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d’intention
« Du gouvernement représentatif en
Belgique (1831-1848) », par E. VANDENPEEREBOOM
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq,
1856, 2 tomes
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TOME 1
(page 74) Nous entrons, à présent, dans
le vif de notre sujet, en abordant l'examen des actes de nos diverses
législatures, depuis 1831 jusqu'à 1848. Mais, avant de descendre aux détails,
jetons un coup d'œil sur l'ensemble de notre régime représentatif. Considérée
d'un seul regard, cette période de plus de dix-sept années offre deux grands
aspects, celui des faits et des hommes parlementaires.
La
Chambre et le Sénat, inaugurés le 8 septembre 1831, n'ont subi aucune
dissolution simultanée.
Outre
les comités du gouvernement provisoire et les deux ministères du régent,
administrations peu stables, huit ministères ont occupé le pouvoir : le
ministère de Muelenaere- Raikem, de juillet 1831 en octobre 1832 ; le ministère
Lebeau-Rogier, d'octobre 1832 en août 1834 ; le ministère de Theux, d'août 1834
en avril 1840 ; le ministère Lebeau-Rogier, d'avril 1840 en avril 1841 ; le
ministère Nothomb, d'avril 1841 en juillet 1845 ; le ministère Van de
Weyer-Malou, d'août 1845 en mars 1846 ; le ministère de Theux-Malou, de mars
1846 en août 1847 ; le ministère Rogier-Frère, d'août 1847 en juin 1848 (ce
ministère a duré jusqu'en octobre 1852. Voir aux Pièces justificatives, n°V, le tableau général de tous les ministères, de 1830 à
1848), époque de la dissolution, époque aussi fixée, comme limite, à nos
présentes études. Il en résulte que, en négligeant la durée des interrègnes, les
catholiques ont tenu le pouvoir pendant huit ans et sept mois ; les libéraux,
pendant trois ans et sept mois ; les mixtes, pendant quatre ans et dix mois.
Or, si l'on tient compte de ce que, dans la réalité, étaient les ministères
mixtes, on devra reconnaître que les libéraux n'ont pas été les enfants gâtés,
dans le partage du pouvoir.
Plusieurs
de nos ministères furent composés d'hommes politiques, tous dignes du pouvoir,
soit par leur expérience des affaires de haute administration, soit par leur
aptitude à les comprendre et à les diriger. Il n'y eut pas un seul cabinet,
dans lequel, à côté de titulaires insuffisants peut-être, il n'y eût un ou
plusieurs chefs capables de participer au gouvernement de leur pays. Mais ce
qui distingue, par-dessus tout, ces (page
76) administrations, c'est un caractère général de probité et
d'incorruptibilité. Dans les négociations de nos nombreux emprunts, dans les
effrayantes dépenses de la guerre, au milieu de nos vastes entreprises de
travaux publics, nous n'avons eu, grâce à Dieu, à déplorer aucun de ces grands
scandales, qui ont affligé un pays voisin et qui n'ont pu que hâter la chute de
son gouvernement. L'honnêteté de nos hommes d'État a été si évidente, que la
calomnie ou le dénigrement même n'ont osé en atteindre qu'un petit nombre :
presque tous ont eu l'heureuse fortune d'être à l'abri non-seulement du
reproche, mais même du soupçon (Note de bas de page : On n'a jamais parlé
que d'un ministre s'étant servi du secret d'État, pour faire des spéculations
facilement heureuses : d'un autre ministre, ayant tiré de sa position certains
avantages. Ces rumeurs publiques n'étaient appuyées d'aucune preuve directe et
ne reposaient que sur de simples indices). Heureuse influence de la moralité
des gouvernés sur celle des gouvernants : preuve éclatante de la probité de
toutes les classes de notre société, d'où sont sortis nos hommes d'État !
L'honnêteté publique est un précieux héritage de nos aïeux : elle doit être un
legs sacré pour nos successeurs.
Notre
existence parlementaire a dû, comme l'existence ordinaire, passer par
différentes phases. Elle a eu son premier âge avec tous ses dangers, ses
infirmités et ses faiblesses. Enfant de miracle, pour ainsi dire, notre
nationalité fut exposée à de tels périls, qu'on est encore à se demander
comment elle n'y a pas succombé. Périls du dehors, - hostilités sourdes ou
avouées de quelques-unes des puissances réunies dans
Lorsqu'en
1839, nos différends avec
Au
surplus, le fait dominant et remarquable de cette période, c'est qu'aucun de
ces partis n'a commis d'acte ou émis de vœux sérieusement contraires à notre
Constitution ; c'est que tous ont professé un égal respect pour la légalité. En
effet, durant toute notre existence politique, les pouvoirs publics et la
nation tout entière semblent avoir compris, par intuition, les règles de la
monarchie constitutionnelle, essentielles à sa réussite, indispensables à sa
durée. M. Guizot les définit admirablement, quand il dit : « A aucun des
pouvoirs qu'elle met en présence elle n'accorde les plaisirs d'une domination
sans partage et sans péril. Elle leur impose à tous, même à celui qui prévaut,
le travail continu des alliances obligées, des ménagements mutuels, des
transactions fréquentes, des influences indirectes, et d'une lutte sans cesse
renouvelée avec des chances sans cesse renaissantes de succès et de revers.
C'est à ce prix que la monarchie constitutionnelle assure, en définitive, le
triomphe des intérêts et des sentiments du pays, obligé lui-même à la
modération dans ses désirs, à la vigilance et à la patience dans ses efforts. »
(Discours sur l'histoire, etc., p. 8.)
En
ne sortant jamais de ce cercle régulier, le peuple belge semble avoir mérité
l'éloge que le même écrivain fait du peuple (page 79) anglais : « Au milieu des plus ardentes luttes politiques,
et même des violences où il a tantôt suivi, tantôt poussé ses chefs, il s'est
toujours, dans les circonstances suprêmes et décisives, contenu ou replié dans
le ferme bon sens qui consiste à reconnaître les biens essentiels qu'on veut
conserver, et à s'y attacher invariablement, en supportant les inconvénients
qui les accompagnent, ou en renonçant aux désirs qui pourraient les
compromettre. Ce bon sens... est l'intelligence politique des peuples libres. »
(Discours sur l'histoire, p. 73).
Si
diverses qu'aient été les situations, les hommes n'ont pas manqué, ni au sein
du pouvoir ni au sein du Parlement, pour conjurer tous les dangers, pour
surmonter tous les obstacles. Des ministres ont tenu le portefeuille, qui
étaient dignes de présider à la direction des affaires d'un plus grand pays ;
des orateurs ont fait entendre, à la tribune, une parole qui méritait de
trouver un retentissement plus étendu. A peu d'exceptions près, pouvoir
législatif et pouvoir exécutif se sont montrés mûrs pour le régime
représentatif, capables de le conserver et de le faire grandir.
Tout
modeste que soit le théâtre sur lequel ces faits se sont passés et ces hommes
se sont produits, la pratique du système représentatif en Belgique a été
bienfaisante à l'intérieur et non sans honneur aux yeux de l'étranger. Dans
notre amour pour la liberté, dans nos aspirations à tous les progrès moraux et
matériels, nous n'avons été ni les fils indignes de nos pères, ni les
contemporains inférieurs aux peuples qui nous entourent. Puisque ceux qui nous
contemplent et nous envient peut-être nous rendent cette justice, pourquoi ne
pourrions-nous pas nous faire à nous-mêmes cet aveu, non comme une stérile
satisfaction à la vanité, mais comme un puissant appel à la persévérance ?
En
effet, si de l'étude de notre situation politique et parlementaire, (page 80) l'on passe à l'examen des
progrès moraux et matériels obtenus à l'aide de notre excellent régime
constitutionnel, que de motifs aussi pour le préférer à tout autre ! La liberté
contenue et réglée est, pour ainsi dire, l'arbre bienfaisant qui a porté tant
de fruits d'or : instruction publique et privée dans tous ses degrés ;
belles-lettres renaissantes et beaux-arts florissants ; monuments réparés avec
goût ; chemin de fer établi avant aucun autre sur le continent et étendant,
chaque jour, ses fécondes branches ; routes construites sur une vaste échelle ;
canaux creusés et cours de rivières améliorés ; industrie et commerce se
développant dans des proportions inespérées ; perfectionnements agricoles et
défrichements poursuivis avec succès ; revenu public suivant la progression du
bien-être général. Voilà, en quelques mots, nos titres de nationalité : voilà
pourquoi nous pouvons porter fièrement notre nom de Belges, en face même des
grands peuples qui nous entourent !
Mais,
à côté de ce légitime orgueil pour le bien que nous avons fait, pour les
progrès que nous avons réalisés, il faut placer l'aveu de nos fautes, afin de
les éviter à l'avenir, si c'est possible. Chacun de nos grands partis
politiques a commis, à des degrés différents, des erreurs, soit pendant sa
possession du pouvoir, soit pendant ses luttes pour y parvenir. Ces fautes
consistent ou dans l'action, c'est-à-dire dans le tort d'avoir fait des actes
qui ne devaient pas être faits ; ou dans l'abstention, c'est-à-dire dans la
négligence qu'on a mise et la crainte à laquelle on a cédé, en n'abordant pas
des mesures, dont l'intérêt du pays demandait la réalisation. Ces dernières,
ces fautes par abstention, sont de beaucoup les plus nombreuses. Dans le cours
de ces études, nous tâcherons d'établir le boni et le mali de chaque bilan.
Avant
d'entamer l'examen des actes législatifs, nous croyons nécessaire de mentionner
la composition des différents ministères, car les ministres font, indirectement
du moins, partie (page 81) du
pouvoir législatif, puisque l'article 64 de la Constitution prescrit que : «
Aucun acte du Roi ne peut avoir d'effet, s'il « n'est contresigné par un
ministre, qui, par cela seul, s'en rend responsable. » Nous désignerons
généralement, comme c'est l'usage, les ministères par la date de leur
nomination. Pour qu'on puisse saisir, dans leur ensemble, toutes les
combinaisons ministérielles depuis notre émancipation politique, nous
remonterons rapidement jusqu'à l'origine des pouvoirs en Belgique.
Au
début des révolutions, d'importantes mesures sont prises avec le concours de
fonctionnaires d'un rang modeste, soit que les grandes ambitions n'aient pas eu
le temps de se produire, soit qu'elles ne l'aient pas osé. Deux jours après sa
formation, le Gouvernement provisoire assuma tous les pouvoirs : l'urgence des
circonstances, le salut de la patrie le voulaient ainsi ; - Salus
populi suprema lex esto. Un comité central, sorte de pouvoir dirigeant, fut
formé dans son sein (MM. De Potter, Charles Rogier, Sylvain Van de Weyer, le
comte Félix de Mérode. M. Alex. Gendebien leur est adjoint le 10 octobre 1831.
