« Du gouvernement représentatif en
Belgique (1831-1848) », par E. VANDENPEEREBOOM
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq,
1856, 2 tomes
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TOME 1
CINQUIEME
SESSION (1834-1835) (gouvernement de Theux)
1. La composition du nouveau cabinet
et le discours du Trône
(page 208) Le
troisième ministère du Roi, celui du 4 août 1834, se présenta complet. Voici sa
composition : Intérieur, M. de Theux ; Affaires étrangères, M. de Muelenaere ;
Justice, M. Antoine Ernst ; Finances, M. le baron d'Huart ; Guerre, M. le baron
Evain ; M. le comte Félix de Mérode, ministre d'Etat, faisant partie du
conseil, comme toujours, sans traitement. Il était donc composé de quatre
hommes, qui avaient déjà tenu des portefeuilles et de deux hommes nouveaux,
mais ayant donné, dans les rangs de l'opposition, des preuves d'un talent, qui
devait grandir encore au contact des affaires de haute administration. Le
premier acte du ministère nouveau fut la clôture de la session, une des plus
longues et des plus remplies de notre Parlement (Les autres
lois, outre celles des budgets, de transfert et crédits, votées pendant cette
quatrième session 1833-1834, sont les suivantes : 1833, du 27 décembre,
prorogeant le délai de nomination des juges de paix ; maintenant provisoirement
l'administration des monnaies, prorogeant le cours légal des pièces de cinq et
de dix florins ; 1834, du 19 février, fixant le traitement des auditeurs
militaires ; du 22 février, autorisant la remise des droits d'entrée sur les mécaniques
et ustensiles ; du 25 mars, modifiant le tarif sur les os ; du 22 juillet,
crédit pour les rives de la
Meuse ; du 26 juillet, supprimant les droits de sortie sur
les animaux ; du 27 août, augmentant le personnel des cours d'appel de Gand et
de Bruxelles, et du tribunal de première instance de Bruxelles).
La
cinquième session ne dura que six mois, du 11 novembre 1834, au 14 mai 1835. Le
discours du Trône, habile et modeste, ne donnait prise à aucune discussion
irritante. Aussi l'adresse fut-elle admise, encore une
fois, en une seule séance. La
Chambre ne devait pas, malheureusement, imiter (page 209) toujours cette méthode
expéditive du Parlement anglais.
M.
Pirson avait, de nouveau, eu le fâcheux privilège de présider le bureau
provisoire. Comme aux sessions précédentes, avant de quitter le fauteuil, ce
président d'âge prononça son petit discours du Trône. Mais cette fois, son
allocution avait pris un tel caractère d'excentricité, qu'elle méritait et eût
reçu un rappel à l'ordre, si un autre membre que le speaker provisoire lui-même
avait eu ce pouvoir. Il disait : « Qu'on ne m'accuse pas d'être républicain :
la république est le beau idéal du Gouvernement, et nous sommes déjà trop
corrompus pour nous maintenir invariablement sous la forme d'un GOUVERNEMENT DE
TRANSITION, la monarchie constitutionnelle. » Peut-être le vieux et malin
républicain voulait-il guérir ses collègues de l'abus de la parole, par la même
méthode que les Spartiates employaient pour prémunir leurs enfants contre les
suites de l'ivresse (Moniteur de 1834, n°317).
