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Note
d’intention
« Du gouvernement représentatif en
Belgique (1831-1848) », par E. VANDENPEEREBOOM
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq,
1856, 2 tomes
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TOME 1
(p. 157) La troisième session s'ouvrit le 7 juin 1833 : elle ne dura que quatre mois,
puisqu'elle fut close le 7 octobre. Dans le trouble de la crise du cabinet, le
ministère avait oublié de clore la session précédente. C'est ce qui fit
demander si cette réunion des deux Chambres, après la dissolution de l'une
d'elles, avait constitué une nouvelle session. Le Sénat résolut la question
négativement. Le Gouvernement dit oui et non : car l'arrêté du 7 octobre 1833
dispose : « La session législative de 1832-1833 est close ; » tandis que le
discours du Trône de la session suivante (12 novembre 1833) commence par ces
mots : « Cinq mois se sont à peine écoulés depuis l'époque où j'ai ouvert
la dernière session. » M. Isidore Plaisant s'exprime ainsi sur cette question :
« La dissolution est plus que la clôture et elle l'entraîne nécessairement, car
elle opère l'anéantissement de
Vingt-quatre nouveaux membres
étaient entrés à
Le reproche relatif à la
dissolution était plus grave et plus délicat. Certes, cet acte de la royauté
est, comme tous les autres, couvert par la signature des ministres. Mais il
n'en est pas moins vrai que la dissolution est une prérogative expressément
consacrée au titre de notre Constitution, qui règle le pouvoir du Roi, art. 71.
Que doit faire le souverain quand il voit - et c'était ici le cas un ministère
qu'il n'a pas eu (page 160) ou la
volonté ou le pouvoir de remplacer, appuyé fortement par une Chambre et ne
pouvant pas se maintenir honorablement devant l'autre Chambre ? Dissoudre, sans
doute, l'assemblée qui embarrasse la marche du Gouvernement. La dissolution
peut contrarier quelques membres de la Représentation : elle peut déplaire à
l'opposition déjà devenue compacte ; mais, après tout, elle est un hommage
rendu à l'opinion légale du pays, puisqu'elle a pour effet de consulter le
corps électoral sur le point litigieux. Que si, en pareille matière, on pouvait
faire un reproche, ce ne serait pas à cause de l'usage, mais à cause de l'abus
du droit ; comme si, par exemple, il arrivait des dissolutions successives,
faites non pas pour résoudre un dissentiment entre les deux Chambres
législatives, mais pour conserver au pouvoir un ministère impopulaire.
Nous avouons ne rien comprendre à
la répugnance que l'on manifeste, en principe, contre l'usage du droit de
dissolution. Dans les vieux pays constitutionnels, le pouvoir en use souvent et
c'est, parfois, après ces épreuves, et à ce prix que s'opèrent les grandes réformes.
En Belgique, il y a deux motifs constitutionnels pour ne pas proscrire, aussi
absolument qu'on le fait, les dissolutions. Le premier motif, c'est que les
deux Chambres tiennent leur mandat de l'élection. Or, en cas de dissentiment,
il faut bien demander au corps électoral qu'il indique auquel des deux corps,
qu'il a choisis, il donne raison. Le second motif, c'est que le mandat des
représentants ayant une durée de quatre années et celui des sénateurs de huit
années, beaucoup d'événements, surtout au début d'une nationalité, peuvent
modifier l'opinion publique, pendant ces longs intervalles. Dans ce cas, il
peut être prudent, pour un Gouvernement, de recourir à une dissolution isolée
ou simultanée.
Quoi qu'il en soit de notre
appréciation sur ces débats, un amendement, présenté par M. H. de Brouckere et
accepté par le ministère, exprimait l'idée que la Chambre avait été affligée (page 161) des derniers désordres ; il
fut admis à l'unanimité. MM. Fallon et Dubus présentèrent un amendement
impliquant un blâme sur la dissolution et les destitutions : M. de Theux,
toujours gouvernemental, même dans l'opposition, demanda la question préalable
sur l'amendement hostile, qu'il remplaçait par un amendement anodin. La
question préalable sur la proposition Fallon-Dubus fut admise par 54 voix
contre 37 ; l'amendement de Theux obtint une forte majorité : l'ensemble de
l'adresse fut voté par 76 voix contre 14 (Moniteur de
1833, n°172 à 179).
Un incident, heureusement rare
dans nos annales parlementaires, vint clore ces violents débats. A la fin de la
séance du 24 juin 1833, il s'établit entre plusieurs membres le colloque
suivant :
M. Devaux : « L'honorable membre
(M. Gendebien) me reproche d'avoir été absent pendant six mois : c'est ma santé
qui est cause de cette absence.
M. Gendebien : « C'est que
l'honorable membre écrivait dans l'Indépendant, pendant son absence.
M. Devaux : « C'est une calomnie
!
M. le Ministre de l'Intérieur : «
C'est une calomnie ! (Bruit dans l'assemblée.)
M. Gendebien : « Je demande la
parole pour faire remarquer à l'assemblée que M. Devaux a dit que c'était une
calomnie : je serai modéré ici, mais je conserve tous mes droits. (Le bruit
augmente.)
M. Devaux : Quand une
interpellation aussi imparlementaire a été faite,
j'ai répondu avec un mouvement d'indignation dont je n'ai pas été maître, mais
dont j'accepte toutes les conséquences. » (Moniteur de
1833, n°177.)
De là provocation adressée par M.