Pasinomie, 3e série, t. I, pp. 5 et 23). Le Gouvernement provisoire conserva
ces pouvoirs sans limites jusqu'au 11 novembre 1830, jour où il les remit au
Congrès national. Le lendemain, cette assemblée manifesta le désir, la volonté
même que le pouvoir exécutif lui fût conservé, jusqu'à ce qu'on y eût autrement
pourvu.
M.
Coghen et, plus tard, M. Ch. de Brouckere furent les chefs du comité des
finances. Le 10 octobre
Le
décret du Congrès du 24 février 1831, nomme M. Érasme, baron de Surlet de Chokier Régent de la
Belgique. Le 25 du même mois, le Gouvernement provisoire dépose entre les mains
du Congrès le pouvoir exécutif (TH. JUSTE, Histoire du Congrès national, t. 1,
p. 292, Proclamation du Gouvernement provisoire).
Le
premier ministère du régent (26 février 1831) est composé de la manière
suivante : Guerre, Goblet ; Finances, Ch. de Brouckere ; Affaires étrangères,
Sylvain Van de Weyer ; Justice, A. Gendebien ; Intérieur, Tielemans.
L'élection
du régent ne s'était point faite sans contestation. Elle fut, pour ainsi dire,
à l'insu des candidats, l'indice de la formation des partis. Au premier tour de
scrutin, sur 170 votants, M. Surlet de Chokier obtint 51 voix ; M. de Gerlache, 51 voix ; M. de Stassart, 50 voix. Au second tour, M. de Surlet eut 63 voix ; M. de Gerlache, 62 ; M. de Stassart, 43. Au scrutin de ballottage, M. de Surlet fut nommé par 106 voix contre 61 restées fidèles à
M. de Gerlache. Comme un hommage rendu à ses services et à son mérite et,
peut-être plus encore, comme une compensation offerte à ses amis, (page 83) un arrêté du 27 février 1831,
contresigné par tous les ministres, nomma M. de Gerlache, président du conseil
des ministres, sans dérogation à l'article 103 de la Constitution. C'était donc
une position purement honorifique, à laquelle des mésintelligences le firent
bientôt renoncer. Le 7 mars suivant, le chef du cabinet se retira.
Quatre
ministres ayant donné leur démission et celle de M. de Brouckere ayant été
refusée, le second ministère du régent fut formé par les arrêtés des 23, 24 et
27 mars 1831. Il se composait de : MM. Ch. de Brouckere, aux Finances ; Etienne
de Sauvage, à l'Intérieur ; Barthélemy, à la Justice ; d'Hane
de Steenhuyse, à la Guerre ; Lebeau, aux Affaires
étrangères. Le
Le
premier ministère du roi date de l'arrêté du 24 juillet 1831 : il subit bientôt
de nombreux remaniements. On sait qu'à cette époque il n'y avait que cinq
départements ministériels. Voici comment ils furent occupés » : (Voir, aux
Pièces justificatives, n°V, une statistique générale
du mouvement ministériel, depuis 1830 jusqu'en 1852.)
Intérieur,
MM. de Sauvage, continué dans ses fonctions ; Ch. de Brouckere, 3 août 1831 ;
Th. Teichmann, ad interim, 16 août 1831 ; de Muelenaere, ad interim, 25
septembre 1831 ;Isidore Fallon, 12 novembre 1831 (il n'accepta (page 84) pas) ; chevalier de Theux, 21
novembre 1831 ;
Guerre
; M. le général de brigade, baron de Failly, continué
dans ses fonctions ; M. le colonel d'artillerie, Ch. de Brouckere, 16 août 1831
; comte Félix de Mérode, chargé intérimairement de la
signature, 15 mars 1832 ; M. le général de division, baron Ëvain,
20 mai 1832 ;
Finances,
M. Coghen ;
Affaires
étrangères, de Muelenaere ; il donne sa démission, 12 novembre 1831 et il est
chargé de l’interim ;
Justice,
M. Raikem.
Sont
nommés :
Membre
du conseil des ministres, M. Lebeau, 4 août 1831 (il donne sa démission le 22
du même mois) ;
Ministres
d'État, MM. Félix de Mérode, chevalier de Theux, de Muelenaere, 12 novembre
1831.
On
le voit, ce ministère n'eut ni beaucoup d'homogénéité, ni beaucoup de
stabilité. Cela s'explique, tout à la fois, par les difficultés des
circonstances et la disette de capacités éprouvées à la pratique des affaires :
peut-être plus encore par la fiévreuse mobilité de quelques hommes et les
prudents calculs de quelques autres.
Les
collèges électoraux furent convoqués, le 29 août 1831, à l'effet d'élire cent
deux représentants et cinquante et un sénateurs, nombres fixés par le décret du
3 mars 1831.
Plusieurs
des deux cents membres du Congrès n'avaient quitté la vie privée qu'à regret et
pour payer leur dette à la patrie en danger : ils s'empressèrent d'y rentrer,
dès qu'ils le purent, contents de reprendre le soin de leurs intérêts
personnels, effrayés peut-être de leur courte mais rude expérience des soucis
et de la responsabilité de la vie publique. Vingt et un constituants entrèrent
au Sénat, où les uns étaient appelés par leurs noms et leur fortune, les
autres, par leur participation déjà ancienne à
Les
Chambres se réunirent le 8 septembre 1831 (Voir, aux Pièces justificatives, n°III, la composition de cette législature et des
suivantes, jusqu'en 1848. Voir aussi, ibid., n°VIII,
la composition des bureaux.). Le roi fit l'ouverture de cette première session
législative (Voir le discours du Trône et les adresses, Moniteur des 9, 10 et
11 septembre 1831). Les adresses reflétaient, comme on devait s'y attendre, et
la joie du pays, à l'avènement du roi, et ses amers regrets des humiliants
désastres dont la patrie avait depuis naguère à gémir. Dès le début, une
discussion s'établit sur la portée de l'art. 37 si clair de la Constitution : «
A chaque session, chacune des Chambres nomme son président, ses vice-présidents
et forme son bureau. » MM. de Robaulx et Gendebien prétendaient qu'en présence
de cet article, il était loisible aux Chambres de renouveler leurs bureaux,
quand elles le voudraient, pendant une même session. La Chambre décida, à bon
droit, pensons-nous, par 44 voix contre 21, que le bureau serait nommé pour
toute la durée de la session (Moniteur de 1831, n°89. En Prusse, le bureau
définitif n'est nommé qu'après qu'un bureau provisoire a siégé quelque temps).
Un
des premiers projets, dont eurent à s'occuper les Chambres, fut celui qui
concernait la sanction et la promulgation des lois. (Loi du 19 septembre 1831,
adoptée, à la Chambre, par 65 voix contre 2 ; au Sénat, à l'unanimité. Moniteur
de 1831, n°95-98). L'art. 1er en détermine le mode. « La sanction est le
consentement donné à la loi par le roi, comme exerçant une partie du pouvoir
législatif ; la promulgation est l'ordre d'exécuter et de publier la loi, donné
par le roi, dans (page 86)
l'exercice du pouvoir exécutif ; elle diffère essentiellement de la
publication, qui n'est que le mode par lequel la loi est portée à la
connaissance des citoyens et, par conséquent, son insertion au Bulletin
officiel, laquelle est censée lui donner une entière publicité. » (Pasinomie,
3e série, t. II, p. 150). La publication est nécessaire pour rendre la loi
exécutoire, aux termes de l'art. 1er du Code civil. Il était inutile de parler
ici du contreseing du ministre, indispensable, d'après l'art. 64 de la
Constitution. Suivant l'art. 2, les lois seront insérées au Bulletin officiel,
aussitôt après leur promulgation (Malgré cette prescription, qui aurait dû être
applicable aux arrêtés royaux, il arrivait que des ministres retardaient
l'insertion de ces arrêtés. L'art. 4 de la loi du 28 février
La
rude leçon du passé avait fait penser aux dangers de l'avenir. Par diverses
lois du 22 septembre 1831, les Chambres accordèrent au gouvernement le rappel
sous les drapeaux des miliciens de la levée de 1826 et un crédit de 10,000,000
de florins pour les dépenses de la guerre : elles autorisèrent le roi, tout à
la fois, et à prendre des officiers étrangers au service de l'État et à
démissionner, sans traitement ni pension, certaines catégories d'officiers peu
recommandables.
Le
Gouvernement provisoire avait, par son décret du 22 octobre 1830, ouvert un
emprunt volontaire de 5,000,000 de florins. Le Congrès, par la loi du 8 avril
1831, avait autorisé le Gouvernement (page
87) à contracter un emprunt de 12,000,000 de florins. Un premier emprunt
forcé fut ouvert par la loi du 21 octobre 1831. Plus tard, le gouvernement fut
autorisé à établir un second emprunt forcé, jusqu'à concurrence de 48,000,000
de florins (loi du 16 décembre
1831) ; ensuite, à lever une armée de trente mille hommes (loi du 4
juillet 1832) ; enfin à prendre quelques mesures de circonstances (loi du 6
octobre 1831, réparation des polders. Loi du 7 octobre 1831, dépôts d’armes de
guerre). Ce qui aurait dû être fait plus tôt, pour nous épargner de grands
désastres, l'était, en ce moment ; de manière à prouver aux yeux de tous que
rien ne nous coûterait pour maintenir notre indépendance, si chèrement achetée,
si rudement éprouvée, au moment même où le roi était venu lui apporter son
loyal et ferme appui.
Un
projet de loi, concernant des mesures de sûreté publique à l'égard des
étrangers, fut présenté. Dirigé contre des tentatives coupables et récentes, il
contenait des dispositions d'une rigueur extrême. Mais, dans la discussion à la
Chambre des Représentants (Moniteur de 1831, n°121 à 124), il rencontra une
vive opposition et subit des modifications si profondes, qu'il fut retiré par
le ministère. Après des époques d'une liberté sans limites, il est difficile
d'obtenir d'assemblées, constituées nouvellement et placées sous l'impression
des aspirations du moment, des mesures préventives, même contre la licence et
les complots.
La
Chambre et le Sénat discutèrent presque simultanément leurs règlements
respectifs. Dans les assemblées délibérantes, le règlement d'ordre intérieur a
une grande importance : car, ce sont ses dispositions qui servent de frein à la
majorité, de sauvegarde à la minorité et, si l'on peut s'exprimer ainsi, de
boussole aux discussions. Le règlement de la Chambre des Représentants fut
adopté le 6 octobre 1831, celui du Sénat le (page 88) 19 du même mois (Le Sénat introduisit, depuis, quelques
changements dans son règlement. Voir Moniteur de 1840, n°360, 361, 362 et de
1841, n°80. La Chambre modifia son règlement, en séance du 21 décembre 1843.
