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d’intention
« Jules Malou (1810-1870) », par le
baron de TRANNOY
(Bruxelles,
Dewit, 1905)
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(page 559)
Cette loi fut l’une des dernières œuvres et l’un des legs les plus
précieux du ministère que Malou dirigea de 1871à 1878.
Aussi bien, n’est-ce pas l’endroit ici d’en faire l’exposé, non plus que
de rapporter les incidents violents et le véritable déchaînement d’opposition
que la loi du 9juillet 1877 provoqua.
Il n’entre pas davantage dans nos intentions de revenir sur les origines
lointaines de ce projet, sur les propositions que Malou formula pour la
première fois en 1842 (voir chapitre III, pp. 82-83), qu’il renouvela sans succès en
1859 (voir chapitre XVI, pp. 403-407). Nous n’indiquerons que pour mémoire la
présentation, mieux accueillie, d’un amendement destiné à assurer le payement
effectif du cens électoral et qui fut voté, après (page 560) quelques modifications, le 22 mars 1865, à l’unanimité du
Sénat. Qu’il nous suffise aussi de noter que Malou s’était trouvé au nombre des
adversaires de la loi Orts ; rien, d’ailleurs, n’était plus naturel, puisque
cette loi n’était destinée qu’à accroître d’une manière factice, aux dépens de
la minorité, le nombre des représentants.
Mais il importe de souligner davantage la part prise par Malou à
l’assaut qui fut livré avec une nouvelle vigueur, en mars 1867, en faveur de
réformes électorales, et spécialement sa courageuse campagne contre les
cabaretiers électeurs.
Le gouvernement avait soumis aux Chambres un projet de loi de répression
des fraudes. Le Sénat, à son tour, en aborda bientôt l’examen.
Malou eût adhéré d’enthousiasme à toute proposition, d’où qu’elle vînt,
qui eût coupé court aux abus et donné satisfaction aux griefs les plus fondés.
Telle n’était malheureusement pas la portée du projet adopté par
Cet article menaçait de ses rigueurs ceux qui se seraient fait inscrire
indûment sur les listes d’éligibles au Sénat. Comme s’il y avait-là matière à
quelque délit ! « Qu’est-ce donc qu’une liste d’éligibles ? interrogeait
Malou narquois. Quel délit, quel crime, quel méfait envers la société ou envers
les individus commet celui qui se fait porter, même indûment, sur les listes
d’éligibles au Sénat ? Je comprends une loi qui définit les délits, mais je ne
comprends pas celle qui en invente »
Autre chose était évidemment le droit d’être électeur. (page 561) L’inscription sur la liste
électorale constituait un titre pour l’exercice d’un droit. La loi frappait
justement ceux qui se faisaient inscrire sur ces listes en s’attribuant
frauduleusement une contribution dont ils ne possédaient pas les bases.
Malou s’indignait de ce que, au nombre de celles-ci, le projet maintînt
le droit sur le débit de boissons, qui avait multiplié au delà de toute mesure
le nombre des cabaretiers électeurs.
Il avait rédigé, à l’adresse de ces derniers, dans le Catholique, un cinglant réquisitoire (Les Cabarets.
(Extrait du Catholique.) Bruxelles,
Devaux, 1867), qui atteignait,
par ricochet, M. Frère-Orban. Le ministre des finances n’était-il pas l’auteur
de la funeste loi de 1849 ? Ne l’avait-il pas substituée, avec une
arrière-pensée plus politique que moralisatrice, à la loi de 1838, dont l’objet
était de restreindre l’abus des liqueurs fortes, de les frapper d’un droit de
consommation qui ne devait pas être considéré comme impôt
« En habile homme, écrivait Malou, M. Frère comprit bien vite quel
parti on pouvait tirer dc cet impôt au point de vue
électoral. Il proposa de changer non seulement la classification, mais le nom
de l’impôt. Le droit de consommation devint un droit sur le débit, une sorte de
patente spéciale.
« Le taux fut établi, selon les communes et les décisions des
répartiteurs des patentes, à un chiffre variant de 12 à 60 francs.
« Le nom étant changé, on crut avoir suffisamment changé la nature
même des choses ; l’idée morale disparut si ce n’était plus qu’un droit fiscal,
il fallait bien le faire payer d’après l’importance des débits, il fallait bien
le classer au budget des voies et moyens, à la suite des autres impôts (page 561) directs et le faire compter
pour le cens électoral aux divers degrés. L’une et l’autre chose eurent lieu. (Les Cabarets, p. 4).
