« Histoire
du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge », par Théodore
JUSTE
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850, 2 tomes (1er tome :
Livres I et II ; 2e tome : Livres III et IV)
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LIVRE
PREMIER. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE
M. de Celles
demande que l'assemblée décrète l'indépendance du peuple belge.
(page 79) Pour
jouir d'une imposante popularité et prendre rang en Europe, il fallait que le
Congrès abordât hardiment la tache qu'il avait acceptée. Trois questions se
présentaient, que l’assemblée devait résoudre immédiatement si elle ne voulait
perdre son prestige (page 80) aux
yeux de la nation. Investie de la souveraineté populaire, elle devait en faire
usage pour sanctionner sans retard l'indépendance du pays, déterminer la forme
du gouvernement nouveau et rompre les derniers liens qui rattachaient la Belgique à la maison de
Nassau.
Une première proposition fut déposée par M. le comte de
Celles dans la séance du 12 novembre, le lendemain du jour où le corps d'armée
du général Daine avait arboré le drapeau tricolore sur les murs de Venloo. M.
de Celles demandait que le Congrès décrétât l'indépendance du peuple belge et
s'engageât à ne point se séparer avant d'avoir consolidé la liberté de la
patrie. « En 1814, dit-il, on a annexe la Belgique, sans la
consulter, à la Hollande
comme accroissement de territoire. Ce n'était ni dans l'intérêt de la Hollande, ni dans
l'intérêt de la maison d Orange : c était pour la détacher de la France. Je veux que la Belgique ne serve
d'accroissement à aucun pays, et qu'elle ne redevienne jamais département
français. Nous avons autrefois forme un État indépendant sous la maison
d'Autriche; nous devons y revenir. Une déclaration de notre part en 1830 sera
une réclamation de ce que nous avions droit d'attendre en 1814. (Note de bas de
page : Le duc de Saxe-Weimar, général de l'armée combinée russe,
prussienne et saxonne, et le général Bulow, commandant le troisième corps
prussien, avaient dit aux Belges, au mois de février 1814 : « Que la Belgique, jadis si
florissante, se relève, mais qu'elle se relève sous l’égide de l'ordre et de la
tranquillité. Son indépendance n'est plus douteuse... ») Nous avons
perdu en 1814 notre indépendance dans la prévision d'une idée qui n'existe
plus. Le traité de Londres qui avait constitué le royaume des Pays-Bas a été
violé : il ne lie plus personne. » M. de Celles avait motivé sa proposition le
16. La veille, M. Constantin Rodenbach avait soumis à l'assemblée la question
suivante : «Quelle sera la forme du gouvernement ? » Il avait demandé, en
outre, que le Congrès votât l'exclusion à (page
81) perpétuité des membres de la famille de Nassau de tout pouvoir en
Belgique.
Cette dernière proposition, ayant été renvoyée aussitôt à
l'examen des sections, y réunit un nombre prépondérant de voix. Une seule
section sur dix se prononça non pour le rejet, mais pour l'ajournement. Dans
les autres, quelques membres avaient demandé la suppression des mots à perpétuité,
par sentiment de justice et pour ne pas enchaîner les générations futures.
Propositions de M. C. Rodenbach
tendant à déterminer la forme du gouvernement et à exclure les membres de la
maison d'Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique. Débats sur la question de
priorité.
Dirigée contre les espérances et les intrigues du parti
orangiste, la proposition d'exclusion avait déjà soulevé de violents débats. Sa
hardiesse inquiétait les esprits timides et faisait craindre de nouveaux
désastres aux députés des villes occupées par l'ennemi. M. Rodenbach avait
insisté pour qu'elle eût la priorité sur les propositions qui étaient relatives
à la proclamation de l'indépendance de la Belgique et à la forme du gouvernement. M.
Forgeur objecta qu'il fallait vider d'abord la question de la forme du
gouvernement ; car si la république était proclamée, pouvait-on exclure un
homme, quel qu'il fût, du choix du peuple? Des députés d'Anvers et du Limbourg
trouvaient la proposition dangereuse. Elle pouvait nuire, disaient-ils, au
succès des négociations entamées à Londres ainsi qu'à la conclusion de
l'armistice promis ; elle mettrait obstacle à l'évacuation de Maestricht et de
la citadelle d'Anvers ; elle attirerait un nouveau bombardement sur Anvers et
ferait aussi foudroyer Maestricht par les cent cinquante bouches à feu qui la
menaçaient ; enfin, elle aurait pour résultat de faire établir la Constitution sur les
ruines fumantes de ces deux villes. Les partisans de la priorité, monarchistes
ou républicains, répondaient que le sang répandu par les Nassau en Belgique les
avaient rendus indignes de la royauté aussi bien que de la présidence ; qu'il
était temps de mettre un terme aux intrigues, aux suggestions et aux manœuvres
des orangistes : que prononcer l'exclusion, ajoutaient les monarchistes,
ce serait (page 82) faciliter
l'établissement d'un gouvernement monarchique, en ne plaçant plus quelques
membres timorés du Congrès dans la nécessité de sacrifier le désir de la
monarchie à la crainte de la guerre civile. Ils disaient encore que l'on ne
devait point redouter de nouveaux désastres ; que c'étaient là des
raisonnements dictés par la peur; que si le roi de Hollande détruisait Anvers
ou Maastricht, il se placerait hors de l'humanité et romprait les derniers
liens qu'il pouvait avoir avec l'Europe. Partisan de la proposition, M. Nothomb
combattit néanmoins la priorité par des raisons qui exercèrent une puissante
influence sur la détermination de l'assemblée. « Quatre propositions, dit-il,
vous sont soumises : la première est relative à l'indépendance de la Belgique; la deuxième à
la déchéance de Guillaume 1e ; la troisième à la forme du
gouvernement; la quatrième à l'exclusion de tous les membres de la maison
d'Orange. Je crois que c'est dans cet ordre qu'il faut les discuter... Notre
tâche est double, nous devons détruire, puis fonder. Notre tâche est restée
complète. Le gouvernement provisoire a-t-il déclaré l'indépendance de la Belgique? a-t-il prononcé
la déchéance de Guillaume ? Non; comme pouvoir provisoire, il nous a laissé le
soin de prendre ces mesures préliminaires, qui rompront définitivement le
contrat de 1815... Les effets du contrat de 1815 ne sont encore que suspendus ;
c'est à la représentation nationale de l'anéantir à jamais, en déclarant la Belgique indépendante et
Guillaume 1e déchu. C'est par là qu'il faut commencer. Puis, nous aborderons
l'ordre nouveau, nous examinerons la question de forme et celle des personnes.
Ce n'est pas que je recule devant cette dernière question; mais, en bonne
logique, je ne crois pas qu'elle doive primer toutes les autres. » Ces
raisons, dont on ne pouvait contester la justesse, jointes à la crainte ou aux
scrupules qui arrêtaient une certaine fraction de l'assemblée, déterminèrent le
vote. La priorité fut (page 83)
écartée par quatre-vingt-dix-sept voix contre soixante et dix-sept. Le Congrès
résolut de s'occuper d'abord des propositions relatives à l’indépendance de la Belgique et à la forme du
gouvernement avant de discuter l'exclusion des Nassau.