Voir Manuel à l'usage des membres de
L'article
29 du règlement de la Chambre est ainsi conçu : « Tout membre qui, présent dans
la Chambre lorsque la question est mise aux voix, s'abstient de voter, sera
invité par le président, après l'appel nominal, à faire connaître « les motifs
qui l'engagent à ne pas prendre part au vote. » L'article 31 du Sénat prescrit
: « Tout membre présent dans la Chambre, lorsque la question est mise aux voix,
est tenu de voter, à moins qu'il n'en soit dispensé par l'assemblée « pour les
motifs qu'il expose.
«
Si, après que ces motifs n'auront pas été admis, il s'obstine à ne pas voter,
ou s'il sort, son suffrage sera ajouté à celui de la majorité des autres
membres présents.
«
Le vote doit être pur et simple ; il s'exprime par oui et non. »
Ainsi,
d'un côté, le devoir de voter et le droit de s'abstenir sont laissés à la
discrétion de chaque membre : de l'autre côté, le devoir de voter est prescrit
et le droit de s'abstenir est laissé à la décision de l'assemblée. Des deux
dispositions, la dernière est évidemment la plus sage. La différence de formule
vient, sans doute, de ce que le Sénat aura profité de la discussion très vive
qui eut lieu à la Chambre des Représentants sur le droit d'abstention.
L'article 29 n'y fut admis que par 33 voix contre 25.
Les
comptes rendus du Moniteur de cette époque sont fort brefs. Nous y trouvons ce
qui suit : « Ce dernier article (29) est le seul qui ait donné lieu à quelques
discussions. Vivement (page 89)
attaqué par MM. Destouvelles, d'Elhoungne et Dellehaye,
il a été défendu par MM. Leclercq, Lebeau, Devaux et Nothomb, comme utile pour
forcer les membres à voter, acte qu'ils considèrent comme un devoir dont on ne
peut se dispenser, en acceptant le mandat de représentant. Deux épreuves ont
été douteuses quand on a voulu voter sur l'article dont la rédaction appartient
à M. Lebeau. » (Moniteur de 1831, n°108).
Ces
dispositions réglementaires sont très-importantes, car elles tranchent la grave
question du quorum nécessaire pour qu'une loi soit votée. Examinons ce point,
au double point de vue de ce qui se fait ailleurs et de ce qui est prescrit
chez nous.
Aux
États-Unis, tout membre présent, au moment où une question est posée, doit
émettre son vote, à moins que l'assemblée, pour des raisons spéciales, ne l'en
dispense. » (Rules, art. 42.) « Une majorité de
chaque Chambre suffira pour traiter les affaires ; mais un nombre moindre que
la majorité peut s'ajourner de jour en jour, et être autorisé à forcer les
membres absents à se rendre aux séances, par telles pénalités que chaque
Chambre pourra établir. » (Constitution, art. 1er, section V, § 1er).
En
Angleterre, le quorum de la Chambre des lords est fixé à trois pairs. On s'y
abstient si peu, qu'on y vote même par procuration (proxy), en cas d'absence.
Le duc de Wellington, inspirant une grande confiance, était souvent chargé de
nombreuses procurations. Le quorum de
En
France, l'article 16 de la Charte prescrivait : « Toute loi doit être discutée
et votée librement par la majorité de chacune des deux Chambres.»
Nous
avons parcouru les nombreux règlements des assemblées législatives de France ;
partout nous avons rencontré ou le vote public, ou le vote secret ; mais pas un
mot, pas une allusion à ce droit de s'abstenir, si légèrement admis et si
largement pratiqué chez nous. (VALETTE et BENAT SAINT-MARSY, ouvrage cité,
passim).
La
loi fondamentale des Pays-Bas (1815) portait : « Art. 103. Les membres des
États-Généraux votent par appel nominal et à haute voix. » Le règlement d'ordre
de la seconde Chambre ne dit rien du mode de votation, ni du droit
d'abstention.
Dans
la discussion du règlement du Congrès national de 1830 (Pasinomie, 3e série, t.
I, p. 80), il n'a pas été question d'abstention et, en fait, on s'abstenait
fort rarement, au sein de cette assemblée. Dans la (page 91) séance du 17 décembre
L'article
38 de notre Constitution porte : « Toute résolution est prise à la majorité
absolue des suffrages : ... aucune des deux Chambres ne peut prendre de
résolution « qu'autant que la majorité de ses membres se trouve réunie.»
L'article 39 dit : « Les votes sont émis à haute voix ». Une abstention est-ce
un vote, est-ce un suffrage ? La Constitution veut la présence de la moitié des
membres plus un ; c'est de la présence réelle et vivante qu'il s'agit : ceux
qui s'abstiennent s'écartent de la résolution, ils font les morts. Autant
vaudrait s'en aller et laisser son chapeau sur son banc. La Constitution a
pensé que la majorité des législateurs est nécessaire pour former la loi ; les
règlements permettent que ce soient les minorités qui les fassent. En effet, à
55 membres, la Chambre est compétente ; le Sénat l'est à 28. Supposons, dans la
première de ces assemblées, 20 abstentions (cela s'est vu), 18 votent pour la
loi, 17 contre. Voilà des dispositions légales admises par le sixième seulement
d'une assemblée, où l'on a envoyé 108 membres pour faire les lois du pays.
Est-ce là se conformer à l'esprit des articles 38 et 39 ? Pour y être fidèle,
il faudrait, pensons-nous, si non abolir, du moins restreindre fortement le
droit d'abstention, dont on abuse chaque jour davantage.
A
ces considérations constitutionnelles contre l'abstention, viennent se joindre
des considérations morales. L'abstention n'est-elle point un acte (si on peut
appeler acte l'absence et la négation de l'action) d'égoïsme ? Celui qui
s'abstient ne dit-il pas implicitement à son collègue ? « Voisin, le fardeau
est un peu lourd pour mes épaules, charge-le sur les tiennes. » Lisez les
motifs d'abstention et vous verrez qu'un de ceux qu'on allègue est presque
toujours assez prépondérant pour qu'on dise plutôt oui que non et vice-versa,
et que, par conséquent, s'abstenir n'est pas seulement peu courageux, mais
aussi peu (page 92) logique. C'est
quelquefois presque un aveu d'inintelligence. Après une discussion qui avait
absorbé de nombreuses séances à la Chambre et au Sénat, un membre de cette
dernière assemblée donna pour motif de son abstention : « qu'il n'était « pas
suffisamment éclairé ! » (Moniteur de 1839, n°88 (acceptation du traité)). 2
L'abstention devient, chez quelques membres, un mal chronique. Des
représentants s'abstiennent dix et vingt fois durant une même session ! Quand
on voit une hésitation si constante, on est, malgré soi, porté à penser à la
malheureuse position, que Buridan a illustrée par sa célèbre comparaison.
Un
abus s'est introduit, qui rend la discussion générale plus longue et plus
confuse, c'est celui-ci : Le § 4 de l'article 18 dispose : « La parole sur est
exclusivement accordée aux orateurs qui auraient des amendements à proposer. »
II arrive que, pour gagner un tour de parole, un orateur propose un amendement
insignifiant qu'il développe dans la discussion générale. Or, c'est là un
procédé contraire à l'article 40 qui dit : « La discussion générale portera sur
le principe et sur l'ensemble de la disposition. » II est donc permis de
déposer des amendements, quand on le juge convenable : mais on ne devrait être
admis à les développer que lors de la discussion des articles, et ainsi il y
aurait chance d'avoir des développements moins étendus (Voir Annales
parlementaires, 1846-1847, p. 247, les observations faites à cet égard par M.
Liedts, alors président de la Chambre).
L'article
6 des deux règlements renferme des dispositions identiques, en ce qui concerne
l'élection des vice-présidents, qui sont nommés par bulletins de liste :
l'usage admet que celui qui obtient le plus grand nombre de voix est le premier
vice-président. Or, cette manière d'opérer ne détermine pas assez clairement la
volonté de l'assemblée ; elle peut donner lieu à des manœuvres de partis, que
l'on fait passer pour des (page 93)
préférences personnelles ; elle provoque parfois des démissions fâcheuses pour
l'assemblée, quoique inévitables pour les personnes blessées. C'est ce qui a
failli arriver à la Chambre et ce qui est arrivé au Sénat (Élection de M. Delfosse, au commencement de la session 1850-1851 ;
élection du comte de Renesse, du 8 novembre 1854). Les représentants ont changé
leur règlement, à cette occasion, en établissant deux scrutins.
Une
lacune dans le règlement, ou du moins un abus dans l'usage est le suivant ;
l'article 46 dispose : « Quoique la discussion soit ouverte sur une
proposition, celui qui l'a faite peut la retirer ; mais si un autre membre la
reprend, la discussion continue. » Or, il est arrivé qu'une proposition faite
par un membre d'un parti, était retirée, dans la prévision d'un échec ; un
membre du parti opposé, voulant la reprendre, sauf à voter contre, ainsi que
ses amis, on lui contesta ce droit : on prétendit, dans la Chambre et dans la
presse, que cette conduite n'était pas sérieuse (Voir Moniteur de 1835, n°
Une
disposition du règlement de la Chambre a été, principalement dans ces derniers
temps, abrogée par l'usage. C'est la suivante : Art. 12. « Sauf le cas
d'urgence, le commencement des séances est fixé à midi. » Or, non-seulement il
n'y a plus jamais urgence, mais même beaucoup trop de séances ne commencent
qu'à deux heures, pour se terminer à quatre heures et demie, ce qui ne donne
que deux heures de discussion utile. Ne devrait-on pas fixer, généralement,
l'ouverture de la séance à une heure ? Le travail des sections pourrait se
faire convenablement : les travaux des Chambres seraient plus accélérés et,
partant, les sessions plus courtes. A tout cela, il n'y aurait rien à perdre
pour personne (La session de 1855-1856 a présenté une aggravation de cette
infirmité. Beaucoup de séances furent fixées à trois heures, pour être closes à
quatre heures et demie…).
Les
art. 45 du règlement de la Chambre et 43 de celui du Sénat sont à peu près
semblables ; ils disposent :
«
Lorsque des amendements auront été adoptés, ou des articles d'une proposition
rejetés, le vote sur l'ensemble aura lieu dans une autre séance que celle où
les derniers articles de la proposition auront été votés.
