les
assemblées électorales nombreuses donnent lieu à des coalitions d'intérêt
dangereuses, voici ce que répond l'orthodoxe écrivain, que nous venons de citer
: « L'intrigue a et la corruption, dont elle (l'élection) est la
source, viennent moins du nombre des électeurs que du nombre des assemblées. Il
n'y aura pas beaucoup plus d'intrigue, dans une assemblée trois fois plus
nombreuse qu'une autre, parce que les prétentions opposées se résolvent dans
l'une et dans l'autre, sur un petit nombre de sujets. Mais s'il y a trois (page 31) fois plus d'assemblées, il y aura dix fois plus
d'agitation et de cabale. » (De Bonald, Pensées et discours, t.
II, p. 247)
Mais,
prétendait-on encore, il y a dans une ville ou commune populeuse, des intérêts
différents, qui doivent avoir des représentants spéciaux. D'abord, l'art. 5 de
la loi ancienne satisfaisait à ce besoin, là où il était constaté qu'il
existait réellement. Ensuite, nous répondrons : au-dessus de cet intérêt
fractionnaire, il y a un intérêt suprême, celui de la communauté. Et alors, il
fallait inscrire, dans la loi communale, un article semblable à l'art. 32 de
On
disait aussi : une nombreuse assemblée électorale est incapable de faire des
choix conformes à son intérêt. Et l'on oubliait cette vérité proclamée par
Montesquieu : « Le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il doit confier
quelque partie de son autorité : il n'a à se déterminer que par des choses
qu'il ne peut ignorer et des faits qui tombent sous les sens. » On oubliait
aussi cette opinion du chancelier de l'Hospital : « Le peuple connaît mieux
ceux qu'il doit choisir que nous qui sommes à la cour. »
(page 32) Enfin, on citait, comme exemple à suivre, ce qui avait
été fait en France et en Angleterre. A quoi l'on pouvait répondre : que
l'intervention populaire dans les affaires communales était bien plus dans nos
traditions et dans nos mœurs, qu'elle n'était dans les traditions et les mœurs
des populations des deux pays cités. Or, c'est là un point que le législateur
doit respecter avant tout. Car il en est des lois comme de la nourriture ; il
faut une certaine habitude pour supporter certains mets et certaines mesures
législatives. Ce qui est bienfaisant pour les uns, peut-être malfaisant et
presque vénéneux pour les autres.
Quel
nom donner à cette malencontreuse modification ? Un changement contraire aux
principes ; nous venons de le prouver : une tentative contre l'esprit
indépendant des villes, qui s'est cabré à la vue de ce frein ; l'expérience l'a
montré : un essai d'influence tellement stérile, qu'aucun homme sérieux
n'oserait le tenter de nouveau ; nous ne craignons pas de le prédire. C'était
une tache pour notre bonne loi communale ; elle a disparu : c'était une erreur
de père chez M. de Theux ; puisse-t-il la regretter : c'était une nécessité de
position pour M. Nothomb, qui ne parvenait à imposer tyranniquement sa volonté
aux uns, qu'en la faisant fléchir humblement devant les autres.
