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2e édition. Louvain, Vanlinthout et Peeters, 1861, 3 tomes
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TOME 2
(page
55) Après avoir dirigé son cours du sud au nord, pour recueillir sur son
passage toutes les eaux du bassin occidental de
Au moment où commence notre récit,
Les fortifications de la ville, en partie construites en briques mêlées de pierres de taille, offrent un aspect plus imposant. Elles ont pour complément une magnifique citadelle, placée au midi de la cité sur le bord du fleuve.
Cette citadelle forme un pentagone régulier ; en d'autres termes, c'est une enceinte protégée par cinq fronts de fortification, composés d'autant de bastions reliés entre eux par des courtines (Note de bas de page : Une forteresse consiste dans une série de parties saillantes qu'on nomme bastions, reliées entre elles par des lignes droites auxquelles on donne le nom de courtines). Un de ces fronts regarde le fleuve ; le second fait face à la ville ; le troisième se trouve du côté des fortifications de la place ; les deux autres sont dirigés contre la campagne. Les parties saillantes, placées aux angles et qui forment les cinq bastions, ont conservé les noms que leur donnèrent les soldats du duc d'Albe. Le premier, situé du côté de la ville, se nomme le bastion Hernando ; le second, à droite de celui-ci, est le bastion de Tolède ; on rencontre ensuite, avant de revenir au premier, les bastions Paciotto, d'Albe et du Duc. La courtine qui regarde la ville et les deux autres placées du côté de la campagne sont protégées par des demi-tunes. Plus avant, à une distance d'environ trois cents mètres, on a construit deux lunettes ((Note de bas de page : On nomme demi-lune un ouvrage de forme triangulaire, placé sur le milieu et en avant de la courtine. Les lunettes sont ordinairement des ouvrages détachés, ayant la forme d'un bastion ordinaire, avec un fossé, un chemin couvert et un glacis. On croit que ces ouvrages ont reçu la dénomination étrange de lunettes, parce qu'ils sont destinés à voir dans les parties du terrain environnant qui n'est pas dominé par les feux de la place. En matière de fortification, on dit qu'un ouvrage voit le terrain quand il peut y jeter les projectiles de son artillerie). Celle de droite, située entre les bastions Paciotto et d'Albe, se nomme le fort de Kiel ; celle de gauche, placée en avant des bastions Paciotto et de Tolède, a reçu le nom de fort St-Laurent. Le fossé qui entoure la citadelle a une largeur d'environ trente mètres, et celui des demi-lunes environ la moitié. A marée haute, l'eau qui remplit ces fossés a une profondeur de dix-huit pieds ; mais, à marée basse, les fossés peuvent être mis à peu près à sec. La surface intérieure de la citadelle, non compris les remparts, peut être évaluée à vingt-quatre mille mètres carrés (Note de bas de page : On comprendra sans peine que notre but ne saurait être de faire une description complète des fortifications d'Anvers au moment de l'arrivée de l'armée française. Nous nous bornons à l'indication des parties principales. Les personnes qui voudraient avoir des détails précis et complets peuvent consulter un excellent écrit intitulé Relation du siége de la citadelle d'Anvers par l'armée française en Décembre 1832, etc. Bruxelles, Berthot, 1833, in-8°. La même réflexion s'applique aux opérations du siége).
(page 57) En jetant un coup d'œil sur les autres travaux de défense élevés le long de l'Escaut, en aval d'Anvers, on rencontre d'abord, sur la rive droite, le fort du Nord; c'est une redoute pentagonale casematée qui, à cause de sa position au coude du fleuve, domine les eaux de celui-ci dans deux directions et sur une surface considérable. A deux lieues plus loin, sur la même rive, se trouve le fort de Lillo. Celui-ci consiste dans une enceinte bastionnée ; entouré de polders et seulement accessible par les digues, il peut aisément être couvert par de vastes inondations.
Sur la rive
gauche, en face de Lillo, se dresse le fort de Liefkenshoek. Celui-ci se
trouve à tous égards dans les mêmes conditions que le fort de la rive
opposée (Note de bas de page : La description des autres forts
n'est pas nécessaire pour l'intelligence de notre récit. L'auteur de
Toutes ces positions, à l'exception du fort du
Nord, étaient occupées par les Hollandais. Après la dissolution de l'armée des
Pays-Bas et le départ des soldats belges en Octobre 1830, la garnison
hollandaise, commandée par le brave général Chassé, s'était retirée dans la
citadelle. Plaçant quelques compagnies dans les redoutes de
Les Belges, de leur
côté, n'étaient pas restés inactifs. Pendant l'armistice et malgré les
réclamations de Chassé, ils s'étaient mis, autant que possible, à l'abri des
attaques de l'ennemi. Ils armèrent complètement le fort du Nord, de même que
les batteries du Kattendyk, situées entre ce fort et
la ville. Ils construisirent une nouvelle batterie très élevée à gauche de
l'entrée du bassin du commerce. Les quais, exposés au feu de la flottille
hollandaise, furent coupés sur toute leur longueur par une tranchée profonde, avec
un parapet et des créneaux du côté de la rivière. Toutes les rues qui y
aboutissaient étaient fermées par des épaulements en terre garnis de canons.
Vis-à-vis de
Les précautions
prises contre une attaque du côté du fleuve avaient été renouvelées du côté de
l'esplanade située entre la citadelle et la ville. Là aussi l'entrée de toutes
les rues était fermée par des épaulements en terre garnis de canons et de
mortiers. A gauche de la porte des Béguines, dans le terre-plein du bastion de
la place, on avait construit une grande batterie blindée pour huit mortiers.
Une seconde batterie de petits mortiers fut établie dans une demi-lune en avant
de la porte de .Malines. Six pièces de canon furent en outre placées dans la
lunette Montebello, qui protège la porte des Béguines. Une semaine avant
l'arrivée de l'armée française, l'armement des Belges, dirigé contre la
citadelle, la flottille et
(page 59) Depuis les derniers jours d'Octobre, on avait remarqué sur l'Escaut un mouvement extraordinaire. C'était le résultat d'une série d'ordres transmis par le général Chassé. La signature de la convention du 22 Octobre lui avait donné la conviction que la citadelle se trouvait à la veille de subir un siége régulier, et il agissait en conséquence. Renvoyer les bouches inutiles, compléter les munitions, réunir les vivres nécessaires, approvisionner les hôpitaux, rappeler les hommes en congé, demander des renforts, toutes ces mesures furent prises avec la rapidité que réclamaient les circonstances. Chaque jour, on voyait passer des bateaux à vapeur traînant à la remorque de longues files d'alléges chargées de provisions de bouche et de matériaux nécessaires à la défense des places. Au retour, ces alléges étaient couvertes des meubles des officiers et en général de tous les objets dont il était possible de désencombrer la citadelle, sans nuire aux opérations militaires.