Gendebien à MM. Devaux et Rogier, nombreux pourparlers, rendez-vous sur le (page 162) terrain. M. Devaux s'y trouva
prêt à rendre raison. M. Gendebien, généreux jusque dans la violence, dit qu'il
ne tirerait pas sur un homme malade. M. Rogier se présenta à son tour, manqua
son adversaire, qui atteignit le ministre à la joue droite. La blessure grave
en apparence - M. Rogier était tombé sur le coup - était peu dangereuse en
réalité. Elle ne l'empêcha pas de gérer les affaires de son département et de
reparaître bientôt à la Chambre (Indépendant
du 28 juin 1833. - Le duel eut lieu le 26 juin 1833.)
A tous ces signes, les membres du
cabinet purent voir que, pendant la seconde étape, le ministère ne serait pas
moins vivement harcelé que pendant la première.
Cette session fut bien plutôt une
session politique, qu'une session d'affaires. Outre les budgets, des crédits
provisoires et des transferts de crédits, on vota quelques lois que nous allons
mentionner brièvement. Le décret sur la presse du 20 juillet 1831 fut remis en
vigueur (Loi du 6 juillet 1833) et la
loi du 19 juillet 1822 sur les concessions de péages fut prorogée pour un an (Loi du
10 juillet 1833). Après bien des vicissitudes de
discussions et sur une nouvelle présentation rendue nécessaire par la
dissolution de la Chambre, une loi sur les distilleries fut adoptée à la
presque unanimité (Loi du 18 juillet 1833). Elle
était destinée à être bientôt remaniée ; nous nous occuperons plus loin de
cette source de revenu public.
Un projet relatif à l’entretien
des indigents dans les dépôts de mendicité ne rencontra pas non plus grande
opposition (Loi du 13 août 1833). 5. Il reposait sur les
principes de la législation existante, qui faisait de l'entretien des
indigents, soit à domicile, soif dans les dépôts, une charge communale et
provinciale. Pour la forme, on ne s'arrêta pas, et on eut raison, au reproche (page 163) d'inconstitutionnalité fait
au projet, sous prétexte qu'il était contraire aux attributions des conseils
communaux. Pour le fond, on imposa la dépense aux communes, d'abord, et
exceptionnellement aux provinces. C'était une barrière posée à l'extension du
paupérisme qui était à craindre, si l'Etat prenait à sa charge les frais
d'entretien de cette catégorie d'indigents : c'était aussi un encouragement à
ce progrès qui consiste à prévenir par le travail local l'accroissement du
nombre des mendiants nomades. Par cela même qu'elle localisait les charges du
vagabondage, cette loi n'a cessé d'être vivement attaquée.
M. Liedts, usant de son droit
d'initiative, avait fait une proposition relative à l'expulsion des fermiers et
locataires. Son projet tendait à attribuer aux juges de paix, à charge d'appel,
la connaissance de toute demande en expulsion de fermiers de maisons, terres ou
fermes, quel que fût le prix du bail. La section centrale proposa et les
Chambres admirent que le juge de paix connaîtrait de toute demande de l'espèce,
lorsque la valeur des loyers et fermages de toute la durée du bail n'excède pas
les limites de sa compétence : dans le cas contraire, cette demande pourra être
portée directement en référé devant le président du tribunal de première
instance, qui prononcera provisoirement, sans préjudice au principal, pour
lequel les parties pourront se pourvoir à l'audience, sans préliminaire de
conciliation (Loi du 5 octobre 1833, adoptée à l'unanimité, dans les
deux enceintes. Moniteur de 1833, n°176, 220-226, 275-277). Ainsi
amendée, la loi présentait l'avantage de donner les mêmes garanties d'économie
et de célérité aux bailleurs, sans le danger d’intervertir l'ordre des juridictions
et en ménageant davantage les intérêts des locataires. On pouvait croire cette
loi pleinement satisfaisante pour les propriétaires ; il n'en fut rien. Il
parait que si étroites (page 164)
qu'en soient les mailles, les mauvais locataires, les agents d'affaires aidant,
ont trouve le moyen de passer au travers. Depuis peu, de nombreuses plaintes
surgissent de toute part, du côté de Namur surtout. Heureux propriétaires qui
n'ont que de tels griefs à faire valoir : heureux Parlement qui trouve le loisir d'écouter ces doléances et de soulager de
telles infortunes !
Dans la séance du 17 juillet
Le 23 août, M. Gendebien
développa sa proposition. M. Nothomb se chargea seul de la défense, qui fut
ferme et habile. La demande de mise en accusation fut repoussée dans cette même
séance, qui dura de midi à six heures et demie, par 53 voix contre 18 (Moniteur
de 1833, n°237). Ce fut la première et seule accusation portée
contre un ministre, devant la Chambre, pendant les vingt-cinq ans de durée de
notre régime parlementaire.
Quand après un quart de siècle,
on relit froidement ces stériles débats, on ne s'abstient de les blâmer qu'en
pensant qu'ils sont l'inévitable suite des tourmentes révolutionnaires, et qu'à
ces tristes époques il arrive souvent que les passions politiques aveuglent les
esprits les plus éclairés et aigrissent les cœurs les plus généreux. Était-ce
au moment où le ministre, cédant à ses propres scrupules, tout au moins à ceux
du Parlement, s'empressait de rentrer dans la légalité, qu'il convenait de
lever sur sa tète une arme si terrible, que nul n'en fut jamais frappé, dans
notre honnête et paisible Belgique ?