La loi de 1849 abaissait de 20 à 12 francs le minimum du droit sur le
débit. Aussi, dès la première année, le nombre des cabarets augmentait-il de 24
p. c. On comptait, en 1866, 94.925 cabarets pour une population de 4,940,570
habitants, soit, en moyenne, un cabaret par 52 habitants.
Au point de vue électoral, on en était arrivé à ce résultat, qu’il y
avait, en Belgique, 104,362 électeurs pour les Chambres et, sur ce nombre,
11,425 cabaretiers. Ceux-ci formaient à eux seuls la neuvième partie du corps
électoral. Le régime constitutionnel était vicié dans sa probité essentielle.
« Je ne sais, écrivait Malou dc sa plume
ironique, si quelqu’un soutiendra qu’une loi donnant lieu à de telles
conséquences est salutaire, nationale, excellente en principe et en fait.
Jusqu’à preuve du contraire, je dirai que cette loi est à rebours du sens
commun et de l’intérêt national.
« Est-elle, du moins, utile à l’une des opinions qui divisent le
pays ? Comme tant d’autres, je le croyais ou plutôt, malgré les affirmations
récentes de M. le ministre des finances, j’incline à le croire encore. C’est,
en effet, une idée assez généralement accréditée que la prépondérance de
l’opinion qui dirige actuellement les affaires en Belgique n’est pas seulement
fondée sur les immortels principes de 89 et sur l’horreur de la nation pour les
ténèbres du moyen âge, mais que son appui plus réel, la cause décisive de ses
victoires, dans certaines luttes très vives et disputées de très près, serait
ou pourrait être l’influence électorale du cabaret. M. le ministre des finances
ne partage pas cette opinion ; il fait remarquer, avec raison, que, depuis la
loi de, 1849 la droite a (page 563)
gagné des batailles et compté à deux reprises des succès (dont elle n’a
malheureusement pas su profiter). Eh bien ! soit ne discutons plus puisque nous
sommes ingrats envers les cabaretiers, accomplissez à votre profit la réforme
que nous avons l’étourderie ou l’ingratitude de provoquer.
« Assurément le pays en profitera, et la droite, ayant demandé
cette réforme, renonce, par cela même, à s’en plaindre, si elle éprouve des
mécomptes. »
Pourquoi, interrogeait-il, ne pas étendre à d’autres professions la
faveur faite aux cabaretiers, du moment où l’on ne s’en tient pas à l’idée
constitutionnelle que le droit électoral ne doit être attaché qu’à des impôts
avant un caractère général, représentant la fortune ?
« Je ne veux pas faire de métaphysique ou de théorie ; mais enfin
notre régime constitutionnel, franchement prosaïque, repose sur la possession
du cens représentant la fortune, seule présomption légale, juris
et de jure, de l’intérêt matériel, abstraction faite de l’intelligence ou de la
capacité. Newton, Descartes, Arago et tous les brillants génies qui ont laissé
des traces si lumineuses dans le ciel de l’humanité ne seraient pas électeurs à
moins de justifier du paiement effectif de 42 fr. 32 c. d’impôts directs dont
ils posséderaient les bases, c’est-à-dire de posséder des valeurs réelles,
fixes, appréciables, foncières, mobilières ou industrielles. Ils auraient
aujourd’hui, il est vrai, comme tant d’autres Belges qui usent ou abusent de
cette faculté, le droit de prendre une patente de débitant de boissons
distillées. La base légale, en ce cas, je l’ai dit ailleurs, consiste à
posséder une bouteille d’eau-de-vie de grain ou du franschen et trois petits verres.
Une branche de genêt, de pin ou de genévrier, suspendue à la porte, complète
l’installation et achève la conquête de la plus précieuse prérogative du
citoyen belge.
« Si l’on veut rester fidèle à l’idée constitutionnelle sincère, le
droit électoral ne doit être attaché qu’à des impôts représentant une base
réelle, tangible, à des impôts ayant un (page
564) caractère général. Si la taxe qui frappe une classe ou une profession
déterminée est la source de l’électorat, nous n’avons plus le self-government
libéral et de droit commun, mais une oligarchie et un régime de privilège. Il
serait facile, en continuant à marcher dans cette voie, d’attribuer la
suprématie politique à quelques petits groupes, au moyen de taxes spéciales de
profession.
« Toutes les industries qui concourent à la nourriture de l’homme,
les bouchers, boulangers, meuniers et pâtissiers, par exemple, auraient autant
de titres, sinon de meilleurs, que les cabaretiers à former cette aristocratie
électorale. » (Les Cabarets, p.
11).