L'indépendance ! Ce mot a toujours fait tressaillir les
peuples ; c’est le but suprême de leurs efforts, quand une main étrangère pèse
sur eux ; c'est leur bien le plus cher : jamais ils ne se consolent de l'avoir
perdu, et, pour le reconquérir, aucun sacrifice ne leur coûte. Mais on a vu
aussi des peuples qui, après avoir perdu leur opulence et leurs libertés, se
roidissaient vainement contre le destin : patrie, nationalité, tout avait été
englouti dans de terribles catastrophes ; il avait fallu plier sous la tempête,
reconnaître les droits de la force, désespérer même de la justice, car on avait
été contraint d'assister, témoin désarmé et impuissant, à la destruction de la
nationalité et au morcellement du sol natal ! Tel avait été pendant longtemps
le sort de la Belgique.
Destinées de
la Belgique
depuis le règne de Charles-Quint ; l'intérêt européen s'est constamment opposé
à l'absorption des provinces belges par l'une ou l'autre des puissances qui les
avoisinent.
On sait que Charles-Quint, continuant avec persévérance
l'œuvre d'agrandissement et de fusion des princes de la maison de Bourgogne,
avait réuni sous son sceptre les belles et riches provinces qui s'étendaient de
la Moselle au
Zuyderzée. Le despotisme politique et le fanatisme religieux de Philippe II
suscitèrent les funestes tempêtes au milieu desquelles s'opéra la division de
ce magnifique héritage et naquit l'antagonisme des Belges et des Hollandais. La
liberté de conscience et le républicanisme triomphèrent au delà de l'Escaut; en
deçà, les Espagnols recouvrèrent un territoire ravagé par une lutte presque
séculaire, et les débris d'un peuple qui avait préféré une transaction avec ses
oppresseurs à une abjuration de la foi de ses pères ! Tandis que Maurice de
Nassau consolide le triomphe du calvinisme dans les Provinces-Unies, une
réaction catholique se manifeste en Belgique le règne des archiducs Albert et
Isabelle.
La séparation du nord et du midi des Pays-Bas, préparée par (page 84) l'union d'Utrecht, et déjà
reconnue par l'Espagne lorsqu'elle signa la trêve de douze ans, fut inscrite
dans le droit public de l'Europe à Munster, le 30 janvier 1648. Le traité de
Munster assimila la république des Provinces-Unies aux puissances légalement
indépendantes et souveraines ; et il condamna la malheureuse Belgique, après le
règne sans lendemain des archiducs Albert et Isabelle, à suivre désormais les
destinées d'une monarchie en décadence. Il la dépouillait en même temps de la
partie septentrionale du duché de Brabant. des métiers de Hulst et d'Axel en
Flandre, et de sa copropriété sur la ville de Maestricht, jusqu' alors possédée
en commun par le duc de Brabant et le prince-évêque de Liége.
Bientôt Louis XIV s'empara de la suprématie qui échappait à
la maison d'Autriche. Le programme de son règne, dépassé par la République et
l'Empire, avait été tracé par Mazarin ; il consistait dans l'adjonction des
Pays-Bas espagnols et dans la conquête de la limite du Rhin. « L'adjonction des
Pays-Bas, avait dit Mazarin, forme à la ville de Paris un boulevard
inexpugnable, et ce serait alors véritablement que l'on pourrait l’appeler le
cœur de la France
et qu'il serait placé dans l'endroit le plus sûr du royaume. L'on en étendrait
la frontière jusqu'à la
Hollande, et du côté de l'Allemagne, qui est celui d'où l'on
peut aussi beaucoup craindre, jusqu'au Rhin, par la rétention de la Lorraine et de l'Alsace
et par la possession du Luxembourg et du comté de Bourgogne... » Comme ce plan,
encore agrandi plus tard, menaçait virtuellement l'indépendance des autres
peuples, il suscita contre la
France ces grandes coalitions qui aboutirent aux traités
d'Utrecht et de Vienne ; il donna naissance à cette politique inflexible,
personnifiée dans Guillaume III, Pitt, Castlereagh, Wellington ; il devait
enfin conduire deux fois, dans Paris même, les armées européennes depuis les
highlanders de l'Ecosse jusqu'aux cavaliers du Don.
(page 85) Le
traité d'Utrecht de 1713 fit déchoir la France du rang de puissance dominante, et
perfectionna le système d'équilibre, si favorable à l'Angleterre pour établir
son influence sur les affaires du continent. Cependant la France, quoique refoulée
dans ses limites, ne perdit point le fruit des conquêtes qu'elle avait faites
avant la guerre de la succession d'Espagne. Ces acquisitions avaient déjà été
confirmées par les traités des Pyrénées, d'Aix-la- Chapelle et de Nimègue.
Louis XIV enleva aux Pays-Bas espagnols l'Artois, la Flandre française, le
Cambrésis, une portion du Hainaut ; enfin Thionville, Montmédi et Dampvillers,
détachées du Luxembourg. Le traité d'Utrecht donna, en outre, aux
Provinces-Unies, la ville de Venloo et sa banlieue.
Pendant les guerres dont nous venons de constater les
résultats, plus d'une tentative avait été faite pour reconstituer, avec
certaines modifications, l'héritage de Charles-Quint. En 1632, lorsque l'indépendance
éphémère dont avaient joui les provinces belges allait disparaître avec
l'infante Isabelle ; en 1603, lorsque Louis XIV commençait à dévoiler ses
projets contre les Pays-Bas espagnols ; en 1706, lorsque Marlborough et le
prince Eugène avaient reconquis nos provinces ; enfin, en 1789, lorsque la Belgique s'insurgea
contre l'empereur Joseph II, des conspirations s'organisèrent, des
manifestations surgirent ou des ouvertures furent faites pour rétablir l'union
du nord et du midi des Pays-Bas. Les Belges la désiraient afin de sortir d'une
position fatale, en se soustrayant à la tutelle impuissante de l'Espagne ; mais
ils la désiraient à des conditions honorables, avec le maintien de leur
indépendance intérieure et de leurs institutions, le libre exercice de leur
culte et une protection assurée à leurs intérêts matériels. De leur côté, les
Hollandais, fiers de leurs victoires sur l'Espagne, de la puissance et de
l’opulence de leur république, ne voulaient pas renoncer à une suprématie
qu'ils croyaient légitime; ils ne voulaient pas non plus rouvrir l'Escaut,
fermé (page 86) par le traité de
Munster. La différence de religion et la crainte de faire revivre la prospérité
d'Anvers au préjudice d'Amsterdam et de Rotterdam, qui avaient hérité des
dépouilles de l'ancienne métropole commerciale des Pays-Bas, furent des
obstacles insurmontables. Il faut ajouter que les Hollandais, préférant leur
puissance maritime à l'espoir de devenir puissance continentale, répugnaient à
se trouver en contact avec la monarchie française. Au système de fédération ou
d'assimilation, à la réunion du nord et du midi, les plus célèbres des hommes
d'Etat de la république batave préférèrent le système de Barrière. Les Pays-Bas
espagnols, anéantis commercialement, ne devaient avoir pour mission, à leurs
yeux, que de garantir leur patrie contre les attaques de la monarchie
française.
