Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et liens Note d’intention
«
2e édition. Louvain, Vanlinthout et Peeters, 1861, 3 tomes
Chapitre
précédent
Chapitre
suivant
Retour
à la table des matières
TOME 3
(page 39) Le cabinet se compléta, le 8
Juin 1839, par la remise du portefeuille de
Malgré les dissidences qui s'étaient
manifestées au sujet de l'acceptation définitive des Vingt-quatre Articles, la
majorité des Chambres conservait, au point de vue de la politique intérieure,
le caractère et l'attitude des cinq dernières années. C'était toujours, dans
son ensemble, cette majorité mixte, unioniste, qui, depuis l'arrivée du roi,
avait rallié sous sa bannière les hommes éminents des deux grandes opinions
nationales.
Les
ministres avaient tenu compte des exigences de cette situation dans le choix de
leurs nouveaux collègues. Ils avaient pris M. Desmaisières dans les rangs des
libéraux modérés, M. Raikem dans les rangs des catholiques. Par ses opinions,
ses discours et ses actes, le cabinet restait fidèle au programme national de
1830.
Cependant
plus d'une cause de faiblesse, plus d'un symptôme de désunion, plus d'un présage
de luttes prochaines se révélaient au regard de l'observateur éclairé.
Parmi
les signes précurseurs d'une situation nouvelle, figurait en première ligne
l'apparition de
La
publication d'un recueil politique, par un homme de l'importance (page 40) du député de Bruges, était un fait grave. Soldat de la
presse militante avant la révolution de Septembre, M. Devaux fut l'un des
promoteurs de l'union patriotique de 1828. Plus tard, membre du Congrès et de
Tel était cependant le rôle
qu'allait assumer l'honorable député de Bruges. En jetant un coup d'œil sur les
pages du recueil publié sous ses auspices, on remarque de mois en mois quelques
critiques nouvelles à l'adresse des ministres, quelques pas de plus vers la
glorification des cabinets homogènes et l'abandon de la politique unioniste de
1830.
Dans un premier article
consacré à la politique intérieure, M. Devaux s'était placé sous la bannière de
l'opinion libérale, « mais de l'opinion libérale modérée et tolérante, ennemie
des scandales irréligieux, pleine de respect pour une religion à laquelle ses
adversaires les plus décidés devraient au moins reconnaître le mérite d'être
encore la base la plus sûre de cette moralité du peuple dont l'absence envenime
tous les progrès » (Revue nationale, t. I (1839), p. 30). Ces paroles n'avaient
rien d'hostile, ni à l'égard des ministres, ni à l'égard des membres de la
majorité des Chambres, puisque les uns et les autres se vantaient de marcher
dans les voies de ce libéralisme constitutionnel et modéré dont le directeur de
Passant
en revue les forces respectives des opinions parlementaires, le député de
Bruges s'efforçait de prouver que la presse nationale, aussi bien que la presse
étrangère, se faisait singulièrement illusion sur l'influence des catholiques
au sein des Chambres belges ; puis, laissant clairement entrevoir que la
situation actuelle n'était pas de son goût, il annonça sans détour l'avènement
prochain d'une administration purement libérale. « A une politique dominée par
les appréhensions et les idées que nous avaient léguées les fautes du régime
antérieur, et qu'on pourrait appeler la politique du passé, succèdera,
disait-il, sous une forme ou une autre, un peu plus tôt ou un peu plus tard,
une politique d'avenir, ou tout au moins une politique actuelle… Il est visible
que la situation de 1830 et 1831 va s'éteignant ou se modifiant. Dans un
avenir, qui peut sans doute n'être pas très prochain encore, elle fera
infailliblement place à un classement d'opinions plus régulier, plus en
harmonie avec les intérêts actuels, et sous l'empire duquel les faits seront
autrement appréciés qu'ils ne l'avaient été auparavant. » (Revue nationale,
t. I, p. 311 et 312). C'était proclamer en termes formels l'incapacité de la majorité
parlementaire ; c'était signaler au pays la nécessité de modifier la
composition d'un parlement qui, livré aux intérêts, aux préjugés et aux
craintes d'une « politique du passé » n'éprouvait pas même le besoin de
suivre les inspirations d'une « politique actuelle. » M. Devaux dressait
un acte d'accusation en règle contre une politique à laquelle il avait lui-même
participé, contre, des hommes dans les rangs desquels il n'avait pas cessé de
figurer depuis la révolution de Septembre.