En
s'associant à cette nouvelle modification, qu'il n'avait point demandée et qui
troublait profondément, dans son esprit et dans sa forme, le système du self-government,
l'élection, M. le Ministre de l'Intérieur conviait, comme on l'a dit, le
Parlement à frapper sa propre mère. Il pouvait éviter cette lâche complicité
et, par conséquent, ce fâcheux résultat ; il ne l'osa pas. Cette marche hardie
de la réaction effrayait les amis même de ceux qui la poursuivaient, avec tant
de persistance. Voici ce que M. Osy disait, à ce propos (Séance
du 14 juin 1842) : « Mais
(page 33) aujourd'hui le succès
enhardit et on nous propose de changer la loi électorale communale... vous
allez rallumer les « passions politiques, et je vous prédis, que si vos lois
pas- « sent, vous obtiendrez un résultat contraire à celui que vous attendez, car dans les masses aussi on s'éveille On se
dira : plus de concessions, serrons nos rangs, comptons-nous, triomphons ou
mourons... Tout ceci m'effraye, et je suis décidé à me détacher du parti
réactionnaire... je puis hardiment appeler le projet une loi de haine ou au
moins de défiance contre quelques-unes de nos grandes communes ; c'est donc une
loi exceptionnelle et une guerre déclarée contre nos grandes villes Je viens
donc franchement déclarer que je me détache d'un parti qui, voulant aller trop
loin, nous ramènera à des bouleversements... » L'opposition fit, encore
cette fois, de vigoureux efforts pour écarter ou diminuer le mal : cette lutte
fut stérile contre le projet, mais elle émut profondément le pays. Dès ce
moment, le corps électoral respira des idées de vengeance : nous ne tarderons
pas à en voir les effets ; car cette loi, dont on avait voulu faire une arme de
guerre braquée contre les électeurs des grandes communes, fut retournée contre
le pouvoir (Loi du 30 juin 1842, adoptée, à la Chambre, par 48
voix contre 38 ; au Sénat, par 26 voix contre 15. Moniteur de 1842, n°
161 à 167, 169, 176, 177)
Pendant
ces irritants débats, les Chambres furent saisies d'une demande de crédits
supplémentaires. Le chiffre disparaissait ici sous l'importance de la question
de principe, puisqu'il s'agissait du respect dû à la force de la chose
jugée. Voici, en peu de mots, l'origine de cette demande. Divers capitaux
avaient été avancés par des particuliers aux communes de Herve, Petit-Rechain
et Dison, pour construction de routes. Des actions judiciaires avaient été
intentées, pour remboursement des capitaux et arrérages, aux communes qui
avaient (page 34) assigné l'État en garantie. Par divers arrêts, passés en
force de chose jugée, le Trésor avait été condamné à tenir les communes
indemnes des condamnations prononcées contre elles de ce chef. Quelques membres
de
M. Nothomb, qui connaissait l'empire qu'un grand talent exerce dans les Gouvernements représentatifs, savait récompenser les hommes qui lui étaient favorables, préférant les aides-de-camp aux successeurs. M. Dechamps fut nommé, par lui, gouverneur de la province de Luxembourg, aussitôt après le vote des modifications à la loi communal, c'est-à-dire le 19 juin 1842.
Par
arrêté royal du 19 juin,
Malgré
les faveurs obtenues par la loi du 7 avril 1838, modifiant notre tarif de
douane, la France, oubliant ce bienfait et ses promesses, avait élevé, par
l'ordonnance du 26 juin 1842, (page 35)
dans une forte proportion, les droits d'entrée sur nos fils et
nos toiles de lin et de chanvre. Éternelle mise en pratique de la fable « Le
loup et l'agneau. » Mais nous, qui connaissions, aussi bien que notre puissante
voisine, le bon
En échange de
ces faibles concessions, nous nous engagions : l° à réduire à 50 centimes, par
hectolitre, le droit de douane sur les vins en cercles ; à 2 francs, par
hectolitre, celui sur les vins en bouteilles ; et, de plus, à abaisser de 25 p.
c. les droits d'accises (les droits d'octroi des communes ne pouvaient
être augmentés, sous peine de résiliation du traité) ; 2° à réduire de 20 p. c.
le droit d'entrée sur les soieries ; 3° les sels de France jouissaient d'une
déduction exceptionnelle de 7 p. c. ; 4° le transit des ardoises françaises
était maintenu ; le bureau de Menin était aussi ouvert à ce transit. Toutes ces
concessions établissaient, dans le budget des Voies et moyens, une diminution
estimée par le Gouvernement
à 400,000 francs, mais qui, en réalité, devait aller bien
au-delà. C'était là, il faut le dire, une pauvre œuvre de notre diplomatie, un
triste signe de la faiblesse du Gouvernement. Le cabinet belge n'avait
pas su profiter de l'émotion que la crainte des représailles avait jetée dans
les nombreux départements cultivant la vigne, et cela au moment où la France
allait procéder à des élections générales. Pour être juste, il convient
d'ajouter que son action énergique, possible dans le début, fut, dans les derniers (page 36) temps, paralysée par les cris d'alarme que jetèrent
diverses localités des Flandres et par des députations, aussi solennelles
qu'intempestives, que de nombreux et puissants intéressés ne se firent pas
faute de lui envoyer. Malgré tous ses désavantages, le traité fut adopté (Loi du 6 août 1842, adoptée, à la Chambre, par
66 voix contre 11, et 9 abstentions ; au Sénat, par 28 voix, et 5 abstentions. Moniteur
de 1842, n°213 à 218).
Ces différends d'intérêts, ce grief matériel
contre la France n'avaient point étouffé chez nous, ni les souvenirs du passé,
ni les devoirs de la reconnaissance.