L'autre débat incident, soulevé
dans la discussion du budget de l'intérieur, et qui vint pour ainsi dire clore
la session, était relatif à l'instruction publique (Moniteur de
1833, n° 262-270. Voir le discours de M. Ernst (n°262), qui établit
l'obligation pour l'Etat de fonder un enseignement officiel). 3. La divergence d'opinion se (page
166) manifesta moins à l'occasion d'une faible réduction proposée par M.
Dubus aîné, comme rapporteur de la section centrale, que parce que l'on
contestait le droit et le devoir du Gouvernement de prendre sa part dans la
tâche sociale de l'enseignement public à tous les degrés. L'enseignement et la
bienfaisance sont les deux questions sur lesquelles, à toutes les époques,
l'autorité spirituelle et l'autorité civile se sont trouvées souvent en
hostilité, toujours en désaccord (Voir : 1° Le Mémoire des vicaires
généraux de Gand, adressé, le 3 octobre 1814, au congrès de Vienne : ils y
demandent le rétablissement des anciens privilèges du clergé catholique ; la
proscription des cultes dissidents ; la dotation du clergé, indépendante de
l'autorité civile et au moyen de la dîme ; le rappel des jésuites,
« meilleur et peut-être seul moyen d'assurer une bonne éducation à la
jeunesse » ; 2° Le manifeste de MM. les évêques, ou jugement doctrinal,
défendant de prêter serment à la Loi fondamentale. Les motifs y allégués sont
les suivants : cette Constitution reconnaît la liberté des opinions religieuses
et l'égale protection de tous les cultes ; la suprématie de l'autorité civile ;
la liberté de la presse. (Toutes ces garanties ont été admises depuis, dans
notre Constitution!) ; 3° Lettre de M. l'archevêque de Malines, adressée
au Congrès, le 17 décembre 1830, demandant « qu'il soit assuré aux corporations
religieuses et de bienfaisance, le droit de s'associer et des facilités pour
acquérir ce qui est nécessaire à leur existence » ; 4° Les nombreuses
brochures publiées par M. l'évèque Van Bommel, sur l'intervention du clergé dans l'enseignement).
Au sein du Congrès, où le clergé
avait des représentants officiels, les débats se ressentirent, plus d'une fois,
de cet antagonisme ; mais, comme après tout il fallait se faire des concessions
pour obtenir des garanties réciproques ; au vote, on finissait par suivre le principe
de « donnant donnant. » Dans les assemblées législatives, qui succédèrent à
l'assemblée constituante, les divisions s'étaient particulièrement établies sur
la marche imprimée aux affaires extérieures. On n'avait pas encore eu, soit le
temps, soit la volonté d'aborder les lois organiques, dont les bases se
trouvaient posées dans notre Pacte fondamental. C'était plutôt en dehors des
Chambres, (page 167) c'était dans
l'opinion publique, se manifestant ou par les controverses de la presse, ou par
les luttes des élections, que l'on pouvait découvrir la formation des deux
grands partis qui devaient diviser, d'une manière chaque jour plus profonde,
tous ceux qui directement ou indirectement s'occupent, dans notre pays, des
affaires publiques. Pendant la discussion incidente, dont nous nous occupons,
cette division de l'opinion publique vint à se manifester par des signes aussi
spontanés qu'éclatants. (M. Charles de Brouckere, ayant été, peu
après sa sortie du ministère, l'objet de nombreuses et vives attaques des
journaux, organes du parti catholique, adressa à l'Indépendant une lettre, datée du 25 mai 1832, et reproduite par le Moniteur de la même année, n°150. En
voici quelques extraits : « J'ai dit au Congrès que l'Union est devenue sans
objet... L'Union, dans son principe, n'a eu d'autre but, d'autre objet que de
déjouer le système de bascule du gouvernement (des Pays-Bas)... ; elle n'a été
conçue qu'en 1828, car, à la fin de septembre 1827, les catholiques oubliaient
encore tous les griefs et votaient le budget, en criant : Nous avons un
concordat ; vive le Roi ! L'Union était devenue sans objet après la révolution
; l'ennemi commun n'était plus en présence, une coalition devenait au moins une
superfluité, sinon une duperie... Au reste, ces incidents (attaques, injures,
etc.), ont un bon côté ; ils nous dévoilent, petit à petit, les prétentions du
clergé et nous font voir qu'il n'a pas changé : il est aujourd'hui, comme il a
toujours été, comme il sera dans la durée des siècles, avide de pouvoir et aspirant
à la domination personnelle. II y a, sans doute, des exceptions honorables, et
je me ferais honneur d'être de l'Union avec un catholique comme M. le comte
Félix de Mérode ; mais je rougirais d'être plus longtemps dupe d'un parti dont
la fourberie et l'ambition sont évidentes aujourd'hui, pour les hommes les
moins clairvoyants. ») Chaque membre, faisant taire son
adhésion ou sa répulsion ancienne, oublia qu'il était du parti de l'opposition
ou du parti ministériel. Pour la première fois et tout d'un coup, on vit en
présence, au sein du Parlement, les libéraux et les catholiques.
