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Note
d’intention
« Du gouvernement représentatif en
Belgique (1831-1848) », par E. VANDENPEEREBOOM
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq,
1856, 2 tomes
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TOME 1
(page 1) Nous nous sommes proposé de
démontrer, par les faits, que le régime représentatif a été bienfaisant
et durable, en Belgique ; parce que, malgré son
origine révolutionnaire, il y a été établi et pratiqué d'après les principes de
liberté et (page 2) d'ordre, sans
lesquels tout gouvernement nous paraît menacé et fragile.
Les
traités de la Sainte-Alliance avaient créé le nouveau royaume des Pays-Bas, en
unissant les Provinces-Unies de Hollande à une partie des anciennes provinces belgiques. Bien assortie pour les intérêts matériels, mal
dirigée au point de vue moral, cette union ne fut jamais étroite ; car la
mauvaise politique de Guillaume Ier ne fit que rendre, chaque jour, plus
profond l'abîme qui séparait deux peuples, différents d'origine, de mœurs et de
religion. Une longue et énergique opposition légale n'avait pu faire redresser
les griefs, ni amener le gouvernement à adopter un régime plus impartial et
plus juste. Le mécontentement faisait de rapides progrès, dans les provinces
méridionales du royaume : il en résulta une crise, dont personne, dans le
principe, et comme c'est l'ordinaire, ne soupçonnait la gravité et l'issue.
Pendant la nuit du 25 au 26 août 1830, Bruxelles voit éclater, dans ses murs,
une révolution populaire : le mouvement se propage avec la rapidité et la
violence d'un incendie ; en peu de jours, il devient général. Le 23 septembre suivant,
une armée de dix mille hommes, commandée par le prince Frédéric des Pays-Bas,
attaque les révoltés, sans pouvoir les vaincre, dans le foyer même de
l'insurrection. Deux jours après, un Gouvernement provisoire se forme : il se
compose des membres qui avaient fait partie, pour ainsi dire sous le feu des
troupes royales, de la Commission administrative', et auxquels se joignent
d'autres patriotes. (Note de bas de page : La Commission administrative se
composait de MM. le baron Emmanuel d'Hooghvorst, Charles
Rogier, Joly, F. de Coppin et J. Vanderlinden.
Les membres du Gouvernement provisoire étaient : MM. le baron d'Hooghvorst, Charles Rogier, le comte Félix de Mérode,
Alexandre Gendebien, Sylvain van de Weyer, Jolly, J. Vanderlinden,
trésorier, F. de Coppin et J. Nicolaï, secrétaires.
Le 27 septembre, le Gouvernement provisoire s'adjoignit M. de Potter, qu'il
avait invité à rentrer de l'exil). (page 3)
Le
6 octobre, ce pouvoir de fait nomme une Commission de Constitution ; le 10, il
règle le mode d'élection et fixe le nombre des membres du Congrès (le nombre
des membres suppléants n'a été arrêté que le 23 octobre) ; le 12, il détermine
l'époque et le lieu de réunion des électeurs. Ceux-ci font leurs choix le 27. L'ouverture
du Congrès, d'abord fixée au 3 novembre, puis remise au 8, a lieu le 10 du même
mois.
Toutes
ces dates si rapprochées prouvent que les hommes, chargés d'une redoutable
dictature, avaient hâte de sortir de cette position incertaine, que Tacite définit
: « Magis sine domino quam
cum libertate. » Les membres du Congrès prouvèrent,
par la célérité de leurs travaux, qu'ils comprenaient la nécessité de rentrer
dans la légalité. Un caractère spécial de notre révolution et, tout à la fois,
une des causes de sa réussite, c'est qu'elle fut close promptement. La
révolution d'Allemagne avorta, en grande partie, par les hésitations de son
congrès de Francfort : la dernière révolution d'Espagne menace de périr par
l'indécision de ses cortès constituantes.
D'après
les termes de l'arrêté de convocation, le Congrès devait être « une véritable
représentation nationale, nommée d'après un système d'élection directe et
libérale. » Quel fut ce système pour la nomination de deux cents députés,
devant former l'assemblée constituante ?
Pour
l'électeur :
Être
né ou naturalisé belge, ou avoir six années de domicile en Belgique ; être âgé
de vingt-cinq ans accomplis ; payer la quotité de contributions fixée, pour
chaque localité, par les règlements des villes et des campagnes. (Règlement
pour l'administration des villes, du 19 janvier 1824. Règlement
d'administration pour le plat pays, du 23 juillet 1825) (Impôts directs payés
en Belgique, patente comprise : on comptera au mari les impôts de sa femme,
même non commune en biens ; au fils de veuve, ceux que sa mère lui a délégués ;
au père, ceux (page 4) des biens de
ses enfants mineurs, dont il aura la jouissance.)
Sont
également électeurs, sans qu'ils payent aucun cens et pourvu qu'ils soient
Belges, ou domiciliés en Belgique depuis six années et âgés de vingt-cinq ans,
les conseillers des cours, juges des tribunaux, juges de paix, avocats, avoués,
notaires, les ministres des différents cultes, les officiers supérieurs
jusqu'au grade de capitaine inclusivement, les docteurs en droit, en sciences,
en lettres et philosophie, en médecine, chirurgie et accouchements.
Pour
l'éligible :
Être
âgé de vingt-cinq ans accomplis, né Belge, ou ayant obtenu l'indigénat, être
domicilié en Belgique. Sont considérés comme indigènes tous les étrangers qui
ont établi leur domicile en Belgique avant la formation du ci-devant royaume
des Pays-Bas et qui ont continué de résider. Il n'est point requis que le
député ait son domicile dans la province, où il aura été élu.
Les
élections se font par district administratif. L'arrêté du 12 octobre fixe le
nombre des députés à nommer par chaque district : il statue que les électeurs
se réuniront au chef-lieu du district administratif.
On
le voit, les bases les plus larges sont posées, quant aux conditions exigées
pour devenir électeur ou pour être éligible : pour le premier, cens électoral
peu élevé et admission des capacités ; pour le second, absence de tout cens
d'éligibilité. Nous insistons sur ce point, afin de montrer quels furent les
débuts d'une révolution, née pour le redressement des griefs et devant aboutir
au régime le plus libéral.
Mais,
il convient aussi de faire remarquer, en passant, que le Gouvernement
provisoire, sans autre préoccupation que celle d'arriver à la sincère
expression de l'opinion publique, choisit le chef-lieu du district
administratif, comme le lieu le plus convenable pour la réunion des électeurs.
Toutes les lois électorales postérieures ont maintenu cette disposition. (page 5) Ce n'est que bien plus tard, que
cette assemblée unique des électeurs d'un même groupe est devenue, pour un
parti, un objet de critique, par ce seul motif, sans doute, qu'un changement
dans le mode de votation était à ses yeux une chance de victoire. L'occasion se
présentera naturellement plus loin de discuter cette question, à propos de la
loi dite de fractionnement des communes, et des diverses propositions de
réforme électorale.
Examinons,
à présent, comment le Congrès a constitué notre régime représentatif ;
c'est-à-dire, quelles sont les dispositions de notre pacte fondamental
relatives au Roi, aux deux chambres et aux ministres.
Le
28 octobre 1830, le Gouvernement provisoire avait fait publier le projet de constitution,
tel qu'il avait été arrêté, d'après la rédaction de MM. Nothomb et Devaux, par
la commission chargée de cette tâche importante (La Commission de Constitution
était composée de MM. de Gerlache, Charles de Brouckere, Paul Devaux, van
Meenen, Tielemans, Balliu,
Thorn, Zoude (de Namur), Lebeau, Nothomb, Dubus aîné et Blargnies). Cette
commission avait tranché, après en avoir repoussé l'ajournement, la question de
la forme du gouvernement. Sur neuf membres présents, huit adoptèrent la
monarchie constitutionnelle : M. Tielemans, seul
opposant, se prononça pour la république.
La
commission n'avait mis que trois semaines pour formuler son important travail.
Louable diligence ! moins grande, cependant, que celle
qu'on avait mise à faire le projet improvisé de la Constitution éphémère de 93.
Hérault de Séchelles, rapporteur à la Convention,
écrivait au conservateur de la Bibliothèque nationale : « Chargé de préparer,
pour lundi prochain, un plan de Constitution, je te prie de me procurer
sur-le-champ les lois de Minos, dont j'ai un besoin urgent !... » (Cité par DE
CARNÉ, dans ses Études, etc.)
Le
19 novembre 1830, peu de jours après son installation, (page 6) le Congrès s'occupa de cette question, dont dépendait
l'avenir de la Belgique. La discussion continua le 20 et le 22 ; à cette
dernière date, elle se termina par un vote solennel. Dans les sections, la
forme monarchique constitutionnelle, sous un chef héréditaire, avait prévalu ;
la république, avec un président électif, n'y trouva que dix partisans. Les
débats publics prouvèrent que l'assemblée, presque tout entière, partageait la
même manière de voir. Cent soixante-quatorze membres votèrent pour la
monarchie, avec une Constitution et une représentation nationale, sous un chef
transmettant ses pouvoirs par l'hérédité : treize membres votèrent pour la
république, sous un chef soumis à l'élection (Ces treize membres étaient MM. Séron, de Robaulx, Lardinois, David, de Thier,
l'abbé de Haerne, Jean Goethals, Camille Desmet, Fransman,
Delwarde, Goffint, de Labeville et Pirson). Parmi ces derniers, huit
représentaient des provinces wallonnes, cinq des provinces flamandes. Des
treize ecclésiastiques siégeant au Congrès, un seul se trouva dans cette faible
minorité. L'assemblée écarta, par la question préalable, la proposition faite
par MM. de Robaulx et Séron de soumettre ce vote à
l'appel au peuple ; inutile expédient, abdication d'un pouvoir qui était
souverain.
La
monarchie admise, il fallait régler ses attributions et les limites de leur
exercice. Le titre III de la Constitution, « des pouvoirs, » après avoir établi
(art. 25) que « tous les pouvoirs émanent de la nation, » statue (art. 26) : «
Le pouvoir législatif s'exerce collectivement par le roi, la chambre des
représentants et le sénat ; (art. 27) : « L'initiative apparient à chacune des
trois branches du pouvoir législatif ; » ( art. 28) :
« Au roi appartient le pouvoir exécutif, tel qu'il est réglé par la
Constitution. »
Les
auteurs qui ont écrit sur le droit public approuvent de telles dispositions.
Soria de Crispan dit : « Il (le roi) est le (page 7) chef suprême de l'Etat ; le
pouvoir exécutif lui appartient entièrement et il participe encore au pouvoir
législatif. Cette double attribution présente un avantage. Il faut craindre que
le pouvoir exécutif ne mette pas beaucoup de zèle dans l'exécution d'une loi
faite sans lui et peut-être malgré lui : en le faisant participer à la
formation de la loi, on lui fournit le moyen de se défendre en cas d'attaque ;
on éveille en lui un grand empressement pour la bonne application d'une règle
qui, bien qu'elle n'ait pas été faite par lui seul, n'a pu être faite sans son
concours ; il aura non-seulement du zèle, mais encore de la sympathie pour son
œuvre. D'ailleurs, l'union, dans la personne du prince, d'une partie du pouvoir
législatif avec le pouvoir exécutif tout entier, ne nuit pas à leur séparation
réelle ; le prince, comme chef du pouvoir exécutif, ne peut rien innover à la
règle à laquelle il a participé comme pouvoir législatif .
» (Philosophie du droit public, t. IX, p. 213).
Les
autres dispositions relatives au roi furent discutées, sur le rapport de M.
Raikem, dans les séances des 8, 9, 10 et 11 janvier, et du 7 février 1831 :
elles forment les art. 60 à 85 (section première du
chap. II, titre III), et l'art. 132 (titre VIII) de la Constitution.
Les
pouvoirs du roi sont tellement limités, que, à part l'hérédité et le droit de
faire grâce, ainsi que de conférer des titres de noblesse, cette partie de
notre pacte fondamental aurait pu s'appliquer, sans changement, au président
d'une République. C'est ce qui a fait dire, avec raison, que nous vivons sous
un régime démocratique, avec un chef héréditaire ; « plutôt sous une république
royale que sous une monarchie républicaine, » comme le disait M. Le Hon. Aussi
les discussions portèrent plus sur les détails que sur les principes : elles
furent très-calmes ; le peuple, comme le pouvoir constituant, comprenant fort
bien que de telles dispositions 1. (page 8) rendaient
impossible, quel que fût le chef élu, le retour des actes qui venaient de
légitimer une révolution.
Cependant,
l'art. 65 donna lieu à un court débat. Le projet portait : « Le chef de l'État
est inviolable. » Quelques membres crurent cette disposition incomplète, parce
qu'elle ne prévoyait pas les actes inconstitutionnels que le roi pourrait
poser. On parla de l'art. 13 de la Joyeuse entrée relatif
au cas de déchéance. M. l'abbé de Foere alla même jusqu'à faire la proposition
suivante : « Une cour d'équité, élue par les deux chambres, décidera des cas où
les citoyens sont déliés de leur serment de fidélité et d'obéissance au chef de
l'État. Une loi organique déterminera les cas dans lesquels il pourrait être
déchu. » Comme s'il suffisait de décrets pour mettre un frein aux coups d'État
et pour tracer une voie régulière aux révolutions, qui ne sont que la violation
de toutes les lois ! On écarta cette proposition inutile et même dangereuse,
peut-être en se rappelant cette maxime du cardinal de Retz : « Il (le peuple)
souleva le voile qui doit toujours couvrir tout ce que l'on peut croire du
droit des peuples et du droit des rois, qui ne s'accordent jamais mieux
ensemble que dans le silence. » (Mémoires). On ne voulut pas en revenir à ces
temps, où, en Angleterre sous Etienne, « le « clergé, en prêtant serment de
fidélité, y mettait pour condition qu'il serait délié, dès que le roi violerait
les libertés ecclésiastiques. » GUIZOT, Histoire des origines, t. II, VIème
leçon). On craignait d'aboutir aux dispositions des Conventa
de Pologne, « qui dispensaient les sujets d'obéissance, dans le cas où le roi
violerait la loi 3. » Il fut clairement prouvé que la responsabilité
ministérielle était suffisante contre de telles éventualités ; on se borna à
adopter cet amendement : « La personne du roi est inviolable. ». (J. MATTER,
Histoire des doctrines, t. III, p. 46.) (page 9)
M.
Guizot démontre les dangers « de subordonner, en principe, les bases de la
monarchie à la délibération du parlement, » quand il dit : « C'est la
prétention tantôt des rois, tantôt des peuples, les uns au nom du droit divin,
les autres au nom de la souveraineté populaire, de s'intimider mutuellement en
se montrant par avance les coups mortels qu'ils pourraient se porter.
Prétention insensée autant qu'insolente, qui énerve et ébranle tantôt le
gouvernement, tantôt les libertés du pays. Aux rois et aux peuples il convient
également, dans leurs rapports, de ne mettre en lumière que leurs droits
légaux, et d'ensevelir dans un profond silence les mystères et les menaces des
coups d'État et des révolutions. » (Discours sur l'histoire, etc., p. 94).
A
propos d'inviolabilité et de déchéance, Soria cite ce cas, où tous les
principes de droit constitutionnel furent observés : « Lorsque Georges III fut
interdit et que la régence fut confiée au prince de Galles, il arriva que le
bill, ayant passé aux deux chambres, dut être sanctionné par le roi. Le roi
sanctionna sa propre interdiction, c'est-à-dire, son incapacité de sanctionner.
» (Philosophie, etc., t. Ier, p. 75).
On
peut voir les difficultés de réglementer, par la loi, la dépossession d'un
souverain, par les longs et pénibles débats de 1688, après que la chambre des
communes eut déclaré que le trône était vacant et que Jacques II avait abdiqué
la couronne d'Angleterre. La chambre des lords commença par repousser le bill.
Ce ne fut que sous l'empire des circonstances, la pression de l'opinion
publique et des conférences avec les Communes, que la Chambre haute adhéra à ce
changement de dynastie qui permit à Guillaume, prince d'Orange, de monter sur le
trône. L'obstacle ne venait pas de ce que les lords méconnussent la nécessité
de cette déchéance, mais (page 10)
de la couleur de légalité dont ils auraient voulu revêtir un acte qui, au fond,
n'était qu'une révolution opérée par le Parlement. (Voir HALLAM, Histoire constitutionnelle,
t. IV, chap. XIV. - MACAULAY, History of England, London, 1849, t. I, chap. X, pp.
637, 645).
L'art.
68 fut complété par un amendement ainsi conçu : « Les traités de commerce et
ceux qui pourraient grever l'Etat ou lier individuellement des Belges, n'ont
d'effet qu'après avoir reçu l'assentiment des chambres. » .A ce propos, il fut
fait allusion aux concordats avec Rome ; M. A. Rodenbach, qui semble avoir dès
lors pris à tâche de pratiquer l'interruption. lança
cette boutade : « En 1831, l'Etat doit être athée et ne doit pas plus s’occuper
des francs-maçons que des capucins... »
En
vertu de l'art. 69, « le roi sanctionne et promulgue les lois. » Le droit
absolu de veto lui appartient donc : Mirabeau et Benjamin Constant ont soutenu
ce système. Le veto suspensif existait, en France, en 1791 ; il existe en
Amérique (Constitution of the United States, art. 1er, section VII, § 3). Sous
le gouvernement des Pays-Bas, on discutait le point de savoir si le roi pouvait
refuser de sanctionner une loi présentée par lui. Cette question n'est pas
douteuse chez nous.
L'art.
75, qui donne au roi le droit de conférer des titres de noblesse, » fut
maintenu, malgré une certaine opposition : mais, sur la proposition de M.
Fleussu, il fut restreint, par l'adjonction de ces mots : « Sans pouvoir jamais
y attacher aucun privilège. » Cette restriction était nécessaire pour faire
concorder ce droit avec ces prescriptions de l'article 6 : « II n'y a dans
l'État aucune distinction d'ordres. « Les Belges sont égaux devant la loi... »
L'émancipation
complète du pouvoir judiciaire, indépendant de tout autre pouvoir ;
l'inamovibilité des juges ; la nomination de certains magistrats faite par le
roi sur des listes doubles (page 11)
formées par des corps électifs, sont des dispositions constitutionnelles (art.