Il
n'est, certes, pas d'objet plus digne de la sollicitude du législateur que
l'enseignement public. L'instruction, à tous les degrés, est, pour la société,
la source de l'ordre, de la moralité et du progrès. Mais de toutes ses
branches, celle qu'il importe le plus de bien régler est, sans contredit,
l'instruction primaire. Les efforts privés ou réunis, capables, à la rigueur,
de pourvoir à l'enseignement moyen et supérieur, ne sauraient suffire à
organiser, d'une manière générale et durable,
(page 37) l'enseignement inférieur.
Aussi, il n'est point de Gouvernement qui
n'ait porté ses soins sur cet objet important ; et l'on pourrait dire, que le degré
de l'instruction du peuple d'un pays est le signe certain du degré de sa
civilisation. Une telle question ne pouvait échapper, en Belgique, à
l'attention du pouvoir et de
Ce
n'est pas, toutefois, qu'il n'ait été fait, durant cette longue période et par
différents cabinets, de louables efforts pour hâter cette solution si
nécessaire. Il était réservé à M. Nothomb d'attacher son nom à cette grande
œuvre. Si le souvenir de son passage aux affaires peut lui être pénible sur
quelques points, il doit lui être doux de se rappeler qu'il a puissamment
contribué à ce que le peuple fût abondamment nourri du pain de l'instruction,
non moins nécessaire pour lui que le pain matériel. Un premier projet, pour les
trois branches d'enseignement, avait été préparé en 1831 : un deuxième avait
été présenté par une commission, en 1832 : enfin, un troisième fut soumis à la
Chambre par le Ministre de l'Intérieur (M. Rogier), le 31 juillet 1834. La loi
du 25 septembre 1835 organisa séparément l'enseignement supérieur. M. Dechamps
chargé du rapport sur l'instruction primaire, ne le déposa que le 11 juin 1842.
Cette question fut ainsi tenue sous séquestre, pendant plus de sept ans. La
discussion sur cette grande loi s'ouvrit, à la Chambre, le 8 août 1842 ; elle y
occupa dix-sept séances. Elle ne légitima pas, par sa solution, les craintes
qui s'étaient manifestées des deux côtés. C'est qu'aussi beaucoup de membres
étaient convaincus que pour l'application d'une pareille loi, non seulement (page 38) l'intervention du clergé est utile et
désirable, mais encore que, avec son antagonisme, toute organisation devient
impossible. Elevez, dans une commune rurale, un bâtiment d'école magnifique,
placez-y un instituteur d'élite, promettez aux élèves des récompenses
nombreuses ; si le clergé le veut, cet établissement sera désert. Vous y
attirerez, et ce n'est pas encore sûr, les enfants du bourgmestre, ceux du
notaire et du receveur. Ce qui est vrai pour une commune, n'est pas vrai pour
toutes, mais pour un très grand nombre. Il fallait transiger, on transigea ; le
peuple ne pouvait pas rester sans instruction. (Note de
bas de page : Ce zèle jaloux, en ce qui concerne l'instruction du
peuple, est un sentiment commun et naturel au clergé de toutes les croyances.
Voici ce que M. de Montalembert dit des efforts du clergé anglican, en
cette matière : « L'instruction populaire dans les campagnes est presque
entièrement à la charge du clergé. Il y pourvoit par des prélèvements opérés
sur ses revenus, et, dès 1847, il montrait avec orgueil les 21,000
écoles, les 1,500,000 enfants, les 81,000 instituteurs, qu'il
entretient au moyen d'une dépense annuelle de 22 millions de francs. » (De l'Avenir, etc., §
12, p. 201.))
L'étude
de cette discussion met en relief deux vérités et, pour ainsi dire, deux leçons
parlementaires. La première, c'est que pour les difficultés législatives, comme
pour les difficultés physiques, les appréhensions anticipées le plus souvent
s'évanouissent devant la réalité, que l'on redoute : tout danger est plus
grand, vu de loin qu'affronté de face. La seconde, c'est que pour aborder une
telle discussion et la mener à bon port, il faut un ministre ferme et capable,
qui la dirige, sans la laisser aller à la dérive. M. Nothomb était ce pilote,
ne s'effrayant pas au moindre grain, pas même à la plus rude tempête ; et
étonnant, cette fois, ses adversaires eux-mêmes par la force de sa volonté et l'habileté
de ses manœuvres.