«
Il s'écoulera au moins un jour entre ces deux séances.
«
Dans la seconde, seront soumis à une discussion, et à un vote définitif, les
amendements adoptés et les amendements rejetés.
«
Il en sera de même des nouveaux amendements qui seraient motivés sur cette
adoption ou ce rejet. Tous amendements étrangers à ces deux points sont
interdits. »
De la combinaison des art. 39, 41 et 43 du
règlement du Sénat, il résulte qu'un projet non amendé subit, au sein de (page 95) cette assemblée, deux lectures
; un projet amendé trois lectures. A
Il
était autrefois d'usage à la Chambre, et il l'est encore au Sénat, sans que les
règlements le prescrivent, que les rapports, même ceux qui sont destinés à être
imprimés et distribués, soient lus in extenso. C'est là une formalité inutile
pour l'assemblée et fatigante pour celui qui est la cause involontaire de cette
perte de temps. « Time is money» est un adage vrai
pour le riche sénateur, comme pour le plus pauvre représentant.
On
autorise parfois l'insertion au Moniteur de discours, après que la clôture est
prononcée : cela ne devrait pas être. Si
Enfin, il est deux abus introduits dans nos
Chambres par l'usage ; ce sont la longueur exagérée de la discussion de
l'adresse, la prolixité excessive de certains débats. En Angleterre, la réponse
au discours du Trône est présentée par un membre du parti ministériel (dans ce
pays, on ne rougit pas de ce nom) et soutenue par un de ses collègues de la
même opinion : un ou deux membres de l'opposition y répondent. Il est rare que
l'adresse n'y soit pas votée en une seule séance. En Belgique, cette discussion
dure, parfois, huit jours (en 1832). Ces longs débats se conçoivent à
l'avènement d'un nouveau ministère et dans des circonstances exceptionnelles,
mais ils ne devraient pas se généraliser. Au Parlement anglais, sur les
questions capitales, les chefs de file de chaque parti prennent seuls la parole
(Note de bas de page : Le grand plan financier, le système libéral des
céréales et la réforme douanière, présentés par sir Robert Peel, furent adoptés
eu quelques séances). Dans les Chambres belges, on a vu des discussions durer
quatre-vingt-douze jours (Les discussions de la loi communale ont absorbé, à la
Chambre, ce nombre de séances) et les mêmes orateurs y prendre une large part
(Note de bas de page : Dans la discussion de la loi d'organisation de
l'École militaire, M. de Puydt s'exprima ainsi, en séance du 4 décembre 1837 :
« M. Dumortier a parlé trente-cinq fois : il a parlé jusqu'à sept fois sur la
même question. » Nous croyons l'accusation exagérée ; nous n'avons compté
qu'une vingtaine de fois). Sur toute question, même la plus importante, il y a
cinq ou six grands arguments pour, cinq ou six fortes raisons contre.
Imaginez-vous donc dix à quinze membres de chaque opinion venant vous répéter
ces arguments sur tous les tons. Pensez qu'après la brillante improvisation du
membre le plus éloquent, arrive la (page
97) lecture monotone de tout un manuscrit du membre le plus obscur. Il y a
peu de supplices comparables à cette audition prolongée. Il est difficile
d'imaginer une formule, à insérer dans un règlement, contre une pareille
intempérance de langue, une telle incontinence de parole : la liberté de la
tribune s'y oppose. C'est à la discrétion des membres et, au besoin, à la
sagesse de l'assemblée qu'il faut en demander le remède. L'âge, d'ailleurs,
nous donnera cette sobriété de langage : nous sommes, en Belgique, de jeunes
parlementaires et la jeunesse, de sa nature, est babillarde.
En
Espagne, c'est encore pis que chez nous. C'est ce qui fit dire à Donoso Certés : « Les
Gouvernements représentatifs vivent de discussions modérément longues ; les
discussions interminables les tuent ! » M. Varnier,
parlant du même excès, en France, l'appela un prurit oratoire.
Aux
États-Unis, il fut fait d'inutiles efforts, pendant bien des années, pour
mettre un frein à la prolixité des orateurs. Ce ne fut que le 13 juin 1842,
qu'on parvint à introduire dans le règlement (art. 34), cette disposition : «
Aucun membre ne pourra parler plus d'une heure sur une question, soit dans la
Chambre, soit en comité. » Une heure peut paraître trop à ceux qui ignorent que,
chez ce peuple ardent et énergique, de fougueux orateurs n'étaient fatigués de
parler qu'après plusieurs séances. On a fait la part du feu.
Une
des causes de la longueur des discussions, en Belgique, est qu'on y tolère la
lecture de discours écrits. Ce que les nouveaux membres ne savent pas assez, ou
apprennent trop tard, c'est que parler d'abondance est vingt fois plus facile
que lire. Quand vous lisez, votre esprit n'est qu'à moitié occupé par ce
travail presque mécanique ; vous avez encore tout le temps de vous laisser
distraire par tout ce qui se passe autour de vous. Quand vous parlez
d'abondance, vous êtes, au contraire, tout entier à l'enfantement de votre
idée, à l'enchaînement de vos pensées. L'interruption, dans ce cas, vous (page 98) ranime, au lieu de vous
abattre. Ce qu'il faut, d'ailleurs, à un discours parlementaire, ce n'est pas
la phrase, c'est l'idée : ce n'est pas la déclamation, c'est la démonstration,
la preuve ; - Res, non verba. Sachez votre sujet,
soyez convaincu, et quelque imparfaite que soit votre parole, elle fera vingt
fois plus d'effet que la lecture d'un manuscrit, si accentuée et si colorée
qu'elle puisse être.
«
Voulez-vous, disait Benjamin Constant, en démontrant les abus des discours
écrits, voulez-vous que nos assemblées représentatives soient raisonnables ?
Imposez aux hommes qui veulent y briller la nécessité d'avoir du talent. »
- « La méthode des discours écrits est vicieuse en elle-même, disait
Mirabeau ; elle ne fera jamais des hommes de force dans une assemblée politique
; elle favorise l'inertie de la pensée ; et, comme l'habitude de se faire
porter, elle jette dans l'engourdissement et dans l'indolence. » En Angleterre
et aux États-Unis, il n'est pas permis de lire un discours écrit.
Le
chapitre VII (art. 82 et 83) du règlement de la Chambre contient des
dispositions relatives à la commission de comptabilité. « Elle vérifie et apure
tous les comptes. » Elle devrait donc tenir lieu de Cour des comptes, à l'égard
des dépenses de la Chambre, et, en fait, il n'en est rien. Le chiffre le plus
élevé du budget parlementaire est celui des indemnités mensuelles (Voir, Pièces
justificatives, n°VII, Quelques détails, un aperçu
des dépenses de la Chambre) dues aux représentants en vertu de l'art. 52 de la
Constitution. Or cette dépense, on le conçoit, peut difficilement être
contestée, par des collègues à des collègues. D'un autre côté, le
grand-contrôleur de toute la comptabilité publique, le collège de la Cour des
comptes, émanation de la Chambre, ne peut porter sur elle ce regard scrutateur
et sévère qu'il n'épargne pas aux ministres eux-mêmes : juge-t-on,
critique-t-on (page 99) sa mère ? Il
n'existe donc aucun contrôle sérieux sur ce point : il s'ensuit que la
conscience et la délicatesse de chaque membre sont les juges souverains, en
cette matière.
Du
reste, les articles du règlement, généralement bien conçus, sont fidèlement
observés dans leur ensemble. Outre ces règlements d'ordre intérieur des deux
Chambres, il existe un règlement provisoire pour la publication des comptes
rendus de la Chambre des Représentants, arrêté le 22 janvier 1847 (Manuel,
supplément, p. 6). Voici son origine. Il arrivait à des membres d'ajouter à
leurs discours, en revoyant l'épreuve, ces mots : « (on rit) » ou bien : «
(marque générale d'assentiment.) » Ils se prêtaient ainsi un succès d'esprit,
ou une autorité de langage, qui n'avaient pas existé en réalité. Ce narcissisme
un peu osé (qu'on nous pardonne le mot) fut signalé par M. Henri de Brouckere
(Annales parlementaires, 1846-1847, p. 517) : il donna naissance au règlement,
dont nous venons de parler. Son art. 5 porte : « Tout bruit, tout signe
d'approbation ou d'improbation sront uniformément
indiqués par le mot : Interruption. » La conséquence en fut que le compte rendu
n'offrit plus, parfois, la physionomie réelle du débat et que celui-ci perdit
un peu de sa couleur ; mais, en revanche, il en résulte que des orateurs
coquets ne peuvent plus appliquer à leurs discours un fard emprunté.
Un
point qui n'est pas prévu par ce règlement, et que MM. les questeurs pourraient
faire observer, est le suivant. Quand deux membres du même nom siègent
simultanément à
Une
lacune existe dans les règlements des deux assemblées, c'est celle de la marche
à suivre relativement aux rapports officieux que la Chambre et le Sénat
pourraient avoir entre eux. Ces sortes de conférences existent, en Angleterre,
de longue date : elles ont épargné ou aplani bien des conflits et des
difficultés. Elles sont admises aussi en Amérique et conduite d'après un
règlement commun, nommé Joint Rules. Ces dispositions
prévoient le cas d'un amendement adopté par une Chambre et rejeté par l'autre
Chambre : une conférence est proposée, et là on s'efforce de terminer le
différend. « C'est ordinairement à l'occasion d'amendements, dit Jefferson, que
des conférences sont demandées ; mais elles peuvent l'être dans tous les cas où
il y a différence d'opinion entre les deux Chambres. Cependant la demande doit
toujours en être faite par la Chambre qui a la pièce entre les mains. » La loi
espagnole du 19 juillet 1837 prescrit les conférences, en cas de modifications
ou de désapprobations partielles d'un (page
101) projet par l'une des deux Chambres. Là, les rapports étaient une
règle, en ce cas (VALETTE et BENAT SAINT-MARSY, Traité de la confection des
lois, p. 191). Peut-être, si on avait eu recours à ce moyen, nous n'aurions eu
ni le premier rejet de la loi des successions par le Sénat, ni la dissolution
de cette assemblée, qui a été la suite de ce refus.
Une
question réglementaire - et constitutionnelle à notre sens - est contestée ;
c'est la suivante : Un ministre, non représentant, peut-il présenter des
amendements ? Cette question a été souvent débattue, sans recevoir de solution
formelle (Voir Annales parlementaires, comptes-rendus
des séances des 4 décembre 1837, 27 mars 1847, 5 novembre et 24 décembre 1852).