30, 92, 93, 94, 99, 100, 107), ayant pour but et pour effet de restreindre le
pouvoir royal. Quelques-unes furent provoquées par les abus de pouvoir du
gouvernement précédent : d'autres étaient empruntées à des législations
étrangères. En Angleterre, on sépara d'abord le pouvoir royal du pouvoir
judiciaire par la suppression de la chambre étoilée (Note de bas de page :
La chambre étoilée ne jugeait pas d'après la loi commune et les actes du
parlement, mais elle reconnaissait, comme lois, les proclamations particulières
émanées du conseil du roi. (BLACKSTONE, t. Ier, c. 7, pp. 387 et 388.) :
ensuite, on assura l'indépendance des magistrats en les soustrayant au bon
plaisir du souverain (durante bene placito )
(Statut XIII de Guillaume III, c. 2). En France, sous Louis XI, un édit du 22
octobre 1467, rendu sur les remontrances du parlement de Paris, porte : « Que
nul état ne vaquerait que par mort, résignation ou forfaiture. »
Grâce
à toutes ces dispositions prudentes, on pourrait même dire rigoureuses ; grâce
plus encore à la sagesse du roi, au patriotisme des chambres législatives et à
la moralité politique de la nation (Note de bas de page : « Qu'un
législateur fasse tous ses efforts pour édicter la meilleure Constitution
possible, l'édifice entier qu'il aura construit manquera de base et croulera
sous les coups de quelques audacieux, si, dans le sein de la nation, il n'y a
pas de moralité politique. SORIA, Philosophie, t. III, p. 131), aucun conflit ne s'est élevé, pendant
vingt-cinq ans de règne, entre le chef de l'Etat et le peuple belge.
La
forme monarchique héréditaire ainsi établie, il restait à déterminer la forme
du pouvoir législatif proprement dit. Autant la première question avait été
décidée avec ensemble et presque à l'unanimité, autant la seconde eut à subir
de tâtonnements et d'épreuves : un premier rapport, dû à l'esprit net et
judicieux de M. Devaux, en fournit la preuve. Dans les (page 12) sections, les opinions avaient été si divergentes,
non-seulement sur le principe morne de l'établissement d'un sénat, mais encore
sur la forme à donner à cette institution, que le rapporteur proposa et que
l'assemblée admit une séance préparatoire, en comité général. M. Devaux résuma,
de la manière suivante, les opinions des sections :
«
Contre le sénat :
« C'est un rouage inutile : plus les pouvoirs
sont divisés, plus la marche des affaires est entravée et difficile ; si le
sénat est abandonné au choix du chef de l'État, il sera souvent opposé aux
intérêts de la nation ; si, au contraire, il est électif, il se ressentira dans
sa composition de l'influence sous laquelle l'autre chambre est élue ; dès
lors, il formera une faible barrière contre la tendance trop démocratique de la
chambre élective. Si les chambres sont animées d'un esprit différent, il peut
s'établir une lutte funeste entre elles. Quand le pouvoir législatif n'est
composé que de deux branches, l'accord est plus facile entre elles. Les
premières chambres n'ont jamais rendu aucun service, elles ont même fait
beaucoup de mal. Du moment que le pouvoir législatif sera composé de trois
branches, deux d'entre elles se ligueront contre la troisième pour l'écraser.
Les intérêts de la nation seront mieux garantis par une seule chambre, dans
laquelle il y aura fusion de tous les éléments dont se compose la société. Ou
la première chambre est complètement aristocratique,
ou elle est entraînée à la remorque par l'autre chambre, et le mouvement n'en
devient que plus rapide. Si le nombre des membres du sénat est limité, il peut
paralyser et entraver les autres branches du pouvoir législatif ; si ce nombre
n'est pas limité, le sénat devient nul et compromet plus le chef de l'État que
quand il est en présence d'une seule chambre. Enfin, contre les dangers que
pourrait présenter le trop grand pouvoir d'une (page 13) seule chambre, le chef a toujours la triple ressource du
veto, de l'ajournement et de la dissolution.
«
Pour le sénat :
« Les
publicistes sont d'accord sur le point qu'un bon gouvernement constitutionnel
consiste dans une balance plus ou moins égale des éléments démocratiques et
aristocratiques, et pensent qu'en conséquence il faut admettre deux chambres.
L'existence de deux chambres paraît, d'ailleurs, indispensable pour la
stabilité du gouvernement. C'est le seul moyen d'éviter les changements trop
brusques, et les résolutions trop téméraires et trop précipitées ; les
États-Unis eux-mêmes ont senti la nécessité de créer un sénat à côté de l'autre
chambre. Il serait impossible au pouvoir de lutter contre l'impétuosité et les
passions d'un corps qui, reconnu tout-puissant et, pour ainsi dire, seul
puissant, imposerait au pouvoir et, par conséquent, à la nation, ses passions et
ses caprices comme loi. Par un usage répété du veto, le pouvoir exécutif
finirait par se dépopulariser et se déconsidérer. D'ailleurs, l'histoire de la
révolution française prouve que l'usage du veto est presque impossible à un
monarque qui se trouve face à face avec une seule assemblée législative, s'il
ne veut voir son pouvoir se briser dans cette lutte. - Si le sénat ne forme
point un corps d'une indépendance trop absolue, il n'offre aucun danger. Il
faut que le sénat soit un pouvoir modérateur, qui arrête ce qu'il peut y avoir
de trop impétueux et de trop passionné dans les mouvements de la chambre
élective ; mais qui cependant ne puisse jamais empêcher à la longue le triomphe
de l'esprit de la chambre élective, alors que cette chambre persiste et que les
électeurs appuient cette opinion. C'est là le but des membres qui ont demandé
la nomination directe des sénateurs par le chef de l'Etat, en nombre non
limité. Ils ont pensé que c'était l'unique moyen, mais (page 14) un moyen infaillible et sans inconvénient, de mettre en
harmonie la majorité des deux chambres en cas de lutte entre elles.,
» (HUYTTENS, Discussions, etc., t. IV. p. 75).
Dans
cette séance secrète, l'assemblée décréta que : 1° Le sénat sera nommé par le
chef de l'État ; 2° il sera nommé sur présentation ; 3° les corps électoraux
feront cette présentation ; 4° les mêmes électeurs, qui éliront les députés,
éliront les candidats ; 5° les sénateurs seront nommés à vie ; 6° le nombre
sera fixe ; 7° le nombre des sénateurs sera de moitié de celui des députés : le
cens de 1,000 florins est nécessaire pour être éligible ; ce cens est basé sur
la contribution foncière. Le lendemain, le système, sur lequel devait reposer
la première chambre, adopté partiellement, fut rejeté dans son ensemble par
soixante-quinze voix contre cinquante-huit. M. Devaux fut chargé de présenter
un nouveau rapport.
Il
résulte de ce document que trois grandes fractions divisaient le Congrès : «
L'une ne voulait aucune espèce de sénat ; l'autre voulait que le sénat fût
nommé par le chef de l'État, en nombre limité et sur la présentation faite par
des électeurs payant un cens plus élevé que les électeurs nommant l'autre
chambre ; la troisième voulait la nomination directe par le chef de l'État, en
nombre non limité'. » (HUYTTENS, Discussions, etc., t. IV. p. 79).Comme
transaction, la section centrale proposa : la nomination directe par le chef de
l'État, qui devra choisir les sénateurs, dans chaque province, en ayant égard,
autant que faire se peut, à leur population ; - la fixation du nombre des
sénateurs en minimum à quarante, en maximum à soixante, sauf à permettre au
chef de l'Etat de dépasser ce nombre, lorsqu'il y aura été autorisé par la
chambre élective (note de bas de page : cette disposition nous paraît
radicalement mauvaise : car elle eût mis le pouvoir royal dans une position de
solliciteur ; elle eût conféré à la chambre élective une prépondérance
dangereuse ; elle eût donné occasion à de fâcheux conflit) ; - enfin, (page 15) nomination à vie, à l'âge de
quarante ans ; cens de 1,000 florins, en prenant pour base l'impôt foncier
seulement ; absence de traitement et d'indemnité.
C'est
sur cette base transactionnelle que s'ouvrit la discussion publique, qui
aboutit là où les comités secrets avaient échoué. Tant il est vrai que c'est
dans la publicité que réside la force des assemblées délibérantes ! Mais les
débats furent d'une vivacité inouïe, les partis se fractionnèrent à l'extrême
et, contrairement à ce qu'on aurait pu croire, les membres de la noblesse
furent aussi divisés d'opinion que ceux de la bourgeoisie. Ainsi, tandis que M.
Lebeau, s'appuyant sur les faits de l'histoire constitutionnelle et sur
l'autorité des publicistes, démontrait la nécessité d'un pouvoir législatif
double, qui ne fût pas la copie des deux chambres anglaises, mais une sorte «
d'éclectisme politique, » M. Leclercq, mettant en œuvre toutes les ressources
de son grand talent, développait de puissants arguments en faveur d'une chambre
unique. M. le comte Félix de Mérode avait flagellé, avec son esprit caustique,
ce qu'on est convenu d'appeler « fournées » ; M. Henri de Brouckere
prétendait : « que la chose est bonne en elle-même et qu'elle produit de grands
avantages. » MM. le chevalier de Theux, comte de Baillet et comte d'Arschot parlèrent pour le sénat ; ce dernier disait : « Si
j'avais deux votes, dans l'intérêt de mon pays je les donnerais en faveur du
sénat. » MM. le baron d'Huart, comte de Celles, vicomte Charles Vilain XIIII
parlèrent contre le sénat ; le noble secrétaire disait : « Je regrette de
n'avoir point deux voix à ma disposition ; je donnerais l'une comme citoyen,
l'autre comme propriétaire, en faveur d'une chambre unique. » Les abbés Vanderlinden, van Crombrugghe,
Wallaert votèrent pour un corps législatif double ; les abbés Verbeke, (page 16)
de Foere, Andries, de Haerne votèrent pour un corps législatif unique ; ce
dernier justifiant, dans son discours, son vote pour la république, disait : «
Le principe sur lequel vous voudriez établir deux chambres est odieux... » M.
A. Gendebien finissait ainsi son discours : « Avec La Fayette j'ai voté contre
la république, avec lui je voterai pour le sénat. » M. de Robaulx terminait le
sien par ces mots : « Quand la nation sera mécontente, en vain la première
chambre lui opposera une barrière : elle sera franchie, la première chambre
renversée et le trône avec elle. »
Au
milieu de cette diversité d'opinions et en présence de ce morcellement des
partis, l'assemblée était flottante. Ce qui parut faire sur elle une impression
profonde, ce fut l'opinion attribuée à La Fayette ' : car plusieurs de ses
membres, étrangers à toute étude politique, cherchaient, indécis, un guide et
un appui pour leur patriotisme. (Note de bas de page : Quatre membres du
Congrès (MM. Forgeur, Barbanson, Fleussu et Liedts)
avaient soumis un projet de Constitution, qui ne prévoyait qu'une assemblée
législative unique, sous le nom de Congrès national. On prétendit que, consulté sur ce point, La Fayette avait répondu : « Si ces
dispositions (veto suspensif et chambre unique) étaient adoptées, ce serait un
grand malheur : Dites bien à vos amis qu'il faut deux chambres : la
royauté ne peut se maintenir avec une chambre unique... Sans les deux chambres,
je ne réponds plus de la monarchie belge, ni de la tranquillité de votre pays.
» (Courrier des Pays-Bas, du 16 décembre 1830, cité par HUYTTENS.)
Qu'eût-ce été si, sur la nécessité d'un pouvoir législatif
double, on eût pu produire devant elle l'opinion si ferme et si nette de M.
Guizot, cette vive lumière et cette grande autorité de notre époque ? Voici
comment cet homme d'Etat se prononce sur ce sujet :
«
Lorsqu'une grande inégalité en fait existe dans la société, entre diverses
classes de citoyens, il est non-seulement naturel, mais utile aux progrès de la
justice et de la liberté, que la classe supérieure soit recueillie et
concentrée (page 17) en un grand pouvoir public, au sein duquel les
supériorités individuelles viennent se placer dans un horizon plus élevé que
celui de l'intérêt personnel, apprennent à traiter avec des égaux, à rencontrer
des résistances, à donner l'exemple de la défense des libertés et des droits,
et en s'exposant, en quelque sorte, à la vue de toute la nation, subissent, par
ce fait seul, la nécessité de s'adapter, jusqu'à un certain point, à ses idées,
à ses sentiments, à ses intérêts.
«
Le principe du système représentatif est la destruction de toute souveraineté
de droit permanent, c'est-à-dire de tout pouvoir absolu sur la terre. On a, de
tout temps, agité la question de ce qu'on appelle aujourd'hui omnipotence. Si
l'on entend par là un pouvoir définitif en fait, aux termes des lois établies,
un tel pouvoir existe toujours dans la société, sous une multitude de noms et
de formes ; car partout où il y a une affaire à décider et à finir, il faut un
pouvoir qui la décide et la finisse… Est-ce à dire qu'il « doive exister
quelque part un pouvoir qui possède l'omnipotence de droit, c'est-à-dire qui
ait droit de tout faire ? Ce serait le pouvoir absolu ; et le but de toutes les
institutions, le dessein formel du système représentatif sont précisément de
faire en sorte qu'un tel pouvoir n'existe nulle part, que tout pouvoir soit
soumis à certaines épreuves, rencontre des obstacles, essuie des
contradictions, ne domine enfin qu'après avoir prouvé ou donné lieu de présumer
sa légitimité.
«....
La division du pouvoir législatif en deux chambres a précisément cet objet.
Elle est dirigée contre la facile acquisition de l'omnipotence de fait au
sommet de l'ordre social, et par conséquent contre la transformation de l'omnipotence
de fait en omnipotence de droit. Elle est donc conforme au principe fondamental
du système représentatif ; elle en découle nécessairement.
(page 18) « L'art de la politique, le secret
de la liberté est donc de donner des égaux à tout pouvoir auquel on ne peut
donner des supérieurs. C'est là le principe qui doit présider à l'organisation
du pouvoir central : car, à ce prix seulement, «on peut prévenir
l’établissement du despotisme au centre de l'État.
«
Maintenant, se peut-il que, si l'on attribue le pouvoir législatif à une seule
assemblée et le pouvoir exécutif à un homme, ou si l'on divise le pouvoir
législatif entre une seule assemblée et le pouvoir exécutif, chacun de ces
pouvoirs ait assez de force, de consistance, pour que l'égalité nécessaire ait
lieu, c'est-à-dire pour que l'un ou l'autre ne devienne pas pouvoir unique et
seul souverain ?
«
En fait, cela ne s'est jamais vu ; partout où le pouvoir central a été ainsi
constitué, il s'est établi une lutte qui, selon les temps, a eu pour résultat
l'annulation du pouvoir exécutif par l'assemblée législative, ou celle de
l'assemblée législative par le pouvoir exécutif...
« …
Une seconde question resterait à traiter : ce serait celle de savoir comment
doit s'opérer la division du pouvoir législatif en deux chambres ; quels
doivent être le mode de « formation, les attributions et les rapports des deux
assemblées. C'est ici, en grande partie du moins, une question de circonstance
et dont la solution est presque complétement subordonnée à l'état de la
société, à sa constitution intérieure, à la manière dont les richesses, les
influences, les lumières y sont réparties... La seule
idée générale peut-être qui puisse être établie d'avance à ce sujet, c'est que
les deux assemblées ne doivent pas provenir de la même source, se former par le
même mode, être, en un mot, presque entièrement semblables. Le but de leur
séparation serait alors manqué, car leur similitude détruirait (page 19) l’indépendance mutuelle, qui
est la condition de leur utilité. »
N'est-ce
pas prouver clairement la nécessité de la division du pouvoir législatif en
deux branches ? Il est vrai que le dernier paragraphe condamne, en partie, le
mode adopté en Belgique. Mais il faut observer que c'était là l'opinion du
célèbre écrivain en 1820. Il revit et publia ses leçons en 1851, alors que son
immense talent s'était fortifié et avait mûri au contact des affaires. Aussi
termine-t-il la préface de son Cours, révisé à cette dernière date, par ces
nobles paroles : « Si j'appliquais aujourd'hui, à ces études historiques de
1820, tous les enseignements que, depuis cette époque, la vie politique m'a
donnés, je modifierais peut-être quelques- unes des idées qui y sont exprimées
sur quelques-unes des conditions et des formes du gouvernement représentatif.
Ce gouvernement n'a pas de type unique et seul bon, d' après lequel il doive
être partout le même. La Providence, qui fait aux nations des origines et des
destinées diverses, ouvre aussi à la justice et à la liberté plus d'une voie
pour entrer dans les gouvernements ; et ce serait réduire follement leurs
chances de succès que de les condamner à se produire toujours sous les mêmes
traits et par les mêmes marques. Une seule chose importe : c'est que les
principes essentiels de l'ordre et de la liberté subsistent sous les formes
diverses que l'intervention du pays dans ses affaires peut revêtir, selon la
diversité des peuples et des temps. » (GUIZOT, Histoire des origines, etc.
Le premier extrait se trouve dans la XVIIIème leçon du tome II ; le second dans
la préface, in fine)
M.
Thiers juge ainsi la résolution prise par l'assemblée législative (1791) : «
Quant à l'établissement d'une seule chambre, son erreur a été plus réelle
peut-être, mais tout aussi inévitable. S'il était dangereux de ne laisser que
le souvenir du pouvoir à un roi qui l'avait eu tout entier, et (page
20) en présence d'un peuple qui voulait en envahir jusqu'au dernier reste,
il était bien plus faux, en principe, de ne pas reconnaître les inégalités et
les gradations sociales, lorsque les républiques les admettent, et que chez
toutes on trouve un sénat, ou héréditaire, ou électif . » (THIERS, Histoire de
la Révolution française, t. Ier, c. VII).
M.
de Carné dit à ce sujet : « La division du pouvoir législatif en deux chambres
est un axiome dans tous les États libres : s'il n'existait pas, il faudrait
l'inventer... Ce que décréta la Convention elle-même, comme un premier hommage
à l'expérience de tous les peuples, n'a pas cessé d'être une nécessité de
premier ordre, une question de vie ou de mort pour le système représentatif.