Découvrant la plaie, Malou signalait le remède. Abolir le droit de
débit, rétablir le droit de consommation par abonnement sans qu’aucune
prérogative politique y fût attachée, c’était tailler dans le vif d’un abus qui
n’avait que trop pesé sur les destinées des partis en Belgique ; élever le taux
minimum du droit de débit, revenir à l’ancienne fixation à 20 ou même à 25
francs, c’était compléter, au point de vue moral, la plus urgente des réformes
électorales. (Malou revint à la charge dans la séance du 17 décembre
1869. Il déposa et développa une proposition tendant à porter le minimum du
droit sur le débit des boissons alcooliques à 30 francs. Cette proposition,
combattue par M. Frère-Orban, fut prise en considération par le Sénat).
A M. Victor Jacobs, le second successeur de M. Frère-Orban au ministère
des finances, reviendra l’honneur de la suppression du privilège légal en
faveur des débitants d’alcool.
II n’en convient pas moins de louer Malou d’avoir courageusement dénoncé
le cabaret, « qui vicie les générations, qui appauvrit le sang de la classe
ouvrière, qui lui ôte, à la fois, la force physique et le sens moral », (page
565) d’avoir montré « que là est l’ennemi de la classe ouvrière, que c’est là
qu’il faut le combattre et le détruire dans la mesure du possible. »
(page 565) Le Sénat vota, malgré ses lacunes
et ses contradictions, l’article 1er du projet de loi.
Celui-ci, en dehors des dispositions répressives de certaines fraudes,
comportait un ensemble de dispositions organiques que Malou et ses amis
combattirent vivement ; elles devaient, à leur sens, altérer, au détriment de
la minorité, une situation électorale qu’ils estimaient déjà inéquitablement défavorable.
C’est dans cette pensée qu’ils s’opposèrent à l’adoption du vote suivant
l’ordre alphabétique (article 4 du projet de loi) et à l’établissement, au local du
vote, d’une cloison destinée à abriter l’électeur, et que Malou qualifiait
plaisamment de rafraîchissoir des
consciences (article 5).
Diverses dispositions du projet avaient, en outre, pour but de mettre
fin aux dépenses occasionnées par les transports d’électeurs et les diners
électoraux.
On s’étonnera que Malou ne se soit pas élevé contre des usages qui, au
premier aspect, apparaissent comme abusifs et que, au contraire, il ait défendu
une proposition tendant à allouer aux électeurs qui devaient se transporter à
plus d’une lieue de leur résidence une indemnité de voyage égale à celle qui
était allouée aux témoins en justice, ainsi qu’une indemnité de séjour de
francs. L’amendement fut rejeté ; mais les transports d’électeurs et les diners
électoraux restèrent permis. Il (page
566) fut seulement interdit de donner ou promettre des sommes d’argent aux
électeurs.
Malou avait d’excellentes raisons de ne point désirer la suppression de
certaines dépenses électorales dont l’usage généralisé était moins abusif en
réalité qu’en apparence. Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que le vote
avait lieu au chef-lieu d’arrondissement. Le déplacement des électeurs
entraînait à des dépenses qui eussent maintes fois arrêté les électeurs des
campagnes si les candidats eux-mêmes n’y avaient pourvu. En sorte que l’abus,
ou plus justement l’inégalité, eût peut-être été plus considérable si, par
suite de l’interdiction de toutes les dépenses électorales, ces électeurs
s’étaient trouvés effectivement écartés des urnes par la crainte de débours à
faire.
« La loi, disait Malou, ne doit laisser subsister entre les
citoyens qu’elle investit des mêmes droits que les inégalités qu’il n’est pas
en son pouvoir de faire disparaître.
« En 1848, les Chambres ont été unanimes pour abaisser le cens à la
dernière limite fixée par
« Vous dites qu’un citoyen belge peut participer à la souveraineté
nationale à condition qu’il paye 10 florins, et pour exercer ce droit il devra
en payer encore 10 ou 15. Que devient le droit dans dc
pareilles conditions ?
« Il devient illusoire ; ce n’est pas un droit. C’est, permettez—-moi
le mot, une mauvaise plaisanterie légale. »
Un journal accusa Malou de s’être fait l’avocat de la fraude « J’admets
la bonne foi de ce journal, repartit-il, (page
568) mais à une seule condition, c’est que ce soit au détriment de son
intelligence. »
L’une des dispositions de la loi électorale les plus propices aux
manœuvres louches de la dernière heure était celle qui permettait que les
ballottages eussent lieu immédiatement après le dépouillement du premier
scrutin.