Ce système commence à poindre dans les négociations de
Munster, et détermine la
Hollande à abandonner l'alliance française pour se rapprocher
de l'Espagne (Note de bas de page : Un ancien historien justifie la
défection des Provinces-Unies. Il rappelle que le comte de Servien, confident
du cardinal Mazarin, avait reçu de celui-ci des instructions tendant à
perpétuer la guerre : il s'agissait de profiter de l'épuisement de l'Espagne
pour faire des conquêtes dans les Pays- Bas catholiques ; un traité avec
l'Espagne, déjà signé par les autres plénipotentiaires français (le duc de
Longueville et le comte d'Avaux, en 1647), fut en conséquence rompu par M. de Servien
« sous des prétextes mendiés ». « Or, était-il juste que pour
accommoder les affaires de la
France, ou plutôt du cardinal Mazarin (qui voulait se rendre
plus nécessaire), les états géneraux renonçassent à une paix qui leur accordait
tout ce qu'ils pouvaient souhaiter pour leur bonheur et la tranquillité de
leurs peuples ? » Histoire de la république des Provinces-Unies, depuis son
établissement jusqu'à la mort de Guillaume III, t. III, p. 469, La Haye, 1704.) ; il reçoit
ensuite une extension logique, inévitable, dans le traité signé à Anvers le 15
novembre 1715. L'empereur Charles VI n'entre en
possession des anciens Pays-Bas espagnols qu'après avoir souscrit à des
conditions non seulement onéreuses, mais infamantes. Il accordait à (page 87) la république batave le droit
de placer des garnisons dans huit forteresses belges : en cas de guerre, elle
avait le droit d'occuper et d’inonder la partie de la Belgique située entre
l'Escaut et la Meuse,
jusqu'au Demer ; l'empereur dut, en outre, payer à la république une rente
annuelle de 1,250,000 florins, et renouveler la désastreuse stipulation du
traité de Munster, prescrivant la fermeture de l'Escaut. Tel fut le traité de la Barrière. Comme
souverain des Pays-Bas, Charles VI se trouvait placé sous la tutelle de la
république des Provinces-Unies. Or, cette combinaison, qui semblait le triomphe
de la politique hollandaise, ne produisit pas les fruits qu'elle en attendait.
Coïncidence remarquable ! la décadence de la république des Provinces-Unies,
naguère si redoutable sous Jean de Witt et Ruyter, devient manifeste après la
conclusion du traité de la
Barrière.
En résumé, le traité de la Barrière paralysa
l'activité commerciale des Belges, sans pouvoir les protéger ; il laissa venir
Louis XIV à Bruxelles et le maréchal de Saxe jusqu'à Berg-op-Zoom. Aussi
Marie-Thérèse secoua-t-elle, en 1756, ce joug désormais inutile, pour se
rapprocher de la
France. Joseph II alla plus loin. Plein de confiance dans
l'alliance des maisons de Lorraine et de Bourbon, il fit démanteler, en 1782,
les places de Barrière, et réclama avec hauteur la libération de l'Escaut,
ainsi que la part des anciens ducs de Brabant dans la souveraineté de
Maastricht. Mais l'inconstance de Joseph, le nouveau projet conçu par lui
d'échanger les Pays-Bas contre la Bavière, l'attitude non seulement réservée, mais
presque hostile de la France,
enfin un suprême effort de patriotisme dans la république des Provinces-Unies,
détruisirent les espérances des Belges. Par le traité signé à Fontainebleau, le
10 novembre 1785, la république batave resta maîtresse des bouches de l'Escaut
; mais, de son côté, l'empereur obtint les forts de Lillo et de Liefkenshoek,
et, pour ses autres prétentions, une indemnité de 10.000.000 de florins.
(page 88) Un
enseignement important résulte des vicissitudes que nous avons rappelées. Ne
voit-on pas que l'intérêt européen supposa constamment à l'absorption des
Pays-Bas par l'une ou par l'autre des puissances qui les avoisinaient ? La Belgique était la clef de
voûte du système d'équilibre. C'est ce qui explique l'appui prêté par la Hollande à l'Espagne
contre Louis XIV ; c'est ce qui explique aussi le système du cardinal de
Richelieu, tout autre que celui de son successeur. Richelieu aurait voulu,
après la mort de l'infante Isabelle, que la Belgique se constituât en république catholique
indépendante, pour devenir un boulevard contre les progrès du calvinisme et une
barre entre les Français et les
Hollandais. Il était détourné de l'acquisition des Pays-Bas, dit un historien
français (Note de bas de page : MIGNET. Négociations relatives à
la succession d'Espagne, t. I.), par des raisons de politique
pratique qui depuis ont empêché la
France de les prendre ou de les conserver. Ce grand homme
d'Etat repoussait un système qui consistait à détruire des nationalités; il
voulait, au contraire, eu les ménageant, les faire servir à ses vues ; il
disait, en d'autres termes, que les tronçons des nationalités mutilées se
rejoignent tôt ou tard. Certes, si ce système avait pu triompher, si la Belgique avait pu se
soustraire en 1634 à la suzeraineté de l'Espagne, elle se fût épargnée et elle
eût peut-être épargné au monde entier les plus terribles des guerres du XVII
siècle. Richelieu, fondateur de la monarchie absolue, indiquait cette politique
prudente au seuil du règne belliqueux de Louis XIV ; et Mirabeau, le
démolisseur de l'absolutisme, la rappelait au moment où la France préparait sa grande
révolution démocratique. « Lequel vaut le mieux pour l'Europe et pour les
Pays-Bas, demandait-il, ou de les laisser à la merci de la France, ou de les voir se
former en une république indépendante de la France et amie de l'Europe ? Sans doute, il vaut
mieux que les Pays-Bas soient libres, et (page
89) s'il est au pouvoir des hommes d'établir une balance politique vraiment
utile et durable, c'est par cette révolution grande et salutaire qu'il faut
commencer. Que la confédération belge s'élève; qu'elle embellisse, qu'elle
console, qu'elle édifie, qu'elle instruise l'univers ! Le droit le permet, la
justice le prescrit, la politique l'ordonne ! » Elle fut tentée cette
confédération lorsque les Belges s'insurgèrent contre le despotisme
philosophique et révolutionnaire de Joseph II. Les Autrichiens furent refoulés
dans le Luxembourg ; le territoire belge fut libre. Mais la république
théocratique, dirigée par Van der Noot et Van Eupen, n'eut qu'une existence
éphémère. Fondée au mois d'octobre 1789, elle disparut le 21 novembre 1790,
anéantie par l'incapacité de ses chefs, par un entraînement aveugle vers les
idées anciennes et par la mauvaise foi de la Prusse et de la Hollande.