Ceci n'est nié par personne. Il n'est pas un membre de l'opposition, jusque
dans ses rangs les plus avancés, qui comprenne la monarchie constitutionnelle
avec une seule chambre. Au sein même du paru républicain, les hommes dont
l'opinion peut être de quelque poids ont toujours reconnu la convenance de la
division dans le pouvoir législatif, et la nécessité d'un sénat, dépositaire
spécial des traditions gouvernementales. Il n'est donc pas, dans le monde
politique, de doctrine plus universellement professée que celle-là. » DE CARNÉ,
Études sur l'histoire du gouvernement représentatif, t. II, p. 13).
En
Amérique, la nécessité d'un pouvoir législatif double n'est plus contestée. M.
de Tocqueville l'affirme dans les termes suivants : « Diviser la force
législative, ralentir ainsi le mouvement des assemblées politiques, et créer un
tribunal d'appel pour la révision des lois, tels sont les seuls avantages qui
résultent de la constitution actuelle des deux chambres aux Etats-Unis.
«
Le temps et l'expérience ont fait connaître aux (page 21) Américains que, réduite à ces avantages, la division des
pouvoirs législatifs est encore une nécessité de premier ordre. » (DE
TOCQUEVILLE, de la Démocratie en Amérique, t. Ier, p. 180).
Dans
la séance du 15 décembre 1830, la question de principe, c'est-à-dire celle des
deux chambres, fut adoptée par cent vingt-huit voix contre soixante-deux. Les
articles furent votés dans les séances des 16, 17 et 18. Ces dispositions, qui
forment les art. 53 à 59 de la Constitution,
s'écartent, en grande partie, de tous les systèmes proposés jusqu'alors.
A l' art. 1er, relatif au mode de formation du sénat, M.
Devaux, avec vigueur mais sans succès, soutint la proposition de la section
centrale, la nomination directe par le chef de l'État, contre une foule
d'amendements, que nous allons résumer. M. le baron Beyts
: choix par le chef de l'État ; réunion des deux chambres en cas de conflit. -
M. Blargnies : élection par les états provinciaux. - M. Jottrand
: élection par les électeurs qui élisent l'autre chambre. - M. Jacques,
nomination à vie, moitié par le roi, moitié par la chambre élective, sur une
liste triple présentée par les conseils provinciaux ; quand le chef de l'État
ou la chambre élective le déclarent, le sénat est doublé par l'adjonction d'un
pareil nombre de sénateurs extraordinaires, nommés directement et pour un an
par les conseils provinciaux. - MM. Félix de Mérode et Charles Rogier :
nomination par les électeurs ordinaires (c'est l'amendement Jottrand).
- M. le baron de Stassart : nomination par le chef de
l'État, sur une liste triple, à former, tous les cinq ans, par les électeurs
ordinaires. - M. Lebeau : les quarante premiers sénateurs seront nommés par le
Congrès ; incompatibilité pour les fonctionnaires salariés, à l'exception des
ministres, des ambassadeurs et des officiers généraux de terre ou de mer. - M.
Raikem : première nomination par les électeurs ordinaires. - M. van Meenen :
outre les sénateurs élus, certaines catégories de (page 22) fonctionnaires élevés, y compris les évêques, feront
partie de droit du sénat.
Dans
la séance du soir du 16 décembre 1830, l'art. 1er de la section centrale,
amendé par M. Lebeau, est rejeté par quatre-vingt-dix-sept voix contre
soixante-seize. L'amendement de M. Jottrand obtient
la priorité et il est adopté, après avoir été modifié de la manière suivante :
« Les membres du sénat sont élus, à
raison de la population de chaque province, par les électeurs qui élisent les
membres de l'autre chambre. » Cette disposition est admise par cent trente-six
voix contre quarante. (Note de bas de page : En Espagne, aux termes de
l'art 15 du titre III de la Constitution de 1837, les sénateurs étaient nommés
par le roi, sur une liste de trois candidats, proposés par les électeurs qui
nomment les députés aux Cortes. En France, sous la Restauration la pairie était
héréditaire, et sous le gouvernement de Juillet, les pairs étaient nommés par
le roi, à vie. Sous le gouvernement des Pays-Bas, les membres de la première
chambre étaient nommés par le roi et inamovibles. Aux Etats-Unis, c'est
l'assemblée législative de chaque État confédéré qui nomme les membres de la
chambre haute, c'est-à-dire que chacune envoie deux sénateurs (Constitution o fthe United States ; sect. III).
M.
de Carné apprécie ainsi la nomination d'une chambre haute, laissée au chef de
l'État : « N'était-il pas manifeste que cette assemblée, émanation directe du
pouvoir, sans la stabilité qu'elle empruntait au principe héréditaire, sans la
puissance qu'aurait pu lui conférer le principe électif, ne serait plus aux
yeux du pays qu'une sorte de conseil d'État, placé en dehors de la sphère
politique ? L'élection seule aurait permis de reconstituer fortement la pairie
; c'était par ce principe qu'il lui aurait été donné de contrebalancer,
utilement pour le pays et pour le trône, l'ascendant de l'autre chambre. »
(Études sur l'histoire, etc., t. II, pp. 180 et 183.)
On
avait ainsi donné satisfaction au pouvoir populaire, en n'accordant pas au roi
le choix des sénateurs : il fallait bien (page
23) donner au pouvoir royal un contrepoids contre un sénat électif, au
moyen du droit de dissolution. C'est ce que fit le Congrès, en adoptant, par
quatre-vingt-dix-neuf voix contre soixante-quatorze, l'amendement de M. de Leeuw (§ 2 de l'art. 55) (Note de bas de page : Ce
paragraphe est confirmé par l'art. 71 de la Constitution, qui donne au roi le
droit de dissoudre les chambres, soit simultanément, soit séparément. »). Les
autres articles furent admis sans grands débats, si ce n'est celui qui était
relatif au cens d'éligibilité, qui finit par être fixé à 1,000 florins (et
au-dessous pour les provinces où la liste ne pourrait pas être complétée dans
la proportion d'un éligible par six mille âmes). Le cens se compose de toutes
les contributions directes, patentes comprises.
Au
vote définitif, 18 décembre 1830 et après cinq jours d'orageuses séances, cent
douze membres votèrent pour les articles organiques du sénat, soixante-six se
prononcèrent négativement. Un tiers de l'assemblée constituante fut donc
contraire à l'institution de deux chambres.
Comme
on l'a vu, l'enfantement d'un sénat fut très laborieux. Avant qu'on allât aux
voix sur l'ensemble, M. de Gerlache prononça ces paroles : « Je ne puis
m'empêcher de vous dire que vous livrez l'Etat à l'anarchie, à la république ;
c'est une transaction déplorable avec les principes, elle peut vous exposer aux
plus grands dangers. »
Dans
la pratique, le sénat ne réalisa ni toutes les craintes, ni toutes les
espérances de ceux qui avaient eu à se prononcer sur cette institution. Les uns
avaient dit : « Le sénat sera une assemblée privilégiée, où les idées de la
noblesse prédomineront, » et, en fait, il est devenu accessible à d'autres qu'à
des gentilshommes, et ses portes se sont même ouvertes aux personnes riches de
toutes les classes. Pendant la session de 1855-1856, il y avait parmi les
membres envoyés par l'élection au sénat : Un duc ; un prince ; un marquis ;
cinq comtes ; un vicomte ; onze barons ; trois chevaliers ; six nobles non titrés
; en tout : membres nobles vingt-neuf, membres non nobles vingt-cinq. Parmi les
nobles et non nobles, se trouvaient : onze industriels ; trois avocats
plaidants ou ayant plaidé ; un ancien médecin ; un chirurgien pratiquant ; onze
négociants ou anciens négociants ; deux notaires en exercice ; un ancien
notaire ; c'est-à-dire trente membres qui ont suivi des carrières qui ne sont
pas ordinairement parcourues par la noblesse. La chambre des représentants a
souvent compté, dans son sein, des membres portant d'aussi grands noms et
possédant de plus grandes fortunes qu'aucun sénateur. En Angleterre, une
position analogue s'est rencontrée parfois ; M. Guizot dit : « On remarquait
avec surprise, dans l'un des premiers parlements de Charles Ier, que la chambre
des communes était trois fois plus riche que la chambre des lords'. » (Discours
sur l'histoire, etc., p. 12.)
D'autres
disaient : « Le sénat sera un corps seulement modérateur ; » et, dans les
derniers temps surtout, en poursuivant une révision des lois, très-consciencieuse
sans doute, mais aussi trop minutieuse, le sénat s'est exposé à des conflits,
toujours regrettables et même dangereux, quand ils ne sont pas nécessaires. Et
pour n'en citer qu'un exemple, cette assemblée a mis la prérogative royale dans
une périlleuse position, celle d'opter entre un ministère appuyé par la chambre
des représentants et une adresse irrégulièrement introduite et vaguement
formulée. Constitutionnellement, il y avait lieu à une dissolution ;
l'avènement d'un autre ministère fut la solution de la crise (1841). Mais c'est
l'heureux privilège des peuples libres que leur modération suffise pour
suppléer à l'imperfection de leurs institutions, ou aux erreurs de leurs
mandataires.
Après
avoir décrété qu'il y aurait un sénat et comment il serait constitué, le
Congrès aborda la question de la chambre (page
25) des représentants. C'était l'ordre logique ; car cette assemblée devait
être assise sur des bases différentes, soit que le pouvoir législatif fût
unique, soit que ce pouvoir se divisât en deux branches.
La
discussion s'ouvrit le 6 janvier 1831, sur le rapport de M. Raikem. Elle fut
beaucoup plus calme que celle sur le sénat. Les dispositions de cette section
forment les art. 47 à 52 de la Constitution. L'art. 47
décrète que « la chambre des représentants se compose de députés élus
directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale,
lequel ne peut excéder 100 florins d'impôt direct, ni être au-dessous de 20
florins. » Ce maximum et ce minimum furent adoptés, sur la proposition de M. de
Facqz. L'auteur de l'amendement déclara qu'il était
dirigé, tout à la fois, et contre le suffrage universel, qu'il regardait comme
impossible, et contre le danger qu'il y aurait à
abandonner la décision sur cette question importante à l'arbitraire d'une
législation mobile. M. l'abbé de Foere avait demandé un cens moindre pour
certaines capacités électorales : cette disposition ne fut pas admise. MM.
Forgeur et Le Hon la repoussèrent, disant qu'elle constituerait un privilège.
Ce
point vaut la peine qu'on s'y arrête un instant. Être électeur a été envisagé
tantôt comme un droit, tantôt comme une fonction. Droit ou fonction, toujours
est-il que l'usage de l'un, ou l'accomplissement de l'autre, exigent la
capacité. Un interdit n'a pas le libre exercice des droits civils, un incapable
ne devrait pas avoir le libre exercice des droits politiques. La difficulté est
de constater chez qui réside cette capacité. Comme il est évident qu'elle ne se
trouve pas chez tous, on est amené à écarter, a priori, le suffrage universel.
Le signe patent n'existant pas, il a fallu recourir à la présomption. On a
imaginé le cens, criterium imparfait sans doute, mais seul expédient général
possible. Toutefois, pourquoi n'avoir pas admis les capacités non-censitaires,
c'est-à-dire (page 26) celles qui se
manifestent clairement, sans avoir besoin d'un signe matériel ? Parce que, vous
répond-on, ce serait rendre les Belges inégaux devant la loi, ce serait créer
un privilège. C'est là un jugement superficiel, dont un examen approfondi
montre sans peine la fausseté. En effet, pour être un bon, un véritable
électeur, que faut-il ? Avoir, tout à la fois, assez d'intelligence et assez
d'intérêt pour faire un choix utile. Or, supposons un professeur, un avocat
pauvres, ayant devant eux le plus brillant avenir : ne sont-ils pas eux
suffisamment intéressés et capables pour faire un bon choix ? Et vous leur
préférez un campagnard inintelligent, parce qu'il paye 20 florins d'impôt pour
un bien grevé au-delà de sa valeur ; vous leur préférez, à cause de sa patente,
un citadin déjà ruiné et qui le lendemain de l'élection aura fait banqueroute !
Mais c'est ici qu'il y a privilège en faveur du moins capable, au détriment du
plus capable : c'est ici qu'il y a inégalité devant la loi, et cela contre la
raison et contre le droit. Le constituant pouvait et devait écarter cette
imperfection de notre pacte fondamental et, par conséquent, de nos lois
électorales.
M.
Guizot reconnaît pleinement que ce raisonnement est fondé, quand il dit : « La
capacité est le seul principe en vertu duquel la limite des droits électoraux
puisse être raisonnablement posée... Ce principe repousse également l'appel des
incapables, ce qui amènerait la domination du nombre, c'est-à-dire de la force
matérielle ; l'exclusion de telle ou telle portion de citoyens capables, ce qui
serait une iniquité, et l'inégalité entre les capacités, dont la moindre serait
déclarée suffisante, ce qui constituerait le privilège... Les caractères
extérieurs, assignés par les lois comme annonçant l'accomplissement des
conditions de la capacité électorale, ne doivent être ni inflexibles, m puisés
tous dans des faits purement matériels. » (GUIZOT, Histoire des origines, t.
II, XVème leçon)/
(page 27) Dans son Exposé des motifs sur la
loi électorale (31 décembre 1830), voici ce que M. le comte de Montalivet
disait en faveur de l'adjonction des capacités, qui cependant ne fut admise
qu'en partie : « La propriété et les lumières sont les capacités que nous avons
reconnues... Un gouvernement né des progrès de la civilisation devait à
l'intelligence de l'appeler aux droits politiques sans lui demander d'autres
garanties qu'elle-même. Il y avait, il faut en convenir, quelque chose de trop
peu rationnel dans cette faculté donnée par la loi du jury à tous les citoyens
éclairés de pouvoir juger de la vie des hommes, qui n'allait pas jusqu'à
concourir à la nomination de ceux qui font les lois. »
Nous
allons citer ce que M. de Carné dit sur cette importante question de
l'admission des capacités. Nous nous appuyons volontiers sur l'opinion de cet
écrivain, parce qu'elle est le fruit d'une haute raison, fortifiée par une
longue expérience : « La Restauration avait déjà, par sa législation de 1817 et
surtout par la loi de 1827 sur le jury, appliqué la doctrine qui allait
dominer, durant dix-huit ans, tout l’ordre politique. D'après cette doctrine,
dans laquelle viennent se résumer les idées de 1789, en ce qu'elles ont de
gouvernemental et de pratique, les droits constitutionnels sont délégués par la
société dans son propre intérêt. Celle-ci peut et doit dès lors attacher, à
l'exercice de ces droits, les conditions d'aptitude ou de fortune propres à
prévenir l'abus qui en serait fait contre elle. Le premier devoir du
législateur est donc de mesurer les droits électoraux attribués aux citoyens
sur le degré de lumière et d'indépendance que leur position personnelle
présuppose. Asseoir le pouvoir sur l’intelligence, distinguer les droits
politiques des droits civils, et, en admettant tous les Français à la
jouissance de ceux-ci, n'étendre ceux-là que suivant le discernement avec
lequel on est présumé capable de les exercer, telle fut la (page 28) doctrine professée, même par
le ministère de M. de Villèle, « et dont la monarchie de 1830 devait
naturellement faire de plus larges applications.
«
Donnant l'exercice d'un devoir pour corrélation à la jouissance d'un droit, la
loi du 2 mai 1827 avait attribué la qualité de juré à tous les censitaires
inscrits sur les listes électorales. Puis, assimilant la garantie offerte par
l'éducation à celle que présentait la propriété territoriale, elle avait
ajouté, aux censitaires à 300 francs, les citoyens exerçant certaines
professions libérales, obtenues au prix d'épreuves précédées d'études, dans
lesquelles s'était absorbé un capital à peu près égal à celui auquel la loi
rattachait la jouissance des droits politiques. En échappant au parti
républicain et au dogme du suffrage universel, la révolution de Juillet n'avait
pas à proclamer, en matière électorale, un autre principe que celui-là. Elle
était forcément conduite à fonder le droit politique sur la double combinaison
du cens territorial et de l’aptitude légalement constatée.
«
D'ailleurs, lorsqu'un gouvernement répudie le principe qui transforme
l'électorat en droit naturel, quand il repousse le dogme de souveraineté
numérique, il faut qu'il cherche quelque part des garanties d'aptitude. Or, où
celles-ci peuvent-elles se trouver, dans une société telle que la nôtre, si ce
n'est dans la possession de la terre ou dans l'exercice d'une profession
libérale, préparé par des épreuves difficiles et dispendieuses ? L'éducation
représente un capital, comme la propriété foncière, et il y aurait une moindre
dépense à faire pour conquérir le titre de censitaire à 200 francs que pour
devenir avocat, notaire ou médecin. » (Études sur l'histoire, etc., t. II, pp.
470 et 471).
Au
nom de la raison comme de la doctrine, nous croyons (page 29) fermement que le pouvoir constituant aurait dû admettre,
dans le pacte fondamental et dans la loi électorale, les capacités. Le cens peu
élevé fixé par lui et abaissé depuis à son minimum, l'admission de la patente excluent, il est vrai, du droit électoral peu de citoyens,
exerçant des professions libérales. Mais, à notre sens, ils auraient dû être
reconnus comme électeurs, en vertu de leur capacité seule. Il nous paraît donc
que l'on a commis une erreur, en repoussant la proposition de M. l'abbé de
Foere, sous prétexte qu'elle aurait créé un privilège, tandis qu'elle ne
faisait que reconnaître l’aptitude, qui est la base du droit électoral. (Note
de bas de page : Cette question revint, lors de la discussion de la loi du
31 mars 1847, établissant une nouvelle répartition des représentants et des
sénateurs. (Voir t. II, liv. X.) M. Castiau et
d'autres soutinrent habilement, mais tardivement, pensons-nous, le principe de
l'admission des capacités. (Voir Annales parlementaires, 1846-1847, pp. 1030 à 1129 )).
L'art.