En
Belgique, à la moindre crainte d'un danger intérieur ou extérieur, le Parlement
s'occupe de la garde civique : les dates sont là pour le prouver - 21 décembre
1830 ; 18 janvier 1831 ; 2 janvier 1835 ; 8 mai 1848. Après avoir consacré un
grand nombre de séances à la discussion de la loi communale et sans avoir pu la
terminer, la Chambre
vota des dispositions transitoires pour l'organisation de la milice citoyenne (Moniteur
de 1834, n°364, et de 1835, n°1, 2. La loi fut promulguée
le 2 janvier 1835.). Ce ne fut que treize ans après,
que l'on exécuta complètement la prescription de l'art. 122 de la Constitution ainsi
conçu : « Il y aura une garde civique : l'organisation en est réglée par la
loi. » Nous verrons alors à quelles attaques de parti, à quelles injures
intéressées cette institution nationale fut en butte : mais, en constatant tous
les obstacles qui lui seront opposés, nous pourrons dire aussi d'elle : « E
per, se muove ! »
2. La discussion des budgets et
la position ambiguë du ministre de la justice
(page 210) Le discours du Trône avait
annoncé : « qu'une sévère économie dans les dépenses publiques rendrait
possible une nouvelle diminution des centimes additionnels. » Et voilà, qu'un
mois après, en pleine discussion du budget des voies et moyens, M. le Ministre
des Finances monte à la tribune pour demander dix centimes extraordinaires sur
toutes les contributions, soit environ sept millions de francs, pour les
besoins éventuels du budget de la guerre.
Le
budget de la justice provoqua d'amères critiques sur la position de M. Ernst
dans le cabinet nouveau. Déjà, lors de la discussion du budget des voies et
moyens, M. Gendebien, absent, avait adressé à la Chambre une lettre, dans
laquelle il déclarait qu'il ne pouvait donner sa confiance à un ministère qui
maintenait le système des expulsions ; qui avait démissionné de bons
gouverneurs pour pouvoir mettre à leur place M. Lebeau, que M. Ernst avait
appelé, dans un moment de passion, un homme taré
et usé ; M. Vilain XIIII, qui avait professé des doctrines despotiques (page
195, au présent livre). Toutes ces récriminations se
reproduisirent ici. M. le Ministre de la Justice avait eu soin de se débarrasser de
l'administration de la police, qui évidemment était mieux placée à son
département qu'à celui de l'Intérieur, où il l'avait transférée. Cette
précaution même dénotait la gêne qu'il éprouvait de mettre sa position nouvelle
d'accord avec le langage qu'il avait tenu sur les bancs de l'opposition,
auxquels il avait eu l'imprudence, comme ministre, de donner le nom de la Montagne.
Le Moniteur est
parfois un terrible témoin, surtout pour les membres de l'opposition trop
pressés de devenir membres d'un cabinet. Quant à M. Gendebien, il n'était
ministériel, ni par tempérament, ni dans sa conduite. Pendant le précédent
ministère il avait logé une balle dans la tête de M. Rogier, il avait mis la
tête de M. Lebeau sous le coup d'une accusation : dès l'avènement (page 211) du présent ministère il
déclarait qu'il lui refuserait tout subside. Malgré ces incidents, le budget
passa à la presque unanimité des voix (Moniteur de
1835, n°15 à 20).
A la
discussion du budget de l'intérieur, les mêmes reproches furent, de nouveau,
articulés et faiblement relevés par les membres du cabinet. Un crédit avait été
proposé par l'ancien Ministre de l'Intérieur sous la rubrique de « Crédit pour
travaux d'hygiène publique. » Le nouveau ministère et la section centrale ne
soutenaient pas ce chiffre : la
Chambre ne l'admit pas (Moniteur de
1835, n°31). Sous prétexte d'abus possibles, on rejeta un
crédit qui devait satisfaire à un besoin urgent, l'assainissement des villes et
des agglomérés de communes, des quartiers pauvres surtout. Ce ne fut que douze
ans plus tard, que M. Rogier, qui seul soutint cette innovation en 1835 (Discours
de M. Rogier, sur la nécessité de l'assainissement des quartiers insalubres,
Moniteur de 1835, n°31), obtint par le budget les
ressources nécessaires pour donner, sur tous les points du pays, l'impulsion à
tant d'utiles travaux : égouts construits ; ruelles désinfectées ; demeures
insalubres remplacées ; suppression, en un mot, des principales causes des
ravages des épidémies et de la mauvaise constitution physique des classes
ouvrières. Le cœur saigne, quand on pense à de tels retards : ce n'est pas
trop, c'est trop peu que l'on fait à cet égard ! Après de tels faits, n'est-on
pas en droit de dire que si le régime représentatif est le plus efficace pour
déraciner à la longue les abus, il n'est pas toujours le plus prompt pour réaliser
les progrès ?
