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d’intention
« Du gouvernement représentatif en
Belgique (1831-1848) », par E. VANDENPEEREBOOM
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq,
1856, 2 tomes
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TOME 1
(page 281) Les élections pour
renouvellement de la moitié de
devant les tribunaux et réprimées par eux (Voir, Belgique judiciaire, et autres recueils
judiciaires, condamnations pour calomnies. Nous avions fait un relevé de toutes
ces condamnations, avec l'indication des dates et celle des tribunaux devant
lesquels elles avaient été prononcées. Mais nous avons cru qu'il valait mieux
ne pas les insérer ici, pour ne pas réveiller des souvenirs, fâcheux pour les
auteurs de ces abus réprimés, tristes pour tout le monde. Nous avons sacrifié
le désir de paraître exact à la convenance de rester modéré)
; le plus souvent dévorées en silence...
Les élections ramenèrent à
Douze membres nouveaux étaient entrés, cette fois, à la Chambre. M.
Rogier eut les honneurs d'une double élection : que n'en a-t-il eu toujours la
moitié ! (Voir, Pièces justificatives, t. II, n°III, la composition de la Chambre, en octobre 1837.)
Cette huitième session s'ouvrit le 5 octobre 1837 et fut close le 14
juin 1838 ; elle dura donc ainsi un peu plus de huit mois. Le statu quo de nos
affaires extérieures en éloigna les débats politiques. Ce fut une véritable
session d'affaires.
Les lois sur le tarif des douanes et sur les impôts d'accise et la
discussion des budgets devaient absorber toute l'attention du Parlement.
L'immense développement de notre commerce (page
283) et de nos industries et les exigences du Trésor justifiaient cette
sollicitude. Mais les lois d'instruction, annoncées depuis près d'un an, ne
devaient pas encore être discutées. Si les jeunes nations ont le devoir de
régler les mesures d'intérêt matériel, c'est à la condition de ne pas négliger
non plus les questions de l'ordre moral et les besoins de l'intelligence. Or,
quoi de plus urgent à résoudre que le mode à suivre pour mettre en action
l'article 17 de notre Constitution, qui n'avait pas été voté pour rester une
lettre morte ?
Afin de sortir du système vicieux des crédits provisoires, en adoptant
les budgets avant l'ouverture de l'exercice, le ministère avait promis de
devancer l'époque légale de la convocation des Chambres. Il tint parole,
puisqu'elles se trouvèrent réunies un mois plus tôt qu'à l'ordinaire. Mais,
cette fois encore, il n'y eut pas de discours du Trône. Le Ministre des Finances
s'en excusa, dans un discours du 7 octobre, de la manière suivante : « Ceci
explique l'absence d'une ouverture solennelle des Chambres, qui eût occasionné
l'emploi de beaucoup de temps pour la rédaction et la discussion de l'adresse
en réponse au discours du trône, qu'aucun événement important, quant à
Le premier objet dont s'occupa la Chambre, fut un crédit pour le service
de santé. M. Dumortier voulait poursuivre les investigations par l'enquête : il
fut seul de son avis ; on jugea qu'il fallait en finir avec cette question
irritante. La loi fut admise par 56 voix contre 1 et 7 abstentions (Loi
du 13 novembre 1837). Puis, on adopta, sans discussion et à
l'unanimité, une loi de crédit de (page
284) 10 millions, pour la construction de chemins de fer et routes pavées (Loi
du 12 novembre 1837.)
La discussion des budgets ne présenta pas d'incidents graves. Celui de
l'intérieur donna lieu à cette proposition : « Rechercher si la bibliothèque de
Louvain n'est pas la propriété de l'Etat, afin de l'annexer à la bibliothèque
nationale. » C'était une représaille de
ce que la Chambre avait fixé ailleurs qu'à Bruxelles l'école militaire, en
haine de l'université libre. Une commission avait été nommée pour examiner
cette question ; mais avant le vote, M. de Theux, habile tacticien parlementaire,
avait fait admettre que la commission aurait à rechercher toutes les
collections d'arts et de sciences du pays, qui pourraient être la propriété du
gouvernement. Dès lors, les travaux de cette commission étaient frappés de
stérilité : car, comment effectuer une enquête si vaste, et d'ailleurs quel
danger pouvait-il y avoir pour Louvain, quand chaque localité était elle-même
menacée ?