Du haut des tours de la ville, on remarquait la même activité bruyante derrière les remparts qui abritaient la garnison hollandaise. Là encore le général Chassé se préparait à soutenir un siége.
Ni les Espagnols qui avaient construit la citadelle, ni ceux qui, depuis le XVIe siècle, l'avaient agrandie et améliorée, n'avaient songé à munir la garnison de logements à l'abri de la bombe. L'enceinte était même dépourvue d'un hôpital blindé (Note de bas de page : On entend par blindages des espèces de toits composés de poutres d'un fort équarrissage, recouverts d'une couche épaisse de fascines et de terre).
C'était à cet oubli que le général hollandais s'efforçait de remédier dans la mesure de ses ressources. Toutes les casernes ayant des caves voûtées, il chercha à rendre celles-ci habitables pendant le bombardement, en couvrant le sol du rez-de-chaussée d'une épaisse couche de fumier. Il fit blinder intérieurement, à l'aide de fortes poutres, les locaux destinés à servir de magasins de vivres. Il établit à la hâte un hôpital blindé contre la face intérieure de la courtine qui regarde la ville ; mais ce réduit, qui se composait d'une suite de travées tellement rapprochées qu'elles laissaient à peine l'espace suffisant pour placer un lit, était loin de suffire à sa destination : l'air et la lumière n'y pénétraient que par des entrées étroites ménagées entre les solives, tandis que le toit, couvert d'une épaisse couche de terre, (page 60) était tellement abaissé qu'un homme de taille ordinaire ne pouvait s'y tenir debout.
Un autre blindage, construit de la même manière, mais avec des proportions plus étroites encore, fut placé à quelques pas de l'hôpital, pour servir de logement à une partie de la garnison. On plaça sous un troisième blindage le laboratoire de l'artillerie. Quant au magasin à poudre, voûté à l'abri de la bombe, on se contenta de le recouvrir d'une couche de fascines mêlées de fumier, la porte et les fenêtres étant bouchées avec des sacs à terre. Les puits furent couverts d'un blindage en forme de cône. Le général fit encore exécuter des travaux analogues pour munir les remparts de feux couverts, c'est-à-dire d'emplacements où les canons et les soldats se trouvent à l'abri des feux verticaux de l'ennemi et des ricochets de ses projectiles.
Des précautions
d'un genre différent avaient été prises sur l'Escaut. Un bateau à vapeur et
douze canonnières, portant ensemble 40 pièces de canon, étaient stationnés dans
le voisinage de la citadelle, sous les ordres du colonel de marine Koopman. Plus bas se trouvait l'escadre commandée par le
contre-amiral Lewe van Aduard
: la bombarde
Dans les derniers
jours de Novembre, la garnison de la citadelle était d'environ 4,500 hommes, y
compris 122 officiers.
On se figure
aisément la terreur que tous ces préparatifs inspiraient aux habitants
d'Anvers. Lorsqu'ils apprirent que l'Angleterre et
Telle était la
situation lorsque les premiers actes d'hostilité furent commis par l'Angleterre
et
Ainsi qu'on l'a
vu au chapitre précédent, l'embargo avait été mis, dès le 5 Novembre, sur les
navires hollandais. Comme complément de cette mesure, la marine militaire des
deux nations reçut l'ordre de s'emparer de tous les bâtiments hollandais
qu'elle rencontrerait sur son passage. Enfin, une flotte combinée, sous le
commandement de l'amiral de Villeneuve et de sir Pulteney
Malcolm, cingla vers les côtes de
En procédant à ces actes de rigueur, plusieurs jours avant le terme fixé pour l'évacuation de la citadelle et des forts de l'Escaut, les cabinets de Paris et de Londres avaient surtout en vue de montrer au gouvernement hollandais leur inébranlable résolution de recourir à l'emploi de la force. Ils espéraient que cette conviction exercerait une influence salutaire' sur les déterminations des ministres néerlandais.
En effet,
nonobstant les réponses hautaines de M. Verstolk et
les préparatifs militaires du général Chassé, bien des hommes d'État étaient
persuadés que
Ces espérances étaient des illusions.
Le système de persévérance était maintenu
dans toute sa force, et le général Chassé avait reçu l'ordre de résister
jusqu'à la dernière extrémité. Le gouvernement de La Haye avait pris le parti
de braver les sommations de l'Angleterre et de
On n'avait pas
même complètement renoncé à l'espoir de l'assistance (page 63) armée de l'Allemagne. Malgré les instances d'une partie
des membres de la famille royale, malgré les démarches les plus actives du
parti de la guerre à Berlin, le roi Frédéric-Guillaume avait déclaré que le
corps prussien, concentré dans les provinces rhénanes, n'abandonnerait pas le
rôle d'une stricte neutralité ; les gouvernements de Paris et de Londres en
avaient reçu l'assurance formelle. Dans les cercles politiques de La Haye, on
n'en répétait pas moins que l'armée prussienne ne se montrerait pas en vain sur
les frontières du Limbourg et de la province de Liége. A la première nouvelle
de l'embargo, quelques ministres avaient même proposé d'attaquer les Belges
avant que les Français pussent arriver à leur secours (Note de bas de page : D'autres illusions
naquirent d'une tentative faite par quelques négociants de Londres. Le 13
Novembre, un meeting de commerçants de la cité, adroitement convoqué par une
maison de banque dévouée à
Le canon de
Le 15 Novembre,
une armée française, forte d'environ 65,000 hommes, entra en Belgique sous le
commandement du maréchal Gérard. Le corps principal se dirigea vers les
frontières de
Le duc d'Orléans, à la tête de la brigade d'avant-garde, forte de trois bataillons et de huit escadrons, avait établi son quartier général à Brasschaet, sur la route de Breda. La division Fabre, ayant passé l'Escaut à Burght, prit son quartier général à Hemixem ; elle occupait le territoire situé entre Anvers et l'embouchure du Rupel. La division Sébastiani occupait la rive gauche du fleuve et avait son quartier général à Beveren. La division Jamin s'était postée à Contich et dans (page 64) les villages environnants. La division Achard, surveillant la rive droite à l'aval d'Anvers, était placée sur la chaussée de Berg-op-Zoom et avait son quartier général à Donck. Chacune de ces divisions était forte de douze bataillons.