En pratique, le ministre, ne faisant pas partie de la Chambre, priait un
collègue représentant de signer l'amendement, ou bien l'assemblée admettait
l'amendement, la question de régularité restant réservée. Or, comme il peut
arriver qu'un ministère entièrement extra-parlementaire existe, il convient
d'examiner ce point.
Quatre
articles constitutionnels, quatre articles réglementaires peuvent être invoqués
ici. La Constitution dit, art. 26 : « Le pouvoir législatif s'exerce
collectivement par le Roi, la Chambre des Représentants et le « Sénat ; » art.
27 : « L'initiative appartient à chacune « des trois branches du pouvoir
législatif ; » art. 42 : « Les Chambres ont le droit d'amender et de diviser
les articles et les amendements proposés ; » art. 88 : « Les « ministres n'ont
voix délibérative, dans l'une ou dans l'autre Chambre, que quand ils en sont
membres. Ils... doivent être entendus quand ils le demandent. » Le
règlement porte : art. 18 : « La parole sur est exclusivement réservée aux
orateurs qui auraient des amendements à proposer, lesquels amendements ils
devront déposer sur le bureau, en quittant la tribune ; » art. 34 : « Chaque
membre a le (page 102) droit de faire des propositions et de présenter des
amendements ; » art. 42 : « Les amendements sont rédigés par écrit et déposés
sur le bureau ; » art. 43 : « La Chambre ne délibère sur aucun amendement si,
après avoir été développé, il n'est appuyé au moins par cinq membres. » Nous ne
trouvons, dans ces articles, qu'une seule prescription qui puisse faire
supposer que les ministres, non représentants, n'ont pas le droit d'amendement
; c'est l'article 88 constitutionnel, « Les ministres n'ont voix délibérative,
etc. » Or, on sait que, dans le langage légal, ces mots s'appliquent au droit
de voter et non à celui de proposer ou de discuter (Voir, Loi communale, ce qui
était prescrit pour les bourgmestres, nommés hors du conseil : ils avaient voix
délibérative, c'est-à-dire qu'ils proposaient, sans pouvoir voter).
Nous
trouvons dans le raisonnement, plus d'un motif pour admettre ce droit. D'abord,
l'initiative appartient aux trois branches du pouvoir législatif : cette
initiative doit être entière et non mutilée, pour le Roi représenté par ses
ministres, comme pour les Chambres. Or, s'il était vrai que le Roi ne pût plus
présenter d'amendements, une fois la discussion engagée, il en résulterait que
son droit d'initiative serait plus circonscrit que celui du Parlement.
Supposons des mesures proposées en vue des circonstances ; le Gouvernement,
juge responsable des nécessités du moment, ne pourrait proposer des
amendements, commandés par les événements et d'une nécessité urgente. Cette
prescription ne serait pas seulement peu rationnelle, mais elle serait
inefficace ; car le ministre peut immédiatement retirer le projet en
discussion, et séance tenante, présenter un autre projet, renfermant son
amendement. Il atteindrait ainsi le même but, mais avec plus de lenteur et des
retards peut-être dangereux. Que l'on exige que cette proposition,
extra-parlementaire, si on le veut, mais, suivant nous, non
inconstitutionnelle, doive être appuyée, (page 103) imprimée, et au besoin,
renvoyée aux sections, ou à la section centrale, pour examen, nous le voulons
bien ; mais que l'on conteste à un ministre non représentant le droit de
présenter un amendement, cela ne nous paraît ni nécessaire, ni utile pour une
assemblée qui a le droit de rejeter cette proposition.
On
peut faire cette objection : La Constitution, le règlement parlent des
amendements présentés par des membres de l'assemblée ; ils ne disent rien des
amendements venant de ministres non représentants ou non sénateurs. Or, en
raisonnant ainsi, on oublie que ce droit d'amendement a été expressément
concédé à nos Chambres, en 1831, parce que, ailleurs et antérieurement, il a
été expressément dénié à d'autres assemblées législatives. - L'article 95 de la
Constitution de l'an III ne donnait pas au Conseil des Anciens le droit
d'amendement ; la Constitution du 22 frimaire an VIII imposait au Tribunal
l'alternative d'admettre ou de repousser la loi, sans l'amender ; l'acte
additionnel du 23 avril 1815, portait que si les amendements proposés par la
Chambre des Représentants n'étaient pas admis par le Gouvernement, l'assemblée
était tenue de voter purement et simplement sur la loi ; la Loi fondamentale
des Pays-Bas de 1815 ne concédait le droit d'amendement à aucune des deux
Chambres. C'est à cause de ces précédents qu'on a formellement inscrit, dans la
Constitution, le droit qu'auraient nos Chambres d'amender les lois. Mais de ce
qu'on ne dit rien du même droit qu'aurait le Roi, par ses ministres quels
qu'ils soient, il ne se peut inférer que ce droit n'existe pas pour lui. Nous
croyons qu'un tel déni ne serait ni conforme au plein exercice de son droit
d'initiative, ni efficace, puisqu'il pourrait être éludé par le retrait du
projet et la présentation d'un projet amendé ; ni utile aux assemblées,
puisqu'elles ont toujours le pouvoir de rejeter les amendements proposés. Qu'un
pouvoir soit jaloux de ses droits, rien de mieux ; mais il ne doit pas les
exagérer, en restreignant les droits d'un pouvoir, dont le concours est
nécessaire (page 104) pour que des
projets, de quelque part qu'ils viennent, soient transformés en lois.
Ce
qui précède amène une autre remarque. Il arrive souvent qu'un ministre vient
dire : « D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer tel projet de
loi. » S'exprimer ainsi, c'est employer une formule inconstitutionnelle. Les
projets de lois sont signés par le Roi, en vertu de son droit d'initiative,
comme étant l'une des branches du pouvoir législatif ; mais ils sont
contresignés par le ministre et présentés par lui, comme seul responsable.
Chateaubriand blâmait, d'une manière absolue, la présentation des projets de
loi par ordonnance royale ; il disait : « Les ministres apportent aux Chambres
leur projet de loi dans une ordonnance royale. « Cette ordonnance commence par
la formule : « Louis, par la grâce de Dieu, etc. » Ainsi, les
ministres sont forcés de faire parler le Roi à la première personne ; ils lui
font dire qu'il a médité dans sa sagesse leur projet de loi, qu'il l'envoie aux
Chambres dans sa puissance ; puis surviennent des amendements qui sont admis
par la couronne, et la sagesse et la puissance du Roi reçoivent un démenti
formel. Il faut une a seconde ordonnance pour déclarer encore, par la grâce de
Dieu, la sagesse et la puissance du Roi, que le Roi (c'est-à-dire le ministère)
s'est trompé. » (Monarchie selon la Charte, chap. VI).
Benjamin
Constant disait relativement à la même pratique : « Placer le nom du Roi dans
la discussion d'un projet de loi, c'est faire sortir tout à fait le pouvoir
royal de sa sphère, c'est l'appeler dans la mêlée de toutes les opinions.
Tandis que la Constitution veut que les ministres soient responsables pour le
Roi, c'est vouloir que le Roi soit responsable pour les ministres » (Cours
de politique constitutionnelle). D'après notre droit constitutionnel, nous
concevons un projet de loi signé par le Roi ; nous ne comprenons pas un
ministre (page 105) venant dire, à
la tribune, que c'est « d'après les ordres du « Roi, » que ce projet est
déposé. Les Chambres ne sont saisies que de propositions ministérielles, et ce
qui le fait bien voir, c'est le rude accueil que ces projets rencontrent
parfois. « Dans le Parlement anglais, la proposition des lois appartient à
chaque membre ; lorsqu'un ministre propose un bill, ce « n'est pas au nom du
Gouvernement, mais en son nom et comme membre de la Chambre à laquelle il
appartient. » (Opinion de M. JOLLIVET, citée par VALETTE, Traité, etc., p. 66).
Nous
arrivons, à présent, à l'un des actes les plus douloureux de notre Révolution,
à l'une de ces cinq journées où, selon l'expression de M. Nothomb, « la
question d'être ou ne pas être a été débattue. » Dans la séance du 24 octobre
1831, M. de Muelenaere, Ministre des Affaires étrangères, exposa à la Chambre
et au Sénat comment la conférence de Londres en était venue à formuler les 24
articles du 15 octobre 1831, bases du traité de séparation entre la Belgique et
la Hollande (THONISSEN, la Belgique, t. 1, pp. 192-209. DUMORTIER, la Belgique
et les vingt-quatre articles, et aussi Observations complémentaires, passim.
NOTHOMB, Essai, etc., passim).
Cette
communication excita une vive émotion dans les deux assemblées ; mais, comme
ces articles stipulaient certaines cessions de territoires et que, aux termes
de l'art. 68 de la Constitution, « nulle cession de territoire ne peut avoir
lieu qu'en vertu d'une loi, » le Gouvernement présenta, le lendemain, un projet
de loi d'autorisation. L'exposé des motifs reconnaissait franchement l'étendue
des sacrifices, mais il établissait fermement aussi la nécessité de s'y
soumettre. La Chambre, ayant décidé que la discussion aurait lieu en comité
secret, s'occupa de cette importante question les 26, 27, 28, 29, 30 et 31
octobre. Quelques discours publiés par le Moniteur et par d'autres journaux
peuvent donner une idée de la vivacité des débats. Celui de M. Nothomb, aussi (page 106) remarquable par la forme que
par le fond, démontre clairement l'impossibilité du refus. Dans une allocution
d'une touchante et vraie éloquence, celle qui part d'un cœur vivement ému, M.