On a beaucoup parlé et beaucoup
écrit contre l'existence des partis et, cependant, ils sont, dans les
Gouvernements représentatifs surtout, un fait inévitable. Sous d'autres formes
(page 168) de gouvernement, ils se
sont souvent succédé et, en matière de dogme et de foi, ils ont été plus
nombreux encore qu'en matière politique. Ouvrons notre propre histoire, ouvrons
celle des autres peuples et partout nous trouverons des divisions profondes,
nées de causes diverses et portant des noms différents, suivant le temps et les
lieux et aussi suivant le but poursuivi, qui est la cause d'être de ces
divisions. Ainsi, dans toutes les luttes gouvernementales et religieuses,
apparaissent de grands partis. Nous n'en citerons que quelques-uns. Sans parler
des verts et des bleus du Bas Empire, nous voyons :
- En Angleterre, la rose blanche
et la rose rouge ; les lollards ; les conservateurs et les novateurs ; les
cavaliers, les puritains, les têtes rondes ; les épiscopaux, les presbytériens,
les indépendants, les libres penseurs, les niveleurs, les communistes, les
non-conformistes, les papistes ; les républicains, les royalistes, les
jacobites ; les torys, les whigs et les chartistes (Guizot, Histoire
de la Révolution d’Angleterre, passim.) ;
- En France, les ligueurs, les
frondeurs ; les gallicans, les ultramontains ; les intrigants, les girondins,
les montagnards, les brissotins, les rolandins ; les
chouans, les vendéens, les blancs, les bleus ; les patriotes, les pourris (Thiers,
Histoire de la Révolution française, passim.) ;
les légitimistes, les orléanistes ; les conservateurs, les opposants ; les
royalistes, les républicains ;
- En Italie, les guelfes, les
gibelins, les mazzinistes ;
- En Russie, le parti de
Saint-Pétersbourg ou allemand ; le parti panslaviste ou moscovite ;
- En Espagne, les christinos, les esparteristes,
les polacos, les narvaïstes,
les montemolinistes, los descalseados
(va-nu-pieds), los descamisados (couche-tout-nus) quelque chose de pire que les
sans-culottes :
- En Amérique, les
abolitionnistes, les antiabolitionnistes ; le parti fédéral, le parti
républicain ; les mormons, les know-nothings ;
- En Hollande, les arminiens ou remontrants
(partisans d'Olden (page 169) Barneveldt) ; les gomaristes
(partisans de Maurice de Nassau) ; les cabillauds ; les hameçons :
- Dans nos anciennes provinces,
les chaperons blancs (1379), les leliaerts, les clauwaerts ; les gueux ; les figues, les vonckistes, les vandernootistes
ou statistes :
- En Belgique, les orangistes,
les patriotes, les réunionistes ; les libéraux, les catholiques ; les
conservateurs, les républicains.
Tous ces partis ont laissé
non-seulement leur trace dans l'histoire, mais encore leur empreinte sur la
littérature de diverses époques et de divers pays. Reinaert
De Vos, l'Éloge de la folie, Gargantua et Pantagruel (1553-1564), la satire Ménippée (1593-1594), la Marche de David Lesley (1657),
Absalon et Achitophel (1685), Don Quichotte, les
Provinciales, Figaro, le Pamphlet des pamplhets, les
Lettres de Timon, les Chansons de Béranger furent les armes des partis :
Érasme, Rabelais, Pithou, Dryden, Vondel, Cervantès, Pascal, Beaumarchais,
Paul-Louis Courier, Cormenin furent leurs
porte-drapeau. Vondel et Dryden, satiriques protestants, deviennent catholiques
; ce dernier, après sa conversion, écrit la
Biche et la Panthère (1687), qui n'est qu'un pamphlet allégorique. M. Matter fait toucher au doigt cette constante influence (Histoire
des doctrines, passim). M. Guizot la signale aussi, quand il
dit : « Les Cavaliers, à leur tour, irrités, comme d'un affront, de succomber
sous de tels adversaires (les Parlementaires), essayaient de s'en consoler et
de s'en venger par des moqueries, des épigrammes, des chansons, chaque jour
plus insultantes. » (Histoire de Charles Ier, t. II, p. 134.
Voir March of David Lesley, ibid, p. 384). Macaulay la démontre, en parlant des pamphlets de Montague
et de Prior (History, etc., t. II, pp. 198-200.) Il dit,
lorsqu'il constate les résultats de la réaction antipuritaine
: « … La turpitude (page 170)
du drame devint telle, qu'elle doit étonner tous ceux qui ne comprennent pas
que l'extrême licence est l'effet naturel de l'extrême compression et qu'une
époque d'hypocrisie est, dans le cours régulier des choses, suivie d'une époque
d'effronterie. » (History, etc., t. I, p. 400.)
Quand tous les temps et tous les
peuples ont eu leurs partis, comment et pourquoi n'aurions-nous pas les nôtres
? Ces divisions ne sont d'ailleurs pas des combinaisons arbitraires qui
existent ou n'existent pas selon qu'on le veuille : elles sont l'expression et
la formule des pensées comme des tendances de certaines portions notables de la
population. Quand elles ne sont formées que de minimes fractions, ce ne sont plus
des partis, mais des coteries. Nés de convictions fortes et sincères, les
partis sont, sans aucun doute, parfois un abri pour les mécontents, souvent un
instrument pour les ambitieux ; mais, dans leur ensemble, ils sont les signes
éclatants que tel ou tel but est dans les vœux ardents d'une partie de la
nation. Cela est si vrai, qu'il n'est au pouvoir de personne de faire revivre,
à son gré, des partis qui n'ont plus de raison d'être. Qui oserait, en 1856, se
vanter de ressusciter le parti orangiste ?