A ce
budget, il fut aussi question de la porte de Hal.
L'administration communale de Bruxelles portait, chaque année, parmi ses
recettes, une somme de 12,000 francs, pour prix des matériaux à provenir de la
démolition de cette vieille (page 212)
construction. Promptes à renverser, impuissantes souvent à construire, les
villes n'ont déjà que trop fait disparaître d'anciens monuments. Si nous
pouvions à l'aide de quelques millions, rétablir tous ces antiques symboles de
l'industrie, du goût et du courage de nos pères, notre Belgique serait plus
pittoresque et plus digne encore qu'elle ne l'est, de l'admiration des
étrangers. De 1790 à 1825, nous avons opéré autant de dévastations qu'auraient
pu le faire les iconoclastes et les Vandales. Heureusement, avec notre
émancipation politique, est venue l'heure de la renaissance des arts. Peu
d'objets curieux, appartenant à des administrations publiques, s'aliènent
aujourd'hui. Presque tous nos anciens monuments se restaurent avec solidité et
avec goût. Tout le monde convient maintenant qu'on a bien fait de conserver la
porte de Hal (Voir, sur l'origine et les destinations diverses de la
porte de Hal, WALTERS et HENNE, Histoire de la ville de Bruxelles, t. III, p.
587).
3. La question d’un signe distinctif
pour les membres de la chambre des représentants
Au
milieu des vifs débats de ces deux budgets, il se présenta un incident, peu
sérieux dans ses détails, mais, au fond, assez important. Le Moniteur, d'ordinaire notre unique
guide, nous fait ici défaut. A la séance du 17 janvier 1835, il se borne à dire
: « La Chambre
se forme en comité secret. » Pour le compte rendu, il a fallu recourir aux
journaux du temps et à la tradition. Il s'agissait de régler la simple question
de savoir si les représentants auraient un signe distinctif. Quelques manques
d'égard envers des membres du Parlement, dans des cérémonies publiques, avaient
soulevé cette question. La devise: « Être que paraître, » n'est pas du goût de
toutes les assemblées ; souvent la possession du pouvoir ne leur suffit point,
il leur en faut l'éclat. Depuis longtemps on s'occupait de cette affaire,
puisqu'un questeur avait eu soin de faire confectionner un modèle, d'autres
disent l'imprudence de commander ce signe distinctif pour tous les membres. Mais
ce qui hâta l'ordre du jour pour sa solution, ce fut que la (page 213) Cour avait fait des
invitations pour un bal costumé, en costume de caractère, en uniforme civil ou
militaire, ou en habit français. Le signe distinctif, imaginé par la questure,
était une plaque d'argent ciselé en étoile, que les représentants auraient
attachée à leur frac. C'était loin de la toge romaine, ou du manteau de velours
du Sénat du premier empire français, mais ce n'était pas non plus la simplicité
de la Chambre
américaine. C'était mixte. La
discussion fut vive : les uns s'en contentaient, aimant mieux dire oui, que de
discuter cette affaire ; les autres se fâchèrent jusqu'à prétendre qu'avec leur
plaque les représentants seraient comme des conducteurs de diligence endimanchés.
M. le comte Félix de Mérode, si modeste pour tout ce qui le concerne, se prit
d'une violente passion de luxe pour l'assemblée, et sa péroraison fut de
prendre la malheureuse plaque, de la jeter ignominieusement sur le plancher et
de l'écraser, en signe de mépris, sous ses pieds. Les reliques de cette
exécution se sont trouvées longtemps et sont, sans doute, encore entre les
mains de M. H. de Brouckere. Une difficulté restait à résoudre : Comment aller
à la Cour?
On convint, sans que la décision ait eu rien d'officiel, ni de réglementaire,
de prendre un habit brodé, portant sur le bouton le mot : représentant. Voilà l'origine de cet habit qui n'est, en tout cas,
que le costume de fantaisie de la
Chambre.