Jaminé prononça, pour ainsi dire, le suprême adieu de cette cruelle séparation
'. Dans la séance du 1er novembre, la Chambre autorisa le Gouvernement à
accepter le traité : 59 membres votèrent pour, 38 contre. Dans la séance du 3
novembre, le Sénat donna la même autorisation par 35 voix contre 8. (Moniteur
de 1831, n°135-137. THONISSEN, la Belgique, etc., t. 1, pp. 229-241. Voir
Moniteur de 1831, n°144, les explications de M. de Gerlache, admises par
(page 107) Pendant les débats, comme
après la décision, une partie de la presse se montra hostile et presque
menaçante. Quelque opposition se manifestait aussi parmi les populations. Mais
le mécontentement était loin d'être aussi général et de se produire par des scènes
de violence, comme à l'époque de la discussion des dix-huit articles. Le pays
commençait à comprendre que le sacrifice, quelque pénible qu'il fût, était
inévitable. C'est ce que démontre M. Nothomb, dans son célèbre Essai, quand il
résume la question en ces termes : « Les dix-huit articles avaient été pour la
diplomatie le contrecoup des « journées de Septembre, les vingt-quatre étaient
le résultat des journées d'août. Il n'y avait qu'une question à examiner ;
celle de la nécessité. Tout était secondaire à côté de cette haute
considération. Placée en face d'une loi européenne, la Belgique devait-elle
accepter ces conditions d'existence, ou les rejeter ? Les Belges devaient-ils
répondre : Nous voulons périr ensemble, ou vivre ensemble ? Ce mouvement eût été
beau, généreux, sublime ; mais existait-il une alternative ? Pouvait-on espérer
de vaincre l'Europe et de vivre ensemble ? Ou bien, la question n'était-elle
pas plutôt de savoir s'il fallait périr tous ou quelques-uns ? Ce n'est pas
Rome qui se jeta dans le gouffre pour sauver Curtius. Menacé d'un grand
malheur, l'individu peut dire : « Je consens à mourir plutôt que de me
soumettre, mais, pour les nations, la première loi, c'est d'être, c'est de se
conserver. Exiger de la Belgique qu'elle résistât à l'Europe, c'était lui
imposer le suicide social. A Dieu ne plaise que je veuille insulter à de justes
regrets ; j'ai eu ma part de ces grandes douleurs ; le souvenir en restera dans
ma (page
108) mémoire, ineffaçable ; mais, il faut qu'on le sache, la nécessité
absout. » (NOTHOIIB, Essai, chap. XIV, p. 203).
M.
de Carné porte, sur les vingt-quatre articles, le jugement suivant : « Que l'on
compare les bases de séparation du 20 et 27 janvier 1831 et le traité du 15
octobre 1831, et l'on verra tout ce que
Celui
qui, après plus de vingt-quatre ans, médite sur ces discussions, ne peut
s'abstenir de payer un juste hommage aux hommes politiques qui, bravant
l'impopularité, ont eu le courage de faire taire leurs affections, pour
n'écouter que les lois de la nécessité et le salut de la patrie. Mais on ne
saurait être trop indulgent pour ceux, auxquels leur ardent patriotisme et leur
attachement à leurs frères ont fait émettre un avis moins prudent. Pour ce
vote, comme pour tous ceux qu'on émet, dans les assemblées délibérantes, pendant
les fiévreuses péripéties des révolutions, il faut tenir compte, en les
appréciant, des entraînements et des passions de ces époques et ne pas les
juger seulement avec la quiétude des temps réguliers et la certitude des
résultats acquis.
Après
le droit d'accuser les Ministres,
Avant
de commencer sa mission, la commission voulut assurer ses pouvoirs et, à cette
fin, un de ses membres vint donner lecture d'un projet de loi, applicable
non-seulement à l'enquête actuelle, mais aussi à toutes les enquêtes à ordonner
par la Chambre. Les pouvoirs demandés étaient très-étendus. Délégation du
mandat à des membres de la commission et à des fonctionnaires de l'ordre
judiciaire, administratif ou militaire, à l'effet de procéder à des
investigations ; droit de compulsoire dans les dépôts publics et dans les
archives des départements ministériels ; tous les fonctionnaires doivent
fournir des renseignements ; le défaut d'obtempérer à une demande de
compulsoire, de renseignement ou de communication de pièces, sera passible d'une
amende de 100 florins, au maximum., par jour de retard ; droit de citation de
témoins, pouvoir d'imposer le serment, contrainte par corps, sans appel ni
recours en cassation ; les opérations de la commission ne pourront être
arrêtées ni par l'ajournement, ni par la clôture des Chambres ; telles étaient
les dispositions du projet. Ce Code de procédure et l'enquête elle-même (page 110) furent attaqués et défendus,
avec talent, pendant quatre orageuses séances (Moniteur belge n°168-171.
THONISSEN.
Voici
comment M. Nothomb apprécie le but et la portée de cette proposition. « On a
demandé quelles étaient les causes des désastres du mois d'août ; sans porter
une accusation individuelle, on a proposé de faire une enquête générale. Les
causes cependant n'étaient un secret pour aucun homme réfléchi, et ne seront
pas un secret pour l'histoire. J'en ai déjà signalé une, la surprise. Il faut chercher les autres dans l'état même
du pays : les incertitudes politiques, le relâchement de tous les liens
sociaux, la confiance excessive inspirée par nos succès de septembre, le mépris
de toute science stratégique, le défaut de traditions, l'absence de hautes
capacités militaires, les provocations d'une presse absurde ou malveillante,
voilà les circonstances qui ont assuré, en août, aux Hollandais unis et
disciplinés, une supériorité momentanée sur les Belges, surpris, désunis et
indisciplinés ; le courage individuel est resté sans reproche. A qui faut-il
faire un crime de cette situation intérieure qui se retrouve partout au sortir
d'une révolution ? A personne, ou à tout le monde '. » (NOTHOMB, Essai, chap.
XII, p.
(page 111) Deux causes principales ont
fait avorter le projet de la commission d'enquête : la première était
l'exagération des pouvoirs qu'elle demandait (« Voir, HALLAM, Histoire
constitutionnelle, l. IV, chap. XV, mode de l'exercice du droit d'enquête au
Parlement anglais) ; la seconde était le traité des vingt-quatre articles et
son adoption par les Chambres ; c'est-à-dire l'éclaircissement de l'horizon
politique. Peut-être aussi la majorité de
Signalons
ici, en passant et comme souvenir législatif, qu'on discuta longuement, tant à
Le
Gouvernement avait présenté un projet de loi (loi du 26 décembre 1831) portant
quelques modifications à la composition des conseils de milice. L'art. 3
portait : « Le Roi peut annuler les décisions, autres que celles relatives à
des défauts corporels, prises par les députations des états, en matière de
milice, lorsqu'elles sont contraires aux lois. » D'après la loi de 1817, il n'y
avait pas d'appel déterminé ; mais, en fait, on en appelait quelquefois au
Gouvernement. Or, ici, on attribuait légalement au Roi la décision en dernier
ressort. Dans la discussion, on établit clairement que cette décision devait
appartenir à la Cour de cassation, seule capable d'établir l'unité de jurisprudence,
seul pouvoir constitutionnel apte à connaître des pouvoirs en pareille matière.
En présence de cette opposition, le Gouvernement demanda l'ajournement et
retira l'article 3. La lumière fut lente à se faire : ce ne fut qu'en 1849 que
ces recours furent attribués à
Les
dispositions de
Une
question très-délicate de droit constitutionnel fut soulevée par M. Osy, dans
la séance du 29 décembre 1831. Ce membre demanda si M. de Theux, ayant accepté
les fonctions de Ministre de l'Intérieur, ad interim, « ne cessait pas de
siéger à
La
discussion n'eut pas de suite, mais, le lendemain, un arrêté contresigné par M.
de Muelenaere, Ministre de Affaires étrangères, nommait définitivement M. de
Theux Ministre de l'Intérieur, et le collège électoral de Hasselt était
convoqué. Il y avait alors des hommes d'État, qui ne songeaient pas à la
possibilité d'une loi des incompatibilités, qui n'est qu'une loi préventive
contre la corruptibilité de l'élu : comme il y a aujourd'hui des gens qui ne
pensent pas à la nécessité, prochaine peut-être, d'une loi répressive contre la
corruption de l'électeur. Une loi d'interprétation de
M.
Dumortier et quelques autres membres (MM. Dumortier, Delehaye, L. Dellafaille,
E. de Smet, baron Osy et Cols) ayant, en vertu de leur droit d'initiative,
déposé un projet de loi relatif à la liste civile,
(page 115) Si l'on compare le montant de
cette liste civile à celui des dotations annuelles d'autres chefs de monarchies
constitutionnelles, on doit reconnaître que, toute proportion gardée, celle du
Roi des Belges est modeste. Elle se ressent de notre position financière à
cette époque et plus encore de la date rapprochée de notre révolution, faite,
en partie, pour avoir un Gouvernement à bon marché. » Le Roi eut le bon goût,
ou, pour mieux dire, le patriotisme d'empêcher son Gouvernement de tenter aucun
effort pour faire augmenter le chiffre. Désintéressement d'autant plus louable,
qu'il savait que cette loi n'était pas transitoire, car l'art. 77 de
MM.
Séron et de Robaulx déposèrent aussi une proposition,
« pour qu'un enseignement gratuit fût établi. » Dans la discussion pour la
prise en considération, on vit que les antécédents politiques des auteurs de la
proposition et le rude langage qu'ils employèrent pour la développer firent
naître de fortes préventions chez un grand nombre de membres de l'assemblée.
Les débats se ressentirent de cette préoccupation : ils dégénérèrent bientôt en
accusations violentes et en récriminations acerbes. Ce fut une discussion à
côté plutôt que sur la question. La prise en considération fut rejetée par 53
voix contre 24., dans la séance du 26 janvier 1832 (Moniteur e 1832, n°27-32).
Nous
venons de dire les motifs apparents de ce résultat. Il faut y ajouter
l'engagement pris par le Gouvernement de hâter les travaux de la commission,
chargée d'élaborer un projet de loi sur l'instruction publique. D'ailleurs, ce
n'est pas par l'initiative d'un ou de plusieurs membres de
(page 116) Il est impossible, toutefois,
de ne pas louer hautement les intentions et les efforts des deux auteurs de la
proposition ; de ne pas blâmer sévèrement ceux qui, cette fois comme si souvent
après, ont retardé la solution de cette importante question, l’instruction du
peuple. On a perdu dix années, c'est-à-dire l'espace de temps, pendant lequel
une même génération peut s'instruire. Or, dans cet intervalle, que de communes
sans écoles, que d'écoles existantes mal dirigées ; en un mot, combien
d'enfants des deux sexes privés d'instruction ! Que la responsabilité de ce
retard aille et reste à ceux qui l'ont causé. Nous verrons, en son temps, quels
ils furent.
La
proposition d'une enquête sur les revers du mois d'août, venait à peine
d'échouer, qu'une nouvelle accusation fut dirigée contre le Ministère de
M. de Brouckere disait, en finissant : « J'ai
pour moi, comme citoyen, le témoignage de ma conscience ; comme militaire,
l'approbation de tous les généraux ; comme ministre, je veux savoir si j'ai
conservé ou perdu la confiance de
Aussi,
après cinq séances remplies de tristes débats, la proposition de la nomination
d'une commission fut repoussée, dans la séance du 2 mars, par 61 voix contre 17
: MM. Charles et Henri de Brouckere s'étaient abstenus (Moniteur de 1832 n°55,
62-65). THONISSEN, la Belgique, etc., t. II, pp. 125-126). Certes, c'est un
grand malheur pour un Ministre d'avoir à soutenir de telles attaques ; mais il
lui reste des consolations quand, à des époques aussi difficiles, l'habileté de
l'administrateur a seule été (page 118)
mise en question et que la probité du citoyen est sortie du combat, sauve de
tout reproche, à l'abri même de tout soupçon !