Au budget de la Justice, on admit le principe d'un nouveau Palais de
justice à Bruxelles, en accordant un premier cinquième de 400,000 francs, pour
l'intervention de l'Etat. Par cette décision, trois millions étaient alloués
pour cette construction : deux millions du Gouvernement et un million, par
moitié, entre la ville et la province. Des débats mesquins et personnels firent
échouer, au conseil communal, ce magnifique projet. On s'afflige quand on pense
à ce déplorable résultat. Mais, ce n'était là qu'un premier oubli des intérêts
de la capitale. On verra, plus tard, que le rejet du projet d'annexion des
faubourgs est venu combler la mesure des mécomptes et des fautes. (Le
refus par le conseil communal d'un subside pour le nouveau Palais de Justice et
le rejet par la Chambre du projet d'annexion des faubourgs (1853-1854) nous
paraissent être deux erreurs, deux empêchements au développement et à la
splendeur de la capitale de la Belgique. Voir pour le refus par le conseil communal
des propositions relatives au Palais de Justice, Moniteur de 1840, n°180-194.)
(page 285) La discussion de
loi organique de l'école militaire fut longue et vive par deux motifs : le
premier, c'était que les propositions du Gouvernement étaient exagérées ; le
second, c'est qu'une question d'enseignement s'y rattachait.
L'enseignement a toujours été le noli me
tangere de la Chambre. Quand on y touche, la confiance se resserre ; un frisson
de crainte et de suspicion se manifeste partout. Voyez quels efforts pour les
universités ; quels retards pour l'enseignement primaire ; quels labeurs pour
l'enseignement moyen ! Nous avons déjà vu que la Chambre avait rejeté un crédit
pour un hôpital militaire, que le Gouvernement voulait annexer à cet établissement.
Dans le projet actuel, il s'agissait de branches très nombreuses et d'un
personnel exorbitant ; c'était une troisième université de l'Etat et, à notre
sens, deux sont déjà de trop. Mais quel était le motif véritable de
l'opposition ? Le voici : on craignait que les professeurs de l'école militaire
ne devinssent des professeurs de l'université libre ; que les cours de
Bruxelles ne grandissent, au détriment des cours de Louvain. Quelques libéraux
de Gand et de Liège, espérant de profiter des dépouilles de la capitale,
s'associèrent aux catholiques, chez qui la jalousie contre leur rivale libre
était plus grande encore que leur antipathie contre les universités de l'Etat.
C'était ainsi que, dans la séance du 25 novembre 1836, la Chambre avait décidé,
par 42 voix contre 56, que l'école serait établie « dans une place de
guerre. »
Mais le Sénat souleva une objection à cette disposition, puisée dans
l'article 68 de la Constitution ainsi conçu : « Le Roi commande les forces de
terre et de mer... » Or, beaucoup d'élèves (art. 2) font partie de l'armée ;
donc le pouvoir législatif ne peut pas lier le pouvoir royal. » On modifia
l'art. 1er et l'on dit : « il sera (page
286) établi dans le royaume une école militaire. » Cet amendement fut
vivement discuté au Sénat et ne fut admis que par 24 voix contre 20. Cette
doctrine est très contestable.