Le Sénat estima, avec M. Bara, que le moment n’était pas venu d’adopter
un amendement, bien timide cependant, que Malou avait soumis à ses collègues
relativement aux ballottages. (« Lorsque le ballottage pour les
élections législatives ne peut commencer, au plus tard, à 3 heures de
l’après-midi, il sera remis à un autre jour à fixer par le président du bureau
principal. Dans ce cas, les électeurs seront convoqués de nouveau, en suivant
le délai déterminé par l’article 10 de la loi électorale. ») Il n’eut pas plus de succès avec
une autre disposition additionnelle destinée à assurer la vérification des
opérations du dépouillement des bulletins de vote. (« Les
articles 38 dc la loi électorale, 33 de la loi
provinciale et 44 de la loi communale, sont abrogés et remplacés par les
dispositions suivantes :
(« Après le
dépouillement, les bulletins seront mis sous enveloppes cachetées, en présence
de l’assemblée.
(« Le président de la
section et deux scrutateurs signeront ces enveloppes, et ils apposeront leurs
cachets de manière qu’aucune substitution de bulletins ne puisse avoir lieu.
(« Les candidats élus et
ceux qui auront obtenu plus du quart des suffrages pourront aussi apposer leurs
cachets.
(« Les enveloppes
cachetées seront remises intactes aux commissions de vérification des pouvoirs,
s’il s’agit d’élections législatives ou provinciales, et aux députations
permanentes, s’il s’agit d’élections communales. »)
Malou se consola de ces échecs répétés en affirmant au Sénat sa
conviction que ces idées feraient leur chemin et seraient tôt ou tard
accueillies.
Ce fut l’œuvre du ministère conservateur de 1871.
(page 568) L’année 1870 fut fatale au
gouvernement issu des journées de mai 1857. Dans la presse comme au parlement,
les questions électorales continuaient de servir de thème à l’agitation
politique.
La division des libéraux contribua beaucoup à la chute du ministère. La
fraction jeune gauche applaudissait, dès 1865, à une proposition de M. Guillery tendant à conférer l’électorat pour la province et
la commune à ceux qui payeraient 15 francs d’impôts et sauraient lire et
écrire. En somme, les radicaux ne faisaient autre chose que reprendre l’un des
articles du programme soumis au Roi, en 1865, par M. Dechamps.
Sous la pression de l’opinion publique, M. Frère-Orban s’était décidé,
en 1867, à déposer un projet dérisoire, diminuant le cens de moitié pour ceux
qui auraient fréquenté pendant trois ans un cours d’école moyenne. « Il est
original, faisait remarquer Malou, de donner un privilège à ceux qui étudieront
trois ans, alors que le programme peut être exécuté en deux ans. En définitive,
vous ne donnez de privilège qu’aux plus mauvais élèves, c’est-à-dire qu’à ceux
qui auront doublé et qu’en termes techniques on appelle des fruits secs. »
Le projet de loi fut voté, le 1er mai 1867, par
M. Frère-Orban, qui paraissait regretter le premier pas qu’il avait été
contraint de faire, ne présenta le projet au Sénat que l’avant-veille des
élections de juin 1870. (Dans l’intervalle, M. Pirmez,
ministre de l’intérieur, avait défendu au Sénat un projet de loi apportant des
modifications aux règles qui présidaient à la formation des listes électorales
(avril 1869). La droite approuva diverses dispositions de ce projet destiné à
améliorer le régime électoral.
(Malou combattit
l’intervention de la magistrature, appelée à juger, en ressort d’appel, les
décisions des députations permanentes : « Je vois aujourd’hui, avec un profond
regret, disait-il, qu’on charge la magistrature d’attributions nouvelles, qui
ne sont pas nécessaires et qui peuvent, plus ou moins, dénaturer son caractère,
qu’il est désirable, pour toutes les opinions, qu’elle conserve parfaitement
intact »).
(page 569) Malou se trouva
d’accord avec Frère-Orban pour repousser le suffrage universel, comme une
calamité pour
« Le premier, le plus grand intérêt du pays, c’est l’inviolabilité
de
« Dans une discussion récente à
« L’idée ne soulève plus, comme autrefois, de vives et unanimes
protestations, c’est un grand mal ; on nous conduit ainsi lentement, mais
sûrement, à cette révision.
« Le suffrage universel, - je le dis, bien que deux ou trois
membres de la droite parlementaire en aient vanté les avantages, - c’est le
renversement de
« Aussi, non seulement je le combattrais, s’il se présentait, mais
je voudrais que ma voix fût assez puissante pour que (page 570) personne ne songeât plus désormais à la possibilité d’y
arriver.