La Belgique, après avoir
été victime de l'ambition monarchique de Louis XIV, allait être victime aussi
de l'ambition de la France
républicaine. Louis XVI finissait son règne en 1792, lorsque Dumouriez fit
entendre ces paroles dans le conseil des ministres : « La France ne doit s'acharner
politiquement qu'à un seul ennemi, qu’à l'Autriche, pour lui ravir les
Pays-Bas, remplis de mécontents et a la portée de la France, conquête qui,
ajoutant à ses forces morales et matérielles, formera ainsi le premier nœud de
l’alliance des peuples contre les rois. » La déclaration de guerre contre
l'Autriche fut votée par l'Assemblée législative, le 20 avril. Ma», dans cette
séance même, le député Pastoret prophétisa les efforts désespérés que ferait
l'Angleterre pour soustraire la
Belgique à la domination française : « L'Angleterre, dit-il,
ne peut rester neutre ; si les nécessités de la guerre vous portent à
révolutionner la Belgique
ou à envahir la Hollande,
elle se réunira à la Prusse
pour soutenir le parti du stathouder (Guillaume V ) contre vous. Sans doute,
l'Angleterre aime la liberté qui s'établit chez vous, mais sa vie est dans son
commerce (page 90): elle ne peut
vous l'abandonner dans les Pays-Bas. » (Note de bas de page : Lorsque le
cardinal Mazarin écrivait aux plénipotentiaires français à Munster de diriger
leurs efforts vers l'acquisition des Pays-Bas catholiques, il ne se dissimulait
pas non plus la résistance que lui aurait opposée l'Angleterre, si elle n'avait
été alors le théâtre d'une révolution propre à détourner ses forces et son
attention. « La puissance de la
France, disait-il, se rendrait redoutable à tous ses voisins,
et particulièrement aux Anglais , qui sont naturellement jaloux de sa grandeur,
et qui ne laisseraient échapper aucune occasion de procurer son désavantage et
sa diminution , si une si importante acquisition ne leur ôte toute espérance
d'y pouvoir réussir ; aussi, on peut bien être assuré que s'ils avaient
connaissance d'une pareille négociation, et que leurs discordes intestines ne
les embarrassaient pas au point qu'elles le font, il n'y a rien qu'ils ne
hasardassent pour on empêcher l'effet... »)
Par la victoire qu'il remporte à Jemmapes, le 6 novembre
1792, Dumouriez s'ouvre les Pays-Bas. Les Belges, irrités contre l'Autriche et
regrettant l'indépendance qu'ils avaient récemment perdue, accueillirent
d'abord les Français comme des libérateurs. Confiants dans les promesses de
Dumouriez, ils se hâtèrent de nommer des représentants provisoires, dont le
premier acte fut de rompre tout lien avec la maison de Lorraine. Des députés
furent ensuite chargés de faire connaître cette résolution à la Convention, et de
demander que la république française déclarât ne vouloir traiter avec les puissances
de l'Europe « qu'à condition qu'elles reconnaîtraient l'indépendance des Belges
et des Liégeois. » Non seulement la Convention éluda cette demande, mais, le 15
décembre, elle adopta un décret qui enjoignait à ses généraux de gouverner
militairement les pays conquis, de dissoudre toutes les anciennes autorités, et
de mettre sous le séquestre les biens des nobles, des églises et des
communautés. Des agents de la
Convention et du club des Jacobins se partagèrent alors notre
patrie, et en même temps qu'ils forçaient les habitants, à coups de sabre et de
fusil, de demander leur agrégation à la (page
91) république française, ils mettaient le pays entier au pillage. Aussi
les Belges, chez qui l'enthousiasme pour la France avait fait place à une haine violente et
méritée, virent-ils sans déplaisir déboucher par la Meuse l'armée
austro-prussienne du prince Frédéric de Saxe-Cobourg. Après la défaite essuyée
par Dumouriez à Neerwinden, le 18 mars 1793 , les Impériaux reprirent
possession de nos provinces, dont l'archiduc Charles d'Autriche fut nommé
capitaine général. Mais cette seconde restauration fut plus courte encore que
la première. La victoire remportée par Jourdan à Fleurus, le 27 juin 1794,
replaça la Belgique
sous la main de la république ; les Impériaux repassèrent le Rhin ; l'armée
anglo-hollandaise se réfugia dans les Provinces-Unies. Les Français la
suivirent sur le territoire batave, et contraignirent le stadhouder Guillaume V
à chercher, avec sa famille, un asile en Angleterre. Cependant le traite du 16
mai 1795 (27 floréal an III) reconnut l'existence de la république batave, sous
condition qu'elle céderait à la
France la Flandre hollandaise, y compris tout le territoire
de la rive gauche du Hondt, Maestricht, Venloo et leurs dépendances, ainsi que
les autres enclaves et possessions des anciennes Provinces-Unies, situées au
sud de Venloo, de l'un et de l'autre côté de la Meuse. Quant à la Belgique, elle fut réunie
à la république française, par un décret de la Convention du 9
vendémiaire an IV (4 octobre 1796).
Peu de jours avant l'ouverture des débats, un Belge,
interprète de la nation dont on disposait sans l'avoir consultée, avait
courageusement protesté contre l'abus de la force. C'était M. Adrien-Philippe
Raoux, membre du conseil souverain de Hainaut. Dans un mémoire remis à la Convention, il ne se
dissimulait point certains avantages de la mesure politique qui allait être
sanctionnée. «Cependant, disait-il, il est certain que la très grande majorité
de ce peuple craint la réunion, et la regarderait comme une calamité publique.
A l'instant où cette (page 92)
nouvelle serait proclamée officiellement, des larmes couleraient dans
l'intérieur des familles. »
Merlin (de Douai), au nom du comité de salut publie, lut à la Convention, le 8
vendémiaire (3 octobre 1795), un rapport dans lequel il allégua que les
assemblées primaires des Pays-Bas autrichiens avaient voté avec calme la
réunion de leur pays à la république française. « Il importe à la république,
ajouta-t-il, que les Belges et les Liégeois ne soient libres et indépendants
qu'autant qu’ils seront Français. Pourquoi ? Parce que s'ils formaient une
république à part, elle serait trop faible pour résister aux attaques de ses
anciens maîtres, et que par suite elle ne pourrait pas nous servir de barrière
contre nos ennemis naturels ; parce que s ils s'associaient avec les
Provinces-Unies, et que par là ils ajoutassent leur puissance territoriale à la
puissance maritime de celles-ci, il pourrait un jour ou l'autre sortir de cet
amalgame des résultats dont nous n'aurions pas à nous louer... Le comité de
salut public est convaincu que la justice, la politique, l'accélération de la
paix et surtout la restauration de nos finances exigent la réunion de la Belgique et du pays de
Liége au territoire de la république française... » — « On parle des vœux des
Belges, répondit Armand (de la
Meuse), mais des délibérations prises au milieu des armes
sont-elles des délibérations ? Et qui vous dira que ces peuples ne réclameront
pas un jour ? De quel droit, après les avoir vaincus, les priverez-vous encore
de leurs préjugés, de leurs richesses, de leur culte, de leur forme de
gouvernement ?... Sans doute, il est de votre intérêt d'humilier la maison
d'Autriche, mais le moyen qu'on vous propose est impolitique. Sans doute, elle
doit une indemnité à l'Europe entière, qu'elle a troublée par ses intrigues et
par le traité de Pilnitz... Vous atteindrez ce but en assurant a la Belgique son
indépendance. Qu'il soit libre aux Belges de se former un gouvernement (page 93) cimenté par leurs mœurs et sur
leur religion. Votre modération dans la victoire vous conciliera tous les
esprits ; nos prétentions exagérées vous susciteront une foule d ennemis. » —
« Il ne suffit pas, ajouta Lesage (d'Eure-et-Loire), de s'intituler maîtres
du monde. Devant la justice et la raison, la puissance des baïonnettes n'est
rien, et la force couverte de la possession n'en est pas moins la force...
Citoyens, on vous dit que les Liégeois et les Belges ont voté leur réunion a la
république, que la France
a accepté leur vœu. On le dit, mais dois-je le croire, quand j'entends répéter
de toutes parts la manière cruellement révolutionnaire dont ce vœu a été
commandé ?... A coups de sabre, disent les témoins oculaires, furent votées
dans toute la Belgique
les réunions tant vantées. La
Montagne voulait bien convertir ses habitants, mais
révolutionnairement, à sa manière... Il importe à la république, dit le
rapport, que la Belgique
ne fasse point une république à part, qui serait bientôt envahie par ses
anciens maîtres ; qu'elle ne s'associe point avec les Provinces-Unies par le
danger de perdre dans la suite les départements du Nord et du Pas-de-Calais,
parce que les Belges pourraient être ingrats... Sans doute, si le pays
d'Entre-Sambre-et-Meuse restait seul, isolé, sans amis, sans alliés, sans
défenseurs, il serait exposé à retomber sous la domination de ses anciens
maîtres ; mais si, à la paix générale, toute l'Europe reconnaît son
indépendance, si la plus grande partie des puissances unies entre elles la garantissent
et s'engagent à la défendre, qui osera l'attaquer ?... »
Vaines protestations d'une politique prévoyante! L’arrêt fut
prononcé, et confirmé ensuite par le traité de Campo-Formio (17 octobre 1797),
qui obligea l’empereur François II à sacrifier Venise et à céder à la France tous ses droits sur la Belgique.