En présence de l'art. 68 de la Constitution, on peut placer l'art. 17,
dont le § 2 s'exprime ainsi : « L'instruction publique, donnée au frais de
l’Etat, est également réglée par la loi. » Nous pensons que les Chambres
pouvaient dire constitutionnellement : « l'école sera placée dans une place de
guerre, » sans violer l'art. 68, dont il résulte seulement, que le Roi a sous
son commandement les élèves appartenant à l'armée, auxquels il donne des
ordres, en vertu du pouvoir conféré par cet article. Mais placée sur ce
terrain, cette question ne pouvait pas, sans danger, faire l'objet d'un conflit
entre le Sénat et la Chambre. Aussi cette dernière fît-elle
sagement, en n'insistant pas sur ce point.
L'institution de l'école militaire a, sans contredit, produit de très
bons fruits pour l'armée. Elle a fourni
un grand nombre d'officiers instruits, particulièrement dans les armes
spéciales. Après de longues discussions, la loi fut adoptée, mais non sans une
forte opposition. (Loi du 18 mars 1838 adoptée, à la Chambre, par 40
voix contre 29 ; au Sénat, par 23 voix contre 20. Moniteur de 1837, Rapport de
M. de Puydt, n°85 à 88, 90. Discussion, n°325 à 335, 339, 340 ; de 1838, n°5 à
70. Voir Arrêté royal du 15 avril 1840 et Exposé de la situation, etc., 1841-1851,
t. III, pp. 164, 556, 569, 645.)
Les sucres sont, pour un Etat qui n'a pas de colonies, un objet
éminemment imposable. Mais des intérêts considérables du commerce et de
l'industrie sont ici engagés, et c'est pour ce motif que cette question a
fréquemment et longuement occupé le pouvoir législatif. Le chiffre du rendement
fixé à des taux trop bas, les fraudes nombreuses et sur une vaste échelle, les
perfectionnements des procédés de raffinage, enfin les développements de la
fabrication du sucre de betteraves, (page
287) telles sont les causes multiples, pour lesquelles le Trésor n'a jamais
perçu de cet impôt ce qu'il voulait et ce qu'il aurait dû en retirer. On eût évité
bien des remaniements et bien des mécomptes, si on avait adopté, dès le
principe, le système anglais, le travail en entrepôt. Quoi qu'il en soit, la
nécessité d'une loi nouvelle était évidente, puisque le produit, - qui avait
été, en 1832 et 1833, de près de 1,900,000 francs, en 1834 et 1835, de plus de
1,300,000 francs, - était tombé, en 1836, à 186,890 francs ; et, en 1837, à
119,682 francs seulement (Le plus haut produit de l'impôt des
sucres fut celui de 1848, s'élevant à 3,818,000 francs.). Les
dispositions présentées et admises réformaient quelques abus et devaient
relever les recettes : mais elles étaient bien loin d'être suffisantes, au
point de vue fiscal. Les nombreuses modifications, qui ont été introduites
depuis dans cette partie de notre législation, le prouvent surabondamment. Nous
n'insistons pas, parce que bientôt nous rencontrerons de nouveau cette
question.