Les hostilités une fois
ouvertes, le directeur de
M. Devaux était lui-même
forcé d'avouer que les catholiques n'avaient jamais étalé la prétention de
présider seuls aux destinées politiques de leur patrie. « Si nous n'avions en
vue, disait-il, qu'une étroite question de personnes, si notre désir était,
comme le craignent les défenseurs alarmés du cabinet, de frayer la voie à
quelques hommes, serait-il même indispensable de viser pour cela au
renversement du cabinet ? Pense-t-on que, depuis quelques années, les portes du
cabinet aient été si hermétiquement fermées à notre opinion, qu'il ne lui
restât d'espoir d'y entrer qu'après avoir expulsé tous ceux qui s'y trouvent
aujourd'hui ? (Ibid., t.
II, p. 85). Il avouait encore que les représentants des catholiques au
pouvoir central n'avaient jamais abusé de leur influence dans l'intérêt
exclusif du parti qui partageait leurs sympathies politiques et religieuses : «
C'est un fait
assez (page 43) remarquable,»
disait-il, que le ministère de M. de Theux n'ait pas amené à l'opinion
catholique une voix parlementaire de plus » (Ibid., t. I, p. 305).
Il avouait enfin que les
cabinets mixtes qui s'étaient succédé depuis l’avènement du roi avaient choisi
la très grande majorité de leurs agents dans les rangs des libéraux (Note de bas de page : Voici cet
aveu significatif : « L'opinion libérale... est en grande majorité dans
les rangs du barreau, de la magistrature, de l'administration...»
(Revue nationale, t. II, p. 287.)). Mais si les catholiques
s'étaient toujours montrés prêts à partager le pouvoir avec les hommes les plus
éminents de l'opinion libérale ; si leur attitude dans le choix des agents de
toutes les administrations publiques avait été constamment celle d'une
impartialité scrupuleuse ; en un mot, si l'Union avait réalisé au bénéfice du
libéralisme toutes les promesses de son programme, pourquoi fallait-il
désormais suivre les inspirations d'une politique exclusive ? A moins de prétendre
que la polémique entamée par M. Devaux fût le résultat d'une hostilité
personnelle et momentanée, supposition inconciliable avec le caractère et la
position du directeur de
D'autres symptômes
d'affaiblissement, bien plus graves encore, se manifestaient au sein de la législature.
Une fois entré au pouvoir,
M. Ernst avait promptement conquis les sympathies de tous les hommes modérés
des deux Chambres. Doué d'un remarquable talent oratoire, jurisconsulte savant,
administrateur zélé et habile, toujours sur la brèche pour défendre les droits
et les intérêts de l'administration centrale, il avait pris une part active à
toutes les mesures que le cabinet de M. de Theux pouvait invoquer (page 45) comme un titre à l'estime et à
la confiance du pays. C'était en grande partie à ses efforts personnels
qu'on devait la loi du 22 Septembre 1835 sur l'expulsion des étrangers qui
troublent l'ordre public, loi dont la présentation avait été l'une des
conditions de son entrée au ministère, et celle, plus importante encore, du 15
Mai 1838, qui modifia si heureusement l'institution du jury. Son passage au
département de
La retraite du baron d'Huart n'était pas moins
fâcheuse. Par la franchise et la loyauté de son caractère, qui lui valaient
des amitiés chaleureuses sur tous les bancs de la représentation nationale, il
avait puissamment contribué au maintien de la concorde entre les fractions
diverses et plus ou moins dissidentes qui marchaient sous le drapeau de 1830.