Politique de
Louis-Philippe. Principe de non-intervention.
Mais ce que la force a fondé, la force peut le détruire.
Waterloo vint après Fleurus ; les Belges passèrent de la domination de la (page 94) France sous la suzeraineté de la Hollande, en réservant
cependant, au milieu de toutes ces révolutions, leurs droits imprescriptibles
sur leur nationalité. La politique inaugurée par Louis-Philippe, lors de son
avènement, rompit avec le système belliqueux qui avait amené les catastrophes
de 1814 et de 1815. La politique nouvelle résidait dans le principe de
non-intervention ; et, qu'on ne l'oublie pas, sur ce point tous les personnages
importants du gouvernement de juillet se trouvaient d'accord : MM. Dupont (de
l’Eure) et Laffitte pensaient comme le maréchal Maison et le général
Sébastiani, Lafayette comme Louis-Philippe (Note de bas de
page : Histoire de dix ans, par L. BLANC, chap. V). Il ne faut
donc pas s'étonner si le discours menaçant du roi de la Grande-Bretagne
avait produit une sensation fâcheuse en France.
Interpellations
de M. Mauguin dans la séance de la chambre des députés du 13 novembre. Réponse
du maréchal Maison, ministre des affaires étrangères.
M. Mauguin annonça que, le 13 novembre, il interpellerait les
ministres, et tint parole. Il releva avec amertume la déclaration faite par
Guillaume IV, qu'il maintiendrait avec ses alliés les traités généraux en vertu
desquels le système politique de l’Europe a été établi. Rapprochant cette
déclaration de la réunion de la conférence de Londres, l'orateur y trouvait un
sujet d'inquiétude sur la politique suivie par le premier ministère du
gouvernement de juillet (Note de bas de page : Proposée
par la commission municipale et ratifiée par Louis-Philippe, cette
administration provisoire était composée de MM. Dupont (de l'Eure), à la
justice ; baron Louis, aux finances ; général Gérard, à la guerre ; de Rigny, à
la marine ; Bignon , aux affaires étrangères ; Guizot, à l'instruction
publique. — Le ministère du 2 novembre fut composé ainsi qu'il suit : MM.
Laffitte, président du conseil et ministre des finances ; maréchal Maison,
ministre des affaires étrangères ; Dupont (de l'Eure), ministre de la justice ;
Montalivet, ministre de l'intérieur ; général Gérard, ministre de la guerre;
général Sébastiani, ministre de la marine ; Mérilhou, ministre de l'instruction
publique. Le 17 novembre, le général Sébastiani remplaça aux affaires
étrangères le maréchal Maison, nommé ambassadeur à Vienne.) . « Les traités
de 1814, dit-il, assurent la (page 95)
possession de la Belgique
à la maison d'Orange. Nous voilà donc logiquement conduits à prendre le parti
du Hollandais contre le Belge. Que ferons-nous donc à la conférence ? Les
intentions de l'Angleterre ne sont pas douteuses. Si nous prenons le parti de la Belgique contre la Hollande, nous manquerons
au traité de 1814, dont nous avions promis l'observation. Si, au contraire,
nous exécutons la loi diplomatique, si nous prenons le parti de la maison
d'Orange, qu'arrivera-t-il ? Le Belge refusera de se soumettre. Faudra-t-il,
par hasard, que nous lui déclarions la guerre ? La France tout entière se
révolterait contre cette idée. (Voix
unanimes : Oui ! oui !) Triste position où nous a placés une politique
imprévoyante, ou de compromettre la paix ou de combattre nos voisins les plus
chers ! Espérons que l'administration nouvelle saura nous tirer de cette
cruelle alternative, et qu'elle trouvera des moyens de conserver aux Belges
leur liberté. Si nous n'intervenons pas pour les soutenir de notre main
puissante, aucun autre Etat du moins ne doit intervenir contre eux. » Appelé à
la tribune, le maréchal Maison, ministre des affaires étrangères, répond que le
discours du roi d'Angleterre, déjà mieux expliqué dans le parlement, ne peut
donner lieu à des alarmes fondées; l'intervention armée dans les affaires de la Belgique n'est dans
l'intention du cabinet anglais; que, d'autre part, l’intervention de conseils
et d'avis était d'une nature qui n'avait rien que de rassurant. Elle était
d'ailleurs motivée sur la garantie que les cinq puissances avaient donnée en
1815 à l'union de la Belgique
et de la Hollande.
Toutefois, on ne trouvera point dans les conférences de
Londres quelque chose de pareil à la Sainte-Alliance. On
ne veut que tenter de concilier les intérêts, qui affectent l'équilibre établi
par des traités dont la France
est partie. Tout porte à croire que ce but sera atteint. L'envoi de
commissaires anglais et français vers les parties belligérantes (page 96) est une démarche d'humanité,
et la ligne qu ils sont autorisés à établir entre elles est un fait implicite
qui annonce dans les cabinets l'intelligence des temps nouveaux. Le ministre
fait ensuite ressortir la loyale sagesse qui a retenu la Prusse dans des voies pacifiques
; il est autorisé à espérer, dit-il, que la même sagesse ne cessera de présider
aux conseils de cette puissance. « Tout nous confirme, ajoute l’illustre
maréchal, dans la confiance que l'Europe pourra conserver le plus grand des
bienfaits, la paix ; la paix, qui est l'expression de toutes les nécessités
européennes en même temps ; la paix, que la voix d'un soldat ne craint pas
d'appeler quelque chose de préférable à la guerre. La France peut se glorifier
d'un aussi rare ensemble de modération et de désintéressement dans la question
belge. Elle a pensé que le principe moral de non-intervention valait mieux que
la tentation des souvenirs. Elle a voulu fonder sur la droiture et la loyauté
sa nouvelle politique. »
Discours
célèbre de M. Bignon, dans lequel il justifie la révolution de la Belgique et il montre que
l'indépendance de ce pays mettra fin à la longue rivalité de la France et de l'Angleterre.
Une autre notabilité de l'Empire, M. Bignon, s'empare ensuite
de la tribune, et son discours obtient les honneurs de la séance. L'orateur se
demande d'abord quelles sont les chances pour la guerre, quelles sont les
chances pour la paix ; il pense qu'il dépend en grande partie de la France de ne pas avoir la
guerre, ou, si elle est inévitable, de ne pas avoir à la craindre. Examinant
ensuite le discours du roi d'Angleterre, il condamne la qualification de
révolte appliquée aux événements de la Belgique, car aucun gouvernement ne sait mieux
que le gouvernement anglais, dit-il, qu'un mouvement, traité d'abord de
révolte, reçoit de la fortune, quand elle le seconde, le titre de glorieuse
révolution ; l'élévation de la maison de Hanovre au trône d'Angleterre n'a pas
eu d'autre origine. L'orateur signale une difficulté très grave, résultant du
paragraphe où le roi d'Angleterre exprime l'intention d'aviser, de concert avec
ses alliés, à des moyens de rétablir la tranquillité, compatible avec le
bien-être et le gouvernement des (page
97) Pays-Bas, et avec la sécurité des autre États. De quel droit, demande
M. Bignon, prétendrait-on régler à Paris ou à Londres ce qui convient au bon
gouvernement d'une autre contrée ? Du reste, il accepte avec plaisir la
déclaration déjà faite que l'on n'a point l'intention d'intervenir par la force
des armes, qu'il ne s'agirait que d'une médiation toute de bienveillance et
d'humanité, toute d'ordre et de paix ; mais il eût fallu, dès le commencement,
rester dans ce rôle honorable et salutaire.