« Là se trouve, en effet, je le répète, le plus grand danger qui
puisse menacer le pays et l’on nous y conduit en répétant incessamment que
c’est la chose la plus simple que de réviser
Bien différente avait été l’initiative prise par la droite, dans le
programme de 1864 :
« M. le ministre des finances, rappelant les origines du projet
actuel, nous dit : C’est une faute que la droite a commise de mettre en avant
la question de la réforme électorale.
« Le programme de 1864 disait qu’il était nécessaire d’abaisser,
dans une certaine proportion très modeste, le cens électoral pour la province
et la commune ; c’est une faute, dit-on. Oui, si l’on peut prouver qu’il n’y
avait rien à faire, qu’il n’est pas juste et, en quelque sorte, nécessaire
d’abaisser le cens pour la province et la commune ; mais c’est, au contraire,
une idée vraie, et dictée par la saine appréciation de la situation, si l’on
peut prouver que, dans les circonstances actuelles, il est utile et équitable
d’abaisser le cens pour la province et la commune. »
Malou considérait le projet du gouvernement, qui devait augmenter de
2,000 tout au plus un corps électoral composé de 230,000 électeurs, comme
insignifiant en fait et dangereux dans son principe :
« Ce projet contient, disait-il, deux mauvais principes : il ne
contient pas seulement le principe de l’abandon du cens tel qu’il a été
pratiqué dans toute notre législation électorale jusqu’à présent, il contient
un autre principe également mauvais : c’est l’intervention du gouvernement pour
fabriquer des électeurs en gros... D’après le projet de loi, quand il y a
discussion sur le point de savoir si un porteur de certificat peut être
électeur, on recourt à la députation et à un (page 571) arrêté royal. Il dépendra donc d’un arrêté royal de
décider, par grandes catégories, puisque certains établissements peuvent
exister depuis un grand nombre d’années, si, oui ou non, il y aura 50,100,
peut-être 1,000 électeurs nouveaux ou s’il n’y en aura pas.
« Nous avons fait une loi contre les fraudes électorales, contre la
fabrication des électeurs en détail, je ne veux pas investir le gouvernement du
droit de les fabriquer en gros. »
La majorité du Sénat vota le projet adopté par la Chambre ; celui-ci
devint la loi du 30 mars 1870, qui n’entra jamais en vigueur.
(page 571) Les élections du 14 juin 1870
mirent fin au long règne de M. Frère-Orban et ouvrirent, avec quelque surprise,
une période, de gouvernement conservateur.
Au seuil de celle-ci nous nous arrêterons.
Le parti libéral ayant perdu la majorité à
Avec l’avènement d’un ministère conservateur finit cette période de
demi-effacement qui, durant dix ans, avait éloigné Malou de la direction
politique de son parti.
Son rôle, cependant, depuis la crise de 1864, avait progressivement
grandi ; la faveur, que les événements de 1857 lui avaient enlevée même dans
l’esprit de certains (page 572)
catholiques, lui était revenue ; on lui savait gré d’avoir vaincu des
répugnances justifiées et de s’être détourné de ses occupations financières
pour aider, avec le baron d’Anethan, au relèvement de la droite sénatoriale.
Nul n’avait eu plus de souci de la dignité de la haute assemblée et ne
l’avait mieux défendue contre de puissantes volontés qui méditaient de la
réduire au rôle infime d’une commission d’observation et d’entérinement. Nul
n’avait montré plus de modération et plus de volonté de collaborer, chaque fois
qu’il était possible, à d’utiles besognes ; ses collègues lui devaient un
Manuel (Manuel à
l’usage des membres du Sénat et de
D’un autre côté, la haute situation qu’il s’était créée dans le monde
des affaires, à la direction de
Il sembla bien naturel que le baron d’Ancthan,
désireux de consolider sa situation, invitât Malou à prendre dans le
gouvernement du pays la part la plus large que celui-ci consentit à accepter ;
nommé ministre d’Etat, le 27 juillet 1870, il entra, comme ministre sans
portefeuille dans le conseil de
Nous croyons, avec M. Woeste, que « l’heure n’est pas venue de retracer
toute la vie de M. Malou pendant (page
573) cette troisième période de son existence, période qui s’est étendue dc 1870 à 1886 ».
Le moment ne paraît pas arrivé non plus d’émettre sur sa carrière un
jugement d’ensemble, puisque, à cette biographie, manque encore le couronnement
de seize années, de toutes les plus remplies, partagées entre les
responsabilités lourdes du pouvoir et les devoirs ingrats de l’opposition.