Placé jeune encore à la tête de l'une des (page
45) administrations les plus importantes et les plus difficiles, il
y avait déployé
des qualités rares qui, se développant avec une rapidité merveilleuse, lui
procurèrent en peu de temps une autorité prépondérante parmi les sommités de la
finance. En 1836, à l'heure où les calomnies de la presse étrangère
représentaient le gouvernement belge comme dépourvu de toute estime à
l'intérieur même du pays, il ouvrit un emprunt de 30 millions de francs par la
voie d'une souscription publique, et la promptitude avec laquelle la nation
répondit à son appel suffit pour raffermir le crédit de l'État et nous relever
dans l'estime de l'Europe. On le savait éclairé, habile, juste, implacable pour
l'agiotage. Son départ, de même que celui de M. Ernst, avait incontestablement
affaibli la position de ses collègues restés au banc des ministres (Note de bas de page : L'emprunt
décrété par la loi du 18 Juin 1836 est un épisode plein d'intérêt de notre
histoire financière. Le gouvernement avait été autorisé à contracter l'emprunt
jusqu'à concurrence d'un capital nominal de trente millions. Se procurer cette
somme par l'entremise de quelque maison de banque, à l'exemple de ce qui
s'était fait en 1831, eût été le moyen le plus simple ; le sort de l'emprunt
eût été immédiatement assuré. Mais M. d'Huart, tout en recherchant les
conditions les plus avantageuses pour le trésor public, avait à cœur
d'affranchir le pays du patronage onéreux des grands capitalistes. Il croyait
que la dignité nationale, de même que la liberté d'action du gouvernement pour
d'autres opérations financières à effectuer dans l'avenir, y étaient vivement
intéressées. Il voulait aussi saisir l'occasion de mettre en évidence, d'un
côté, les forces financières du pays, de l'autre, la confiance de toutes les
classes dans l'avenir de nos institutions nouvelles. Le mode d'une souscription
publique lui parut le seul propre à produire ce double résultat, et, le 5
Juillet 1836, un arrêté royal en régla les conditions. L'emprunt était divisé
en 30,000 obligations de 1,000 fr. chacune, à l'intérêt de 4 % et au
prix de 92 fr. pour 100 fr. de capital nominal. Les souscriptions devaient
être précédées d'un dépôt de garantie de 10 % au moins du capital souscrit, à
fournir soit en numéraire, soit en obligations de l'emprunt belge 5 %, soit en
bons du trésor. Le 26 Juillet était le jour fixé pour la souscription, et le
lendemain le Moniteur en fit connaître le résultat. - Toutes les
prévisions étaient dépassées. Les souscriptions partielles s'élevèrent à la
somme énorme de 691,073,000 fr., ce qui donna pour chaque action souscrite un prorata
de fr. 43,41 pour 1,000 fr. Les dépôts de garantie dépassaient 70 millions,
dont 42 millions en numéraire ! - A cette époque le prix de 92 fr. pour un
capital nominal de 100 francs, à l’intérêt de 4 %, était très élevé ; mais
l'effet moral fut bien autrement important. La nationalité belge venait de
donner aux puissances étrangères une preuve irrécusable de sa vitalité, et, à
l'intérieur même du pays, l'impression produite par cet éclatant succès exerça
sur la politique une sérieuse et utile influence).
Quand un cabinet, formé à la suite d'un
programme de conciliation, voit s'éloigner deux de ses membres les plus
éclairés, il est rare que (page 47)
le remplacement de ceux-ci lui rende l'influence et la force dont il disposait
avant leur retraite. Il en est surtout ainsi quand la dislocation ministérielle
a pour cause un de ces événements imprévus qui provoquent les passions
populaires, alarment le patriotisme et exercent une action décisive sur les
destinées de la patrie. L'attitude à la fois prudente et énergique du
gouvernement dans la négociation du traité de paix était loin d'être
généralement comprise. Une partie de la nation, prenant ses vœux pour la
réalité, persistait à croire que l'Europe aurait reculé devant la résistance armée
des Belges. La presse, continuant une polémique désormais sans objet, prenait
pour prétexte de ses persiflages et de ses injures les mots « persévérance et
courage » placés dans le discours du trône de
Ajoutons que la durée même
du cabinet était devenue une cause de faiblesse pour l'homme d'État qui, dès le
premier jour de sa formation, avait tenu le portefeuille de l'Intérieur. Dix
années s'étaient écoulées depuis la régénération politique du pays, et M. de
Theux avait siégé pendant sept années au conseil des ministres (Note de bas de page : Dans le
1er ministère du roi, M. de Theux avait rempli les fonctions de ministre de
l'Intérieur du 21 Novembre 1831 au 20 Octobre 1832 (Voyez t. I, p. 54)). Que d'espérances déçues,
que de calculs déjoués, que d'ambitions déconcertées par cette longévité
ministérielle ! Les assemblées n'aiment guère les ministres qui semblent
vouloir perpétuer leur présence au pouvoir. Les Metternich
et les Nesselrode ne sont possibles que dans les
monarchies absolues.