Les modifications à apporter à notre tarif de douanes avaient deux
causes : la première était les changements apportés au tarif français par les
lois des 2 et 5 juillet 1836 ; la seconde était le grand développement que des
droits trop élevés donnaient à la fraude, sans avantage pour l'industrie et au
grand détriment du Trésor. Présenté le 14 avril 1836, le projet avait
longuement occupé la Chambre, pendant la dernière session, sans qu'on pût
l'adopter. Les discussions furent reprises, et avant d'arriver à leur terme,
elles absorbèrent en tout trente-cinq séances de la Chambre (Loi
du 8 février 1838, adoptée, à la Chambre, par 54 voix contre 12 ; au Sénat, par
25 voix contre 3. Moniteur de 1837, n°336 à 365 ; de 1838 n°1 à 34)
; et cependant, il ne s'agissait que de changer onze articles principaux, avec
les subdivisions, une quarantaine dans l'ensemble (Bonneteries,
boissons distillées, chicorée, draps, ouvrages en terre, pierres, produits
chimiques. tissus (tulles, batistes, tissus de soie), tissus et étoffes de
laine ; verreries, vins.) Nous avons (page
288) déjà dit que sir Robert Peel avait obtenu, en quelques jours, de la
Chambre des Communes son grand plan financier et douanier, ce dernier
comprenant plusieurs centaines d'articles. Il est vrai que, chez nous, il
s'agissait de porter les premiers coups de cognée à la prohibition et aux
droits ultra-protecteurs, à l'ombre desquels dormaient paisiblement de nombreux
intérêts, toujours prêts à se réveiller pour se défendre unguibus
et rostro. La prohibition sur les tissus de laine fut
levée, à partir du 1er janvier 1839, et remplacée par un droit de 250 francs
par
Plus encore dans l'intérêt du Trésor que dans celui de la morale, une
loi fut présentée frappant le débit des boissons distillées. L'impôt devait se
payer par abonnement et par classe. Les débitants, au 1er janvier et au 1er
juillet, payeraient suivant les villes, divisées en trois catégories, fr. 15,
12-50, 10 : ceux qui commenceraient à débiter dans le courant du deuxième et du
troisième trimestres payeraient respectivement fr. 7-50, 6-25, 5. Dès le début
de la discussion, M. le Ministre des Finances posa la question de savoir si
l'impôt serait considéré comme direct ou indirect. M. Devaux proposa de dire :
« Cet impôt ne sera pas compris dans le cens électoral. » 44 membres adoptent
cette proposition, 24 la rejettent, 1 s'abstient. L'ensemble de la loi fut
admis (Loi du 18
mars 1838, adoptée, à la Chambre, par 48 voix contre 26 ; au Sénat par 21 voix
contre 11. Moniteur de 1838, n°40 à 46, 48, 73, 74.).
Frapper les débitants de boissons distillées d'un abonnement, pour
arrêter leur commerce immoral et puis, en raison de cet impôt, leur donner une
capacité électorale, était illogique. On a changé postérieurement de manière (page 290) de voir à cet égard ; on a
invoqué des considérations constitutionnelles, en disant que cet abonnement
était un véritable impôt de patente. Au fond, la loi nouvelle a augmenté les
ressources du Trésor (Dès la première année, cet impôt
était estimé à 900,000 francs. Il était porté au budget de 1839, pour un
million. En 1845 il produisit 978,319 francs.), mais elle
n'a pas empêché l'effrayant accroissement de la consommation des boissons
alcooliques, ce poison lent des classes inférieures. C'est à des remèdes
autrement énergiques qu'il faudrait recourir, pour couper le mal dans sa
racine.
De nombreuses pétitions étaient parvenues à la Chambre, demandant la
réforme électorale. Dans la séance du 16 février 1838, M. Dechamps lut un
rapport sur cet objet (Moniteur de 1838, n°60.).
Les réclamations avaient pour but de rectifier l'inégalité qui existait entre
le cens électoral des villes et celui des campagnes. Elles variaient sur le
mode de rectification. Le travail du rapporteur, digne de sa plume habile et
exercée, était un peu trop empreint de ses préoccupations personnelles. Par
suite de quelques observations, il fut résolu que les motifs invoqués par les
pétitionnaires seraient analysés dans un bulletin (Moniteur de
1838, n°61). Le pétitionnement des villes avait été suivi de la
démonstration peut-être moins spontanée, de quelques localités de la campagne
demandant : « 1° Que la province fût divisée, en raison de sa population, en
autant de districts électoraux qu'elle a de députés à nommer ; 2° que le cens,
dans les cantons judiciaires composant un district électoral, fût fixé de
manière que les cantons fussent représentés aux élections, proportionnellement
à leur population respective , sans cependant que ce cens pût excéder 100
florins ni être moindre de 20 florins. » Le vote au canton y était indiqué (On
voit que le vote au canton, qu'on invoqua naguère, est une arme tirée d'un
vieil arsenal ; arme toujours prête, quand on doit entreprendre quelque
campagne). Le (page 291) rapport concluait à rejeter
les demandes des villes et celles des campagnes. Il proposait l'ordre du jour,
tout en manifestant la préférence de la majorité de la section pour le projet
de réforme des campagnes, parce que, disait le rapport, « la réforme qu'elles
demandent est partielle et prudente, reposant sur les principes de la loi en
vigueur et se tenant dans les bornes préservatrices de la Constitution. » La
question de la réforme électorale sommeilla longtemps, se relevant parfois aux
cris des partis, mais ne devant pleinement se réveiller et entrer dans les
faits qu'au bruit de la tempête de 1848. Nous l'examinerons alors.