Nous
allons, en quelques mots, résumer les grands principes de cette loi. -
Obligation qu'il y ait, dans chaque commune, au moins une école primaire ;
toutefois, en cas de
(page 39) nécessité, plusieurs communes
voisines pourront être autorisées à s'associer pour n'établir qu'une école
entre elles : - dispense, pour les communes, d'établir une école communale,
dans les localités où il sera suffisamment pourvu à l'enseignement par les
écoles privées : - faculté, pour les communes, d'adopter, moyennant
autorisation, une ou plusieurs écoles privées, réunissant les conditions
légales pour tenir lieu d'écoles communales : - instruction gratuite pour les
enfants pauvres ; l'enseignement primaire comprend nécessairement
l'enseignement de la religion et de la morale, la lecture, l'écriture, le
système légal des poids et mesures, les éléments du calcul et, suivant les
besoins des localités, les éléments de la langue française, flamande ou
allemande : - l'enseignement de la religion et de la morale est donné sous la
direction des ministres du culte professé par la majorité des élèves de l'école
; les enfants appartenant à une autre communion religieuse sont dispensés
d'assister à cet enseignement : -la surveillance, quant à l'instruction et à
l'administration, appartient à l'administration communale ; quant à
l'enseignement de la religion et de la morale, elle sera exercée par les
délégués des chefs des cultes : - les livres servant à l'enseignement primaire
sont approuvés par le Gouvernement ; ceux qui
servent à l'enseignement de la religion et de la morale sont approuvés par les
chefs des cultes seuls ; les livres mixtes le sont par le Gouvernement et
les chefs des cultes : - la nomination des instituteurs communaux est faite par
le conseil communal, parmi les candidats des écoles normales du Gouvernement
et
des écoles privées soumises à l'inspection : - les communes pourront être
autorisées à choisir d'autres candidats : - il y a des inspecteurs cantonaux et
provinciaux : - les frais de l'instruction primaire sont à charge des communes
: - le traitement de l'instituteur ne peut être inférieur à 200 francs : -
l'intervention pécuniaire de la province n'est obligatoire qu'après qu'il est
constaté que la commune est intervenue pour une somme (page 40) égale au produit de deux
centimes additionnels au principal des contributions directes ; l'intervention
pécuniaire du Gouvernement
n'est obligatoire qu'après prestation par la province de deux pareils centimes
: - le Gouvernement
pourra établir des écoles primaires supérieures, dans chaque
arrondissement judiciaire et deux écoles normales pour tout le pays. Sauf les
détails, voilà toute la loi.
Un
caractère particulier à cette discussion, c'est que les débats, tout en étant
fort vifs, aboutirent presque tous à une transaction et, on doit le dire, ce
fut le parti libéral qui fit le plus souvent le sacrifice de son opinion. Une
circonstance remarquable aussi et qui ne s'explique que par une convention
tacite acceptée de part et d'autre, c'est que, dans une matière aussi
compliquée et aussi controversée, il y n'eut que deux appels nominaux. On
marchait avec la plus grande précaution, comme on marche dans un magasin à
poudre : il y eut bien quelques explosions partielles, mais sans autre dommage
que pour des individualités. Ainsi, certaines doctrines théologiques, un peu
surannées, furent signalées, comme se trouvant encore dans les livres servant à
l'enseignement des grands séminaires et même dans un catéchisme du diocèse de
Namur : - Obligation de payer la dîme ; absolution pour celui qui tuait un
hérétique, etc. - Il fut répondu qu'elles s'y trouvaient comme monuments
d'histoire plutôt que comme leçons pratiques ; pour mémoire, en un mot.
M. Verhaegen demanda à M. de Foere ce qu'il croyait de la doctrine : « Hors de
l'Église, pas de salut ! » L'honorable abbé fit une profession de foi tellement
libérale et l'on peut dire hardie, qu'on tremble, en la lisant, pour ce qu'elle
a dû lui valoir de semonces et de reproches in petto.
A
l'art. 5, prescrivant l'instruction gratuite des enfants pauvres, le projet du Gouvernement
disait : « La commune fera donner cet enseignement soit dans une
école communale, soit dans celle qui en tient lieu, ou dans toute autre (page 41) qui serait spécialement désignée par elle. » La
section centrale proposait : « Cette instruction leur est donnée, au choix
des parents, dans les écoles communales, ou dans les écoles libres. »
C'était, avec l'influence qu'exerce le clergé, détruire l'enseignement public.
