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Note
d’intention
« Jules Malou (1810-1870) », par le
baron de TRANNOY
(Bruxelles,
Dewit, 1905)
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(page V) Je n’ai connu M. Malou qu’assez
tard. Quand, longtemps avant d’être honoré d’un mandat législatif, je suis
entré dans la vie politique active, il semblait se complaire dans une sorte de
demi-recueillement. Non pas qu’il se désintéressât complètement des affaires
publiques : ceux qui ont eu l’honneur de conduire les hommes et qui savent tout
le prix d’un si noble labeur ne se résignent pas aisément à une retraite
absolue ; mais, frappé en pleine bataille par le coup de vent de 1857, dérouté
par l’échec que le régime parlementaire avait essuyé
dans cette année fatale, rejeté bientôt en 1859 dans la vie privée par
l’ingratitude des électeurs d’Ypres, il estimait peut-être avoir le droit de se
refugier dans un repos relatif. Rentré dans le Parlement par son élection au
Sénat en 1862, il y avait tout de suite joué le rôle que lui assignaient ses
éminentes facultés ; mais il paraissait hésiter à se jeter à nouveau dans les
mêlées du dehors. C’est ainsi que, presque seul parmi les notabilités du parti
catholique, il s’abstint de prendre part aux Congrès de Malines et aux œuvres
multiples qui en sortirent. Il arriva de là que l’occasion ne vint pas
immédiatement pour moi de lui être présenté à mes
débuts. Il était et il resta, jusqu’en 1870, la réserve du parti catholique ; (page VI) les yeux restaient fixés sur
lui, et on savait qu’aux heures décisives on ne pourrait se passer de son aide
; lui, il attendait.
Les fortunes diverses qui assaillirent le parti catholique pendant les années
1870 et 1871 commandèrent, par deux fois de faire appel à son dévouement et de
lui offrir un poste ministériel. La première fois, il s’agissait, à l’heure
difficile de la guerre franco-allemande, d’apporter au cabinet d’Anethan l’appui de son expérience consommée et de son
esprit éclairé ; mais ce fut très passager ; il se retira dès que la situation
fut raffermie. La seconde fois, ce fut un concours ou plutôt une direction
durable qu’on sollicita de lui. Il ne tergiversa pas l’intérêt de la cause à laquelle
il avait voué le meilleur de sa vie l’exigeait ; il devint le Chef d’un
ministère qui devait rester sept ans au pouvoir. Ce n’était pas un spectacle banal que celui
d’un tel avènement. M. Malou avait été dépeint longtemps comme l’homme des
réactions les plus dangereuses, et voici que, pour sortir d’une des crises
politiques les plus graves que le pays eût traversées, tout le monde
l’envisageait comme l’homme nécessaire c’est la preuve qu’à travers bien des
injustices accidentelles l’opinion, par un sûr instinct, sait rendre hommage au
véritable mérite et apprécier les supériorités.
La position n’était pas aisée. Les libéraux, enhardis par le succès
partiel de leurs manœuvres séditieuses, n’étaient guère portés à rendre à M.
Malou le gouvernement facile. Ils le prouvèrent bien, et, alors, le principal
effort du chef du Cabinet consista à établie qu’en dépit des émeutes de 1857 et
de 1871, les catholiques étaient possibles aux affaires, qu’ils pouvaient s’y
maintenir (page VII) sans avoir à
redouter autre chose qu’un verdict électoral, qu’en un mot, ils étaient
capables de constituer un parti de gouvernement et de se faire accepter comme
tel. Sa longue administration servit à donner cette conviction. On lui reprocha
de n’avoir songé qu’à vivre, et, peut-être, le désir de demeurer debout et de
ne pas donner prise à un troisième coup de main de l’émeute libérale,
l’emporta-t-il chez lui à certaines heures sur les conseils de la résistance et
de l’action ; mais ceux qui n’ont pas vécu à cette époque peuvent difficilement
se rendre compte des écueils qu’elle offrait ; et, d’ailleurs, il ne faut pas
oublier que, pendant cette période, les attaques contre
Les élections de 1878 amenèrent la chute de M. Malou, et, dès
l’avènement du nouveau Cabinet libéral, deux questions se posèrent : la rupture
de nos relations diplomatiques avec le Saint-Siège et l’abrogation de la loi de
1842 sur l’enseignement primaire. M. Malou fut d’emblée vivement frappé des
dangers qu’allait faire courir au pays cette politique d’aventures ; son
patriotisme en fut alarmé, ses sentiments religieux s’en trouvèrent
profondément blessés. Il prononça, pour combattre ses successeurs, des discours
éloquents, et il eut, pour les stigmatiser, des mots cinglants qui sont restés.