Quant
à nous, nous ne pouvons que gémir en pensant à ce que, depuis vingt-cinq ans,
nous ont coûté ces mots : « La guerre est imminente ! » Cette fausse prédiction
fut l'excuse de toutes les fautes d'administration ; elle fut le prétexte de
toutes les exagérations de dépense (Note de bas de page : Voir aux Pièces
justificatives, n°IX, tableau indiquant toutes nos
dépenses pour l'armée, depuis 1830 jusqu'en 1854. Ces chiffres, mis en regard
de nos ressources annuelles, en disent plus que ne pourraient le faire nos
raisonnements. Nous prions le lecteur d'y jeter un coup d'œil). Certes, tant
que durèrent nos différends sérieux avec
Avec
les économies raisonnables sur le budget de la guerre, que de canaux creusés,
que de routes pavées, que d'écoles établies, que de lavoirs et de bains publics
érigés, que de cités ouvrières construites, que d'hospices ruraux ouverts, que
de rentes de vieillesse inscrites ! Mais au lieu d'être la jeune nation la
mieux organisée du monde,
Jusqu'ici
le Gouvernement avait marché à l'aide de crédits provisoires : il dut bien
entrer dans la voie régulière, celle des crédits budgétaires. La discussion des
budgets, dans les temps ordinaires, est une très-grosse affaire pour un
ministère. Mais nous ne savons quel nom donner à la discussion de ces premiers
budgets, qui occupa plus de quarante séances (Moniteur de 1832, n°68-125). Ce
fut, tour à tour, un écho de la révolution, car ceux qui venaient de renverser
une dynastie n'y regardèrent pas à deux fois pour réduire en poussière des
propositions ministérielles : une confusion comme celle de la tour de Babel,
car, tout en parlant la même langue, on ne se comprenait souvent pas : un cours
d'enseignement mutuel, car beaucoup de membres novices critiquaient des mesures
et des chiffres, dont il fallait leur démontrer l'absolue nécessité. On
pourrait dire que ce fut une bataille, car plusieurs membres y furent blessés
et l'un d'eux y perdit, si ce n'est la vie, ou moins son portefeuille.
M.
Dumortier, ayant mis sa plume alerte et vive au service de son humeur un peu guerroyante contre le Gouvernement, avait rédigé un rapport
très-sévère. M. Coghen, Ministre des Finances, y répondit par une sorte de
Mémoire à consulter, vrai factum des bureaux (Moniteur de 1832, supplément du
n°69) : et ainsi les plaintes amères du fonctionnaire rédacteur, qui n'auraient
pas dû dépasser le seuil du cabinet ministériel, vinrent retentir à la tribune
nationale. De là, tempête parlementaire, quasi-blâme de la Chambre,
quasi-amende honorable du Ministre. Ce dernier laissa, pendant deux jours,
aller la discussion de son budget sans y assister : le bruit de sa démission
fut annoncé par le président de
Le
budget de la guerre subit de nombreuses, quoique peu importantes réductions. Le
marché Hambrouck fut encore l'objet du blâme le plus sévère. A la suite de ces
incidents, M. Ch. de Brouckere vint annoncer, à la séance du 15 mars 1832, que
sa démission était acceptée. Il défendit néanmoins son budget, au Sénat, en
qualité de commissaire royal.
Ce
jeune ministre quitta le pouvoir après avoir déployé au milieu des
circonstances les plus critiques, cette activité et cette énergie, que
vingt-cinq ans de travaux n'ont pas amorties encore. Peu d'hommes ont parcouru
une carrière aussi variée, aussi accidentée et cependant aussi couronnée de succès.
S'il eut le malheur de se trouver à la tête de grandes administrations, de
vastes entreprises, dans des moments où les événements, déroutant beaucoup de
prévisions, amenaient de fâcheux sinistres ; ce fut sa bonne fortune de sortir
de toutes ces difficultés, non sans honneur, grâce à ce mélange de grandes
qualités et de loyale comme d'adroite brusquerie qui forment le fond de ce
caractère exceptionnel, les traits distinctifs de cette personnalité
remarquable.
Au
budget de l'intérieur, M. de Theux fut attaqué avec une grande vivacité : il y
fut question du chemin de fer d'Anvers vers l'Allemagne, de manière à retarder
cette grande et utile entreprise plutôt qu'à l'avancer. La discussion de tous
ces budgets mit en évidence cette vérité, que ce n'est qu'une certaine pratique
du régime représentatif qui peut enseigner aux assemblées parlementaires à ne
pas dépasser leur droit d'opposition, et aux Ministres constitutionnels à ne
pas faillir à leur devoir de résistance.
Comme
si ce n'était point assez de ces difficultés intérieures, le Gouvernement avait
à lutter contre des dangers extérieurs sans cesse renaissants. Jamais le poids
du pouvoir ne fut aussi lourd, car c'était un vrai travail de Sisyphe que les
Ministres (page 121) avaient à
supporter. Suspendues par les vacances de Pâques, les interpellations
diplomatiques furent reprises à la rentrée, le 11 mai 1832 (Moniteur de 1832,
n°134 et suiv.). au sujet de l'arrestation brutale par
les Hollandais, sur le sol belge, de M. Thorn, gouverneur de la province de
Luxembourg, qui avait été jeté déloyalement dans les prisons de la forteresse
du Grand-Duché.
Le
traité des vingt-quatre articles avait été ratifié purement et simplement par la
France et l'Angleterre :
Ainsi,
notre nationalité, quoique paraissant avoir échappé à tous les dangers, était
exposée à de nouvelles menaces, comme le navire qui, rentré au port, ressent,
même dans cet abri, les secousses et les tempêtes du dehors.
Dans
un exposé clair et habile, M. de Muelenaere, Ministre des Affaires étrangères,
fit connaître l'état des négociations et les circonstances de l'affaire Thorn.
Par
son décret du 19 juillet 1831, le Congrès avait, aux termes de l'art. 98 de
C'était
pour le peuple un besoin révolutionnaire et pour les gouvernants une habile
tactique de détruire, les uns après les autres, les souvenirs de notre ancienne
union avec la Hollande. La nouvelle loi monétaire en fournit une excellente
occasion, puisqu'elle devait mettre dans toutes les mains le signe matériel de
notre indépendance et l'image chérie de notre Roi. Elle fut admise, après
qu'elle eut été renvoyée à la Chambre légèrement amendée par le Sénat qui avait
admis des pièces d'un quart de franc (Loi du 5 juin 1832. Moniteur de 1832,
n°144-147, 151-156. Voir Exposé de la situation, 1841-1850, t. IV, p. 189-191,
détails sur les quantités de pièces de chaque matière fabriquées de 1832 à
1851. Moniteur du 6 mars 1852, données sur le même objet.
La
monnaie a été définie par Michel Chevalier dans ces termes : « Un instrument
qui, dans les échanges, sert de mesure et par lui-même est un équivalent. » En
Belgique, comme en France, l'unité monétaire est le franc, c'est-à-dire cinq
grammes d'argent, au titre de neuf dixièmes de fin, avec une tolérance de trois
millièmes en dehors et autant en dedans. Les pièces de monnaies d'argent sont
d'un quart de franc, d'un demi-franc, d'un franc, de deux et de cinq francs :
les pièces d'or sont de vingt et de quarante francs : les pièces de cuivre pur,
sont de un, deux, cinq et dix centimes de franc (Les lois des 31 mars 1847 et
20 décembre 1850, et l'arrêté du 11 août 1854, déclarant la démonétisation des
pièces d'or, en vertu de cette dernière, ont apporté des modifications
nombreuses aux loi, titre, tolérance, coupures et métaux de la monnaie
nationale : nous les mentionnerons en leurs temps et lieu). Le projet du
Gouvernement donnait primitivement le nom de livre à l'unité monétaire.
(page 123) Les nombreux auteurs (Voir,
au Dictionnaire d'économie politique de CH. COCQUELIN, au mot monnaie, une
indication de nombreux ouvrages sur la matière) qui ont écrit sur la monnaie
sont à peu près tous d'accord qu'il ne convient pas d'employer simultanément
les deux métaux d'or et d'argent, parce que le rapport de la valeur de l'un à
la valeur de l'autre est variable. « Prendre, dit Locke, pour mesure de la
valeur commerciale des choses, des matières qui n'ont pas entre elles de
rapport fixe et invariable, c'est comme si l'on choisissait pour mesure de la
longueur un objet qui fût sujet à s'allonger ou à se rétrécir » (Further Considerations concerning raising the value of
money, t. I, p. 73). Or, comme la découverte des mines d'or de
Que si l'on voulait, tout en adoptant l'argent
comme unité monétaire, avoir néanmoins une monnaie d'or, comme plus portative
et plus commode pour certains usages, il faudrait frapper des pièces de ce
métal, ne portant aucune indication (page
124) de valeur, mais seulement celle du titre et du poids (« Nous croyons
que le mal vient de l'assimilation absolue (des deux métaux) en vertu de
laquelle on a inscrit sur la pièce d'or le nom de 20 francs... La Russie, qui avait commis la même erreur
que nous, en inscrivant sur les impériales d'or qu'elles valaient 5 et 10
roubles d'argent, s'en est dégagée par l'ukase de juillet 1839. On peut garder
les deux métaux, dans le mécanisme monétaire, sans adopter un rapport fixe de
valeur entre eux. » (MICHEL CHEVALIER, Annuaire de l'économie politique de
1852, p. 515.) En Hollande aussi, depuis la démonétisation de l'or, on emploie
des jetons de cette matière, portant la désignation du poids et du titre, mais
point celle de la valeur. Dans les transactions, on les reçoit librement aux
taux de la bourse). La valeur de cette monnaie auxiliaire serait fixée ou par
le libre arbitre du public, ou mieux encore par des règlements d'administration
publique, publiés périodiquement d'après le cours des lingots sur les
principaux marchés. Mais une monnaie d'une valeur si mobile ne serait guère
goûtée : elle manquerait son but principal, car il est reconnu que la monnaie
d'or, ayant une valeur fixée par la loi, circulait fort peu, en Belgique ; mais
qu'elle devenait la proie recherchée des thésauriseurs grands et petits et
qu'elle formait ce qu'on appelle une pomme pour la soif. Enfin, tout considéré,
le mieux est encore, dans les circonstances actuelles, d'avoir uniquement la
monnaie d'argent et, comme valeurs portatives, des billets de banque de petites
coupures toujours échangeables contre des espèces. Car, avec cette garantie, on
peut appliquer à ces billets la formule de Ricardo « La monnaie, à l'état le
plus parfait, est de papier. »
Sous
l'empire des art. 162 et 177 de la loi du 26 août 1822 et de l'arrêté royal du
22 novembre de la même année, il existait un double rayon de douane ; système
plus gênant pour l'industrie et le commerce qu'il n'était profitable au Trésor.