Aux yeux de M. Bignon, il n'existe pas de traités généraux
qui puissent, sans une interprétation forcée, s'appliquer à la lutte ouverte
entre les Belges et le roi des Pays-Bas. Quand, à la suite des traités de 1815,
les divers souverains de l'Europe se sont mutuellement garanti la possession
intégrale de leurs États respectifs, ces garanties étaient données contre
l'ambition, contre l'invasion étrangère ; mais jamais on n'a pu avoir le droit
de se mêler par là des débats éventuels entre les peuples et les princes. «
Quand les Belges, forcés de rechercher dans une énergique résistance un remède
contre l'oppression, ont conquis leur indépendance, prétendre faire valoir
contre eux des traités qui garantissent entre divers États l'intégralité de
territoire, prétendre réunir un roi qui, par la main d'un de ses fils, a
incendié, mitraillé une capitale, avec la nation qui a supporté ces horreurs,
ou prétendre seulement imposer à ce peuple, redevenu indépendant, toute autre
forme de gouvernement que celle qu'il peut vouloir se donner lui-même, ce n'est
point là un droit résultant d'aucun traité, c'est le droit exécrable qui, en
divers pays, a décimé la partie la plus éclairée des populations, qui a couvert
l'Europe de proscrits, qui, sous la présence des troupes étrangères, a dressé
des échafauds à Turin, à Madrid et à Naples. A moins d'embrasser aveuglément
les maximes de la
Sainte-Alliance, ces maximes auxquelles l'Angleterre n'a
jamais accédé, qu'elle a répudiées même sous (page 98) l'administration de lord Castlereagh, qu'elle a flétries sous
celle de M. Canning, il n'y a point, il ne peut point y avoir de traités dont
l'application soit ici possible. » M. Bignon voit une véritable chance de
guerre dans le droit abusif d'intervention que voudraient s'arroger certaines
puissances. Il en voit une autre dans la prétention mal fondée, suivant lui,
des Belges sur le grand-duché de Luxembourg. Envisageant cette question à un
point de vue trop exclusif et sans tenir compte des faits qui avaient expliqué
les stipulations de 1815, M.
Bignon n'hésitait point à traiter d'usurpation la prétention des Belges sur le
grand-duché. « Quoique, depuis une longue suite de siècles, dit-il (Note de bas de
page : Cette province faisait partie intégrante de In Belgique depuis le
XVe siècle. Philippe le Bon , troisième duc de Bourgogne, avait acquis en 1461
la souveraineté du Luxembourg qui, depuis cette époque jusqu'à la conquête
française, partagea le sort des provinces méridionales ; les députés
luxembourgeois siégeaient aux états généraux des Pays-Bas, et la province était
soumise aux ordonnances générales. Dans tous les traités, la dénomination de
Pays-Bas espagnols ou autrichiens comprend le duché de Luxembourg. » NOTHOMB ,
Essai sur la révolution belge, chap. V), le Luxembourg ait pu faire partie
de la Belgique,
l'existence politique de ce pays, dont le territoire a subi des modifications,
a été changée par le traité du 31 mai 1815. Il n'a point été donné à la maison
de Nassau au même titre que les provinces belges. C'est une cession qui lui a
été faite à titre d'échange, en compensation des principautés de
Nassau-Dillenbourg, Siegen et Dietz, cédées à la Prusse. Le duché de
Luxembourg, érigé en grand-duché, est ainsi un domaine à part, qui forme un des
États de la
Confédération germanique. La ville de Luxembourg a été
déclarée forteresse de la Confédération. Voilà une question sur laquelle
les traités peuvent être invoqués avec succès. Le tort est du côté des Belges,
c'est aux amis de la liberté à les (page
99) en avertir. S'ils persistent, qui sait si demain la Confédération
germanique ne viendra pas réclamer ses droits ? Qui sait si la Prusse, comme pays voisin,
ne sera pas appelée à l'exécution des décrets de la diète, et une fois que les
troupes prussiennes auront posé le pied sur le territoire du grand-duché de
Luxembourg, qui sait si ce malheureux et impolitique débat ne mettrait pas
bientôt les Prussiens et les Français en présence, peut-être malgré eux, dans
les provinces belges elles-mêmes ».
Après avoir signalé les causes qui pourraient amener une
explosion, l'orateur s'occupe des chances qui autorisent l'espoir du maintien
de la paix. Il place au premier rang l'influence des progrès de la raison
publique sur la politique même des cabinets; l’estime de l'Europe pour le
caractère loyal du roi Louis-Philippe, qui, en respectant l'indépendance des
États étrangers, saura faire respecter l'indépendance de la France ; enfin, la
perspective des graves dangers que la guerre pourrait entraîner pour les
gouvernements absolus. Il faut y joindre, comme circonstances rassurantes, le
mauvais état des finances de presque tous les gouvernements, sans en excepter
même l'Angleterre , qui, si elle peut toujours se suffire à elle-même, ne peut
plus du moins fournir aux autres puissances les subsides qu'elle leur a
prodigués depuis 1793 jusqu'à 1815 ; l'extinction des vieilles haines
nationales, surtout entre la
France et l'Angleterre ; la sympathie des divers peuples
entre eux et la sympathie de tous pour les principes d'une juste liberté.
Après cette énumération, M. Bignon, avec l'autorité que lui
donnaient ses antécédents diplomatiques, montre comment l'asservissement de la Belgique suscita les
longues guerres entre la France
et la Grande-Bretagne
; comment l'indépendance de la
Belgique mettra fin à la rivalité de ces deux puissances, et
deviendra le gage de la paix du monde. « Depuis plusieurs siècles, dit-il,
c'est une espèce d'axiome routinier, à Londres, que (page 100) l'Angleterre serait menacée de périr le jour où la limite
du territoire français, du côté de la Belgique, recevrait quelque extension. De là ces
longues et sanglantes guerres dont on attendait, pour principal résultat, la
formation d'une barrière contre la France. De là ces fameux traités de barrière qui,
en laissant à la maison d'Autriche le domaine utile du Brabant, mettaient dans
les places des garnisons hollandaises. En vain les guerres de la révolution ont
anéanti ces traités : l'Angleterre ne renonce pas un instant à l'espoir de les
faire revivre. Pendant vingt-cinq années, c'est pour la Belgique qu'elle a
combattu. Dans les plus beaux jours de l'empire de Napoléon, elle a constamment
poursuivi l'idée de détacher la
Belgique de cet empire. Cette pensée a été le mobile des
coalitions qu'elle a suscitées et soldées. En 1815, elle touche au succès le
plus complet : elle prépare et consomme l'agglomération de la Belgique et de la Hollande sous un même
chef ; elle forme de ces deux pays un faisceau au profit de la maison d'Orange.