L'amendement fut repoussé par 71 voix contre 11.
Le
minimum du traitement des instituteurs, fixé à 200 francs, fut contesté par une
partie de la droite. Il fut admis par 43 voix contre 28 et 1 abstention. Les
opposants prouvèrent, encore une fois, le peu de sympathie qu'ils éprouvaient
pour l'instruction officielle.
Une
autre question fut longuement débattue : Qui juge souverainement de l'existence
de l'école ? Est-ce le clergé, est-ce l'autorité civile ? A ce propos, le
colloque suivant s'établit : « M. Lebeau. Le refus de concours du clergé
fait-il tomber nécessairement l'école ? - Le Ministre de l'intérieur. Non.
- M. Lebeau. La cessation de l'enseignement de la morale et de la
religion, alors que l'autorité civile est restée, autant qu'il est en son
pouvoir, dans les conditions de la loi, fait-elle nécessairement tomber l'école
? - M. le Ministre de l'Intérieur. Non. » (Séance du 26
août 1842.)
L'intervention
et même la prépondérance du clergé trouvèrent pour principaux défenseurs MM. Dechamps,
de Theux, Brabant, du Bus aîné, Dumortier : les droits de l'autorité civile
furent fermement soutenus par MM. Devaux, Lebeau, Rogier, Delfosse, Fleussu,
Verhaegen, Orts père, Dolez. M. Nothomb se tenait habilement entre les deux
camps, comprimant, autant qu'il le pouvait, le zèle orthodoxe des uns ; donnant
satisfaction, en partie du moins, aux justes prétentions des autres, bien plus
par les déclarations qui lui étaient arrachées, que par les concessions qu'il
avait timidement glissées dans le texte du projet.
Le projet
présenté par le Gouvernement,
gagna de deux manières : d'abord, par quelques heureuses
modifications
(page 42) introduites dans ses
dispositions ; ensuite et surtout, par les explications données par M. le
Ministre de l'Intérieur. Ces explications servirent de base à la transaction,
d'élément d'appréciation et de règle de conduite pour l'application de la loi (Loi du 23 septembre 1842, adoptée, à la Chambre, par 75 voix contre 3,
et 1 abstention ; au Sénat, à l'unanimité. Moniteur de 1842, n°182 à
187, 201, 211 à 213, 216, 220 à 239, 242, 243, 264, 265. Voir État de
l'instruction primaire en Belgique, Rapport décennal, présenté aux Chambres législatives, par M. Nothomb, le 28 janvier 1842, suivi du texte des lois, arrêtés
et circulaires de 1814-1840 ; - Rapport triennal, 1843-1845, par M. De Theux ; - le même, 1846-1848, par M. Rogier. Voir aussi, Exposé de
la situation du royaume, 1840-1850, t. III, p. 111 à 131, détails et
statistique de l'instruction primaire. A la fin de 1848, il y avait, en Belgique, 108 inspecteurs cantonaux civils ; 148 inspecteurs cantonaux
ecclésiastiques. - 4,611 écoles soumises à cette inspection. - 2,626 écoles
communales, dont 426 n'avaient pas de local convenable. - 7,965 instituteurs ou
institutrices, en tout ; et, pour les écoles communales, 2,786, outre 396
sous-instituteurs et sous-institutrices. - La moyenne de leur traitement
dépassait 600 francs. - Dans les écoles publiques et privées, il y avait
462,606 élèves, soit 10,6 élèves par 100 habitants. - Les enfants instruits aux
frais des communes étaient au nombre de 208,943. - Les dépenses, pour
l'instruction primaire publique et privée, étaient les suivantes : 1°
Bienfaisance publique et privée fr. 304,499 75 ; 2° Rétribution des élèves solvables
783,830 70 ; 3° Budgets communaux 1,586,918 17 ; 4° Budgets provinciaux 512,369
76 ; 5° Budget de l'État 1,189,05715. Dotation totale de l'enseignement
primaire, fin 1848, fr. 4,376.675 51).
L'adhésion presque unanime qu'elle obtint et les
heureux fruits qu'elle a portés, semblaient devoir imprimer à cette loi un
caractère de fixité et de stabilité. Cependant, une fraction de l'opinion
libérale paraît désirer, au nom des principes, sa révision sur quelques points.