Si l'histoire nous apprend qu'il
y a eu partout et toujours des partis, la raison se charge de nous expliquer la
persistance et l'universalité de ce fait. Sous les gouvernements absolus, les
partis n'existent qu'à l'état latent ; quand les excès du pouvoir deviennent
insupportables, des complots s'ourdissent, des émeutes éclatent, des
révolutions s'ensuivent. Sous les gouvernements représentatifs, au contraire,
les partis opèrent à ciel ouvert : le droit d'association et celui de pétition,
la liberté de la presse et de la tribune sont tout à la fois et leurs
instruments et leurs soupapes de sûreté..Dans le
self-government, les partis deviennent parfois l'avant-garde et (page 171) les puissants alliés des
gouvernants désireux de réaliser de grandes mesures. Le cabinet de lord Grey
n'a obtenu la réforme dite de l'émancipation qu'après qu'O'Connell,
à l'aide des meetings réformistes,
eut préparé le terrain. Sir Robert Peel avait été devancé dans son système
libéral, par les formidables efforts de la ligue Cobden, dite anti-corn-law-league. En deux mots, sous le
despotisme, les partis sont l'ultima ratio des
peuples. Sous le régime représentatif, les partis sont les conséquences du
système lui-même : ils sont souvent un avertissement, quelquefois un embarras,
rarement un danger pour le pouvoir exécutif. .
En Belgique, il y a deux grands
partis en présence, le parti catholique, le parti libéral. Ce dernier n'a
jamais eu de raison ou d'intérêt de changer de nom, depuis le Congrès. L'autre,
après s'être glorifié de son nom à la tribune et dans la presse (II y
avait, à Gand, un journal politique, ayant pour titre Le Catholique), vient, récemment, de le changer en
celui de conservateur. Disons-le, ce nom ancien et ce nom nouveau ne sont pas
précisément l'opposé de libéral. Le parti libéral, presque en entier, est
conservateur et ne veut pas l'abaissement du catholicisme. Le nom de clérical (Nous
donnons à ce nom de clérical un sens philosophique et non la signification
injurieuse qu'on a voulu y attacher) et de libéral ou d'anticlérical
seraient de plus justes désignations de chaque parti. En effet, quelles sont,
de chaque côté, les tendances opposées, qui constituent la division et
l'antagonisme ?
Le clergé, qui dans nos provinces
belgiques siégeait au sein des assemblées des
États-Généraux, comme ordre et au premier rang, a perdu par les événements de
1789 cette haute position 3 (En Angleterre, l'éloignement du clergé
des premières fonctions civiles et, par suite, l'abandon de la carrière
sacerdotale par les hautes classes se sont manifestés plus tôt qu'en France et
en Belgique. Macaulay attribue cette déchéance d'abord à la réformation qui
avait privé le haut clergé de ses immenses richesses, ensuite à la diffusion de
l'instruction qui, jusqu'alors, avait été plus forte chez les gens d'Église que
dans les autres classes de citoyens. Voir History,
etc., t. I, chap. III, pp. 324-327.) ; sous
le (page 172) gouvernement de
Guillaume Ier, il a activement préparé la révolution ; depuis 1830, excité par
l'influence de ces souvenirs et par l'ardeur de ses espérances, il n'a cessé de
se mêler des élections, comme corps et comme pouvoir spirituel : il n'a toléré
qu'impatiemment la part du gouvernement dans l'enseignement prescrit par la loi
: il lutte, avec énergie, pour écarter le contrôle sérieux du pouvoir civil, en
matière de dons et legs charitables. Il a trouvé dans la presse, dans le
Parlement et, il faut bien le dire, dans l'opinion publique, d'habiles organes
et de solides soutiens pour ses prétentions diverses.
Les libéraux, ayant eux aussi de
nombreux et puissants auxiliaires, dans les grands centres surtout, un moment
unis aux catholiques pour renverser un ennemi commun, ne tardèrent pas à s'en
séparer, quant ils crurent que les conquêtes de tant de luttes anciennes et
récentes étaient menacées. La séparation du pouvoir spirituel et du pouvoir
civil était le vœu de leurs pères et il est le succès de leurs propres efforts.
Ils comprennent que le droit de voter appartienne aux prêtres censitaires,
comme à tous les autres citoyens censitaires ; mais ils pensent que
l'intervention du clergé, comme autorité et pouvoir spirituel, dans les luttes
électorales, finirait par amoindrir l'esprit religieux de nos populations et
par fausser le caractère purement civil de nos assemblées législatives. Ils
admettent l'entière liberté de l'enseignement donné par des corporations
religieuses ou par l'épiscopat, mais ils prétendent également que
l'enseignement établi par le Gouvernement, au vœu de
Quand cléricaux et libéraux sont
séparés par de tels abîmes, n'ont-ils pas tous les éléments et toutes les
raisons pour s'appeler partis ? Mais nous allons plus loin et nous disons :
Supposons qu'un de ces grands partis abandonne la lutte, soit par sa volonté,
soit par son impuissance, pensez-vous que, dans le Parlement, dans la presse,
dans l'opinion publique elle-même, le parti seul maître du terrain ne subira
pas bientôt des divisions profondes ? Ce serait une grave erreur de le croire
et les faits contemporains viendraient immédiatement confirmer l'enseignement
historique. Si les cléricaux étaient les seuls maîtres, vous verriez sans
retard apparaître les orthodoxes et les relâchés : n'avez-vous pas vu, en
Angleterre et en Ecosse, au moment où les partis se débattaient plus encore sur
le terrain religieux que sur le terrain politique, les presbytériens et les
épiscopaux, les puritains et les saints ? Si les libéraux étaient seuls
dominants, vous auriez aussitôt les modérés et les progressistes ; comme on
avait en France, à la fin du règne de Louis-Philippe, les ministériels et les
opposants, les conservateurs et les pointus.