La cavalerie
française avait été répartie d'après un système analogue. Une brigade de
cavalerie légère, sous le commandement du général
Peu de jours après, cette armée fut renforcée par une division de réserve, forte d'environ 215,000 hommes, sous les ordres du général Schram. Celui-ci établit son quartier général à Malines.
Un parc de siége,
expédié de Valenciennes par l'Escaut et de Douai par
Les troupes du
génie consistaient en huit compagnies de sapeurs-mineurs,
avec un train considérable d'équipages (Note de bas de page : Voici le détail des pièces : 32
Pièces de 24, 26 Pièces de 16, 12 Obusiers de
Pendant les premiers jours du siége,
ce train fut successivement augmenté de pièces belges, jusqu'à concurrence de
149 bouches à feu. Cette circonstance fit porter le personnel de l'artillerie à
94 officiers et 1,807 sous-officiers, canonniers, pontonniers et ouvriers (Voy. Journal des opérations de l'artillerie au siége
d'Anvers, par le général Neigre, p. 56, édit. in-4°).
De leur côté, les Belges s'étaient
mis en mesure de repousser au besoin les attaques de la flottille hollandaise,
de la citadelle et de l'armée du prince d'Orange réunie à la frontière. On se
rappelle que, selon les termes de la convention du 10 Novembre, le rôle de
neutralité de
Immédiatement après l'entrée de
l'armée française, un ordre du jour du ministre de
(page 65) Au moment d'entreprendre le siége, le maréchal Gérard établit son quartier général dans le faubourg de Borgerhout, où il fut rejoint par le lieutenant-colonel Caradock, commissaire britannique. Le général Haxo, commandant supérieur du génie, et le général Neigre, commandant l'artillerie de l'armée de siége, fixèrent leur quartier général à Berchep1. .
Depuis plusieurs
jours, le maréchal se trouvait dans le voisinage de la citadelle, sans qu'une
sommation quelconque eût été adressée au général hollandais. Cette inaction
apparente suffit pour donner lieu aux suppositions les plus alarmantes. Les uns
disaient que des incidents diplomatiques avaient amené un refroidissement entre
l'Angleterre et
Tous ces préparatifs étant terminés, le maréchal chargea les généraux Neigre et Haxo de déterminer la direction de la première parallèle et l'emplacement des premières batteries de siége. Ils s'acquittèrent de cette mission sur le terrain situé en avant du fort St-Laurent, du côté de la commune de Berchem (Note de bas de page : Pour l'intelligence des opérations du siége, il n'est peut-être pas inutile de rappeler qu'on entend par parallèles des tranchées ouvertes, de plusieurs pieds de profondeur, à l'aide desquelles on établit une communication entre tous les travaux d'attaque. On leur donne ce nom, parce qu'elles sont tracées parallèlement aux ouvrages de la place assiégée. On établit les batteries à une petite distance en avant de la parallèle, avec laquelle on les fait communiquer par deux tranchées latérales qu'on nomme boyaux de communication. Quelquefois des batteries de mortiers sont placées en arrière de la tranchée, quand le sol s’y prête).
(page 67) La nuit du 29 Novembre avait été choisie pour l'ouverture de la tranchée. A huit heures du soir, trois brigades d'infanterie (Zoepfel, Ratapel et d'Hincourt) furent réunies pour cette opération importante. Le duc d'Orléans était revenu de Brasschaet pour faire le service de commandant de tranchée.
Aussitôt 3,000 travailleurs se mirent à l'oeuvre, pendant que les compagnies d'élite des trois brigades, formant la garde de tranchée, cherchaient un abri derrière les maisons et les haies du voisinage.
Le commencement des travaux ne fut pas de nature à exercer une influence favorable sur l'esprit du soldat. Une pluie abondante et froide était tombée pendant la journée et venait encore par intervalles glacer les membres des travailleurs. Le terrain, déjà marécageux et mou de sa nature, était partout imprégné à une grande profondeur. Grâce à l'ardeur des travailleurs, sans cesse encouragés par le duc d'Orléans et les généraux qui l'accompagnaient, on se trouva néanmoins avant le jour à l'abri des feux de la citadelle; mais l'eau dont le terrain était saturé se précipita aussitôt dans la tranchée et la remplit au point que, dans plusieurs parties, la garde ne put y être placée et dut, comme la veille, s'abriter derrière les murs des maisons voisines.
Par une
indifférence difficile à expliquer, le général Chassé avait passé la nuit dans
une inaction complète. Pas un coup de canon ne fut tiré sur les Français, et l'ouverture
de la tranchée, presque toujours si meurtrière pour les assiégeants, ne leur
avait pas coûté un homme. S'il faut en croire quelques relations françaises,
les travaux avaient été si bien dissimulés que la garnison hollandaise ne s'en
aperçut qu'au lever du soleil, lorsque déjà les travailleurs se trouvaient à
l'abri de son atteinte. Selon d'autres historiens du siége, dont l'opinion est
plus probable, Chassé ne voulait commencer la lutte qu'au moment où une
sommation du maréchal Gérard aurait imprimé aux premiers travaux un caractère
manifeste d'hostilité contre la citadelle. Quoi qu'il en soit, à la fin de la
nuit, la première parallèle se trouvait établie depuis le glacis de la lunette
Montebello jusqu'à la gauche de la route de Boom, (page 68) à
Une convention conclue entre le maréchal et le colonel Buzen, gouverneur militaire d'Anvers, stipulait que chaque jour un détachement de 500 soldats français aurait le droit d'entrer dans la ville, pour occuper la lunette Montebello, placée en avant de la porte des Béguines, les ouvrages extérieurs de cette porte et toutes les avenues de la citadelle. Le 30 Novembre, à la pointe du jour, le maréchal usa pour la première fois de cette faculté ; les Français vinrent relever tous les postes que les Belges occupaient autour de l'esplanade (Note de bas de page : Ce n'était pas sans avoir opposé de vives résistances que le gouvernement belge avait fini par adhérer à cette convention. Ses objections avaient surtout porté contre l'occupation de la lunette Montebello, dépendance évidente des fortifications de la place. D'un côté, il craignait les représailles de Chassé ; de l'autre, il y voyait une violation indirecte de l'article 1er de la convention du 10 Novembre (Voy. Ci-dessus, p. 59). Il fallut néanmoins céder, parce que le maréchal Gérard considérait le fort Montebello comme indispensable au succès des opérations du siége. Irrité et blessé de l'opposition de nos ministres, le cabinet des Tuileries manifestait l'intention de débusquer les postes belges par la force).