Dans
la discussion, un membre avait cité ce fait : « Sous le Gouvernement précédent,
le Roi Guillaume donna un bal costumé. M. Mesdach,
magistrat et membre de la seconde Chambre, invité, se présenta en frac ; un
aide de camp lui refusa l'entrée. Les collègues de ce membre firent plainte ;
l'aide de camp fut réprimandé et mis aux arrêts. » (Emancipation
du 24 janvier 1833, Discours de M. Gendebien).
En France, monseigneur le duc de Nemours donna un pareil bal : M. Thiers s'y
présenta vêtu, comme les députés étaient (page
214) reçus à la Cour,
en frac. Le prince lui fit une observation à ce sujet, l'ex-ministre député lui
répondit : « Monseigneur, j'ai cru pouvoir me présenter chez Votre Altesse,
portant le même costume avec lequel le Roi, votre auguste père, daigne me
recevoir chez lui. » La réclamation dans les Pays- Bas et la réponse en France,
nous semblent reposer sur une erreur. Quand une députation de l'assemblée va
recevoir le Roi le jour de l'ouverture des Chambres, quand elle lui porte
l'adresse et des félicitations dans des circonstances solennelles, le député a
le droit de se présenter en frac, si la Chambre n'a pas de costume officiel. Mais le Roi
et les princes doivent avoir le droit - les particuliers l'ont bien - d'inviter
chez eux qui il leur plaît et dans le costume prescrit par le cérémonial. Au
fond, la question de costume, pour cette assemblée, n'a qu'un côté important et
sérieux. Isolés, ses membres ne peuvent invoquer aucun privilège, aucune
distinction : en corps, ou étant délégués par le corps, ils ont, dans les
cérémonies publiques, leur rang et leur escorte. Et dans ce cas, il n'y a pas
de mal qu'ils imitent la simplicité des Anglais et des Américains, simplicité
qui rappelle à tous leur origine populaire. Nous allons plus loin et nous
disons que, dans les occasions officielles, les Représentants ne devraient pas
quitter l'habit le plus décent, porté dans les rangs dont ils sont sortis, pour
un costume particulier. L'habit civil est comme le signe visible de la présence
du tiers état dans le Parlement. Qu'on se souvienne donc de ce qu'il a fallu de
temps pour que ce tiers état - bourgeoisie ou peuple -y trouvât sa place. Qu'on
n'oublie pas que, longtemps après y être entré, il y occupait un rang inférieur
et presque humiliant. Et aujourd'hui, les Représentants de la nation, quel que
soit leur naissance infime ou leur fortune modeste, ont le droit de s'asseoir
au grand conseil du pays, en présence du Roi, venant leur parler comme à des
hommes faisant partie d'une assemblée qui constitue l'une des branches des
pouvoirs publics. Laissons d'autres peuples (page 215) conserver la forme séculaire de leurs brillantes
traditions : gardons, pour notre part, gardons soigneusement la preuve visible
de nos solides conquêtes.
Nous
venons de dire que, longtemps, le tiers état occupait, dans les assemblées, un
rang inférieur et presque humiliant. De nombreux documents historiques le
prouvent : citons-en quelques-uns. « Il y avait encore plusieurs autres salles,
diversa loca, pour le
reste de l'assemblée, cœtera multitudo,
qu'on appelait MINORES ; c'étaient les notables,
les scabinei
ou échevins des villes et districts, dont les comtes et gouverneurs devaient se
faire accompagner à l'assemblée générale... »
« Il
y avait cependant une différence de rang de ces notables intervenants d'avec
les membres des deux ordres (le clergé et la noblesse) ; car, Hincmar rapporte
(de Ordine palatii, c. 35),
que ceux-ci étaient assis sur des banquettes richement garnies et qu'aucun
autre, d'un moindre rang, n'était assis à côté d'eux. Il semble qu'il donne
assez à connaître par là que ces notables
intervenants étaient debout, derrière les bancs des deux ordres. » (RAEPSAET, Histoire de l'origine, etc., pp. 23 et 24.)
« Ainsi,
à cette dernière époque (1345), les chevaliers de comté ne votent plus en
commun avec les lords, mais ils votent
encore à part des bourgeois.