L'article 98 de la Constitution dispose : « Le jury est établi en toute
matière criminelle et pour délits politiques et de la presse. » Que n'a-t-on
borné son action à ces derniers délits seulement ! C'est là une appréciation
personnelle ; ce point fut fort controversé. M. Verhaegen disait : « Dans les
affaires criminelles ordinaires, l'expérience nous a démontré qu'un coupable a
tout à espérer du jury et qu'un innocent a tout à en redouter. Franchement,
j'aimerais mieux être jugé par une Cour d'assises que par un jury.» (Moniteur
de 1838, n°51)
M. Metz répliquait : " L'inhumanité, ou plutôt l'habitude de voir
des coupables, est un danger dans les jugements. Les juges (soit dit sans
offenser qui que ce soit) les juges ressemblent un peu à ce capitaine suisse
qui, chargé sur le champ de bataille d'enterrer les morts, enterrait même les
blessés, parce que, disait-il, si on les écoutait, il n'y aurait personne de
mort. (On rit.) Je l'ai vu, et c'est pour cela que l'institution du jury me
comptera toujours parmi ses plus chauds défenseurs, parce qu'elle n'offrira
jamais le douloureux spectacle qui a affligé mes yeux ; j'ai vu un (page 292) magistrat, d'ailleurs un
modèle de probité, respirer le parfum d'une rose, pendant qu'il condamnait un
homme à la mort... » (Moniteur de 1838, n°51).
Le décret du Congrès du 19 juillet et la loi du 3 mars 1832 avaient réglé la
matière ; mais des changements étaient indiqués par la pratique et réclamés de
toute part. Le projet occupa longuement la Chambre. Les modifications les plus
importantes furent les suivantes (Loi
du 13 mai 1838, adoptée, à la Chambre,
par 72 voix contre 9 et 2 abstentions ; au Sénat, par 34 voix contre 4. Moniteur
de 1838, n°52-76) : le vote secret, qui venait d'être adopté en
France ; remède contre la faiblesse si commune de quelques jurés et contre
l'influence possible de quelques autres ; l'élévation du cens, afin d'éloigner
du jury les personnes ou peu intelligentes ou peu indépendantes ; l'épuration
des listes, confiée à l'autorité judiciaire seule. M. Verhaegen avait demandé
que le vote secret n'eût pas lieu pour les délits politiques et de la presse,
et que tout juré, ne sachant ni lire ni écrire, fût rayé de la liste : ces
propositions ne furent pas admises.
La Cour de cassation avait admis en principe que la loi sur les patentes
était en opposition avec les défenses et les restrictions portées, par les
règlements locaux, contre les ventes publiques à l'encan des marchandises
neuves. Ces ventes se multipliant, les plaintes devinrent nombreuses. Les
Chambres furent saisies d'un projet pour réprimer les abus en cette matière.