Macaulay, l'historien à la vue si
perçante et aux appréciations si justes, démontre admirablement l'inévitable
existence des partis, quand il dit : «De ce jour (1641), date l'existence,
comme corps, des deux grands partis qui depuis ont alternativement gouverné le
pays. Dans un sens, il est vrai, la distinction qui
alors devint apparente avait toujours existé et doit exister toujours ; car
elle a son origine dans la diversité de caractères, d'intelligences, ou
d'intérêts, qui se rencontrent dans toute société et qui s'y rencontreront
jusqu'à ce que l'esprit humain cesse d'être entraîné dans des directions
différentes par le charme de l'habitude, ou par le charme de la nouveauté.
Non-seulement en politique, mais (page
174) en littérature, dans les arts, les sciences, la chirurgie et la
mécanique, en art nautique comme en art agricole, oui, même en mathématiques,
nous trouvons cette différence. Partout il y a une classe d'hommes qui
s'attachent avec tendresse à tout ce qui est ancien, et qui, même quand ils
sont convaincus par des raisons irrésistibles qu'une innovation serait
bienfaisante, n'y consentent qu'avec beaucoup de craintes et de doutes. Nous
trouvons aussi partout une autre classe d'hommes ardents dans leurs désirs,
hardis dans leurs spéculations, toujours pressés d'avancer, prompts à
distinguer les imperfections de tout ce qui existe, disposés à tenir peu compte
des dangers et des inconvénients des réformes, toujours prêts à donner à un
changement la valeur d'un progrès. Dans les sentiments de chaque classe, il y a
quelque chose à approuver. Mais les meilleurs partisans de chacune d'elles se
trouvent rapprochés de la frontière commune. La section extrême d'une classe se
compose de radoteurs fanatiques ; la section extrême de l'autre classe se
compose de charlatans vulgaires et étourdis. » (History,
etc., chap. I, p. 97. « From that day dates, etc. ») En se regardant dans ce miroir si clair et si pur, plus d'un homme de nos
partis politiques, s'il n'est pas trop épris de lui-même, devra reconnaître ses
traits.
Il en est qui pensent que l'on
peut guérir la surexcitation des partis, par des brochures et des discours. Ils
ont raison, s'ils produisent une formule acceptable de transaction ; ils ont
tort, en voulant faire disparaître les effets et non la source de l'agitation.
La fièvre des partis, comme celle du corps humain, est un résultat et non une
cause. Si tel ou tel organe cesse d'être malade ou troublé, la fièvre
disparaît. Il est vrai qu'il y a des griefs exagérés ; et qu'il en est de
certains hommes de parti, comme de certains plaideurs, qui aux motifs sérieux
du différend ajoutent des reproches dictés seulement (page 175) par l'ardeur de la lutte. La violence de la riposte est
alors en raison de la violence de l'attaque. Mais, ce sont là des inconvénients
qui s'évanouissent devant les persistantes controverses de la presse et les
vives discussions de la tribune. Et pour s'en consoler, il faut songer que,
après tout, les gouvernements représentatifs constituent un état de luttes
permanentes ; que le vita certamen est
vrai aussi pour la vie politique, et qu'enfin les peuples constitutionnels
seraient trop heureux, s'ils jouissaient de tous les fruits de la liberté, sans
avoir la peine de les gagner et de les recueillir.
Que si nos raisonnements n'ont
pas assez de force pour faire admettre que les partis sont inévitables et
parfois utiles dans le Gouvernement représentatif, qu'on en croie du moins
l'avis des publicistes et des historiens qui ont écrit sur cette matière. Nous
en avons déjà cité un ; citons en encore quelques autres :
M. de Bonald - nous commençons à
dessein par lui - s'exprime ainsi : « L'exemple de l'Angleterre et les
variations que nous voyons subir à la majorité et à la minorité de ses
Chambres, nous ont accoutumés à regarder comme un système un parti d'opposition
qui est réellement une nécessité.
« C'est d'abord une nécessité
naturelle ; car dans toute assemblée délibérante, la seule diversité des
esprits produit une diversité d'opinions, qui existe partout où il y a deux
hommes qui délibèrent ensemble, même deux hommes de bien ; et il n'y a pas de
doute que si, dans une Chambre législative, la minorité venait à se retirer, il
ne se formât bientôt un parti d'opposition dans le sein de la majorité même.
« C'est encore une nécessité
politique ; car cette opposition doit être plus marquée et plus opiniâtre, à
mesure que les intérêts sont plus grands et plus publics ; et elle doit
exister, dans les conseils législatifs des Gouvernements représentatifs (page 176), bien plus que dans tous les
autres conseils et tous les autres Gouvernements, parce que ces conseils y sont
plus nombreux, que tous les intérêts publies y sont plus solennellement
débattus…» (de Bonald,
Pensées, t. II, p 308. Opinion émise, à la Chambre des Députés, le 28 janvier
1847).
« Pour qu'une assemblée
populaire, dit M. Guizot, puisse être un moyen habituel de Gouvernement fort et
régulier, il faut qu'elle soit elle-même fortement organisée et gouvernée, ce
qui ne se peut qu'autant qu'elle contient de grands partis unis par des
principes communs et marchant avec suite et discipline, sous des chefs
reconnus, vers un but déterminé. Or de tels partis ne se forment et ne
subsistent que lorsque des intérêts puissants et des convictions fermes et
longues rallient et retiennent ensemble les hommes. Une certaine mesure de foi
aux idées et de fidélité aux personnes est la condition vitale des grands
partis politiques, comme les grands
partis politiques sont la condition du gouvernement libre. » (Guizot,
Discours sur 1'histoire de la Révolution d'Angleterre, pp 82-83).