48 fut modifié en ce sens qu'on ajouta « en tels lieux, » pour ne laisser qu'à
la loi, et non au pouvoir exécutif, le choix du lieu de réunion du collège
électoral.
A
l'article 50, § 3, relatif à l'âge d'éligibilité, il y eut une courte discussion
: l'âge de 25 ans fut maintenu.
La
question d'indemnité ou de traitement (art. 52), fut plus longuement débattue.
La section centrale avait proposé un traitement de 2.000 florins. M. Delehaye
avait déposé cet amendement : « Il ne sera accordé aucune indemnité aux
membres. » Il fut rejeté sur une observation, ayant surtout pour but de
démontrer qu'il fallait laisser la chambre accessible même aux hommes de
fortune modeste. Ce système est, en effet, le seul qui soit vraiment
démocratique, dans un pays où l'instruction pénètre, chaque jour davantage,
dans les couches inférieures, dans les classes de la petite bourgeoisie. (Note
de bas de page : La Constitution des États-Unis décrète le principe de
l'indemnité pour les deux chambres : • The senators
and representatives shall receive a compensation for their
services, to be ascertained
by law... » (Art. 1er, sect. VI, § 1".) En France, le
principe de l'indemnité a été admis, sous plusieurs régimes : Constitution de
l'an III (1795), art. 68, et loi du 29 thermidor an « their services, to be ascertained by law... » (Art.
1", sect. VI,
§ 1".) Eu France, le principe de l'indemnité a été admis, sous plusieurs
régimes : Constitution de l'an m (1795), art. 68, et loi du 29 thermidor an VI,
indemnité au corps législatif. Constitution de l'an VIII (1799), art. 22,
traitement au sénat ; art. 36, traitement au tribunal et au corps législatif.
Ces traitements ont été maintenus jusqu'en 1814. Constitution de 1848, art 38 :
indemnité. Constitution de 1852 ; les sénateurs reçoivent 30,000 francs ; les
membres du corps législatifs une forte indemnité. La Loi fondamentale des
Pays-Bas (1815) accordait un traitement de 2,500 florins aux membres de la
seconde chambre ; de 3,000 florins aux membres de la première chambre. La non-présence
privait le membre absent de son traitement).
(page 30) Les historiens qui ont le mieux
étudié l'origine du gouvernement représentatif, nous montrent que les classes
peu riches mirent quelque hésitation à y prendre part. « Ainsi, au commencement
du treizième siècle, le droit de faire partie de l'assemblée générale
appartenait à tous les vassaux directs du roi, mais n'était presque pas exercé,
à cause des obstacles qui augmentaient de jour en jour. Les hauts barons
(d'Angleterre) formaient presque seuls toute l'assemblée. » (GUIZOT, Histoire
des origines, etc., t. II, XIIème leçon) - « D'Ewes
fait observer qu'il était fort commun, « en Angleterre) dans les temps anciens,
que, pour éviter de payer un traitement à leurs députés, les bourgs, devenus
pauvres ou tombés en décadence, obtinssent du souverain d'être, pour le
présent, déchargés de l'obligation d'élire des représentants, ou cessassent
d'eux-mêmes de le faire. » (HALLAN, Histoire constitutionnelle, t. Ier, chap.
V.) - « Toutefois, l'on ne voit pas que
la bourgeoisie elle-même ait d'abord attaché beaucoup de prix (en France) au
droit d'être consultée, comme les deux premiers ordres, sur les affaires
générales du royaume. Ce droit, qu'elle n'exerçait guère sans une sorte de
gêne, lui était suspect. » (AUGUSTIN THIERRY, Essai sur l'histoire du tiers
état, p. 42). (page 31) M. de Carné dit, avec un grand
sens : « L'opposition parlementaire ( sous le règne de
Louis-Philippe), qui osait tant de choses contre le pouvoir, n'avait pas le
viril courage de recommander au pays le seul système que ses mœurs lui
permettaient de supporter, quelque répugnance qu'il lui inspire, celui d'une
indemnité modérée, rendant possible et rationnelle l'incompatibilité du mandat
électoral avec la plupart des fonctions publiques. » (Études sur l'histoire,
etc., t. II, p. 178.)
M.
de Langhe proposa : « Indemnité mensuelle de 200
florins, pendant la durée de la session : pas d'indemnité pour les fonctionnaires
salariés par l'Etat : pas d'indemnité pour ceux qui habitent la ville où se
tient la session. » La première partie de cet amendement fut admise, par
quatre-vingt- sept voix contre soixante et douze ; la seconde partie fut
écartée ; la troisième partie fut adoptée. (Note de bas de page : La loi
du 20 octobre 1831 règle les époques auxquelles l'indemnité vient à courir ou à
cesser, au commencement et à la fin des sessions. Dans la séance du 16 janvier
1832, M. le comte Félix de Mérode proposa de faire cesser l'indemnité pour les
absents, c'est-à-dire de transformer l'indemnité mensuelle en jetons de
présence. La proposition ne fut pas même appuyée)
Les
points saillants de cette section sont l'élection directe, qui ne fut même pas
discutée (Note de bas de page : Voir, sur la nécessité de l'élection
directe, GUIZOT, Histoire des origines, etc., t. II, XVIème leçon ; il y dit :
« L'élection directe a été la pratique constante de l'Angleterre. L'Amérique a
adopté le même système. ») , et l'absence du cens d'éligibilité.
N'exiger
de ceux qui peuvent faire partie de la chambre et, par suite, du gouvernement,
aucun cens d'éligibilité, était un essai constitutionnel hardi, presque
aventureux. L'esprit droit et pratique du peuple belge et, par conséquent, de
son corps électoral, pouvait seul l'avoir inspiré, car de nombreux exemples
étaient contraires à cette pratique. La France, deux fois seulement, a osé
écarter de ses nombreuses Constitutions le (page 32) cens d'éligibilité, en 1792 et 1848 !... Souvent, pour être
éligible, il fallait y justifier d'un cens de 500 à 1,000 francs (Charte de
1830 et loi du 19 avril 1831). Aux époques les plus révolutionnaires, en 1795,
ceux qui étaient chargés de proposer les bases constitutionnelles, très larges
du reste, hésitaient devant cette question : Un bon législateur peut-il n'être
pas censitaire ? Boissy d'Anglas (qu'on remarque le
nom !) disait, dans les discours préliminaires du projet de Constitution de
l'an III : « En vain la sagesse s'épuiserait-elle pour créer une Constitution,
si l'ignorance et le défaut d'intérêt à l'ordre avaient le droit d'être reçus
parmi les gardiens de cet édifice... Les meilleurs sont les plus instruits et
les plus intéressés au maintien des lois. Or, à bien peu d'exceptions près,
vous ne trouverez de pareils hommes que parmi ceux qui, possédant une
propriété, sont attachés au pays qui la contient, aux lois qui la protègent, à
la tranquillité qui la conserve... Des hommes sans propriété exciteront ou
laisseront exciter des agitations sans en craindre l'effet. » (Moniteur du 12
messidor an III, n°282).
Nos
constituants de 1830 ont été plus hardis que les constituants français de 1795
ou de 1830, et ils ont bien fait ! L'expérience a prouvé qu'ils n'ont pas été
téméraires.
Les
dispositions, communes aux deux chambres, forment les art.
26, 27 et 28, titre III « des Pouvoirs ; » les art. 32
à 46 du chap. Ier du même titre « des Chambres ; » enfin, les
art. 70, 71, 72 du chap. II « du Roi. »
L'art.
26, qui décrète que « le pouvoir législatif s'exerce collectivement par le roi,
la chambre des représentants et le sénat » fut admis, malgré l'opposition de M.
Séron, qui ne voulait l'accorder qu'aux deux
chambres.
L'art.
27 dispose : « L'initiative appartient à chacune des trois branches du pouvoir
législatif (Note de bas de page : En France, l'Assemblée nationale avait
seule l'initiative ; la Constitution de l'an VIII et la Charte de 1814
donnaient au gouvernement seul ce droit ; depuis 1852, le Sénat seul le partage
avec le gouvernement. - La loi fondamentale de 1815 (art. 106 et 114) accordait
l'initiative au roi et à la seconde chambre). Néanmoins toute loi, (page 33) relative aux recettes et aux
dépenses, ou au contingent de l'armée, doit d'abord être votée par la chambre
des représentants. » La première partie de cet article était nécessaire :
car les deux chambres devaient être armées contre l'inertie possible du pouvoir
exécutif ; d'autre part, celui-ci est seul apte à préparer et à défendre certaines
lois importantes. La seconde partie de la disposition constitue, avec le droit
de mettre les ministres en accusation (art. 90) et celui de nommer les membres
de la Cour des comptes (art. 116), l'évidente prépondérance de la Chambre des
représentants, quelquefois contestée. Inutile et dangereuse discussion. (Note
de bas de page : « Un principe fondamental et propre à maintenir chaque
branche du pouvoir législatif dans ses bornes naturelles, c'est que la
connaissance première des lois les plus importantes, pour le bien-être matériel
du pays, doit appartenir à la partie de la législature qui représente plus
spécialement le mouvement ; et le contrôle en être réservé à la partie
conservatrice : tel est le but de l'art. 27 de la Constitution. (TIELEMANS,
Répertoire de l'administration, au mot Amendement, t. II, p. 181).
L'art.
33, sur la publicité des séances, fut admis sans discussion. Par publicité, il
faut entendre non-seulement l'accès accordé au public dans les tribunes,
pendant les débats, mais surtout la publication, par la voie de la presse, des
comptes rendus des séances. Rien n'est plus propre à déraciner les préjugés et
à faire connaître les intérêts réels de la nation, que les discussions libres
et approfondies des chambres sur les questions de l'ordre moral, comme de
l'ordre matériel. Rien n'est plus propre, non plus, à donner au régime
représentatif son véritable et solide appui, qui est l'opinion publique,
suffisamment éclairée.
L'art.
36 dit : « Le membre de l'une ou de l'autre des deux chambres, nommé par le
Gouvernement à un emploi salarié (page
34), qu'il accepte, cesse immédiatement de siéger et ne reprend ses
fonctions (son mandat) qu'en vertu d'une nouvelle élection ' . » (Note de bas
de page : La loi du 11 juillet 1832, qui crée l'Ordre de Léopold, dispose
aussi art. 5 : « Sera soumis à une réélection, tout membre des chambres qui «
accepte l'Ordre à un autre titre que pour motifs militaires. »). La section
centrale et le Congrès n'admirent aucun cas d'incompatibilité. Chez les nations
jeunes et dans les assemblées novices, il y a une foi naïve dans la fermeté des
caractères. La pratique détruit bientôt cette illusion et les abus accumulés
rendent les remèdes nécessaires. C'est ce que nous verrons, en son lieu, à
propos de la loi du 26 mai 1848, sur les incompatibilités.
Les art. 38 et 39 sont ainsi conçus : « Toute résolution est prise
à la majorité absolue des suffrages... Les votes sont émis à haute voix... » II
n'est point question d'abstention, et cependant le droit de s'abstenir fut admis
par les règlements de la chambre et du sénat. Le règlement du Congrès ne
reconnaissait pas ce droit et, en fait, il y eut de rares exemples d'abstention
dans cette assemblée. Nous examinerons ce point, quand nous arriverons au vote
des dispositions réglementaires des deux chambres.
Le
droit d'enquête et d'amendement et le devoir de voter les lois article par
article font l'objet des art. 40, 41 et 42. On s'est
demandé si le sénat a le droit d'amender les lois, dont la chambre des
représentants a seule l'initiative (Art. 27. « Recettes et dépenses de l'État,
contingent de l'armée » ) ? Les termes absolus de
l'art. 42 ne laissent aucun doute, à cet égard. Ce principe est de
jurisprudence aujourd'hui. Dans la loi de l'organisation judiciaire, le sénat a
modifié le traitement des conseillers des cours d'appel, en le réduisant de
1,000 francs. Mais ce droit d'amendement doit être entendu dans ce sens, par
exemple, pour une loi de recette, que le sénat peut modifier les dispositions
d'exécution pour la (page 35)
perception de l'impôt, mais point son quantum, ni point sa base ; car alors, ce
serait lui qui prendrait l'initiative, contrairement aux prescriptions
constitutionnelles. Mais il a le droit de rejet. Ce qui nous fait admettre
cotte limitation du pouvoir du sénat, c'est que notre art. 27 dit d'une manière expresse : « Toute loi relative aux
recettes et aux dépenses de l'Etat... doit d'abord être votée par la chambre
des représentants. » La Constitution ne dit point, à cet article, que le sénat
pourra les amender, quant au fond. Tandis que la Constitution des Etats-Unis,
en donnant la même initiative à la Chambre des représentants, ajoute
immédiatement : « Cependant le Sénat peut proposer et introduire des
amendements, comme pour d'autres lois. » (Art. 1er, section VII, § 1er.)
Le
droit d'amendement n'était pas autorisé par la loi fondamentale de 1815 ; les
chambres devaient adopter ou rejeter, sans modification, les projets présentés
par le gouvernement. Système détestable pour la bonne confection des lois et
contraire aux principes sur lesquels repose la nécessité de l'intervention du
parlement dans le pouvoir législatif !
Malgré
tous les soins, pris par les constituants, pour prévenir les abus de quelque
part qu'ils vinssent, un cas leur a échappé. On n'a pas prévu l'éventualité de
l'omission ou du refus de l'examen par une chambre, des lois qui lui seraient
transmises, déjà votées, par l'autre chambre. Le sénat a donné un fâcheux
exemple de cette irrégularité, pour ne rien dire de plus. La loi du crédit foncier
lui fut présentée le 1er mai 1851. M. Cogels fut
nommé rapporteur, puis remplacé par M. Cassiers. Celui-ci, malgré de nombreuses
invitations, ne déposa son rapport que le 30 décembre 1853. Aucune discussion
ne s'ensuivit : la loi, adoptée par la chambre, restait là ; elle serait
peut-être encore demeurée longtemps en souffrance, si M. Liedts, ministre des
finances, n'était venu la retirer, le 30 octobre 1854. Examiner les lois avec
maturité et même avec une sage lenteur, est un devoir pour le sénat : mais les
(page 36) écarter, pour ainsi dire,
en ne s'en occupant pas, est l'usurpation du droit de veto. Or, pour les
assemblées comme pour les individus, un abus de pouvoir est plus qu'une faute,
c'est un danger. Un tel procédé constitue un double tort de la part du sénat,
qui doit être le corps conservateur par excellence et qui n'ignore pas que l'on
a discuté imprudemment la question de l'utilité de son existence. Il y a deux
manières de se conserver, d'abord en repoussant les attaques injustes, ensuite et
surtout en n'en fournissant pas les prétextes.
La
liberté absolue des votes et des opinions et l'inviolabilité des membres de
chaque chambre furent assurées par les art. 44 et 45
(Note de bas de page : Nous mentionnerons, en leurs temps et lieux, les actes,
heureusement rares, posés contre ces prérogatives du Parlement. Voir, quant à
la liberté de parole et à l'inviolabilité du Parlement anglais dans les temps
reculés, GUIZOT, Histoire des origines, t. II, XXIIe leçon). Les chambres se
réunissent de plein droit, chaque année, le deuxième mardi de novembre, à moins
qu'elles n'aient été convoquées antérieurement par le roi : elles doivent
rester réunies au moins quarante jours (Note de bas de page : D'après la
Loi fondamentale de 1815, la durée obligatoire de la session n'était que de
quinze jours). Le roi prononce la clôture de la session. Il peut convoquer
extraordinairement les chambres (art. 70). Il a le droit de les dissoudre, soit
simultanément, soit séparément (BLACKSTONE appelle la dissolution la mort
civile des chambres). L'acte de dissolution contient convocation des électeurs
dans les quarante jours et des chambres dans les deux mois (art. 71). « Le roi
peut ajourner les chambres. Toutefois, l'ajournement ne peut excéder le terme
d'un mois, ni être renouvelé, dans la même session, sans l'assentiment des
chambres « (art. 72).
Toutes
ces rigoureuses prescriptions, si favorables au pouvoir populaire, furent
facilement admises par l'assemblée constituante, et ne furent pas un obstacle à
l'acceptation de (page 37) la couronne par le roi. Elles ne sont, en effet, que des
précautions nécessaires contre le retour des nombreux et souvent impuissants
abus du pouvoir exécutif à l'égard des parlements, dont l’histoire
constitutionnelle de l'Angleterre et de la France fournissent de si tristes
exemples. (Note de bas de page : L'opinion des auteurs peut nous donner
une idée de l'omnipotence du Parlement d'Angleterre, fruit de longues luttes :
DELOLME dit : « C'est un principe fondamental chez les jurisconsultes anglais
que le Parlement peut tout faire, excepté transformer une femme en homme ou un
homme en femme. (Chap. X, p. 76 ) ; - Sir EDOUARD
COKE s'exprime ainsi sur cette cour suprême : « Si antiquitatem
spectes, est vetustissima ;
si dignitatem, est honoratissima
; si jurisdictionem, est capacissima
» (4 hist. 36). - BLACKSTONE dit : « Le Parlement peut changer la succession au
trône, comme il l'a fait sous le règne de Henri VIII et de Guillaume III ; il
peut altérer la religion nationale établie, comme il l'a fait en diverses
circonstances, sous le règne de Henri VIII et de ses enfants ; il peut changer
et créer de nouveau la Constitution du royaume et des Parlements eux-mêmes,
comme il l'a fait par l'acte d'union de l'Angleterre et de l'Ecosse et par
divers statuts pour les élections triennales et septennales. En un mot, il peut
faire tout ce qui n'est pas naturellement impossible. Aussi n'a-t-on pas fait
scrupule d'appeler son pouvoir, par une figure peut-être trop hardie, la
toute-puissance du Parlement. »).
Après
quelque débat, le Congrès décréta, le 20 juillet 1831, et par quatre-vingt-sept
voix contre soixante et une, que : « Les membres de la chambre des
représentants et du sénat seront tenus, avant d'entrer en fonctions, de prêter
dans le sein de la chambre le serment suivant : « Je jure d'observer la
Constitution. »
Les
dispositions relatives aux ministres, font l'objet des art.