Les élections partielles de
1839 n'avaient pas sensiblement altéré la majorité parlementaire. L'opposition
s'était accrue de trois ou quatre voix ; mais, en dernier résultat, le
ministère conservait, sous le (page 48)
rapport numérique des suffrages, une prépondérance suffisante pour ne pas
redouter les attaques de ses adversaires ordinaires. Ce qui manquait au
cabinet, c'était la confiance entière, l'appui chaleureux, la sympathie ou,
pour mieux dire, l'affection de ceux qui devaient être les partisans naturels
de sa politique (Note de bas de page : Cette disposition
d'esprit se manifeste, plus ou moins, dans les articles politiques de
Cette occasion se présenta dans la discussion
générale du budget de la guerre.
Au
milieu des inquiétudes, des souffrances et de l'anarchie qui précédèrent, en
Rentré
en Belgique à la suite du traité du 19 Avril, Van der Smissen
se mit à la disposition de l'autorité militaire et demanda des juges pour
purger sa contumace. La condamnation de 1831 disparaissait de la sorte, et un
nouveau débat, cette fois contradictoire, était requis par le code de procédure
militaire (Note de bas de page : Indépendamment des débats des Chambres, on peut
consulter au sujet de la conduite du général Van der Smissen,
en 1831 et en 1839, le Mémoire impartial pour le général Van der Smissen, par l'avocat P. Spinnael
(Bruxelles, 1840, in-4°). - V. aussi les art.
200, 201 et 202 du code d'instr. crim. mil. et
l'arrêt du 29 Octobre 1831 (Bosch, Droit pénal militaire, p. 106)).
Mais ici le traité du 19 Avril devenait un
obstacle insurmontable. Aux termes de l'article 20, « personne ne pouvait
être recherché ni inquiété en aucune manière, pour cause quelconque de
participation directe ou indirecte aux événements politiques. » La
question ayant été soumise au conseil des ministres, celui-ci ne crut pas
pouvoir se dispenser d'étendre le bénéfice de l'amnistie aux conspirateurs de
1831, et un arrêté royal du 15 Juillet rétablit le général sur les contrôles de
l'armée, dans la position et avec la solde de non-activité. D'un côté, le
cabinet se croyait lié par le texte exprès d'un contrat international ; de
l'autre, il voulait, par une application large et généreuse de l'amnistie,
venir en aide aux habitants du Limbourg et du Luxembourg qui se trouvaient en
butte aux tracasseries de la police hollandaise
(Note de bas de page : Déjà plusieurs habitants du territoire cédé
étaient poursuivis du chef de désertion accomplie pendant la période
révolutionnaire. Les réclamations de M. de Theux et surtout l'exemple donné
par le conseil des ministres firent abandonner ces procédures).
Malheureusement, une réprobation à peu près
universelle accueillit (page 50) cette mesure. Le public ne
se rendait pas compte des motifs qui avaient dicté la décision ministérielle,
et peu de noms étaient aussi impopulaires que celui du général Van der Smissen. Au lieu de chercher l'explication de l'acte dans
le texte du traité de paix et dans le désir d'être utile aux habitants du
territoire cédé, les journalistes de l'opposition affirmaient que l'admission
du général dans les cadres de l'armée avait pour cause unique la crainte des
révélations importunes d'un conspirateur de 1831. Le général, disait-on, avait
proféré des menaces ; il avait manifesté le projet de publier un mémoire
compromettant pour une foule de personnages placés dans les rangs les plus
élevés de l'administration nationale. Le gouvernement, redoutant lui-même la
révélation de ces turpitudes, avait acheté le silence du traître, en lui jetant
sur l'épaule les insignes de général belge ! Dans l'armée surtout, l'arrêté du
15 Juillet avait provoqué une répulsion insurmontable. Les officiers
subalternes déclaraient hautement qu'ils ne rendraient pas les honneurs
militaires à l'homme expulsé des cadres par un arrêt du premier tribunal
militaire du royaume. Toujours fidèle, mais humiliée d'avoir assisté, l'arme au
bras, à l'exécution d'un traité qui mutilait le territoire, l'armée voyait une
humiliation nouvelle dans la restitution de la cocarde nationale à l'ex-général
Van der Smissen.