Immédiatement après, un parlementaire porta à
la citadelle une lettre renfermant la sommation d'évacuer la place. En cas de
refus, le maréchal proposait de considérer la ville d'Anvers comme neutre.
Prenant de son côté l'engagement de diriger les opérations du siége sur les
seuls fronts extérieurs de la citadelle, il déclara que l'Angleterre et
Le général
hollandais répondit qu'il ne rendrait la citadelle qu'après avoir épuisé tous
les moyens de défense qui se trouvaient à sa disposition. Il consentait à
considérer la ville d'Anvers comme neutre, mais seulement à condition qu'on ne
se servît pas de ses fortifications ou des ouvrages qui en dépendent, pour agir
contre la citadelle,
Ces conditions ne furent pas acceptées par le maréchal Gérard. Il ne voulait ni abandonner la lunette Montebello, ni laisser à la garnison la libre navigation de l'Escaut. En conséquence, les hostilités commencèrent sans que la neutralité de la ville eût été reconnue par le général Chassé. Fidèle à sa promesse, celui-ci tira à midi son premier coup de canon sur les ouvrages des assiégeants.
Pendant les cinq
jours suivants, les Français continuèrent à cheminer vers la place. Malgré les
pluies continuelles et l'horrible état des tranchées, toujours remplies d'eau
et de boue, la deuxième parallèle, tracée à
Jusqu'à ce moment, la garnison hollandaise n'avait opposé qu'une faible résistance. Pendant que l'infanterie faisait quelques sorties sans vigueur et toujours aisément repoussées, l'artillerie se contentait de canonner faiblement les têtes de sape des assiégeants. Mais les choses prirent un autre aspect dans la journée du 4 Décembre.
A onze heures vingt minutes du matin, un coup de canon, parti de (page 70) la batterie centrale des Français, donna le signal et fut immédiatement suivi d'une décharge générale, à laquelle les Hollandais répondirent avec une vigueur que leur inaction des premiers jours n'avait pas fait présager. C'était le commencement d'un imposant combat d'artillerie qui, soutenu pendant dix-neuf jours et autant de nuits, avec un courage égal de part et d'autre, occupera toujours une place glorieuse dans les annales des armées modernes.
Il n'est pas nécessaire de dire que, par suite de l'incertitude qui régnait sur les dispositions de Chassé à l'égard de la neutralité de la ville, ces premiers coups de canon devinrent pour les habitants d'Anvers le signal d'une panique universelle. Les boutiques se fermèrent, les transactions commerciales furent suspendues, et bientôt la classe aisée tout entière émigra vers les villes et les villages des environs. Chaque jour on s'attendait à voir la cité réduite en cendres, et ceux qui n'avaient pas abandonné leurs foyers entassaient dans les caves leurs meubles, leur numéraire et leurs marchandises les plus précieuses. Le conseil communal et les autorités militaires déployèrent seuls un courage à la hauteur des circonstances. Les batteries établies sur les épaulements qui fermaient les rues, de même que celles qui garnissaient les fortifications de la ville, étaient pourvues de munitions, et partout nos canonniers se trouvaient à côté de leurs pièces, prêts à riposter au premier coup de canon qui serait dirigé contre la ville. Le général Goblet, nommé commandant en chef du génie, avait poussé les précautions au point de faire préparer une grande quantité de gabions et de fascines, pour servir à l'attaque que les Belges auraient conduite du côté de l'esplanade, si la neutralité d'Anvers n'avait pas été respectée par les troupes de Chassé (Relation du siége, p. 41).
Mais ces
inquiétudes furent de courte durée. On se convainquit bientôt que le général
hollandais était le premier intéressé à respecter la ville ; car toute
infraction à la neutralité d'Anvers lui aurait valu, indépendamment d'une
seconde attaque du côté de l'esplanade, l'intervention de la garnison belge, la
perte de la flottille et la destruction de
Pendant que, tout en canonnant la place, les Français poussaient en avant les tranchées qui devaient les rapprocher des remparts, d'autres événements se passaient sur l'Escaut, en aval de la ville.
Le contre-amiral Lewe Van Aduard, qui s'était d'abord retiré sous le canon du fort de Lillo, sortit de son inaction, lorsqu'il acquit la certitude que l'ennemi se proposait d'intercepter les communications de la citadelle avec le Bas-Escaut. Le 6 Décembre, quelques chaloupes canonnières vinrent sans résultat canonner le fort Ste-Marie, occupé par un bataillon de la division Sébastiani ; mais une action plus sérieuse eut lieu dans la matinée du 8. Une frégate, une corvette et douze chaloupes canonnières se présentèrent devant le fort Frédéric-Henri, défendu par quatre compagnies du 22e régiment d'infanterie, appartenant à la division Achard. Après avoir inutilement sommé le commandant français d'évacuer la place, l'amiral fit ouvrir un feu nourri, à la faveur duquel les Hollandais tentèrent un débarquement, dans le dessein de rompre les digues et d'isoler le fort. Cette seconde tentative échoua comme la précédente. Accueillis par la fusillade des soldats français postés derrière les digues, les Hollandais furent forcés de se rembarquer, et l'escadre se retira de nouveau sous la protection des remparts de Lillo. Une troisième tentative, tout aussi infructueuse, eut lieu le 12 Décembre. Une frégate, une corvette, une bombarde (page 72) et plusieurs chaloupes canonnières ouvrirent un feu violent contre le fort Ste-Croix, pendant que, de son côté, le fort de Liefkenshoek lançait des bombes dans les positions françaises de la rive droite. Le combat ne fut pas de longue durée. Un obus mit le feu à la frégate, un autre tua l'amiral hollandais, et l'escadre reprit une troisième fois sa position sur la rade de Lillo (Relation du siège, citée ci-dessus, p. 66).