63 et 64 de la section Ier, chap. II du titre III : des art.
86 à 91 de la section II du même chapitre ; de l'art. 134, « dispositions
transitoires ; » enfin du § 5» de l'art. 139, « dispositions supplémentaires. »
Les discussions s'ouvrirent, sur le rapport de M. Raikem, le 20 janvier 1831.
Pour
être ministre, il faut être Belge de naissance, ou avoir reçu la grande
naturalisation (86). La condition de (page
38) vingt-cinq ans d'âge, proposée par M. de Robaulx, fut rejetée.
(L'illustre Pitt, fils de lord Chatham, était ministre à l'âge de vingt-deux
ans). - Les membres de la famille royale ne peuvent être ministres (87).
Disposition sage, en présence de la responsabilité ministérielle et de
l'obligation du contreseing. - Les ministres n'ont voix délibérative, dans
l'une comme dans l'autre chambre, que quand ils en sont membres. Ils y ont leur
entrée : leur présence peut y être requise (88). - Ils sont responsables et,
sans leur signature, aucun acte du roi ne peut avoir d'effet (63 et 64). -
L'ordre écrit ou verbal du roi ne peut soustraire un ministre à la
responsabilité (89). - Les ministres sont justiciables de la Cour de cassation,
sur l'accusation de la chambre des représentants : un ministre condamné ne peut
être gracié par le roi que sur la demande de l'une ou de l'autre chambre.
Jusqu'à ce qu'il y soit pourvu par la loi, la chambre des représentants aura un
pouvoir discrétionnaire pour accuser un ministre, et la Cour de cassation aura
le même pouvoir pour le juger (134). En France, d'après les dispositions du
décret-loi du 23 juillet 1792, la responsabilité était solidaire ; en Belgique,
elle est personnelle, car il n'y a pas de conseil des ministres, comme corps
constitué, excepté aux termes du § 3 de l'art. 79 de la Constitution : « A
dater de la mort du roi et jusqu'à la prestation du serment de son successeur
au trône ou du régent, les pouvoirs constitutionnels du roi sont exercés, au
nom du peuple Belge, par les ministres réunis en conseil, et sous leur
responsabilité. » - Hors ce cas spécial, la signature ou l'ordre donnés pour
l'acte, ou la négligence individuelle peuvent seuls engager la responsabilité
d'un ministre. Cette responsabilité figure parmi les objets signalés par le
Congrès comme devant être fixés par des lois urgentes
(139). Voilà vingt-cinq ans que le pouvoir constituant a déclaré (page
39) l'urgence de cette loi et aucun ministre n'a songé à la présenter,
aucune législature n'en a pris l'initiative... Grâce à l'article 134, la
chambre des représentants n'est point désarmée : mais heureusement si, une
seule fois, elle a tiré du fourreau cette arme constitutionnelle, jamais elle
n'a dû en frapper aucun de nos chefs de départements ministériels. Jusqu'ici,
l'accusation contre les ministres est, chez nous, comme ces vieux instruments
de défense, appendus aux murs de certaines maisons et qui donnent plus de
confiance aux propriétaires qu'elles n'offrent de danger pour ceux qu'elles
menacent. Il est, sans doute, difficile de formuler une telle loi ; la Hollande
a cependant tenté de le faire et, pensons-nous, y a réussi (1854-1855). Mais,
si un jour on voulait régler, par la loi, ce droit de la chambre, nous
signalons ce point important : la dissolution d'une chambre ne doit pas
suspendre ou anéantir la poursuite de l'accusation prononcée. Sous Charles II,
la chambre des communes lutta énergiquement pour faire admettre la pratique de
ce principe. (HALLAN, Histoire constitutionnelle, chap. XII (1677, accusation
contre lord Danby). MACAULAY, History, etc., t. I,
chap. II et IV.)
Il est, enfin, un titre commun aux
dispositions, que nous venons d'examiner, comme à toutes les autres
dispositions de la Constitution, c'est le titre VII « De la révision de la
Constitution. » Son article unique, 151, décrète que : « Le pouvoir
législatif a le droit de déclarer qu'il y a lieu à la révision, de telle
disposition constitutionnelle qu'il désigne. » Il trace les règles prudentes à
suivre en ce cas, ainsi :
Dissolution,
de plein droit, des deux chambres ;
Convocation
des électeurs dans les quarante jours, et des chambres nouvelles dans les deux
mois ;
Les
chambres statuent, de commun accord avec le roi, sur les points soumis à
révision ;
(page 40) Dans ce cas, les chambres ne
pourront délibérer, si deux tiers au moins des membres qui composent chacune d'elles,
ne sont présents ; et nul changement ne sera adopté, s'il ne réunit au moins
les deux tiers des suffrages.
Cet
article est peu compris, s'il faut en croire certaines controverses de la
presse. On a parlé de la nécessité d'assembler des chambres en nombre double :
c'est une erreur ; il faut seulement des chambres nouvelles, convoquées ad hoc.
On a parlé aussi de délibération en commun ; or, cette obligation ne résulte ni
du texte, ni des discussions du Congrès. Il faut commun accord, comme pour tout
autre acte législatif, entre les trois branches qui exercent ce pouvoir : la
seule différence, c'est qu'ici nul changement ne sera adopté, s'il ne réunit au
moins les deux tiers des suffrages des deux tiers au moins des membres qui
composent chaque chambre. Pour d'autres lois, « toute résolution est prise à la
majorité absolue des suffrages... Aucune des deux chambres ne peut prendre « de
résolution qu'autant que la majorité de ses membres se trouve réunie. » (Art.
38.) La délibération en commun des deux chambres n'est expressément prescrite
que par les articles 81, 82 et 85, relatifs aux cas de la mort du roi, son
successeur étant mineur ; de l'impossibilité où le roi se trouverait de régner
; de la nomination provisoire de la régence. Voilà pour la forme. Quant au
fond, on voit que, lorsque l'on parle de changer la Constitution, on ne commet
pas, ainsi que cela s'est dit si souvent, un acte révolutionnaire, mais presque
toujours un acte imprudent. Un mode légal de changement de la Constitution a
précisément été prévu, pour qu'on puisse la réviser sans révolution. On a ôté
ainsi à cette pomme de discorde l'attrait du fruit défendu. Cet article est la
soupape de sûreté de notre pacte fondamental. Mais est-il bon de soulever ces
questions de changement, est-il bon de les discutes, avant que la nécessité en
devienne manifeste à tous les yeux ? Nous ne le pensons pas. Une seule pierre
ôtée (page 41) d'un édifice peut le
faire affaisser tout entier : une seule modification utile provoquée peut en
amener beaucoup d'autres très dangereuses (Voir, sur le danger d'abroger les
constitutions et les lois, TIELEMANS, Répertoire, etc., au mot abrogation, t.
I, p. 51). Or, n'est-ce rien que ce pacte laissé intact et entier, au milieu de
nos nombreuses dissensions intestines et de la terrible pression des événements
du dehors ? (Note de bas de page : La France a été moins heureuse : voici,
depuis 1789, le nombre et la date de ses Constitutions : 1° Constitution du
3-14 septembre 1791 ; 2° Constitution républicaine, du 24 juin 1793 ; 3°
Constitution directoriale, du 5 fructidor an III (22 août 1795) ; 4°
Constitution consulaire, du 22 frimaire an VI» (13 décembre 1799) ; 5°
Sénatus-consulte constitutionnel, pour le consulat à vie, du 16 thermidor an x
(4 août 1802) ; 6° Sénatus-consulte constitutionnel et organique de l'Empire,
du 28 floréal an XII (18 mai 1804) ; 7° Charte constitutionnelle, du 4 juin
1814 ; 8° Charte constitutionnelle, du 7 août 1830 ; 9° Constitution
républicaine, du 4 novembre 1848 ; 10° Constitution du second Empire, du 14
janvier 1852. En moyenne, c'est une Constitution nouvelle tous les six
ans !).
Après
vingt-cinq années, pas une lettre n'y est changée : virginité digne de
fortifier notre propre respect et d'inspirer l'admiration aux peuples qui nous
entourent ! Notre Constitution est comme une arche solide qui a supporté sur sa
voûte et le lourd fardeau des temps difficiles et le poids léger des temps plus
réguliers : qui a vu ses pieds baignés et par les flots troublés des tempêtes
populaires et par le cours limpide des époques pacifiques : parfois menacée,
jamais atteinte. Soyons fiers de ce monument, élevé par la sagesse du Congrès,
conservé par la modération de nos diverses législatures !
Nous
nous sommes tracé pour limite de n'examiner la Constitution que dans ses trois
grandes bases : la royauté, les chambres, les ministres. Nous allons donner, à
cette partie des dispositions de notre pacte fondamental, un rapide regard, au
point de vue historique, traditionnel, s'il est permis (page 42) de s'exprimer ainsi. Ce serait une erreur de croire que
cette belle Constitution, moderne Minerve, est sortie tout
armée du cerveau de ce corps puissant nommé Congrès. Sans rien ôter au mérite
de nos constituants, on peut dire que toutes ces sages dispositions, qui ont
fondé la liberté sur l'ordre, ont fait l'objet d'aspirations très-anciennes, de
luttes très-longues, ont été parfois le prix de victoires chèrement achetées.
Nous n'avons fait que recueillir le fruit assuré par les soins et souvent
arrosé par le sang de ceux qui nous ont précédés. Quelques indications de faits
et de dates le prouveront.
L'art.
25 porte : « Tous les pouvoirs émanent de la nation. »
Autrefois, la formule du pouvoir était : « A Deo rex,
a rege lex.
» Cette doctrine trouvait encore des défenseurs sous Charles II ' et sous
Jacques II, en 1687 '. (MACAULAY, History, etc., t.
I, chap. II. - HALLAN, Histoire constitutionnelle, t. IV, chap. XIV.)
L'art.
27 est ainsi conçu : « L'initiative appartient à chacune des deux branches du
pouvoir législatif. » Dans le principe et pendant longtemps, le parlement
anglais et les états généraux de France intervenaient dans les actes
législatifs, non par un vote direct, mais, le premier, par pétitions, les
seconds, par cahiers de remontrances ou de griefs. Les rois attendaient le
dernier jour de la session des assemblées pour accepter ou refuser, et même, en
cas d'acceptation, des changements étaient opérés aux termes des pétitions ou
cahiers, de façon à rendre cette acceptation incomplète. Ce ne fut que vers
1455 que le parlement anglais commença à user du droit d'initiative (GUIZOT,
Histoire des origines, etc., t. II, XXVe leçon) : ce ne fut qu'en 1588, pendant
les troubles de la Ligue, que les états généraux de France décidèrent « qu'ils
veulent procéder par résolution et non plus par supplication. » (AUGUSTIN
THIERRY, Essai sur l'histoire, etc., p. 127.)
Art.
30. « Le pouvoir judiciaire est exercé par les cours (page 43) et tribunaux. » Jusqu'à l'époque du long parlement, sous
Charles Ier, il existait des juridictions exceptionnelles : la cour de haute
commission, la chambre étoilée, la cour du Nord. La fougueuse et
révolutionnaire assemblée arracha des mains du roi ces instruments de
despotisme. (MATTER, Histoire des doctrines, t. II, p. 208. - GUIZOT, Histoire
de Charles Ier, t. I, p. 291).
Art.
34. « Chaque chambre vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les
contestations qui s'élèvent à ce sujet. » Autre conquête du temps ! Jusque sous
le règne d'Elisabeth, (1586), la chancellerie. d'où
sortait le writ d'élection, vérifiait le rapport des shériffs sur le résultat. A dater de cette époque, la
chambre des communes s'attribua et conserva le pouvoir de vérification, si
important et si légitime. Il ne lui fut plus qu'une seule fois contesté, sous
Jacques Ier, à propos de l'élection de Goodwin. Cette
affaire occupa la chambre des communes pendant trois semaines, donna lieu à des
conférences avec les pairs et le roi, se termina par une transaction, mais
résolut à tout jamais la question en faveur de la juridiction exclusive des
communes. (HALLAN, Histoire constitutionnelle, chap. V et V. bis.)
Art.
33. « Les séances des chambres sont publiques. » Des sténographes officiels
reproduisent les débats. M. Guizot a dit : « Quand le gouvernement
aristocratique ou absolu prévaut, la publicité disparaît. Quand le gouvernement
représentatif commence à se constituer, la publicité n'y rentre pas d'abord. En
Angleterre, la chambre des communes fut longtemps secrète ; le premier pas vers
la publicité fut « de faire imprimer les actes de la chambre des communes, ses
adresses, ses résolutions. Ce pas fut fait par le long parlement, sous Charles
Ier. On revint, sous Charles II, au secret absolu : quelques hommes
redemandèrent, mais en vain, la publication des actes de la chambre : elle fut
(page 44) repoussée comme
dangereuse. Ce ne fut que dans le dix-huitième siècle que s'est introduit, dans
le parlement d'Angleterre, la tolérance des spectateurs aux séances des deux
chambres ; elle n'est pas de droit, et la demande d'un seul membre, qui
rappelle l'ancienne loi, suffît pour faire évacuer la salle. » (GUIZOT,
Histoire des origines, t. I, VIIIème leçon3
On
voit, dans l'histoire du parlement anglais, que, le 30 avril 1747, deux
éditeurs de journaux furent mandés à la barre de la chambre des communes, pour
avoir publié les débats. Depuis, cette interdiction a été abolie par l'usage.
Le règlement de la chambre des représentants aux États-Unis, au contraire,
admet la présence des sténographes, pendant les discussions (Rules, art. 18 et 19).
Art.
44. « Aucun membre de l'une ou de l'autre chambre ne peut être poursuivi ni
recherché à l'occasion des opinions et votes émis par lui dans l'exercice de
ses fonctions. » Dans les temps anciens, l'inviolabilité de leur personne et la
liberté de parole étaient moins assurées aux membres des assemblées nationales,
par l'usage ou par le droit écrit. Il faut en excepter, toutefois, l'art. 42 de
la Joyeuse-Entrée, qui portait : « Lorsque Sa Majesté fera convoquer les états
de Brabant et d'Outre-Meuse, chacun pourra y dire librement son opinion, sans
pour cela encourir l'indignation ou la disgrâce de Sa Majesté ou de quelque
autre, en aucune façon. » Jusqu'au règne de Henri IV
(1400), l'orateur de la chambre des communes, à l'ouverture de chaque session,
demandait au roi la liberté de la parole (GUIZOT, Histoire des origines, t. II,
XXVème leçon). En 1483, aux états généraux de Tours, « tous les députés, un
genou en terre, demandent, par un signe de tête, la permission de parler 3. »
(THIBAUDEAU, Histoire des états généraux, t. I, p. 219). En 1397, Thomas (page
45) Haxey, membre des communes, est déclaré
coupable de haute trahison, pour avoir parlé contre les dépenses extravagantes
de la cour. » (GUIZOT, Histoire des origines, t. II, XXVe leçon). En 1485,
Thomas Young, député de Bristol, se plaint d'avoir été emprisonné à la Tour, à
cause d'une motion qu'il avait faite à la chambre '. En 1575, Wentworth fut envoyé à la Tour, pour avoir abordé des
questions qui déplaisaient à la reine Elisabeth (HALLAN, Histoire
constitutionnelle, t. I, chap. V. Voir, comme un monument d'esprit
d'indépendance, l'interrogatoire de Wentworth, devant
un comité de la chambre. (GUIZOT, Histoire de Charles Ier, t.II,
n°4 des Éclaircissements). En 1622, sous Jacques Ier, après la dissolution,
Edouard Coke et Robert Philips furent emprisonnés. Ceci arrivait après que la
chambre avait obtenu l'élargissement d'un de ses membres, Shirley, détenu pour
dette privée (HALLAN, Histoire constitutionnelle, chap. VI.).
Art.
49 : « La loi électorale fixe le nombre des députés d'après la population. » On
pourrait se demander si, dans les temps ordinaires et en raison de la
difficulté de trouver des candidats de haute capacité, la proportion d'un
représentant par quarante mille habitants n'est pas trop considérable. Les
assemblées les plus nombreuses ne sont pas toujours les plus aptes à faire les
bonnes lois. Toutefois, quand de grands besoins sociaux se manifestent, des
corps nombreux adoptent de grandes mesures. L'assemblée constituante de 1789
était composée de douze cent et quatorze membres. Du moins, en Belgique, c'est
la loi qui détermine le nombre des représentants et des sénateurs : la
Constitution n'a fixé qu'un maximum. En Angleterre, les souverains créèrent arbitrairement
de nouveaux bourgs électoraux ; - Edouard VI, vingt-deux ; Marie, quatorze ;
Elisabeth davantage (HALLAN, Histoire constitutionnelle, chap. Ier.)
Art.
50 : « Pour être éligible, il faut... 4° Être domicilié en (page 46) Belgique. » « D'après la
teneur d'un writ royal, confirmé par un acte passé
sous Henri V, chaque cité ou bourg était tenu de n'élire personne autre que des
membres de sa propre communauté. » L'usage, plutôt qu'un acte écrit, a détruit
depuis, en Angleterre, cette pernicieuse pratique (HALLAN, Histoire
constitutionnelle, chap. V.). Et pour ôter tout doute sur le vice de la
représentation locale, notre Constitution a prescrit expressément (art. 32) : «
Les membres des deux chambres représentent la nation, et non uniquement la province
ou la subdivision de province qui les a nommés. »
Art.
70. « Les chambres se réunissent, de plein droit, chaque année, etc. » Jusque
sous Charles Ier, les rois se passaient souvent, en Angleterre, de
l'intervention du Parlement, ne le convoquant que lorsque les besoins d'aides
nouvelles les obligeaient d'y recourir. En France, de 1355 à 1615, les
états-généraux ne furent convoqués qu'à de longs intervalles : de 1615 à 1789,
c'est-à-dire pendant cent soixante et quatorze ans, ils ne furent pas assemblés
une seule fois (AUGUSTIN THIERRY, Essai sur l'histoire, etc., pp. 55 et 167).
Les parlements de ce pays tentèrent, constamment, de suppléer à cette absence
de représentation nationale : mais leur opposition, si utile qu'elle ait pu
être parfois, n'avait pas cette force, que l'élection populaire peut seule
conférer.