Ce ne sont plus seulement des troupes hollandaises qu'elle fait mettre dans les
places appartenant à un autre souverain , c'est le stathouder de Hollande,
devenu roi, qui en est le possesseur et le gardien. On emploie le produit des
contributions de guerre levées sur la
France à hérisser la frontière française de places que l'on
croit inexpugnables. Le général en chef de la coalition victorieuse préside
lui-même aux travaux, et regarde le rétablissement de cet ancien système, avec
le complément qu'il a reçu, comme le fruit le plus important de ses triomphes.
Tout à coup un combat s'engage entre le roi et ses sujets. La séparation de la Belgique et de la Hollande s'opère. Les
places que devaient garder les Hollandais sont au pouvoir des Belges. Adieu le
grand édifice des siècles, le grand ouvrage de l'Angleterre, si chèrement payé
par des torrents de sang, par une dette de plus de vingt milliards ! Tout
serait à recommencer, si (page
101) on pouvait recommencer deux fois une pareille entreprise. Non,
l'Angleterre n'en concevra pas le projet insensé. Elle ne peut pas vouloir
l'absurde ; elle ne peut pas vouloir l'impossible. Lorsque le gouvernement
anglais, tourmenté d'agitations intérieures, éprouve l'inconvénient des
incorporations forcées ; de ces fusions contre nature qui ont réuni en un seul
parlement la représentation de pays dont les intérêts sont incompatibles ;
lorsqu’après le divorce de la
Hollande et de la
Belgique , il voit la menace imminente d'une sorte de divorce
entre l'Irlande et la
Grande-Bretagne ; enfin , lorsqu'une dette monstrueuse pèse
sur la tête de l'Angleterre, dette accumulée par les efforts qu'elle a faits
pour construire une barrière artificielle qui s'est écroulée en quelques jours,
le cabinet britannique ira-t-il ajouter à sa dette vingt autres milliards pour
se livrer à la poursuite des mêmes chimères ? A supposer que nul obstacle ne
dût l'arrêter, nous aimons à croire aux progrès de la raison dans un cabinet.
N'est-ce pas un ministère tory qui, malgré l'aristocratie anglaise, a émancipé
les catholiques d'Irlande ? Que la
Belgique devienne un État indépendant sous quelque forme de
gouvernement qu'il lui convienne de se donner, la France respectera cet État
nouveau, comme elle respecte les possessions des rois de Bavière, de Sardaigne
et autres, contiguës à son territoire. L'Europe en a pour garant, outre
l'esprit constitutionnel de la nation française, qui désormais répugne à toute
guerre offensive, le caractère droit et loyal de Louis- Philippe. En effet, à
la place du roi sage qui nous gouverne, supposez que la révolution du 30
juillet eût enfanté une république, ou qu'elle eût porté au pouvoir un prince,
un soldat heureux, plus jaloux de grandeur pour lui-même que de bon heur pour la France, qui eût empoché un
chef téméraire de république ou de monarchie, le jour où le tocsin de la guerre
a sonné dans la Belgique,
de s y précipiter à la tête de troupes (page
102) proclamant la liberté du genre humain, de jeter d’autres détachements
sur les provinces du Rhin qui ont été départements français, d'exciter ou
plutôt de seconder le mouvement des peuples contre leurs souverains actuels, en
leur promettant des constitutions libres ? Sans doute, c'eût été livrer la France à de terribles
hasards ; mais enfin la fortune couronne souvent l'audace ; et qui sait si à
l'heure où je parle, la France,
poussée, par un chef entreprenant dans la voie des conquêtes, et ressaisissant
un territoire à sa portée, qui eût été empressé de se réunir à elle, ne serait
pas déjà en état, avec son nom et ses millions de gardes nationales, de braver
les vains efforts de l'Europe, derrière son triple rempart du Rhin, des Alpes
et des Pyrénées ? Certes, je rends grâces au roi Louis-Philippe de n'avoir
point eu de ces gigantesques idées ; je lui rends grâces de n'avoir point joué
ainsi les destinées de notre nation ; je lui rends grâces ne n'avoir point
cherché, au risque d'un retour funeste pour nous, à incendier l'Italie,
l'Espagne et l'Allemagne ; mais enfin, ce qu'il n'a pas fait, il eût pu le
tenter, et en admettant qu'il n'eût pas réussi, il eût cependant porté un coup
sensible à la sûreté des dynasties et ébranlé les fondements de tous les
trônes. Pour l'Europe comme pour nous, il a été l'homme nécessaire, l'homme
indispensable; elle doit autant que nous espérer la consolidation de notre
gouvernement. Toute atteinte portée à l'existence de notre dynastie nouvelle
serait une calamité pour toutes les dynasties européennes. »
Vues
erronées de M. Bignon sur la question luxembourgeoise. M. Nothomb rétablit les
faits à la tribune du Congrès belge.
Ce magnifique discours eut un immense
retentissement en Europe, et surtout en Belgique. Mais s'il avait légitimé la
révolution de septembre, il avait malheureusement compromis les droits des
Belges sur le grand-duché de Luxembourg. Le 17 novembre, le Congrès ayant
ouvert la discussion sur la proposition relative à l'indépendance du pays, M.
Nothomb, député d'Arlon, s’empresse de monter à la tribune pour démontrer que
la position (page 103) du
Luxembourg, dans ses rapports avec la Belgique, avait été la même après 1815 qu'avant
la conquête française. Il invoque la loi du 25 mai 1816, qui renferme toute la
question, telle que M. Bignon l'avait posée. D'une part, par une fiction
politique, le grand-duché avait été considéré comme substitué aux États de
Nassau; d'autre part, la loi fondamentale de 1815, promulguée à la suite des
traités de Vienne, avait considéré le grand-duché comme partie intégrante du
royaume. Il fallait concilier ces deux ordres de choses et prévenir tout
démembrement. Le système de succession de la maison de Nassau renfermait une
cause de démembrement ; on la fit disparaître. D'après le pacte de famille de
1783, le prince Frédéric devait hériter du grand-duché de Luxembourg, dès que
son frère aîné parviendrait au trône des Pays-Bas. Il fallait anéantir les
effets du pacte de famille et faire prévaloir le système de succession adopté
par la loi fondamentale. L'art. 67 du traité de Vienne permettait au roi de
faire ou de provoquer un arrangement dans ce sens. Ce fut l'objet de la loi du
25 mai 1816. Au lieu de la souveraineté éventuelle du grand- duché de
Luxembourg, le prince Frédéric obtint la cession de biens domaniaux situés dans
l'arrondissement de Breda. « Cette loi résout nettement la difficulté, continue
M. Nothomb. Si cette loi n'eût pas été rendue, on aurait pu soutenir que le
grand-duché forme une principauté patrimoniale distincte, soumise à des droits
particuliers de succession, par l'effet de la fiction de substitution. Cette
loi est un droit acquis et a irrévocablement mis le grand-duché, à l'égard de
la maison d Orange, sur la même ligne que les autres provinces belges » (Note de
bas de page : La question du Luxembourg fut éclaircie dans
un mémoire communiqué par le comité diplomatique au Congrès, le 13 décembre
1830. Nous emprunterons à ce document les notions nécessaires pour faire apprécier
la position de la province de Luxembourg par rapport à l'Allemagne. On sait que
la
Confédération germanique, constituée par l'acte du 8 juin
1815, se composait de dix-sept parties contractantes, parmi lesquelles
l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse, pour toutes celles de leurs
possessions qui avalent anciennement appartenu à l'empire germanique, et le roi