Alors, décidément
privée de ses communications avec
En effet, cet effroyable bombardement n'avait pas tardé à produire ses effets. Plusieurs locaux qu'on croyait à l'abri de toute attaque n'avaient offert qu'une résistance illusoire. Dans l'après-midi du 6 Décembre, un obus mit le feu au grand magasin de vivres. Le même jour, (page 73) plusieurs blindages s'écroulèrent, et le réduit servant d'hôpital fut lui-même percé par les obus. Dans la journée du 7, un autre obus pénétra dans le laboratoire de l'artillerie et mit le feu aux projectiles qui s'y trouvaient accumulés. Les puits furent détruits avec une étonnante rapidité, et la garnison se vit réduite à boire une eau saumâtre, qui elle-même allait bientôt manquer. Dans la journée du 8, le feu prit à la grande caserne, qui fut entièrement consumée. Quelques heures plus tard, les bombes percèrent les voûtes de deux caves qui étaient le dernier refuge de la garnison, et dont l'une s'étendait sous toute la surface de la grande caserne. A l'exception du grand magasin à poudre, tous les autres bâtiments, criblés par les projectiles français, tombaient en ruine. Déjà dix bouches à feu et quinze affûts étaient hors de service. Les soldats qui ne se trouvaient pas sur les remparts devaient se réfugier dans les poternes et les étroites communications souterraines des bastions. Ils y étaient tellement serrés que la moitié d'entre eux se tenait debout, pendant que les autres, assis ou couchés, prenaient un instant de repos. Encore était-il à craindre que l'entrée de ces réduits ne fût enfilée par des obus, qui eussent immanquablement causé des ravages terribles dans cette masse d'hommes ainsi pressés dans un étroit espace. Profondément ému à l'aspect des souffrances endurées par ses braves soldats, Chassé écrivit dans son Journal : « C'est un grand malheur que les locaux qu'on croyait à l'abri de la bombe n'aient pu résister à la fureur du feu de l'ennemi. L'encombrement dans les poternes et dans les communications des bastions excite la pitié ! » (Extraits du Journal de Chassé; loc. cit., p. 134)
Les dégâts ne firent que s'accroître pendant les jours suivants. Les blindages qui jusque-là avaient résisté commençaient tous à fléchir. Les cuisines, qu'on avait également crues à l'abri de la bombe, étaient percées, et la préparation des aliments de la garnison ne se faisait plus qu'avec une extrême difficulté. Le blindage servant d'hôpital offrait surtout un triste spectacle. Pressés les uns contre les autres, dans un étroit espace privé d'air et de lumière, les blessés devaient subir des amputations à la lumière incertaine d'une bougie, et plus d'une fois des obus français vinrent éclater au pied de leur lit de douleur !
(page 74) Mais toutes ces pertes étaient impuissantes à triompher du courage des assiégés. Malgré ses souffrances, malgré la perspective d'une défaite inévitable, la garnison hollandaise soutenait noblement cette lutte gigantesque. Condamné par ses infirmités à rester immobile au fond d’une casemate creusée sous le bastion du Duc, Chassé trouvait des lieutenants courageux et infatigables dans le général Favauge, le colonel Gumoëns et le lieutenant-colonel d'artillerie Selig. Des bastions, des lunettes et des demi-lunes de la place, un feu vigoureux répondait sans relâche au feu des assiégeants. Les artilleurs hollandais avaient d'abord visé trop haut, mais leur tir n'avait pas tardé à acquérir une grande précision. En plusieurs endroits, le Journal du général Haxo constate l'effet foudroyant des projectiles de la citadelle.
Après treize
nuits de travaux pénibles et périlleux, tantôt contrariés par la pluie et
tantôt démasqués par le clair de lune, des mineurs français réussirent à
descendre dans le fossé de la lunette St-Laurent et à
miner le mur du flanc gauche de cet ouvrage avancé (Note de bas de page : La descente et le passage du fossé pour
creuser la mine s'opèrent de la manière suivante. On s'enfonce derrière le mur
extérieur du fossé (contr'escarpe) jusqu'au niveau de
l'eau. A mesure que les travaux avancent, on couvre l'excavation à l'aide de
châssis en bois, de fascines et de gazons, pour mettre les travailleurs à
l'abri des feux de la place. On perce ensuite le mur extérieur, et l'opération
se termine par l'établissement d'un fort radeau en fascinage garni de parapets,
sur lequel les mineurs s'approchent du mur intérieur du fossé (escarpe). - Il
existe d'autres procédés, mais celui que nous indiquons fut employé contre la
lunette St-Laurent). Dans la quinzième nuit du
siége, au milieu d'une vive fusillade destinée à détourner l'attention de la
garnison, les compagnies d'élite du 6ae régiment de ligne comblèrent le fossé
sur une assez grande largeur, à l'aide de fascines et de sacs à terre ; puis
les mineurs le repassèrent pour charger la mine de plusieurs centaines de
livres de poudre. L'explosion se fit à cinq heures du matin. Le mur s'écroula,
mais le pont de fascines fut submergé, et la tranchée inondée au loin par l'eau
rejetée du fossé. Il fallut amener à grand'peine une
nouvelle masse de fascines et de sacs à terre, tandis que la garnison de la
lunette, toujours debout sur le rempart ébréché, accueillait les travailleurs
par une grêle de balles. Mais cette résistance ne pouvait être de longue durée.
Un détachement français de 40 soldats d'élite, conduit par un chef de
bataillon, monta résolument sur la brèche, (page 75) pendant que deux autres détachements de 25 grenadiers,
précédés de sapeurs portant des échelles, tournaient le fort par la face droite
et le mur de gorge, pour escalader la barrière et arriver dans l'enceinte en
même temps que leurs camarades. Pris ainsi entre deux attaques simultanées, les
défenseurs de la lunette déposèrent les armes. Les Français firent 60
prisonniers, parmi lesquels se trouvait un officier ; les autres, convaincus de
l'inutilité d'une résistance ultérieure, s'étaient enfuis par la barrière et
les ouvertures du mur de gorge, au moment où les baïonnettes françaises
apparurent au. pied de la brèche. On recueillit dans la lunette un obusier, un
canon de 6 et deux mortiers à
L'occupation de la lunette procurait aux assiégeants des avantages considérables. Aussi longtemps qu'elle fut au pouvoir des assiégés, elle avait puissamment contribué à la défense de la citadelle, par les feux de tirailleurs qu'elle entretenait sans relâche contre les approches de l'ennemi ; elle eut beaucoup contrarié l'établissement d'une batterie de brèche devant le bastion de Tolède.