Art.
88, § 3 : « Les chambres peuvent requérir la présence des ministres. » D'Ewes cite ce fait du parlement anglais. « Sir Robert Cecil
proposa, dans la session de 1601, que l'orateur se rendit auprès du lord garde
du grand sceau pour conférer de quelque affaire ; sir Edmond Hobby prit la
parole, s'éleva dans des termes très forts contre cette proposition, comme
attentatoire à la dignité de la chambre ; le secrétaire d'Etat fit des excuses
convenables. » (D'EWES, p. 486, cité par HALLAN, chap. V). En Belgique, (page 47), les ministres, quand ils en
sont requis, se rendent même dans les sections centrales.
Les
principes consacrés par les art. 89 et 91 : - « En
aucun cas l’ordre verbal ou écrit du roi
ne peut soustraire un ministre à la responsabilité ; - Le roi ne peut
faire grâce au ministre condamné... que sur la demande de l'une des deux
chambres » - furent aussi longtemps contestés. Notamment dans l'accusation
contre lord Danby(1679), la chambre des communes soutint ces deux points : 1°
que l'ordre écrit du roi ne pouvait point absoudre son ministre ; 2° que la
grâce du roi ne pouvait soustraire un ministre à sa condamnation (HALLAM,
Histoire constitutionnelle, chap. XII. ).
La
section première du chap. II, art. 60 à 85, détermine les pouvoirs du roi. Elle
consacre les principes de la monarchie tempérée, admis de temps immémorial, en
Angleterre. Macaulay dit, relativement à la limitation de la prérogative : «
Mais son pouvoir (du roi), quoique étendu, était limité par trois grands
principes constitutionnels, si anciens que nul ne peut dire quand ils
commencèrent à exister, si puissants que leur développement naturel, continué
pendant plusieurs générations, a produit l'ordre des choses sous lequel nous
vivons. Premièrement, le roi ne peut faire la loi sans le consentement du
parlement. Deuxièmement, il ne peut imposer aucune taxe sans le consentement du
parlement. Troisièmement, il était tenu de conduire le pouvoir administratif
conformément aux lois du pays, et, s'il enfreignait ces lois, ses conseillers
et ses agents étaient responsables. » (History, etc.,
t. I, chap. I.) Toutes ces limites sont fermement tracées dans notre
Constitution.
Faisons
encore, en passant, un rapprochement historique. La première assemblée
nationale, qui ait reçu le nom de (page
48) parlement, fut convoquée à Oxford, le 11 juin 1258. On y arrêta des
règlements, connus sous le nom de « provisions d'Oxford »,
développements et garanties du pouvoir populaire. Le roi Henri III les jura. Le
pape le délia de son serment. L'affaire fut remise à l'arbitrage de saint
Louis, qui maintint tous les anciens privilèges de la nation anglaise. (GUIZOT,
Histoire des origines, etc., t. II, XIIe leçon).
Edouard
Ier, dans un parlement réuni à Lincoln, en 1501, confirma toutes les chartes,
rudiments des libertés du peuple anglais. Une bulle du pape Clément V (5
janvier 1305) déclare abrogées, nulles et sans effet, toutes les promesses et
concessions faites par Edouard. Le prince n'osa ni s'en prévaloir, ni la
publier '. (GUIZOT, Histoire des origines, etc., t. II, Xe leçon).
Vers
1302, le pape Boniface VIII prétendit à un droit de suprématie temporelle sur
les affaires du royaume de France. Pendant que le pape convoque un concile
général, le roi Philippe le Bel réunit les états généraux à Notre-Dame de
Paris. Les représentants de la bourgeoisie disaient au roi : « A vous,
très-noble prince, supplie et requiert le peuple de vostre
royaume, que ce soit fait que vous gardiez la souveraine franchise de vostre royaume, qui est telle que vous ne recongnoissiez, de votre temporel, souverain en terre, fors
que Dieu ... ». (AUGUSTIN THIERRY, Essai sur l'histoire, p. 42.)
En
1831, le Congrès national de Belgique vote définitivement la Constitution. Le roi
Léopold Ier jure de l'observer. Elle consacre, d'une manière absolue, la
liberté d'opinions, la liberté des cultes, la liberté de la presse.
L'Encyclique du 15 août 1832 condamne toutes ces prescriptions fondamentales :
« De cette source infecte de l’indifférentisme découle cette maxime absurde et
erronée, ou plutôt ce délire, qu'il faut assurer à tous la liberté de
conscience. On prépare la (page 49)
voie à cette pernicieuse erreur, par la liberté d'opinions « pleine et sans
bornes, qui se répand au loin, pour le malheur de la société religieuse et
civile...
« Là
se rapporte cette liberté funeste et dont on ne peut avoir assez d'horreur, la
liberté de la presse, pour publier quelque écrit que ce soit, liberté que
quelques-uns osent solliciter et étendre avec tant de bruit.
«
Nous ajouterons que nous n'aurions rien à présager que de malheureux pour la
religion et pour le gouvernement, en suivant les vœux de ceux qui demandent que
l'Église soit séparée de l'État... et
que la concorde mutuelle de l'empire avec le sacerdoce soit rompue.
«
Que nos très-chers fils en Jésus-Christ, les princes, considèrent que leur
autorité leur a été donnée, non-seulement pour le gouvernement temporel, mais
surtout pour défendre l'Église. »
Plusieurs
(THONISSEN, la Belgique sous le règne de Léopold Ier, t. I, pp. 57-64.) ont
défendu cette partie de l'Encyclique par deux moyens : cette allocution n'était
pas adressée à la Belgique seule, mais à tous les États ; elle ne condamne que
la tolérance dogmatique et point la tolérance civile. D'abord, quant à la
généralité de l'anathème, ce qui est vrai pour les autres nationalités doit
l'être pour la nôtre : nous devons prendre pour nous l'avertissement, si nous
ne sommes pas formellement exceptés. Ensuite, quant à la distinction, elle nous
paraît renfermer - comme c'est souvent le cas pour les
distinguo - une confusion d'idées et de langage. La condamnation de la
presse s'adresse à la publication des livres et non point à leur lecture. Pour
cette dernière, il y avait déjà la prohibition par l'index, et, si large
qu'elle soit, les catholiques doivent y obéir. L'anathème de l'Encyclique
s'adresse donc à la presse, en tant qu'elle est un instrument de publicité. Or,
il en est de cette liberté comme de beaucoup d'autres : elle est, (page 50) ou elle n'est pas ; la
limiter, c'est la tuer. Pour qu'on sache si un livre est bon ou mauvais, il
faut qu'il existe, qu'il soit livre ; à moins qu'on n'exige l'approbation
préalable, l'apposition de l'imprimatur. D'ailleurs, un ouvrage peut être bon pour
les dissidents, mauvais pour les catholiques, ou vice-versa : quand il sera
imprimé, chaque chef de croyance verra s'il peut le conseiller, le tolérer ou
le proscrire, par rapport à ses coreligionnaires. Ces répugnances du clergé,
soit protestant, soit catholique, contre la liberté de la presse, ne sont pas
nouvelles ; nous les rencontrons à chaque page de l'histoire. Sous Charles II,
un statut de 1662, ordonne que « les livres de théologie, de médecine ou de
philosophie ne pourront être imprimés qu'après qu'ils seront autorisés par les
évêques de Cantorbery ou de Londres, ou, s'ils sont
imprimés dans l'une ou l'autre université par son chancelier. » (HALLAN,
Histoire constitutionnelle, t. IV, chap. XIII). - Sous Jacques II, une loi de
1679 fait revivre la censure de la presse (MACALLAY, History,
etc., t. I, chap. V.) - Dans le seizième siècle, la Sorbonne de Paris obtient
une ordonnance royale qui supprime l'imprimerie (MICHELET, Réforme, p. 396.
Voir, plus bas, au présent livre Ier, pp. 60-64). - Sous Marie Thérèse, la
double censure, civile et ecclésiastique, est imposée à la publication et à la
vente des livres. Pendant ce règne, les peines prononcées par les anciens édits
contre certaines publications, ont été quelque peu radoucies, tout en restant très-sévères.
Et, cependant, telle est l'animosité constante du clergé contre la presse, que
la grande impératrice fut obligée de réprimer, plus d'une fois, les excès du
zèle inintelligent de l'autorité ecclésiastique. Nous en aurons bientôt la
preuve, en examinant le décret du Congrès, relatif à la presse. — Le
« Jugement doctrinal », publié, sous Guillaume, à la fin de 1815, au
nom des chefs de tous les diocèses des parties méridionales du royaume des
Pays-Bas, défendait (page 51) de prêter serment à la nouvelle Constitution,
déclarant que jurer de maintenir la liberté de la presse, « c'est ouvrir la «
porte à une infinité de désordres ... » (DE GERLACHE, Histoire du royaume des
Pays-Bas, t. II. - THONISSEN, la Belgique, t. II).
A
quoi tout cela conduit-il ? Luther brûle les bulles du pape ; les papes font
brûler les bibles de Luther ; le bourreau brûle pour tout le monde. Si un écrit
est mauvais, tuez-le par votre polémique ; s'il est bon, vous avez beau le
livrer aux flammes : il renaîtra de ses cendres, avec la force que donne le
droit persécuté, avec l'attrait qui s'attache à la couronne du martyre.
L'opposition
de l'Encyclique à nos libertés constitutionnelles s'explique facilement. Rome,
c'est l'autorité incontestée, incontestable. Les chartes, les constitutions, le
régime représentatif surtout, c'est l'autorité toujours accompagnée de contrôle
et de contrepoids. Entre de telles autorités, il peut y avoir trêve, entente
tacite ; il ne peut y avoir d'union sincère (Note de bas de page : Voir
les stipulations du Concordat austro-italien, de 1855. Il rétablit la dîme,
donne au clergé la haute main sur l'instruction, accorde des privilèges aux
clercs condamnés pour crimes ou délits. L'épiscopat italien en profite pour
asservir la presse. Les journaux catholiques étrangers et une partie des nôtres
se pâment d'aise, à la vue de pareils résultats). Nous avons entendu dire à un
membre très-influent du parti catholique, à la Chambre, qu'il avait acquis, en
remplissant une mission diplomatique à Rome, la conviction de l'inutilité, pour
la Belgique, d'avoir, en présence de notre Constitution, qui permet la
correspondance directe de nos évêques avec leur chef spirituel, un
représentant, à poste fixe, près du saint-siège. Si
nos souvenirs sont fidèles, il doit avoir ajouté qu'il avait émis cet avis dans
un document officiel. Cette appréciation a été confirmée par les faits ; de
toutes nos missions diplomatiques, celle de Rome a été le plus souvent sans
titulaire, sede vacante, ou remplie par de simples
chargés d'affaires.
(page 52) Des comparaisons
constitutionnelles qui précèdent, il résulte, à l'évidence, que notre parlement
possède un pouvoir et des droits que les assemblées nationales d'autres pays et
d'autres siècles n'ont pas toujours eus, ou ont mis beaucoup de temps à
acquérir. Mais il est constant aussi que ces progrès étaient entrevus et
désirés à des époques très-reculées. En France, on trouve, dans les résolutions
des états généraux de 1355, des formules qui égalent les garanties modernes
dont se compose le régime de la monarchie constitutionnelle. Ainsi, «
l'autorité partagée entre le roi et les trois états représentant la nation ; -
l'assemblée s'ajournant elle-même « et à terme fixe ; - l'impôt réparti sur
toutes les classes de personnes et atteignant jusqu'au roi ; - la défense de
traduire qui que ce soit devant une autre juridiction que la justice
ordinaire... » Le cahier du tiers état. aux états
généraux de 1560, contient des demandes non moins sérieuses : « L'attribution
d'une part des revenus ecclésiastiques à l'établissement de nouvelles chaires
dans les universités et à l'érection, dans chaque ville, d'un collège municipal
; - l'interdiction aux prêtres de recevoir des testaments ; - la « réduction
des jours fériés aux dimanches et à un petit nombre de fêtes (c'est, en partie,
l'art. 15 de notre Constitution) ; - la tenue des états généraux une fois au
moins tous les cinq ans. » Le cahier de 1615 est encore plus hardi ; il demande
: « La convocation périodique des états généraux ; - que les crimes ecclésiastiques
soient jugés «par les tribunaux ordinaires ; — que tous les curés, sous peine
de saisie de leur temporel, soient tenus de porter, chaque année, au greffe des
tribunaux, les registres des baptêmes, mariages et décès, paraphés à chaque
page et cotés (c'est presque la sécularisation de l'état civil), etc. » (Voir,
sur ces ardentes aspirations du tiers état, AUGUSTIN THIERRY, Essai sur
l'histoire, etc., pp. 44, 102, 158).
(page 53) Quant à l'Angleterre, il serait
trop long de signaler tous les efforts faits, à diverses époques, par le
parlement, pour s'assurer la plénitude de son pouvoir. Contentons-nous de citer
la proclamation votée le 18 décembre 1621, sous le nom de protestation :
«
Les communes actuellement assemblées, ayant à défendre une juste cause et à
maintenir les libertés, franchises, privilèges et juridiction du parlement,
font la protestation suivante :
«
Les libertés, franchises, privilèges et juridiction du parlement sont le droit
natif, ancien, incontesté, l'héritage des sujets d'Angleterre.
« Les
affaires graves et urgentes concernant le roi, l'État, la défense du roi et de
l'Église d'Angleterre, le soin de faire et de maintenir les lois, de redresser
les plaintes et les griefs qui s'élèvent journellement, sont l'objet légitime
des débats du parlement.
«
Dans la discussion de ces affaires, chaque député a, de droit, liberté entière
de parler, proposer, discuter et terminer lesdites affaires. » (MATTER,
Histoire des doctrines, t. II, p. 85)
En
Espagne, pays si lent à se sauver de ses propres agitations par l'adoption d'un
bon régime représentatif, les aspirations libérales sont aussi fort nettes et
fort anciennes. La Sainte-Ligue LIGUE de Castille envoya à Charles-Quint, alors
en Allemagne, un ultimatum ainsi conçu : « Le roi devra résider en Espagne, y
rentrer sans amener d'étrangers...
«
Pour les taxes, on s'en tiendra purement et simplement aux anciennes.
«
Désormais, chaque ville enverra aux cortès trois députés, choisis séparément
par le clergé, la noblesse et le tiers état.
(page 54) « La cour laissera les
élections libres.
« Aucun
député ne pourra recevoir ni office ni pension du roi, soit pour lui, soit pour
des personnes de sa famille, sous peine de mort et de confiscation de ses
biens. (Notre art. 36 est moins dur.)
«
Chaque ville entretiendra son délégué. (C'est le principe de l'indemnité de
notre art. 52.)
«
Les états, convoqués ou non, s'assembleront au moins « une fois tous les trois
ans.
«
Tous les privilèges obtenus par la noblesse, au préjudice des communes, sont
révoqués. (C'est notre art. 78.)
«
Les terres des nobles seront assujetties aux mêmes taxes que celles des
communes. (C'est notre art. 112.)
«
Les indulgences ne seront prêchées dans le royaume qu'après que l'objet auquel
on compte en appliquer le produit aura été examiné par les cortès.
«
Le roi ne se fera jamais délier de son serment aux présents articles. » (Cité
par MATTEB, Histoire des doctrines, t. I, p. 197.)
Si
tous ces vœux anciens, qui ont abouti, pour beaucoup de peuples, aux libertés
constitutionnelles, doivent nous donner foi dans les destinées de l'humanité,
certains reculs, dans les institutions de quelques nationalités modernes,
doivent nous engager à ne modifier, qu'à la dernière extrémité, notre
excellente Constitution. Si la stratégie enseigne que conserver un terrain
conquis est souvent une victoire, l'histoire parlementaire démontre que ne pas
rétrograder est parfois un progrès.
Nous
avons examiné comment sont constitués, en Belgique, le pouvoir législatif et le
pouvoir exécutif. Nous l'avons fait avec quelque étendue. Il le fallait ;
puisque, pour juger des qualités d'un appareil aussi compliqué, il convient
d'en étudier tous les rouages. Le fonctionnement de notre machine (page 55) gouvernementale a été régulier
et durable. A quoi faut-il l'attribuer ? Sans doute aux heureuses combinaisons,
indiquées par l'expérience comme par la théorie et adoptées par les membres du
Congrès, dont quelques-uns avaient de vastes connaissances, beaucoup d'autres
un sens très-droit, tous un sincère patriotisme. Mais, c'est plus haut qu'il
faut en chercher la cause véritable. La Providence, qui tient en ses mains les
destinées des peuples, permet quelquefois, pour l'enseignement du monde, que
des nationalités naissantes et faibles acquièrent, par la sagesse de leurs
institutions ', le droit de s'asseoir solidement à côté de gouvernements
anciens et forts. (« Les institutions libres sont une garantie
non-seulement de la sagesse des gouvernements, mais encore de leur durée. Il
n'y a pas de système qui puisse durer autrement que par des institutions. »
GUIZOT, Cours d'histoire moderne (civilisation en Europe), t. V, XIVème leçon,
p. 21.)
Le
Congrès suspendit ses délibérations sur la Constitution pour s'occuper, le 12
février 1831, et comme pouvoir législatif, de la loi électorale. M. de Theux
avait été chargé du rapport. L'assemblée était alors en plein exercice de son
mandat de constituant. C'est cette circonstance, sans doute, qui fît que ses
résolutions relatives au pouvoir électoral, sans avoir la fixité de ses autres
décrets, acquirent une grande consistance. En effet, la loi électorale n'a
subi, en dix-sept ans, que deux changements dans ses dispositions importantes,
l'abaissement du cens au minimum établi par la Constitution (loi du 12 mars
1848) et l'incompatibilité, établie entre le mandat parlementaire et les
fonctions salariées par l'État (loi du 26 mai 1848).