« De grands partis organisés
et conduits par des chefs en qui s'incarnent les doctrines de chacun d'eux, des
luttes soutenues avec la persévérance que donnent les intérêts politiques et la
chaleur qui naît de l'opposition des croyances, telle est la condition
indispensable, sinon d'un gouvernement libre, du moins d'un gouvernement représentatif comme il a été compris jusqu'à présent.
» (de Carné, Lettres sur le Gouvernement
représentatif en France, t. II, p. 263).
« On sait que l'esprit de
discipline et de pratique a fait comprendre (en Angleterre), de tout temps, au
parti du Gouvernement, comme à celui de l'opposition, la nécessité d'avoir un
chef avoué, ou, comme ils disent, un conducteur, a leader, dans chacune des deux Chambres. On (page 177) subit souvent sa domination en frémissant, mais on la
subit toujours docilement, tant qu'elle dure ! (de Montalembert,
de l'Avenir, etc., § IX, pp. 134-135).
Cette nécessité, pour les
Gouvernements des pays constitutionnels, de s'appuyer sur les partis, démontrée
par les graves autorités que nous venons de citer, se trouve confirmée par les
faits de notre propre carrière représentative. Sortons un peu du cercle de
dix-sept années que nous nous sommes tracé ; comparons toutes les sessions
législatives, depuis notre existence parlementaire jusqu'aujourd'hui : quelles
sont les plus pâles et les plus stériles ? Deux se distinguent par une
effrayante atonie, par une apparence morbide ; celle de 1853- 1854, celle de
1854-
D'où venait cette débilité du
Parlement, cet état maladif ? De ce que, devant des partis existants et ayant
leur raison d'être, ces ministres disaient : « Nous ne sommes ni pour les catholiques,
ni pour les libéraux ; mais pour ceux qui nous soutiennent. » Cela rappelle un
peu la situation, dans laquelle Voltaire place le héros d'un de ses contes. Scarmentado voyage en Perse et arrive aux portes de la
capitale, déchirée par deux factions. « Etes-vous, lui demande-t-on, pour
le mouton blanc, ou pour le mouton noir ? Ça m'est égal, répond-il, pourvu
qu'il soit tendre... »
(page 178) Chose étrange ! pendant que les
catholiques politiques prononcent des discours et écrivent des brochures contre
les partis, ils forment, au sein du pays comme du Parlement, un parti fortement
organisé et religieusement servi. Il y a dans leurs rangs d'aussi bons chefs
que dans le parti libéral, et, de plus, des chefs mieux obéis. On se demande
parfois comment le parti libéral a pu exister si longtemps et triompher tant de
fois, quand il a affaire à des adversaires, ayant, dans chaque localité, des
auxiliaires, parlant comme prêtres et au nom de la foi à des populations
éminemment religieuses. Il faut avoir de fortes racines dans le sentiment
public, pour ne pas succomber aux efforts combinés de tout le clergé, sachant
habilement faire tourner les actes du culte au succès de sa cause. Mais, que
serait donc devenu, sans l'antagonisme et le contrepoids des partis, notre
chère Belgique, livrée à l'entraînement de certains individus et de certaines
majorités ? Nous pourrions citer mille faits, qui n'ont trouvé leur remède que
dans l'opposition qu'ils ont rencontrée. Signalons en quelques-uns. Une fois,
c'est la majorité catholique du Sénat, qui par une Adresse irrégulière et par
conséquent turbulente, force le Roi de renvoyer un ministère qui, suivant elle
« entrave la marche régulière de l'administration » et dans lequel se trouvent
des hommes qui ont coopéré à la fondation de notre nationalité ; qui, plus
tard, la défendront, dans des circonstances encore plus difficiles. Une autre
fois, ce sont des dénonciations lâches et sourdes qui, signalant à Rome M.
Leclercq, l'une des sommités de notre magistrature, comme un révolutionnaire,
l'empêchent d'aller remplir sa mission d'ambassadeur. Nous citerions volontiers
les fautes du parti opposé, si elles se présentaient à notre esprit : car quel
est le parti qui n'ait pas commis d'excès, dignes de blâme et de répression ?
Nous avons entendu dire à un catholique politique très sensé que, dans un
Gouvernement représentatif, les partis avaient leur mission providentielle,
celle de se sauver les uns les autres (page
179) de leurs propres violences, qui seraient la suite inévitable de tout
pouvoir sans contrepoids. Hallam, en appréciant
l'influence du party tory et du parti whig, en Angleterre, dit : « Il est
peut-être très heureux que ces deux partis, ou plutôt les sentiments qui
semblent les avoir animés, se soient mêlés, comme nous le voyons, dans la
disposition générale de la nation anglaise... Ils ont quelque analogie avec les
deux forces qui retiennent les planètes dans leur orbite ; si «'une ou l'autre
l'emportait, ces corps seraient dispersés dans le chaos, ou entraînés vers un
centre immobile. » (Histoire constitutionnelle, chap. XVI.)
Bien souvent, dans le cours de
cet ouvrage, nous aurons à nous occuper des partis qui existent dans notre
pays, pour constater leur antagonisme toujours croissant et aussi pour
apprécier la tactique, les progrès et les revers de chacun d'eux. Mais avant de
quitter ce sujet, sur lequel nous nous sommes arrêté
si longtemps, examinons comment ils sont constitués. En Belgique, comme en d'autres
pays, ces groupes, ces agrégations d'opinions divergentes ne sont pas un fait
de convention ; ils sont le résultat logique de la situation, de la tendance et
de l'espoir des esprits.