«
Cette séparation ne se rapportait pas uniquement au vote des subsides. Tout
indique, sans qu'aucun texte le prouve formellement,
que les chevaliers de comté et les députés
des bourgs ne délibéraient pas non plus en commun sur les affaires
législatives ou autres... La séparation des deux classes de députés pouvait
donc aller jusqu'à ce point, que chaque classe siégeât dans des villes
différentes, quoique voisines.
«
Quand elles siégeaient dans la même ville, et surtout à (page 216) Westminster, le Parlement tout entier se réunissait
vraisemblablement dans la même salle ; mais
alors les hauts barons et les chevaliers de comté occupaient le haut de la salle
et les députés des bourgs le bas. » (Guizot,
Histoire des origines, etc., t. II, XVIIème leçon).
« Aux états de Tours, 1er avril 1468, sous
Louis XI, au bout d'en bas de ce parquet (celui du clergé et de la noblesse),
c'est-à-dire au dernier rang, il y a des
celles et des formes, où sont assises plusieurs notables personnes...
représentant la plus grande et saine partie des bonnes villes et cités du
royaume... Sous Charles VIII, aux états de Tours, 15 janvier 1483, la partie la
plus haute du parquet contenait pêle-mêle les sièges des sénéchaux, baillis,
barons. Là prirent place aussi les prélats et les grands dignitaires. La partie
inférieure appartenait au reste de la foule des députés. »
L'auteur ajoute : « Au fait, ils ne représentaient que les dix-neuf vingtièmes
de la nation M !... » (THIBAUDEAU, Histoire des états
généraux, t. I, pp. 489 et 209)
«
Les états généraux, ouverts à Paris, le 27 octobre 1614, ont été les derniers,
avant la suspension de ces assemblées, pendant 175 ans.
« Le
clergé y comptait 144 représentants ; la noblesse, 130.
«
Ces deux ordres ensemble, 274 membres.
« Le
tiers état n'en comptait que 192.
«
Les orateurs du clergé et de la noblesse haranguèrent le roi debout et
découverts : on exigea que Miron (d'autres disent Savaron),
prévôt des marchands, orateur du tiers état, PARLÂT A GENOUX. » (VARNIER, Du
Gouvernement représentatif, en France, p. 200.)
«
Nous n'avons connaissance d'aucune loi rendue par nos rois (en Angleterre),
sans l'assentiment et l'avis de leur grand conseil, quoiqu'on doute justement
si les représentants des francs-tenanciers ou des bourgs avaient droit de (page
217) SIEGER et de VOTER dans cette
assemblée, sous les sept ou huit règnes qui suivirent la conquête. » (HALLAM, Histoire constitutionnelle
d'Angleterre, t. I, chap. I).
4. L’absentéisme parlementaire
L'absentéisme
(L'absentéisme est un néologisme admis dans le langage parlementaire), cet éternel défaut de notre Parlement, devait à cette époque dépasser
toutes les bornes, puisque M. Desmanet de Biesme crut devoir faire une
proposition contre les absents sans congé. La commission, chargée de son
examen, présentait les conclusions suivantes : «Le Moniteur signalera, chaque jour, en tête du compte rendu de la
séance, les noms des membres présents, ceux des membres absents sans
congé. » Si doux qu'il fût, ce remède parut encore trop violent. Sur la
proposition de M. de Behr, on admit que : « A l’ouverture de chaque séance,
lorsque après l'appel nominal, l'assemblée ne sera pas en nombre suffisant pour
délibérer, les noms des membres qui auront répondu à l'appel seront insérés au Moniteur. » (Moniteur de
1834, n°44, 84 et 85. Manuel, etc., art. 12bis du
Règlement de la Chambre). L'une des grandes causes des absences même légitimes, c'est la longue
durée des sessions, occasionnée par des débats futiles, par d'interminables
discours et surtout par les trop courtes séances. Il faut un homme de grands
loisirs et aussi de grande patience pour pouvoir, pendant six à huit mois,
fréquenter assidûment des séances souvent mal remplies. Les sessions ne
devraient durer que quatre à cinq mois : il y là de la marge pour faire de très
bonne besogne. Mais alors, il faudrait des séances de quatre à cinq heures (En
Angleterre, les séances des deux Chambres durent six à huit heures, parfois dix), des discours moins longs, des incidents moins nombreux, et toujours
des ministres assez forts pour diriger une discussion et ne pas la laisser
dévier. En Amérique, dans certaines circonstances, l'orateur a devant lui un
sablier, indicateur du temps qui lui est accordé pour (page 218) parler. Si nos représentants ne
veulent pas de sablier, qu'ils se souviennent au moins que chacune de leur
séance coûte de 1,500 à 2,000 francs : c'est-à-dire qu'avec le prix de deux
séances perdues on bâtirait une école, on réparerait une église ou un
presbytère, on assainirait tout un quartier.