Ces sentiments se firent
jour dans
Comme toutes les assemblées
délibérantes, le parlement belge avait eu ses entraînements passionnés et même
ses heures d'injustice ; mais on y avait toujours trouvé un patriotisme ardent,
un dévouement sincère à la nationalité, un sentiment profond et vif de la
dignité du pays. La restitution de l'uniforme et de la cocarde au condamné de
1831 blessa les susceptibilités patriotiques de
Le ministère s'était trompé.
Sans doute, au point de vue de l'amnistie proclamée par le traité, toute
poursuite à charge des conspirateurs de 1831 était désormais inadmissible ;
mais il n'en résultait pas que le nom du général dût être replacé sur les
contrôles de l'armée. Le décret du 5 Mars 1831 déclarait déchus de leur grade
les officiers de la garde civique et de l'armée qui, étant en activité de
service au moment de sa promulgation, n'auraient pas prêté dans le mois suivant
le serment constitutionnel prescrit par le Congrès national. Van der Smissen n'avait pas rempli cette formalité. Peu importait
que sa fuite eût été motivée par le désir de se soustraire à l'atteinte de la
justice militaire. Les mandats lancés contre lui étaient la conséquence de ses
propres actes, et par suite il ne pouvait pas les invoquer comme constituant un
cas de force majeure. Innocent ou coupable, il devait, en 1831, se présenter
devant ses juges.
La réintégration du général
était une première faute ; mais les ministres, obéissant à des scrupules
constitutionnels exagérés, en commirent une seconde, plus grave encore. Au lieu
d'exposer franchement les mobiles de leur conduite et de s'en référer pour le
reste à l'appréciation des Chambres, ils firent de l'amendement de M. Dumortier
l'objet d'une question de cabinet. C'était aller au devant des vœux de leurs
ennemis avoués et secrets, qui voulaient s'emparer des répugnances patriotiques
de quelques membres de la majorité, pour amener une crise favorable à
l'avènement d'un ministère exclusivement libéral ; c'était se jeter tête
baissée dans le piége tendu par les partisans des doctrines anti-unionistes de
M. Devaux. Aussi le résultat de cette tactique imprudente ne se fit-il pas
attendre. Dans la séance du 14 Mars, la proposition de M. Dumortier fut admise
par 42 voix contre 58 et 5 abstentions. Les ministres offrirent aussitôt leurs
démissions (Note de bas
de page : On a prétendu que le général Van der Smissen
avait été reçu dans les rangs de l'armée par ordre du roi. C'est une erreur.
C'était même en grande partie pour dissiper ce soupçon que le ministère fit une
question de cabinet du rejet de l'amendement de M. Dumortier).
Mais le vote était à peine émis que, de part
et d'autre, on fit des (page 52) réflexions
tardives. Les ministres comprirent toute la portée de l'imprudence qu'ils
avaient commise, en plaçant une partie de leurs amis dans la pénible alternative
d'opter entre leurs sympathies personnelles et les scrupules les plus
respectables de leur patriotisme. D'un autre côté, plusieurs membres de la
majorité, subitement éclairés par les cris de triomphe que poussaient tous les
organes du libéralisme exclusif, regrettaient le vote qu'ils venaient
d'émettre à propos d'une question qui, réduite à ses véritables termes, était
dépourvue d'importance réelle. Le cabinet avait commis une faute de
présomption, en attachant son existence à un fait accidentel, qui ne touchait à
aucun principe de la politique générale et qui répugnait à la conscience d'une
partie de ses amis. La majorité parlementaire avait commis une autre faute,
bien plus considérable, en ouvrant la voie du pouvoir aux adversaires de la
politique traditionnelle de 1830. Malheureusement le mal était sans remède.