Les
articles adoptés de la Constitution avaient fixé quatre grandes bases :
l'élection directe, le maximum et le minimum du cens électoral, le principe que
les mêmes électeurs nommeraient les représentants et les sénateurs, enfin, le
nombre (page 56) de ces députés,
calculé sur le chiffre de la population. Et cependant, le Congrès parvint si
difficilement à s'entendre sur l'application de ces principes que, une première
fois, la loi électorale, adoptée article par article, fut rejetée, dans son
ensemble, à la majorité de soixante et quinze voix contre soixante-quatre
(séance du 22 février 1831). Il fallut recommencer, car le pays ne pouvait
rester sans loi déterminant le mode d'élection des futures législatures. Nous
examinerons à la fois les deux discussions : nous pouvons le faire avec
d'autant moins d'inconvénient, que la division des opinions et le premier rejet
de la loi avaient deux causes principales : la fixation du cens et la
répartition des députés entre les divers districts.
Art.
1er. « Pour être électeur, il faut : Être belge de naissance, ou avoir obtenu
la grande naturalisation ; être âgé de vingt-cinq ans accomplis ; verser au
trésor de l'État la quotité de contributions directes, patentes comprises,
déterminée dans le tableau annexé au présent décret. »
M.
Van Snick proposa l'admission des capacités non
censitaires : M. de Foere l'admission des capacités payant le minimum du cens
fixé par la Constitution. Ces propositions furent repoussées : elles étaient la
reproduction de celles qui avaient échoué à la discussion de l'art. 47 de notre
pacte fondamental. Nous nous sommes occupé de cette
question, sous cet article (Voir plus haut, pp. 25-29).
L'art.
18 porte : « Les électeurs se réunissent au chef-lieu
du district administratif, dans lequel ils ont leur domicile réel. » Cette
disposition ne fut point combattue. Chaque membre admettait, sans doute, les
motifs mis en avant, sur ce point, par le rapport de M. de Theux, qui
s'exprimait ainsi : « Quant à la réunion des électeurs, la commission a cru
devoir la fixer au chef-lieu des districts administratifs ; les
(page 57) électeurs y trouvent plus de facilité pour s’éclairer sur leur
choix, ils sont moins exposés à une influence de localité. » Nous citons
ces sages paroles et nous y insistons, pour que personne ne les oublie. Il y a
vingt-quatre ans qu'elles ont été écrites ; mais la vérité a le privilège de ne
pas vieillir.
M.
de Carné aurait voulu une assemblée unique par département ; il trouve
l'assemblée par arrondissement déjà trop étroite. Voici comment il s'exprime à
ce sujet : « En créant des circonscriptions d'arrondissement on plaçait, en
effet, les députés sous une dépendance étroite et toute personnelle avec leur
commettants, on liait la destinée des hommes publies, quelle que pût être leur
importance, aux intérêts et aux caprices d'un petit nombre de familles, et pour
protéger la chambre contre l'esprit de parti, on la livrait à la tyrannie de
l'esprit de localité.
«
Au lieu de faire exprimer aux députés l'opinion d'une importante portion du
territoire, on les institua les serviteurs obligés d'étroites cupidités et ils
eurent l'air d'être des tyrans, lorsqu'ils n'étaient souvent que des esclaves
'. » (Études sur l'histoire, etc., t. II, pp. 175 et 176. Voir, sur le même
objet, un beau discours de M. CASTIAU, Annales parlementaires, 1846-1847, p.
1039).
Quant
à l'éligibilité (art. 41 et 42), pour la chambre des représentants, comme pour
le sénat, elle fut déterminée par l'insertion des art.
50 et 56 de la Constitution.
L'art.
43 rend applicables aux éligibles les incapacités prononcées par l'art. 5. « Ne
peuvent donc être ni électeurs ni élus les condamnés à des peines afflictives
ou infamantes, ni ceux-qui sont en état de faillite ou d'interdiction
judiciaire. »
L'art.
51 fixe, d'après un tableau annexé, un cens différent
(page 58) pour les campagnes et pour
les villes de chaque province. M. de Foere proposa un cens uniforme, celui de
20 florins, minimum admis par la Constitution. Ici, nous n'aurions pu nous
ranger de cet avis. Il est douteux pour nous, que l'instruction fût alors et
soit même aujourd'hui assez répandue, pour abaisser à ce point le signe
extérieur, la présomption légale de la capacité électorale. Les élections
pourraient courir ainsi le danger d'être livrées à la merci des influences
diverses et, par conséquent, de devenir, à un moindre degré, l'expression de la
volonté nationale, dictée par l'intelligence et le libre choix. (Note de bas de
page : « Ne voyez-vous pas que l'esprit de la loi anglaise, aussi bien que
celui de la loi belge, est de favoriser, en les légalisant en quelque sorte,
toutes les influences qui dominent les deux pays : ici l'influence
territoriale, là celle du clergé, et que, sous la forme de démocratie, le
législateur a su atteindre aux résultats les plus aristocratiques ? La concession
de la franchise électorale … présuppose une aptitude suffisante aussi bien
qu'un usage sérieux et pleinement libre du droit lui-même. « (DE CARNÉ, Études
sur l'histoire, etc., t. II, pp. 360 et 361.)). L'amendement ne fut pas adopté.
L'art.
56 détermine le renouvellement par série et l'ordre de sortie de la moitié de
la chambre des représentants et du sénat.
A l'art. 57, M. Séron
proposa d'ajouter ces mots : « Nul ne pourra exercer les fonctions d'électeur,
s'il ne sait lire ni écrire. » Cette proposition fut écartée. Il eût été
difficile de constater l'existence de ce motif d'exclusion. Certes, il est
désirable que chaque électeur sache lire et écrire, mais ne pas le savoir,
n'implique pas nécessairement l'ignorance ni des intérêts politiques, ni des
intérêts moraux et matériels.
Les
autres articles de la loi ne touchent pas aux principes : ils règlent seulement
les formalités, de manière à concilier la célérité nécessaire dans la marche,
avec la sûreté qu'exige une opération aussi importante que celle d'une
élection.
La
loi fut décrétée par quatre-vingt-quatorze voix contre quarante-six, dans la
séance du 3 mars 1831.
(page 59) Il est
aussi impossible de concevoir le gouvernement représentatif - qui n'est que
l'union de l'ordre et de la liberté - sans publicité, que la publicité
elle-même, sans l'entière liberté de la presse. En Angleterre, la presse fut
totalement libre, à dater du bill de libelle, introduit par Fox, en 1792.
M.
de Carné dit, à ce sujet : « La liberté de la presse n'est pas, en Angleterre,
un droit écrit, c'est désormais un de ces axiomes, l'une de ces idées
fondamentales et simples, sans lesquels un peuple ne se comprendrait plus
lui-même. Je ne sais pas de maxime mieux établie, et je ne connais pas, d'un
autre côté, de matière qui ait donné lieu à moins de discussion et de mesures
législatives. Le gouvernement britannique ne songe pas plus à passer des bills
pour régler l'usage de la presse, que la faculté de médecine à tracer des
prescriptions hygiéniques pour mesurer à chacun la dose d'air
respirable. » (Études sur l'histoire, etc., t. II, p. 374).
C'est
la même pensée qu'exprime M. Michelet, dans les termes suivants : « Huit jours
auparavant (15 janvier 1535), « la Sorbonne avait tiré du roi une incroyable
ordonnance qui supprimait l'imprimerie... Le clergé s'y prenait trop tard.
L'art fatal avait tout enveloppé. Et la presse était plus qu'un art : c'était
un élément nécessaire comme l'air et l'eau. L'air est bon, il est mauvais ;
sain ici, là insalubre. N'importe. C'est la condition suprême de l'existence.
On ne supprime pas la respiration, ni pas davantage la presse. » (Réforme,
Paris, 1855, p. 396).
Mais,
avant d'examiner les dispositions libérales sur la presse, heureux fruits de
notre émancipation politique, voyons rapidement ce qui existait, en cette
matière, pour les provinces belgiques, dans les temps
reculés. En établissant ainsi le point de départ et le point d'arrivée, nous
constaterons (page 60) tout le
chemin parcouru, tous les progrès accomplis ; et le but atteint nous paraîtra
plus précieux, si nous le mettons en regard du régime arbitraire, que nos pères
ont subi.
Sans
remonter plus haut, prenons l'édit du 12 février 1739, défendant de composer,
répandre dans le public et débiter des pasquinades et libelles diffamatoires.
Voici les peines comminées contre ces délits : « savoir, celle du dernier
supplice et confiscation des biens, à charge de ceux qui auront osé composer,
vendre ou débiter quelques libelles ou écrits qui impugnent
aucun point de notre sainte religion, ou sont contraires à la tranquillité
publique, etc. - Peines corporelles, avec la moitié de la confiscation des
biens, pour libelles ou écrits contre les personnes constituées en dignités
ecclésiastiques, ou employées à notre service. - Bannissement perpétuel,
confiscation de la moitié des biens, pour libelles ou écrits contre les
particuliers. » Il n'y avait pas de circonstances atténuantes à invoquer, car
l'édit ajoutait : « Le tout abstraction faite, si les imputations injurieuses
ou offensantes y exprimées pourraient, dans le fond, renfermer quelque vérité,
ou seraient absolument fausses et forgées. Bien entendu que, dans le second
cas, lesdites peines pourraient, par l’arbitrage du juge, être aggravées, même
jusqu'au dernier supplice, lorsque l'atrocité des injures, énoncées dans
pareils libelles, paraîtra exiger telle punition. » (Placards de Brabant, part.
X, f° 195).
En
même temps, l'impression et la vente des livres, même anciens, étant soumises à
l'approbation de la double censure, civile et ecclésiastique, il en résulta de
nombreux conflits entre l'autorité spirituelle et l'autorité temporelle. Cette
dernière intervint de manière à prouver et sa force de résistance et les
incroyables abus qu'elle avait à combattre : quelques citations le prouveront à
l'évidence. - Décret du conseil souverain de 1 (page 61) Brabant, du 20 juin 1739 : « Vu la liste originale des
livres laissés par le feu conseiller Van Soetesté,
remise par la veuve entre les mains du fiscal, censurée et signée, le 16 de
présent mois de juin, par le pléban (censeur ecclésiastique) « Kerssen ; La Cour, à l'intervention dudit fiscal, ordonne
que les livres de droit qui y sont rayés, savoir : Van Espen
opera omnia... Grotius de
jure belli et pacis... « seront
imprimés dans le catalogue, qui sera fait sur ladite liste, et vendus
publiquement. » (Placards de Brabant, part. X, fol. 175). - Décret du 2 mai
1759, signé Charles de Lorraine, prohibant le livre composé par le chanoine de
la métropolitaine de Malines, Dens, sur les billets de
confession ; ce document se termine ainsi :
«
Au surplus, comme il nous est parvenu qu'il se débite aussi dans ces pays un
Index de livres défendus par le pape Benoît XIV, sans qu'il soit muni d'aucune
permission, dans lequel Index se trouvent proscrits les ouvrages du docteur Van
Espen et autres, qui établissent les droits du
souverain et les maximes fondamentales du pays, nous vous ordonnons d'en faire
enlever pareillement tous les exemplaires. » Il fallut y insister ; les
pièces suivantes prouvent que l'hostilité du clergé contre certains livres
était persistante. - Décret du 28 octobre 1761, signé par Marie Thérèse
elle-même, adressé au procureur-général du grand conseil : « II nous a été
rapporté que dans la liste des livres prétenduement
prohibés, qui se trouve à la suite du catalogue du feu archidiacre de Malines, Foppens, l'on a placé un grand nombre de livres d'une
utilité notoire et reconnue et qui ne méritent aucune sorte de flétrissure,
nommément divers ouvrages estimés sur Le concile de Trente, ceux de Dupin sur
l'histoire ecclésiastique..., La défense de la déclaration du clergé de France,
par le célèbre Bossuet, l'histoire des chevaliers de Malthe,
les Institutions au droit (page 62)
ecclésiastique, par Fleury, le Traité de Grotius du droit de guerre et de la
paix, et plusieurs autres livres tant sur « l'histoire que sur d'autres objets.
Nous n'avons pas vu sans étonnement que sur l'approbation que vous avez donnée
à ce catalogue (censuré par l'autorité ecclésiastique), vous avez concouru à faire
envisager ces livres comme prohibés, attendu qu'on ne peut ranger dans cette
classe que ceux qui sont proscrits par nos édits, ou dont l'objet direct est
d'attaquer la religion, l'État, ou les bonnes mœurs ; nous voulons donc bien
vous assurer qu'en vous conformant à ces maximes vous serez, à l'avenir, plus
circonspect ; indépendamment de quoi c'est notre intention que les livres
de l'archidiacre Foppens,
qui ne tombent pas dans l'une des catalogues (catégories ? que nous venons
d'indiquer soient vendus publiquement. » (Placards de Brabant, part. X, fol.
196.) Le procureur général, s'étant excusé sur ce qu'il n'avait fait
qu'approuver la censure ecclésiastique, reçut de la ferme impératrice la
réponse suivante : - Décret du 5 novembre 1761 : « Ayant eu rapport de votre
représentation du 2 de ce mois, nous vous faisons la présente pour vous dire
que nos conseillers fiscaux devant, par état, veiller à l'ordre public, à la
conservation de nos prérogatives et au maintien des maximes qui constituent le
droit public du pays, ces devoirs ne seraient certainement pas remplis, si vous
consentiez de viser les catalogues des livres à vendre, d'après l'approbation
du censeur ecclésiastique, vu les principes que les gens d'Église cherchent
souvent à faire valoir au préjudice des droits des souverains, des lois de
l'État des libertés et des privilèges des peuples. « Ainsi, inhérant
dans notre décret du 28, c'est notre intention que vous vous conformiez aux
règles que nous y avons u prescrites... (Signé : L'Impératrice-Reine, MARIA.) »
(Placards de Brabant, part. X, fol. 196). (Note de bas de page : Ce ne fut
pas seulement pour la censure des livres que Marie Thérèse fut en lutte avec le
clergé, pendant quarante ans ; les ordonnances el les dates suivantes le prouvent
: - Règlement pour les études à l'université de Louvain, sous la direction du
gouvernement, 1743 ; - Défense à l'évêque de Gand de refuser la tonsure aux
élèves de ladite université, 1743 ; - Grand nombre de lettres cassatoires, annulant les décisions de l'autorité
ecclésiastique, comme contraires à l'autorité civile ; - Décret limitant le
droit d'asile dans les couvents et les églises, 1742 ; - Défense au clergé de
réciter l'office de Grégoire VII, comme contenant des énonciations injurieuses
à tous les souverains et attentatoires à leur autorité, 1742 ; - Défense
d'ériger de nouvelles fondations, sans son consentement ; défense d'acquérir,
pour les établissements existants, donc limitation de la mainmorte, 1753 ; -
Ordonnance de se conformer à l'art. XX de l'édit perpétuel, donc progrès vers
la sécularisation de la tenue de l'état civil, 1754 ; - Défense d'admettre les
novices avant l'âge de vingt-cinq ans ; les évêques réclament comme corps
d'évêques, leur dépêche est renvoyée, l'impératrice ne reconnaissant pas de
corps d'évêques, dans les provinces belgiques ; les
prélats réclament individuellement ; la défense est maintenue, 1772 ; -
Règlement pour l'érection, dans quatorze villes, d'établissements
d'enseignement moyen aux frais de l'Etat, 1772 ; - Approbation de la bulle du
pape Clément XIV, « Dominus ac Kedemptor,
» supprimant l'ordre des Jésuites, 1773 ; - Ordonnances pour la vente des biens
dudit ordre, 1773. L'histoire véritable du long règne (1740 à 1780) de Marie
Thérèse, ce grand roi, est toute entière dans les placards de Flandre et de
Brabant.)
Cet
(page 63) avertissement si sévère ne
suffît pas encore ; nous trouvons, en effet, quelques années après, les
admonitions suivantes : - Décret du 4 août 1764 : « Nous étant revenu que
divers catalogues de livres que l'on expose en vente ne passent pas par
l'examen du censeur royal et que l'on se borne à la seule approbation du
censeur ecclésiastique, d'où il résulte que quantité de livres de la plus
grande utilité et contenant les meilleures maximes pour l'État, y sont
proscrits, tandis que d'autres, opposés à ces maximes, ou bien à la religion et
aux bonnes mœurs, y sont présentés comme bons et approuvés. Qu'au surplus, il
se rencontre entre les catalogues, ainsi censurés par le seul censeur
ecclésiastique, quantité de contradictions, les unes en rejetant, les autres en
admettant les mêmes livres, et voulant remédier à cet abus, etc., voulons et
statuons, pour règle générale, que (page
64) lorsque les catalogues de livres auront été examinés par le censeur
ecclésiastique, ils soient examinés par les censeurs fiscaux, etc. » (Signé :
Charles de Lorraine.) - Décret du 14 août 1766, adressé au chanoine de Saint-
Pierre à Louvain... « Etant informé que, pendant l'année dernière, vous avez
censuré certain catalogue de livres de la Bibliothèque du feu prince de Rubempré, destinés à être vendus à Bruxelles, nous vous
faisons la présente pour vous dire que nous entendons que désormais vous vous
absteniez d'exercer votre censure sur d'autres livres que sur ceux qui s'impriment
à Louvain. » (Signé : Charles de Lorraine.) (Placards de Brabant, part. X, fol.
195-197. Voir, ibid., les décrets défendant la Gazette de Cologne (fol. 180),
la Gazette. d'Haerlem (fol.
183), la Gazette de Francfort (fol. 187)).
Nous
livrons ces documents, sans commentaires, à la sagacité du lecteur : ils
parlent plus haut et plus clairement que nous ne pourrions le faire nous-même !
En
Belgique, dès le 16 octobre 1830, le Gouvernement provisoire prit un arrêté,
dont l'art. 2 était ainsi conçu : « Toute loi, ou disposition qui gêne la libre
manifestation des opinions et la propagation des doctrines par la voie de la
parole, de la presse, ou de l'enseignement, est abolie. » Le 12 avril 1831, une
commission est chargée de rédiger un projet de décret sur la presse : On ne
trouve pas de trace de son travail. Le ministre de la justice, M. Barthélemy,
déposa un projet sur cet objet (E. HUYTTENS, Discussions, etc., t. V, p. 199).