Encouragés par ce premier succès, les Français prirent la résolution de s'emparer de la demi-lune placée en arrière de la lunette, entre le bastion de Tolède et le bastion Paciotto. Après avoir rapidement cheminé vers cet ouvrage, sous la protection de deux nouvelles batteries construites à cette fin, trois brigades de sapeurs, conduites par un chef de bataillon, profitèrent de l'obscurité,de la vingtième nuit du siége (18 au 19 Décembre), pour jeter dans le fossé de la demi-lune une masse de poutrelles, de claies, de gabions et de fascines. Malheureusement, les assiégés s'aperçurent aussitôt de cette tentative. Une vive fusillade accueillit les travailleurs, et une pièce de 12, placée dans la face droite du bastion de Tolède, et dont l'embrasure avait été jusque-là masquée, leur tira successivement soixante-trois coups à boulets et à mitraille. Ce fut en vain que le général Haxo et le chef d'état-major de l'armée se rendirent eux-mêmes sur les lieux. A la vérité, le fossé fut comblé sur les deux tiers de sa largeur ; on réussit même à établir sur cette plate-forme improvisée un épaulement en gabions solides, mais le retour de la lumière contraignit les assaillants à rentrer dans leurs parallèles.
(page 76) Une seconde attaque, tentée pendant la nuit suivante, ne fut pas plus heureuse. Le jour parut de nouveau avant que les travailleurs, décimés par le feu des assiégés, eussent établi un passage praticable. Une troisième tentative, exécutée dans la nuit du 22 au 23 Décembre eut le même sort que les deux précédentes: la nuit tout entière s'écoula encore une fois en travaux stériles. Cette résistance héroïque sauva l'ouvrage menacé. Les Français renoncèrent au projet d'occuper la demi-lune, et tous leurs efforts furent désormais dirigés contre le bastion de Tolède.
Le doute sur les intentions des assiégés était devenu impossible. Généraux et diplomates, Français et Belges, tous étaient convaincus qu'il faudrait passer par les derniers épisodes d'un siége régulier, avant d'obtenir la soumission de Chassé. Malgré leurs privations, leurs souffrances et leurs pertes, les Hollandais ripostaient sans relâche, avec une ardeur et une constance dignes des plus grands éloges. Au milieu des décombres des édifices, le drapeau néerlandais, criblé de boulets et de balles, flottait glorieusement sur une butte labourée par les bombes. Du côté des Français, le nombre des tués et des blessés allait toujours en augmentant. L'Europe entière avait les yeux sur cette citadelle isolée, perdue au milieu d'un pays ennemi, abritant à peine quelque milliers de défenseurs dans son étroite enceinte, et bravant audacieusement l'attaque de toute une armée française commandée par un maréchal illustre. Les Belges eux-mêmes oubliaient leurs griefs et leurs rancunes pour admirer le courage de la garnison hollandaise.
Cependant le drame approchait de son dénouement.
Après plusieurs jours et plusieurs nuits d'un travail opiniâtre, presque toujours contrarié par des pluies torrentielles, au point que les tranchées ressemblaient à des ruisseaux de boue, les Français avaient enfin achevé l'armement d'une batterie de brèche de 6 pièces de 24, devant la face gauche du bastion de Tolède. C'était là que, selon les plans du général Haxo, le coup décisif devait être porté.
La journée du 21
Décembre s'annonça par une canonnade et un bombardement d'une violence
extraordinaire. Pendant que les batteries françaises jetaient à l'envi leurs
boulets et leurs bombes, des centaines de tirailleurs, placés dans les
tranchées voisines, entretenaient un feu nourri contre tous les points où les défenseurs
de la place osaient (page 77) se
montrer à découvert. Vers le soir, la canonnade et la mousqueterie se
ralentirent, mais le bombardement fut continué avec vigueur. La journée se
termina néanmoins, sans qu'un résultat important eût été obtenu de part ni
d'autre (Note de bas de
page : Après l'exposé complet des épisodes que nous venons de résumer,
l'auteur de
Il n'en fut pas de même dans la journée du lendemain. Dès huit heures du matin, pendant que les autres batteries tiraient sur tous les points de la place exposés à leur vue, la batterie de brèche reprit son feu contre le bastion de Tolède. Vers midi, les briques commencèrent à tomber en poussière. Deux heures plus tard, la maçonnerie fut percée en plusieurs endroits, et enfin, vers six heures, le mur tomba dans le fossé sur une étendue de plus de trente mètres. Il ne restait plus qu'à élargir la brèche, à combler le fossé et à monter à l'assaut.
La soumission de la garnison vint la soustraire à cette dernière épreuve. Le 23 Décembre, à la pointe du jour, la canonnade avait été reprise comme de coutume, lorsque, vers huit heures, deux officiers hollandais se présentèrent aux avant-postes du côté de la ville, avec une lettre du général Chassé annonçant qu'il était prêt à traiter de la reddition de la place.
(page 78) A dix heures du matin, l'ordre de cesser les hostilités fut donné de part et d'autre. Aussitôt l'appareil de la guerre et les sentiments hostiles disparurent comme par enchantement. Pendant que les conditions de la capitulation étaient débattues entre un délégué du maréchal et le conseil de défense de la place, les Français sortaient de leurs tranchées, les Hollandais se montraient sur les remparts, et ces mêmes hommes, qui jusque-là s'étaient combattus sans relâche, ne songeaient plus qu'à se prodiguer des témoignages d'affection et d'estime. Du côté de la ville, on vit les soldats d'un poste français courir aux Hollandais pour leur remettre les rafraîchissements qu'on venait, de distribuer. Les officiers des deux nations s'étaient rapprochés et se félicitaient réciproquement de l'attitude qu'ils avaient gardée pendant la lutte.
Après de vifs
débats, les termes de la capitulation furent enfin fixés vers le soir. La
garnison se constituait prisonnière de guerre, mais le maréchal s'engageait à
la faire conduire à la frontière de Hollande, aussitôt que le roi des Pays-Bas
aurait ordonné la reddition des forts de Lillo et de Liefkenshoek. Les
officiers gardaient leurs épées, et toute la garnison conservait ses bagages.