Mais qu’est-ce cela à côté de l’activité dévorante qu’il déploya pour organiser
la résistance légale des catholiques ? (page
VIII) A peine le projet de loi sur l’enseignement primaire fut-il déposé,
qu’il prit la tête du mouvement ; il en fut l’inspirateur, l’âme, le tacticien,
le champion dévoué, et il le resta pendant les cinq années que dura cette
campagne mémorable. De tous les points du pays, on recourait à lui ; sous ses
auspices les délibérations succédaient aux délibérations, les avis aux avis,
les impulsions aux impulsions, et moi, qui ai vécu pendant ces années-là dans
l’intimité féconde et vivante de M. Malou, j’aime à attester la noblesse et la
pureté des mobiles qui l’ont entraîné, les fatigues qu’il a affrontées,
l’esprit chrétien qui l’a guidé, les services exceptionnels qu’il a rendus à la
cause catholique. Il marchait vers le but qu’il poursuivait avec une constance
et une fermeté que rien n’a pu ébranler ni attiédir , il avait à cœur de
renverser ce qu’il avait appelé « une baraque » ; ii envisageait la loi de
1879, ainsi qu’il l’a qualifiée lui-même, comme « une loi de malheur »,
et, pour mettre le pays à l’abri de ses effets, il déploya toutes les
ressources que ses facultés supérieures et sa merveilleuse entente des affaires
mettaient à la disposition de sa foi religieuse et de ses anxiétés
patriotiques.
La bataille, dont il fut le chef écouté, aboutit aux élections de
L’heure n’est pas venue de retracer toue la vie de M. Malou pendant
cette troisième période de son existence, période qui s’est étendue de 1870 à
1886. Si j’en ai marqué quelques traits, c’est pour rappeler à quel point il
envisageait pour les catholiques, comme un devoir primordial, de se dévouer,
corps et âme, aux grands intérêts dont ils sont les dépositaires et déjà alors
si menacés !
On se tromperait, du reste, en pensant que ce n’est qu’en 1870 que M.
Malou ait adopté cette attitude d’action. Il convient de ne pas oublier que si,
pendant la seconde période de sa vie, qui embrasse les années 1857 à 1870, son
rôle politique a été moins apparent et moins étendu, celle-ci a été précédée
d’une autre période d’activité celle de sa jeunesse et du commencement de sa
maturité. Cette période constitue aussi, pour nos recrues, un modèle de premier
ordre, et, comme elle est moins connue des lutteurs d’aujourd’hui, c’est avec
raison que, dans un livre que je signale à l’attention sympathique du pays, un
de nos jeunes écrivains, M. le baron de Trannoy, animé du noble souci de la
gratitude, a cru devoir la retracer.
(page X) La jeunesse de M. Matou a été fort
laborieuse ; il entra de bonne heure au service de l’Etat ; il s’y distingua
dès l’abord, et il franchit rapidement les degrés de la hiérarchie
administrative jusqu’au moment où, déjà député, il devint gouverneur de la
province d’Anvers. En le suivant pas à pas avec M. de Trannoy, les jeunes
hommes du temps actuel pourront se rendre compte de la nécessité d’un travail
intense pour gagner les chevrons conduisant aux positions les plus élevées.
On lira surtout avec fruit les pages dans lesquelles l’auteur montre que
M. Malou, voyant de loin, chercha, à partir de 1850, à secouer l’indifférence
des uns et l’apathie des autres, à organiser les forces de résistance aux
attaques de l’irréligion et du libéralisme, à recourir, à cet effet, aux deux grandes
armes des temps modernes : la presse et l’association, et surtout à la
première. Les difficultés furent grandes, les concours difficiles à obtenir,
les mécomptes pénibles. M. Malou ne se laissa pas décourager. Il savait que
tout labeur est ingrat et qu’il n’est donné à personne de récolter sans effort.
Il portait donc vaillamment le poids du jour et de la chaleur, s’efforçant de
faire simplement son devoir, dédaigneux des avantages retentissants, convaincu
que, sans des ensemencements intelligents et constants, on ne peut espérer de
moisson.
Que ces temps sont déjà loin ! Mais combien ii est utile de revivre les
premières années de notre indépendance nationale ! Sans doute, tout change sans
cesse d’aspect dans l’humanité. Il est cependant des routes qu’il convient (page XI) de suivre : ce sont celles qui
ont donné au parti catholique la force de s’affirmer, de se développer et de
mériter la faveur publique à une époque tout imprégnée encore des souvenirs de
La génération actuelle trouvera donc, dans l’ouvrage plein d’intérêt de
M. de Trannoy, des enseignements précieux. Puisse-t-elle en profiter et s’en
montrer digne !
(Charles Woeste)