A la demande de M. Raikem, une nouvelle commission est nommée et, dans la
séance du 19 juillet, M. de Theux soumet un rapport, qui fait connaître que la
commission s'est bornée à exprimer le vœu que la prochaine législature
s'occupât de cette révision. M. le rapporteur prétendait que les lois de 1829
et 1830 étaient encore en vigueur et pouvaient nous régir. Cet ajournement fut
(page 65) repoussé, par le motif que
les dispositions des lois de 1829 et 1830 ne pouvaient se concilier avec la
liberté de la presse, et que, cependant, elles n'étaient pas légalement
abrogées, dans toutes leurs parties, par l'arrêté du gouvernement provisoire.
Une commission (MM. Van Meenen, Rogier, Dumont, Dubus aîné, Devaux, rapporteur)
est chargée de s'occuper, séance tenante, de cette importante question. Dans la
séance du 20 juillet 1831, le projet fut admis par quatre-vingt-onze voix
contre vingt-cinq. Les dispositions de ce décret tendent à réprimer les
attaques méchantes contre la force obligatoire des lois, l'autorité
constitutionnelle du roi et les droits ou l'autorité des chambres ; la calomnie
ou l'injure envers des fonctionnaires publies, des corps dépositaires ou agents
de l'autorité publique. D'autres articles assurent le droit de réponse et
l'obligation de signer le journal.
Ce
décret, dont la force obligatoire a été prolongée par la loi du 19 juillet
1832, a été remis en vigueur par celle du 6 juillet 1833. Il a été modifié, en
ce qui concerne les offenses envers le roi et envers les membres de la famille
royale (loi du 6 avril 1847) ; et aussi pour les offenses envers la personne
des souverains ou chefs des gouvernements étrangers (loi du 20 décembre 1852).
Par
une espèce de compensation, on admit, depuis lors, l'exemption du droit de
timbre pour les journaux (Loi du 25 mai 1848). Il a été souvent question du
rétablissement de cet impôt. S'il était adopté de nouveau, il ne pourrait
jamais l'être, suivant notre conviction, que pour ce qu'on nomme la quatrième
page, pour la boutique à annonces, s'il est permis de s'exprimer ainsi. Il peut
être logique d'exiger un droit de timbre de l'annonce tirée à deux mille et
sept mille exemplaires, quand on le demande à la simple affiche de vente ou de
location. (page 66) Mais, il faut considérer que
beaucoup de journaux ne pourraient plus exister, dans les petites localités
surtout, sans l'entier produit de leurs insertions. Or, ceux qui croient à
l'utilité de la publicité par la presse - nous avons toujours été de ce nombre
- ne peuvent se rallier au rétablissement, même partiel, du droit du timbre sur
les journaux.
Un
ouvrage de statistique (Exposé de la situation du royaume, 1841-1850, Bruxelles,1854, in-4, t. III, p. 202), estimé à juste titre, nous
fait connaître l'incroyable accroissement des organes de la publicité. Le
nombre des journaux soumis au timbre, dans tout le pays, était, en 1830, de
trente-quatre ; pendant le premier trimestre de 1848, il montait à deux cent
deux : il n'a fait qu'augmenter depuis. En 1841, le total des feuilles timbrées
s'élevait à deux millions deux cent vingt-sept mille huit cent dix-sept,
donnant un produit en principal de 289,122 francs : en 1847, on débita dix
millions six cent quarante-quatre mille deux cents timbres, produisant 384,099
francs. Un journal (Émancipation du 12 octobre 1834) a donné les chiffres
suivants : « En 1830, on ne comptait, en Belgique, que vingt-sept journaux avec
trente- deux mille abonnés environ. En juin 1854, il y avait cent
cinquante-huit journaux avec quatre-vingt-dix-sept mille abonnés
approximativement. » Dans la séance de la chambre du 5 février 1855, M. le
ministre des travaux publics dit, à propos de l'augmentation du traitement des
facteurs de la poste : « Le nombre des journaux distribués, qui était de quatre
millions, est aujourd'hui de seize millions. » (Annales parlementaires,
1854-1855, p. 659. J. MALOU, Notice statistique sur les journaux belges
(1830-1842). (Extrait du tome I du Bulletin de la commission centrale de
statistique de Belgique.) Cet opuscule contient les détails les plus
intéressants sur la presse périodique de cette époque. C'est la statistique la
plus complète et la mieux faite que nous ayons
rencontrée sur cet objet).
« Il résulte, dit un autre journal, d'un
tableau des journaux belges, dressé récemment par l'administration des postes,
qu'il existe, en Belgique, deux cent cinq journaux ou revues périodiques
répartis de la manière suivante : Anvers (page
67) vingt, Brabant soixante, Flandre occidentale quarante, Flandre
orientale trente-trois, Hainaut dix-sept, Liège dix-huit, Limbourg sept, Luxembourg
cinq, Namur cinq. Les journaux quotidiens qui se publient à Bruxelles sont au
nombre de dix-sept.» (Indépendance du 8 janvier 1856). Cette progression prouve
que la population prend, de plus en plus, intérêt aux affaires publiques. (Voir
aux Pièces justificatives, n°VIII, une statistique du
Journalisme en Belgique, au commencement de 1856).
La
douceur de la législation sur la presse, en notre pays, qui a permis cet
accroissement important, et l'abolition du timbre qui promet un développement
plus considérable encore, imposent, d'autre part, de nouveaux devoirs aux
organes de la publicité. S'il veut conserver la bienveillance du législateur,
la sympathie de l'opinion publique et sa propre autorité, le journalisme est
tenu à une grande réserve envers les lois et les autorités constitutionnelles.
Certes, beaucoup de journaux comprennent, comme nous, ce que leur devoir et
leur intérêt leur commandent : mais, quelques-uns, en petit nombre, il est
vrai, gagneraient beaucoup, en usant de plus de retenue à l'égard des personnes
et en s'exprimant avec plus de dignité sur les choses. Après tout, ces défauts
partiels sont corrigés par la discussion, par le droit de réponse et plus
encore par l'esprit sensé et peu inflammable de nos populations. Ce serait à tort,
pensons-nous, qu'on argumenterait de rares excès (Note de bas de page :
Dans l'Exposé de la situation, t. III, p. 352, nous voyons que le nombre des
condamnations pour crimes et délits, par voie de la presse, a été le suivant,
de 1840 à 1849 : Délits politiques, 1 ; attentats aux mœurs, 6 ; calomnies, 27
; injures, 4) pour mettre les moindres entraves à l'une de nos plus précieuses
libertés.
(page 68) Voici, à
cet égard, l'opinion de Benjamin Constant : « Mais lorsqu'il n'y a dans un pays
ni liberté de la presse ni droits politiques, le peuple se détache entièrement
des affaires publiques ; toute communication est rompue entre les gouvernants
et les gouvernés... L'opinion publique est la vie des États ; quand l'opinion
publique est frappée dans son principe, les Etats dépérissent et tombent en
dissolution. En conséquence, remarquez-le bien, depuis la découverte de
l'imprimerie, certains gouvernements ont favorisé la manifestation des opinions
par le moyen de la presse. D'autres ont toléré cette manifestation ; d'autres
l'ont étouffée. Les nations chez lesquelles cette occupation de l'esprit a été
encouragée ou permise, ont seules conservé de la force et de la vie. Celles
dont les gouvernements ont imposé silence à toute opinion ont perdu
graduellement tout caractère et toute vigueur. » (Commentaire sur l'ouvrage de Filangieri, 1ère partie, pp. 75 et 76).
L'histoire
nous enseigne que sous tous les despotismes, oligarchiques ou d'un seul, la
liberté de la presse a été sacrifiée. En France, les mesures les plus
restrictives sont prises contre elle, et sous la république et sous les deux
empires. En Angleterre, le gouvernement républicain, qui succéda à Charles Ier,
porta une loi qui accordait à quatre villes seulement - Londres, York, Oxford
et Cambridge, - le privilège d'imprimer. (GUIZOT, Discours sur l'histoire,
etc., p. 32).
Nous
venons de voir que la loi sur la presse réprime les attaques publiques et
méchantes « contre les droits et l'autorité des Chambres. » C'est là
la conséquence de la prescription de l'art. 98 de la Constitution ainsi conçu :
« Le jury est établi en toutes matières criminelles et pour délits politiques
et de (page 69) la presse. » Au jury
seul appartient donc de prononcer sur les attaques, par voie de la presse,
contre les Chambres. Mais qui sera juge, si le Parlement venait à être attaqué
par une autre voie ? L'une ou l'autre Chambre peut-elle, comme en Angleterre,
citer à sa barre ceux qui l'auraient offensée ? Nous ne le pensons pas ; car la
personne citée pourrait prétendre qu'elle a usé d'un droit et invoquer les
dispositions constitutionnelles suivantes : « Les contestations qui ont pour
objet des droits politiques sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions
établies par la loi (Art. 93). » « Nul tribunal, nulle juridiction contentieuse
ne peut être établie qu'en vertu d'une loi (art. 94). » Il faudrait donc une
loi pour que les Chambres pussent se faire justice à elles-mêmes contre des
attaques autres que celles qui partent de la presse. A présent, nous nous
demandons : Est-il bon qu'une telle loi soit formulée et admise ? Et nous
n'hésitons pas à répondre négativement. Pour appuyer notre opinion nous
n'aurions qu'à invoquer ces principes : Nul ne peut se rendre justice à
soi-même ; nul ne peut être, à la fois, juge et partie. Mais c'est dans les
précédents constitutionnels d'autres peuples que nous devons chercher la preuve
de l'inutilité, pour ne pas dire des dangers d'une telle loi.
La
Constitution des États-Unis, moins ancienne que le droit constitutionnel
anglais, ne confère au Congrès qu'une seule juridiction répressive, c'est celle
de prononcer la peine pour trahison contre les États-Unis, crime défini par la
même disposition (art. 3, section III, §§ 1 et 2). Les règlements des deux
Chambres leur confèrent certains pouvoirs contre leurs propres membres
(amendes, détention), mais pas contre d'autres personnes.
En
Angleterre, l'usage, plus encore que le droit écrit, donne aux deux Chambres
des prérogatives et une juridiction non seulement contre leurs propres membres,
mais aussi contre des personnes étrangères à chaque assemblée. Nous (page 70) les indiquerons brièvement,
pour prouver combien ce privilège est dangereux, dans les temps agités surtout,
entre les mains d'assemblées nombreuses et omnipotentes.
Les
peines pour ce qu'on nomme violation de privilège, s'appliquent ou à des
membres de l'assemblée, ou à des personnes étrangères. Pour les premiers, elles
allaient jusqu'à l'emprisonnement, d'ordinaire pour la durée de la session,
l'expulsion, l'amende (affaire Hall), et, chose exorbitante, l'incapacité
d'être réélu (affaire de l'élection de Middlesex, 1769). On sait l'abus qui fut
fait du droit d'expulsion tant par le Long-Parlement qu'en 1680. En 1714, R.
Steele fut expulsé de la chambre basse, pour avoir écrit la « Crise »,
pamphlet dirigé contre les ministres. La Chambre des lords envoya quatre de ses
membres à la Tour, en 1677 ; parmi eux se trouvait le comte Shaftesbury, pour
acte de mépris, c'est-à-dire pour avoir mis en doute, dans un débat, la continuation
légale du parlement après une prorogation de douze mois.
Le
pouvoir des deux chambres anglaises sur des personnes qui n'en font pas partie
fut aussi l'occasion de nombreux abus, de déplorables conflits des deux
assemblées entre elles ou avec les cours judiciaires. Car cette prérogative
s'exerçait non-seulement pour violation de privilège contre des membres isolés
ou les assemblées tout entières, mais aussi pour la réparation d'un dommage
civil, éprouvé par un membre (enlèvement de bois ou charbon, pêche illicite,
etc.). La Chambre plaça, en 1701, sous la garde du sergent d'armes, l'auteur
d'une pétition qui n'était pas irrespectueuse, mais contraire à l'opinion de la
majorité. En 1721, elle fit mettre en prison l'imprimeur Mist,
pour publication d'un journal, dans lequel il n'y avait nulle offense contre le
Parlement (HALLAN, Histoire constitutionnelle, chap. XVI).
Nous
ne citons que quelques abus ; mais ils sont nombreux ceux qui prouvent les
dangers d'une juridiction aussi étendue, (page
71) exercée par des assemblées nombreuses, sans contrepoids et sans
contrôle. C'est donc avec raison que notre Constitution a laissé à la loi le
soin de régler si d'autres que les tribunaux pourront être saisis des
contestations qui ont pour objet des droits politiques. Ce serait à tort,
pensons-nous, et à moins de nécessité évidente, que l'on présenterait une loi
nouvelle, pour donner aux chambres une juridiction propre. Le respect de la
nation, les discussions de la tribune, les controverses de la presse et, au
besoin, la justice des tribunaux ordinaires sont pour elles des sauvegardes
suffisantes, des garanties autrement fortes qu'une prérogative propre, un
privilège, comme il en existe en Angleterre.
Au
milieu de ses préoccupations politiques et de son travail de constituant, le
Congrès songea aussi à assurer une bonne gestion financière. Le sentiment
public était encore tout ému des griefs qu'avaient soulevés les opérations
obscures et la marche tortueuse du syndicat d'amortissement. Il s'agissait de
porter la lumière et d'introduire l'ordre dans les recettes et les dépenses de
l'État. C'était bien faire augurer de l'avenir que de montrer cet esprit de
contrôle, ce souci de la règle, dans un moment où les événements avaient jeté
quelque confusion dans toutes les branches de l'administration publique.
Un
décret du 30 décembre 1830 institua une Cour des comptes : un autre décret de
la même date fixa le mode de nomination des membres qui doivent composer ce
corps. Le 9 avril 1831, le Congrès approuva le règlement d'ordre que la Cour
devait, aux termes de l'art. 17 des statuts d'institution, soumettre à
l'approbation de l'assemblée constituante (Pasinomie, 3ème série, t. I, pp.
115,117, 323 ; Manuel de la Chambre, pp. 519-542).
D'après
ces dispositions, la Cour des comptes de Belgique se compose d'un président, de
six conseillers et d'un greffier. La première nomination fut faite par le
Congrès lui-même. (page 72) L'art. 1er porte que ses membres
sont nommés, tous les six ans par la Chambre des Représentants, qui a toujours
le droit de les révoquer ; ils doivent avoir au moins trente ans, le greffier
au moins vingt-cinq ans ; ce dernier n'a pas voix délibérative. L'art. 2
établit les incompatibilités ; les membres de la cour ne peuvent faire partie
de l'une ou de l'autre Chambre. Remarquons en passant que le principe des
incompatibilités parlementaires se trouve ainsi admis par le Congrès. Les
autres articles règlent les attributions et fixent les traitements à 5,000
florins des Pays-Bas, pour le président ; à 2,500 florins, pour les conseillers
et le greffier. Ce taux est évidemment peu convenable pour une position aussi
haute, peu en rapport avec les travaux qu'elle impose. Nous le verrons élevé
aux chiffres respectifs de 9,000 et 7,000 francs, en 1846 ; puis réduit à ceux
de 8,000 et 6,000 franes, en 1848.
Cette
institution, d'origine très-ancienne en Belgique, est très considérée partout.
Le privilège d'avoir une Chambre des comptes fut garanti à la province de
Brabant par l'art. 25 de la Joyeuse entrée du 9 septembre 1494 (Placards de
Brabant, t. I, fol. 184). Sous
Marie-Thérèse, la chambre des comptes occupait déjà un rang parmi les grands
corps de l'Etat (CHARLES STEUR, Mémoire couronné etc., de 1827, p. 24). Du
temps du premier empire français, cette Cour prenait place après la Cour de
cassation. Le rapporteur de la loi du 16 septembre 1807 appréciait ainsi cette
magistrature élevée : « Cette considération dont il (l'empereur) l'environne,
cette honorable assimilation qu'il lui donne, pour le rang et les prérogatives,
avec la Cour suprême de justice, conviennent éminemment à un établissement
unique qui, impassible et pur comme la loi dont il sera l'organe, sera juge de
la fortune publique, de celle de tous les comptables ; qui, dispensant
l'honneur et le blâme, rendra prompte et éclatante justice, à qui il
appartiendra (page 73), mais sera le
surveillant et l'ennemi-né et perpétuellement actif de toutes espèces
d'erreurs, de fraudes et de dilapidations. » Disons le hautement, notre
Cour des comptes s'est constamment rendue digne d'un tel éloge, et n'a jamais
failli à sa mission.
Le
20 juillet 1831, le Congrès, avant de se séparer, prit dans une séance de nuit,
qui dura jusqu'à une heure et demie du matin, les résolutions suivantes :
Ajournement immédiat du Congrès après le serment du roi ; dissolution de plein
droit le jour de la réunion des Chambres ; jusqu'à cette dissolution, le roi
seul a le droit de convoquer le Congrès, qui ne pourra exercer que la partie du
pouvoir législatif que la Constitution attribue aux chambres ; le gouvernement
est chargé de faire procéder, dans les quarante jours, aux élections et de
convoquer les chambres dans les deux mois.
Tel
fut le dernier vote de cette illustre assemblée qui, ayant reçu la mission de
fonder la liberté sur l'ordre, sut résoudre, au-delà de tout espoir et dans
l'espace de quelques mois, ce difficile problème, en décrétant une sage
Constitution et en élisant un bon roi (Note de bas de page : Le Congrès ne
fut réuni que huit mois (10 novembre 1830 au 21 juillet 1831). Il tint en tout
cent cinquante-six séances. On peut compter que les communications
diplomatiques et d'autres discussions, étrangères à la Constitution,
absorbèrent le tiers de ces séances).
Le
lendemain, 21 juillet 1831, date historique pour nous, S. M. Léopold Ier prêtait
serment à la Constitution, sur la place Royale, en présence du peuple et du
Congrès applaudissants et venait ainsi clore la
révolution, en ouvrant l'ère du gouvernement représentatif du royaume de
Belgique. (Voir, pour les détails de cette cérémonie, Moniteur, 1831, n°38 ;
TH. JUSTE, Histoire du Congrès, t. 1, p. 352 ;
THONISSEN, la Belgique sous le règne de Léopold Ier, t. I, pp. 1 à 10 ;
DE GERLACHE, Histoire du royaume des Pays-Bas, t. II, p. 211).