Les malades et les blessés devaient être conduits par eau à Berg-op-Zoom,
aux frais du gouvernement néerlandais. Les malades non transportables devaient
être traités à l'hôpital militaire d'Anvers, également aux frais de
Un article additionnel portait que la flottille de canonnières, commandée par le colonel Koopman, n'était pas comprise dans cette capitulation. Tout en ayant émis dans le conseil de défense un vote favorable à la reddition de la place, le colonel avait formellement refusé de prendre le même parti pour les marins placés sous ses ordres. Aussi, à peine la capitulation fut-elle signée, qu'il prit ses mesures pour conduire son escadrille dans les eaux de Lillo, malgré les batteries françaises établies sur les deux rives du fleuve. A l'approche de la nuit, après avoir placé ses marins sur le bateau à vapeur, les six meilleures canonnières et une allége, il donna l'ordre de mettre le feu aux autres (page 79) bâtiments, aussitôt qu'il aurait dépassé la ville. Malheureusement, le vent était contraire et, pendant la discussion de la capitulation, la marée descendante avait beaucoup perdu de sa force. Le colonel ne se mit pas moins en route avec un indomptable courage. Accueillie d'abord par une forte fusillade partant des quais d'Anvers, la flottille fut bientôt en butte au canon du fort du Nord. Ici toute résistance devint impossible. Forcé de rebrousser chemin, le colonel mit le feu aux bâtiments qui lui restaient, et les matelots gagnèrent la rive au milieu d'une grêle de balles. Une seule canonnière, bravant les boulets et les balles des postes placés sur les digues, continuait lentement sa route. Des quais et des remparts d'Anvers, plusieurs milliers de spectateurs suivaient sa marche dans l'obscurité, guidés en quelque sorte par les feux d'artillerie et de mousqueterie qui l'accueillaient successivement au passage. Mais cette tentative audacieuse demeura, elle aussi, sans résultat. Abandonnée par la marée à la hauteur du fort Ste-Marie, la chaloupe vint échouer sur la rive gauche, où l'équipage se rendit à discrétion au commandant français du fort.
Le lendemain, 24 Décembre, à six heures du matin, un bataillon français prit possession de la demi-lune et de la porte qui regardent la ville ; puis un officier hollandais, accompagné d'un officier français et de M. de Tallenay, secrétaire de la légation française de Bruxelles, se mit en route pour prendre les ordres du gouvernement de La Haye à l’égard de la reddition des forts de Lillo et de Liefkenshoek.
A quatre heures
de l'après-midi, le maréchal Gérard, accompagné des ducs d'Orléans et de
Nemours, et suivi de son brillant état-major, se rendit à la citadelle pour
faire une visite d'honneur au général Chassé. Celui-ci, condamné à un repos
absolu par une hernie dont il souffrait cruellement, se trouvait au fond de la
casemate obscure qui, depuis le commencement du siége, lui avait servi d'asile.
Avec une générosité qui honore son caractère et sa nation, le maréchal
s'efforça d'adoucir, autant qu'il dépendait de lui, tout ce que la position de
son prisonnier avait de pénible. A diverses reprises, il lui répéta que la
défense avait été poussée aussi loin que l'exigeaient les lois les plus
rigoureuses de l'honneur militaire. Se tournant ensuite vers les officiers hollandais
groupés à l'entrée de la casemate, il les félicita vivement du courage et de
l'énergie qu'ils avaient déployés dans la défense. « Vous avez pour toujours,
leur dit-il, mérité l'estime des Français. Tous mes (page 80) officiers seraient fiers de vous avoir pour compagnons
d'armes. J'honore partout le courage, et ces ruines, Messieurs, sont les plus
belles preuves du vôtre. » En effet, l'enceinte de la citadelle offrait une
scène de désolation dont on peut difficilement se former une idée fidèle. Tous
les bâtiments étaient en ruine, et leurs débris, noircis par l'incendie ou
rougis par le sang des assiégés, encombraient les parties du sol qui n'avaient
pas été défoncées par les bombes. « La quantité de projectiles, de caffûts, de pierres, d'entonnoirs de bombes qui couvrent
le sol, dit un témoin oculaire, est incalculable : il n'existe plus que des
traces de bâtiments ; seulement on aperçoit çà et là quelques murs tout criblés
de boulets, et ce n'est qu'avec précaution que l'on peut marcher à travers cet
amas de décombres, de ruines de bâtiments encore enflammés et de projectiles,
donnant à l'intérieur de la citadelle un aspect de dévastation, de misère, de
chaos, tout à fait impossible à décrire
» (Journal du général Neigre, p. 121). La brèche, il est vrai, n'était pas
encore praticable, mais elle l'eût été après une canonnade de quelques heures.
Le grand magasin, déjà fortement endommagé, renfermait
Après avoir visité toutes les parties de la citadelle, le maréchal, toujours accompagné des deux princes, se rendit sur le glacis de la lunette de Kiel. La division Fabre y était rangée en bataille, avec un détachement de l'artillerie et du génie. Bientôt la garnison hollandaise, composée d'environ 4,000 hommes, sortit de la citadelle et vint déposer les armes sur le glacis. Là encore, les Français n'oublièrent aucun des égards dus à leurs ennemis vaincus. Un lieutenant hollandais ayant jeté son épée avec colère, un aide de camp du maréchal la lui rendit en disant: « Reprenez-la, Monsieur, elle ne saurait être mieux placée qu'en vos mains. » Après son désarmement, la garnison retourna à la citadelle, pour y rester jusqu'au retour de la députation envoyée à La Haye (Note de bas de page : Le nombre total de tous les prisonniers était de 5,335, savoir: dans la citadelle 3,936 hommes, y compris 129 officiers ; 467 hommes dans les forts ; 382 marins et soldats de marine, et 550 malades (White, Révolution belge, t. III, p. 259).
(page 81) Le même jour eut lieu la
remise des forts de
Telle fut la fin de ce siége mémorable, après
vingt-quatre jours de tranchée ouverte. Les Français avaient tiré 64, 572
coups, lancé près de 20,000 bombes et consommé
Le 26 au soir,
l'officier hollandais envoyé à La Haye, et qui seul avait été autorisé à passer
la frontière, revint avec le refus formel de son gouvernement d'évacuer les
forts de Lillo et de Liefkenshoek. Le maréchal n'en offrit pas moins à Chassé
l'autorisation de retourner en Hollande avec sa garnison, à condition de ne
plus servir contre
Après que, dans
la nuit du 26 au 27 Décembre, les Hollandais grièvement blessés eurent été
transportés à l'hôpital militaire d'Anvers, le maréchal donna l'ordre de
diriger sur le fort de Lillo les blessés et (page 82) les malades qui' pouvaient supporter le voyage. Le 30
Décembre, une première colonne de 2,500 prisonniers passa l'Escaut et se mit en
marche pour
Chassé, qui n'avait pas voulu se séparer de ses troupes, suivit la dernière colonne, entouré de son état-major et du colonel Koopman, commandant de la flottille. Au moment où le vieux soldat, soutenu par deux de ses officiers, sortit de la citadelle par la poterne de l'Escaut, un détachement de 700 fantassins français, commandés pour une corvée, se trouva fortuitement sur son passage. Par un mouvement spontané, tous ces militaires se, découvrirent respectueusement, et l'on put remarquer que le général hollandais fut profondément touché de cet hommage.