Le Gouvernement proposa et les Chambres admirent la substitution d'un rayon
unique à cette double enceinte réservée : (page
125) c'était un progrès. Mais on maintint des mesures très-sévères pour la
répression de la fraude maritime et par les autres frontières. « Les préposés
de la douane pourront, en outre, en cas de poursuite de la fraude, la saisir
même en deçà du rayon, pourvu qu'ils l'aient suivie sans interruption. » (loi
du 7 juin 1832, adoptée, à
En
l'absence d'un conseil d'État, les demandes en maintenue de concessions de
mines antérieures à la loi de 1810, restaient sans solution légale. Plusieurs
projets furent présentés, mais ils mirent en éveil tant d'intérêts contraires
que l'on finit, pour combler la lacune existante, par voter une loi ',
instituant un conseil des mines provisoire, nommé par le Roi et composé d'un membre
choisi dans chacune des deux Chambres, de trois jurisconsultes et de deux
ingénieurs. Loi imparfaite, comme beaucoup de celles qui sont formulées
d'urgence et qui ont un caractère transitoire. Qu'avaient à faire ici ces deux
membres des Chambres ? (Loi du 1er juillet 1832. Moniteur de 1832, n°130-168.
Voir Moniteur de 1831, n°126, un beau discours de M. Fallon, sur les
concessions des mines).
M.
le comte Félix de Mérode avait accepté, par intérim, le portefeuille de
Il
vint, en cette qualité, peut-être parce (page
126) que ses collègues titulaires n'osaient le faire eux-mêmes, présenter
le projet de loi relatif à l'institution d'un ordre royal militaire et civil.
Puisqu'il s'agissait de récompenser les services civils, aussi bien que ceux de
l'armée, le projet aurait dû être signé par le Ministre de l'Intérieur.
Quoi
qu'il en soit, ce ne fut pas un projet favorablement reçu par la Chambre, comme
le prouve la discussion (Voir THONISSEN,
La
section centrale admettait, par 5 voix contre 2, la constitutionnalité de la
création d'un ordre civil. Mais lors des débats publics, MM. Fleussu, Van
Innis, Liedts, Leclercq soutinrent fortement que notre pacte fondamental ne
permettait pas cette institution. Ces deux derniers membres déposèrent des
amendements à peu près identiques, excluant l'ordre civil. Celui de M. Leclercq
étant mis aux voix, 38 membres l'adoptèrent, 33 le rejetèrent : au second vote,
il fut écarté par 37 voix contre
Un
amendement de M. Dubus aîné, tendant à exclure de l'ordre civil « les membres
des Chambres, des conseils provinciaux et de l'ordre judiciaire, aussi
longtemps qu'ils seront en fonctions, fut adopté par division et par assis et
levés ; mais immédiatement après rejeté, dans son ensemble, par 58 voix contre
(page 128) L'ensemble de la loi ne
réunit que 37 voix favorables : 35 s'opposèrent à son adoption. Elle fut
admise, au Sénat, par 32 voix contre 2. Une seule voix de déplacée, à la
Chambre, et l'ordre du mérite civil y était écarté (loi du 11 juillet 1832.
Moniteur de 1832, n°183-194. Voir l'arrêté du 9 août 1832, qui détermine la
forme des insignes ; l'arrêté du 8 novembre 1832, qui charge le Ministre des
Affaires Étrangères de tout ce qui a rapport aux ordres).
D'après
le projet, cet ordre devait porter le nom d'ordre de l'Union. Ce nom rappelait
de si beaux souvenirs, il faisait naître de si chimériques espérances ! On
substitua à cette dénomination proposée celle d'Ordre de Léopold, beaucoup plus
convenable, surtout en ce qui concerne l'ordre militaire.
Chose
remarquable ! le vote de cette distinction destinée à récompenser les services
que l'on pourrait rendre à l'ordre de choses établi, précéda de plus d'un an
l'institution de la Croix de Fer, ayant pour but de reconnaître les services
rendus à la révolution.
Peu
de projets ont rencontré une résistance aussi opiniâtre ; mais, il faut le
dire, peu de lois sont aussi contraires si non à la lettre, du moins à l'esprit
de
Les
constituants des États-Unis ont été si soucieux de fermer la porte à toutes les
voies de séduction ou de corruption, de quelque part qu'elles vinssent, qu'ils
ont inscrit au dernier paragraphe de la section IX de leur Constitution, la
prohibition suivante : « Les États-Unis ne conféreront pas de titre de noblesse
; et aucune personne, ayant une fonction de confiance ou rétribuée, ne pourra,
sans l'autorisation du Congrès, accepter aucun présent, émolument, emploi, ou
titre, de quelque nature que ce puisse être, d'aucun roi, prince, ou État
étranger. » De là vient, qu'au milieu de leurs collègues, étincelants de
nombreux insignes, les diplomates américains sont décorés, comme on dit de
leurs poitrines nues. »
Une
des lois les plus importantes, dont les Chambres furent saisies, pendant cette
session, fut sans contredit le projet d'organisation de l'ordre judiciaire. M.
le Ministre de la Justice, satisfaisant au vœu du § 6 de l'art. 139 de la
Constitution, le présenta à
En
élaborant la loi, on devait respecter les grands principes suivants, décrétés
par la Constitution : Indépendance du pouvoir judiciaire (art. 30) ;
établissement d'une Cour de cassation et de trois Cours d'appel (art 95 et 104)
; publicité des audiences (art 96) ; rétablissement du jury en matières
criminelles et pour les délits politiques et de la presse (art. 98) ;
nomination directe des magistrats, autres que juges de paix, juges de tribunaux
et officiers du ministère public, enlevée au roi (art. 99 et 101) ;
inamovibilité des juges, étendue aux juges de paix (art. 100).
Le
Gouvernement avait d'abord présenté un projet très étendu que la section
centrale et lui-même jugèrent d'une réalisation difficile dans l'avenir,
impossible dans le présent. Il le modifia et ce fut sur ce second travail que
la section centrale présenta un contre-projet, auquel le Ministre se rallia en
partie.
L'art.
6 donna lieu à une longue discussion. On maintint l'article qui interdit aux
membres de
Le
principal motif de cette incompatibilité est puisé dans l'art. 90 de
A
l'art. 18, la section centrale, d'accord avec le Gouvernement, proposait, à
l'instar de ce qui existe en France, l'institution d'une Chambre ou section de
requêtes. Après trois jours de discussion, cette proposition fut rejetée, par
36 voix contre 36, et au second vote par 38 contre 37. Les magistrats et
jurisconsultes, membres de
L'interprétation
des lois par voie d'autorité et par le pouvoir législatif (Constitution belge,
art. 28), est une mesure extrême employée, à défaut d'autres moyens légaux,
pour fixer le sens véritable de la loi, s'il venait à être contesté. C'est
l'application du principe : « Ejus est interpretari leges cujus est condere. » La discussion fut longue et approfondie sur ce
point, et il en résulta que l'interprétation législative ne fut admise que
lorsque
La
première nomination des présidents et des conseillers à la Cour de cassation et
celle des présidents et conseillers des Cours d'appel, ainsi que des présidents
et juges des tribunaux de première instance fut attribuée au Roi, après une
forte discussion.
Dans
la séance du 29 juin, l'ensemble de la loi fut adopté (loi du 4 août 1832,
adoptée, à
A
notre sens, trois lacunes existent dans cette loi.
La
première, c'est la mise à la retraite pour motif de grand âge ou d'infirmités
graves. La seconde, c'est la suspension ou la démission, en cas d'inconduite
notoire et scandaleuse. Il nous semble que ces deux facultés, données au
Gouvernement par la loi et sous de fortes garanties en faveur des magistrats
qui seraient passibles de l'une ou de l'autre mesure, ne seraient point
contraires à la prescription constitutionnelle sur l'inamovibilité. La
troisième, c'est la défense aux magistrats de siéger, quand leurs parents ou
alliés rapprochés plaident comme avocats. Une loi disciplinaire, pour la
magistrature, pourrait combler ces trois vides. (Note de bas de page : Le
discours du Trône de la session 1840-
L'organisation
judiciaire réglée, il fallait fixer les traitements des magistrats. Ils le
furent par
Avant
la clôture, M. H. de Brouckere fut admis à développer (page 134) une proposition pour la suppression de la peine de mort
(Moniteur de 1832, n°188). Depuis, l'honorable membre a fait de nouvelles
tentatives qui, jusqu'à présent, n'ont pas abouti. Sur cette difficile
question, beaucoup de législateurs sont de l'avis d'un écrivain - Alphonse
Karr, pensons-nous, - qui disait : « Je suis pour la suppression de la peine de
mort, à condition que ce soient ceux qui projettent des assassinats qui la
réalisent ! »
Ouverte
le 8 septembre 1831, cette première session fut close le 18 juillet 1832. Elle
avait donc duré dix mois. Certes, elle ne fut pas stérile : des lois importantes,
des discussions politiques absorbèrent beaucoup de temps. (Note de bas de
page). Les autres lois adoptées, dans le cours de cette session de 1831-1832,
sont : loi du 31 octobre 1831 qui autorise le Roi à permettre que des troupes
étrangères traversent ou occupent le territoire ; loi du 15 décembre 1831 qui
fixe les droits d'entrée des fers ; loi du 29 février 1832 qui porte des
modifications au Code pénal, première disposition pour correctionnaliser
certains crimes ; loi du 8 mars 1832 qui prolonge et modifie la force
obligatoire des décrets sur la taxe des barrières ; lois du 19 juillet 1832
concernant l'admission des eaux-de-vie indigènes aux entrepôts et les
concessions de péages).
Elle
ne fut, cependant, pas exempte de certaines lenteurs, qui accompagnent toute
mise en train. Le Sénat sembla surtout avoir voulu donner raison à ses nombreux
adversaires. Souvent en nombre insuffisant pour délibérer, ou bien atteignant
avec peine le nombre strictement légal, ses délibérations se ressentaient de ce
peu de zèle. Mais heureusement ces débats n'établirent pas de fâcheux
précédents, et nous retrouverons souvent le Sénat, par la solidité de ses
travaux, à la hauteur de l'autre Chambre.