L'utilité de la loi fut contestée. Les uns disaient : laissez vendre à vil
prix, c'est favoriser le consommateur ; les autres répondaient : des escrocs,
des banqueroutiers viennent inonder les marchés d'objets défectueux ou
frauduleusement soustraits, qu'ils peuvent laisser pour ce que l'on offre,
puisqu'ils ne leur coûtent rien ; en présence d'une telle concurrence, le
détaillant honnête est ruiné, il ne pourra plus (page 293) payer sa patente ni ses autres contributions ; la
concurrence régulière est assez grande, d'ailleurs, pour sauvegarder l'intérêt
du consommateur. La Chambre admettant ces derniers motifs, adopta les
dispositions proposées. (Loi du 24 mars 1838, adoptée à la
Chambre, par 43 voix contre 16 ; au Sénat, par 26 voix contre 3 et 1
abstention. Moniteur de 1838, n°52 à 79.)
A propos d'une augmentation des droits d'entrée sur le café, on tenta
d'amener la Chambre à une discussion sur la question des droits différentiels.
M. de Theux écarta ce débat, disant qu'il n'était pas évident pour lui que ce
système fût aussi bon qu'on le prétendait. Et cependant, il devait triompher
plus tard, précédé des plus séduisantes illusions, mais suivi des plus fâcheux
mécomptes. Cette retentissante innovation, fruit de l'enquête commerciale de
1841, fut inaugurée solennellement par la loi du 21 juillet 1844, puis presque
entièrement détruite et sans grands efforts par la loi du 31 janvier 1852. En
ce moment, le Gouvernement demandait une augmentation sur les droits d'entrée
des cafés de fr. 3-76 en principal, ce qui portait le total de ce droit à 8
francs les
kilogrammes.
Une proposition, due à l'initiative d'un membre (M. Vuylsteke), faite en
1837, n'ayant pas abouti, le Gouvernement présenta lui-même un projet,
augmentant d'un droit modéré l'entrée des tabacs. On le voit, pendant que les
événements épuisaient rapidement les caisses du Trésor, le Ministre des
Finances, M. d'Huart, faisait résolument aussi de louables (page 294) efforts pour combler le vide.
Cette fois, l'élévation du droit était combiné de manière à ne pas nuire au
chiffre des importations. Il y a, en fait de droits de douanes, un juste milieu
qu'il faut savoir garder, sous peine de tuer, comme on dit, la poule aux œufs
d'or. Nous verrons plus tard, que cette sage limite a été dépassée, et
qu'Anvers, qui tendait à devenir un grand marché pour les tabacs, s'est vu
privé de cet avantage, sans profil pour les recettes de l'Etat. La loi actuelle
ne souffrit pas grande opposition (Loi du 28 mai 1838, adoptée, à
la Chambre, par 48 voix contre 9 ; au Sénat, par 30 voix contre 4. Moniteur de
1838, n°118 à 143.).
Le Gouvernement avait aussi, dans le double but d'augmenter les recettes
du Trésor et de répondre à de nombreuses demandes, déposé un projet, modifiant
l'impôt sur le sel. Après d'assez longues discussions, la Chambre résolut
négativement, par 46 voix contre 29 et 1 abstention, cette question : «
Modifiera-t-on les bases du système actuel sur l'importation du sel, quant au
lieux de déchargement ? » Les intérêts lésés de quelques grandes localités
avaient amené ce résultat. Le Ministre, voyant son projet bouleversé, le retira
le lendemain (Moniteur de 1838, n°81-85.).
La Chambre avait modifié le tarif sur l’entrée des fils de lin, mais le
Sénat ajourna sa décision, sur cette question, déclarant ne pas avoir
d'éléments suffisants de conviction (Moniteur de 1838, n°79 à 147.)