Le
roi, qui avait eu des entretiens confidentiels avec plusieurs députés
influents, s'abstint de prendre immédiatement un parti définitif ; il
désirait, avant de se prononcer, acquérir des notions précises et complètes sur
l'attitude respective des ministres et de la majorité de
On
croyait généralement que
Le
cabinet, qui n'était pas d'humeur à se contenter d'une position équivoque, prit
aussitôt le seul parti qui convînt à des hommes jaloux de conserver à la fois
la dignité du pouvoir et leur dignité personnelle. A l'ouverture de la séance
du 6 Avril, le président de
La
retraite du cabinet de 1834 produisit de graves conséquences que nous aurons
bientôt à constater. Par suite d'une déplorable série de circonstances
malheureuses et pour ainsi dire fatales, sa chute devint le point de départ
d'une lutte acharnée, ardente, implacable, qui sera désormais le fait capital
de l'histoire politique de nos provinces. Ses amis et ses adversaires furent
également trompés dans leur attente. Ses amis espéraient que, malgré les
dissidences des derniers mois, la politique de conciliation inaugurée en 1830
allait se perpétuer sous la direction de MM. Rogier et Lebeau. Ses adversaires
se préparaient à jouir des douceurs et des avantages d'un pouvoir accepté sans
(page 54) murmures par la droite et
chaleureusement accueilli par la gauche. L'avenir cachait d'autres destinées
sous ses voiles !
Installé
le 4 Août 1834, renversé le 6 Avril 1840, le cabinet composé par M. de Theux a
largement marqué sa place dans l'histoire de
Plusieurs
fois modifié dans le personnel de ses membres, le ministère de 1834, au moment
de sa dissolution, ne comptait plus dans ses rangs qu'un seul des hommes
politiques qui avaient concouru à sa formation ; mais cet homme, resté
seul à son poste, avait su maintenir, dans toute son étendue, dans toute sa
force et dans toute sa loyauté, le programme politique de ses premiers collègues.
Profondément dévoué au pays et à ses institutions libérales, calme et modéré
par caractère, impartial et juste envers ses amis et ses adversaires, animé de
la seule passion du devoir, inébranlable dans l'accomplissement des mesures
dictées par sa conscience, poussant la probité jusqu'au scrupule, M. de Theux
était éminemment propre à servir de lien et de centre, dans une combinaison
ministérielle qui avait pour base l'alliance des deux grandes opinions
nationales. Toujours modéré dans ses actes et dans ses paroles, dédaignant de
se défendre aussi longtemps que la dignité du pouvoir ou les intérêts du pays
n'étaient pas en cause, consacrant à l'accomplissement de sa mission l'énergie
que d'autres dépensent trop souvent dans les luttes stériles de la polémique,
il ne tarda pas à prouver que la réunion de deux portefeuilles (page 55) importants n'était pas un
poids au-dessus de ses forces (Note de bas de page : Les journaux du
temps s'occupaient fréquemment de la réunion des portefeuilles de l'Intérieur et
des Affaires étrangères. Ceux qui se donneront la peine de lire le récit des
négociations de 1839 (t. Il, p. 296 et suiv.) pourront aisément se convaincre
que cette réunion ne fut aucunement préjudiciable aux intérêts bien entendus du
pays). Ainsi qu'il arrive toujours à l'homme qui se place à cette hauteur,
M. de Theux s'attira l'hostilité de toutes les opinions extrêmes. Tandis que
les partisans du libéralisme exclusif l'accusaient d'abaisser le pouvoir civil
en face des exigences des évêques, bien des catholiques lui reprochaient de
faire de déplorables concessions à leurs adversaires (Note de bas de page : Voici
ce qu'on lit à ce sujet dans le Journal historique et littéraire (1840,
p. 26) : « Nous avons entendu souvent des catholiques se plaindre de voir leurs
services ou leur mérite méconnus, d'être oubliés ou mal accueillis, Nous
ajouterons, puisque l'occasion s'en présente, qu'une opinion, assez
généralement répandue parmi eux, était qu'on rejetait leurs demandes parce qu'on ne
les craignait pas, c'est-à-dire, qu'on ne redoutait de
leur part ni opposition ni mauvaise intrigue »).
Déjà l'heure de la réparation approche ; encore quelques années, et la
politique éminemment nationale du cabinet de 1834 sera appréciée à sa valeur
réelle. Dieu veuille que