Et
cependant, disons-le, à l'honneur du régime représentatif : si longues et si
coûteuses que soient les sessions de nos législatures, c'est encore là le mode
de gouvernement et d'administration le plus économique. Nous avons fait le
relevé des dépenses annuelles de notre Parlement (Voir, Pièces
justificatives, t. II, n°VI, quelques détails,
dépenses de la Chambre,
de 1831 à 1854) ; elles ne s'élèvent pas, année commune,
à 500,000 francs, c'est-à-dire à un demi pour cent de nos voies et moyens. Ce
n'est pas le quart du taux que l'on accorde au régisseur d'un bien privé ; ce
n'est pas ce que coûtait à la
France le caprice d'une seule des maîtresses de Louis XIV ; à
l'Angleterre, la cupidité d'un seul des favoris de Henri VIII.
5. La loi sur le renouvellement
partiel des chambres
La
dissolution de la Chambre,
du 18 avril 1833, n'avait pas rendu nécessaire, jusqu'alors, une loi réglant le
mode du renouvellement partiel du Parlement. Il fallut y pourvoir (Loi
du 10 avril 1835, adoptée, à la
Chambre, par 49 voix contre 20 ; au Sénat, à l'unanimité. Moniteur de 1835, n°90 à 99).
En présence des art. 51 à 55 de la Constitution qui
disposent qu'il y aura renouvellement par moitié de la Chambre, tous les deux
ans, du Sénat, tous les quatre ans, il serait oiseux de discuter ici si mieux
n'eût pas valu un renouvellement intégral, toujours pratiqué en Angleterre et
en Amérique. L'assemblée constituante de France imita ce mode, mais elle le
gâta ; par un excès de délicatesse, les membres de cette grande assemblée se
déclarèrent non rééligibles, renonçant ainsi, sans nécessité, aux avantages de
la coopération d'hommes faits aux débats législatifs et connaissant les
précédents (page 219)
parlementaires. Notre prescription constitutionnelle pouvait être réalisée
d'après trois systèmes : par séries de députés, par séries de districts, par
séries de provinces. Il y avait une difficulté commune à chacun de ces
systèmes, c'était, en cas de dissolution, la date de la cessation des pouvoirs
de l'ancienne Chambre et celle de l'entrée au pouvoir de la Chambre nouvelle. Les
inconvénients particuliers reprochés à chacun des systèmes étaient les
suivants. Le renouvellement par séries de députés pouvait amener tous les
résultats bizarres dont le sort est capable : ainsi il pouvait placer dans une
série tous les députés d'un même district, moins un, et, pour cette élection
unique, déplacer les électeurs d'un même district tous les deux ans, ce que ne
voulaient pas les nombreux partisans des deux autres systèmes. Le
renouvellement par série de districts était, disait-on, difficile à établir,
dans des proportions exactes. M. Devaux prouva par des chiffres, pour ainsi
dire improvisés, que cette division était aussi facile à établir que celle par
provinces. Par le renouvellement par séries de provinces on ne consultait les
électeurs des grandes divisions du pays que tous les quatre ans, ce qui ne
donnait pas l'état exact de l'opinion publique générale. Il y eût eu, en outre,
de grandes anomalies, dont une discussion confuse ne donna pas la solution, si
le tirage au sort au Sénat eût amené une autre série que celle de la Chambre : heureusement il
n'en fut pas ainsi, les mêmes séries sortirent (Procès-verbaux
de la Chambre,
séance du 13 avril, et du Sénat, séance du 14 avril 1835. La première série sortante était, pour les deux
assemblées, celle des provinces de la Flandre orientale, de Hainaut, de Liége et de
Limbourg. La seconde se composait donc des provinces d'Anvers, de Brabant, de la Flandre occidentale, de
Luxembourg et de Namur). Il ne faut donc pas s'occuper de
l'état et des remèdes possibles, dans le cas d'une éventualité contraire. Un
article additionnel (art. 6), dû à M. Devaux, leva la difficulté de la durée du
mandat ancien et du commencement du mandat nouveau, en cas de dissolution. Il
dispose : (page 220) « En cas de dissolution, les élections, pour
remplacer la première série sortante, auront lieu, pour la Chambre des représentants,
ainsi renouvelée, au mois de juin, qui suivra la deuxième session ordinaire, et
pour le Sénat, s’il a été renouvelé de cette manière, au mois de juin, qui
suivra la quatrième session ordinaire.