Parmi les lois, dont l'article 139 de la Constitution proclame la nécessité
et l'urgence, se trouvent (§ 10) « les lois relatives à l'organisation de
l'armée, les droits d'avancement et de retraite... » Pour satisfaire à cette
prescription, deux projets avaient été présentés : le premier, le 25 janvier
1832 ; le second, le 31 juillet 1835. Après bien des délais, cette question (page 295) fut résolue. Elle le fut
d'une manière très avantageuse, trop avantageuse peut-être, pour l'armée. Mais
la disposition (art. 2, § 3°) qui permet de mettre à la retraite les officiers
qui ont 55 ans d'âge, a donné lieu à bien des applications abusives. Sans être
justifiées par l'intérêt du service, elles étaient onéreuses pour le Trésor (Le
chiffre des pensions militaires qui était, en 1837, de 1,520,000 francs
(Rapport de la section centrale, 29 avril 1837) s'est élevé, au 1er janvier
1853, à 2,467,801 francs.), et elles ne faisaient que
favoriser l'esprit de camaraderie et la soif immodérée d'avancement. Malgré ces
imperfections la loi fut adoptée (Loi du 24 mai 1838, adoptée, à
la Chambre, par les 55 membres présents ; au Sénat, par 19 voix contre 7.
Moniteur de 1838, n°94 à 147.)
Le Gouvernement avait déposé un projet de loi tendant à l'autoriser à
contracter un emprunt de 180,000,000 de francs, ayant pour objet : 1° La
conversion de la rente 5 p. c. ; 2° la continuation des travaux du chemin de
fer, sans recourir à la ressource dangereuse des bons du Trésor émis dans des
proportions trop fortes. La section centrale jugea la première opération
inopportune, dans les circonstances où se trouvait le pays. Le Ministre des
Finances se rallia à cette manière de voir, et le projet d'emprunt fut réduit à
un capital de 37,000,000 de francs, destinés à la voie ferrée. La discussion
s'égara ; car au lieu de porter sur la convenance et l'emploi de l'emprunt,
elle alla se perdre dans des débats sur le coût et le mode d'exploitation. M.
de Puydt proposa d'introduire dans la loi une disposition, par laquelle on
affecterait 2,000,000 de francs à la construction des routes ordinaires.
C'était une sorte de compensation pour les contrées où le chemin de fer ne
passait pas encore, et, après tout, la meilleure application possible et la
moins contestée de l'intervention de l'Etat. On décida de faire de cette
proposition l'objet d'une loi séparée. Ces deux lois ne rencontrèrent pas
d'opposition sérieuse ; (page 296)
elles furent admises, dans les deux enceintes, à la presque unanimité (Loi
du 25 mai 1838 (emprunt de 37 millions). Loi du 1er juin 1838 (2 millions pour
routes). Moniteur de 1838, n°129 à 145).
Quelques lois de moindre importance furent encore votées. Loi fixant
l'accise sur les alcools étrangers (20 mai 1838) ; loi relative aux frais de
perception par l'État des revenus provinciaux et communaux (25 mai) ; loi
autorisant le prélèvement sur l'encaisse de l'ancien caissier de l'État des
sommes appartenant à des provinces, à des communes et à des particuliers (25
mai) ; loi qui augmente le personnel de quelques tribunaux et loi qui règle la
procédure en cassation (25 mai).
Un seul acte politique émana des Chambres, dans le cours de cette
session : ce furent des adresses présentées au Roi pour engager le Gouvernement
à maintenir l'intégrité du territoire.
Cette manifestation eut plusieurs causes : d'abord, les démarches
pacifiques de la Hollande avaient provoqué de nombreuses pétitions ; ensuite,
la garnison de la forteresse de Luxembourg avait commis une nouvelle violation
du territoire, en venant, à main armée, détruire un arbre de liberté et
arracher le drapeau national à Strassen, territoire qui devait être cédé,
d'après le projet de traité (Moniteur de 1838, n° 119 à 142).
Les malheureux habitants de ces contrées ne pressentaient que trop l'approche
du danger et l'imminence de l'holocauste !
Dès le 18 mai, la Chambre, qui ne se trouvait plus en nombre, avait
cessé ses travaux ; elle se sépara plutôt par un sauve-qui-peut général, que
par un ajournement régulier. La session fut close le 14 juin 1838.
Autant celle-ci avait été calme et remplie seulement de questions
d'intérêts matériels, autant la suivante devait être accidentée et pleine
d'événements politiques.