La rive gauche du fleuve était couverte d'une foule immense accourue d'Anvers et des communes environnantes. Les spectateurs étaient tellement nombreux que les officiers français de l'escorte redoutaient une manifestation populaire contre l'homme qui, pendant deux longues années d'angoisses, avait fait planer la terreur sur la métropole du commerce belge. Mais cette crainte était sans fondement. Au moment où Chassé mit pied à terre, la foule ouvrit ses rangs et se découvrit devant l'illustre guerrier qui avait si bien répondu à la confiance de son souverain et à l'attente de sa patrie. Le dévouement au devoir, la fidélité au drapeau, la constance dans l'adversité, le mépris de la mort, en un mot, l'héroïsme militaire agit puissamment sur l'esprit des masses, alors même qu'il brille chez un ennemi et que ceux qui l'admirent en ont été les victimes.
Trois voitures destinées à l'état-major hollandais se trouvaient devant la maison du bourgmestre de Burght. Le général se plaça dans la première avec un de ses aides de camp et un chef de bataillon français. La voiture prit la route de St-Nicolas, escortée d'un piquet de cavalerie dont l'officier se tenait à la hauteur de la portière.
La garnison
prisonnière fut conduite à St-Omer, par Gand,
Courtray et Ypres. Sur tout le parcours, on remarqua l'extrême bienveillance de
la brigade d'escorte. Les officiers des deux peuples vivaient ensemble comme
d'anciens compagnons d'armes. Aussi, à peine arrivé à St-Omer,
le général Chassé adressa-t-il au général Harlet, (page 83) commandant la brigade
d'escorte, une lettre empreinte de tous les sentiments d'une inaltérable
reconnaissance (Note de bas de
page : Voici cette lettre : « Saint-Omer, le 7 Janvier 1833. Monsieur et
cher Général, je viens remplir un devoir bien doux pour des âmes comme les
nôtres, c'est d'acquitter la dette de la reconnaissance. J'ai été traité moi et
les miens, par vous, avec tant d'égards et de générosité, et mes compagnons
d'armes de la part de MM. les officiers et soldats français sous vos ordres, et
surtout des colonels des 11e léger, 5e de ligne et 4e de chasseurs à cheval,
qu'il n'est pas d'expression assez forte pour vous témoigner ma gratitude et
l'estime des miens. Je suis heureux de pouvoir, en cette circonstance, être
l'organe de tous, en vous priant de bien vouloir agréer l'expression bien
sentie de nos sentiments dévoués et les plus distingués. Le général d'infanterie, Baron CHASSÉ. » Voy., pour tous ces détails,
Ces événements, accomplis pour ainsi dire sous les yeux d'une armée prussienne concentrée aux frontières, produisirent en Europe une impression universelle et profonde. En France, les feuilles de l'opposition ; en Allemagne, tous les organes de l'absolutisme ; en Angleterre, tous les journaux des torys, prenant leurs vœux ou leurs craintes pour des réalités, avaient annoncé que le premier coup de canon tiré des batteries françaises serait le signal d'une guerre générale. Toutes ces prophéties venaient de s'évanouir comme des ombres. Le coup de canon avait été tiré ; il avait été suivi de plusieurs milliers d'autres, et la citadelle seule avait répondu. Le prince d'Orange lui-même était resté immobile à la frontière ; convaincu de l'impossibilité d'une lutte dirigée à la fois contre les Français et contre les Belges, il avait entendu sans coup férir le bruit lointain de l'artillerie qui foudroyait les remparts d'Anvers. Pour les hommes d'Etat habitués à étudier la portée des événements, cette abstention de l'Europe était la consécration définitive des révolutions de Juillet et de Septembre. C'était la monarchie absolue avouant son impuissance devant la monarchie parlementaire. Guillaume Ier et son peuple savaient désormais qu'on pouvait les contraindre par les armes, sans provoquer nécessairement une guerre générale. L'appui des gouvernements absolus et les alliances de famille avaient été également inefficaces.
Mais c'était
surtout en Belgique que les événements des dernières semaines avaient fait
sentir leur influence. Les opérations des premiers (page 84) jours du siége suffirent pour dissiper les illusions qu'on
s'était formées sur la prétendue faiblesse de la citadelle. A l'aspect des
obstacles qui arrêtaient le génie, la persévérance et le courage des soldats de
Ce revirement d'idées ne pouvait qu'améliorer la position des ministres démissionnaires. Le 16 Décembre, après avoir vainement essayé de former une administration nouvelle, le roi les pria de reprendre leurs portefeuilles. Le cabinet était déjà reconstitué, au moment où l'on reçut à Bruxelles la nouvelle de la prise de la citadelle.
Quel sera désormais le rôle de l'armée française ? Fera-t-elle le siége des forts de Lillo et de Liefkenshoek, encore occupés par les troupes hollandaises ? Reprendra-t-elle le chemin de la frontière ? Se bornera-t-on à maintenir les mesures maritimes ? Ces questions préoccupaient les esprits, lorsque tout à coup le maréchal Gérard reçut de Paris l'ordre d'évacuer le territoire belge.
Aucune notification
de cet ordre n'ayant été faite au gouvernement belge, le ministre des Affaires
étrangères chargea M. Lehon de se plaindre de ce
manque d'égards envers les droits et les susceptibilités d'un peuple allié ;
mais le fait même de la retraite de l'armée française, avant la reddition des
forts de Lillo et de Liefkenshoek, entrait à tous égards dans les vues du
cabinet de Bruxelles. Avant le terme de nos différends avec le gouvernement de
La Haye, l'occupation de ces forts était d'une importance très secondaire pour
les Belges, puisque les Hollandais, maîtres des deux rives du Bas-Escaut, n'en conservaient (page 85) pas moins la faculté de fermer l'accès du fleuve ; tandis
que, si Guillaume Ier s'obstinait à les retenir,
Le 31 Décembre,
la citadelle,
Oubliant les
déplorables débats parlementaires qui avaient marqué l'arrivée de l'armée
française,
La première
partie de cette proposition ne pouvait manquer d'obtenir l'unanimité des
suffrages de l'assemblée ; mais il n'en était pas de même de la seconde,
surtout à partir du moment où l'orateur commit l'imprudence de réclamer le
renversement du lion monumental, comme une protestation nationale contre la
chute du premier Empire. « Par la seconde partie de ma proposition, dit-il, je
vous invite à vous affranchir du vasselage de
Le roi, de son côté, accorda à l'armée du maréchal Gérard 393 croix de son Ordre.