Une demande formelle en sera-t- elle faite ? Nous l'ignorons ; mais nous
n'hésitons pas à prédire à ceux qui voudraient tenter cette réforme
législative, qu'ils s'imposeraient une tâche aussi longue que laborieuse. Sans (page 43) aucun doute, cette loi, comme bien d'autres, pourrait être
mise plus en harmonie avec certains principes. Mais sa modification, en ce
sens, s'opérerait-elle, sans porter un grand trouble dans son application ?
Nous ne le pensons pas.
N'aurait-on
pas pu introduire, dans la loi sur l'instruction primaire, l'obligation
d'enseigner, du moins dans les écoles dominicales d'adultes, dans les écoles
primaires supérieures et dans les écoles normales, les éléments du
droit constitutionnel. M. Emile de Girardin a dit, avec beaucoup de raison : «
Il ne saurait être indifférent d'élever les jeunes gens dans la connaissance et
le respect du Gouvernement
établi ; c'est le moyen le plus sûr de lui faire prendre racine
et de le consolider. Il importe que de bonne heure ils sachent quels sont les
devoirs qu'ils auront à remplir, les droits qu'ils auront à exercer. » (Emile De Gibardin, De
l'instruction publique en France, 1845).M. Varnier
exprime la même idée, en ces mots : « Le catéchisme enseigne aux jeunes gens les
vérités éternelles de la religion pour en faire de bons chrétiens : un
catéchisme politique, mis à leur portée, leur enseignerait ce qu'il faut qu'ils
sachent pour en faire de bons citoyens. » (Du Gouvernement
représentatif en France, p. 245).
En
Belgique,
M. Marcellin
(page 44) Toujours
est-il que nous sommes profondément convaincu qu'il serait bon de ne pas
laisser certaines parties de l'enseignement primaire privées des notions
élémentaires du droit constitutionnel. Rien n'attache aux institutions
nationales, comme de savoir combien elles sont bonnes et douces ; rien
n'empêche de dépasser les droits, comme de connaître pourquoi et comment ils
sont limités ; rien ne fait respecter les devoirs, comme d'être instruit de la
nécessité de leurs prescriptions !
A
côté de la convenance de l'enseignement constitutionnel, appliqué à certaines
écoles, apparaît à nos yeux l'utilité d'une direction nouvelle à donner à
l'instruction primaire. Il suffit d'indiquer ce besoin nouveau, pour faire
comprendre qu'il n'y peut être satisfait par des règles générales, et que ce
serait, par l'intelligente coopération des deux inspections, que l'on pourrait imprimer
cette direction morale, suivant nous nécessaire. Quelques localités sont
affectées de vices spéciaux, qui se perpétuent de père en fils ; ce sont, ici
le mauvais gré, là les rixes sanglantes, plus loin le maraudage et le
vol, ailleurs l'ivrognerie habituelle. Eh bien ! nous estimons que contre ce
dérèglement local, il faudrait un préventif local : nous comprenons que
l'instituteur combatte, dès l'origine, ces mauvais penchants, que l'enfant
trouve moins repoussants, parce qu'il ne cesse de voir qu'on y succombe. Il
faudrait, sur les bancs de l'école, inspirer une horreur précoce pour ces vices
locaux, une crainte salutaire pour les peines et les misères qu'ils enfantent ;
jeter dans les jeunes imaginations de légitimes frayeurs pour les conséquences
sociales et pénales qui suivent ces écarts, condamnés souvent par la loi,
toujours par la raison, la morale et la religion. Ce que la chaire de vérité
peut faire, à cet égard, pour le père, l'école devrait le faire pour l'enfant,
qui, à l'église, écoute inattentivement le sermon. En citant les exemples de
répressions appliquées à de coupables entraînements, on pourrait à la longue, (page 45) pensons-nous,
éliminer ce mal contagieux et local, qui semble se transmettre avec le sang.
Dans un
rapport, présenté à l'assemblée législative, le 20 avril 1792, Condorcet
démontre la nécessité d'enseigner aux enfants le respect des lois. Ce document,
sans aucun doute, est trop empreint des idées de l'époque, mais il contient des
vues très sages sur l'instruction publique. Il dit : « Les bonnes lois,
disait Platon, sont celles que les citoyens aiment plus que la vie... Mais pour
que les citoyens aiment les lois, sans cesser d'être libres, pour qu'ils
conservent cette indépendance de la raison, sans laquelle l'ardeur pour la
liberté n'est qu'une passion et non une vertu, il faut qu'ils connaissent les
principes de la justice naturelle, les droits essentiels de l'homme, dont les
lois ne sont que le développement ou l'application ; il faut qu'ils aiment les
unes parce qu'elles sont justes, les autres parce qu'elles sont utiles. »
(Rapport sur l'instruction publique (A.