« Les
élections, en remplacement de la seconde série à la Chambre des représentants,
auront lieu deux ans plus tard, et, pour la seconde série du Sénat, quatre ans
plus tard.
« La
session ordinaire est celle dans laquelle les Chambres auront voté le budget
des voies et moyens. »
Il
est évident que le renouvellement par série de districts eût été, autant que le
permet la Constitution,
en harmonie avec ce que la pratique a enseigné être bon chez nos devanciers
dans le régime parlementaire : il eût été plus conforme aussi à l’esprit
de cette même Constitution. En effet, qu’a voulu notre pacte fondamental ?
Evidemment, éviter d’avoir un Parlement tout nouveau, sans expérience et sans
traditions : il a voulu que, dans les circonstances ordinaires, le pays
pût, s’il y avait nécessité, le rajeunir et le réformer, mais non l’anéantir. Mais
c qu’il n’a pas défendu, c’est que toutes les parties du pays fussent
consultées, comme elles le seraient par le renouvellement par série de
districts. Aujourd’hui, à chaque renouvellement par moitié, a-t-on un signe
certain de l’état de l’opinion publique dans le pays tout entier ?
Non : on a le signe légal de cette opinion, dans une série de provinces,
où le sort peut avoir placé tel ou tel parti dans une portion
prédominante ; mais de l’opinion générale, on n’a qu’un signe partiel, fragmentaire,
si ;’on peut s’exprimer ainsi. A cause de ces vices, le projet rencontra
une vive opposition à la
Chambre. (Loi du 10 avril 1835, adoptée à la Chambre, par 49 voix
contre 20 ; au Sénat, par l’unanimité. Moniteur de 1835, n°90-99). Dans
l’état actuel de la législation, la dissolution de l’une des Chambres seulement
peut faire que les renouvellements parties n’aient
plus lieu à des époques régulièrement périodiques, comme on l’avait en vue. Le
Sénat ayant été seuls dissous, en 1851, voici l’ordre des renouvellements, s’il
ne survient pas de dissolution : 2ème série - Anvers, Flandre occidentale,
etc : Chambre, 1854, 1858, 1862, Sénat, 1859, 1867, 1875 ; 1ère série
- Flandre orientale, Hainaut, etc. : Chambre 1856, 1860, 1864, Sénat,
1855, 1863, 1871. Donc, dans chaque série, il y aura une époque où,
respectivement, les élections pour la Chambre et le Sénat ne seront séparées que par
une année. Anciennement, sur deux renouvellement du
Sénat, il y en avait un qui coïncidait avec celui de la Chambre. Cette coïncidence
n’aura plus lieu.)