Le parti catholique, fortement
constitué, se compose de tous ceux qui, sincèrement attachés à la religion,
craignent pour elle l'influence des idées nouvelles ; de beaucoup aussi de ceux
qui, par leur naissance et leur fortune, sont, en dehors de cette
préoccupation, les ennemis-nés de tout changement, voyant partout des sources
de révolutions. Autour du clergé tout entier et de la majorité de la double
aristocratie de naissance et de fortune, - noyau de cette grande opinion, -
viennent se rallier un grand nombre de personnes de la bourgeoisie, mues les
unes par de profondes convictions ; d'autres par l'attrait de la bonne
compagnie, par ce qu'on nomme le comme il faut ; plusieurs par d'adroits
calculs. Car ce parti a (page 180)
la bonne politique d'être zélé pour ses adhérents, prompt à les exalter,
généreux à les récompenser, même au delà de leur mérite. A ne prendre en
considération que la seule ambition, c'est dans ses rangs qu'il faudrait
s'enrôler. En outre, il est bien organisé et bien discipliné. Il vit, comme il
repose, sur le principe d'autorité. Ses ressources financières, toujours
abondantes et toujours prêtes, lui assurent le concours d'une presse, dirigée
avec plus d'ensemble que la presse du parti contraire. Par toutes ces
conditions de réussite, on peut juger de sa force et l'on doit s'étonner qu'il
n'ait pas des succès plus généraux et plus constants.
Le parti libéral a moins
d'éléments artificiels de succès ; il se recrute par plus de spontanéité
individuelle ; il ne comprend pas des classes entières, entraînées vers lui par
le puissant esprit de caste, par les ardentes aspirations de la foi religieuse.
Le commerce, l'industrie, le barreau, les arts libéraux, - ces forces vives de
la bourgeoisie, - lui amènent par une pente naturelle ses plus nombreuses, ses
plus fidèles recrues. C'est assez dire que les villes, les grands centres sont
ses basés stratégiques et seraient, au besoin, ses ports de salut. Dans cette
réunion de tant d'individualités diverses, habituées à se frayer par leurs
propres forces un chemin dans la vie, l'esprit de discussion et de volonté personnelle
domine ; l'esprit de sacrifice est plus rare. Prompts à se diviser et à se
classer par nuances, les libéraux pourraient s'appeler les dissenters, les protestants
politiques. Ils forment moins un corps d'armée, qu'une troupe de guérillas,
ardente à l'assaut, prête à se diviser après la victoire, peu soumise à ses
chefs et hésitant à adopter leurs moyens d'attaque ou de résistance, tout en
étant d'accord avec eux sur le but à atteindre. Ces chefs eux-mêmes sont,
d'ailleurs, roides et jaloux entre eux, se pardonnant difficilement les uns aux
autres des dissentiments partiels. Tandis que l'autre parti a des éloges
toujours prêts pour les plus humbles dévouements, des sièges au Parlement (page 181) toujours réservés à ses
sommités mises hors de combat ; ce parti-ci est lent à reconnaître les services
rendus, à proclamer la valeur incontestable ; il y pense à deux fois, avant de
ramasser ses blessés. Sa presse est mal soutenue, elle vit généralement de ses
propres ressources ; aussi est-elle ardente et volontaire. Et malgré tous ces
défauts, malgré toutes ces causes de fragilité, le parti libéral a une force et
une énergie naturelles qui suppléent à tout ce qui lui manque en ressources
factices et stratégiques. Ce n'est qu'ainsi que s'expliquent et la durée de son
existence et l'éclat de ses victoires, en présence d'adversaires mieux
organisés que lui. Il a donné deux grandes preuves de son droit et de sa raison
d'être ; c'est d'abord son attachement à l'ordre, en 1848 surtout, alors que
ses chefs étaient au pouvoir et en face des terribles événements du dehors ;
c'est ensuite, malgré quelques échecs, sa force de résistance à la pression de
la réaction intérieure et étrangère qui depuis ont pesé sur lui de tout leur
poids. Essayé à cette pierre de touche des faits, le parti libéral ne peut pas
passer pour un alliage fragile et de bas aloi ; quel que soit le prix qu'on y
attache, il apparaît comme un corps sui generis, pur et consistant.
Nous avons vu l'empressement et la
persistance que l'on avait mis à faire adopter l'institution d'un ordre pour le
mérite civil (Voir t. I, livre II, pp. 125-128). Nous
avons mentionné l'oubli ou le retard qu'on apportait à décerner les récompenses
à ceux qui avaient combattu pour notre indépendance. Cette fâcheuse lacune
allait être comblée ; mais la disposition n'eut pas les honneurs d'une loi
spéciale : ce fut par un simple article du budget que la reconnaissance
nationale devait se manifester. L'article unique du chap. XVII du budget de
l'intérieur portait : « Frais de confection de médailles ou croix de fer à
décerner aux citoyens qui, depuis le 25 août 1830 jusqu'au 4 février 1831, (page 182) ont été blessés ou qui ont
fait preuve d'une bravoure éclatante, dans les combats soutenus pour
l'indépendance nationale. » Il ne pouvait pas y avoir, il n'y eut pas de
discussion sur ce point. M. Dumortier proposa d'ajouter à cet article ces mots
: « La croix de Fer sera décernée, au nom du peuple, aux membres du
Gouvernement provisoire. » Après quelque hésitation sur le point de savoir si
ce n'était point là un empiétement sur la prérogative royale, la proposition
fut admise ; le Ministre de