Amic et E. MOUTTET Orateurs politiques, 1.1, pp. 489-510)).
La
ville de Bruxelles, jeune capitale encore et soumise à cet état de crise qui
suit l'enfance et précède l'âge où les forces se complètent, endettée par les
événements de la révolution et de ses suites, pas toujours prudemment
administrée peut-être, s'était vue obligée de faire un appel au Gouvernement
pour venir au secours de son état financier profondément ébranlé.
Par une convention provisoire du 5 novembre 1841, le Ministre de l'Intérieur
avait consenti, au nom de l'Etat, à reprendre certaines propriétés immobilières
et certaines collections appartenant à la ville, à la condition de lui servir
une rente annuelle et perpétuelle de 400,000 francs. Cette convention ne
pouvait devenir définitive que par une loi. Le rapport de la section centrale,
présenté par M. Malou, avait traité la question plutôt au point de vue
financier (page 46) et économique qu'au point de vue politique et de convenance : il concluait au rejet.
Dès le début de la discussion, tout en reconnaissant que « il y avait quelque
chose à faire », l'opposition déploya tous ses efforts pour obtenir
l'ajournement de l'examen de cette question. Cette tentative échoua ; on aborda
la discussion du fond. Les immeubles cédés consistaient en l'ancienne Cour et
le Palais de l'industrie avec leurs dépendances ; la porte de Hal ; le
terrain de l'Observatoire ; la place publique en face du boulevard et derrière
le Palais du Roi ; les écuries du palais, rue de Namur. Les biens meubles
comprenaient la galerie de tableaux du Musée ; les livres et collections de la
bibliothèque.
M.
Mercier déposa un amendement ayant pour but de réduire la rente annuelle de
400,000 à 300,000 francs. M. le Ministre de l'Intérieur proposa : 1° De
remettre au Gouvernement
les droits attribués, par la loi du 30 mars 1836, à la députation permanente en
matière de comptabilité communale, sauf à entendre cette députation ; 2° de
permettre au Gouvernement
de pouvoir d'office, à défaut du conseil communal, dresser les
budgets à l'époque déterminée par la loi et fixer les impositions communales
directes ou indirectes, pour couvrir les dépenses de la ville ; 3° de défendre
de déléguer ni d'affecter directement ou indirectement la rente annuelle, sans
une autorisation préalable. C'était une mise en tutelle ; tout emprunteur cède
un peu de sa liberté, et puis le conseil communal, parodiant le mot de Henri
IV, aura dit : « Une capitale vaut bien un sacrifice. » (Le
Béarnais disait : « Paris vaut bien une messe ! »)
Malgré tous ces amendements, l'opposition fut très tenace. Les
représentants de Bruxelles combattirent vaillamment « pro aris et focis : » M.
Nothomb soutint fermement son projet, tout en acceptant la réduction et en
facilitant l'issue heureuse par les utiles amendements qu'il proposa. Ce n'était (page 47) pas de trop de tous ces efforts, car la loi ne fut admise,
à
Cette loi, il faut le reconnaître, était surtout un acte de réparation, puisque Bruxelles avait souffert de la révolution, non comme ville ordinaire, mais comme capitale, terrain naturel des commotions politiques : elle était, de plus, un acte de convenance et de nationalité. Les villes, sièges du Gouvernement, sont les écrins des peuples (Moniteur de 1842, n° 245, supplément, Rapport de M. C. Vanderstraeten sur l'agrandissement de Bruxelles ; embellissement proposés). Quand une nation veut se montrer aux yeux des étrangers, quand elle se livre à des démonstrations populaires, aux jours de fêtes patriotiques, c'est de sa capitale qu'elle se pare, comme d'un joyau. Pour la vanité nationale, comme pour la vanité féminine, le nécessaire c'est le luxe. Les tuteurs parlementaires, aussi bien que les pères et les maris, doivent savoir le satisfaire. Un sacrifice, sur ce point, est quelquefois indispensable ; car c'est à ce prix qu'on obtient, dans le ménage public et privé, l'éclat et le contentement.