6. Les autres discussions
parlementaires (expropriation forcée, récompenses nationales, incompatibilité
parlementaire)
(page 221) Le Gouvernement donnant, en ce
moment, une grande impulsion aux travaux d’utilité publique, se trouvait
souvent entravée pour se mettre, par l’expropriation forcée, en possession de
certains terrains nécessaires. L’art. 11 de la Constitution
porte : « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause
d’utilité publique, dans le cas et de la manière établie par la loi, et
moyennant une juste et préalable indemnité. » C’est la consécration
constitutionnelle de principes établis par l’art. 545 du Code civil. Or, ces
principes furent mis en action par la loi du 16 septembre 1807 et du 8 mars
1810, qui faisaient intervenir l’autorité judiciaire et l’autorité
administrative. Cette législation pouvait-elle être maintenue, chez nous, en
présence des dispositions de notre pacte fondamental ? Il y avait, sur ce
point, divergence d’opinions et contradiction d’arrêts. Le projet du
Gouvernement avait pour but d’obvier à ces doutes, à ces discussions et à ces
lenteurs. Il était si bien conçu, il conciliait si sagement la célérité
nécessaire de la procédure avec les intérêts raisonnables des particuliers, que
non seulement il faut admis dans son principe, mais que même peu de changements
de détail y furent introduits. Il réunit la presque unanimité des voix, dans
les deux enceintes. (Loi du 17 avril 1835, adoptée, à la Chambre, par 59 voix, un
membre s’étant abstenu ; au Sénat, à l’unanimité des 27 membres présents.
Moniteur de 1835, Exposé des motifs, n°99 ; Rapport de M. Fallon, n°112 ;
Discussions, n°101 à 104, 108 à 111).
(page 222) Une loi, rapportant ou
régularisant les dispositions de l'arrêté du Gouvernement provisoire du 6
novembre 1830, fut aussi votée, à l'unanimité ; elle accordait des pensions
civiques aux veuves et aux ascendants des citoyens morts dans les combats
soutenus pour reconquérir notre indépendance nationale, ou des suites des
blessures qu'ils y avaient reçues. Modeste, mais équitable témoignage de la
reconnaissance publique ! (Loi du 11 avril 1835).
M.
Dumortier, peu avant la clôture de la session, avait proposé que les
gouverneurs ne pussent être élus dans la province, et les commissaires d'arrondissement
dans le district qu'ils administraient. La première partie de la proposition
fut résolue négativement, par 39 voix contre 27 ; la seconde ne fut pas mise
aux voix. Cette incompatibilité fut alors jugée inconstitutionnelle. Depuis,
elle fut jugée si constitutionnelle, que l'on poussa la loi des
incompatibilités hors de ses limites raisonnables. Mais ce changement d'idées
ne s'est opéré qu'en 1848, chez ceux qui, n'étant plus ministres et ne croyant
plus le devenir de si tôt, se sentaient saisis subitement d'une grande horreur
pour les représentants-fonctionnaires. Nous examinerons à cette date ces
mesures excessives inspirées tout au moins par l'irréflexion.
Nous
avons à mentionner peu d'autres lois, votées pendant cette cinquième session,
1834-1835. Ce sont celles de 1835, du 1er février, concernant la transformation
des pièces de cent et demi-cent des Pays-Bas, en
pièces d'un et de deux centimes ; du 28 mars, sur les remplacements militaires
; du 8 avril réduisant les droits à la sortie sur les tissus de soie ; du 23
avril, concernant les droits de succession sur les biens situés en
Hollande.
Peu
avant leur séparation, les Chambres avaient porté, avec bonheur, au Roi
l'expression de la joie publique, occasionnée par la naissance d'un prince (Le
prince royal, Léopold Louis Philippe Marie Victor, est né à Bruxelles, le 9
avril 1835). La Providence avait (page 223) réparé ainsi la perte cruelle que nous venions
d'éprouver, et affermissait, de nouveau, la dynastie de notre choix. Pour la
première fois, à l'approche des élections, le ministère fit accorder des
décorations de l'Ordre de Léopold aux membres des deux Chambres. Mais, il y mit
une certaine réserve, qui ne fut pas toujours observée depuis (Trois
sénateurs, MM. le baron de Sécus, Biolley, le marquis de Rodes ; deux
représentants, MM. de Theux et Raikem).
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