des Pays- Bas, pour le grand-duché de Luxembourg, en vertu de la fiction
politique qui substituait cette province aux États de Nassau. « Dire que la
province de Luxembourg a cessé, par la fédération, d'appartenir à la Belgique, serait
prétendre que les possessions susmentionnées de l'empereur d'Autriche et du roi
de Prusse ont cessé, par le même acte, de faire partie de l'Autriche et de la Prusse ; ce que personne
n'a avancé jusqu'ici. » Il fallait examiner ensuite quelle était l’étendue des
pouvoirs de la diète germanique. « La Confédération germanique n'est rien qu'un traité
d'alliance offensive et défensive. La souveraineté n'est pas placée dans la
diète germanique, mais elle est restée dans chacun des Etats d'après les lois
constitutionnelles qui les régissent. » Toutefois la forteresse de Luxembourg
se trouve dans une position particulière. Par l'art. 3 du traité du 31 mai
1815, reproduit textuellement dans l'art. 67 du traité de Vienne, « la ville de
Luxembourg est considérée, sous le rapport militaire, comme forteresse de la Confédération germanique. Le grand-duc a le droit
de nommer le gouverneur commandant militaire de cette forteresse, sauf
l'approbation de la diète, et sous telles autres conditions qu'il serait jugé
nécessaire d'établir en conformité de la constitution future de ladite
Confédération. » Mais, par un acte diplomatique conclu, de commun accord, le 12
mars 1817, à Francfort, entre les cabinets d'Autriche, de Prusse, de Russie,
d'Angleterre et des Pays-Bas, il fut stipulé que le roi des Pays-Bas, renonçant
au bénéfice de l'art. 67 du traité de Vienne, cédait au roi de Prusse le droit
de nommer le gouverneur militaire et le commandant de la place de Luxembourg,
et consentait en outre à ce que la garnison fût composée, pour les trois
quarts, de troupes prussiennes, sans que cette cession pût altérer en rien son
droit de souveraineté sur la ville et la forteresse de Luxembourg. Cette
garnison fédérative n'avait pas cependant le droit de sortir des limites de la
forteresse, et tout déploiement de forces en dehors de ces limites serait un
acte d'hostilité. « La question du Luxembourg, disait en terminant l'auteur du
mémoire, est la question belge tout entière : la cause est la même. Les traités
de 1815, en attribuant à cette province des relations avec l'Allemagne, ne
l'ont séparée ni du royaume des Pays-Bas ni de la Belgique. La fiction
politique de substitution a perdu ses effets par la loi du 25 mai 1816, qui
anéantit le pacte de famille de 1783. La fiction de substitution, au lieu de se
borner à la province de Luxembourg, eût pu être étendue à la Belgique tout entière
sans être un obstacle à la révolution. »). M. Lebeau (page 104) ajoute que la qualité de Belge est prouvée pour les
Luxembourgeois comme pour les habitants de toutes les autres provinces ; car,
hors de la portée du canon de la forteresse, les élections se sont faites
librement pour le Congrès, et l'indépendance du grand-duché a été proclamée en
fait par l'admission de ses députés dans l'assemblée. « Comme député du
Luxembourg, dit M. d'Huart, j'assume volontiers sur moi la responsabilité de
cette déclaration que les Luxembourgeois sont décidés à mourir plutôt que d'être
séparés des Belges qui les reconnaissent ici pour leurs frères, sous la
condition toutefois de respecter les traités de la Confédération
germanique concernant la forteresse du Luxembourg. »
Discussion
de la proposition de M. de Celles. Le Congrès proclame, à l'unanimité,
l'indépendance du peuple belge.
L'assemblée, voulant fixer les droits de la Belgique sans rompre les
rapports du grand-duché avec l'Allemagne, adopte un amendement portant que la
déclaration d'indépendance (page 105)
comprendrait le Luxembourg, sauf ses relations avec la Confédération
germanique. Le rapport sur la proposition de M. de Celles, présenté par M. Ch.
de Brouckere, révélait que toutes les sections s'étaient prononcées en faveur
de la déclaration de l'indépendance; que cependant, dans deux sections,
quelques membres n'avaient pas caché leurs vœux pour la réunion à la France et qu'ils
réclamaient la priorité pour cette question. M. Devaux demanda que ces derniers
eussent la liberté de s'expliquer. M. Lardinois, député de Verviers, fut le
seul qui exprimât alors l’opinion que les intérêts commerciaux et industriels
de la Belgique
lui commandaient de se réunir à la France. Il annonça qu'il avait même rédigé une
proposition dans ce sens, mais qu'il ne la soumettrait point à la décision de
l'assemblée parce que le (page 106)
moment ne lui paraissait pas opportun pour la faire réussir; et que, d autre
part, ayant consulté un grand nombre de ses collègues, ils lui avaient dit que
c était appeler l'intervention étrangère : il reculait devant l'idée d'une
guerre générale, quand même la victoire ne serait pas douteuse ! M. Ch. de
Brouckere répondit à M. Lardinois que la réunion à la France était impossible,
qu'elle serait combattue par l'Angleterre et peut-être repoussée par la France même ; il ne croyait
pas, au surplus, que la réunion intégrante, demandée par M. Lardinois, fût la
seule chance de salut pour l'industrie et le commerce de la Belgique.
M. Ch. Lehon examina la question sous un point de
vue général et dans ses rapports avec la politique extérieure. « La Belgique veut une patrie,
dit-il, et pour elle un état politique et distinct qui la constitue. » Entrant
ensuite dans des considérations élevées, l'orateur rappelle les injustices de
la vieille Europe à l'égard des provinces belges, depuis le traité de Munster
en 1648 jusqu'au traité de Vienne en 1815 ; il soumet à la bonne foi et à la
justice de l'Europe nouvelle, de l'Europe éclairée par la raison publique, les
griefs de la Belgique
envers les puissances qui, pendant un siècle et demi, la mutilèrent et la
froissèrent dans tous ses intérêts vitaux, sans qu'elle pût les défendre. Aux
applaudissements du Congrès, il rappelle à l'Angleterre les mémorables paroles
d'un de ses plus grands hommes, de l'illustre Chatham, se réjouissant en plein
parlement de la résistance opposée par les Américains aux troupes envoyées par
le cabinet de Londres pour dompter la colonie rebelle ! La discussion fut
terminée par un discours, dans lequel M. Devaux faisait un énergique appel à l'honneur
national. « Quand, après des siècles, s’offre à un peuple, disait-il,
l'occasion de prendre possession de son indépendance, il y aurait à ce peuple
défaut de courage, de dignité et de noblesse d'âme, à ne pas en faire l'essai.
»
Le courage ne faillit pas au Congrès. Le vote fut
décisif. Cent (page 107)
quatre-vingt-huit membres étaient présents dans la séance du 18 novembre. Tous
votèrent la proposition ainsi conçue : « Le Congrès national de la Belgique proclame
l'indépendance du peuple belge, sauf les relations du Luxembourg avec la Confédération
germanique. »
L'assemblée ne discuta point la seconde partie de
la proposition de M. de Celles, tous les membres du Congrès, par l'acceptation
de leur mandat, s'étant nécessairement engagés à faire, sans désemparer, une
constitution aussi bien que toutes les lois nécessaires pour en assurer
l'exécution immédiate. Il parut donc inutile de déclarer que le Congrès ne se
séparerait point avant d'avoir consolidé la liberté de la patrie.
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