Le Gouvernement avait demandé à être
autorisé à contracter un emprunt de 33,500,000 francs, dont les fonds
recevraient trois destinations :
Achèvement
des chemins de fer. : fr. 30.000,000
Routes
dans le Luxembourg : fr. 2,000,000
Agrandissement
de l'entrepôt d'Anvers : fr. 1,500,000
(page 48) La section centrale modifiait
le chiffre et la destination, elle proposait :
Pour
le chemin de fer : fr. 28,250,000
Routes
du Luxembourg : fr. 2,000,000
Canalisation
de la Campine : fr. 1,750,000
En
tout : fr. 32,000,000
Elle
ajournait la dépense pour l'entrepôt d'Anvers.
Il
s'ensuivit une discussion très confuse : car, comme c'est l'ordinaire à propos
de pareils projets, beaucoup de monde se plaignait de n'avoir pas part au
gâteau : les participants trouvaient qu'on ne leur accordait pas assez, les
exclus se récriaient contre l'élévation des crédits demandés. M. Devaux fit
remarquer, avec raison, l'irrégularité qu'il y avait à comprendre, dans une loi
d'emprunt, un travail d'utilité publique, dont on n'avait pas discuté la
convenance ou la nécessité. Il se forma sur ce point, ainsi qu'il arrive
toujours en semblable occurrence, une coalition d'intérêts qui trancha la
question.
Chemin
de fer : fr. 24,000,000
Routes
dans le Luxembourg : fr. 2,000,000
Entrepôt
d'Anvers : fr. 1,500,000
Canalisation
de la Campine : fr. 1,750,000
La discussion
amena la majorité à admettre les conditions suivantes, introduites dans la loi
: l'emprunt se ferait en une ou plusieurs fois ; la disposition de l'art. 3 de
la loi du 26 mai 1837, décrétant le chemin de fer du Luxembourg, était
rapportée ; le creusement du canal à petite dimension du Ruppel à Bois-le-Duc
se ferait moyennant le concours des communes et des propriétés intéressées et
d'après un tracé et aux conditions à déterminer préalablement à toute exécution. (page 49) Le projet, ainsi amendé, fut admis (Loi du 29
septembre 1842, adoptée, à la Chambre, par 62 voix contre 5 ; au Sénat,
par 24 voix contre 3. Moniteur de 1842, n° 234, 249, 250 à 255, 266 à
268).
A la suite de la convention
commerciale avec la France, diminuant les droits de douane et d'accise sur les
vins de ce pays, quelques membres avaient proposé d'accorder une réduction sur
les droits d'accise encore à payer par les vins se trouvant chez les marchands.
C'était consacrer le dangereux principe de la rétroactivité ; car les
termes du payement des droits sont une faveur, et, en règle générale, la douane
exige ce payement au moment de l'entrée. Cette proposition fut admise par les
deux Chambres, non sans quelque opposition du Gouvernement, et
par des majorités peu considérables. Un arrêté royal du 9 octobre 1842, pris
sur l'avis du conseil des ministres, refusa la sanction à ce projet de loi.
C'était l'exercice du droit absolu donné au Roi par l'art. 69 de
Par un arrêté
royal du 14 octobre 1841, non inséré au Moniteur, M. le Ministre de
Outre les
lois que nous venons de mentionner, les Chambres en adoptèrent encore quelques
autres de moindre importance (1841, du 2 décembre, qui prohibe la sortie
des pommes de terre et des fécules ; du 25 décembre, qui proroge celle du 22
septembre 1835, concernant les étrangers. 1842, du 25 février, sur les
pensions militaires, modifiant celle du 24 mai 1838 ; du 25 février, sur
l'entrée des houilles de la Sarre ; du 27 avril, déclarant acquises au Trésor
les sommes non réclamées des emprunts ; du 23 septembre, prohibant la sortie
des pommes de terre ; du 27 septembre, sur la police maritime).
Ainsi
se termina cette très longue session. Elle fut marquée par deux actes
législatifs principaux : l'un funeste, la mutilation de la loi communale ;
l'autre bienfaisant, pour le fond du moins, l'organisation de l'enseignement
primaire public. Les institutions les meilleures n'échappent pas à la loi
commune des destinées humaines ; le bien se trouve à côté du mal ; l'erreur
coudoie la vérité ; le droit se heurte à l'injustice !